CANARD LAQUÉ / CANARD AU SANG
DIALOGUE CULTUREL ENTRE LES CUISINES CHINOISE ET FRANÇAISE WILLIAM CHAN TAT CHUEN
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© Les Éditions de l'Épure, Paris 2016
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En France comme en Chine,“manger et boire” est un plaisir, un art, une pratique sociale coutumière aussi bien dans les repas du quotidien que dans les repas de fêtes. Dans leurs riches histoires gastronomiques de plusieurs siècles, Français et Chinois ont développé dans leurs cuisines respectives un édifice culturel complexe et chargé de sens, allant du choix des ingrédients jugés comestibles, de l’esthétisme des mises en forme des produits et des saveurs, de l’évolution des techniques culinaires, de l’incorporation des nouveaux produits et des savoir-faire venus d’ailleurs, jusqu’aux arts de la table. Ainsi, un Chinois qui découvre pour la première fois la cuisine française se raccroche toujours à ses repères gustatifs et culturels propres pour l’apprécier. Il en est de même pour un Français. Je revois encore les réactions de mes oncles et de mes tantes lors de leur première dégustation d’un déjeuner français. C’était dans les années 1980, lors de mon premier séjour à Canton en été. Ils savaient que j’étais fraîchement diplômé de l’école hôtelière de Thonon-les-Bains et ils voulaient profiter de la présence d’un “chef français”. J’avais construit un menu avec les ingrédients disponibles du marché et adaptés au matériel de cuisine de ma tante. Pour compléter la vraie touche française, j’avais apporté en présent deux bouteilles de vin rouge de Bordeaux dans mes valises. L’entrée était un œuf mayonnaise accompagné d’une salade verte assaisonnée d’une sauce au jus de citron. Leur premier étonnement vint de la présence de la salade verte crue. À Canton, la salade verte se consomme toujours cuite ou blanchie à l’eau chaude. Puis, c’est la sauce au jus de citron qu’ils trouvèrent trop acide. En l’absence d’un vinaigre français, je l’avais remplacé par du jus de citron en respectant les règles de la confection d’une vinaigrette française, sans ajouter de sucre comme le font les Chinois. Le plat
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principal, un canard à l’orange accompagné de pommes darphin remporta tous les suffrages. Je savais que je prenais peu de risques, car la recette est cousine de la recette cantonaise du canard au zeste d’orange séché. De plus, ma famille était habituée à la saveur des sauces sucrées et aimait la texture croustillante apportée par les pommes de terre. Au dessert, des crêpes garnies de dés de mangue caramélisée. L’appréciation fut mitigée. Ils découvraient tous pour la première fois un fruit cuisiné au caramel et trouvaient le dessert trop sucré. À Canton, pour clôturer un repas, on aime toute simplement déguster un fruit dans sa fraîcheur naturelle. Le vin rouge de Bordeaux eut un grand succès, de par sa provenance directe de France, et de son aura. Ce qui était intéressant, c’était aussi les questions posées durant le déjeuner. Tous voulaient savoir si, comme le canard à l’orange, il y avait d’autres recettes françaises qui se rapprochaient des saveurs chinoises. Ils étaient à la recherche de repères dans leur propre cuisine, pour mieux comprendre ceux de l’autre. Ces interrogations, je les retrouve aussi en France lors de mes rencontres avec mes lecteurs dans les salons du livre et lors des conférences. Quand ils découvrent la culture culinaire chinoise pour la première fois, ils ont besoin aussi de trouver des repères dans leurs propres corpus de recettes pour mieux l’apprécier. Ce livre est né de ces interrogations. Au-delà de leurs différences culturelles, de leurs terroirs, de leurs manières de table, je désire engager un dialogue entre les gastronomies chinoise et française pour identifier leurs points de convergence. À travers des recettes de leurs patrimoines culinaires respectifs, j’ai voulu découvrir s’il existe des passerelles entre elles, qui peuvent se jouer sur : des recettes
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historiques emblématiques sur un même ingrédient (canard laqué de Pékin/canard au sang de Paris) — des recettes qui se rapprochent par leur composition (dan san, beignet enrobé de sirop et de graines de sésame/bugnes lyonnaises) — des recettes qui soignent et fortifient (bouillon de poule aussi bien français que chinois) — des recettes séculaires similaires (cochon de lait laqué/cochon de lait rôti) — des recettes aux ingrédients identiques, avec des marqueurs culinaires différents (coq ivre à l’alcool de Shaoxing/coq au vin jaune) — des recettes identiques avec un mode de cuisson différent (génoise cuite à la vapeur/ génoise cuite au four) — des recettes aux formes techniques similaires avec des ingrédients propres (ludangun, âne roulant au sol de Pékin/bras du gitan). Ces “dialogues culturels culinaires”, à travers le prisme de soixante-dix recettes en tandem choisies par mes soins, sont un prétexte pour voyager dans la cuisine de ces deux pays afin de mieux comprendre leurs pratiques alimentaires, leurs techniques culinaires, leurs canons esthétiques et leurs représentations symboliques. Vous verrez aussi comment la France, comme la Chine intègrent dans leurs grammaires culinaires les produits du Nouveau monde, comme la tomate et la pomme de terre. Des recettes détaillées, prévues au moins pour six personnes, vous permettront de les réaliser et les savourer chez vous.
