SINGAPour
N°12 | NOVEMBRE 2018 | AVRIL 2019
Le magazine 100% Red Dot du site lepetitjournal.com/singapour
Smart mobility
Édito
Les transports amoureux de la modernité
Longtemps l’an 2000 a marqué une frontière fantasmatique entre le monde contemporain et le passage à un univers futuriste. L’an 2000 est passé. Les innovations se sont succédées, transformant le quotidien en profondeur. Mais internet, le smartphone, l’intelligence artificielle... ont été rapidement assimilés sans frapper l’imagination aussi sûrement que le feraient, croit-on, des voitures qui volent
dans un espace à 3 dimensions administré par l’ordinateur et les robots. C’est que l’on s’habitue vite à utiliser au quotidien une technologie qui, la veille encore, faisait rêver ou trembler.
S’il est donc un moment passionnant, s’agissant des voitures qui volent, qui marchent toutes seules et qui parlent, c’est celui que nous vivons. Comme le
souligne le directeur exécutif de la LTA dans le rapport annuel 2016-2017 de son organisation : « Utiliser un drone pour se déplacer, prendre un taxi volant ou attraper un bus autonome pour revenir à la maison. Ces modes de transport futuristes ne relèvent plus désormais de la science-fiction mais font partie d’une réalité excitante qui va transformer la manière dont nous nous déplacerons dans le futur. » Et si la fenêtre d’émerveillement promet d’être courte, avant que l’esprit se mette à rêver d’autres choses, d’autres frontières... alors mieux vaut en profiter intensément là où les transformations ont toutes les chances de se mettre en place aussi soudainement que s’ouvrent les bourgeons au printemps, dans un territoire suffisamment amoureux de la modernité pour fédérer autour de ses transports tous les moyens de ses administrations, des centres de recherche et des entreprises privées. À maints égards, la configuration physique et politique de Singapour, l’excellence de ses infrastructures routières et de ses transports publics, aussi bien que les ambitions qu’elle affiche dans le domaine de la « smart city », font de la cité-Etat un laboratoire à ciel ouvert pour les transports d’un futur... qui pourrait n’être plus si loin. L’équipe de lepetitjournal.com/singapour
© LTA
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Sommaire « We want to encourage you to choose Walk Cycle Ride (WCR) modes of transport » Public Consultation on the Land Transport Masterplan 2040
© Airbus Skyways
16 / Airbus parie sur le ciel
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Édito
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Fil Rouge
8 Smart mobility
8 - Singapour, laboratoire à ciel ouvert de la mobilité 10 - Urbanisme et mobilité, rencontre avec François Vienne 12 - Petit glossaire de la mobilité 14 - Grab et les autres 16 - BlueSg, tremplin de Bolloré en Asie du Sud-Est 18 - Véhicules autonomes : les entreprises françaises en pointe 22 - Airbus parie sur le ciel
© François Vienne
10 / Urbanisme et mobilité
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28 34 © Aude Gooly
47 / Le regard d’Aude Gooly sur le Cambodge MCI(P)065/03/2018 Editeur Fil rouge Pte ltd Directeurs de la publication Bertrand Fouquoire, Laurence Huret Rédacteur en chef Bertrand Fouquoire Coordination éditoriale et dossier Clémentine de Beaupuy, Cécile Brosolo Rédaction Clémentine de Beaupuy, Jérome Bouchaud – Jentayu, Cécile Brosolo, Bertrand Fouquoire, Sophie Mouton-Brisse, Arvil Sakai, Michèle Thorel Agenda Maud Wind Graphisme Atelier Sujet-Objet Publicité et promotion Sophie Michel Impression IPrint Express Photo couverture © Edwin Koo. Photos Remerciements spéciaux à Edwin Koo.
Tirage à 4000 exemplaires
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Photoreportage : Transit
Edwin Koo
Singapour autrement
28 - Vicky Hwang au sommet du Parkview square 32 - Les bons plans bio de Raphaëlle
Echappées belles
Découvrir le Yunnan avec Asian Roads
L’Asie vue de France
38 - Jour de rentrée à Sciences Po, campus du Havre 42 - Un été avec Ai Wei Wei au Mucem
Culture
44 - Nouvelle : "Here comes the sun" 45 - Entretien avec Yeo Wei Wei (en partenariat avec Jentayu) 47 - Un artiste, une œuvre : le regard d’Aude Gooly sur le Cambodge
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Couleurs d’Asie Blanc & noir
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Agenda
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Un chef une recette Christophe Grilo
Boulanger des meilleures tables à Singapour
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Fil rouge
Golden Mile Complex - Urbanfork © Philippe Diversy, Bob Lee
Golden Mile Complex en péril Que restera-t-il à Singapour de l’architecture des années 60-70 ? L’un des fleurons de cette période, Golden Mile complex, est-il en danger de destruction après que l’avis de vente en bloc, déposé en août dernier, a été sursouscrit par les copropriétaires ? Achevé en 1973, le bâtiment conçu par DP architects dressait avec fierté, face à la mer et à deux pas du Singapore Stadium, ses élégantes terrasses jaunes organisées en gradins. Il est ainsi
des périodes dont les témoignages patrimoniaux résistent moins à l’épreuve du temps. Si Singapour a su remettre à l’honneur, avec beaucoup de réussite, l’héritage de son architecture de style victorien. Elle risque de ne plus avoir beaucoup de constructions des décennies post-indépendance à rénover lorsque, avec le filtre du temps, la période des années 60-70 regagnera les cœurs des nostalgiques.
Le PSG à Singapour Le Paris Saint Germain, qui compte 70 millions de fans en Asie, avait choisi Singapour et la Chine pour y réaliser cet été sa tournée de pré-saison. Pour le club parisien, l’initiative n’a rien d’anecdotique. Elle s’inscrit dans un mouvement global qui porte les grands clubs de football à étendre leur base de supporters et à développer leurs revenus commerciaux. Dans cette perspective, Le PSG, pro-
priété de Qatar Sports Investments, vient de créer une franchise à Singapour pour rayonner en Asie. Avec des stars telles que Mbappé et Neymar, le club parisien a de quoi attirer les fans de Singapour, d’Indonésie, de Chine et d’ailleurs. D’autant plus qu’il peut aussi capitaliser, en termes de marque, sur tout ce qui fait l’attractivité de Paris.
Lancement des Trophées des Français d’Asie Porté par le succès des Trophées des Français de l’étranger depuis 2013, lepetitjournal.com (éditeur du magazine Singapour) crée cette année, à Singapour, une déclinaison de l’événement pour l’Asie. L’opportunité pour tous les Français résidant en Asie de concourir dans l’une des 5 catégories : social et humanitaire, éducation, entrepreneur, culture-art de vivre, Prix du public. La cérémonie de
remise des trophées aura lieu le 6 décembre à la résidence de l’Ambassadeur de France à Singapour. Les lauréats des trophées Asie seront automatiquement finalistes de la prochaine édition des Trophées des Français de l’étranger qui se déroulera au Quai d’Orsay en mars 2019.
Le PM de Singapour à Paris Le Premier ministre Lee Hsien Loong, était cette année, avec son homologue japonais Shinzo Abe (finalement absent) l’un des deux invités d’honneur de la France à l’occasion de la célébration du 14 juillet. La distinction, qui célèbre l’excellence de la relation entre les deux pays, était aussi le point d’orgue d’une année franco-singapourienne de l’innovation marquée par de nombreuses ma-
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nifestations à Singapour et en France. Emmanuel Macron pourrait à son tour venir à Singapour à l’occasion du Shangri-La dialogue.
Fil rouge Libre-échange : l’UE et Singapour d’accord Après de nombreuses années de négociation, l’Union européenne et Singapour sont parvenus, le 18 avril 2018, à signer un accord de libre-échange et un accord de protection des investissements. En plus de la suppression classique des droits de douane et des barrières non tarifaires pour le commerce des biens et des services, l’accord commercial contient des dispositions importantes sur la
protection de la propriété intellectuelle, la libéralisation des investissements, les marchés publics, la concurrence et le développement durable. La cité-Etat représente à elle seule 65,7 % des 234 milliards d’euros d’investissements directs de l’UE en ASEAN. Elle abrite plus de 10 000 entreprises de l'UE.
Grab et Uber font voiture commune Longtemps les deux applications Grab et Uber, dédiées au transport des particuliers, se sont affrontées à coup de généreuses promotions pour attirer les passagers. Annoncé le 26 mars, le rachat par Grab des activités d’Uber en Asie du Sud-Est marque la fin des hostilités et une étape nouvelle dans la recomposition du paysage des transports dans la cité Etat. Au passage, Uber prend une parti-
cipation de 27,5 % dans Grab et assure à son PDG un siège au conseil d’administration de son ex concurrent et désormais compagnon de nombreux voyages à venir. En septembre, le nouvel ensemble a été frappé d’une amende de 13 millions S$ et contraint d’ouvrir le marché aux autres compétiteurs après que la fusion eut entrainé une augmentation des prix.
5,64 millions d’habitants C’est le chiffre de la population à Singapour, arrêté en juin 2018 ; en légère augmentation de 0,5 % par rapport à l’année précédente. Dans le détail, les choses changent peu. La composition de la population (Singapouriens 61,3 %, résidents permanents 9,3 %, non résidents 29,1 %), reste à peu près stable. L’évolution positive du nombre des citoyens singapouriens est liée davantage aux na-
turalisations (22 706) qu’aux naissances. Avec un taux de fécondité de 1,16 % qui marque un point bas depuis 7 ans, la natalité reste un sujet de préoccupation.
Le Petit Prince au musée Philatélique A l’occasion du 75e anniversaire de la publication du Petit Prince, le musée Philatélique de Singapour consacre, du 8 juin 2018 au 17 mars 2019, une exposition au Petit Prince et à l’univers imaginé par Antoine de Saint-Exupéry. A voir, philatélie oblige, une collection de timbres et de matériaux philatéliques, mais aussi de nombreuses illustrations, des objets personnels ayant appartenu à l’auteur, et une
galerie de personnages recréée en couleur grâce à la magie du sculpteur français Arnaud Nazare-Aga. L’occasion de célébrer un livre, publié à plus de 200 millions d’exemplaires, et le génie de son auteur, Antoine de Saint-Exupéry (19001944) écrivain, poète et aviateur.
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Dossier : Smart mobility
Singapour laboratoire à ciel ouvert de la mobilité
Lee Kuan Yew n’aimait pas l’idée d’accorder trop de place à la voiture. Dans un entretien accordé en 2010 à Tom Plate, le père fondateur de la Singapour moderne, souvent visionnaire, expliquait les réticences qu’il avait eu lorsqu’il s’était agi de donner ou non à la voiture particulière la place qu’elle réclamait, pressentant que ses exigences n’iraient qu’en grandissant, pour finalement occuper toute la place. A l’époque, il avait, fait rare, cédé aux arguments de la « génération des jeunes leaders ». 50 ans plus tard, la vision est devenue réalité. A Singapour comme dans la plupart des grandes métropoles, l’automobile, dans sa version « voiture particulière », celle qu’on utilise, souvent seul, dans ses trajets quotidiens, est devenue l’empêcheuse de se déplacer rapidement, confortablement, sans polluer et en toute sécurité. Témoin, la grande consultation publique de la Land Transport Authority (LTA) en préparation de son smart Land Transport Master Plan 2040, qui met l’accent sur le concept de WCR (Walk Cycle Ride), soit tous les modes de mobilité active – marche, vélo, trotinettes électriques..., les transports publics, et les transports partagés tels que taxis, véhicules avec chauffeur, voitures en autopartage…, bref tout ce qui ne renvoie pas à un usage individuel d’une voiture particulière.
Convaincre les citoyens d’adopter le style WCR, suppose que les transports publics et les solutions privées offrent une alternative compétitive à l’automobile en termes de coût, de temps de transport et de praticité. Cela nécessite un réseau dense, non saturé (par exem-
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ple en encourageant les usagers qui le peuvent à éviter les heures de pointe), efficace (c’est à dire fiable et rapide) et confortable (non bondé, de qualité…). A cet égard Singapour peut s’enorgueillir d’un métro moderne, confortable et sécurisé, de trains qui arrivent à l’heure et d’un réseau de bus qui, dans le cadre du nouveau « Bus Contracting Model », garantit une
« Nous voulons vous encourager à choisir la marche le vélo et les transports publics (Walk Cycle Ride mode of transport) »* couverture géographique optimisée et une qualité de service impressionnante ; le tout mis en musique dans des hubs multimodaux qui permettent de passer sans effort d’un mode de transport à l’autre et, pourquoi pas, d’en profiter pour prendre un café ou faire un peu de shopping.
Pour fluidifier la circulation, la très smart city mise sur la technologie : l’exploitation des big data pour orchestrer un pilotage efficace des flux, où l’on donne au conducteur la possibilité de réagir et d’adapter son itiné-
raire en temps réel pour éviter les encombrements ; la possibilité aussi de mieux piloter les bus, les ambulances, les véhicules de pompiers… En pariant sur les big data pour développer une infrastructure intelligente favorisant la mobilité, Singapour met en place un système ouvert intégrant l’Etat, les entreprises et les centres de recherche. En amont : des projets innovants fondés sur des financements privés-publics. En aval : une myriade de solutions et d’applications.
Pour protéger l’environnement, prendre soin de l’art de vivre, la santé et la sécurité de la population, une panoplie de solutions monte en puissance, parmi lesquelles la transformation du parc des camions, bus et automobiles vers des véhicules à motorisation hybride ou électrique, le développement d’un réseau dense de pistes cyclables et l’aménagement des espaces pour les piétons... À ce stade, la réflexion amène à challenger l’idée même de mobilité : pourquoi bouger quand on peut l’éviter ? Rien de pire à cet égard que des cœurs de ville ou quartiers accaparés par les seules activités professionnelles, vers lesquels déferlent chaque matin des hordes de personnes qui, venant de quartiers résidentiels, viennent y travailler, avant de repartir en sens inverse, en fin de journée. Les urbanistes singapouriens l’ont compris, qui cherchent à développer des nouvelles villes autonomes, où l’on peut vivre et travailler. Bertrand Fouquoire
*LTA public consultation on Land Transport Masterplan 2040.
Dossier : Smart mobility
Urbanisme et mobilité Rencontre avec François Vienne, urbaniste © François Vienne
Comment Singapour a-t-elle réussi, dans le domaine de la mobilité, à digérer sa croissance économique et l’augmentation de ses habitants ? François Vienne, jeune urbaniste français, arrivé en 2014 dans la cité-Etat, observe la rénovation et la création des villes nouvelles aux Philippines, en Chine, en Indonésie, au Vietnam et en Thaïlande. Pour lui, la réussite du modèle singapourien, dans le domaine de la mobilité s’explique par la puissance publique et son contrôle des sols.
