Incertain Doug

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INCERTAIN DOUG





Parfois, Doug s’allonge sur le sol de la cuisine Nu comme un vers Sa bite tape sur le carrelage au rythme de la musique. Il y a sur la table deux bouquets Un d’œillets rose pâle Et l’autre de grandes pâquerettes rouge vif. Les lumières sont éteintes. On allume seulement le faux feu Sous l’arbre en pot. Le soleil se lève dans la nuit bleu vif. Ses pores de peaux sont ouverts Le froid y rentre sans question Ses pores se referment dessus. La bave sèche sur la table Elle laisse éclore une traînée de coquelicot Qui finit le reste de vin rouge Abandonné dans le fond du gobelet.















Un défilé de femmes nues dans du saké brame mais ne le réveillent pas. J’écoute les banalités qui glissent sur le sol dans son sommeil. En arrière fond le bruit de sa queue sur le froid, Mes paupières s’alourdissent. Le lendemain, il est toujours au même endroit, Endormi la bouche ouverte. Son pénis ne bouge plus, Juste des petits sursauts de temps en temps, Comme les chiens qui rêvent et courent dans leur sommeil, Comme un poulet à qui l’on aurait coupé la tête.







Il continue de subvenir à ses besoins dans quelques recoins écorchés des pièces à vivre. C’est un oiseau sans plumes. Pour lui, je ne suis qu’une suite de phénomènes éphémères qui meurent à un moment donné. L’esprit marche, Il court, Mais ne vole pas, ne dérobe rien. J’hésite encore entre les choses et les rues. Je monte à l’escabeau, Deux de ses pieds sont dans le vide, L’ampoule lui brule l’anus. La facture remplit la solitude de sens, Sous terre, la laine dérive vers le large.











Doug n’a pas de visage. Son rire me fait avaler plus vite, Déglutir en silence. Une plaine de plis, Au fond d’un sceau, son visage se reflète, C’est Narcisse qui a craché dedans, Un mollard aussi gros que mon poing, Il flotte sans faire de vagues. La couleur du vinaigre dans les rides de son front.













Son nez coule, La morve dégouline sur sa lèvre du dessus. Je vois ses dents à travers sa coquille, Ses poils dépassent de son slip. Des bruits de couverts qui tombent se font entendre. Dans son gosier c’est l’avalanche, Dans le couloir il se prend tous les murs, Sa tête résonne sur le béton. Il n’entend pas le bruit, Il est né muet. ça réveille toutes les chambres de l’hôtel, Le chemin est rouge. À l’entrée du square il n’ose pas rentrer, Il a oublié sous ses ongles les vers suivants.








Il a pris la route sans casque. Les parois de la salle où il a été interrogé se sont affalées sous le poids des gouttes. C’était un soir sombre du mois de décembre, Ils étaient allés le chercher à son domicile, Perquisition sans prévenir. Son dentier est resté dans le verre, Sur la table de chevet, La lampe allumée. Encore en chaussette il passe la porte du commissariat en baillant et s’assoit à côté de la chaise. Les navets sont entassés dans le coin de la pièce.


Ils lui ont maintenu la tête sous l’eau, Les bulles sortaient, mais n’éclataient pas. Il n’y avait plus de surface, Il n’avait plus rien, Plus rien, Plus rien à part sa tête, Et même sa tête n’était plus complète. Il n’avait plus de bouche, Les bulles lui sortaient par le nez.





Méticuleusement, Centimètre carré par centimètre carré, Le piano bougeait au fond de la salle. Ils lui ont fait manger le micro avec un bison sur Le dos Son front éclate sur le mur, ça saigne. L’essuie-glace n’y changera rien, C’est capturé dans un écran. Dans le coin gauche du bureau, il se tortille, Les fesses dessus ça saigne. Ils beuglent, ça n’y changera rien.







Quand il marche, il boite, Sa patte traîne derrière lui, Elle s’allonge, Elle est restée coincée entre deux poubelles. Les gens marchent sur son mollet, ça fait mal, mais il ne pipe pas mot, Il fait profil bas. Dans un brouillon de vermicelles il a perdu sa cuillère. Le drap de dessous est taché d’urine, L’huile flotte dans l’eau, Le drap de dessus est taché d’urine, L’eau flotte dans l’huile.











Sur le coin de la table, il essaye de tenir sur un pied. C’est compliqué, C’est risqué, Mais ça en vaut la chandelle. Surtout quand il est nu et que sa bite lui sert de troisième jambe pour garder l’équilibre. C’est beau à voir, Et en même temps ça me donne la gerbe, Cette grosse limace qui se trémousse en haut d’une cuisse, Derrière un cul. Et on s’y attendait, Il est tombé, Sa tête a cogné le coin de la table, Il en a perdu une dent. Je le laisse là, Je ne veux pas voir ses yeux après ça.