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FOIE GRAS DE CANARD POCHÉ AUX ÉPICES 盐水鸭肝 MI-CUIT AUX ÉPICES ET VIN ROUGE S’il existe dans les deux pays une tradition de gavage de canards et d’oies aux techniques différentes pour rendre les volailles plus appétissantes, la France vise dans cet art du gavage l’obtention d’un lobe de foie parfait, alors que la Chine recherche avant tout la perfection d’une chair grasse et fondante, sans négliger pour autant son précieux foie. Pour les Chinois, le foie n’est pas un ingrédient neutre. Il passait pour le siège du courage. Cette idée avait dans la Chine antique une influence telle qu’on vit des guerriers manger le foie de leurs ennemis pour capturer dans leur corps leur courage. Cette pensée magique s’applique aussi au foie des gibiers sauvages. Ainsi, lors des chasses à courre de la dynastie Qing, les empereurs ne manquaient jamais l’occasion de déguster le foie de l’animal à peine tué, juste grillé, de manière à absorber au plus vite toute son énergie vitale. Domestiqué depuis plus de 4 000 ans, le foie du canard ou d’oie ne bénéficie pas de cette aura, mais le symbole demeure. La traduction du foie gras, en chinois eganjiang 鹅肝酱, fait référence d’emblée au foie d’oie, considéré plus fin en goût, plus subtil et plus long en bouche que celui du canard. Partout dans le monde, le foie gras véhicule une image de luxe, de raffinement à la française. En France, il a été promu au rang de “patrimoine gastronomique et culturel français” depuis janvier 2006. Le summum de ce luxe se décline en une tranche de foie gras mi-cuit, onctueux, fondant en bouche. En dégustant pour la première fois, en prélude à un banquet de canard laqué de Pékin, un plat de foie de canard servi en hors-d’œuvre, j’avais retrouvé cette texture et ces arômes qui caractérisent un foie gras mi-cuit français.
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Le nom de cette recette est yanshui yagan 盐水鸭肝, littéralement, “foie de canard poché dans une eau salée”, décliné de la grande spécialité gastronomique de Nankin, le canard saumuré au sel yanshui ya 盐水鸭. À l’échelle de l’histoire de la gastronomie, cet idéal de texture fondante et moelleuse dans la dégustation d’un foie gras est un fait récent, aussi bien chez les Français que les Chinois, aidé en cela par l’évolution des techniques de conservation et la maîtrise des cuissons à basse température. En France, nous sommes bien loin de sa recette d’origine, proposée sous la forme d’un pâté de foie gras dont la littérature gourmande fait mention dès 1739. Ces pâtés de foie gras étaient constitués d’un pâté, un récipient de pâte à l’époque, dans lequel on remplissait une farce de viandes enrichie de morceaux de foie gras, cuite au four. C’étaient de véritables mets de fêtes réservés aux grands jours, ou que l’on offrait en cadeaux culinaires pour les grandes occasions. Cette forme de pâté, emprisonné dans une pâte, permet à cette gourmandise de voyager et de se conserver un certain temps. Peu à peu, la croûte de pâte a été remplacée par une terrine en faïence, dans laquelle cuit directement la farce enrichie de foie gras. Ainsi commença la diffusion de la consommation du foie gras à partir de l’Alsace et du Sud-Ouest. L’histoire retient la recette du pâtissier Jean-Pierre Clause à Strasbourg, qui date de 1788. Ce dernier était au service du maréchal Contadès, qui avait été conquis par son pâté de foie gras, et en offrit au roi Louis XVI. Séduit à son tour, le roi le diffusa auprès de sa cour et dans toutes les cours européennes. Ainsi naquit la réputation luxueuse et royale du foie gras.