Vous intervenez en tant que consultant dans de nombreux projets en Asie, notamment dans la construction de villes nouvelles. Même si les villes ne sont pas comparables, y-a-t-il une manière spécifiquement asiatique de concevoir la ville et la mobilité ? François Vienne - La première constatation qui s’impose est que l’Asie du Sud-Est est dans une dynamique de croissance alors que l’Europe est davantage dans une logique de renouvellement urbain. Cette différence structure les questions de mobilité au sein des villes. Dans cette région du monde, la croissance urbaine est le moteur alors que dans nos pays européens, cela a tendance plutôt à se « refaire ». La société de l’automobile a déjà traversé le XXe siècle en Occident, il y a d’ailleurs eu un essoufflement au début des années 2000. Alors qu’ici, des villes nouvelles et industrielles se créent entièrement. Bien entendu, les villes asiatiques ne sont pas semblables. Singapour fait partie, comme Tokyo et Shanghai, des villes les plus avancées ,qui mettent à profit les nouvelles technologies pour créer et penser
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de nouveaux modèles dans le cadre de « Smart City ». La voiture individuelle et le réfrigérateur ont constitué une grande rupture pour les villes au XXe siècle donnant beaucoup de sens, économiquement, à l’étalement urbain et la suburbanisation. Dans les années 2000, les prémices de la société digitale ont initié, notamment avec le co-working, un retour vers le centre. Ce nouveau mode d'habitat est en train de casser le rapport à la distance. Les nouvelles technologies ont donc contribué à une amélioration de la mobilité ? Je ne sais pas si l’apport des nouvelles technologies contribue à une amélioration de la mobilité, en tous cas, cela implique une transformation. La fin des années 70, marque la fin des villes modernes pensées par des urbanistes tels que Le Corbusier ou d’autres. Les technologies cassent résolument ces modèles. Partout dans le monde, on assiste à une modification du rapport à la voiture, et plus généralement à la propriété privée, ce qui implique, notamment, un
nouveau rapport aux services pour les habitants. En fait, la mobilité, qui se concevait comme un capital individuel se transforme en un capital d’accès aux services. Cette transformation est mondiale. Et cela change tout.
Et, plus spécifiquement, par rapport à Singapour ? A Singapour, des éléments socio-culturels sont à prendre en considération quand on croise des voitures de grosse cylindrée. Mais la possession d’une voiture oscille entre 15% et 20% dans la cité-État. C’est peu. A travers plusieurs mesures clairement inscrites dans la politique du LTA, le gouvernement singapourien essaie de limiter la possession d’un véhicule individuel. Cette politique s’explique par des raisons écologiques mais aussi économiques. Singapour, qui ne fait que 700 km2, a un rapport pragmatique à son territoire. Elle accueille de ce fait toutes les solutions technologiques qui lui sont apportées comme Grab, les bus et les voitures autonomes, de facon à optimiser au maximum les flux sur son réseau rou-
Dossier : Smart mobility tier. A Singapour, il y a également un très bon rapport des habitants aux services publics de transport, particulièrement les bus : 45% des singapouriens les utilisent. Cette efficacité du réseau de transport est aussi à comprendre à plus grande échelle. Certes, il y a la qualité des infrastructures mais cette réussite de la mobilité à Singapour s’explique par la puissance publique et le contrôle qu’elle exerce sur le sol.
En quoi ce contrôle sur le sol a-t-il permis à Singapour de maitriser et de réussir la mobilité urbaine ? Singapour est une des villes les plus fortes au monde concernant le Transit Oriented Development - le TOD. Même s’il y a un freehold system ici, le sol appartient toujours au gouvernement. Le fait qu’il contrôle le sol leur donne la capacité de concevoir et de mettre en place des projets de mixité des usages autour des stations de métro, afin de minimiser la part du traffic domicile-travail. Pour l’urbaniste que je suis, la mobilité dans une ville n’est pas les différents moyens de transports, mais bien le rapport habitants/emplois. Singapour, après avoir créé des transports efficaces pour rapprocher les habitants de
leurs emplois, a créé des zones de mixité : logements, emplois, loisirs, zones commerciales, écoles. Dès les années 1990, sont initiés des projets urbains tels que One North, Punggol, Jurong Lake district… Ces projets, considérés ici comme des villes nouvelles sont également très connectés au reste des quartiers de Singapour. Les « espaces ouverts », les parcs, les jardins, à l’échelle de Singapour oscillent autour de 20%. Ce qui est considérable pour une ville moderne. Mais ces nouveaux quartiers ne prennent pas instantanément. Il faut que de nouvelles dynamiques socio-économiques se mettent en place. Cela demande du temps. L’exemple de Punggol est assez significatif : 100% du parc immobilier est construit alors qu'une partie seulement est occupée ; ce qui revèle bien une mécanique de réserve foncière mise en place par le gouvernement. Le contrôle du sol est alors primordial. Pour son développement, Singapour ne dépend pas d’investisseurs privés qui agissent au coup par coup. Et, c’est la grande force de Singapour, le gouvernement contrôle l'usage du sol. Il a le temps pour lui. Ce sont ces outils de planification maitrisée qui constituent vraiment la Smart City, la ville intelligente.
Ce modèle singapourien de ville pourrait-il inspirer les villes françaises, notamment le Grand Paris ? La France est un pays de presque 2000 ans. Paris et ses alentours se sont construits au fil des siècles alors que Singapour, dans sa version contemporaine, a juste un peu plus de 50 ans. L’histoire de ces deux villes n’est pas comparable. Lee Kwan Yew s’est inspiré pour Singapour des modèles urbanistes européens du début du XXe siècle, notamment dans la conception de la « Garden City ». Cela ne se résume pas à mettre des espaces verts et des arbres, mais cela implique de penser la relation entre le centre urbain et ses satellites. Cette relation de déconcentration du centre apparaît dans le concept plan dès 1965. C’était déjà une idée très mature de la ville. En s’inspirant des idéologies et échecs conséquents en Europe, notamment de la relation ville/banlieues, et en maitrisant ses sols, Singapour a réussi son développement urbain. Dans son inspiration urbaine, Singapour est à la croisée entre l’Asie et l’Occident.
Propos recueillis par Clémentine de Beaupuy
Maquette des nouveaux quartiers © URA
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Dossier : Smart mobility
Petit glossaire de la mobilité Active Mobility Act. Avec le vélo, simple ou avec assistance électrique, les PMD (Personal Mobility Devices : trotinettes et autres mini-engins de transport individuel) constituent le dernier maillon du dispositif de mobilité à Singapour. Des engins cools qui permettent de réaliser sans effort de courts trajets, à utiliser tout seul ou en association avec le bus ou le MRT. Avec le déploiement des PMD, tout récent mais massif, est venu rapidement la nécessité de légiférer pour garantir la sécurité des usagers, des piétons et des autres véhicules. Résultat : l’adoption en janvier 2018 d’un Active Mobility Act qui précise les règles et prévoit des amendes dissuasives pour les manquements éventuels. Douche froide pour les propriétaires de trotinettes électriques avec l’annonce par le gouvernement que de nouvelles exigences, notamment concernant les batteries et les risques d’incendie, seraient appliquées dès janvier 2021, rendant, de fait, illégales, la plupart des trottinettes circulant actuellement à Singapour.
Automobile Il ne faut pas s’y tromper, l’abondance des belles et même des très belles voitures à Singapour ne signifie pas qu’elles sont à la portée du grand public. Tout au plus l’abondance relative de Porsche, Ferrari, Tesla et autres Mazerati témoigne-t-elle de l’aisance financière très établie d’une certaine catégorie de la population singapourienne. Car posséder une voiture à Singapour est loin d’être à la portée de toutes les bourses. La reine voiture a eu beau tisser sa toile, réclamer qu’on lui construise des routes et des parkings jusqu’à occuper 12% du territoire de Singapour, elle n’a jamais été tout à fait bienvenue dans la cité-Etat. Très tôt le gouvernement singapourien a mis des garde fous, à commencer par un système de quota qui limite strictement la croissance des immatriculations dans l’une des
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5 catégories de véhicules circulant à Singapour, utilitaires et motos comprises. Sévère, le dispositif qui jusqu’en 2009 autorisait une croissance globale de 3%, a presque complètement fermé les robinets aujourd’hui. En clair, il n’est plus possible d’immatriculer un véhicule si dans le même temps un autre véhicule n’est pas mis à la benne. Le gouvernement de Singapour laisse à toute une série de dispositifs d’enchères et de taxes le soin de réguler le marché. A l’achat, le prix « marché » du véhicule, doit être augmenté d’une taxe appelée sobrement « Additional Registration Fee ». Deuxième subtilité : le véhicule, pour être immatriculé pour une période de 10 ans, doit passer par le système d’enchères du COE (Certificate of Entitlement). En fonction du nombre plus ou moins importants des véhicules dé-immatriculés et de la demande, les prix fluctuent, parfois fortement, d’un trimestre à l’autre. Enfin il faut s’acquitter chaque année d’une road tax.
Bus Contracting Model Un système privé-public dans lequel l’Etat via la Land Transport Authority (LTA) garde le contrôle de la gestion globale des dessertes, du niveau de qualité et de fiabilité des transports tout en en confiant l’exploitation à des sociétés privées. Dans le Bus Contracting Model, c’est l’État qui est propriétaire des bus et qui encaisse les revenus. Il sous-traite l’exploitation des lignes à des sociétés privées dans le cadre d’appel d’offres dans lesquels les critères de performance, dont dépendront la rémunération des exploitants, sont particulièrement exigeants.
ERP C’est l’une des spécificités de Singapour : un système de péage, institué manuellement dès 1975 et automatisé en 2008, qui permet de réguler le trafic. Le dispositif, qui doit être mis à niveau en 2021, fonctionne de manière fluide grâce
à l’installation de portiques géants de télépéage et à l’équipement de télépaiement (In Vehicle Unit - IU) qui via une carte EZ Link ou NETS rechargeable dans tous les 7-Eleven de la ville, permet de s’acquitter sans inconfort des quelques péages qui égaient d’un petit signal discret vos trajets quotidiens.
Integrated transport Hub Que serait Singapour sans ses centres commerciaux et surtout sans l’air conditionné ? Conçus pour rendre aussi confortables que possible le passage du réseau métropolitain à celui des bus dans les grands carrefours de communication de la cité-Etat, les « integrated Transport Hubs » se sont aussi dotés de tout ce qui – boutiques, cafés, ... – est de nature à rendre plus douce l’expérience quotidienne des transports publics. Ils sont aujourd’hui au nombre de 10, le 11e, à Yishun, est attendu en 2019. MRT (Mass Rapid Transit) L’acronyme désigne le réseau ferré singapourien (train et métro), tout neuf, tout propre et si confortable (en dehors des heures de pointe). La première section (Toa Payoh- Yo Chu Kang) date de 1967. 3 lignes (Circle, Down town et North East) sont complètement automatisées. Le réseau assure chaque jour le transport de plus de 3 millions de passagers. MyTransport.sg C’est l’App tout en un, développée par la LTA. Utilisable par le cycliste, l’usager des transports publics aussi bien que par l’automobiliste, elle permet de disposer en temps réel des meilleures informations sur la circulation, l’horaire des bus, le parcours des pistes cyclables... Parking Chers mais bien entretenus, les parkings sont à Singapour ce qu’est la rue dans de nombreuses autres villes. Installés
Dossier : Smart mobility dans le sous-sol des immeubles ou dans des constructions exclusivement réservées à cet usage, les parkings sont partout. Nul besoin de ticket, la même carte qui permet de télépayer les péages permet de payer le parking sans même avoir besoin de descendre la vitre. Un inconvénient : le prix. Dans le coeur de Singapour, il n’est pas rare si vous prenez votre voiture pour aller prendre un café sur Orchard road, de payer plus cher le stationnement de votre véhicule que le copi O ou le frappucino que vous aurez consommé.
Smart city Le déploiement d’un vaste réseau de recueil, digestion et diffusion d’un énorme volume d’informations. Et le fait que ces informations soient publiques ouvrent la voie au développement d’Applications multiples par des partenaires privés et publics, notamment dans le registre de l’auto-partage, de la voiture intelligente...
tudes pour voyager en dehors des heures pleines. Dans cet objectif, la LTA a imaginé une batterie de mesures incitatives à l’intention des entreprises, notamment sous la forme d’aides financières, pour les amener à innover et investir dans des infrastructures (parking pour les vélos, douches pour les cyclistes) ou des aménagements particuliers (la mise à disposition d’espaces pour petit-déjeuner) permettant in fine à leurs salariés de modifier leurs horaires ou d’utiliser des moyens alternatifs de mobilité. Vis à vis du grand public, la séduction passe par le jeu et la promesse de points et récompenses pour ceux et celles qui changent leurs habitudes pour éviter de voyager en heure pleine.
Urbanisme La smart city n’a pas attendu les nouvelles technologies pour être intelligente. En témoigne la vision planifiée de l’urbanisme qui a toujours pris en compte les problématiques de mobilité. A Singapour, l’éclosiond’un nouveau HDB est toujours précédée par le Métro. Aujourd’hui, la réflexion porte sur le déploiement de pistes cyclables à l’intérieur de chaque cité HDB et sur son interconnexion à l’échelle de l’ensemble du territoire avec le réseau des pistes cyclables le long des grands axes et celles des parcs connectors. Bertrand Fouquoire
Smart mobility 2030 L’œuvre conjointe de la Land Transportation Authority et de l’Intelligent Transportation Society Singapore (ITSS), Smart Mobility 2030 s’attache à répondre, par l’innovation, aux grands défis que font peser sur un territoire exigu, les exigences croissantes de mobilité. Sa raison d’être : créer avec les industriels et les centres de recherche le meilleur écosystème permettant de « mettre en oeuvre des solutions de mobilité intelligente, innovante et durable », de « définir et faire adopter des standards de systèmes de mobilité intelligente » et de favoriser la formation de partenariats et la co-création. 4 domaines clés : le traitement de l’information, l’interactivité pour améliorer l’expérience des voyageurs, la sécurité et l’Eco-mobilité pour des transports plus respectueux de l’environnement.
