Jean-Marc Huitorel
Espace d’art contemporain HEC
Couverture : documentation céline duval, Orbes, 2016.
ISBN 978-2-9543844-8-1 Prix de vente 20 €
Jean-Marc Huitorel
Espace d’art contemporain HEC
Jean-Marc Huitorel Sur l’art, le sport, le jeu
Espace d’art contemporain HEC
7 Avant-propos Sur l’art, le sport, le jeu 13 19 23 27 33
Qu’est-ce qu’un jeu ? Qu’est-ce que jouer ? Le sport est-il du jeu ? Les sports sont-ils des jeux ? Les règles du jeu/Dans les règles de l’art Sports et jeu(x) en quatre stades Jeux, sports et œuvres d’art sur les différents registres de la représentation 37 Performance et performance Une histoire contemporaine 41 Art et jeu (sport ?) comme sources de production symbolique 47 Bibliographie sommaire Entretiens 48 Éric Giraudet de Boudemange 60 documentation céline duval 70 Yoan Sorin 78 English texts
5 Sommaire
Cet ouvrage constitue le troisième volet d’un ensemble consacré à l’étude des liens entre l’art contemporain et le sport. À la suite de La Beauté du geste (2005) et de L’Art est un sport de combat (2011, avec Barbara Forest et Christine Mennesson), Une Forme olympique / Sur l’art, le sport, le jeu entend compléter l’approche de ces deux sphères essentielles de l’activité humaine par la prise en compte d’un troisième marqueur, qui est le jeu. Le livre est construit autour de trois pôles : un essai, une série d’entretiens et un catalogue d’exposition. Comme les deux ouvrages précédents, celui-ci fut, en effet, accompagné d’une exposition. Ainsi, après le centre d’art de Vassivière (La Beauté du geste, 2000), après le musée des Beaux-Arts de Calais (L’Art est un sport de combat, 2011), c’est le campus HEC et son Espace d’art contemporain qui, en 2016, ont invité Jean-Marc Huitorel à concevoir l’exposition Une Forme olympique.
7 Avant-propos
Iconographie documentation cĂŠline duval
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Sur l’art, le sport, le jeu
Près de quatre-vingts ans après la publication de l’ouvrage fondateur de Johan Huizinga, Homo Ludens1, le jeu s’est peu à peu constitué comme objet d’étude et de savoir. Si la littérature et l’art lui ont fourni ses représentations, les sciences sociales l’ont assuré d’un certain nombre d’outils théoriques, que ceux-ci proviennent de l’histoire, de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie ou de l’ethnologie, plus largement de l’anthropologie. D’entrée, Huizinga frappe fort par un incipit qui ne laisse pas de doute quant à ses convictions autant qu’à l’ambition de son essai : « Le jeu est plus ancien que la culture. ». Faisant du jeu une catégorie subsumante (par exemple en insistant sur le fait que celui-ci n’est pas propre à l’homme, les animaux aussi jouent, que la civilisation n’a rien apporté de plus à ce que le jeu pose d’emblée, etc.), l’historien néerlandais balaie un certain nombre d’idées reçues et de préjugés. Ainsi inclut-il dans le champ occupé par les logiques ludiques, l’organisation sociale, les rites et les cultes, la guerre et l’art, entre autres. Vingt ans plus tard, Roger Caillois2, partant d’une lecture critique de Huizinga, propose de fonder une sociologie générale à partir des catégories par lesquelles il définit à son tour le jeu, avouant par là, et quoi qu’il en ait, son insolvable dette envers son prédécesseur. Les philosophes, de leur côté, ne sont pas en reste, et Eugen Fink pouvait affirmer, dans Le Jeu comme symbole du monde3 : « La spéculation philosophique prendrait son élan lorsqu’elle s’efforcerait de penser le mouvement total du monde à partir du concept de jeu. » Dans le champ de la psychologie, c’est Freud avec Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient qui pose les bases d’une analyse du rôle du jeu (étant entendu que le mot d’esprit est une forme de jeu, fut-il celui des mots) dans l’économie de l’inconscient. Mais c’est à Winnicott4 et à son concept d’« objet transitionnel » que revient le mérite d’avoir mis à jour, tant sur le plan théorique que clinique, cette idée que le jeu (le jouet tout autant) constitue non seulement un précieux outil de guérison mais, bien au-delà, l’un des fondements essentiels de l’identité du sujet social.
1 Johan Huizinga, Homo Ludens, 1938, Gallimard, 1951, pour la traduction française, collection Tel pour l’édition courante. 2 Roger Caillois, Les Jeux et les Hommes, 1958, Gallimard, collection Folio Essais pour l’édition courante. 3 Eugen Fink, Le Jeu comme symbole du monde, 1966, Les Éditions de Minuit pour la traduction française. 4 D.W. Winnicott, Jeu et Réalité. L’Espace potentiel, 1971, Gallimard, 1975, pour la traduction française, collection Folio Essais pour l’édition courante.
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Les anthropologues, on le sait, travaillent sur le temps long et les espaces élargis. Le premier mérite du livre de Roberte Hamayon, Jouer, Une étude anthropologique5, est certes d’étudier les mécanismes et le rôle du jeu dans des sociétés non occidentales6, mais nous retiendrons d’elle, plus encore ici, son analyse de la mutation du jeu en sport, à l’aube de la modernité. C’est à elle, en effet, que l’on doit l’une des descriptions les plus fécondes de l’articulation entre jeu et sport. Bien sûr, ledit lien est ancien, qui se noue avec le plus d’éclat dans la Grèce antique, dont les jeux dits « olympiques » furent la manifestation la plus éclatante, mais ils se relâchèrent pendant des siècles entre l’édit d’interdiction des jeux du cirque et des jeux olympiques (393) et la seconde moitié du xixe siècle. Ils ne furent toutefois pas inexistants, comme le montrent les passionnantes études de l’historien allemand Horst Bredekamp7 sur le calcio florentin, ancêtre, au moins partiel, du football moderne. Si l’on peut admettre, à la suite de Johan Huizinga, la qualité englobante du jeu, il convient d’étudier attentivement la place et le rôle du sport, non pas certes dans les phases de constitution de la culture et de la civilisation, mais, plus modestement, et plus récemment, dans les sociétés contem poraines. L’apparition du sport dans sa conception moderne ne remontant qu’aux années 1860, et malgré l’importance indiscutable des anciens jeux helléniques, on ne saurait aborder celui-ci d’une manière identique à celle dont les sciences sociales ont étudié le jeu. L’histoire et la sociologie du sport, sa philosophie et sa psychologie tout autant, constituent une bibliographie telle qu’on renoncera prudemment, dans le cadre de ce court essai, et puisque nous l’avons fait dans d’autres textes, à en proposer ne serait-ce qu’une esquisse. Nous nous contenterons de rappeler quelques éléments essentiels de sa constitution en tant que phénomène social, il y a près d’un siècle et demi. Que le jeu, comme le sport, occupe une place aussi singulière que spécifique dans la production des formes symboliques semble de plus en plus évident. Que le sport et l’art, autre grand pourvoyeur de représentations, offrent un vaste pan d’histoire commune, que le sport fournisse à l’art une in- finie variété de formes, de récits, d’outils et d’attitudes, cela a été montré8. 5 Roberte Hamayon, Jouer, Une étude anthropologique, La Découverte/ Bibliothèque du MAUSS, 2012. 6 Précisément chez les Nganasans et les Yakoutes, en Sibérie. 7 Horst Bredekamp, Le Football florentin. Les Jeux et le Pouvoir à la Renaissance, Diderot éditeur, 1995. 8 Jean-Marc Huitorel, La Beauté du geste, L’Art contemporain et le Sport, Éditions du Regard, 2005.
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D’autres se sont également intéressés aux aspects et aux fonctions ludiques de l’art, tant dans les procédures d’élaboration de ce dernier que dans les manières de l’appréhender. Ce qui, nous semble-t-il, reste à faire, c’est envisager cette triangulation art/sport/jeu, dans ses articulations et dans sa complexité. Si l’on considère, avec Roberte Hamayon, que le sport a permis la réintégration sociale du jeu, diabolisé par l’Église pendant des siècles ; si l’on considère par ailleurs que cette condamnation n’est pas universelle (nombre de sociétés assument et revendiquent leur part ludique) ; si enfin on prend en compte la concomitance de l’apparition du sport moderne et de la modernité artistique, alors on parviendra peut-être à fournir un éclairage supplémentaire à la nature résolument anthropologique de l’art, y compris dans ce qu’il faut continuer à défendre : son irréductible spécificité. C’est l’objectif avoué de ce texte. C’est également tout le sens du choix iconographique qui le rythme. Plutôt que d’opter pour le registre illustratif, par exemple en reproduisant certaines des œuvres que le texte mentionne, nous avons choisi le dialogue avec le travail d’une artiste. Les images mises en œuvre par documentation céline duval 9 [P. 60, CAT. P. 40] sont en effet à double détente. D’un côté, elles proviennent d’ensembles anonymes, souvent des photos de famille, sortes de « Je me souviens » récupérés par l’artiste ; de l’autre, elles se voient réintégrées, comme médium, dans un projet de regard sur le monde, un regard résolument contemporain. Cet essai, une fois reconnues ses nouvelles dettes théoriques, s’inscrit dans une recherche sur les liens entre l’art et le sport que nous avons engagée à partir des années 1990 par une série d’articles, d’ouvrages mais aussi d’expositions. C’est pour cette raison que ce livre, outre ce texte, comprend des entretiens avec des artistes ainsi qu’un catalogue d’expo sition. Ce qu’au bout du compte nous souhaitons ici, c’est que les sciences sociales nourrissent une approche qui, si elle devait toutefois se revendiquer d’un champ d’exercice, ce serait celui de la critique d’art. Les lignes qui suivent n’ont de légitimité qu’en tant qu’elles se fondent sur une fréquen tation assidue des œuvres et des artistes, sur ceci qui est le credo de notre discipline : il n’y a pas d’art sans œuvres.
9 Voir, plus loin, l’entretien avec l’artiste ainsi que les notices consacrées aux œuvres présentes dans l’exposition Une Forme olympique.
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Qu’est-ce qu’un jeu ? Qu’est-ce que jouer ?
Le paradoxe ne laisse pas d’étonner. Nul terme plus commun, plus partagé, plus admis, qui n’ait son, voire ses équivalents dans d’innombrables langues, et cependant nulle notion plus difficile à définir. Toute tentative de définition du jeu, et les lignes qui suivent le confirmeront amplement, prête à discussion, pour tout ou partie de ses termes, et il n’est pas d’analyste de quelque importance qui n’ait fondé son approche sur la critique de ses prédécesseurs. À tel point que le découragement guette quiconque s’y frotte, tant par le sentiment d’impossibilité que par un constat d’aporie. Il faut pourtant bien s’en remettre aux auteurs qui ont écrit à ce sujet, quoique sans garantie de succès. Nous ne prétendons pas aboutir ici à une définition générale du jeu, plutôt à tenter d’envisager une part du champ sémantique de cette notion si essentielle sur le plan anthropologique, particulièrement ici dans sa relation avec l’art. S’opposant à l’idée reçue que le jeu ne serait qu’un résidu dégradé de faits sociaux et civilisationnels, largement fondé sur le mimétisme et surtout pratiqué par les enfants, Johan Huizinga soutient que l’esprit de jeu précède la culture et que celle-ci en est pour beaucoup tributaire. « La culture nait sous forme de jeu, la culture, à l’origine, est jouée. »10 « L’attitude ludique doit avoir été présente avant qu’existât une culture humaine ou une faculté de langage et d’expression. »11 Il affirme également que la plupart des faits sociaux, artistiques et intellectuels sont imprégnés de jeu : la philosophie (sagesse), la guerre (au moins jusqu’au xxe siècle : « Le jeu est combat et le combat est jeu. »), la justice, la poésie, la musique… Le sport, cela va sans dire. C’est avec les arts plastiques que, de son point de vue, le lien s’avère le plus difficile à établir. Ainsi, pour Huizinga, plutôt qu’une activité autonome, dérivée des pratiques humaines en tant que divertissement, le jeu constitue l’un des principaux marqueurs de l’expérience des êtres vivants, ce que Schiller, un siècle et demi plus tôt, formulait ainsi : « L’homme ne joue que là où, dans la pleine acception du mot, il est homme, et il n’est tout à fait homme que là où il joue. »12 Sur ces prémisses, l’historien néerlandais propose la définition suivante : « Sous l’angle de la forme, on peut donc, en bref, définir le jeu comme une 10 Huizinga, ibid. 11 Huizinga, ibid. 12 Friedrich von Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, 1795-1796. Quinzième lettre.