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Pour pouvoir le déguster seul, en tranches, comme aujourd’hui, il a fallu attendre la technique d’appertisation au début du xxe siècle. Les lobes de foie gras étaient appertisés dans des conserves en bocaux ou en fer, facilitant encore plus leur voyage et leur diffusion. Il s’agit du foie gras traditionnel, ou cuit. C’est avec l’avènement de la chaîne du froid à partir des années 1970 que le foie gras fait sa révolution gastronomique. Les nouvelles techniques de conservation par le froid rendent possible l’émergence d’un foie gras mi-cuit, de lobes de foie gras crus au service de la créativité des chefs du monde entier, ouvrant un champ nouveau de sensations gustatives. En Chine, l’histoire du foie gras ne fait que commencer. C’est grâce à la maison Rougié, créée en 1875 à Cahors, que les élites chinoises découvrirent le foie gras. Pour contourner l’interdiction d’importer du foie de canard frais en Chine, la maison Rougié avait fait le pari d’installer son premier élevage de canard à Yanqing en 2007, à une centaine de kilomètres de Pékin. Cette production haut de gamme, qui respecte tout le savoir-faire dans l’élevage et le gavage des canards au maïs du Sud-Ouest, est principalement destinée aux restaurants gastronomiques des grandes villes. Le produit demeure encore très luxueux. Sur le plan culinaire, les Chinois comparent le foie gras à leur doufu soyeux, leur fromage de soja à la texture si fragile. Ils lui réservent donc ses techniques culinaires pour mettre en valeur la délicatesse de sa texture comme de ses saveurs. Une de leurs recettes préférées est celle des dés de foie gras et de doufu soyeux, juste pochés dans un bouillon de poule au gingembre. C’est la technique de pochage que les Chinois avaient retenue aussi dès l’origine pour la cuisson de leur foie de canard. La traduction de yanshui yagan, “foie de canard poché dans une eau salée”, est trompeuse. En effet, le bouillon
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salé est enrichi d’épices et d’aromates avec de l’écorce de cannelle, de l’anis étoilé, du gingembre, de la réglisse, de la ciboule et de l’alcool de riz. On laisse mijoter seul le bouillon pour révéler toutes les saveurs de ses ingrédients avant d’y plonger les foies de canard. Quelques minutes après la reprise de l’ébullition, les foies sont pochés feu éteint dans la chaleur du bouillon. Le temps de pochage est fonction de la taille et de la quantité de foies. Cette technique de cuisson est exactement la même qu’une cuisson de foie gras au torchon du répertoire français.
FOIES GRAS DE CANARD POCHÉS AUX ÉPICES 500 g de foies de canard dénervés 1 l d’eau 3 anis étoilés 1 bâton de cannelle 50 g de gingembre frais 1 bâton de réglisse 1/2 botte de ciboulette 30 cl d’alcool de riz 1/2 c à café de poivre de Sichuan et 15 g de sel Lavez les foies de canard, puis égouttez-les — Faites-les mariner dans l’alcool de riz — Concassez les bâtons de cannelle et de réglisse — Émincez le gingembre frais — Coupez la ciboulette en petits tronçons — Mettez ensuite dans une casserole l’eau et tous les ingrédients aromatiques, le sel et le poivre — Portez à ébullition, puis laissez mijoter à couvert pendant 30 min pour que les épices dégagent leurs parfums — Ajoutez ensuite dans le bouillon parfumé les foies de canard marinés — Couvrez. Dès la reprise de l’ébullition, éteignez le feu et laissez pocher pendant 30 min — Décantez ensuite les morceaux de foies de canard
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pour garder leur moelleux et leur onctuosité. Réservez-les au froid — Pour plus de saveurs, laissez refroidir le bouillon aromatique, puis replongez-y les morceaux de foies de canard — Laissez reposer au froid pendant une nuit. Décantez les morceaux de foies de canard, puis émincez-les pour le service.