Travel smart Pour éviter l’encombrement des transports publics, on peut multiplier les moyens aux heures d’affluence ou bien inciter les usagers à changer leurs habi-
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Dossier : Smart mobility
Grab et les autres
La guerre de la mobilité à Singapour
En mars dernier, l’entreprise locale GRAB a avalé en Asie du Sud-Est son concurrent américain UBER. Même si la commission de la concurrence singapourienne a infligé fin septembre une amende de 13 millions de S$ aux 2 opérateurs, des concurrents se sont déjà positionnés pour essayer de conquérir le marché. Que cela soit pour les vélos en libre service, les e-scooters électriques, dans Singapour- la-paisible, tous ces nouveaux services de mobilité essaient de s’imposer, et parfois au détriment de l’utilisateur. Cette nouvelle « guerre » de la mobilité, à coûts de milliards et de technologie, a résolument une configuration
Anthony Tan, Co-fondateur de Grab © Grab
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tripartite : le citoyen-utilisateur, les entreprises de mobilité et la législation singapourienne qui tente de réguler le tout. L’histoire de Grab ressemble à beaucoup d’autres start-ups tech, notamment américaines, mais reste encore une exception sur le territoire de cette région. Partis d’un garage en Malaisie, deux
amis, Anthony Tan et Tan Hooi Ling, ont eu une sacrée intuition et ont énormément travaillé pour développer leur idée de départ. MyTeski en 2012, puis Grab s’est transformée, en 5 ans à peine, en l’entreprise technologique la plus importante d'Asie du Sud-Est avec une valeur de plus de 10 milliards de dol-
Dossier : Smart mobility lars US, donnant à son co-fondateur, Tan, une fortune personnelle d'environ 300 millions de dollars US, selon une estimation de Forbes faite avant la dernière levée de fonds d’août 2018. Aujourd'hui, Grab propose jusqu'à 2,5 millions de trajets par jour ; ce qui en fait la plus grande plateforme d'appel de véhicules et l'application préférée des passagers en Asie du Sud-Est. Grab, dont le siège social est à Singapour, est présente dans 55 villes d'Asie du SudEst, et son application a été téléchargée sur plus de 45 millions d'appareils… Elle vient juste de recevoir, en octobre 2018, la licence vélo en libre-service ; licence également accordées à Mobike, Ofo, SG Bike, Anywheel, Grabcycle et Qiqi Zhixiang. Grab ambitionne aujourd’hui de devenir la SuperApp de la vie quotidienne : mobilité, repas livré, moyen de paiement avec Grabpay, messagerie instantanée avec GrabChat … D’après son rapport annuel, GrabPay surpasse même la croissance exponentielle des activités de transport de Grab. GrabPay Credits, qui est une option de paiement complémentaire sans numéraire, a augmenté de plus de 80 % d'un mois sur l'autre depuis son lancement en décembre 2016… Mais avant que les habitants de la région deviennent des Grab dependants, la concurrence veille.
De nouveaux concurrents qui veulent se faire une place
La start-up indonésienne, Go-Jeck, a lancé l’offensive en Asie du Sud-Est. D’après l’agence Bloomberg, l’entreprise de Jakarta a initié des pourparlers avec de futurs investisseurs pour au moins 2 milliards de dollars US afin d'accélérer son expansion dans la région, en offrant prochainement ses services en Thaïlande, à Singapour et aux Philippines. Fort du succès vietnamien, Go-Viet souhaite continuer son développement. Au Vietnam, l’application, qui ne concerne actuellement que des motos, a été téléchargée 1,5 million de fois en 6 semaines et 25 000 utilisa-
teurs ont rejoint l’entreprise. A l’instar de Grab, au cours des dernières années Go-Jek s'est tournée vers des acquisitions pour bâtir un groupe qui supervise différentes activités. « Les consommateurs ont besoin de plus de choix et le marché a besoin de plus de concurrence pour permettre à l'industrie de croître durablement », a déclaré Nadiem Makarim, directeur général de Go-Jek, dans un communiqué du 12 septembre dernier.
Le magazine de la LTA
Grab est devenue en quelques années un mastodonte de la mobilité en Asie du Sud-Est D’autres sociétés d’envergure plus modeste se lancent également dans la course. La société indienne Jugnoo avait arrêté ses activités dans la citéEtat après seulement quelques mois d’exploitation. Elle a signé un accord avec la société singapourienne Kardi, fondée par Ashwin Selambram en juin 2018 qui offre des services de location de voitures privées abordables et luxueuses et souhaite valoriser le conduc-
teur, en mettant en place un système gagnant-gagnant pour l’utilisateur et le conducteur.
Quid de la régulation ?
Comme l’a rappelé le PM Lee dans son discours du 1er mai 2018, Singapour doit s’adapter rapidement à des changements initiés par les nouvelles technologies, particulièrement dans la banque en ligne, l’e-commerce et les transports. Le « bras armé » de cette adaptation est lA LTA, qui doit créer des normes pour ces nouveaux acteurs. Le gouvernement singapourien a lancé en septembre dernier son MasterPlan transports 2040 : Shaping the Future of Land Transport Together. Dans cette vision de long terme, les autorités singapouriennes réaffirment l’objectif zéro voiture individuelle et soulignent au passage que leurs objectifs définis dans le plan Smart Mobility 2030 sont en train d’être atteints. A savoir : 8 ménages sur 10 vivant à moins de 10 minutes à pied d'une gare, 85 % des trajets de moins de 20 km effectués en moins de 60 minutes par les transports publics ; 75 % de tous les trajets effectués aux heures de pointe dans les transports en commun. Afin de conserver à long terme la viabilité de leur système de transports et assurer à leurs citoyens une mobilité, gage de qualité de vie et de développement économique, les autorités anticipent et analysent leurs points faibles. Cette nouvelle politique doit englober une variété de modes de transport, y compris la mobilité active comme la marche et le vélo, les transports publics de masse comme les autobus et les trains, et les transports partagés comme les taxis et les VTC. Des critères tels que le confort, le choix et la vitesse, ainsi que la manière de rendre ces accès plus attrayants pour les utilisateurs sont des critères importants. De même, l’utilisateur doit rester au cœur de cette politique « plus inclusive, afin de répondre aux besoins de tous les Singapouriens à mesure que notre société vieillit et mûrit ». Clémentine de Beaupuy
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BlueSG est la solution d’autopartage de Bolloré à Singapour. © BlueSG
Franck Vitté, Managing Director de BlueSG. © BlueSG
BlueSG, tremplin de Bolloré en Asie du Sud-Est
Depuis 2017, BlueSG, la solution d’autopartage électrique du groupe Bolloré, trace sa route à Singapour. Aura-t-elle plus de succès qu’Autolib sa grande sœur parisienne, dont le contrat vient de s’achever ? Pour Franck Vitté, Managing Director de Blue SG, l’environnement de Singapour, sa politique économique et sa gestion intelligente des transports urbains sont autant d’atouts pour que l’autopartage électrique y soit un succès.
BlueSG, la solution d’autopartage électrique du groupe Bolloré est entrée en service à Singapour le 12 décembre 2017. Le marché avait fait l’objet en 2016 d’un appel d’offre lancé par la Land Transport Authority (LTA) et l’Economic Development Board (EDB). BlueSG l’avait emporté parmi les solutions présentées par 13 acteurs internationaux du secteur. Pour le groupe Bolloré, BlueSG représente un investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros et fait de Singapour sa vitrine technologique en Asie du Sud-Est. BlueSG utilise les mêmes véhicules que dans les autres
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villes du monde, dotés d’une autonomie moyenne de 150 à 170 km, largement suffisante pour une île de 585 km2 de superficie...
Quelles sont les particularités du marché à Singapour ? Franck Vitté - Sur le plan contractuel et en termes d’organisation, la grande particularité du marché de l’autopartage électrique à Singapour est qu’il s’agit d’une cité-Etat ; ce qui nous a amenés à signer un contrat avec deux agences gouvernementales et non avec une municipalité comme nous le faisons habituellement.
Dans ce contexte, la difficulté tient à la multiplication des parties prenantes, alors que, dans le cas d’une ville, tous les interlocuteurs dépendent de la mairie et suivent les décisions entérinées par le maire. Cette complexité est cependant relativement compensée par le fait que l’administration singapourienne est d’une efficacité remarquable et que tout est fait de façon très rigoureuse. L’autre particularité tient à la forte densité de la population à Singapour, dont 80 % vit en HDB. Pour nous, cela constitue un grand avantage car le nombre potentiel de clients pour une seule station est très élevé.
Dossier : Smart mobility
Intérieur de l’habitacle de la Bluecar. © BlueSG
Quelle est votre clientèle cible ? Notre vision est que l’autopartage est destiné à toutes les personnes qui ont leur permis de conduire (depuis plus d’un an) et qui ne possèdent pas de voiture, pour différentes raisons. A Singapour, il y a environ 600 000 voitures particulières pour une population qui avoisine les 6 millions de personnes. Cela veut donc dire que seulement 10% de la population possède une voiture.
Quelles sont les utilisations attendues de BlueSG, et quel est votre positionnement par rapport aux autres moyens de transport ? Par définition, s’agissant d’autopartage, l’objectif est que les gens utilisent les bluecars sur des trajets courts et moyens, afin que les voitures puissent être partagées. Nous visons à terme une durée moyenne d’utilisation de 20 à 30 minutes. Le pari de l’autopartage en ville, particulièrement à Singapour où les réseaux de transports en commun sont très développés et performants, c’est de pousser les utilisateurs à changer leur comportement pour adopter un trajet multimodal, c’est-à-dire comprenant plusieurs types de transports pour un seul trajet : voiture, transports en com-
mun, marche à pied, vélo, etc. Nous allons donc positionner nos stations d’une part là où les gens vivent, dans les HDB notamment, près des centres d’intérêt (les rues du centre, les malls, le CBD, ...) et près des stations de métro et des principaux arrêts de bus. A Singapour, L’autre alternative est le taxi, mais nous pensons avoir un positionnement tout à fait compétitif en terme de prix.
Non, car à Singapour, les termes contractuels et l’environnement sont totalement différents, et nous sommes maîtres de notre profitabilité. Sans rentrer dans les détails, dans notre contrat de délégation de service public avec de la ville de Paris, de nombreuses décisions stratégiques nous ont été imposées, comme l’implantation géographique des stations et la politique tarifaire.
La mésaventure parisienne aura-t-elle des conséquences pour BlueSG à Singapour ?
Propos recueillis par Cécile Brosolo
Quel bilan après bientôt un an de BlueSG ? Nous sommes très heureux et encouragés par l’accueil extrêmement favorable à Singapour. En un peu moins d’un an, nous avons installé un total de 100 stations offrant 293 points de recharge et nous avons déployé environ 230 véhicules. L’accord prévoit le déploiement progressif d’ici 2020 de 1 000 voitures électriques et de 2 000 points de recharge installés sur 500 stations. Nous avons enregistré environ 17 000 membres et plus de 70 000 locations, après seulement 9 mois d’exercice. BlueSG est très largement au-dessus de ses objectifs.
BlueSG, un premier pas vers les voitures électriques à Singapour ? Sans parler des véhicules hybrides, il y a aujourd’hui à Singapour moins d’une centaine de véhicules entièrement électriques en dehors des BlueSG. Ceci est notamment dû à une politique de taxes non favorable à ce jour au déploiement des voitures électriques, et à l’absence d’infrastructures de charge. Concernant ce dernier point, nous allons globalement faciliter le développement de la voiture électrique à Singapour car les 2000 points de charge que nous allons déployer d’ici 2020 seront aussi disponibles pour les autres voitures électriques.
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Véhicules autonomes
Les entreprises françaises en pointe
Avec le lancement, en 2014, du programme Smart Mobility 2030, le gouvernement de Singapour a fait de la « mobilité intelligente, connectée et interactive » sa priorité. L’ambition est non seulement de mettre en œuvre des solutions de mobilité intelligente innovantes comme les véhicules autonomes, mais aussi de s'orienter vers une communauté de transport plus connectée et interactive. Depuis le lancement de Smart Mobility 2030, de nombreux essais de concepts de mobilité à la demande et de véhicules autonomes ont commencé à travers la cité-Etat, sous la surveillance de la Land Transport Authority (LTA) ; l’objectif étant que les véhicules autonomes deviennent, à terme, une partie intégrante du système de transport de Singapour. Les agences publiques singapouriennes ont été les premières à développer des véhicules autonomes homologués pour des essais routiers publics : A*STAR (Agency for Science, Technology and Research) en 2015, puis la National University of Singapore (NUS) avec le Singapore-MIT Alliance for Research and Technology (SMART) en novembre 2016, avec un prototype type voiturette de golf à 4 roues motrices autonome.
électriques Renault Zoe et Mitsubishi iMiEV modifiés.
Un peu plus de deux ans plus tard, et un peu moins d’un an après la signature d’un partenariat stratégique entre le groupe français PSA et nuTonomy, une nouvelle étape est franchie avec l’intégration de solutions autonomes sur un véhicule de série. Ainsi, deux prototypes de SUV Peugeot 3008 autonomes ont roulé sur routes fermées dès septembre 2017, et des tests sur routes ouvertes ont débuté en 2018. D’autres tests sur routes ouvertes sont menés en France et en Europe, et le groupe PSA prévoit un véritable déploiement de véhicules autonomes à partir de 2020.
NuTonomy, Navya, EasyMile…
De nombreux industriels sont actifs à Singapour dans le secteur, et parmi eux, des entreprises françaises sont à la pointe de l’innovation. La startup nuTonomy, conceptrice de voitures sans chauffeur et rachetée en 2017 par Delphi, fut la première compagnie privée à lancer, en 2016, les premiers tests sur routes ouvertes du concept de voiture sans chauffeur, en partenariat avec la société Grab. Les véhicules sont autorisés à circuler sur un trajet de 12 km environ dans le quartier de One-North, incluant Fusionopolis et la station de métro One North. Cocorico ! Ce programme pilote a été lancé avec six taxis
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© NuTonomy
La startup lyonnaise Navya, spécialiste des solutions de mobilité autonome, est présente à Singapour avec sa navette autonome Arma, testée depuis 2016 sur le campus de la Nanyang Technology University (NTU). Cette navette autonome peut transporter jusqu’à 15 passagers et voyager à une vitesse maximum de 20 km/h. Elle est en service sur une boucle
d’environ 1,5 km entre le Cleantech park et le campus de NTU. Le campus de l’Université s’est par ailleurs depuis transformé en véritable banc d’essai grandeur nature pour bus autonomes ou électriques. Un minibus autonome pouvant transporter 24 passagers, le GRT (Group Rapid Transport system), est actuellement en test par SMRT et 2getthere. Avec les solutions BlueSG du français Bolloré, NTU lance un service de navette électrique à chargement ultrarapide. Enfin, l’Université collabore avec Volvo pour développer l'un des premiers bus de 40 places entièrement électriques et autonomes.