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action libre, sentie comme ‹ fictive › et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d’absorber totalement le joueur ; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité, qui s’accomplit dans un temps et dans un espace expressément circonscrits, se déroule avec ordre selon des règles données, et suscite dans la vie des relations de groupes s’entourant volontiers de mystère ou accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel. ». De cette définition fameuse, on s’autorisera toutefois à discuter certains termes. On peut par exemple opposer à Huizinga que les jeux de hasard ou le football professionnel – quand bien même l'historien affirme que le sport professionnel exclut le jeu – ne sont pas dénués d’intérêts matériels. Avancer encore que les jeux sont utiles à l’équilibre de l’individu, à son plaisir, à sa place dans la société. Ou bien que le jeu excède souvent le temps et l’espace dans lesquels on veut le circonscrire. On l’a dit, l’apport spécifique de Roger Caillois, avec Les Jeux et les Hommes, s’inscrit à la fois dans la suite de Huizinga et dans la contestation de la plupart de ses conclusions. C’est cependant moins, nous semble-t-il, dans la stricte définition du jeu, assez proche somme toute de celle du Néerlandais, que dans les catégories qu’il emprunte au jeu pour fonder sa sociologie, que Caillois marque la réflexion. À la caractéristique d’inutilité Caillois préfère celle d’improductivité, notion chère à Georges Bataille13 autant qu’à Marcel Mauss. Ainsi « l’activité improductive » est-elle à rapprocher de la « dépense somptuaire » dont Mauss14 fait le cœur de son analyse du Potlatch, cérémonie du don dans certaines sociétés anciennes où on détruit des richesses afin de montrer sa puissance. Rappelons les quatre caractéristiques du jeu qui, entre autres par leur combinaison, servent à Roger Caillois pour établir sa nomenclature sociologique : 1o la compétition (agôn), 2o le hasard (alea), 3o le simulacre (mimicry), 4o le vertige (ilinx). Le philosophe Stéphane Chauvier15, de son côté, distingue opportunément « jouer » et « jouer à un jeu », le jeu comme comportement et le jeu comme dispositif. Ce dernier suppose un système de règles quand les deux peuvent s’effectuer par rapport à un but. Reprenant de Caillois la catégorie de l’alea (hasard), Chauvier pose ce point fondamental : « Pour qu’un but quelconque soit un but de jeu, il doit, au minimum, pouvoir être manqué. » Si le but 13 Georges Bataille, La Notion de dépense, Les Éditions de Minuit, 1967. 14 Marcel Mauss, Essai sur le don, in Marcel Mauss, sociologie et anthropologie, Presses Universitaires de France, collection Quadrige, 1950. 15 Stéphane Chauvier, Qu’est-ce qu’un jeu ?, Vrin, 2007.
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du jeu est bien de gagner, il ne saurait y avoir de jeu sans l’éventualité de l’échec. Le fait de perdre est rendu possible par ce que Chauvier appelle les « fauteurs d’échec », parmi lesquels il compte l’agôn et l’alea, mais aussi l’imprudence stratégique et l’inhabilité tactique. En s’appuyant sur le rôle central de l’alea souligné par la plupart des auteurs ; en reconnaissant l’incertitude comme primordiale ; en affirmant la primauté de la dimension temporelle dans les pratiques ludiques, on peut avancer que le temps du jeu constitue la contestation la plus forte du temps de la tragédie. Contre Huizinga encore, Stéphane Chauvier, argumentant de la nature téléologiquement close des jeux (ils n’ont d’autre but que leur propre réalisation), exclut de cette classe d’activité les cérémonies sacrées ou les rituels. Cette conception du jeu comme pratique et univers téléologiquement clos ne l’empêche pas de leur accorder une fonction de miroir de l’existence, d’outil et de poste d’observation, ce qu’Alain Caillé résume par cette jolie formule : « L’intérêt premier du jeu est peut-être qu’il permet de savoir (enfin !) à quel jeu l’on joue. »16 En d’autres termes, et de notre point de vue, les jeux peuvent être considérés comme des objets symboliques. En cela, et nous tenterons de le montrer, ils sont une part non négligeable de l’art.
16 Alain Caillé, Jouer/Donner/S’adonner, in L’Esprit du jeu, Revue du MAUSS nº 45, La Découverte/MAUSS, premier semestre 2015.
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Le sport est-il du jeu ? Les sports sont-ils des jeux ?
On ne saurait réduire l’immense amplitude de la notion de sport à l’apparition du substantif « sport », en France, en 1828 et plus encore en 1854, quand fut créé le bimensuel Le Sport. Cette activité humaine qui associe l’exercice physique (dans une moindre mesure cérébrale) et la compétition semble aussi vieille que l’humanité et se mêle inextricablement au jeu qui, à en croire de nombreux auteurs, en est la catégorie assimilante. Pas une région du monde, pas une époque de l’histoire des peuples qui n’aient connu ces compétitions physiques et ludiques, des combats à mort jusqu’à l’agonistique la plus raffinée, des passe-temps bucoliques jusqu’aux sports cérébraux. Il devenait dès lors évident que le sport pouvait se définir, comme le fit George Orwell, par « la guerre moins les coups de feu » ; et qu’à leur amoureuse manière, Don Juan et Casanova, dans la fable comme dans la réalité, furent de grands sportifs. Toutefois le sport, comme phénomène, ne saurait se réduire aux sports en particulier ou à la stricte activité du corps. Le phénomène sportif, et plus encore dans sa période contemporaine, c’est aussi un panel de professions, une organisation associative et institutionnelle, une industrie du spectacle, de l’habillement et de la mode, une manufacture d’objets et d’outils, des architectures, une presse et des médias, un mode de vie, une culture, un objet de recherche et de connaissance, bref une part non négligeable du monde et de la réalité. Nombre des qualités qu’on attribue au jeu s’appliquent également non pas tant au sport en général qu’aux sports en particulier : la circonscription spatiale et temporelle, l’action libre (Huizinga), l’agôn et l’alea, le vertige (Caillois), parmi d’autres. Il en est cependant une sur laquelle tout le monde s’accorde et qui scelle largement leur analogie, c’est la présence, dans le sport comme dans le jeu, de règles. L’un comme l’autre sont, et peut-être avant tout, des activités réglées. Roberte Hamayon : « Tout sport se définit d’abord par les règles qui le constituent. Celles-ci légitiment le sport comme rationalisation du jeu, comme facteur de promotion et de professionnalisation pour qui s’y adonne. »17 Soit. Est-ce pour autant que tout sport comporte du jeu, voire se définit comme un jeu ? Quand il s’agit de la pratique d’un sport spécifique, la langue française dispose de verbes qui nous paraissent déterminer deux 17 Hamayon, ibid.
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catégories : d’un côté « faire » (ou « pratiquer », qui en est le synonyme), de l’autre « jouer à ». Ainsi fait-on du vélo, du judo, de la boxe, de l’athlétisme ou de la planche à voile ; mais on joue au football, au rugby, au basket, au handball, au tennis ou au badminton. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de jeu dans les premiers ? Que les seconds non seulement possèdent une dimension ludique importante mais, de surcroît, sont des jeux ? Et qu’estce qui fait que le football ou le tennis seraient des jeux, et pas le vélo ou la boxe ? Les uns comme les autres sont soumis à des règles. Y aurait-il alors plus de plaisir, moins de souffrance, à « jouer » au foot qu’à « faire » du vélo ? Sans doute, bien qu’on puisse s’interroger sur la pénibilité comparée d’une partie de tennis en cinq sets et d’une compétition de judo. La dimension agonistique ne saurait davantage les distinguer, pas plus que l’aléa, l’incertitude quant à l’issue, l’éventualité de l’échec. Ce qui, peutêtre, caractérise le mieux la part ludique du sport, de façon générale, c’est une sorte de légèreté, ce côté primesautier, momentanément gratuit, qui surprend le boxeur au milieu du round, qui fait que les coureurs cyclistes, taquins, « frottent », comme on dit dans le peloton. Cette innocence qui vient rafraîchir le plus blasé des footballeurs professionnels et le rappelle au bon souvenir de l’enfant qu’il fut dans la cour de l’école, dans la rue du village ou du quartier ; cela qui, au-delà du métier, le fait encore jouer ! Le jeu imprègne le tissu vivant du sport en empruntant une infinité de chemins, de manières et de ruses. Il le fait en perturbant la prévisibilité des actions, en posant des règles mais aussi en les contournant. Si l’on admet que tricher est l’antonyme de jouer, rien n’interdit de jouer à tricher. Ce qui fait que tous les sports, d’une manière ou d’une autre, sont des jeux, c’est que, par-delà les contraintes qui les emprisonnent, par-delà le cynisme et le mauvais esprit, l’agressivité dont les adeptes font preuve, y compris au plus modeste niveau de compétition, par-delà la « gladiatorisation » des spectacles sportifs, c’est qu’ils restent, fut-ce imperceptiblement, des activités libres. Libres parce que « fictives », réalisées dans un cadre spatio-temporel qui les situe, non pas en dehors de la vie réelle, mais dans une niche très particulière, mentale autant que physique, qui, au cœur de l’expérience humaine, en est comme une représentation, une possibilité d’essai (et à ce titre jamais fatale), une manière de tester le monde, un point de vue pour l’observer tout en le « pratiquant ». À ce stade, si on peut dire, le sport, le jeu, le sport comme jeu, le jeu dans le sport, touchent nécessairement à certaines caractéristiques de l’art.
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Les règles du jeu/Dans les règles de l’art
D’une manière générale, on l’a vu, il y a du jeu dans le sport, et certains sports sont des jeux. Si l’on adjoint à ce binôme le troisième terme de notre étude, c’est-à-dire l’art, dans sa relation sémantique non pas au sport18 mais au jeu, qu’observe-t-on ? À première vue, peu de choses, si l’on excepte le mélange olympique, et plus largement hellénique, des compétitions physiques appelées Jeux et des joutes poétiques, sans oublier la production constante de sculptures en l’honneur des dieux. Nous y reviendrons. Ajoutons à cela quelques analogies lexicales : jouer avec les formes et les couleurs, réaliser des performances… Le terme de « performance », commun aux deux champs, est, on le sait, un faux ami ; il en sera question plus loin. Alors, que nous reste-t-il qui puisse justifier cet essai sur le rapport art/sport/jeu et, précisément ici, sur la relation art/jeu ? Deux choses, guère plus, mais elles sont essentielles. C’est, d’une part, la question de la représentation et, d’autre part, celle des règles. C’est Aristote19 le premier, et contre Platon, qui affirma que l’imitation était naturelle à l’homme, qu’elle constituait par ailleurs une source de plaisir et de connaissance. Disant ainsi, il songeait à la poésie et au théâtre, mais aussi aux arts plastiques, et il reconnaissait à ces derniers une certaine dimension ludique : le jeu de l’imitation (simulacre) parfois nourri de compétition (agôn). Moins d’un siècle avant lui vécut le peintre Zeuxis, dont il reste des légendes plus que des œuvres. On raconte20 que lors d’une joute artistique avec son collègue Parrhasios, il peignit des raisins si réalistes que les oiseaux vinrent les picorer. Son concurrent, lui, se contenta de peindre un rideau ; mais il faut croire qu’il le fit plus parfait encore, puisque Zeuxis demanda qu’on le tirât afin qu’on pût admirer le tableau. Si le trompe-l’œil est un jeu, il est destiné à abuser le regardeur. Les meilleurs s’y laissent prendre mais la plupart pourtant… jouent le jeu, ravis d’être bluffés. En quoi la représentation, mimétique ou non, est-elle source de plaisir et de connaissance ? C’est une question à laquelle Freud et surtout Winnicott 18 Les liens de l’art et du sport ont été analysés dans La Beauté du geste et nous avions abouti à ce constat que c’est le sport qui dit quelque chose de l’art, bien plus que l’inverse. Parce qu’il se nourrit toujours de la réalité de son temps, parce que la réalité contemporaine est très largement « sportivisée », l’art a massivement emprunté au sport : des formes, des concepts, des styles, des attitudes, des techniques, etc. 19 Aristote, Poétique, chapitre IV. 20 C’est en particulier Pline l’Ancien (23-79) qui, dans son Histoire naturelle, relate le fait.