FOIE GRAS MI-CUIT AUX ÉPICES ET VIN ROUGE 500 g de lobe de foie gras cru dénervé 1 bouteille de vin rouge corsé (minervois, côtes-du-rhône) 3 anis étoilés 1 bâton de cannelle 4 clous de girofle les zestes de 1/4 d’orange 1 gousse de vanille 1/2 c à café de sel Séchez bien le lobe de foie gras. Enroulez-le bien serré dans un torchon. Attachez bien les deux extrémités avec de la ficelle — Dans une casserole, versez le vin avec toutes les épices, la gousse de vanille fendue en deux, les zestes d’orange, le sel — Portez l’ensemble à ébullition et laissez mijoter à couvert 30 min — Coupez ensuite le feu, et plongez dans le bouillon votre foie gras emmailloté dans son torchon — Laissez reposer et pochez le foie gras pendant 45 min dans la chaleur du vin épicé — Sortez ensuite le foie gras au torchon. Laissez-le reposer pendant au moins une nuit au réfrigérateur avant de le servir tranché.
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SALADE DE CONCOMBRE AU VINAIGRE DE RIZ 凉拌黄瓜 SALADE DE CONCOMBRE VINAIGRETTE Avec sa fraîcheur et son croquant, le concombre est l’un des légumes qui personnifie le mieux l’une des saveurs de l’été, aussi bien en France qu’en Chine. Dans les deux pays, il est croqué tout simplement nature pour se désaltérer ou dégusté sous forme de salade, émincé, puis assaisonné d’une sauce vinaigrette. Ce concombre connaît un destin exceptionnel par l’attention qui lui est portée, à la fois par un empereur chinois et par un roi français. En chinois, concombre se dit huanggua 黄瓜, “cucurbitacée jaune”, alors que sa peau est de couleur verte ! En Chine, la couleur jaune fait référence à l’empereur, seul personnage, avec sa famille, à pouvoir porter cette couleur. Même si une autre appellation rend hommage à sa couleur, qing gua 青瓜, “cucurbitacée vert émeraude”, c’est sous la couleur impériale que les Chinois le désignent communément. Voici l’histoire qui raconte cette mutation sémantique de la couleur du concombre en jaune, qui l’anoblit. Rapporté en Chine sous la dynastie des Han 汉朝 par Zhang Qian 张骞 lors de sa tournée dans les contrées de l’ouest, le concombre à l’origine se disait en chinois hugua 胡瓜. Le caractère hu 胡 à l’époque, qui signifiait “étranger”, désignait les produits qui venaient des minorités ethniques en dehors des territoires Han 汉, le peuple chinois de souche. Lorsque l’empereur Shile 石勒 monta sur le trône dans l’État de Xiang (actuel Hebei), il interdit l’usage du caractère hu pour marquer son autorité sur ces nouveaux territoires. Les contrevenants à cette interdiction étaient décapités. Lors d’un déjeuner qu’il partageait avec ses officiers, il testa son officier Fan Tan 樊坦 en lui demandant comment se nommait le plat de
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concombres qui se trouvait sur la table du banquet. Ce dernier répondit avec respect, yupan huanggu, 玉盘黄瓜, “cucurbitacées jaunes sur un plat en jade”. L’empereur, ravi de la réponse, accepta cette appellation qui lui rendait hommage. En France, même si c’est le roi Charlemagne qui ordonna en premier la culture du concombre dans ses domaines dès le ıx e siècle, il faut attendre le xvıı e siècle pour que le concombre connaisse ses lettres de noblesse, grâce à la passion de Louis XIV, qui en raffolait, et au savoir-faire de son agronome La Quintinie. Louis XIV aimait le croquant du concombre en salade. Il l’aimait aussi en soupe. Pour faire plaisir au roi, La Quintinie inventa la culture du concombre sous-abri. Il permit ainsi au roi de déguster le concombre dès le mois d’avril. L’empereur Kangxi, qui régnait dans la même période que Louis XIV raffolait également de ce concombre. Il fallut