Une autre startup française, de Toulouse cette fois, EasyMile, est également implantée à Singapour depuis sa création en 2014. Singapour est le seul bureau de R&D d’EasyMile à l’étranger et fut le premier démonstrateur de la technologie de l’entreprise. La toute première exploitation commerciale de la navette sans conducteur et 100% électrique « EZ10 » s’est déroulée à Gardens by the Bay. Depuis 2016, deux navettes sont en circulation, au service des visiteurs à l’intérieur des jardins, et en tant que solution de transport innovante et durable pour relier la station de métro Bayfront aux principales attractions du parc.
Singapour se positionne comme le leader de la recherche pour le développement des véhicules autonomes dans toute l’Asie. Pour permettre leur déploiement rapide dans la circulation routière, l'Université technologique de Nanyang (NTU),
Atelier Sujet-Objet - Photo Bertrand Fouquoire
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Dossier : Smart mobility
La navette Arma de Navya sur le campus de NTU. © Navya
Cetran, projet de recherche conjoint de NTU, LTA et Jurong town corporation. © LTA
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Dossier : Smart mobility sous l’égide de la Land Transport Authority (LTA) et JTC (Jurong Town Corporation), a lancé CETRAN, un projet de recherche ambitieux sur 5 ans, dont l’objectif est de tester et certifier les véhicules autonomes pour les autorisations de circulation. L’enjeu pour Singapour étant de définir des standards et une réglementation applicables à l’international. Point d’orgue de ce projet, le circuit CETRAN. Ce site de 2 hectares - et un investissement 3,6 millions S$ - comprend tous les
« Un simulateur de pluie et une zone inondable testent la réactivité des véhicules autonomes » éléments pour reproduire les conditions de conduite réelles en ville, avec les règles de circulation, des intersections, des feux de circulation, des arrêts d'autobus et des passages pour piétons, une mini colline, des grattes-ciel , ... et même un simulateur de pluie et une zone inondable pour tester la réactivité des véhicules autonomes dans des conditions météorologiques extrêmes. Conformément à la stratégie de la LTA visant à établir des collaborations publiques et privées, NTU travaille en partenariat avec des entreprises internationales, telles que BMW, TNO, TUV-SUD et le français SystemX, Institut de Recherche Technologique dédié à l’ingénierie numérique des systèmes du futur. System X, qui se concentre sur la modélisation numérique et la simulation de la sûreté de fonctionnement et la sécurité numérique, a emmené avec lui d’autres partenaires industriels français : Renault, Systra et la SNCF. Cécile Brosolo
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Airbus parie sur le ciel Leo Jeoh, chef du projet Skyways. © Skyways
En 2016, Airbus Helicopters s'est associé à la Civil Aviation Authority de Singapour pour développer la mobilité aérienne urbaine. Première étape d’une vaste feuille de route, le projet Skyways prévoit de livrer des colis de 2 à 4 kg aux étudiants et personnel du campus de la National University of Singapore, NUS, en partenariat avec Singapore Post. Après un premier vol de démonstration concluant en février dernier, le Le projet Skyways d’Airbus. © Skyways
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Avec son projet Skyways et la livraison de colis par drones sur le campus de la National University of Singapore, l’ambition d’Airbus est de démontrer la viabilité de la mobilité urbaine aérienne, et de définir un cadre réglementaire pour le survol des villes par des drones commerciaux et taxis volants.
lancement du service est prévu dans les prochains mois. Le colis à livrer est chargé automatiquement sur la partie inférieure du drone depuis la « popstation » Singpost, par un bras articulé. Le drone, un octocoptère, suit alors une trajectoire entièrement automatisée vers la station de livraison désignée.
Pour Leo Jeoh, Directeur Asie pacifique pour la sécurité aérienne chez Airbus He-
licopters, responsable du design et chef du projet Skyways, « l’objectif est de répondre, par la mise en œuvre du transport aérien sans pilote de marchandises, à toutes les questions techniques et réglementaires et aux préoccupations en matière de sécurité publique, d’infrastructures, etc... avant de développer le transport de passagers. C’est la première étape d'une stratégie globale pour la mobilité aérienne urbaine ».
Dossier : Smart mobility Skyways fait d’ailleurs partie d'une série de projets qu'Airbus mène dans le domaine de l'autonomie aérospatiale et la mobilité aérienne urbaine. Ainsi, Vahana est un taxi volant autonome monoplace de type avion électrique à décollage et atterrissage verticaux développé aux EtatsUnis par la division A3 (A cubed), et Cityairbus est un taxi aérien sans pilote 4 places, développé par Airbus Helicopters.
Avec son déploiement à NUS, Airbus souhaite analyser la gestion du trafic des systèmes volants sans pilote et proposer des solutions pour gérer les flux de circulation, contrôler et assurer la sécurité des vols. Car si l’enjeu est bien de définir la stratégie pour la mobilité urbaine de demain, la problématique reste d’organiser, sur le plan règlementaire, l’insertion des drones dans l’espace aérien urbain. « Nous étudions tous les aspects techniques, tels que l’autonomie, la sécurité et la fiabilité, mais aussi les exigences réglementaires et de certification. Nous utilisons les mêmes principes que pour l’aéronautique. Dans le futur, de nom-
breux drones se partageront l’espace aérien et il faut réguler le trafic. On peut parfaitement imaginer que les drones de loisir voleront à basse altitude et que les drones commerciaux comme le nôtre seront à une altitude d’environ 120 mètres, et différentes compagnies se partageront alors les couloirs aériens au-desus des villes », explique Leo Jeoh.
Pour convaincre les gouvernements et les villes, il est nécessaire d’apporter, notamment, la démonstration de la sécurité publique. « Dans notre approche de la conception des drones, nous utilisons notre expérience et notre expertise de constructeur aérospatial : nous utilisons la même approche et les mêmes principes que pour un avion tel que l’A350. Cela signifie que nous assurons des niveaux de fiabilité et sécurité nettement plus poussés que les drones grand public actuels. Ces questions ont été au cœur de nos exigences de conception. Le défi technique consiste à trouver le bon équilibre entre sécurité, fiabilité et poids de l’appareil. En effet, la redondance des systèmes es-
sentiels de pilotage alourdi inévitablement le drone, et il s’agit de faire les bons choix ».
La cyber sécurité, en revanche, est un sujet relativement nouveau. « C’est une question que nous examinons pour nous assurer que ces véhicules autonomes sont sûrs. Nous utilisons une approche très traditionnelle en matière de conception des logiciels et des tests ».
Pour Airbus, la question n’est donc plus de savoir si la mobilité du futur sera ou non aérienne, mais de déterminer quand elle le sera. « Le projet skyways à NUS va nous permettre de comprendre tous les enjeux de l’opération et la maintenance d’un tel système, et nous permettre alors de passer à l’étape suivante. Nous avons des prototypes pour le transport autonome de passagers qui voleront d'ici la fin de l'année. Je pense que d’ici 5 ans, nous verrons les premiers démonstrateurs de ce type de véhicules ».
Cécile Brosolo
Source : Airbus Group. © Beatriz Santacruz
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Edwin Koo : Transit « Lorsque nous utilisons les transports publics pour nos trajets quotidiens, nous nous immergeons dans nos smartphones ou nos Ipad, comme une manière de nous rendre insensibles à tout ce que l’expérience des transports a d’inconfortable et de dérangeant. Nous nous créons des bulles d’intimité dans les espaces les plus publics. Comme usagers, nous observons une règle tacite qui consiste à ne pas regarder la solitude des gens droit dans les yeux. Comme photographe, j’ai doublement transgressé cette règle : j’ai enregistré ce regard et je continue d’être impressionné par ce que ce regard révèle. »
au moment des heures de pointes, quand les usagers s’entassent dans des rames bondées et que les regards se perdent, sans jamais se croiser ; comme s’il y avait quelque chose d’inconvenant à regarder autour de soi ou à être regardé. Depuis le quai, l’objectif placé face aux portes qui s’ouvrent et se referment, il a saisi inlassablement, les capturant sur le vif, une multitude de scènes du quotidien, formant un portrait collectif chargé d’histoires individuelles, qui est aussi un formidable tableau de notre société.
Pour sa série « Transit », Edwin Koo a arpenté le métro de Singapour
© Edwin Koo
http://www.transit.photo http://www.edwinkoo.com Photos : Edwin Koo © Edwin Koo
© Edwin Koo
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© Edwin Koo
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Gotham City
Vicky Hwang, au sommet du Parkview Square
Parkview square, immeuble anthracite qui domine le quartier branché de Kampong glam intrigue les promeneurs. Parfois surnommée, la « Gotham Tower » de Singapour, cette masse sombre et architecturée attire.
Vicky Hwang. © Ek Yap and Atlas
Pousser ses portes battantes du rezde-chaussée vous plonge dans une ambiance art déco époustouflante. L’architectural bar Atlas est devenu un des lieux les plus courus et primés de la cité-Etat. Les étages sont occupés par des bureaux, 4 ambassades et un magnifique musée qui abrite les collections d’art de feu Georges Wong, ancien président et oncle de Vicky. C’est dans cet endroit hors-norme, au milieu de la nouvelle exposition sur l’art italien Challenging Beauty que nous attend la dirigeante de ce « palais », Vicky Hwang, héritière et femme d’affaires.
Vous gérez aujourd’hui ce magnifique immeuble du Parkview Square, pouvez vous nous dire ce qui vous a amenée à vous occuper de ce projet ? Vicky Hwang - Je suis arrivée au Parkview square il y a 5 ans avec mon mari, Vincent. Mon grand père, M. CS Hwang, avait construit ce magnifique immeuble en 2002 avec l’architecte James Adams de DP architects. Malheureusement, il est décédé peu de temps après la construction. En raison de ce contexte particulier et du fait que personne de la famille n’était présent à l’époque à Singapour, l’exploitation du lieu était un peu en deçà de ce qu’il permettait. Le bar à vin du Lobby, par exemple, devait être repensé pour attirer la clientèle. Il manquait un souffle
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de modernité, de nouveauté, à cet ensemble majestueux qui fut la dernière création de mon grand-père. Au delà de son esthétisme, cet immeuble est une prouesse architecturale située sur un site de 6525 mètres carrés. A chaque étage, aucune colonne n’est apparente. Les volumes du Musée et du lobby sont incroyables. Dans le musée, il y a plus de 6 mètres sous plafond et 15 mètres
« En 15 ans, Parkview Square est devenu un immeuble emblématique de Singapour »
pour le lobby. Quel dommage de ne pas l’exploiter pour un projet d’envergure ! C’est ce que j’ai dit à ma famille : il fallait mieux exploiter cet endroit pour inscrire l’immeuble dans l’histoire de cette ville. Nous sommes arrivés pour redonner une âme à ce magnifique écrin architectural.
Nous nous rencontrons ici au milieu des œuvres d’art de votre oncle, Georges Wong. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce tel musée privé ?
Vicky Hwang - Comme vous le rappelez, ce musée est celui de mon regretté oncle, Georges Wong. Pour moi, l’art a toujours fait partie de ma vie. Mais je ne suis pas une experte, contrairement à lui dont l’intérêt pour l’art était devenu une véritable passion et une « marque de fabrique » pour notre groupe. C’est en effet, mon oncle Georges, grand collectionneur qui a introduit les œuvres d’artistes dans nos développements immobiliers. Pour lui, c’était un moyen d’interagir avec le public. Par exemple, nous avons développé un projet qui est à la fois un hôtel et un shopping mall. Dans cette partie commerciale, il a voulu exposer des œuvres de grande échelle à la vue du public. Quant aux chambres de l’hôtel, il a choisi chaque meuble, chaque œuvre originale exposée. Ici, au Parkview Square de Singapour, la création d’un tel musée n’a pas été si évidente … Quelles ont été les contraintes d’un tel projet ? Vicky Hwang - Tout d’abord, les ascenseurs étaient trop étroits pour accueillir des œuvres d’art contemporain, souvent monumentales. Lorsque nous avons entrepris le projet de rénovation du Parkview square, nous avons donc élargi la façade pour créer un espace qui puisse accueillir des œuvres d’envergure. Et
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Vue intérieure du Parkview Square. © Ek Yap and Atlas
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Parkview Square. © Ek Yap and Atlas
puis au delà du musée dans lequel nous nous trouvons, des œuvres d’art accueillent le public dès les arcades de l’immeuble et dans la cours. En tant que développeurs immobiliers, nous y accordons beaucoup d’importance, en mettant des œuvres d’artistes, en créant des lieux pour les exposer. Et puis, l’architecture, passion de mon grand-père, est primordiale pour nous. Cet immeuble à Singapour est donc très emblématique de notre philosophie : nous nous souhaitons pas seulement bâtir des im-
Bar du Parkview Square. © Ek Yap and Atlas
meubles, mais des lieux et des espaces dont le gens se souviennent.
Et le second projet sur lequel vous êtes intervenu est le lobby, en créant ce bar, l’Atlas ? Vicky Hwang - Comme je le disais, l’architecture unique préexistait, il fallait redonner à cet endroit un second souffle. Et, puis, certains détestaient cet immeuble disant qu’il était « trop imposant », qu’ « il n’était pas adapté à une ville comme Singapour… » Au-
jourd’hui, 15 ans après sa construction, nous avons des retours très positifs. Il est devenu un des immeubles emblématiques de Singapour. Et l’Atlas fait partie de cette histoire. Sans avoir modifié l’architecture, ni les fresques, nous avons refait la lumière du lieu avec une nouvelle technologie verte et proposer un véritable service de restauration et de bar. Aujourd’hui cet endroit est reconnu et apprécié.
Le groupe Chyau Fwu et la famille Hwang Les promoteurs et gestionnaires de Parkview square sont le Chyau Fwu Group, une entreprise pionnière de construction et de développement fondée à Taiwan dans les années 50. Chyau Fwu s'est principalement concentré sur les grands projets d'infrastructure et est devenu un acteur clé à l'avant-garde du développement précoce de Taiwan. Fondée par le magnat C. S. Hwang, grandpère de Vicky Hwang, la famille qui avait déménagé à Hong-Kong, s’est également illustrée par son projet de développement Hong Kong Parkview, l'un des plus grand ensemble
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immobilier de la ville. Le projet, achevé en 1989, comprend 18 blocs avec un total de 780 unités résidentielles et 200 appartements avec services, et est situé à Tai Tam. Chyau Fwu Group était dirigé jusqu’en décembre dernier par le fils aîné de Hwang, George Wong, et ses trois frères, Victor, Tony et Richard, qui se classent collectivement parmi les 50 personnalités les plus riches de Hong Kong. Georges Wong était célèbre pour sa collection d'art et a créé deux musées privés dont celui de Singapour. L'un des récents projets du groupe, Parkview Green à
Clémentine de Beaupuy
Pékin, a été le premier projet à usage mixte en Chine à obtenir la certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) Platinum.