Une boule de pus dans l’aine, L’âne broute le déshérité. L’étiquette a été collée sur le flanc de l’animal, L’animal feule quand tu t’essuies l’anus. Il y a bien longtemps que la brise a volé le souffle.







Quand il est tombé, fracassé sur le plancher, sa longue bite m’a effleuré essayé de rentrer dans mon nez elle m’a glissé entre les doigts je l’ai coincé entre mes cuisses puis je l’ai découpé en petits dés que j’ai rangés dans des sachets, ça sera mon goûter.








Dans un paragraphe parsemé d’ongles coupés de la veille il y a eu un tremblement sous ta main posé sur mon ventre. C’est les derniers mots que m’avait écrits Doug Avant qu’il claque la porte, Pour aller à son enterrement, « Sans les guillemets bien sûr ». Quand je l’ai rencontré, Doug avait encore toute sa tête. Aujourd’hui, il pense être enceinte, il croit que je l’ai enfanté.


C’est nos manies d’essayer de tout décortiquer qui lui ont fait perdre la boule. Nos obsessions de se le partager à parts égales qui lui ont fait péter une durite. Nos souffles sur ses couilles qui l’ont rendu marteau. Nos ordres dès le réveil qui lui ont fait perdre la boussole. Nos ongles qu’on ne voulait pas couper qui l’on fait dérailler. C’est nos courses à la montre qui lui ont fait yoyoter de la cafetière. Je commence à avoir des remords.







« Tu m’as enlevé l’eau de la bouche, J’ai des mots coincés entre les dents, Entre les deux molaires. Écoute-moi s’il te plait Doug! Arrête de tripoter ton gant, Regarde-moi! Lève les yeux! Arrête ton cinéma, Arrête! Non! ça ne me fait plus rire! Une fois OK je veux bien, Deux à la limite, Mais toi c’est trop. C’est toujours pareil, ça rentre par une oreille Et puis ça sort par le cul, C’est redondant à force. Tu m’ennuies, Tu me creuses des cernes en bas des cuisses. »







Doug est revenu aujourd’hui. Sa valise était pleine de merde. On lui a demandé d’où il venait, Où il était passé, Il est resté muet. Il est allé s’enfermer dans ma chambre, Il s’est endormi sur mes draps.







Mes yeux collaient, Le jour rentrait en faisant un boucan fou, Les boulangeries venaient d’allumer leurs fours. Il s’était caché dans ma boite aux lettres, Il y avait passé la nuit, Recroquevillé, Le front collé à son pied, Juste de quoi respirer.







J’ai mouillé le chemin avec ma chatte. La pluie est tombée sur ses genoux, Le cri ne vient pas du muet dont j’ai accouché. L’hiver sera plus rude qu’hier, Plus vide que demain. La tomate pleure dans nos jupes relevées. La tête encore humide il lève trois yeux, Sous le pied une épine, Son dos est rugueux et pale, un bleu vert d’eau tendant vers le rose. Le pré de colchique se déploie sous le préau de l’école, Il a vomi sur ses talons. Un cocard éclot au coin de son arcade, Le jour suivant déferleront des nénuphars.









J’égoutte des pétales dans un puits de farine. Quand les yeux sont tournés, Dissimuler les pleurs sur le monde de l’habitude. La buche est coupée en parts égales, Des offrandes s’en échappent, La crème coule à flots. Les abeilles avalent le sel de l’océan, C’est sonore et indolore, Putain de discours de sourd!









Dans un sous-entendu ça pourrait passer, Distordre la vérité. Dans un sous-jassement d’abstinence ça jacasse sous les pavés, Les mauvaises herbes traversent le tissage des graviers. Isoler le puits qui avale la salive une fois sur trois. Se tendre en vidant l’estomac d’un mouton, C’est l’encre qui remplit le gobelet écrasé par ton poids. La perte des eaux déshérite les ovules, Dans son nom le secret boit la bave au coin de ma bouche. Sa cave cache des creux.






Des gars, des os au rez-de-chaussée Après un court silence d’un mois, Les digues ont flanché, Les jambes en l’air dans le four il a parlé. Il s’était perdu dans un désert vide et bruyant, Un océan plein et silencieux il disait, Un peu comme dans une usine Là où les chaussettes se tricotent à la queue-leu-leu. Je n’arrive pas à tout saisir parfois.


