Tu te casses

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Il me faut parler. Il me faut écrire. Y’a plein de choses qui se passent dans le crâne de quelqu’un. Y’a plein de choses qui se passent dans le mien. Alors que se passe-t-il si tous les jours, on se pose sur un papier, en vidéo, dans une photo, sur son clavier et qu’ensuite on rassemble le tout dans un seul et unique ouvrage ? Tu vois, je peux pas savoir où vont les autres quand ils errent. Mais je peux te montrer un des multiples chemin où on peut aller. Je vais te montrer le mien.




Est-ce que c’est mes nerfs ? Ou bien l’envie de mourir ? Ça va pas très bien. Mais je sais pas pourquoi. Et puis je chialerai bien. Va savoir. Et comment qu’il peut nous voir d’en haut ? Puisqu’il a les yeux fermés. Puis qu’il est dans sa tombe. Là, dans son cavaux. Celui qu’il a réservé. Pour qu’il soit au soleil. Il a joué sa dernière carte, en choisissant sa dernière maison. Parce que nous, on l’avait viré de la notre. Maintenant il est au soleil. Avec ses yeux fermés. Puis, il veille sur nous. Je sais pas comment il fait. Mais il a dit qu’il le ferait.





Il attendait là, le cul sur son échelle. Il se posait trop de questions, alors il s’en est construit d’autres. Mais celles-là ne servaient qu’à descendre.





et j’étais là. Assise en tailleur devant des écharpes trop bien pliées. Entourée du reste de l’appartement retourné.


J’arrive à rien. Je me sens minable. J’ai bu cul-sec. J’ai bu notre vie. Toute la vie que ça aurait pu durer. Mais moi, j’ai fait cul-sec. J’ai tout niqué. T’as beau dire qu’on était deux. Que si ça foire, c’est donc à deux. Mais y’a plus que moi. Y’a eu que moi. J’ai tout niqué. Comme si on était des titans. Comme si on était des dieux. C’était moi Dieu. Puis c’était vrai. Quand j’te voyais, je croyais en Dieu. Je croyais en moi. Je croyais aux deux. C’était beau. Surtout toi. On était deux. Moi, je voulais être un. Je voulais être, avec toi. Et non passer mon temps à côté de toi. Je voulais être. Je voulais vivre. Ou plutôt, j’aurais voulu vivre. Mais j’ai pas su. On a pas de mode d’emploi. Et quand ça vient pas tout seul, ça marche pas. J’ai essayé. J’ai foiré. J’ai tout niqué. Tout bousillé. On était deux paumés. Y’aura plus que toi. Y’aura plus que moi














Moi, je suis fatiguée. Mais pas vraiment mes paupières. Elles restent grandes ouverte et m’obligent à regarder ce qui m’entoure. J’ai pas trop envie. Je trouve ça légèrement fastidieux, de voir cette même porte ouverte, qui par moment se ferme en se claquant. C’est froid une porte. Et quand ça claque, ça devient violent. Des fois, elle se rouvre doucement, espoir. Pour se refermer aussitôt encore plus fortement, déception. Je suis fatiguée. Je la prendrai bien la porte. Mais je reste là, comme un fantôme en attendant qu’elle s’ouvre. Elle ne m’invite pas. Mais moi, je reste là. Elle est un peu spéciale cette porte. Et je dois la regarder. La re-garder. Comme si elle m’avait échappé une première fois. Elle m’échappe toujours. Et quand elle revient, c’est pour s’échapper encore. Alors je la re-garde. Et mes paupières ne veulent toujours pas se fermer.





Et si tu t’casses ça fait quoi ? Ça me fait quoi, hein ? Ça fait du bien ? Ça fait des vacances ? Un bon bol d’air ? Ça fait quoi ? Moi je ressens pas le frais. Je ressens pas le renouveau, le bien-être et les pieds qui dansent. Y’a du vide. C’est vrai que c’est vide un bol. Bon, j’ai un bol.







J’ai un dragon au fond de moi que je ne peux vomir. Personne ne le laisse sortir. Alors il crache. Il n’y a que ça qui le fait exister. Petit dragon. Crache. Crache. Crache. Il tape de la queue. Il me fait mal. Il est bourré d’épine. Crache. Personne ne te voit. CRACHE Tu me fais mal. CRACHE moi je sais bien que tu existes. Moi j’ai envie de taper au rythme de ta queue qui se balance. Tape contre mes reins. Tape contre mes côtes. Tape sur mon coeur. Frappe, FRAPPE, ou c’est moi qui frappe. Il reste à l’intérieur. Qui voudrait le voir ? Si ça se trouve, il fait peur. J’ai déjà peur. CRACHE. Ma gorge brûle. Ne veut pas parler. La voix du dragon résonne. Elle reste cependant inaudible. Tape. Crache. Frappe. PARLE. Mon ventre n’en veut plus, des battements de cette queue pleine d’épines. Et d’où elles sortent ces épines ? Elles ne sont pas à lui.