Le groupe possède également des propriétés en France, dont la résidence hôtelière Le Beauvallon à St Tropez sur la Côte d'Azur et l’hôtel de luxe de 39 chambres, le Château de Coligny, situé juste à l'extérieur de Paris, dont s’occupait Vicky Hwang avant son installation à Singapour. Vicky Hwang est la 2nde fille de Victor, le 2nd fils de C S Hwang.
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© Raphaëlle Voog
Les bons plans bio de Raphaëlle à Singapour
Depuis longtemps, Raphaëlle Voog avait envie de changer de vie, de quitter l’univers du luxe pour se consacrer à la cuisine, une passion qui l’animait depuis l’enfance. C’est chose faite depuis qu’elle est venue vivre à Singapour, après Sydney et Paris, où elle a été conquise par la variété́ de l’offre culinaire asiatique. « J’aime, indique-t-elle, les parfums de citronnelle, coco et galanga des curry thais, les bouillons détox des pho vietnamiens de légumes, et la décadence épicée des plats végétariens indiens. Ici, je voyage chaque jour en visitant les marchés et les food courts. » Méthodique, Raphaëlle a suivi une formation de chef vegan. Elle s’est constituée une énorme documentation avec des classeurs remplis de recettes, des centaines de livres et magazines de cuisine et explore régulièrement le web pour trouver de nouvelles inspirations.
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Raphaêlle fourmille de projets : l’écriture d’un livre de cuisine, l’ouverture d’un café… Elle a créé son propre blog de recettes et un instagram #chickpeaandberries.
Faire ses Courses à Singapour
« Je passe beaucoup de temps à faire mes courses, car on trouve de tout ici mais il faut souvent faire de multiples arrêts avant d'avoir tous les produits que l’on cherche. Et les assortiments changent beaucoup plus souvent qu'en France : je ne suis donc pas sûre de retrouver ce que j'avais trouvé deux semaines auparavant dans le même magasin ! C'est quand même extraordinaire d'avoir accès à une telle variété de produits frais et d’épices. J'aime faire mes courses moi-même car j'aime
adapter mes menus en fonction de ce que je vais trouver en allant faire mes courses. Une amie allemande m'a mise en contact avec une ferme bio de l'Himalaya que je vais probablement tester après l'été. » Pour mes produits frais, et légumes : – Little farm novena. Notamment pour les yaourts 100% coco, ou la feta australienne Meredith farm et les produits de Whole Kitchen, – Fair price finest ou cold storage. bon rayon bio, – Eat organic, – Opentaste. En complément notamment pour les légumes bio australiens – le Tekka market. Pour mes fresh young coconuts, mangues thaï en saison et un stand qui a des légumes australiens bio ou rares à Singapour (j'y ai même trouvé des topinambours).
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© Raphaëlle Voog
Pour le pain J'achète mon pain chez Woodland Sourdough. Quand c'est fermé, celui de Little farms ou à Tanglin Mall market place
Pour mes farines spéciales, épices, noix et autres céréales brutes – L’incontournable Mustafa, Syed Alwi Road, Little India, Singapore. – Quelques bons supermarchés Cold Storage. – Les magasins spécialisés : l’incroyable Phoon Huat, The Health shop à Raffles place, Brown rice paradise à Tanglin Mall. – Et pour mes courses en ligne Redmart qui commercialise les produits Bob's RedMill et propose de nombreuses options bio.
Pour des options healthy fraîches et colorées pour le déjeuner – A poke theory Telok Ayer 27 Boon Tat Street / Singapore 069623. – Bugis #01-36/37, Duo Galleria, 7 Fraser St / Singapore 189356. – Kent Ridge, #02-12, One à Kent Ridge, 1 Lower Kent Ridge Road, S119082. – Marina One, #B2-52, Marina One,
© Raphaëlle Voog
The Heart, 5 Straits View, S018935) – Food rebel (+6562247088 Kitchen by Food Rebel 28 Stanley St, Telok Ayer (S) 068737 – Wholesome Saavour au Palais renaissance Wholesome Savour #B1-06 Palais Renaissance, 390 Orchard Road, 238871 – Grounded à CMCR “Common Man Coffee Roasters” 22 Martin Road 0200, Singapore 239058 – The living café 779 Bukit Timah Road Singapore 269758 – Herbivore japanese vegetarian in Fortune centre 190 Middle Road, #1-13/14, Fortune Centre, Singapore188973 – Tiann’s, pour notamment des choix de plats sans gluten, à Tiong Bahru 71 Seng Poh Road, #01-35. Singapore 160071
Pour aller diner dans des endroits plus formels et chics – Afterglow, 24 Keong Saik Rd, Singapore 089131 – Open farm community, 130E Minden Rd, Singapour 248819 – Buko Nero, 126 Tg Pagar Rd, Singapour 088534 – Et pour se faire plaisir : très bonnes options végétariennes au Tippling Club,
© Raphaëlle Voog
38 Tg Pagar Rd, Singapour 088461, Chef's Table, 61 Tras St, Singapour 079000 et chez Odette, 1 Saint Andrew's Road, #01-04, National Gallery, Singapour 178957
Et pour les adeptes de cafés – Monument Lifestyle, 75 Duxton Rd, Singapore 08953 – Nylon coffee, 4 Everton Park, #01-40, Singapour 080004 – Ronin, 17 Hongkong St, Singapour 05966 – Carpenters & Cook, 19 Lorong Kilat #01-06, Singapour 598120 – Plain Vanilla, 1D Yong Siak St, Singapour 168641 – Strangers reunion, 35 Kampong Bahru Rd, Singapour 169356 NOVEMBRE 2018 - AVRIL 2019
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Échappées belles (publi-reportage)
Découvrir le Yunnan avec Asian Roads
Dali
La Chine, telle que l'on se l'imagine
Pour le voyageur occidental qui se rend pour la première fois en Chine, ce qu’il découvre en visitant les grands sites classiques de l’Empire du milieu peut générer une certaine frustration par rapport à l’image qu’il s’en était faite a priori. De fait, le développement ultra-rapide du pays a entrainé une urbanisation et une occidentalisation déconcertantes qui atténuent la sensation de dépaysement. C'est principalement pour cette raison que Yunnan Roads se consacre à l'élaboration de circuits sur-mesure dans la province du Yunnan, parce que celle-ci correspond beaucoup mieux à l'idée que l'on se fait de la Chine.
Le Yunnan (littéralement « Sud des Nuages ») est probablement, parmi les 22 provinces de la Chine continentale, celle qui est la plus représentative de la di-
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versité ethnique et géographique du pays. Elle regroupe plus de 25 des 52 minorités ethniques présentes en Chine. On y trouve des paysages variés aux spécificités bien marquées : les rizières de Yuanyang à côté de la frontière du Vietnam, les paysages karstiques de Puzhehei surnommée le « petit Guilin du Yunnan », les terres rouges rappelant la région française du Roussillon, les campagnes généreuses des régions Bai et Naxi de Dali et Lijiang, les prémisses de l'Himalaya et la culture tibétaine à Shangri-la, sans oublier bien sur le sud-ouest avec la région tropicale du Xishuangbanna, connue pour ses théiers millénaires et ses minorités ethniques colorées comme les Dai (ethnie proche des thailandais). Le voyageur à la recherche d’une Chine authentique et variée sera comblé et retournera chez lui la tête remplie de magnifiques souvenirs.
De surcroit, la position frontalière du Yunnan avec le Vietnam au Sud-Est, le Laos
au Sud et la Birmanie à l'Ouest, fait de la province un monde à part entière, où coexistent de manière harmonieuse et surprenante de nombreuses traditions culturelles. Très tôt, le Yunnan s’est révélé une région propice au développement de la vie : un fémur d'une espèce hominidée vieille de 14 000 ans a été retrouvé dans la grotte du cerf rouge à Maludong. Un certain nombre d'espèces animales et végétales datant d'avant l'ère glaciaire y sont encore présentes. La région fournit la base de la plus grande partie de la pharmacopée traditionnelle chinoise. Pour couronner le tout, les gens y sont souriants et sincères et, sur le plan gastronomique, vous pourrez y trouver de nombreux plats délicieux.
Découverte de la province du Yunnan en liberté ou accompagné
Pour découvrir le Yunnan et en avoir un aperçu global et approfondi, une vie ne suffirait pas. Cependant Yunnan Roads vous propose de découvrir l'essentiel en deux semaines « Paysages et Minorités du Yunnan ». En fonction de votre budget et de vos souhaits nous proposons des formules en liberté (hébergements et transports avec chauffeur local sinophone), une formule intermédiaire (hébergements, visites et accompagnement par un guidechauffeur anglophone, limitée à 4 personnes maximum), ou bien une formule complète (hébergements, visites et accompagnement par un chauffeur et par un guide francophone). Au cours de votre circuit, vous pourrez découvrir les destinations suivantes : Kunming – Surnommée à juste titre « la ville du printemps éternel », Kunming est
Échappées belles (publi-reportage)
Shangri-La
la capitale du Yunnan. Au centre ville se trouve le Lac d'Émeraude et le Temple Yuantong, mais vous pourrez également visiter le Temple d'Or ou le Temple des Bambous, les Monts de l'Ouest et le Lac Dianchi. La Forêt de Pierre de Shilin se situe à 2 heures de route de Kunming, ce qui rend la visite possible à la journée.
Jianshui – Idéalement située sur la route entre Kunming et Yuanyang, elle abrite le Temple de Confucius, le deuxième plus grand en Chine après celui de Qufu dans le Shandong, ses ruelles se distinguent par la présence de nombreux puits, dont un particulièrement intéressant situé dans un quartier dans lequel on peut déguster le Tofu de Jianshui, réputé dans tout le pays.
Yuanyang – Classé Site protégé par l'Unesco, la région se caractérise par les rizières en terrasse, véritables miroirs du ciel lorsqu'elles sont en eau. La saison idéale pour visiter cette région est de mi-
décembre à fin février, mais elle reste très agréable à découvrir le reste de l'année.
Dali – Ancienne capitale du royaume Nanzhao, la ville ancienne est située entre la montagne Cangshan et le lac Erhai. Historiquement, il s'agissait d'un passage crucial entre le Sud et le Nord du Yunnan. Dali est un district autonome de l'ethnie Bai, avec son architecture typique : des maisons aux murs peints en blanc décorés de fresques et de poèmes. Vous pourrez y visiter le grand Temple des Trois Pagodes (haut lieu du bouddhisme tantrique), les Montagnes Cangshan, et en poussant un peu plus au nord, les montagnes Shibaoshan et la vieille ville de Shaxi.
Shangri-la – porte d'entrée vers le Tibet. Les paysages de montagnes himalayennes y sont impressionnants, notamment dans les Gorges du Tigre. Vous pourrez y découvrir le monastère Songzanlin considéré comme le petit Potala, mais égale-
ment les campagnes environnantes du lac Napa, avec ses chevaux et ses yaks. Shangri-la est un incontournable pour les passionnés de culture tibétaine. Elle peut se visiter dans le cadre d'un voyage 100 % Yunnan, ou avant un séjour au Tibet.
Lijiang – son nom signifie littéralement « Jolie Rivière ». En effet de nombreux petits ruisseaux parcourent cette ville désormais très fréquentée par les touristes chinois. Nous proposons généralement la visite de la vieille ville sur une demi-journée avant de se diriger vers le petit village plus calme de Shuhe, à partir duquel il est facile de partir explorer les petits villages authentiques de Baisha et Yuhu à vélo ou en voiture. Vous aurez des vues imprenables sur la montagne du Dragon de Jade. L'architecture Naxi est assez typique et la vue sur les toits de Lijiang, depuis la Colline du Lion, est un spectacle charmant au crépuscule.
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Les Gorges du Tigre. © CDB
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Échappées belles (publi-reportage) Pour une découverte plus en profondeur et/ou hors des sentiers battus
Région du Xishuangbanna – Région tropicale, il s'agit de la région principale de production de thé en Chine. La région est très agréable en automne, en hiver et au printemps. les étés y sont assez chauds et pluvieux et donc à éviter entre juin et septembre.
Terres Rouges de Lexiaguo – Située à 4 heures de route au nord de Kunming, cette région se caractérise par la présence de minerai de fer dans le sol qui confère une couleur rouge à la terre. Au printemps, lorsque la végétation refleurit, de nombreuses autres couleurs viennent enrichir le paysage. Idéale pour les amateurs de photo ou de peinture, la visite s'intègre bien entre celle de Kunming et de Jianshui ou de Yuanyang. Weishan et la vallée de Nuodeng – Pour les amateurs de nature et de découvertes,
il esy intéressant d'intégrer à votre circuit la visite de Weishan et des montagnes Weibaoshan, situées à 2 heures de route au sud de Dali. Ces visites s'organisent depuis Dali, ou se complétent par la visite de la vallée de Nuodeng, ancien village représentatif de la route du Thé.
Liming, Tacheng et Meili – Depuis Shaxi ou Lijiang, si vous souhaitez vous rendre à Shangri-la et découvrir de magnifiques paysages naturels, il est possible de passer par Liming et le parc naturel de la montagne aux mille tortues, puis par Tacheng et la réserve des singes dorés du Yunnan, et par la montagne Meili, puis redescendre vers Shangri-la en passant par Benzilan. Depuis Shangri-la vous pourrez également choisir de rester une nuit dans les Gorges du Saut du Tigre où nous proposons des randonnées à couper le souffle.
Région Naxi et Mosuo au Nord de Lijiang – Depuis Lijiang, il faut environ
une demi-journée de route pour rejoindre le Lac Lugu, frontière naturelle entre la province du Yunnan et celle du Sichuan, ses rives abritent les derniers représentants de l'ethnie Mosuo, de tradition matriarcale. Le Lac Lugu est le point de départ de circuits de trek en moyenne montagne. Entre le lac Lugu et Lijiang se trouvent deux villages intéressants : le village de Baoshan, ou la cité de pierre, construite sur un rocher juste au-dessus du fleuve Yangtsé, et le village de Wumu dans lequel nous proposons un lodge très confortable ouvert par un couple Naxi-Belge : idéal si vous souhaitez passer quelques jours dans un cadre naturel magnifique loin du stress de la civilisation moderne.