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ont apporté des éléments décisifs de réponse, que nous évoquerons en conclusion de ce texte. Ces réponses sont d’une telle importance qu’elles pourraient bien servir à formuler la thèse que nous cherchons à établir ici. Toutefois, ce qui plus que tout, et quoique de manière asymétrique, permet de rapprocher l’art du jeu, c’est bien un usage commun de règles. Celles qui fondent les jeux sont connues, à commencer par la plus paradoxale : l’absence de règles (jouer à la poupée, aux cow-boys et aux indiens…). Elles varient d’un jeu à l’autre mais partagent l’impératif ontologique de devoir être respectées (sinon « ce n’est plus du jeu »). Quant aux règles de l’art, elles s’avèrent autrement plus difficiles à identifier, tant elles semblent appartenir au socle même de cette activité, tant règles et art paraissent ne faire qu’un ; tant, enfin, leur existence reste irrémédiablement inconciliable. L’art en effet, du moins dans sa période moderne et plus encore contemporaine, a justement consisté à contrevenir aux règles, à briser les codes et les attentes. Or, pour concevoir l’idée même de se jouer des règles, il faut bien que ces dernières existent. Longtemps, elles furent dictées à l’art par les puissances commanditaires : le pouvoir religieux et la richesse des princes. Michael Baxandall21 montre comment, entre les artistes du Quattrocento et leurs clients, s’était instauré un jeu aux règles très précises qui concernaient les sujets à représenter, la manière de les exécuter, les couleurs employées, leur quantité, etc. Les directives imposées par l’Académie, au xviie siècle français, n’étaient pas moins contraignantes, et c’est par leur contestation qu’apparurent les premiers signes d’un art centré sur l’offre plus que sur la seule commande. Ces artistes eurent nom, en France et ailleurs, Goya, Watteau, puis Géricault, et la suite romantique, Courbet, Turner et jusqu’aux impressionnistes. Tous se jouèrent des règles et, par des moyens inédits et adaptés à leur projet, placèrent en premier l’expression de soi, à tout le moins les marques inédites du temps nouveau qui était le leur. Mais si la contestation permanente des règles et des prescriptions académiques trouva un terrain favorable dans les soubresauts de la démocratie naissante, la servitude volontaire, Sade le montra amplement, n’avait pas dit son dernier mot, y compris, et c’est ce qui nous intéresse ici, dans sa revendication au nom de la liberté et de l’initiative personnelles des artistes. Ainsi, très vite, dès Monet, ses Meules et ses Cathédrales de Rouen, les artistes instaurèrent des variations, prémices des séries, où le jeu prenait toute sa part et son rôle structurant. Variations et jeux encore quand Marey et Muybridge, savants et photographes, décomposèrent le 21 Michael Baxandall, L’Œil du Quattrocento, Paris, Gallimard, 1972, 1985, pour la traduction française.
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mouvement ; jeu et sport. Peu à peu, intériorisant la contrainte, les peintres en particulier surent inventer de nouvelles règles du jeu, outil fécond, s’il en fut, quant à la production de nouvelles formes, de nouveaux tableaux. Cadavres exquis des surréalistes, frottages de Max Ernst, jeux de pliages de Simon Hantaï, dripping (sportif) de Pollock, motifs systématiques issus de contraintes extra-picturales chez François Morellet ; tant d’autres qui, de près ou de loin, le plus souvent sans le savoir, œuvraient dans le voisinage et dans l’esprit du plus joueur des écrivains du xxe siècle, Georges Perec, l’oulipien. Joueur de go et cruciverbiste (également verbicruciste), il n’est pas étonnant que l’un des motifs tissés dans son chef-d’œuvre, W ou le Souvenir d’enfance22, soit une métaphore du totalitarisme, sous les traits d’une société insulaire entièrement vouée à l’idéal olympique. Perec aura trouvé dans les jeux de langage, en immense rhétoriqueur qu’il fut, l’outil nécessaire à la reconstruction d’un monde, le sien, ravagé par la guerre et la Shoah. La Disparition23, par exemple, lipogramme en e, derrière l’histoire vaguement policière qu’il raconte, met en scène l’absence du e, la plus utilisée, et de loin, des voyelles françaises, dont on voit aussi qu’il compose l’essentiel des voyelles de… Georges Perec. Quand Morellet décide que l’attribution des deux couleurs de chaque petit carré de son tableau de style géométrique abstrait serait déterminée par les numéros pairs ou impairs d’un annuaire du Maine-et-Loire24, il s’abandonne au hasard (alea) et renonce à la posture héroïque et agonistique de l’artiste démiurge. Mais il le fait dans les règles de l’art quoique selon les règles d’un jeu qu’il a lui-même inventées. Le hasard qui, entre autres par le jeu de dés, marqua si profondément les hommes et leur relation aux dieux antiques (nonobstant la naissance de la tragédie), fut violemment censuré par les monothéismes. Il constitue pourtant une part essentielle de l’art, sans laquelle André Malraux n’aurait jamais pu affirmer que « l’art est un anti-destin ».
22 Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfance, Denoël, 1975. 23 Georges Perec, La Disparition, Denoël, 1969, puis Gallimard, 1989. 24 François Morellet, Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone (1961). Impression sérigraphique sur bois, 80 × 80 cm.
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Sports et jeu(x) en quatre stades
Ce n’est pas ici le lieu de raconter l’histoire de la relation art/sport/jeu à travers les siècles, mais simplement de signaler quelques points de focalisation de ce rapport susceptibles de le fonder plus solidement. Le temps des Jeux olympiques et helléniques. C’est un fait que les Jeux
helléniques ne se réduisaient pas à des compétitions physiques, substituts éphémères aux guerres continuelles que se livraient les cités grecques. Intimement liés aux rituels religieux, ceux-ci ont entraîné la création de véritables écoles de sculpture, celle de Phidias à Olympie étant la plus connue. Les sites sportifs constituaient de ce fait des sortes de musées où les champions autant que les dieux avaient droit à leur statue. Contrairement aux Jeux olympiques, exclusivement centrés sur l’agôn physique et placés sous le patronage de Zeus, les Jeux pythiques, à Delphes, étaient dédiés à Apollon et se caractérisaient davantage par des joutes musicales et poétiques que par les seuls affrontements physiques, qui n’apparurent que dans un second temps. Ainsi sport/jeu et art participaient-ils d’une même culture de l’accomplissement de l’individu, à l’opposé du clivage « high and low » qui est la marque de notre époque, faisant du sport une activité vulgaire et de l’art une culture distinguée. Le temps du caoutchouc chez les Mayas et les Aztèques. Les jeux de balle
sont une pratique très ancienne (IIe millénaire avant notre ère) chez les peuples précolombiens, les Mayas principalement, puis les Aztèques. Pratiqués depuis près de deux millénaires avant J.C., leur apogée peut être situé entre le xe et le xiiie siècle, et leur déclin correspond à la conquête de l’Amérique centrale par les Européens, aux xve et xvie siècles, ces derniers découvrant à la fois les pratiques rituelles et sportives, et le fameux latex. On dénombre à ce jour environ 2 000 stades, preuve de la place majeure qu’occupaient ces jeux en Méso-Amérique préhispanique. Les joueurs, à l’instar des athlètes grecs, sont couramment représentés sur les stèles ou les contremarches des escaliers. Ils s’affrontaient en deux équipes dont les membres s’échangeaient une lourde balle en caoutchouc, matière sacrée, qui ne devait pas toucher le sol et pour la maîtrise de laquelle pieds et mains étaient interdits. Le summum consistait à faire passer la balle dans un petit cercle de pierre fixé en hauteur. La rotondité de cette balle s’articulait à la dimension fortement rituelle du jeu, le terrain représentant la Terre, entre ciel et limite des bas-fonds. Les vaincus étaient passibles de mort par décapitation. On notera, dans l’articulation symbolique des sphères, que le globe crânien servit dans de nombreuses cultures de balle pour le jeu. 27
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Ces jeux servirent par ailleurs de moyen de négociations et d’échanges, tant économiques que politiques. C’est de ces pratiques anciennes que s’inspire l’artiste Éric Giraudet de Boudemange pour son ensemble d’œuvres (sculptures et performance), Chroniques du rebond [CAT. P. 32, 80]. Le temps du calcio florentin. L’historien Horst Bredekamp25 montre que
s’il ne faut pas considérer le calcio fiorentino comme l’ancêtre du football mais plutôt comme une variante de celui-ci, il fut l’élément essentiel des prodigieux spectacles que les Médicis offraient aux Florentins entre le xve et le xviie siècle, au meilleur de la Renaissance italienne. « Calcio » signifie « coup de pied ». C’était à l’origine une pratique républicaine, récupérée ensuite par la célèbre famille régnante. La cérémonie comportait une parade, immense défilé magnifiquement costumé, puis le match pro prement dit, l’un et l’autre inséparables. L’influence du calcio était telle sur la société florentine que Bredekamp peut écrire que « la somptuosité de la mise en scène a sans doute fait conclure (…) que ce n’est pas le rituel du calcio qui imite le cérémonial de la cour, mais bien plutôt l’inverse ». On le voit, Huizinga n’est pas loin, qui affirmait que le jeu préexiste à la culture. Le calcio constitue par ailleurs l’un des meilleurs exemples du lien intime entre sport, jeu et art. Fait social total, comme aurait dit Marcel Mauss, mais aussi œuvre d’art totale, il réunit en une représentation globale autant l’art appliqué des costumes et des coiffures, que les objets de parade, le décor des places et les sculptures des palais qui les bordent. De même, il donne lieu à de nombreuses tapisseries et gravures, dont celles du Français Jacques Callot sont bien connues26. Le ballon rond rappelle également, on le sait, les rotondités du globe terrestre et de la voûte céleste, justifiant ainsi sa présence jusque dans les armoiries et les attributs de la souveraineté chez les Médicis, Cosme en particulier dont le nom même évoque le cosmos. Le temps de la modernité. « Le sport est apparu comme une pratique saine
du corps au moment où les attaques séculaires contre le jeu avaient fini par réussir à le discréditer. (…) Aussi est-il courant d’entendre dire que c’est en devenant des sports que bien des jeux ont acquis leurs lettres de noblesse. »27 C’est ainsi que Roberte Hamayon retrace l’histoire de la réprobation des jeux par les premiers Pères de l’Église chrétienne. Ces condamnations, qui remontent à Aristote (Éthique à Nicomaque), visent 25 Bredekamp, ibid. 26 Jacques Callot, Calcio sur la Piazza Santa Croce, in Capricci di varie figure (1617 et 1623). Eaux-fortes. 27 Hamayon, ibid.
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principalement les jeux du cirque à Rome et aboutissent au décret les abolissant (ceux du cirque mais également les Jeux olympiques), entraînant ainsi la fermeture des stades par Théodose Ier en 393. Spectateurs autant qu’acteurs étaient visés pour le motif principal d’idolâtrie28. Dix-sept siècles plus tard, quand les jeux (au sens large du terme) se voient réhabilités sous la forme institutionnalisée du sport29, on ne s’étonnera pas de la restauration des Jeux olympiques par le baron de Coubertin. Mais le débat est loin d’être clos puisque depuis les années 1960, à partir de la publication de La Société du spectacle30, des voix continuent de s’élever pour condamner le spectacle sportif, cette fois moins au nom de l’idolâtrie que de l’aliénation dont il est le symbole et de l’argent dont il illustre l’usage massif et cynique. Le sociologue Jean-Marie Brohm dans Quel corps ?, la revue qu’il fonda en 1975, et dans nombre de ses livres, fut l’un des pionniers de cette approche critique du sport contemporain. La réhabilitation des jeux, via le sport, débute au milieu du xixe siècle quand le sport lui-même, issu d’une histoire spécifique, s’impose progres sivement par son organisation sociale et institutionnelle : naissance de la presse sportive, formation des clubs, organisation des compétitions et des championnats, etc. « On peut dire d’une manière générale que le monde du sport s’est constitué à partir du jeu en lui ôtant toute référence religieuse, toute fonction représentationnelle ; il a voulu être pleinement et uniquement game. Cependant, voulant lier à l’exercice physique des valeurs indispensables à la stabilité de la société, il a développé une morale sociale qui a pris la place de la représentation religieuse. De ce fait, tout sport finit par avoir quelque chose de rituel malgré lui, à devenir une représentation ne serait-ce que de l’identité collective des joueurs. On pourrait donc analyser les matchs de football et leurs retransmissions télévisées aussi sous l’angle du play. »31 Nous avons à maintes reprises souligné la concomitance de l’émergence du sport et de celle de l’art moderne au début des années 1860. Insistons 28 Tertullien, Traité sur les spectacles, fin du IIe siècle. 29 « La déconstruction de la notion de jeu avait abouti, d’une part, à instituer les jeux agonistiques en art chevaleresque ou militaire autonome ; se préparait ainsi leur future réorganisation sous le nom de ‹ sport ›, dépouillé des connotations négatives résultant de l’aspect play du jeu, centré sur sa dimension compétitive et sur les exigences qui en découlent quant au comportement. » R. Hamayon, Petit pas de côté, in L’esprit du jeu, Revue du MAUSS nº 45, La Découverte/MAUSS, premier semestre 2015. 30 Guy Debord, La Société du spectacle, Buchet-Chastel, 1967. 31 Hamayon, Petit pas de côté, in L’Esprit du jeu, Revue du MAUSS nº 45, La Découverte/MAUSS, premier semestre 2015.