Il m’a souri en mettant son doigt dans un rond, il a alors mis son doigt dans un rond. C’était violet et pale il disait, Musqué et voilé, Dense et fourbe. Au touché ça prend la forme d’un intérieur, D’un carré courant sur la plage il disait. Une odeur de parfum de vieille s’en dégage, L’apogée d’un fumoir sans aération, Des poils entre les lignes l’ont fait éternuer. J’ai les oreilles qui sifflent, Une rigole dans le cou, Dépassement de vitesse, C’était donc un rond-point sans sortie.









J’ai un faible pour les courants d’air. Je me laisse séduire par les passages fugaces. J’ai peur de ceux qui s’assoient sur cette chaise dans le coin là-bas et qui ne veulent plus bouger jusqu’à ce que la porte s’ouvre à nouveau. J’attends avec impatience leur départ, Une fois, mais pas deux. Un autre est rentré traînant une chaise derrière lui qu’il a mise face à moi. Puis est allé s’asseoir sur les genoux du premier dans le coin là-bas, à ce moment-là j’ai vu un œil qui épiait l’action derrière le rideau, Je n’arrivais plus à me concentrer sur ma dictée. Une bourrasque a défenestré les deux inconnus, Un plat sur le béton, Seulement un des deux a survécu. Il a rebondi sur la colonne vertébrale du mort, Au milieu de grains de riz éparpillés, Comme un nouveau-né au milieu de la figure.






Derrière la porte, le calme fait du bruit, Doug est malade. ça l’enlace et l’embrasse langoureusement, ça mousse autour de sa bouche. J’ai toujours défendu que sa mollesse était un simple trait de caractère. « Oui il passe des heures face au mur rouge du salon sans parler, et alors?» Enfant il avait des problèmes de foie, Il est promis à disparaître. On m’avait dit que ça commencerait par là ou on ne s’y attend pas.


Son état s’aggrave, il n’a plus d’espace entre ses mots plus de virgules ni de points juste un déferlement de syllabe, plus de phrases j’aime regarder ces images étranges trébucher de façon si élégantes le long de sa langue en escalier










Sur la couette tombé au sol Doug se masturbe en pensant à toi. Il y laisse des poils blancs et roux, Ainsi que quelques gouttes de bave qui sécheront au soleil demain. Ses testicules gigotent. Il s’allonge maintenant sur la table et pose sa tête sur mon clavier d’ordinateur, Il pousse mon menton avec sa bite et s’assoit avec ses bouts de merde collés au cul sur mon agenda. Sous ses poils des puces courent et dans ses intestins des vers glissent.


Il ne veut pas que je t’écrive, Il ne veut plus de toi dans nos vies. Sa tête dans le creux de mon cou il murmure. J’ai les mains dans les poches de mon grand peignoir beige. ça fait un bruit de cloches qui se cognent, J’ai cinq vases d’un côté et deux de l’autre. C’était hier matin, Je lui ai tout confisqué, Il jouait avec alors que j’avais encore un œil fermé par le réveil.







En corps, Je me souviens, un jour Doug m’avait dit: « Je me sens comme une tomate, Une très grosse tomate coincé sur le bord de la porte. Comme une tomate qui ne s’arrette plus de grossir, Comme une tomate qui voudrait disparaître, Et qui pourtant grossit encore, Encore encore et encore, Et encore, Et pouf elle se transforme en petit oignon coincé dans un bocal de cornichons. Tu vois ? Tu vois ce que je veux dire? » J’étais restée muette.















Carla BONAVENT DE BOISSIEU Imprimé en 2019 Réalisé dans le cadre de l’Atelier de Recherche et de Création « Errances » EESAB – site de Rennes L’atelier Errances / le blog : http://www.errances.fr/ Errances éditions : http://www.errances-editions.fr




Il est 21 heures, un 8 janvier 1996, il fait tiède dans mon appartement, l’œuf bout dans la casserole. Des bribes de voix glissent en dessous de la porte et viennent s’assoir dans le creux de mon oreille, j’approche ma rétine vers le judas et que vois-je... Benjamin Malaussène de Daniel Pennac et Plume d’Henri Michaux se faisant une accolade sur mon palier. Retenti alors un grand boum, de la fumée partout, on n’y voit plus rien, les yeux piquent. Puis ça se calme, le brouillard s’estompe, on distingue alors une silhouette, une seule et pas deux, recroquevillé sur le paillasson Doug se balance. Depuis on ne se quitte plus, on se confond souvent, qui est qui on ne sait pas ? Maladroit.e mais touchant.e, un don pour attirer les catastrophes, patient.e et silencieu.se, en mal de vivre, qui ne trouve pas sa place, neutre et contradictoire, repoussant.e et attendrissant.e, on se brouille souvent, on ne comprend pas tout.


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