Pour découvrir le Yunnan ASIAN ROADS, Tél. : 06-40-27-64-22 / 09-83-07-44-60 www.Asian-Roads.com www.Yunnan-Roads.fr
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Arjun Vadrevu. © Bertrand Fouquoire
Jour de rentrée à Sciences Po, campus du Havre Longtemps, Le Havre est resté dans l’ombre. On savait que la ville avait souffert pendant la guerre, que presque toute entière elle avait été reconstruite à la Libération. On l’imaginait grise, regardant passer les paquebots et gigantesques porte-conteneurs depuis une ceinture de barres d’immeuble respirant la fumée des installations de raffinage. Tout au plus savait-on que l’architecte Auguste Perret y avait donné toute la mesure de son génie, coordonnant le gigantesque chantier de reconstruction, faisant chanter le béton et inventant pour l’occasion une manière de standardiser les modules de construction. À l’occasion de son 500e anniversaire, en 2017, la ville s’est parée d’installations dont les couleurs vives
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s’enlèvent, selon les heures et le bon vouloir des vents marins, sur un fond de ciel gris ardoise ou insolemment bleu. A la porte Océane, les conteneurs forment un double arc-en-ciel en hommage à l’identité portuaire de la ville, le 1er port français pour le trafic de conteneurs. Sur la plage, les cabines de bains jouent les notes chaudes d’une ode à la douceur de vivre en pays normand. En centre ville, autour du Volcan de Niemeyer, où s’échauffent les esprits créatifs, s’étalent les terrasses des cafés, les bancs versés en poésie et partout des immeubles de béton tricotant l’espace urbain.
En ce lundi 30 août 2018, jour de rentrée solennelle sur le campus Europe-Asie de
Sciences Po au Havre, le soleil chauffe généreusement, dans une explosion d’habits chamarrés, de drapeaux, de petits groupes qui se font et se défont, une flamboyante jeunesse venant de toutes les régions d’Asie, d’Océanie, de France et d’ailleurs. Devant l’entrée de Sciences Po, rue Bellot, ancrée à deux pas du port, se pressent les 157 nouveaux. Après les quelques jours consacrés à la découverte de leur nouvel environnement, c’est le grand jour de rentrée. Défilent les officiels, le Directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, le Maire du Havre, Luc Lemonnier, la Vice Présidente de la région Haute Normandie, Françoise Guégot et le PDG du groupe CMA-CGM, Rodolphe Saadé, dont les discours se
L’Asie vue de France
Arjun Vadrevu
Singapourien, vice-président du BDE.
Pourquoi avez-vous choisi de venir faire vos études à Sciences Po sur le campus du Havre ? J’avais eu l’opportunité en 2013 de venir faire à Paris un programme scolaire d’été, dans le cadre d’un partenariat avec Raffles Institution. J’avais été impressionné par le caractère pluridisciplinaire des études à Sciences Po. Pourquoi le campus euro-asiatique du Havre en particulier ? Parce qu’il me semblait, venant de Singapour, que c’était une bonne manière de saisir la perspective européenne tout en m’appuyant sur ma culture singapourienne et ma connaissance de l’Asie. Comment s’est déroulée votre intégration ? Elle s’est très bien passée. La promotion au Havre est de taille réduite. Tout le monde se connaît. On travaille, on mange, on fait des activités ensemble.
Parliez-vous déjà le français ? J’ai étudié le français au lycée mais je n’avais pas eu l’opportunité de le pratiquer depuis 5 ans. J’étais donc un peu inquiet au départ concernant mon niveau de Français. Mais mon professeur m’a encouragé à m’inscrire d’emblée en niveau B2 et cela s’est finalement bien passé. Le français est revenu très vite. Sur le campus, la plus grande partie des cours est dispensée en anglais, à l’exception, en première année de certains cours, en histoire et institutions politiques, qui sont proposés en français mais aussi en anglais. J’ai fait aussi du théâtre en français.
Avec le recul, quel regard portezvous sur vos études à Sciences Po ?
Cela m’a confirmé l’intérêt de l’approche pluridisciplinaire. Compte tenu de la diversité des intervenants, les sujets sont abordés sous des angles différents…. C’est extrêmement riche.
Vous avez aussi fait le choix de vous investir dans le BDE. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Je ne suis pas le genre de personne qui reste sur le côté. J’ai besoin de m’engager. Prendre des responsabilités au sein du bureau des élèves était pour moi une manière de rendre à la communauté : celle de Sciences Po et la communauté en général.
Quels sont vos projets pour l’avenir ? L’année prochaine se déroulera à l’étranger. Je ne sais pas encore où j’irai. Cela pourrait être en Chine ( j’ai appris le chinois à Sciences Po) ou bien dans un pays européen anglophone. En contrepartie du financement de mes études, je me suis engagé à travailler après mes études pendant 5 ans au ministère des Affaires Etrangères de Singapour.
Sciences Po Welcome... © BF
Florence Lepetit, havraise de souche, anime avec Hélène Thomas l’association Sciences Po Welcome qui met les étudiants en contact avec des familles d’accueil. Une initiative qui vise, à faciliter l’intégration des jeunes au Havre en leur apportant le support et la chaleur d’une famille française.
Comment se passe cette rentrée ? Cette année, le programme est un franc succès. Plus de 50 jeunes étudiants sont intéressés par la formule. Les étudiants sont très jeunes. Ils ont entre 18 et 19 ans pour la plupart. C’est la première fois qu’ils partent de chez eux. Ils découvrent la culture française. Parmi les étudiants chinois cette année, aucun ne parle le français.
Qu’est-ce qui motive les familles d’accueil ? Pour les familles, l’accueil d’un étudiant de Sciences Po constitue un engagement de 2 ans. Rien n’est défini, c’est aux familles, avec les étudiants, de déterminer comment elles envisagent cet accueil. Certaines invitent l’étudiant à déjeuner de manière régulière, d’autres partagent leurs loisirs, vont au cinéma ensemble, proposent d’emmener l’étudiant en vacances ou de passer les fêtes avec eux. Pour les familles, l’expérience est très enrichissante. C’est une ouverture pour tous. Des liens très forts se créent.
A titre personnel, qu’est-ce qui vous a amenée à porter cette initiative ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour contribuer à un monde meilleur ? Je trouve que le fait d’accueillir des jeunes étudiants étrangers est une bonne manière de faire vivre des valeurs telle que le respect de la différence, la solidarité, l’ouverture d’esprit... A Sciences Po, les étudiants sont soumis à un rythme élevé. Le moral passe par des hauts et des bas. Dans ces cas-là, c’est bon de pouvoir retrouver une ambiance familiale. Au moment des examens, je prépare des petits plats pour mes étudiants pour qu’ils puissent se concentrer sur leur révisions..
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Entretien avec Vincent Fertey, Directeur du campus de Sciences Po au Havre
Vincent Fertey avec Rodophe Saadé © BF
Vous venez d’être nommé Directeur du campus de Sciences Po au Havre. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? J’ai commencé ma carrière comme journaliste au service économique du Figaro. J’ai travaillé pendant 2 ans en Mauritanie, à Nouakchott, pour l’’agence Reuters, à San Francisco pour France 24 puis à Tanger pendant 2 ans. Ensuite l’enseignement est revenu vers moi comme un boomerang. J’ai enseigné à Audencia à Nantes et à l’IUP de Rennes avant de rejoindre Sciences Po et le campus du Havre dont j’ai été le Directeur pédagogique pendant 5 ans avant d’en prendre la direction cette année. Il y a des similitudes entre les satisfactions qu’on a dans l’enseignement et celles qu’on peut avoir comme journaliste. C’est un bonheur au quotidien que d’être en contact avec une jeunesse qui a des potentialités incroyables. Vous êtes nourri par leurs idées. C’est un écosystème qui est extrêmement stimulant intellectuellement au quotidien.
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Comment se traduit l’orientation Europe-Asie du campus ? On prend bien soin que le campus du Havre reste bien un collège de Sciences Po. On retrouve au Havre les mêmes contenus académiques, s’agissant des cours fondamentaux, que dans les autres campus. En première année, l’accent est mis sur les matières fondamentales : économie, sociologie, droit, histoire. La coloration Asie s’affirme davantage en 2e année sur les différents thèmes qui sont abordés avec un regard particulier sur l’Asie.
Comment la diversité culturelle des étudiants est-elle exploitée pendant les deux années qu’ils passent au Havre ? La composition des étudiants, avec 45 nationalités différentes, participe largement de la richesse et de la coloration humaine du campus. Le Campus du Havre c’est la globalisation au quotidien. L’accueil d’étudiants venant de France d’Asie et d’ailleurs a fabriqué un écosystème où la différence des milieux, des attentes est génératrice d’échanges nourrissants. J’ai plaisir à surprendre dans les couloirs des conversations qui se poursuivent après un cours... Dans les salles de cours, les différences créent de véritables pépites sur le plan intellectuel. On a tendance à ne pas vouloir flécher parmi les enseignements ce qui aurait vocation à développer les aspects interculturels. Les choses se font de manière naturelle, notamment au travers de la prise d’initiative des étudiants, simplement parce qu’on les met ensemble. Il y a par exemple une étudiante
de Singapour qui estimait que les cours accordaient trop peu de place à l’Asie du Sud Est qui a pris l’initiative d’organiser chez elle des dîners sur ce sujet.
Concernant l’ancrage du campus en Normandie, comment Sciences Po aide-t-elle les étudiants à s’adapter à leur nouveau cadre de vie ? L’adaptation fait partie du processus d’apprentissage. Il y a d’un côté tout ce qui relève de l’apprentissage de la vie de jeune adulte et d’autre part la vie académique, où le rythme est très élevé. Beaucoup d’étudiants asiatiques arrivent sur place deux semaines avant la rentrée pour s’installer et commencer à s’adapter à leur nouvel environnement. Le BDE joue un rôle très actif. Des étudiants vont accueillir ceux qui arrivent à la gare. Ils les aident à ouvrir un compte en banque... Bien sûr l’Administration de Sciences Po est en support, mais on essaye de faire en sorte que l’essentiel se fasse sur fonds de solidarité. On est attentif à ce que personne ne soit noyé. Mais il faut aussi trouver le bon curseur entre accompagner les jeunes et les laisser se confronter aux difficultés.
Quelles relations Sciences Po entretient-elle avec Le Havre ? Beaucoup de cours sont organisés avec des établissements partenaires. C’est le cas du Volcan qui accueille un artiste en résidence qui est intervenu à Sciences Po, du musée Malraux ou de l’école des Beaux Arts…. Nous bénéficions par ailleurs d’un soutien sans faille de la mairie et des autres institutions.
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Le campus de Sciences Po au Havre
– L’un des 7 programmes de Sciences Po (programme général à Paris, Europe Asie au Havre, franco-allemand à Nancy, Europe centrale, Moyen-Orient, EuropeAmérique du Sud à Poitiers, Europe-Amérique du Nord et Europe-Afrique à Reims.) – Nombre total d’étudiants sur le campus (1ère et 2e année) : 298 – Recrutement : 1/3 d’étudiants venant d’Asie, 1/3 d’étudiants du reste du monde, 1/3 d’étudiants français. Une grande partie est recrutée par la filière internationale, par le concours commun ou par la voie des doubles diplômes (7 des 9 doubles diplômes sont représentés au Havre : HKU, NUS, Keio, Sydney, Columbia, UBC Vancouver, Berkeley.) – La 3e année est réalisée à l’étranger dans l’un des 450 établissements partenaires. – Sciences Po dispose d’un bureau de représentation à Singapour : mariana.losada@sciencespo.fr
© BF
succèdent en alternance avec les « performances » des étudiants de deuxième année. Applaudissements nourris, bonne humeur générale. Le Havre, en ce jour de rentrée, est une fête. Demain démarreront les cours et, avec eux, un programme aussi passionnant qu’exigeant, le même qu’à Paris et dans les 5 autres campus ré-
gionaux de Sciences Po, avec en plus une ouverture particulière sur l’interculturel et sur l’Asie. Car c’est sans doute l’une des richesses particulières de ce campus que de mêler des étudiants venant d’horizons très divers qui s’enrichissent de leurs différences. « Quand on parle de différences culturelles, témoigne une étu-
diante de 2e année, c’est tout de suite parlant car on voit immédiatement ce qui change dans le regard de l’autre, les référentiels différents, les situations dans lesquelles les uns sont à l’aise et les autres ne le sont pas... Bertrand Fouquoire
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« breaking of two Blue-and-White dragon Bowls » et « Colored Vases ». © Bertrand Fouquoire
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Un été avec Ai Weiwei, à Marseille © Judith Benhamou-Huet
Qui est Ai Weiwei ? De l’artiste chinois on sait à la fois beaucoup et très peu. Ultra médiatisé, Ai Weiwei est connu pour avoir été l’inspirateur du nid d’oiseau, le stade conçu pour accueillir les jeux olympiques de Pékin en 2008, et pour son engagement dissident qui lui valut en 2011, d’être emprisonné. Artiste, galeriste, collectionneur d’objets anciens, animateur de réseaux sociaux, photographe et documentariste, l’Ai Weiwei que l’on a retrouvé le temps d’un été au MUCEM, à Marseille, est sur tous les fronts faisant art de tous les sujets, matériaux, traditions et publics à disposition.
Et d’abord pourquoi Marseille ? Parce que c’est dans la cité Phocéenne que débarqua en 1929 un certain Ai Qing, poète célèbre et père de Ai Weiwei, qui devait ensuite vivre 3 ans à Paris. L’exposition, construite avec Ai Weiwei, multiplie les références au parcours et à l’oeuvre poétique du père, étroitement mêlée aux grands soubresauts de l’histoire de la Chine, avant de donner à voir un échantillon de l’éclectisme créatif du fils. L’histoire du père de l’artiste commence comme une tragédie antique. A sa naissance, un astrologue prédit que l’enfant sera la cause de la destruction du foyer. Ai Qing est confié à une paysanne des environs qui, trop pauvre, noie son propre fils, pour pouvoir l’allaiter. L’enfant ne retrouvera ses parents que 9 années plus tard… à condition de les appeler « oncle » et « tante ». Le père d’Ai Weiwei intègre ensuite l’école d’Art de Hangzhou où il devient l’élève du pionnier de la peinture moderne en Chine Lin Fengmian. En 1929, il s’embarque pour Marseille et s’installe pendant 3 ans à Paris jusqu’à son retour à Shanghai en 1932. Arrêté par les natio-
nalistes de Tchang Kai Chek, il est condamné à 6 ans de prison au cours desquels il écrit des poèmes révolutionnaires qui rencontrent un succès grandissant. En 1941, il se rapproche du Parti Communiste chinois et de Mao
« Rien n’est sacré, tout peut être transformé » Zedong dont il devient le conseiller pour les questions culturelles… avant d’être victime à son tour, après 1958, de la grande purge des intellectuels… Déplacé, rééduqué, Ai Qing est affecté un temps au nettoyage des latrines. La famille vit dans le dénuement. Ai Weiwei, qui voit son père revenir le soir épuisé, humilié, se souvient de l’attitude de celui-ci dans l’adversité comme une leçon de vie : « si vous parvenez à rester
clair et précis, toujours sincère, même devant la tâche la plus humble, assignée pour vous briser et vous avilir, vous finirez par rendre ce travail honorable et par recourir votre dignité ». En Chine, Ai Weiwei est devenu un spécialiste des poteries anciennes. Il utilise les objets anciens comme un matériau pour des œuvres contemporaines, les détruisant pour en utiliser les morceaux (« breaking of two Blue-and-White dragon Bowls »), ou les transformant (colored Vases, où des vases de 4000 ans sont plongés dans une peinture japonaise industrielle – 2016). « Rien n’est sacré, tout peut être transformé » souligne l’artiste qui, très engagé encore dans la cause des « migrants » consacre à ces derniers un hommage magnifique et poignant dans « outflow », dont certaines images, filmées dans la jungle de Calais, sont présentées dans l’exposition.