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sur ce point qui pourrait bien esquisser une définition de la modernité. Tristan Garcia, dans La Vie intense32, caractérise l’homme moderne par le souci d’intensité (« être intensément ce qu’on est »). Parmi d’autres domaines, il voit dans le sport, dans l’art également, les champs d’application les plus visibles de cette « obsession moderne ». Le sport, sous le fallacieux prétexte d’une renaissance de l’idéal olympique antique, est l’activité par laquelle l’homme moderne s’accélère sans autre objectif que celui de l’accélération. Une accélération exacerbée par les progrès techniques des instruments de mesure et qui conduit à ce qu’Alain Ehrenberg appelle « le culte de la performance »33, cet impératif moderne du dépassement de soi qu’Isabelle Queval34 oppose à l’accomplissement des Anciens. Or, la généralisation de cette tendance, via la démocratisation des sociétés occidentales, correspond à une inflexion semblable dans l’histoire de l’art. L’Olympia de Manet est le principal coup de semonce, bien différent de la rébellion de Courbet, à l’adresse des positions établies, suivi de peu par l’impressionnisme qui les sapera, annonçant le début d’un cycle qu’on a appelé « les avant-gardes » et qui vont instaurer l’impératif du rapide, du fort et du nouveau, pas très éloigné du fameux « citius, altius, fortius ». Cette devise, empruntée par le baron de Coubertin à l’abbé Didon, dominicain passionné de sport et co-refondateur des Jeux olympiques, assumait pourtant sans sourciller la trahison de l’idéal antique, fondé, comme il vient d’être dit, non sur le dépassement mais sur l’accomplissement. Car l’expression même de « jeux olympiques » retient le terme « jeu » (certes jocus plus que ludus) et non celui de « sport », qui s’imposait pourtant depuis quelques décennies. Paradoxalement, le jeu (que ce soit les jeux constitués ou l’esprit du jeu) est devenu l’impensé du sport et, plus étonnant encore après tous ces siècles de condamnation et de calomnie, la part positive, quasi édénique, d’un sport rongé par la corruption, miné par la fuite en avant, le dopage et la spectacularisation.
32 Tristan Garcia, La Vie intense : une obsession moderne, Autrement, 2016. 33 Alain Ehrenberg, Le Culte de la performance, Hachette Littérature/Pluriel, 1991. 34 Isabelle Queval, S’accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport contemporain, Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines, 2004.
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Jeux, sports et œuvres d’art sur les différents registres de la représentation
Le tournoi médiéval reste peut-être l’un des meilleurs exemples de synthèse entre sport, jeu et spectacle codé. S’il se tient au plus près des caractéristiques de la guerre, il n’en reste pas moins une représentation, elle-même largement reproduite par les arts de la peinture, de la gravure, de l’enluminure ou de la tapisserie. Toutefois ce lien entre l’art et le jeu (le sport tout autant, si on s’autorise l’usage d’un terme anachronique), hormis sa dimension spectaculaire, le spectacle comme œuvre d’art total, n’apparaît vraiment dans la peinture que par la fonction illustrative et documentaire de celle-ci. Ce sera plus ou moins le cas tout au long des siècles suivants, jusqu’à l’époque contemporaine et les reconsidérations dont elle fut le théâtre. À vrai dire, jeux et activités physiques apparaissent rarement comme de véritables sujets et n’interviennent que très peu dans le processus de symbolisation. Il convient cependant de retenir quelques œuvres majeures au sein desquelles se jouent de multiples interactions entre le jeu, la guerre, la construction du tableau et les codes de la représentation. L’exemple le plus frappant est donné par les trois panneaux de Paolo Uccello, chacun connu sous le nom de La Bataille de San Romano35. Le jeu de la guerre et la guerre comme spectacle quasi théâtral viennent ici structurer une peinture où les lances érigées servent de traits, brisées, de pavements qui, comme les corps gisants, sont le lieu d’expérimentations fondatrices de la perspective codifiée. Les Jeux d’enfants36 de Pieter Bruegel l’Ancien excèdent, eux aussi, la seule illustration, et si leur valeur documentaire ne fait aucun doute, ils sont également le sujet d’un tableau dans la spécificité de son élaboration et dans la logique plus générale d’une œuvre dont ils constituent comme un manifeste. En effet, la dimension encyclopédique s’articule à une conception de l’occupation de la surface qui, tout en intégrant les acquis de la perspective monoculaire, annonce certaines formes modernes de structuration du tableau, de l’impressionnisme au all-over en passant par le cubisme. Chez Bruegel, jeux et sport se mêlent sans distinction, comme dans Gargantua et dans toute la tradition humaniste. On l’a dit et redit, la modernité se fonde, entre autres, sur la double émergence d’un art en rupture et du sport en phase d’organisation économique et sociale. Le goût du plein air est le trait commun à ces deux types d’expérience 35 Paolo Uccello, La Bataille de San Romano (vers 1456). Détrempe sur bois, environ 2 × 3 m. Londres, National Gallery. Paris, musée du Louvre. Florence, musée des Offices. 36 Pieter Bruegel l’Ancien, Les Jeux d’enfants (1560). Huile sur bois, 116 × 161 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum.
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auxquelles on aspire, tant chez les riches fatigués des sombres paysages romantiques que dans les masses prolétaires, emprisonnées dans les manufactures. Autant que la presse sportive, ce sont les artistes et les écrivains qui donneront forme à cette inclination nouvelle. Maupassant, joueur autant que champion de canotage, est un assidu des bords de Marne. Manet puis Monet et Caillebotte peindront les régates, et Cézanne, les baigneurs ; Degas les jockeys. On a sans doute un peu exagéré ce point, mais la plupart ont pris goût à l’extérieur, sortant de l’atelier pour aller peindre et dessiner sur le motif, fichant leur chevalet en pleine nature. La peinture impressionniste, quand elle représente les canotiers et autres amateurs de jeux de plein air, ne se cantonne pas dans un rôle d’enregistrement des motifs d’une époque, ce sont ses fondements mêmes qui en sont affectés : la lumière des impressionnistes est l’émanation directe des jeux physiques, des activités de plein air. De même, à l’aube du xxe siècle, la peinture et la sculpture futuristes, la photographie constructiviste d’un Rodtchenko, puisent leur nature dans les caractéristiques mêmes de leur sujet : mouvement, vitesse, enchaînement des gestes, affrontement, vertige… Plus tard, Yves Klein refusera de séparer sa peinture de sa pratique du judo, faisant de son art un sport de combat. Un autre nouveau réaliste, Gérard Deschamps [CAT. P. 18], mêlera jeux de plage et peinture d’un nouveau genre, aux couleurs joyeuses et aux formes constamment recyclées.
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Performance et performance. Une histoire contemporaine
Il faut attendre les dernières années du xxe siècle pour assister à une interpénétration massive du sport, du jeu et de l’art. Pour des raisons qui tiennent largement à une profonde modification du rapport de l’art à la réalité ambiante, et que nous avons décrites ailleurs37, le sport, mais aussi le jeu, comme nous tenterons de le montrer ici, vont devenir des éléments essentiels dans les processus de création artistique. Le jeu, si on le considère avec Huizinga et Chauvier comme une catégorie assimilante, y compris par rapport à la culture et à la civilisation dans leur ensemble, peut désormais s’assumer ouvertement comme l’un des moteurs de l’art. Pourquoi ? Parce que, depuis les années 1990, l’art en s’affranchissant du dogme moderniste de son autonomie, et sans renier sa spécificité, se réinscrit au cœur de la réalité sociale et plus largement anthropologique. Ainsi la part ludique du sport en général, des sports particuliers, se verra massivement convoquée par des artistes libérés du diktat des représen tations académiques et usant sans restriction des objets et des attitudes que Duchamp avait mis à leur disposition. Ready-made, performance, vidéo, dispositifs divers vont fonder des logiques d’œuvres qui n’illustrent plus le sport et/ou le jeu qu’elles convoquent, mais qui, quoique d’une manière différente de leurs aînés des avant-gardes, font du sport et/ou du jeu un véritable médium. Quelques exemples montreront de quoi il s’agit. À la Biennale de Lyon, en 1993, John Armleder et Olivier Mosset ont exposé une rampe de skateboard laissée à l’usage du public. Quelques années plus tard, Neal Beggs fait de l’escalade le principal médium de son travail, soit sous la forme de performances, soit en installant dans les lieux d’exposition des parcours de grimpe. Dans une vidéo intitulée Power (1999), Salla Tykkä est filmée en boxeuse qui, dans la tenue des hommes, torse nu donc, affronte son sparring-partner, un costaud en tee-shirt. Chasing 1 000 (1994) [CAT. P. 56] est une vidéo où Roderick Buchanan et l’artiste Paul Maguire s’échinent à atteindre 1 000 têtes échangées avec un ballon de basket, le tout sur un parquet américain et en tenue de basketteur. Ce sport et ce jeu représentés là ne sont plus ni un sport ni un jeu, mais un objet inédit qu’on appelle une œuvre d’art. Entre 1997 et 1998, Pascal Rivet, servi par un réel don d’imitateur, joue à Cantona, à Barthez ou à Pantani, comme on le fait, enfant, quand on est Zidane, Messi ou Michael Jordan.
37 Huitorel, ibid.
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Photographies et vidéos rendent compte de ces simulacres. L’une des premières œuvres connues de Maurizio Cattelan38 consiste en un baby-foot pour 22 joueurs sur lequel il fit s’affronter une équipe de foot italienne et un groupe de travailleurs immigrés africains en situation irrégulière. Sur les maillots de ces derniers, le logo du sponsor : Rauss. Massimo Furlan39, en 2002, a rejoué seul, sur un stade, et sans ballon, la finale de la Coupe du monde de 1982 entre l’Allemagne et l’Italie. Une vidéo de l’événement a été réalisée [CAT. P. 62]. Entre 1993 et 1996, Gilles Mahé passe un contrat avec l’architecte Rudy Ricciotti : en échange du paiement de son inscription au golf de Dinard, l’artiste remet au mécène l’ensemble des objets qui concernent sa pratique (tees, feuilles de scores, dessins, certificats divers, photographies, etc.) pour un total de plus de 300 numéros qui constituent l’œuvre intitulée Gilles Mahé joue au golf en pensant à Rudy Ricciotti. Ces exemples sont frappants d’homogénéité et montrent que l’œuvre c’est, dans chacun de ces cas, et pour une part déterminante, le jeu ; le jeu qui, se fondant sur des réalités sportives connues et reconnues de tous, produit des formes nouvelles et spécifiques ; le jeu qui, en revanche, n’est jamais l’œuvre. On rappellera, une fois encore avec Johan Huizinga, que, décidément, jeu et sérieux ne s’opposent pas. Il nous faut cependant nous arrêter sur ce point de lexique que nous avons signalé au début de cet essai et qui concerne la notion de performance. Peu d’analogies, en effet, entre ces faux amis que sont une performance sportive ou économique et la performance telle qu’on l’entend dans le vocabulaire de l’art, et quand bien même certaines actions réalisées par Chris Burden, Gina Pane ou Vito Acconci dans les années 1960 et 1970 relevaient souvent d’une forme d’héroïsme, physique autant que mental40. C’est bien dans ces années qui suivirent le déclin de l’école de New York que se posèrent les bases d’un réexamen du rapport de l’art à la société qui allait permettre, vingt ans plus tard, le recours massif, par les artistes, aux univers du sport et du jeu. Quand Chantal Pontbriand entreprend de définir la performance, voici comment elle commence : « La littéralité du temps et de l’espace est une composante de base. Une performance dure
38 Maurizio Cattelan, Cesena 47 – A.C. Forniture Sud 12 (1991). 39 Massimo Furlan, Numero 23 (2002). 40 Dans Blindfolded Catching (1970), une caméra filme Vito Acconci qui, les yeux bandés, tente de se protéger des balles de tennis dont, à partir du hors champ, on le bombarde de manière ininterrompue.
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souvent le temps du processus qui la sous-tend. »41 Les théoriciens du jeu ne disent pas autre chose de l’objet de leur étude. Toutefois la différence majeure entre une performance artistique et un jeu réside dans le type de représentation auquel l’un et l’autre se rattachent. La plupart des jeux sont, à des degrés divers, des représentations, et en cela susceptibles de devenir des objets symboliques, nous y reviendrons en conclusion. Les performances, elles aussi, y compris les plus littérales par rapport au réel, relèvent du régime de la représentation, au même titre que la peinture classique, quoique de façon différente quant aux cadres dans lesquels on les circonscrit. C’est la nature et les composants de ces objets représentationnels qu’il faudrait décrire en détail afin d’en établir les points communs autant que les différences.
41 Chantal Pontbriand, Introduction : notion(s) de performance, in Performance by Artists, A.A. Bronson, P. Gale, Toronto, Art Metropole, 1979. Repris dans La Performance entre archives et pratiques contemporaines, sous la direction de Janig Bégoc, Nathalie Boulouch et Elvan Zabunyan, PUR/Archives de la critique d’art, 2011.
