Elle est bleue
Debout. Une forme indistincte erre au loin. Elle avance puis recule. Telle une histoire sans fin, l’action se répète en boucle. Debout, transparente, elle avance puis recule. Comme prise au piège, elle reste coincée. Le décor s’allonge continuellement, semblable à deux miroirs en vis-à-vis. Inlassable, l’histoire se perpétue. Finalement il s’agit presque d’un souvenir. Un souvenir que l’on n’a pas forcément vécu, mais pourtant familier, qui nous a été transmis. De filiation en filiation, il s’est ancré et malgré nous, on y revient. Puis j’ouvre les yeux. Cette forme, ce va et vient, c’est mon corps. Rattrapé par le souvenir, il avance puis recule. Mon corps est transparent et il se meut dans un rien, dans un vide.
Un mur. Gris et sombre. Un peu sale, il s’effrite par endroits. Des fissures se creusent peu à peu et nous invitent à y laisser parcourir nos doigts. On en oublie le reste pour retomber en enfance. Des souvenirs de conquête rejaillissent et on se met à rire de nouveau. Et puis on oublie. On oublie que sous nos doigts la poussière s’accumule. L’ivresse des souvenirs passée, on commence à étouffer. La tête dans le brouillard, tout nous paraît inconnu. On aimerait revenir en arrière mais c’est trop tard, on l’a déjà oublié ça aussi. Il ne reste plus que ce gris. Brume sourde, voleuse de souvenirs.
J’hurle de mon corps tout le bleu de mon âme.
Je pars et m’élance, les portes s’ouvrent, je te quitte comme tu es maintenant. Mais ce n’est qu’une coupure, le temps d’un passage. Le temps d’un envol. Je pars non pas pour revenir, non. Je pars pour atterrir, retoucher terre. Durant cet essor, je te lâche ici, je ne peux te prendre. Je coupe les ponts. Je pars et j’arrive à la fois. Je te quitte ici, et te retrouve là-bas, grandi. Sorte de rituel, c’est de manière récurrente que je me dois de l’accomplir.
L’enveloppe se détache doucement, comme une seconde peau. Elle libère une couche plus lisse, neuve. La lumière s’y reflète et projette presque une auréole de couleur tout autour. Le dépôt gît sur le sol. Seul résidu, il n’est plus que trace, de ce qui a été.
Laura François Imprimé en 2014 Réalisé dans le cadre de l’Atelier de Recherche et de Création « Errances » EESAB – site de Rennes L’atelier Errances / le blog : http://www.errances.fr/ Errances éditions : http://www.errances-editions.fr