attendre le xıx e siècle pour que le concombre se démocratise et se retrouve dans les assiettes populaires. Derrière cette passion commune franco-chinoise de la dégustation d’une simple salade de concombre, il y a aussi cet art de la sauce vinaigrette propre aux deux cultures : vinaigre de vin, huile, sel et poivre côté français, vinaigre de riz, huile de sésame, sel, sucre côté chinois. Sur ce point, la France comme la Chine possèdent une tradition et un savoirfaire vinaigriers reconnus. La Chine est le premier pays à fabriquer son vinaigre à partir d’alcool de céréales. Le livre Qiminyaoshu 齐民要术 (“Techniques importantes pour le bien-être du peuple”), un traité agricole qui date de la dynastie de Wei du nord (ıve siècle) recense déjà plus de vingt-deux méthodes de fabrication. Le caractère vinaigre en chinois cu 醋 est composé à sa gauche d’une partie du caractère alcool jiu 酒, en haut à
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droite du caractère simplifié vingt ershi 二十, et en bas à droite du caractère jour ri 日. Cela signifie qu’un vinaigre chinois est issu d’une fermentation de boissons alcoolisées d’au moins vingt jours. Le vinaigre chinois est fabriqué exclusivement à partir de la fermentation du riz ou de l’alcool de riz, enrichi ou non d’autres céréales. Il existe le vinaigre blanc obtenu par fermentation du riz blanc, avec un goût moins acide et plus doux que le vinaigre de vin français. Il est recommandé dans les mets pour préserver la couleur naturelle des ingrédients. On trouve aussi le vinaigre noir, obtenu par fermentation du riz glutineux de couleur noire. Son parfum doux rappelle la saveur du vinaigre balsamique. Les Chinois plébiscitent quatre grands vinaigres, tous noirs, issus de quatre provinces : le vieux vinaigre de Shanxi 山西老陈醋. C’est le vinaigre historique le plus prestigieux de Chine, produit dans la ville de Qingxu avec une histoire de plus de 3 000 ans. Il s’agit d’un vinaigre noir issu de la fermentation de riz enrichi de sorgho, d’orge et d’une couleur rouge-brun, d’une texture épaisse, très parfumé, au goût bien aigre — le vinaigre de Zhenjiang 镇江香醋 dans le Jiangsu. C’est un vinaigre noir, obtenu par fermentation du riz noir glutineux, très proche d’un balsamique avec une saveur douce, presque fumée — le vinaigre de Baoning 保宁醋 est fabriqué à Langzhong dans le Sichuan. C’est un vinaigre rouge-noir. Sa saveur est légèrement acide, avec des notes sucrées — le vieux vinaigre de Yongchun 永春老醋 dans le Fujian est de couleur noir brunâtre. Sa saveur est acide, avec un parfum très agréable apporté par les graines de sésame et le riz de levure rouge qui ont fermenté avec le riz glutineux. En France, ce sont les vinaigres d’Orléans qui sont plébiscités par les Français. Cette réputation remonte à 1394, lorsque la Corporation des vinaigriers, buffetiers, sauciers et moutardiers d’Orléans fut créée. Située sur la Loire, la ville d’Orléans
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était un grand port fluvial qui voyait transiter le commerce des vins vers Paris. Pour des raisons de qualité et des conditions de conservation insuffisantes, les vins tournaient aigres. Ces vins piqués étaient transformés à Orléans en vinaigre. Ce savoir-faire perdure aujourd’hui, avec les vinaigres de la maison Martin Pouret, fondée en 1797. Cette dernière continue à fabriquer ses vinaigres avec la “méthode d’Orléans” avec des vins de Loire et du Sud-Ouest, avec une fermentation complètement naturelle. Le vin piqué est rempli aux trois quarts dans des fûts de chêne, ouverts et ventilés. Il se forme alors à sa surface “une mer à vinaigre” qui assure la fermentation. Lorsque