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Art et jeu (sport ?) comme sources de production symbolique
« Il n’y a pas de sujet, individuel ou collectif, sans mise à distance permettant de se voir et d’être vu, dit ou raconté comme si on était un autre, vu, dit ou raconté par des autres. » Cette distance dont parle Alain Caillé42, c’est celle de la représentation, celle qui, contre les sirènes mortifères de la fusion, permet la constitution des objets symboliques. Celui qui a le mieux décrit le rôle du jeu dans la constitution du sujet, via ce qu’il a nommé les « objets transitionnels », c’est D.W. Winnicott : « Ce à quoi je me réfère, ce n’est pas au bout de tissu, à l’ours en peluche auxquels le bébé a recours ; ce n’est pas tant à l’objet utilisé qu’à l’utilisation de l’objet. »43 Insistant sur le processus et l’interaction, le psychanalyste anglais montre clairement qu’il s’agit là d’une construction dynamique qui, trouvant sa source dans la petite enfance et se lisant plus aisément encore à travers les cas pathologiques, se poursuit tout au long de l’élaboration de l’identité des individus, dans leur quête d’un rapport satisfaisant à la réalité. « Je voudrais introduire ici la notion d’un état intermédiaire entre l’incapacité du petit enfant à reconnaître et à accepter la réalité et la capacité qu’il acquerra progressivement de le faire. C’est pourquoi j’étudie l’essence de l’illusion, celle qui existe chez le petit enfant et qui, chez l’adulte, est inhérente à l’art et à la religion. »44 Ainsi, cet objet comme son usage sont-ils qualifiés d’illusions. Nous parlerions quant à nous plutôt de ruses dans la stratégie d’acceptation de la réalité ou, si l’on veut, d’illusions nécessaires. S’agissant de la religion, on comprend de quoi parle Winnicott, et qui, cependant, n’est pas l’« opium du peuple » dont Marx se moquait. Quant à l’art, le psychanalyste le rattache à ce qu’il nomme les « expériences culturelles », qui relèvent de la créativité. C’est cette créativité qu’il place au centre de son investigation, cœur du sujet véritablement constitué, et qui s’amorce dans ces stades intermédiaires où l’enfant construit son mode d’accès au réel dont l’outil principal est le jeu. « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière. C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi. »45 42 Alain Caillé, Anthropologie du don, La Découverte, 2007. 43 Winnicott, ibid. 44 Winnicott, ibid. 45 Winnicott, ibid.
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Au bout du compte, si le sport a pu fournir à l’art pléthore de motifs, de processus, de métaphores, de concepts et de formes, c’est vraisemblablement le jeu, y compris dans la part ludique du sport, qui parvient aux véritables représentations. Et c’est bien cette part ludique du sport, et non le sport lui-même, qui fait qu’un match de tennis ou un combat de boxe peuvent s’ériger en représentations, sinon en objets symboliques. Dans le tennis, par exemple, c’est moins le strict effort physique ou la technique que les règles du jeu, que toutes les caractéristiques du jeu, qui hissent ce sport au niveau métaphorique et fictif d’une image de la vie. Le jeu, en effet, de par sa circonscription spatio-temporelle, de par sa dimension fictive, de par aussi sa capacité à faire comme si (simulacre), de par enfin sa qualité d’action libre, le jeu donc, est une activité capable de produire du décalage, un pas de côté, un outil pour mieux voir le monde. « Un miroir qu’on promène le long d’un chemin », écrivait Stendhal à propos du roman. Stéphane Chauvier ne dit pas autre chose : « Les jeux sont un miroir de l’existence. (…) Ce que l’on voit dans les jeux nous offre un contraste significatif pour voir comment les choses se passent en dehors des jeux. »46 C’est parce que les jeux sont téléologiquement clos, parce qu’ils n’influent pas directement sur le cours de notre existence (je peux perdre une partie de cartes sans que cela ait des conséquences néfastes sur ma vie47) qu’ils créent un outil formidable pour appréhender le réel. Cette ligne rouge qui existe toujours entre le jeu et la vie (quand elle est franchie, on dit que ce n’est plus du jeu), c’est également celle qui sépare l’art de la vie courante, de la réalité. Et c’est parce que l’art, pour être parfois semblable à la vie, ne fusionne jamais avec l’existence réelle, qu’il demeure, grâce à la spécificité de sa nature, l’un des outils les plus précieux dans l’élaboration des sociétés humaines. Si cette ligne de défense était enfoncée, ce serait une régression semblable à celle qui frappe certains jeunes enfants dans la nostalgie indépassable de la fusion avec la mère. Allan Kaprow 48 est celui qui a poussé le plus loin l’expérimentation de la proximité de l’art et de la vie. Il fut l’un des inventeurs du happening (où le rôle du hasard est essentiel) et de la performance ; il érigea en œuvres d’art de simples actions quotidiennes, comme celle de se brosser les dents. Bien sûr, se brosser les dents n’est pas a priori de l’art, c’est la vie, tout simplement. 46 Chauvier, ibid. 47 On nous rétorquera que c’est loin d’être toujours vrai si l’on songe aux drames que provoquent l’addiction aux jeux d’argent, dont il conviendrait de mieux définir la part ludique, fut-elle la plus sombre. 48 Allan Kaprow (1927-2006). Allan Kaprow, L’Art et la vie confondus, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996. Textes réunis par Jeff Kelley et traduits par Jacques Donguy.
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Mais quand on prétend que l’action de se brosser les dents est une œuvre d’art, elle le devient de ce seul fait, et Kaprow peut alors revendiquer un art semblable à la vie. Il en propose simplement une version très réaliste, sans doute la plus réaliste jamais vue, un ready-made des actions du quotidien. Quand, en 1991, Matthew Barney 49 escalade, nu, les murs et les plafonds de la galerie de Barbara Gladstone, à New York, il donne une représen tation de l’acte d’escalader et le circonscrit dans le monde de l’art : il joue à l’escaladeur. Et ce faisant, il produit une forme symbolique, d’autant plus symbolique que l’action est réalisée sans le public, qui n’en prend connaissance que par l’intermédiaire, second médium, d’un écran où les images sont retransmises. Ainsi, dans le cas de Barney, qui fut par ailleurs un grand sportif, c’est moins le sport qui produit de la représentation que le jeu. On pourrait multiplier les exemples. On pourrait aussi argumenter par la négative. Le combat de boxe qui opposa le dadaïste Arthur Cravan au champion américain Jack Johnson en 1916 à Barcelone, et nonobstant le fait que Cravan était poète et sans doute peintre, ne saurait être considéré comme une œuvre d’art. Ce fut juste une pantalonnade misérable, un non match, une escroquerie, semble-t-il fomentée par les deux adversaires dans l’unique but de se renflouer financièrement50. Ainsi le jeu, dès le plus jeune âge des hommes, puis l’art, les rituels de toutes sortes, servent-ils d’intercesseurs entre l’individu et le monde, entre le sujet et le réel, un stade intermédiaire indispensable à cette entreprise de séparation sans laquelle il n’est pas d’identité libre. On laissera chacun juger de la pertinence et de l’efficacité de ces médiations, mais il convient d’insister sur ce point : les représentations qui peuplent ces espaces transitionnels ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi et elles rendent possible le meilleur comme le pire. On sait qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. Ni le jeu ni l’art, le sport pas davantage, en effet, ne sont à considérer à l’aune de la morale ou des valeurs. Seuls ou articulés entre eux, ils sont antérieurs aux valeurs spécifiques, à l’information dont on ne tarde pas à les doter. Préexistant donc à ces formes qu’on appelle des œuvres, des œuvres d’art en ce qui concerne le sujet de cet essai, ils contribuent pour une part décisive à la production de ces formes symboliques sans lesquelles nulle société ne pourrait survivre. Que ces formes puissent s’avérer nuisibles à la vie sociale et aux êtres qui la fondent, répétons-le, c’est une triste évidence, mais combattre les 49 Matthew Barney, Mile High Threshold: flight with the anal sadistic warrior (1991). 50 Cravan refusa l’affrontement, fuyant devant les coups de son adversaire qui parvint toutefois à le mettre K.-O.
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dérives des représentations relève du combat politique et il n’y a de lutte possible, d’éthique envisageable, que sur la base de formes symboliques constituées. Reconnaître les signes et se délecter (car il s’agit bien d’une reconnaissance délectable) d’objets qui, à leur façon très spécifique, sont autant de points de vue, c’est pouvoir, grâce aux formes pensées, se représenter la réalité, c’est-à-dire envisager le monde.
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Bibliographie sommaire Bredekamp (Horst), Le Football florentin. Les Jeux et le Pouvoir à la Renaissance, Paris, Diderot éditeur, Arts et sciences, 1995.
Garcia (Tristan), La Vie intense, Une obsession moderne, Paris, Autrement, 2016.
Caillé (Alain), Anthropologie du don, Paris, La Découverte, 2007.
Hamayon (Roberte), Jouer. Une étude anthropologique, Paris, La Découverte/ Bibliothèque du MAUSS, 2012.
Caillois (Roger), Les Jeux et les Hommes, Paris, Gallimard, 1958, Folio Essais, 2014.
Huizinga (Johan), Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1951, collection Tel, 1988.
Chauvier (Stéphane), Qu’est-ce qu’un jeu ?, Paris, Vrin, 2007.
Huitorel (Jean-Marc), Les Règles du jeu. Le peintre et la contrainte, Caen, Frac de Basse-Normandie, 1999.
Collectif (dir. Vincent Romagny), Anthologie. Aires de jeux d’artistes, Paris Infolio, 2010. Collectif, L’Esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner, Revue du MAUSS no 45, Paris, La Découverte/MAUSS, 2015. Collectif, It’s Playtime, Amsterdam, Fucking Good Art #31, 2014. Decker (Wolfgang) et Thuillier (Jean-Paul), Le Sport dans l’Antiquité. Égypte, Grèce, Rome, Paris, Picard (collection Antiqua), 2004. Durry (Jean), Almanach du sport, Paris, Encyclopædia Universalis, 1996. Ehrenberg (Alain), Le Culte de la performance, Paris, Calmann-Lévy, 1991, Hachette Littératures (collection Pluriel), 1996. Fink (Eugen), Le Jeu comme symbole du monde, Paris, Les Éditions de Minuit, 1966. Freud (Sigmund), Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988, Folio Essais, 1992.
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Éric Giraudet de Boudemange Paris, 22 septembre 2016.
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Jean-Marc Huitorel Éric, peux-tu définir en quelques mots les domaines
que tu convoques pour concevoir tes œuvres ? Éric Giraudet de Boudemange C’est d’abord, en général, une expé-
rience de terrain, une expérience ethnographique. Ça m’intéresse d’aller chercher des gens qui pratiquent une activité spécifique à un endroit donné. Récemment, je me suis beaucoup intéressé aux jeux traditionnels, rares ou cachés, en France, mais aussi en Belgique ou aux Pays-Bas, pays où je me suis trouvé lors de mes études au Fresnoy puis à la Rijksakademie. Je les utilise comme des outils pour révéler des choses par rapport aux contextes et aux territoires où ils se tiennent. J’ai commencé par un jeu qui était pratiqué par des mineurs du NordPas-de-Calais alors que les mines avaient cessé leur activité depuis plus de quarante ans. J’avais été invité dans la région pour réaliser un travail photographique, et l’on m’a parlé de ces gens qui jouent encore au billon. Je me suis senti comme un ethnologue témoin de chants d’une tribu au milieu de la forêt amazonienne, découvrant ce jeu directement hérité du travail des charpentiers dans la mine. Ce qui m’a captivé, c’est d’abord que ce jeu était en train de disparaître, mais aussi le fait qu’il s’agissait du dernier geste ouvrier sur ce territoire. Ce qui me passionne dans ces jeux dits traditionnels, c’est qu’il s’agit d’une affirmation, voire d’une résistance, identitaire d’un groupe, liée à un contexte historique et social. Ces pratiques s’inscrivent également dans une tradition historique, comme les archers du Nord-Pas-deCalais qui s’adonnent au « tir à l’arc à la perche verticale »1, dont je me suis inspiré pour ma pièce Birds (2013). Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que ces traditions se réclament d’une origine aristocratique mais elles sont exercées par des gens du peuple, opérant ainsi une sorte de renversement, d’inversion des classes. Je vais aussi te parler du « javelot » : très populaire au Moyen Âge, en perte de vitesse à la fin du xixe, c’est un jeu de fléchettes géantes que l’on lançait sur des blocs de peuplier2. Quand les mineurs se sont aperçus que la pointe des fléchettes ressemblait à leur outil de piqueur, ils se sont contentés de placer des plumes de dindon au bout 1 Au sommet d’une perche d’une trentaine de mètres de haut se trouve une structure où sont accrochés des bouchons de liège plumés, appelés les « oiseaux », et sur lesquels on tire avec des flèches à bout plat. Chaque année se dispute le « tir du roy », désignant le champion de la société. Lors de ce concours, tous les « oiseaux » en partie basse sont retirés pour ne laisser que l’oiseau supérieur, nommé « coq ». L’archer qui parvient à faire tomber le « coq » devient le roy de l'année. 2 À l’origine d’une autre pièce de l’artiste.