Arvil Sakai *Exposition Ai Weiwei, Fan Tan, à Marseille (MUCEM) du 20 juin au 12 novembre 2018
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Nouvelle - En partenariat avec les éditions Jentayu
Here comes the sun (… ) Le mainate avait chanté la chanson anglaise à sa troisième visite. Ce jour-là Mme Goh lui avait gardé un gros morceau de pâte de soja et un peu de porc haché. Après avoir picoré toute la nourriture, il s’était mis à criailler et à battre des ailes comme pour une petite danse, il avait volé vers le rebord de la fenêtre et commencé à chanter.
« Little darlin’, it’s been a long cold lonely winter, trilla-t-il. Little darlin’, it feels like years since it’s been here. »
Mme Goh avait rapidement déduit que certains aliments réveillaient le chanteur en lui. Il adorait les fruits — papayes, pommes rouges coupées en dés, pastèques. Un jour, Mme Goh lui avait offert du raisin vert mais il l’avait recraché. Les autres dans la chambre s’étaient habituées à voir l’oiseau et, si elles étaient éveillées, elles frappaient parfois des mains pendant que le mainate chantait. Un jour, une auxiliaire était venue voir ce qu’était ce brouhaha et le mainate s’était vite caché sous le lit de Mme Goh. Les rideaux roses flottaient dans la brise, laissant filtrer dans la chambre des rayons du soleil d’après-midi.
Peux-tu chanter autre chose ? Pourquoi pas des chansons de Teresa Teng ? Yueliang daibiao wode xin ? Tian mimi ? Xiao cheng gushi ?
C’était des chansons que Mme Goh avait l’habitude d’écouter dans la cuisine pendant qu’elle préparait des raviolis pour son stand d’Ellenborough Market. QQ était étendu sur le sol, et parfois Mme Goh se tournait vers lui et chantait un vers ou deux. Parfois elle s’accroupissait près de lui, prenait ses pattes dans ses mains enfarinées et chantait, balançant la tête d’un côté à l’autre tandis que QQ battait la queue d’excitation. Mme Goh avait découvert qu’elle vendait davantage de raviolis quand elle passait Teresa Teng sur la petite chaîne stéréo de son stand. Bien des années s’étaient écoulées depuis la mort soudaine de la chanteuse, mais les gens se souvenaient d’elle — de sa voix de miel, de son visage en forme de cœur, de ses grands yeux en cerise, des chansons d’amour qui passaient souvent à la radio dans les années soixante-dix et quatre-vingt.
En regardant ses clients manger, Mme Goh voyait les notes suaves des chansons de Teresa Teng apparaître tels des nuages au-dessus de leurs têtes, et elle souriait à la pensée des mêmes notes éclatant sans bruit dans leurs bouches lorsque la farce
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par Yeo Wei Wei
de cacahuète ou de sésame à l’intérieur de ses raviolis giclait de la pâte souple et moelleuse et se mêlait au sirop de sucre candi et au parfum délicat des feuilles de pandanus.
La dernière fois que Mme Goh avait fait des raviolis, elle les avait faits pour QQ. Elle avait lentement fait couler de l’eau goutte à goutte dans un puits au centre d’un tas de farine puis mélangé l’eau à la farine, en pétrissant le mélange par mouvements mesurés jusqu’à obtenir une boule blanche lisse. Elle l’avait divisée en deux, en quatre, et partagée en plus petites portions pour confectionner de petits bâtonnets. Elle avait déformé chacun des bâtonnets blancs et lisses pour modeler des pièces de la taille d’un pouce et étalé ces dernières au rouleau. Au centre de chaque cercle elle avait placé une bonne cuillerée de pâte de cacahuète, la préférée de QQ, et les avait saupoudrés des dix comprimés de Panadol qu’elle avait écrasés en une fine poudre blanche. Elle avait replié les bords l’un sur l’autre, en les soudant pour fermer l’ensemble et elle les avait soigneusement roulés jusqu’à ce que chacun d’eux émerge de ses paumes en une petite sphère parfaite. Elle avait dit à la travailleuse sociale qu’elle souhaitait préparer des raviolis avant que le personnel de la maison ne vienne la chercher et que la SPA ne vienne chercher le chien. Elle avait été égale à elle-même, calme et paisible, il n’y avait eu aucun signe, aucun indice, de ce qui était sur le point d’arriver. Elle avait demandé à prendre un dernier repas dans l’appartement où elle avait vécu toutes ces années et personne n’y avait vu autre chose qu’une requête innocente, pourquoi ne pas la laisser faire, cela pouvait même aider la vieille dame à faire la transition vers le chapitre suivant de sa vie.
Au moment où Mme Goh fut poussée hors de son appartement sur son fauteuil roulant et chargée dans le mini-van, quelqu’un était déjà venu et avait emporté le corps du chien mort. La travailleuse sociale avait essayé de lui parler mais Mme Goh l’avait obstinément ignorée, fixant ses yeux secs sur un objet distant dans le lointain. Ses lèvres étaient une ligne fine, sèche et gercée, sa langue glissait sur elles par moments, s’attendant à y trouver le goût du sang. Ses mains n’avaient pas arrêté de trembler même lorsqu’elle était arrivée dans la maison. Quelqu’un devait lui avoir donné une orange car c’était ce qu’elle étreignait et roulait entre ses paumes, une boule dans la gorge. « C’est ici chez vous maintenant, Tantie. Votre lit est là-bas. »
Nouvelle - En partenariat avec les éditions Jentayu
Yeo Wei Wei est l’auteure de These Foolish Things and Other Stories, recueil de nouvelles paru à Singapour en 2015 chez Ethos Books. La nouvelle « Here comes the sun », qui en est extraite, est à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 8 de Jentayu. traduction de l’anglais par Patricia HouéfaGrange). © NAC
Cet extrait de « Here comes the sun » provient du recueil intitulé These Foolish Things and Other Stories, publié à Singapour en 2015. Pourriez-vous nous parler de ce recueil et de votre processus d’écriture ? Yeo Wei Wei - J’étais maître de conférences au département d’anglais de NUS en 2005 lorsque j’ai écrit ma première nouvelle. Cette histoire m’est venue à une période où je me demandais si je devais rester dans le milieu universitaire. Depuis l’année 2000, après avoir achevé mon doctorat et commencé à travailler à NUS, je publiais des articles et des essais universitaires sur la littérature et les études culturelles dans des revues et ouvrages à comité de lecture. En 2005 j’avais envoyé une proposition aux presses universitaires pour une monographie basée sur ma thèse de doctorat. Mais une question plus importante s’est posée à moi à ce momentlà, celle de savoir si j’avais envie d’écrire des livres universitaires. Et ensuite j’ai écrit cette nouvelle, et même si elle n’est pas d’un très bon niveau, elle m’a révélé ce que j’avais besoin de savoir. J’ai quitté le milieu universitaire pour enseigner à la School of the Arts (SOTA). Je pensais qu’enseigner dans un lycée pour adolescents aux dons artistiques me laisserait le temps et l’espace mental dont j’avais besoin pour écrire. Comme j’ai eu tort. Enseigner est une des professions les plus épuisantes au monde. Vous devez être plein d’énergie, d’imagination, généreux, sympathique. J’aimais beaucoup mes élèves et les enseignants de la SOTA, mais en 2010, j’ai su que je devais partir si je voulais écrire. La plupart des nouvelles de ce recueil ont été écrites entre 2010 et 2014. « Here Comes The Sun » a été écrit en 2010.
Vous citez un vers de « Amanecer », un poème de Borges, en exergue de votre nouvelle. Celle-ci a-t-elle été directement inspirée de ce poème ou l’exergue est-elle venue plus tard ? J’ai lu ce poème de Borges alors que je révisais cette nouvelle pour la troisième fois. J’aime le ressenti et l’atmosphère de ce poème, et dès ma première lecture,
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Nouvelle - En partenariat avec les éditions Jentayu j’ai eu cette impression qu’il jetait un sort semblable à celui de ma nouvelle. C’était comme une sensation de déjàvu. L’autre raison pour laquelle j’ai placé cet exergue est liée à toutes les recherches et réflexions que j’ai pu mener sur les exergues depuis l’école supérieure. Un des chapitres de ma thèse de doctorat porte sur les exergues de Christina Rossetti tirés de Dante et Pétrarque. D’une certaine façon, je mettais donc en pratique ce que je théorisais depuis des années. Le fait que, lorsque des écrivains parlent à des auteurs défunts et célèbres dans un espace public, publié, cela suggère qu’ils leur rendent hommage, mais aussi qu’ils espèrent poursuivre les investigations entamées par ces écrivains qui les ont précédés.
Pour quels autres écrivains éprouvezvous du respect ? Y-a-t-il des Singapouriens parmi eux ? J’admire et je respecte Kuo Pao Kun. Mes écrivains préférés, il y en a bien trop pour en dresser une liste ici, mais si je devais citer ceux pour lesquels j’ai le plus de respect, alors je dirais Penelope Fitzgerald, Hilary Mantel, Yiyun Li, William Trevor et Léon Tolstoï.
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Vous êtes aussi traductrice littéraire. Traduction et écriture se nourrissentelles l’une l’autre ? La traduction fait partie de ma réalité quotidienne. J’ai grandi dans un environnement où on parlait le hokkien et le mandarin. Je parle ces deux langues avec mes parents, l’anglais et le mandarin avec mes frères et leurs familles. Je traduis du chinois à l’anglais. J’ai commencé en traduisant de la poésie chinoise en 2008. Cette année-là, j’avais fait du « travail à domicile » en traduisant mes œuvres de l’anglais au chinois. Aucune n’est prête à être publiée. Cette même année, j’ai également commencé à traduire des nou), velles de Soon Ai Ling ( ??? écrivain singapourienne de langue chinoise basée à Hong Kong. J’aime énormément une de ses nouvelles autour de boutons de jade. Je travaille sur plusieurs choses à la fois, mon bureau est très désordonné. Il est encombré de livres, de feuilles de papier et de blocnotes concernant différents projets, y compris ceux sur lesquels je travaille en tant qu’indépendante pour payer mes factures. Donc oui, je travaille sur la traduction littéraire en même temps
que sur mes propres œuvres. La traduction m’aide-t-elle lorsque j’écris ? Je suppose que oui. En traduction, je suis consciente de traiter une œuvre qui a déjà été entièrement construite par un autre auteur, et mon travail consiste à présenter cette œuvre dans une langue différente mais de façon à ce qu’elle soit toujours aussi séduisante, aussi captivante. Quand j’écris, j’ai bien plus de liberté, mais je suis également souvent confrontée à une page blanche béante et je dois plonger profondément en moi pour remplir ce vide. La traduction laisse bien moins de liberté à cet égard, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas aussi exigeante ou aussi frustrante que l’écriture. En traduction, j’ai au moins la camaraderie réconfortante (bien qu’invisible) de l’écrivain d’origine qui est là avec moi sur la page. Le « lieu » existe déjà ; il me reste juste à créer une nouvelle entrée et un sentier qui ne réduira pas sa beauté et son génie pour les lecteurs qui auront besoin de mes « travaux de déblaiement » pour en faire l’expérience. Propos recueillis par Jérome Bouchaud
Un artiste une œuvre - « La bénédiction de l’invisible »
Le regard d’Aude Gooly sur le Cambodge « Cette peinture rend hommage au Cambodge et plus particulièrement aux familles de ce pays qui vivent avec courage et dignité. Le monde de l’invisible est présent partout, dans le ciel, la lune, les étoiles, un arbre, le souffle du vent ou au pied d’un temple... On vient rendre hommage au monde de l’invisible bienveillant. Ce travail est un voyage entre le passé, le présent et l’avenir. »
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Couleurs d’Asie
Blanc & noir
L’une est lumière, l’autre est obscurité. Pureté, absolu, fin ou commencement, le noir et le blanc traduisent dans toutes les cultures la vie et la mort. Si le blanc et le noir portent des symbolismes différents en Occident et en Orient, ils sont inséparables et complémentaires comme l’ombre et la lumière. Synonymes d’élégance et de modernité, le blanc et le noir sont des basiques intemporels en décoration comme en habillement. La pureté de leur accord donne bien souvent des effets graphiques puissants.
L’ajout d’une troisième couleur, en accessoire ou en mobilier (un fauteuil ou un tapis, par exemple), est souvent une bonne alternative pour rompre la rigueur de ce beau duo : un bleu cobalt, un vert émeraude ou un jaune puissant sont superbes dans un univers noir et blanc !
1 - Créer l’harmonie L’usage de ces deux couleurs associées donne un contraste puissant qu’il est préférable de maîtriser : privilégiez des pièces fortes plutôt qu’une multitude d’accessoires sinon vous risquez de créer une effet visuel type « dominos » peu agréable ! Ici, une magistrale suspension noire donne de la force au décor blanc. « Luxiole ». www.designheure.com
2 - Décor vintage Transformez votre intérieur avec un papier peint stylisé comme une gravure. Ces feuillages noir et blanc sont proposés en panneau de 3 x 3 m, pour concevoir un coin bureau ou un décor mural dans le salon. « Rodrigues » et « Bamako ». www.jardin Pamplemousse.com
3 - Jungle mystérieuse Ajoutez du mystère à votre pièce avec
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une lampe toute noire, comme cette lampe « perroquet » à l’esprit cabinet de curiosités. Attention sa lumière est peu puissante donc réservée uniquement à un usage décoratif. Chehoma. www.maisonduluminaire.fr
4 - Eclipse de lumière Fabriquée à partir d’une unique bande de plastique, cette fascinante lampe se déroule et s’enroule afin d’en changer l’éclairage. Cet objet étonnant fait partie de la collection permanente du Musée d’Art Moderne de New-York (MoMA). Hauteur : 36 cm. « Ecli-pse », by Objeckto. www.portobello-eshop.fr
5 - Réservé aux enfants ! Tout aux couleurs du Tao, le symbolique panda est très apprécié des enfants. Cette drôle de pinata est à remplir de friandises pour fêter un anniversaire. Dimensions : 37cm. www.mylitttleday.fr Sophie Mouton-Brisse coach Couleurs & Bien-Etre, www.chromo-deco.com
Retrouvez tous les bienfaits des couleurs dans mon ouvrage « DécoBox : Couleurs & Bien-être », en vente sur www.chromo-deco.com
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Couleurs d’Asie
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Agenda, sélection de la rédaction
Novembre 18 nov.