le vinaigre est prêt, il est soutiré à moitié du fût. Ce dernier, à moitié vide, est rempli de nouveau avec du vin piqué. C’est ainsi que recommence une nouvelle fermentation naturelle. La qualité du vinaigre d’Orléans s’explique aussi par son vieillissement. Comme pour les vinaigres chinois, les vinaigres vieillissent au moins pendant un an avant d’être commercialisés. La saveur du vinaigre, qu’elle soit française ou chinoise, relève de la patience du temps. La sophistication de la vinaigrette française, enrichie de moutarde, d’aromates et d’herbes fraîches, s’explique par la présence de crudités dans la gastronomie française. Les légumes crus, découpés, mis en forme, sont assaisonnés directement avec cette sauce, puis dégustés. Ce mode d’assaisonnement à la française était le modèle à suivre dans toute l’Europe du xvııı e siècle. Exilé au xıxe siècle pour des raisons politiques à Londres, le chevalier d’Albignac ne fit-il pas fortune en confectionnant des sauces vinaigrette chez les riches aristocrates ? En Chine, la consommation de vraies crudités à la française est rare. Les légumes sont dégorgés au sel, ou blanchis dans de l’eau chaude avant de recevoir une sauce vinaigrée. Cette précaution s’explique par des considérations d’hygiène héritées des anciens temps.
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Français et Chinois se différencient aussi dans le mode de découpe de cette salade de concombre à la vinaigrette. Les Français préfèrent des tranches fines, coupées en rondelles ou en biais, alors que les Chinois préfèrent de gros morceaux, coupés en cube ou en julienne. Les Chinois gardent toujours la peau du concombre alors que la majorité des Français l’épluchent.
SALADE DE CONCOMBRE AU VINAIGRE DE RIZ 2 concombres* (environ 750 g) 1/4 c à café de sel 2 c à soupe de vinaigre de riz noir 1 c à soupe d’huile de sésame 1 c à soupe de sucre 2 gousses d’ail émincées 1 c à café piment en poudre rouge ou 1 piment rouge frais (facultatif) 1/2 botte de coriandre fraîche Coupez les extrémités des concombres lavés et égouttés — Si votre concombre est trop long, coupez-le en deux parties pour faciliter votre travail de découpe — Taillez les concombres en gros cubes. Mettez-les dans une passoire — Saupoudrez de sel, mélangez bien, puis laissez dégorger en laissant votre passoire remplie de concombres sur l’évier — Au bout de 30 min, pressez les cubes de concombre pour rejeter l’eau — Transvasez vos dés de concombres dégorgés dans un saladier, ajoutez le vinaigre de riz noir, l’huile de sésame, le sucre, les gousses d’ail émincées, le piment en poudre (ou votre piment rouge émincé). Mélangez bien l’ensemble et laissez mariner au moins pendant 1 h — Au moment de servir, parsemez de coriandre fraîche ciselée. * Pour cette recette, les petits concombres conviennent mieux.
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SALADE DE CONCOMBRE VINAIGRETTE 2 concombres (environ 750 g) 1 c à soupe de vinaigre de vin d’Orléans 3 c à soupe d’huile de noix 1 échalote hachée 3 pincées de sel 2 tours de moulin à poivre Épluchez les concombres lavés et égouttés — Taillez-les en fines rondelles — Réservez-les dans le saladier de service au frais — Préparez votre sauce vinaigrette dans un petit bol — Commencez par diluer le sel dans le vinaigre — Ajoutez ensuite l’huile, le poivre et l’échalote hachée — Mélangez bien l’ensemble. Rectifiez l’assaisonnement si besoin — Au moment de servir, versez la sauce vinaigrette sur les rondelles de concombres émincés — Brassez bien dans le saladier la sauce vinaigrette et les concombres — Servez aussitôt.
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