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de leur pique pour recréer les javelots, se réappropriant ainsi, par le prisme de l’outil de travail, un jeu qui existait par ailleurs. Les gens trouvent à ces jeux des origines plus ou moins légendaires, relevant le plus souvent, d’un imaginaire historique médiéval. Quel est le lien entre ton intérêt pour le territoire et celui pour les jeux ? Ce sont les jeux mais tout autant l’étude du territoire, l’attachement à un territoire qui, d’un point de vue personnel, me posaient des questions. Aux Beaux-Arts, je me suis intéressé à la définition du territoire, à la manière de le montrer. J’ai suivi le cours de Jean-François Chevrier, qui portait davantage sur le documentaire et le photographique. D’ailleurs, j’étais plutôt photographe. Je me suis également intéressé au land art. Robert Smithson était très important pour moi. Étudiant au Fresnoy, j’ai voulu aller photographier les migrants à Calais. J’ai contacté des associations. Au départ, je ne cherchais pas à comprendre les individus, juste à faire des images et les mettre en scène, un peu comme Jeff Wall. J’ ai observé cette violence des gens qui se ruent sur les repas que préparent les associations, la distance qui les sépare des bénévoles alors qu’ils se voient tous les jours, et je me suis dit : « Mais quelle idée de vouloir les prendre en photo ? Comment puis-je faire des images ? ». Le sujet, en plus, était galvaudé, photographié mille fois. C’était aussi un moment particulier, juste après le premier démantèlement de la « jungle ». Je suis resté dans les circuits associatifs, pour aider les migrants, comprendre la ville, frontière historique avec l’Angleterre. Au bout de quelque temps, des images sont devenues possibles. La valeur documentaire a calmé mes velléités formelles du départ. Ce projet m’a fait comprendre l’intérêt de passer du temps, de développer la méthodologie de l’enquête. C’est un peu prétentieux de parler d’ethnographie, c’est plus une sorte de ping-pong entre les témoignages. Je ne cherche pas la vérité, il n’y a rien de scientifique là-dedans. N’y a-t-il pas déjà, derrière cela, une volonté de créer un paysage, un territoire, qui ne soit pas forcément le paysage de la peinture, mais un paysage à ta façon ? Avec pour angle, par la suite, celui des jeux traditionnels… Oui, bien sûr. C’est comme ça que j’ai commencé. Avec cette volonté de traverser le territoire, avec les gestes, la déambulation des migrants qui crée des traces, des trajectoires, des sentiers. Les preuves de leur 50 Entretiens
présence disparaissaient très vite. Le mouvement, comme symptôme d’un territoire ou d’une condition sociale. Je suis tombé dans les jeux traditionnels un peu par hasard, avec ce projet photographique autour du billon. J’y retrouvais un certain nombre de choses auxquelles j’avais pris goût à Calais. C’était un retour dans le Nord alors que j’étais encore à la Rijksakademie. Le jeu du billon rejoignait le projet de Calais dans cette quête des traces. Le projet des battes de billon, par exemple, a consisté à acheter un set de battes et à les colorier en cyan, magenta, jaune et noir, des encres d’imprimerie qu’on utilise en sérigraphie, et d’apprendre à jouer avec les « billoneux », comme on les appelle. Le transfert de la teinte sur les battes a créé cette sorte de couleur énergétique qui est la trace du jeu mais aussi la création d’une image, à la fois donc image et sculpture. Le principe du jeu est celui de la pétanque. Chacun a six battes et il faut se rapprocher le plus du poteau fixe. À l’origine, les battes comportent une petite bande de couleur, soit rouge, soit verte, servant à déterminer les équipes, et qui s’estompe à force de jouer. Tu es donc arrivé au jeu par le biais d’une commande sur le territoire ? C’est parti d’un projet de portrait, dans le cadre d’une résidence3. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Freddy Vallin, le colombophile d’Auby. J’ignorais qu’il existait des courses de pigeons. C’était un univers totalement inconnu pour moi. Freddy Vallin m’a parlé de la manière dont il s’y prend, de son rituel quotidien. Il m’a conduit à son colombier. La course de pigeons dépend surtout de l’habileté de ceux-ci à rentrer chez eux, quand ils sont lâchés d’un endroit qu’ils ne connaissent pas. Bien sûr, je lui ai posé la question : « Mais comment font-ils ? » Le plus étonnant, c’est qu’il ne sait pas. On connaît les éléments de l’équation du sens de l’orientation sans comprendre comment ils s’organisent entre eux. On sait qu’ils ont de la magnétite dans le cerveau, une sorte de boussole interne, qu’ils suivent le soleil, les astres, comme beaucoup d’oiseaux migrateurs, qu’ils ont aussi des cartes olfactives, qu’ils suivent parfois les routes, les marques de l’anthropocène. Cette occupation « sportive » repose ainsi sur un mystère, qui amène à la contemplation, à la méditation, sans doute plus pour moi que pour lui, même si je pense que tout colombophile ressent quelque chose de l’ordre de la magie quand l’oiseau rentre chez lui. 3 Programme Territoires émergents au Centre régional de la photographie Nord-Pas-de-Calais, à Douchy-les-Mines, dirigé à cette époque par Pia Viewing.
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C’est là que j’ai commencé à élaborer des récits plus personnels, où j’ai développé l’idée de cette performance, qui évoque un reportage ethnographique, où je présente un pigeon au public, en expliquant le rituel journalier de Freddy, tout en racontant des histoires autour des labyrinthes. Cette performance s’appelle, en anglais, The Thorn Birds. Pour le Centre Pompidou, j’ai repris le titre de la traduction française du roman : Les oiseaux se cachent pour mourir. Je pars du mythe de Thésée en tendant un élastique entre les spectateurs qui deviennent ainsi eux-mêmes labyrinthe : le fil d’Ariane. Je tiens le pigeon entre les mains, et ça se charge de toute cette mythologie, de Dédale. Je lis aussi des textes de Borges avant de lâcher le pigeon, qui entre dans le labyrinthe du retour à la maison. La première fois que j’ai fait la performance, c’était à Douchy-les-Mines, et il se trouve que le pigeon n’est pas rentré, alors qu’il n’était qu’à 20 km de son pigeonnier. Ça arrive. En fait, j’ai conçu la performance avec les pigeons destinés à mourir. À la fin de la saison des courses, en septembre, Freddy sélectionne les bons pigeons, ceux qui vont s’accoupler avec les bonnes femelles, et inversement. Les autres terminent dans un plat en sauce avec patates et champignons. J’ai utilisé une dizaine de ces « condamnés » que je lâchais pour leur donner une dernière chance… de se perdre dans un labyrinthe paradoxal où, s’ils parvenaient à rentrer chez eux, ils se retrouvaient face au minotaure. Ça, c’est l’histoire que tu racontes à ton public. Après le lâcher de pigeons, on ne voit et on ne sait plus rien. On perd la trace… Bien sûr, oui. En fait, l’idée c’est d’accompagner mentalement l’oiseau qui vole, de créer une projection géographique et mentale. Cette dimension rituelle de contemplation, un peu plus méditative, mythologique, en rapport avec une activité, c’est quelque chose qui, dans mon travail, a commencé à ce moment-là. On peut retrouver cela dans la performance et les œuvres sculpturales des perches, par exemple Illusions of the Frisian Landscape. C’était l’an passé dans le Festival of Sports, un projet de Rieke Vos dans la Frise, région du nord des Pays-Bas. Je me suis d’abord intéressé au sport en lui-même4, à ce geste de balancier. Au moment de la performance des pigeons, j’avais filmé en vidéo des sauteurs à la perche dans un paysage frison « synthétique ». La tradition, c’est de se balader avec une perche en bois 4 Le saut à la perche par-dessus les canaux (le Fierljeppen) consiste à se déplacer dans la campagne muni de ces perches en bois qui servaient à franchir les canaux.
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pour enjamber les canaux qui traversent le paysage, mais le sport qui en découle est une reconstitution schématique du paysage, puisque les sauteurs créent un canal artificiel et un paysage qui permettent le saut idéal : un côté du canal est surélevé, la piste de lancement est prolongée par une avancée sur le canal, au bout de laquelle se trouve la perche, ce qui permet de réaliser ce geste de conquête du paysage, qui est une absurdité par rapport au geste d’origine. Ce qui m’intéresse, en fait, dans ces sports traditionnels, c’est qu’on n’est jamais tout à fait sorti de l’origine première d’un contexte paysager, ouvrier. C’est un geste qui demande une certaine technicité, la technicité du sport, mais aussi, dans un contexte très précis de reconstitution (ici d’un faux paysage où l’on recrée ce geste absurde, pas du tout fonctionnel), c’est une façon de sublimer la traversée du paysage. Tu parles du paysage, mais les gens qui, autrefois, sautaient les canaux à la campagne puis, plus tard, en compétition, eux n’ont pas le souci du paysage, eux se soucient du saut. Là où tu interviens toi, en tant qu’artiste, c’est avec ton souci du paysage. C’est vrai. Je regarde autour quand je les vois sauter. Il y a les petits moutons en train de paître, le moulin : on est dans le paysage classique hollandais. C’est un paysage que tu regardes quand tu ne participes pas toi-même au concours. Quand tu sautes, tu ne te préoccupes plus du paysage, j’imagine. Non, mon attention se concentre bien sur le geste. Mais ça m’intéresse aussi de faire l’expérience du balancier pour voir comment le paysage se resserre au moment du saut, ce qui est vécu par le sauteur. Après mes cours, je vais au bar du club, on m’y parle des dernières utilisations des perches en bois liées à la collecte d’un œuf qu’un oiseau migrateur (le vanneau huppé) vient poser dans cette région. Il se trouve que c’est une tradition qui rejoint des rituels carnavalesques, célébrant le printemps. Le premier qui trouve l’œuf du vanneau huppé doit le porter au préfet, qui le place dans une bassine. S’il flotte, c’est qu’il est frais, et la personne reçoit un prix. La tradition est en passe de disparaître à cause de la suppression des quotas laitiers qui engendre une surproduction laitière, donc, davantage de vaches dans les prés, entraînant une coupe plus précoce de l’herbe, qui empêche les oiseaux de nicher, puisque les œufs sont à même le sol. 53 Entretiens
Et toi, que fais-tu de tout ça ? Moi, je réalise un puzzle. Je mets tous ces éléments bout à bout et je crée une nouvelle histoire. C’est visible dans les sculptures. Pour les perches, j’ai demandé à un ami ornithologue et champion de perche d’en sculpter le bout pour les transformer en petits totems qui illustrent ces histoires. J’ai employé des couleurs utilisées en héraldique, rouge, noir, vert, qu’on trouve aussi dans d’autres œuvres récentes. Ce que je raconte pendant la performance, c’est que les perchistes sont liés à la migration des oiseaux. Aller chercher l’œuf avec la perche, c’est aussi rattacher le mouvement du perchiste à un cycle naturel, à cette migration des oiseaux qui se repèrent avec la position des étoiles. Donc, en tirant un peu le fil, je disais que le saut à la perche était également une méditation sur les étoiles et le rythme cosmique, puisque les saisons relèvent du cosmos. Quand tu dis « performance », le saut n’en fait pas vraiment partie. Pendant ta performance, tu ne sautes pas à la perche, mais tu racontes tes histoires au public avant d’installer tes perches… En effet, c’est tout un scénario qu’il serait trop long de raconter ici, mais qui, à un moment, rencontre un mythe maya, que je tiens d’une hippie. Bien sûr, ce n’est pas vérifié et donc pas scientifique, mais j’écoute les récits, y compris les plus fantaisistes, qui constituent pour moi une autre forme de savoir, au moins de la matière à récit et des matériaux pour mes œuvres. Un an plus tard, Chroniques du rebond [CAT. P. 32] apparaît comme l’une des premières pièces qui ne découle pas d’une performance. Tu l’as d’abord conçue pour l’exposition. Oui, tu as raison. Celle-là serait plus du côté de l’armchair anthro pology, d’une recherche plus livresque, issue des récits. Du coup, et contrairement à tes performances, plutôt narratives, celle-ci est elliptique. Dans Chroniques du rebond [IBID.], tu ne retiens que quelques éléments d’un récit, d’une chronique précisément, d’un rituel maya de jeux de balle pouvant déboucher sur des sacrifices. Dans l’exposition, tu ne conserves que des résidus de ces récits. Oui, et je pense qu’il y a des expérimentations formelles plus poussées 54 Entretiens
que d’habitude dans Chroniques du rebond [IBID.]. C’est une continuité mais aussi une certaine prise de risque, avec des choses que je ne savais pas faire. S’agissant d’une exposition sur le sport, j’ai mis l’accent sur la manière dont les corps sont montrés, sur le mouvement. Je me suis amusé à produire une sorte d’hybride entre sculpture et peinture, à jouer sur les deux tableaux. De toutes tes pièces, ou presque, tu es le fil conducteur, tu es le narrateur ainsi que le modèle, avec les empreintes de ton corps dans Chroniques du rebond [IBID.]. Tu as réfléchi à ta présence permanente dans ton travail ? Pour les corps, au départ c’était en effet une commodité (le modèle le plus accessible, c’est moi), mais ça n’est pas anodin. Parce que c’est moi qui fais l’expérience du sport ou d’un jeu, c’est une façon de travailler avec un nouveau matériau, comme un peintre utiliserait une nouvelle technique. C’est arriver à trouver une matière pour la tordre, à toucher ses limites, pour savoir ce qu’elle va pouvoir raconter, comment elle va être mon outil pour raconter des choses. Ça veut dire que le sport et/ou le jeu, c’est une sorte de médium pour toi ? Oui, absolument. Le jeu et, souvent, le sport sont des manières de se fixer des règles, qu’on peut également retrouver dans l’art. Il y a également un jeu dans la représentation. Il y a un moment où on joue à entrer dans des codes, dans un langage, dans un système de représentation. Dans les expositions aussi, il s’agit d’essayer de deviner les énigmes, le sens caché, où on rentre dans un jeu, que ce soit un jeu crypté ou un jeu de rôles. Une bonne part de ton expérience est liée aux Pays-Bas. Or, le grand historien/théoricien du jeu est un Néerlandais, Johan Huizinga, qui écrit, dès les premières lignes de son livre, Homo Ludens, que le jeu n’est pas un produit de la culture, au contraire, c’est la culture qui est le produit du jeu. Le jeu précède la culture et donc la civilisation. C’est le moteur de la production des formes sociales, matérielles. C’est le jeu qui préexiste à tout. C’est en gros ce que tu es en train de dire. Tu es parfaitement dans ce process où le jeu préexiste. Bien sûr. Quand je rentre dans une exposition, pour moi c’est un jeu. C’est pourquoi mes expositions sont souvent composées comme 55 Entretiens