CRACHE. Lui aussi il a mal. CRACHE. Lui aussi il ne dit rien. CRACHE. Il sait tout. CRACHE. Il a voulu tout oublier. CRACHE. C’est les épines. CRACHE. C’est sa mémoire. CRACHE. Il ne sait rien. Crache. Juste qu’il a mal.















Hey toi dragon ! Pourquoi tu ne craches pas ? Tu t’écrases, tu t’enfonces. Tu te perds dans cet estomac. Tu me brûles à tout garder. Mais frappe, frappe. J’ai pas assez mal. Parle parle, tandis que je me tais. Allez, va-t’en. Va-t’en. CASSE-TOI. Tu me nargues avec tout ton secret bien enfoui dans ton estomac. Ah, elle est belle la mise en abîme. Ah elle est belle la douleur. Ha, elle est belle cette vie que tu m’offres. Rien. Rien. Je ne veux plus rien. Tais-toi. Mais alors va-t’en. Reste. Mais alors parle. Je ne sais pas moi. Fais quelque chose. Ne reste pas comme ça. On dit de vider son sac. Vide donc ton feu. Celui qui me brûle. Celui qui me tue.



J’ai RIEN. Rien pour vous, rien dans les mains, rien dans les poches. Ce n’est pas un tour de magie. Ce n’est rien. Rien je vous dis. Je pourrais en parler pendant des heures. D’ailleurs, tout le monde le fait. Parler sur du vide, du vent. Du rien. Parce que ces petits riens, c’est la vie.











Je voudrais être dans ma petite boite. Celle où je ne tiens qu’accroupie, en boule sur moi-même, en équilibre. Dans ma petite boite, je ne pourrais me reposer que si je suis couchée. Là, en position fœtale, comme s’il n’y avait plus que moi. Je refermerai les bords, et je serai dans le noir. Je serai seule, dans ma boite. Je ne laisserai personne entrer. Il n’y aura que moi et ce monstre. Ce monstre en moi qui reste là. Je suis sa boite. Mais il n’a pas de bords à refermer. Encore moins à ouvrir. Il s’est enfermé là, dans sa boite. Dans moi. Je crois qu’avec le temps, on s’aime bien. Mon monstre et moi. Il ne fait pas grand chose, il roupille plus qu’il n’est méchant. Mais il est pesant. C’est lourd un monstre qui se nourrit de vous depuis quelques années. Je suis un peu pareil, moi, dans cette boite. Je suis un peu coincée. Je suis enfermée. Là, en équilibre, dans cette position inconfortable. Et ça devient fatiguant. Ma boite, c’est ma zone de confort, ici, ce sera toujours chez moi. Ici, je me sens bien, même dans cette position qui me scie les genoux. Je ne partirai de cette boite que quand j’en aurais envie. Même si je sais que l’envie, je l’aurai jamais vraiment. On m’y forcera s’en doute, comme je forcerai le monstre à se remuer le gras qu’il entasse. Et tous les deux, fiers et conquérants, d’avoir su regarder au-delà de la boite, on reviendra, parce que nous deux, on est bien. Parce que nous deux, on se connaît, on connaît la boite. Parce qu’à nous deux, on est la zone de confort.



















J’aurais voulu être trapéziste. Pouvoir emmerder les gens en leur disant « moi, je sais voler ». J’irais dans les airs. Je ne serais peut-être pas aussi légère qu’une plume, mais j’en aurais les airs. Je ne voudrais plus jamais toucher le sol, au risque de m’abimer les chevilles. Je ne voudrais plus jamais que mes pieds foulent le sol. C’est trop lourd en bas. Et le sol est trop dur sous mes pieds.







J’ai envie d’insulter. Qui ? La terre. Ta mère. Le chien. Et après je reprendrai un peu de pain, pour éponger ce trop-plein. C’est un trop qui ne sort pas. C’est un trop de trop. Ouais, y’en a plein là-dedans. Et ils s’entassent, comme des gros de trop. Ouais, y’en a trop. Un trop-plein comme on dit. Faut que ça sorte. Mais ça veut pas. Ça reste là et ça s’entasse. Ça se voit pas ? Mais si, sur ma gueule ça se voit. Ta gueule, je t’ai dit, ça se voit. Celui que j’insulterai, ce sera toi.







En fait, la clé du bonheur serait-elle là ? Se foutre de tout. Se contenter du reste. Vivre pour soi, rendre heureux les autres. Mais comment rend-on les gens heureux ? Faire aux autres ce qu’on voudrait pour soi. Se contenter de leur bonheur, plutôt que de s’occuper de celui qu’on a pas. Ça commencerait donc par là ? Je veux jouer les cobayes.







Moi, je veux de l’air. Je veux du rien. Je veux du vide. Le vide sous mes pieds. C’est tout ce que je souhaite.





Allez, va-t’en. Va-t’en. CASSE-TOI.