Exposition Slide and Tongue
Galerie Intersections présente une exposition avec 12 photos haikus du jeune poète et photographe Singapourien Marc Nair.
12 Amadou et Mariam nov.
16 18 Nov.
Figure8 Agency présente le duo malien qui interprétera son dernier album « La confusion » pour la première fois à Singapour. Capitol theatre
23 Romeo and Juliet 25 nov.
29 Un Temps de Chien 30 TTF présente sa dernière comédie nov.
1er
théâtrale. Alliance Française
déc.
Affordable art fair
La foire d’art contemporain à des prix accessibles en découvrant des talents émergents. F1 Pit Building
La plus grande pièce de tous les temps mise en scène par le ballet d’état de Sibérie. Pour la première fois à Singapour. Sands Theatre
French film festival
nov.
La projection d’environs 70 films français sur quatres sites. Différents endroits
Décembre 23 A Singapore carol nov.
15 déc.
Wild Rice vous fait vivre le récit hilarant du conte classique de Charles Dickens sur l’amour, la compassion et l’esprit du don! Victoria Theater
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déc.
Arbre de noel afs
L’AFS propose une matinée pleine de surprises pour célébrer en famille les fêtes de Noel. W Hotel à Sentosa Cove
1er Christmas Wonderland
14 SSO christmas concert
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déc.
9 déc.
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Un spectacle magique avec des illuminations ainsi qu’un marché de Noël ou encore des chorales interprétant des chants de Noël. Garden by the Bay
Johnny un an deja
Singtheatre présente un spectacle pour rendre hommage au grand chanteur Johnny Hallyday. Alliance Française
SINGAPour NOVEMBRE 2018 - AVRIL 2019
déc.
L’Orchestre Symphonique de Singapour interprète chaque année un magnifique concert de Noël. Victoria Concert Hall
31 Marina Bay Singapore déc. Countdown 2019
Célébrer l’arrivée de la nouvelle année avec un splendide feu d’artifice au Marina Bay. Bayfront Avenue
Agenda, sélection de la rédaction
Janvier 2019
2019
Singapour Biennale
Une grande exposition dédiée à l’art contemporain. Singapour Art Museum
25 Art stage 27 janvier
Magnifique rassemblement d'art contemporain, incontournable en Asie du Sud Est. Marina Bay Sands Expo and Convention center
16 27 janvier
27 janvier
Festival annuel de théâtre, danse, musique et arts visuels qui présente des artistes singapouriens et internationaux.
19 Singapore art week 27 janvier
24 Kidsfest
Kidfest est de retour à Singapour avec des représentations théâtrales pour les enfants. Une belle occasion pour faire découvrir le théâtre aux enfants. Différents lieux
M1 Singapor Fringe Festival : Still Water
janvier
Une multitude d'expériences artistiques qui couvrent les arts visuels, du traditionnel au moderne et aux pratiques contemporaines. Différents lieux
Les petits chanteurs de Vienne
Une journée musicale avec des artistes internationaux. Garden by the Bay
Février, mars River Hongbao
février
à con firmer
River Hongbao est un événement annuel du Nouvel An chinois lunaire. Des stands d’animations et de nourriture locales. The Float @ Marina Bay
Ouverture Istana
Ouverture exceptionnelle pendant les jours fériés Singapouriens du palais présidentiel et de ses jardins. Palais présidentiel
15 Chingay Parade 16 Le grand défilé annuel avec des cosfévrier
tumes et des chars lumineux, avec plus de 2000 volontaires pour célébrer la fête du Printemps. Pit F1 Pit Building
mars
Singapore Festival of Fun
Le Singapore Festival of Fun est un fabuleux événement familial… Clarke Quay
21 Matilda
février
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mars
Une comédie qui nous raconte l'histoire d'une petite fille extraordinaire avec une imagination débordante. Sands Theater
22 Late company de pangdemonium
février
10 mars
Une histoire dramatique sur le thème de la vengeance. Drama Center Theatre
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Un chef une recette
Christophe Grilo,
Pâtissier et boulanger des meilleures tables de singapour
Vous ne le trouverez pas sur Orchard Road, ni dans un mall. Vous ne verrez jamais son nom. Pourtant, le créateur, en 2014, de BAO, Bakery Artisanal Original fabrique ce qui nous fait tous craquer : le pain et la ribambelle de brioches qui auréolent la gastronomie occidentale.
Vous êtes aujourd’hui, à 38 ans, le boulanger “haut de gamme” des meilleures tables de Singapour. Comment est survenu le déclic ? Christophe Grilo - Tout vient de la lassitude que j’ai éprouvé à l’égard de l’enseignement classique. Bon élève en troisième, je choisis pourtant une filière pratique : BEP puis CAP de cuisinier ; par besoin de concret, de faire de vraies choses. A 18 ans, je fais mon service militaire : j’aide évidemment en cuisine et
je découvre la pâtisserie. J’adhère au côté précis, méticuleux, délicat… au côté Artisan pur, avec un grand A. Et ce n’était pas la panacée en caserne, croyez-moi! Mais le déclic, comme vous dites, vient de là. Déclic puissant puisqu’il vous permet de partir découvrir le monde. En commençant par un petit paradis sur terre : la Corse, immédiatement dans un étoilé. Vous êtes né sous une bonne étoile, vous aussi, non ?
Ha ! ha! J’aimerais y croire! J’ai répondu à une annonce. Le Belvédère de Porto Vecchio recherchait d’urgence un commis en patisserie. Ils m’ont pris. Je suis parti en 2 jours. En arrivant j’étais émerveillé. C’était le coin de France le plus sublime que j’ai jamais visité. Le Chef Bernard Bach m’a pris sous son aile. Naturellement, je l’ai suivi dans le Gers, 3 ans plus tard, en tant que chef Pâtissier, lorsqu’il est parti ouvrir son restaurant gastronomique Le Puits Saint Jacques à
Christophe Grilo, la passion du pain. © Christophe Grilo
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Un chef une recette
Tarte tatin
recette du chef Christophe Grilo
Pour 6 à 8 personnes
Matériel 1 moule de 20 à 30 cm 1 casserole à fond épais avec couvercle et qui va au four 1 fouet manuel Ingrédients – 2 kg de pommes (Golden) – 1 pâte feuilletée (type Marie) ou 250 gr de pâte sablée
Caramel 1/ pour la 1ère phase de cuisson des pommes, hors du four : – 1 kg sucre – 2 litres d’eau
Caramel 2/ pour la 2de phase, au four : – 250 g sucre – 60 g beurre
Préparation 1 – Peler, couper et épépiner les pommes en 4 2 – Caramel 1/ : verser le sucre SEUL dans une casserole à fond épais; faire chauffer à feu moyen jusqu’à coloration bien brune foncée; ajouter ensuite l’eau petit à petit pour obtenir un beau caramel sirupeux. Ne pas cesser de mélanger et retirer du feux avant solidification. 3 – Ajouter les pommes dans cette casserole avec le caramel sirupeux, bien “lécher” tous les côtés des pommes avec le caramel; 4 – Ajouter le couvercle et enfourner pour 1h à 150 degrés Celsius (chaleur tournante ou mieux : position Haut/Bas si ppossible) 5 – Retirer du four; laisser refroidir à température ambiante en laissant le couvercle, puis placer au frigo (avec couvercle) 6 – Caramel 2/ : Faire fondre les 250 g de sucre à feu moyen jusqu’à coloration bien brune et consistance liquide épaisse (sirupeuse); ajouter le beurre hors du feu et fouetter pour obtenir une pâte. 7 – Verser ce mélange sur un Silpat ou équivalent, laisser refroidir et placer dans une boite hermétique au frigo (on peut casser en gros morceaux le mélange refroidi solidifié) 8 – Allumer le four à 160. Prendre le moule; y verser Caramel 2 et le faire fondre dans le four chaud (3 à 5 min); 9 – Ajouter et placer joliment les pommes 10 – Couvrir avec la pâte feuilletée et enfourner 30 min à 160 Celsius. 11 – Laisser refroidir un peu avant de démouler. Excellent avec une chantilly légère à la vanille, très peu sucrée.
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Un chef une recette Pujaudran. Il a été formidable avec moi. Il m’a envoyé en stage chez de grands pros, MOF (Meilleur ouvrier de France) et finalement au Jardin des Sens à Montpellier, où je suis resté 4 ans.
André Chang, Christophe Lerouy et vous : ensemble dans la brigade des frères Pourcel de 2001 à 2005. Vous naviguez parmi les grands ! Vous vouliez donc faire du fine dining depuis toujours? En fait, oui. Je voulais exceller dans mon domaine. Je voulais apprendre le meilleur. C’est naturel quand on aime vraiment quelque chose : on ne peut pas être négligent ou se contenter du minimum. On aspire à se former davantage, à pousser ses limites, à jouer dans la cour des grands.
La liste est longue des “grands noms” qui vous ont embauché et fait voyager partout! Racontez-nous… En 2010, à l’occasion de l’exposition universelle à Shanghai, j’ai travaillé sur le pavillon français tenu par les frères Pourcel : de la haute gastronomie, sur la base de 6 mois à 1000 couverts par jour pendant 6mois. J’ai ensuite fait l’ouverture de Sens et Saveur, l’étoilé des frères Pourcel à Tokyo, puis travaillé chez Spoon d’Alain Ducasse à Hong Kong et au Grand Lisboa à Macao. Je suis arrivé à Singapour en 2009. J’ai travaillé comme chef Pâtissier au Hilton sur Orchard, puis aux Amis où je faisais aussi le pain et les viennoiseries. Au sein du groupe Les Amis, j’ai eu le privilège d’ouvrir les 6 boutiques pâtisseries Le Cannelé, lesquelles ont malheureusement fermé en 2010 en raison des contraintes immobilières et de l’immaturité du marché.
Le marché est-il mûr aujourd’hui pour la vente en boutique de pâtisserie fine à Singapour ? Non. Pas de façon profitable. Les Singapouriens prêts à dépenser 8 à 9 dollars pour une pâtisserie sont rares. On ne peut pas compter exclusivement sur la clientèle expatriée. Les Singapouriens
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s’ouvrent sur la gastronomie internationale mais ils ont du mal à se détacher des standards anglo-saxons pour la pâtisserie. Il y a 4 desserts de base à Singapour : le short cake, le cheese cake, le Tiramisu et le lava-cake – ou le “sponge” avec mousse au chocolat. Les Singapouriens n’achètent rien d’autre. Les tartes, par exemple, ne présentent aucun intérêt pour eux. C’est bizarre car, par ailleurs, les chocolats, les restaurants et les vins de qualité marchent bien. Mais ce n’est pas encore le cas de la pâtisserie.
Le 1er juillet 2013, vous vous mettez à votre compte. Quelle évolution ! J’ai d’abord ouvert une minuscule pâtisserie boulangerie à Lavender avec un budget minuscule. Nous sommes partis la fleur au fusil. C’était de la folie furieuse. Je faisais tout : les commandes, la fabrication, les livraisons, l’administration, le ménage... Je travaillais 18h par jour, de 19h à 13h le lendemain. C’était dur, mais c’était mon affaire. On a ainsi vivoté pendant 6 mois, sans jamais réussir à décoller. Lors de mon passage aux Amis en boulangerie (nous fabriquions pour quelques confrères restaurateurs), j’avais noué d’excellents contacts avec une dizaine de chefs dont Julien Royer qui était chez Jaan en 2013-2014. Ils me demandaient régulièrement quelques articles-phares : 5 types de pain et 5 viennoiseries. J’ai réalisé que j’aimais cet univers et que personne ne faisait ça à Singapour pour les restaurants : du pain de boulanger, traditionnel. J’ai ouvert BAO, Bakery Artisanal Original, fin 2014 avec 2 salariés; nous sommes 22 aujourd’hui dont 20 singapouriens que j’ai intégralement formés. J’en suis fier. Ils sont excellents. Nous fabriquons et livrons 7 jours sur 7. J’ai pris 10 jours de vacances en 5 ans… C’est un business qui exige une présence permanente.
Que fabrique BAO exactement ? Essentiellement du pain de toutes sortes, des viennoiseries et des macarons. Occasionnellement, je peux faire des tourtes, tartes et autres préparations trai-
teur sur commande. A Noël, je fais des Panettones… C’est mon péché mignon.
Quel est le secret d’un excellent pain, d’un croissant fondant et croustillant ? Les étapes et le temps de repos. Il me faut 24 heures pour produire un pain de campagne : 6h de préparation de la pâte; 12h de repos au frigo à 7 degrés précisément. Le pain pousse « à retardement » et à froid. Pour les croissants, il ne faut pas lésiner sur le beurre et les multiples étapes de pliage et repos de la pâte. C’est un métier… C’est délicat un croissant.
Quels sont vos clients ? Odette; nous élaborons les recettes de concert avec chef Julien Royer. Il est extrèmement pointu et précis. Nous fabriquons pour eux mais ce sont leurs recettes exclusives. Jaan; Fleur de Sel ; Gavroche; St Pierre ; Cheek by Jowl ; et Lerouy, excellent créatif français ouvert en novembre dernier… Jewel Coffee pour leurs 5 boutiques avec les viennoiseries… Pour ne citer que les principaux.
Votre plus grande satisfaction et… le futur ? Nous sommes une compagnie sereine. En 4 ans, l’équilibre financier est bon. Je cherche toujours à améliorer nos performances et l’efficacité logistique par exemple, le système de prise de commandes. J’aimerais envisager un futur à Singapour… mais le gouvernement a déjà refusé 4 fois de m’octroyer un PR (Permanent Resident pass), sans justification. Je suis un peu découragé. A terme, je poursuivrai la pâtisserie en retournant sans doute un peu dans la cuisine traditionnelle au sens plus général. Je pense rester en Asie; je m’y sens bien. Ma femme est japonaise, mes enfants sont nés ici. Je n’ai aucune envie de retourner en France. Je reste ouvert. Le Japon m’attire… même si mon souhait aujourd’hui est de pérenniser l’étape Singapour. Propos recueillis par Michèle Thorel