des énigmes qui n’ont pas forcément de solution. La forme de l’exposition donne moins de réponses que celle de la performance. Maintenant, je cherche aussi à me détacher des réponses, y compris dans les performances. Es-tu joueur ? Oui, ça fait partie d’un autre jeu. Le travail de recherche me permet de vivre une autre vie, qui est passionnante. Je ne gagne pas beaucoup d’argent avec ce que je fais, je n’ai pas de galerie, je ne suis pas dans les circuits commerciaux. Alors je me dis : autant s’amuser à fond avec ce que l’on fait. Que ce soit un alibi pour vivre d’autres vies. Ça me donne un prétexte pour créer le puzzle avant même de rentrer à l’atelier. C’est là la partie la plus passionnante. Bien sûr, à l’atelier, tu trouves des choses excitantes d’expérimentations formelles mais, très rapidement, tu deviens l’ouvrier de ton intention, de ton idée. Ce qui semble constitutif de toi, c’est ton esprit d’escalier ! Tu rebondis. Chroniques du rebond [IBID.], c’est vraiment un autoportrait. Oui, c’est exactement ça. Tu rencontres quelqu’un qui va t’emmener vers quelqu’un d’autre, et à la fin tu choisis. Une synthèse se produit qui se matérialise en formes, en récits… Tu étais un enfant imaginatif ? Tu te racontais des histoires ? Oui. Évidemment, nous n’avons pas évoqué l’ensemble de tes performances. En particulier Hourvari, la chasse à courre… C’est toujours un peu la même histoire… On a un rituel et une manière de traverser le territoire. Hourvari s’inspire des song lines : des Aborigènes, qui ont cartographié leur territoire par la chanson. L’Australie est une carte chantée : telle montagne ou telle rivière correspond à telle chanson de tel ancêtre, etc. Ces itinéraires chantés se rencontrent aux frontières des territoires. Tu pourrais cartographier le territoire par la musique. Cette histoire de labyrinthe, je l’ai vraiment conçue comme un cycle. Ça commence avec le pigeon, ça se poursuit avec la chasse à courre et
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le rugby, comme pour cette performance que j’avais faite au Centre Pompidou, avec mes camarades du rugby-club de Garches, reproduisant une dernière histoire de Thésée, la danse inspirée par son trajet dans le labyrinthe. On y mélangeait aussi des récits de communautés avec des chansons paillardes. Les chansons paillardes m’intéressent beaucoup, parce qu’elles sont mal considérées. Au-delà de la singularité de chaque artiste, cette expérience, ce matériel de nature ethnographique, avec toutes les précautions qu’il convient de prendre, sont tout de même des préoccupations d’aujourd’hui. C’est lié à une sensibilité à l’anthropologie. Les artistes, sans être des ethnographes au sens strict, sont aussi des experts. De même que certains écrits de Lévi-Strauss sont incompréhensibles, car ce sont des trucs de scientifiques, il faut prendre les œuvres artistiques d’une certaine manière, et ce n’est pas moins scientifique… Tu vas chercher les formes dans le jeu, le sport, dans les pratiques vernaculaires, et tu les transfères ou les transformes en matière d’expo sition. Peut-on dire que l’aspect formel de ton travail est quelque chose d’important ? Oui. C’est important qu’il puisse y avoir une qualité sculpturale ou une image intéressante, indépendamment du contexte. On sent, dans certaines œuvres, le côté pratique, matériel, l’usage dont on n’a pas toutes les clés et qu’on comprendra en lisant le paratexte. C’est quelque chose dont je me sers, comme pour ces objets si fascinants des musées ethnographiques, dont on ne sait pas l’usage. C’est vertigineux de ne voir à présent que la beauté formelle de ces masques africains, océaniens… J’utilise cette magie du regard sans connaissance. Cela concerne aussi Chroniques du rebond [IBID.]. Si l’aspect d’usage ne se perçoit pas tout de suite, tu sens quand même que c’est soutenu par quelque chose de l’ordre du sacré, du cosmologique, et par des références à l’histoire de l’art. J’ai aussi pensé aux momies des tourbières, ces corps de Vikings qu’on jetait dans les tourbes et que, comme la terre est très noire et chargée de sels minéraux, l’on retrouve bien plus tard, sous la forme de momies très noires, comme du cuir , désormais conservées dans les musées. Certaines brûlent au contact de l’oxygène, mais pas celles-ci.
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Sur quels critères fondes-tu le choix des couleurs pour tes peaux d’écorchés ? Les couleurs, c’était une manière de se rapprocher de quelque chose de plus contemporain, d’évoquer celles du sport. Le choix du matériau, allait aussi dans ce sens : la silicone me faisait penser au dégradé qu’on trouve sur les chaussures de sport, sur les casques, les skates… C’était aussi un réel plaisir de faire une vraie peinture. L’une d’elles est un peu trompeuse, et je le regrette : le rouge qui évoque trop les taches de sang. Utiliser des couleurs flashy pour éviter d’être dans la morbidité. La position des corps, très cartoonesque, participe de la même volonté. Tu sens leur mouvement, leur dynamique ? Non, je les vois plutôt comme des différents états d’une forme fragmentée. Tes formes, on voit bien qu’elles sont liées à ton matériel ethnographique. Mais tu empruntes aussi à l’histoire de l’art : le dessin dans l’espace, l’origine grecque, et sportive, de la sculpture occidentale…
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documentation cĂŠline duval Houlgate, 8 septembre 2016.
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Jean-Marc Huitorel Céline, j’aimerais que tu évoques, pour commencer,
l’importance du sport dans ta vie et, partant, dans ton art. documentation céline duval Du sport, j’en ai fait en quantité, jeune,
comme une nécessité. Très tôt j’ai compris que c’était une question d’énergie, de flux qui était dans mon corps et qu’il fallait dépenser, brûler. Je distingue les sports que tu choisis parce qu’ils te procurent du plaisir et ceux généralement imposés par l’école qui éprouvent l’endurance. Dans la course et l’épuisement du corps, j’ai découvert le dépassement de soi, un plaisir bien distinct de celui du jeu, lié à un autre espace, plus mental et aérien. Et puis il y a des sports que tu aimes vraiment. Pour ma part, c’était les jeux de balle. J’habitais dans une grande résidence boisée en banlieue parisienne, terrain d’expériences de rêve pour les enfants. Nous jouions au foot, à « la balle aux prisonniers », au tennis, etc. À l’adolescence j’ai pratiqué la natation et le volley-ball dans le cadre des activités extra-scolaires. J’ai été capitaine de l’équipe de volley de mon lycée à La Celle-SaintCloud. Dans les sports collectifs, tu comprends très vite les rapports sociaux entre joueurs, les rapports de pouvoir et de discrimination. Une fille jouant au foot dans la cour de récréation avec les garçons pose déjà un problème. Dans les années 1980, quand j’ai voulu rentrer dans un club de foot, l’entraîneur m’a dit : « D’accord, mais faut trouver onze autres filles pour créer une équipe. » Le mélange des sexes n’était pas envisageable… J’ai su très jeune que j’avais une affinité particulière avec le ballon, je le considérais comme mon meilleur ami. Le ballon comme objet transitionnel… Exactement. Dans la première édition que j’ai faite pour l’exposition Migrateurs1, sont représentés des enfants portant un ballon. Et sur la couverture du catalogue, l’enfant de la photo, c’est moi. J’ai mis un bandeau sur le visage mais au dos, autre prise de vue, on le voit bien. Dans les albums de ma famille, sur la plupart des photos, je suis avec un ballon. Dans la plupart des images issues des albums photo de ma famille, la petite fille avec un ballon, c’est moi. 1 Tous ne deviendront pas footballeurs, dans le cadre du programme Migrateurs, proposé par Hans Ulrich Obrist. 2002. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. http://www.doc-cd.net/exhibitions/migrateurs-tous-ne-deviendront-pas-footballeurs -paris-2002/
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L’intérêt du jeu de balle, c’est la capacité qu’a celle-ci de se situer entre deux éléments. Soit tu l’envoies en l’air, et elle vole, soit elle tombe, touche la terre, et c’est le rebond pour repartir dans les airs. Elle est toujours entre les deux pôles, entre le ciel et la terre. Concernant le jeu, si tu es seul(e), tu peux utiliser un mur, pour le renvoi. C’est un geste répétitif, je l’ai beaucoup pratiqué, avant même de jouer avec d’autres, jusqu’à l’autohypnose. Le tennis, la natation ou le volley, je les pratiquais en tant qu’amateur. Dès que j’atteignais un certain niveau et qu’on m’incitait à passer à l’échelon supérieur, entrer en club pour faire des compétitions, je détestais. Être toujours plus performant, gagner, atteindre la victoire, être le/la meilleur(e), « être no1 », « être leader »... Je laisse ces slogans aux compagnies commerciales. Cet état d’esprit est sous-jacent dans mon travail, probablement avec cette grande distinction que j’opère entre photographie amateur et photographie commerciale, celle engendrée par l’amour et celle, par l’argent. Tu as parlé du ballon comme vecteur d’un rapport qu’on pourrait dire plus discipliné au monde, en tout cas plus acceptable socialement. C’est aussi peut-être pour cette raison que quand tu t’es mise à faire de l’art, tu ne t’es pas attaquée à la peinture, où le corps est en lien direct avec le matériau et le support : tu es allée chercher une autre médiation dans les images déjà-là. Je t’avouerai que la peinture, j’en ai fait. J’aimais bien manipuler les couleurs. Mais ma vraie passion, c’est le dessin. Enfant, je dessinais autant que je jouais au ballon. C’est pour cette raison que je suis entrée aux beaux-arts. De 6 à 10 ans, j’ai été inscrite à un atelier « poterie/dessin ». Je dessinais tout le temps, dans des lieux calmes, où je m’isolais d’une famille où régnaient les disputes, les cris et les tensions. De cette manière, je me protégeais et je développais un monde intérieur. J’aimais dessiner, tracer, mais je n’avais pas beaucoup d’imagination ou de nécessité de représenter. Alors je me suis mise à recopier des images, celles rencontrées dans les livres scolaires ou bien dans les magazines de ma mère. J’avais besoin de modèles. Avec ces dessins « ressemblants », j’obtenais un certain succès auprès de mon entourage familial, ce n’était pas déplaisant ! Ma mère aimait répéter que j’allais devenir faussaire. C’est elle qui me projetait vers la peinture… Aux beaux-arts, je me suis donc très naturellement dirigée vers la photographie et l’étude des images. 62 Entretiens
As-tu fait le rapprochement entre la copie, c’est-à-dire le va-et-vient répétitif, et la balle contre le mur ? Non, je n’ai pas fait le rapprochement. Mais tu as raison, car dans un premier temps c’est juste le plaisir de dessiner et de m’extraire du monde qui m’importait. Une autre forme d’autohypnose. Je pense que la transition entre l’acte de tracer et la conscience de recopier une image d’auteur s’est faite à 16 ans, lors d’une visite scolaire au musée du Prado, à Madrid, quand je me suis retrouvée nez à nez avec l’œuvre de Goya, Tres de mayo, reproduite dans mon livre d’histoire et que j’avais recopiée un an auparavant. Je me suis dit : « Mais c’est mon dessin ! » Imagine ! Alors quand, en école d’art, tu étudies toutes ces questions, tu comprends que cet acte d’appropriation a aussi une importance, et s’ancre dans une histoire déjà amorcée par mes contemporains (Baldessari, Feldmann, Prince, Boltanski…). C’est aussi vers 16 ans, au Centre Pompidou, que j’ai pris conscience de l’existence du travail de Kandinsky, dont je voyais pourtant des reproductions dans l’appartement de ma tante. La possibilité de dessiner ou de peindre sans devoir passer par la ressemblance et l’image m’a ouvert un espace de liberté immense. À cette époque, ma chambre était tapissée de cartes postales reproduisant des œuvres de Kandinsky, Klee, Miró, Klimt. Mon entourage trouvait que c’était mieux quand je recopiais, « au moins ça ressemble à quelque chose »… J’ai compris plus tard cette étroite relation entre le sport et l’art, cette importance des médailles, des trophées. Quand tu dessines et que cela ressemble à quelque chose, enfant, tu reçois des encouragements, tout comme plus tard quand tu es artiste et que ton travail suscite de l’intérêt, qu’il est rendu visible à travers les expositions ou les publications. Concernant la réussite sportive, entre les coupes et les applaudissements, c’est plus évident encore ! Plus personnellement, j’y vois aussi une ressemblance avec la pratique de rituels, de gestes répétitifs. Dans l’effort, tu atteins une sorte de transe, un moment où l’esprit se détache du corps, tu oublies la matérialité, la pesanteur et le temps. Finalement, un peu comme une balle : entre-deux, nulle part, mais bien là ! Ta recherche documentaire autour de la vidéo Le Défi/The Challenge2 [CAT. P. 44] montre à quel point cette iconographie de la rotondité était 2 Le Défi/The Challenge (2016). Vidéo produite pour l’exposition Une Forme olympique, Espace d’art contemporain HEC, Jouy-en-Josas.