C’est trop dur, tu vois ? C’est pour ça que j’écris, parce que même si je parle beaucoup. Ça s’arrête jamais. Ça s’arrête jamais de parler là-dedans. Y’a plusieurs voix, mais c’est pour toutes, la même. C’est juste qu’elle distingue bien la raison, de l’incertitude, du cœur, de la folie. C’est que y’a tout ça dans un homme. Y’a tout ça dans moi. Mais je ne sais plus trop, tu vois ? Je sais plus trop où j’en suis. Ça bourdonne là-dedans. Ça pourrait prendre le dessus sur tout. Mais je leur laisse pas le choix, même si je les écoute des fois, je les fais surtout écouter à d’autres. Ça passe mieux d’entendre les autres. Ça semble toujours plus rationnel. Ça berce un peu, ou ça remet un coup de pied au cul. Mais ça fait avancer les choses. Je fais parler toutes ces voix pour n’en entendre plus qu’une seule.





Je suis occupée, tu vois. Je suis occupée à vivre. J’ai tout balancé, enfin, j’ai essayé de tout balancer. C’est pas évident de tout mettre de côté, de dire « c’est fini, je me casse ». Alors c’est vrai que je me casse pas vraiment. Déjà je me suis relevée, tu vois. J’ai arrêté de chialer devant mes écharpes trop bien rangées. J’ai arrêté de rester sur mon cul, les jambes en tailleur, là, sur la moquette à poil raz. Et j’étais contente, tu vois. Je trouvais que c’était un grand pas. Faut commencer doucement. Plutôt que de vouloir faire un grand bond et se rétamer la gueule. Parce que l’humain s’il a pas d’aile c’est bien pour une raison. Nan, l’humain, il est fait pour se casser la gueule, puis comprendre qu’il doit avancer à petit pas. Et ces petits pas ridicules, ils deviennent grands, tu vois. Ouais, ces petits machins ils deviennent des géants.




Le verk, c’est un mélange de vert et de beurk. Le verk c’est moche, c’est dégoûtant. Le verk ça fait penser au vieux pot de chambre de la mémé. Le verk est encore plus moche sur un pot de chambre aussi vieux que la mémé. Ça fait penser au tupperware. Celui où t’as laissé le gratin de choux-fleurs entamé depuis les vacances de Noël dernier. Le couvercle verk te dit de ne pas l’ouvrir. Le verk c’est à vomir. Il te prévient de lui-même que c’est pas bon. Que tu pourrais même en mourir. Le verk il est partout dans les endroits où t’aimes pas aller, les couloirs d’hôpitaux, les chambres d’internats, la voiture de tonton qui sent le moisi, le carrelage de tata Odette, la couverture qui gratte quand ta couette est à laver et surtout le pot de chambre de Mémé. Le verk c’est tout ça. Le verk c’est moche. Le verk c’est ce qui te dégoûte. Le verk c’est du vomi. Mais le verk maintenant je le trouve joli. J’ai appris à l’aimer parce qu’il est, un pot chambre de couleur moche. Verk, je t’aime parce que tu me dégoûtes.




























Ce soir, je suis creuse. Et puis je déborde. Et puis j’ai mal dans mon corps, et puis j’ai mal dans ma gueule. Je me la suis prise cette putain de baffe. Celle qui te casse une dent. La plus belle. La dent qui te donnait confiance. Celle qui n’est plus qu’un vieux bout cassé de biais et qui te tranche la lèvre. Celle qui t’empêchera de manger et de dormir pendant un temps. Celle avec qui tu déconneras devant tes amis, histoire de dire que ça va. Mais dans le fond, elle te fera plus que te couper la lèvre cette putain de dent. C’est pas la première baffe que je prends. J’en ai des écorchures. J’en ai des dents cassées. Ce sera pas la dernière. Et y’a bien un truc où je suis douée. Je suis douée dans l’art de m’amocher.





À un moment, j’ai plus besoin de respirer. Mes poumons ne se remplissent plus d’air. Et je ne bouge plus. Je n’ai plus besoin de rien. Je suis vide. Je suis comme cette boite qui ne veut plus qu’on l’ouvre pour la remplir. Mes poumons ne veulent plus être cette fonction de vivre. Ils ne sont plus. Et moi, j’ai besoin de rien. Je me sens bien de n’avoir plus besoin de rien. Je me sens bien. Et puis, y’a les réflexes qui reprennent le dessus, et qui font remarcher le mécanisme. Et me voilà de nouveau inondée d’air. Ça fait un peu mal. Puis ça fait tellement de bien. J’ai de nouveau besoin de voir. J’ai de nouveau besoin de marcher. J’ai de nouveau besoin de rire. J’ai de nouveau besoin de vivre.



































Emeline Cartron imprimé en 2014 réalisé dans le cadre de l’ARC Errances EESAB – site de Rennes L’atelier Errances / le blog : http://www.errances.fr/ Errances éditions : http://www.errances-editions.fr





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