Empreintes éphémères

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Empreintes Éphémères



Empreintes Éphémères,

Pérégrinations et impressions











Déteindre. Le rendez-vous était fixé. Il esttrop tôt.


L’urgence imposée par l’horaire me force à la précipitation. Gestes précis mécaniquement répétés, économie de moyens et décisions rapidement prises. Choisir et agir sans rechigner, la moindre minute ne peut être gaspillée. Attendre l’ascenseur et le bus. Trépigner, s’impatienter. Enfin monter, s’asseoir et souffler.


Descendre.

Il est trop tôt.

Je devrais courir, je le sais.

Mes jambes sont aussi peu réveillées que moi. Notre collaboration ne peut tout simplement pas aller jusque là.

Il est trop tôt.


Je suis consciente, mais impuissante. Je ne peux me contraindre à gaspiller tant d’énergie pour une si faible récompense. Finalement, le dernier étage! Ah! J’avais raison. Il est trop tôt et le contexte importe.. A ux Beaux-Arts, le temps n’est qu’une donnée subjective de plus. Tout faire pour me plier à de telles convenances sociales?


Mais enfin, pour qui est-ce que je me prends, c’est ridicule!

D’ailleurs, ils sont déjà trois à me faire face dans la salle. Simplement assis, détendus et à l’affût de nouveaux arrivants. Je ne les juge pas mais.. ils sont vraiment suffisants.

De toute façon, il est trop tôt, tout le monde le sait.







Converger.


Une précipitation générale se répand à l’étage. Le liquide est renversé. Les couleurs se mélangent, les corps s’entrechoquent. Heurtés et repoussés.

Les êtres étouffent des cris retenus qui parfois s’échappent. Les souffles haletants s’entrecroisent discrètement. Quelques exclamations véhémentes flottent au-dessus de la cohorte.


Tous sont contaminés. Chacun à son propre rythme, tous se précipitent.

Violence policée. Instant crucial et cavalcade.


Confrontations d’individualités pressées par leurs ambitions. L’instinct viscéral vient ici au secours de l’assujettissement de la chair en société. L’esprit est focalisé : accélérer sans trébucher, arriver le premier. Se placer, travailler, assujettir la pensée.


Ces minutes fractionnées vont décider de la productivité de toute la journée.

Là.

Tout est joué. Ils sont installés.


Les quelques errants qui ont échoué reluquent désormais les fauteuils de notre aquarium inaccessible. Nos esprits s’apaisent, nous sommes protégés, nous pouvons nous concentrer.








Ronde.


À peine arrivée, déjà rejetée. Les bribes de musique me parviennent. Inaccessible spectacle perceptible. Privilégiée parmi les rejetés, je m’insinue dans le dos du cerbère et m’installe.

Le palier est mon refuge.


Elle me fixe, hésite, ne sait déterminer si ma présence est tolérée.

L’arrivée inopinée d’un groupe répond en détournant son attention.

Incessante répétition hypnotisante, harassante. Les retardataires ne cessent d’affluer. Les phrases ressassées, prêchées et rabâchées ponctuent les notes du fond.


Le piano harmonise et achève de dire à sa place «le pôle musique est complet, revenez dans dix minutes».

La symphonie s’achève, le spectacle est terminé et la danse s’évanouit. Les nouveaux participants arriveront d’ici dix minutes.








Écueil métallique.


Répugnants conquérants des lieux clos. Les portes s’entrebâillent et déjà ils emplissent, s’approprient et dénaturent l’espace confiné. Ils me pressent, m’invitent, m’intiment d’entrer. Nous voilà trois et le soupir des portes me coupe définitivement toute retraite. Déchargés du poids de leurs chairs indolentes, ils paradent. Rassurés de notre intimité, ils dévorent l’oxygène. Incapables de tempérance.

Notre proximité fait s’épanouir des sourires lubriques le long de leurs traits. Les regards impudiques et les paroles concupiscentes expriment leurs intentions et giflent l’air entre nous.


Se tasser. S’affiner. Disparaître. Endurer le calvaire de leur promiscuité sans broncher. La main se tend. Le geste se suspend.

Ose. Les pulsations de rage tendent mon corps. Ma fureur transpire.

Acculée, je suis prête à agresser. Enfin! Le chuintement salvateur annonce l’apparition de l’issue! Se faufiler, se précipiter, fuir! Pour enfin se sauver. Même deux étages trop tôt.

Bestialité mal éduquée, tu aurais hurlé.







Coudoiement architectural. L’issue est là, juste devant moi.

TA patA ptapataPTAP


Degrés de vide et de plein sur lesquels mon regard butte, s’arrête, rebondit. Tap Tap Tap Tap Les marches sont des échelons rationnellement organisés pour m’éviter la chute. Mais le vide m’interpelle et me presse d’accélérer. Tap TA p TAP TAP

Lutter, résister, s’abstenir, ne pas fléchir. Ne pas céder. Dégringoler.

TA patA ptapataPTAP Dévaler tout à la fois. TAPtaPTA ptaptaP


Les marches sont à peine effleurées. Mon bruit résonne dans la cage d’escalier. La mélodie personnelle de mes pas percute et complète celle des autres.

TA ptapTaPTAPtaPtaPPTAPTAPTA ptaptaptaptaptapTAPtapatap

Sautillements, allures alternées parfois grotesques. La griserie de la vitesse m’emporte et je descends inexorablement. Les marches s’effacent, le décompte est oublié. Le tumulte m’emplit et me fait raisonner. Je ralentis et pantelle, mon palier se trouve là. Mes membres vibrent au gré des influx nerveux qui me parcourent encore. TAPtapTapTAPTA ptap


Les visages discernés ont été instinctivement déchiffrés.

Toi, l’étranger, tu as été effleuré d’un regard. Pourtant, ta trace s’efface déjà. Ma mémoire se rit de moi. Mais laissons cela.










Empreintes Éphémères, Pérégrinations et impressions. Édition de Capucine Beck, imprimée en février 2015. Réalisée dans le cadre de l’Atelier de Recherche et de Création

« Errances », au cours de l’événement des premiers dimanches des champs libres. http://www.errances.fr http://www.errances-editions.fr




Là.


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