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importante dans l’histoire de l’art, et notamment dans l’art ancien et classique, avec le globe terrestre dans les mains du Christ (Fra Angelico, Antonello de Messine, Léonard de Vinci, etc.), mais aussi chez des artistes contemporains comme John Baldessari. Je songe aussi aux bulles contenant des personnages et qui flottent dans Le Jardin des délices de Jérôme Bosch. J’étais obsédée par cette forme ronde, sans haut ni bas, sans droite ni gauche. En la repérant systématiquement dans l’iconographie religieuse et artistique, j’ai voulu en vérifier le sens, tout simplement. Et cette recherche sur les globes m’a permis aussi de trouver des titres, des mots. Ainsi, Orbes [CAT. P. 41] n’est pas seulement une fille en maillot de bain portant un ballon. La pièce est bien plus chargée et orbitale ! C’est quand même une image qui tourne sur elle-même avec un horizon qui trace un axe ou bien disparaît. Dans la vidéo Horizons3, j’avais construit le diaporama avec 240 photos où la ligne d’horizon à l’arrière-plan descend et remonte, tel le ressac, sur le modèle du sablier. Là, c’est le mouvement des aiguilles d’une montre que ma main opère sur le document photographique. Pour la vidéo Le Défi/The Challenge [IBID.], la question de la pesanteur est essentielle, et traduit l’ambition démesurée de l’homme à vouloir défier la nature. Ces bulles, à une autre échelle, ce sont aussi des points, qui dessinent une ligne dans l’espace du cadre. Les liens entre voûte céleste, globe terrestre et ballon apparaissent constamment dans les mythologies, les rituels anciens (chez les Mayas par exemple, comme le montre Éric Giraudet de Boudemange dans sa pièce Chroniques du rebond [CAT. P. 32]), mais aussi dans les jeux du calcio florentin, l’ancêtre du football, que décrit l’historien Horst Bredekamp. Le football… Un jeu qui dit beaucoup de notre société, mais je ne suis pas la mieux placée pour parler de ce sport et de son rapport à l’économie. Petite parenthèse subjective et féministe sans doute : existe-t-il des textes sur l’étroite relation entre le sexe et le but/panier ? Il est fort probable que ce sont des hommes qui ont inventé ces jeux où le but est de mettre un ballon dans un trou ? Encore une autre représentation du cycle de la vie. La répétition, le va-et-vient, le ressac. Des cycles, rien que des cycles. 3 Horizons (2007). Collection du Frac Normandie Caen.
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Peut-on dire que cette idée de réitération est fondatrice de ton travail ? Se réapproprier une image, la scanner, la photographier à nouveau, la retoucher… Le va-et-vient de mon œil sur l’image, de l’original à la reproduction, c’est l’œil qui trace dans l’espace, peut-être l’espace mental. Je retouche beaucoup, dans le sens de restauration. J’essaie d’effacer les traces du temps sur le document pour atteindre l’image. C’est-à-dire que je me mets à la place du photographe au moment de la prise de vue. La personne qui fait une photographie veut saisir quelque chose de la réalité, la mémoriser, la garder. Il se trouve que ça devient une photographie, un document. Avant, c’était imprimé, maintenant c’est un fichier numérique. Les images que je retouche, ce sont des images argentiques reproduites sur un bout de papier qui devient un document, qui traverse le temps, s’altère de rayures, de traces de mains. Je peux les recadrer, si nécessaire. Je peux, à l’occasion, supprimer un bateau d’un horizon que je veux pur. Je ne fais pas de la « repique », comme au temps de l’analogique où on retouchait au pinceau. Mais j’ai eu une pratique de labo, j’ai en tête le noir argentique. Sur le plan plus général de ta recherche, ces images de sport que tu regardais, c’était plutôt des images anciennes, non ? Oui, ce sont des images que je trouvais aux puces. En fait, au début, je ne cherchais pas tout à fait ça. Je me suis énormément interrogée sur la photographie elle-même. Là on parle de représentation, d’iconographie. Puisqu’au départ, avant d’entrer aux beaux-arts, je recopiais des images, je me suis questionnée sur ce qu’est une image, sur la matière même de l’image. Étudiante, j’ai fait tout un travail expérimental sur le temps avec des camera oscura. En fait, mon obsession c’était le temps. Franchement, le sport c’était accessoire. Ça revient parce que j’aime ça, mais l’essentiel c’est ce rapport au temps, à sa mesure, si tant est qu’on puisse mesurer le temps. Je faisais de multiples expériences avec des objets qui s’autodétruisaient, en cire, en glace, en chocolat. Pas mal de choses étaient centrées sur la séduction, sur la question du regard. L’image, c’est le regard du photographe sur le modèle et, dans ce regard, il y a toujours un rapport de séduction. Ainsi, j’ai beaucoup photographié, dans la rue, les gens qui regardaient (jamais de regards caméra), puis je classais ces regards : regards affectifs, regards contemplatifs, consommateurs, lecteurs. C’était un peu utopique de tenter de mesurer une tension 65 Entretiens
entre deux points : toujours cet aller-retour, comme dans le rebond. C’est ce geste réitératif que je retiens du sport, plus que son iconographie. En fait, tu pourrais dire que le ballon c’est ce qui concrétise le regard, son mouvement dans l’espace est celui du regard. D’un point à un autre. Cette ligne m’intéressait et j’ai mis longtemps à le dire, à en prendre conscience. En fait, ces lignes c’était des dessins abstraits, une ligne du point de regard, de l’œil, vers l’objet désiré. Cette petite ligne comme zone de tension. En deuxième année des beaux-arts, j’avais fait une performance où je portais un énorme lit de camp métallique, très lourd, sur l’épaule, et, simultanément, je dribblais tout en marchant. La durée de la performance correspondait à mon temps de dribble avec le ballon. C’était un contraste entre la forme carrée, très lourde, et la forme ronde, aérienne, une tension entre l’action répétitive du rebond et la concentration pour trouver l’équilibre. Bien sûr, il s’agissait-là d’une tentative de relier encore une fois deux passions qui opèrent dans des champs différents, l’espace profane et la culture valorisée. C’est peut-être là que tu transformes cet espace en temps. Cette tension-là, c’est du temps. Oui, c’est du temps. Tu vois, je tournais autour, je n’arrivais pas à trouver. Je ne savais pas pourquoi je cherchais ça, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Réconcilier le dessin avec le ballon. C’est dans ce temps invisible du faire, non partageable, que ça se passe pour moi. Comment es-tu passée à la recherche d’images déjà là ? Depuis l’âge de 12 ans, j’avais une pratique, plutôt compulsive, de découpe d’images dans les magazines. C’était une manière de s’évader et de découvrir le monde, enfin, je le croyais ! J’étais très attirée par la photographique, et je voyais toutes ces images partir à la poubelle. Je pensais en sauver certaines, celles qui me plaisaient. À la même époque, en accompagnant ma mère dans des brocantes – comme la foire de Chatou –, j’ai découvert des vendeurs de vieilles publicités, à un prix déjà élevé. J’ai réalisé qu’on pouvait découper des images sans valeur qui, au fil du temps, en prendraient. La valeur, c’est le temps. À l’époque, ce sont les publicités de parfum que je conservais, celles où il y avait le moins de texte possible. Je les
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ai toujours ! Parallèlement, je réalisais mes « cahiers du cinéma », où je collais tous les articles des films que j’avais vus, classés, bien sûr. Très classique pour une adolescente, non ? J’ai tout arrêté en entrant en école d’art. Je n’avais plus le temps, ni d’ailleurs la nécessité, de le faire. Puis, en dernière année aux beauxarts, alors que je photographiais « les gens qui regardent », je me suis remise à feuilleter des magazines pour observer le même phénomène, mais dans les photos des autres. Ainsi, j’étudiais les images où le photographe semblait ne pas perturber la scène. Je me demandais si on pouvait saisir un espace-temps sans modifier ce qu’il y a devant soi. Et, comme une recherche amène à découvrir d’autres images, j’ai sélectionné et classé beaucoup d’autres pages de magazines, souvent des publicités, qui me paraissaient à même de raconter et de représenter cette société marchande, ultra-libérale. C’est devenu la série de vidéos : Les Allumeuses, 1998-2010 [CAT. P. 60]. Idem pour les cartes postales et les photographies de famille que j’achetais aux puces et sur des brocantes. C’est d’abord par le biais de l’obsession du classement des regards que je me suis immergée dans les bacs où l’on pouvait trouver ces documents négligés. Et, là encore, c’est un moyen de s’absenter du monde, de plonger dans ces vies oubliées, de voyager dans un temps et dans des espaces inconnus. J’étais loin d’imaginer tout le travail qui allait en découler ! Au cœur du paysage, ton rapport au monde ne relève pourtant pas de l’abstraction. Il reste bien réel, même si cela fait le vide en toi. Non, tu traverses et tu regardes les choses autour de toi. Pour revenir au sport, je pense que l’intensité que j’ai pu connaître dans les états d’absence, de méditation, dans mon travail d’artiste et dans ma vie, est proche de ce que l’on expérimente dans l’effort sportif quand tu transcendes la douleur, quand tu n’en peux plus, quand tu voudrais tout abandonner : c’est un état voisin de la transe, d’ailleurs c’est une transe. Dans le plaisir sexuel, tu as le point culminant et ça retombe très vite. Dans la transe, ça ne retombe pas, ça s’étend. C’est très fort. Je me suis beaucoup intéressée au Chef-d’œuvre inconnu4, et il y a un moment où la création est comparable au plaisir sexuel, où tu veux toujours rattraper ce point et où, à chaque fois, tu chutes mais tu tentes à nouveau… Cette autre dimension, au-delà de la souffrance, je l’ai connue dans l’endurance, pas au volley-ball, par exemple. 4 Le Chef-d’œuvre inconnu, Honoré de Balzac, 1831.
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Quand tu as commencé à chercher des images dans un certain but, avec un certain objectif de travail, qu’est-ce que tu cherchais ? Au début, je cherchais ces fameux regards. Et puis j’ai découvert des tas de choses dont je ne soupçonnais pas l’existence, comme l’extrême banalité des albums de famille, à quelques exceptions près. S’agissait-il réellement de banalité ou bien juste de stéréotypes photo graphiques ? J’ai étudié longuement toutes ces traces produites par l’homme, toujours dans une optique de découvrir le monde et l’être. Ça, c’est une chose que tu pourrais peut-être appeler anthropologie, ethnographie. Ensuite, je suis revenue à mes amours de départ, qui étaient ces fameuses images de sportifs. Le ballon, je l’ai tout de suite sélectionné, puis se sont accumulées des formes éphémères : les pyramides humaines, les sauts, ce genre de performances, comme cette image du saute-mouton à cinq personnes. Du fond de mon expérience personnelle, il s’agit là d’une connaissance puis d’une reconnaissance du motif, d’une manière de fixer un état vécu, une représentation manquante. J’ai constitué une gamme de gestes, de formes, de l’élasticité du corps dans l’espace, un vocabulaire visuel. Tu as lu Perec ? Oui, beaucoup. Parce que ce que tu me racontes là du commun, du lot commun des gestes, des rituels, de se dire qu’on les a faits mais, qu’ils appartiennent à tout le monde, c’est très perecquien, ça. Je me souviens5, c’est ça. Je voudrais revenir aux gestes. Parmi les images que tu as utilisées dans ton travail, il se dégage une infinie grammaire de gestes, souvent des gestes liés au corps, au jeu, au sport, au loisir, au plaisir, au plein air, etc. Quand tu les regardes, tu as toujours un projet de classification ? Au départ, pas toujours. Pour chaque photo, c’est juste de la découverte et de l’étonnement pour la scène représentée. Quand je me trouvais aux puces, à fouiller dans les valises, j’étais surprise de voir que les photos de famille pouvaient finir dans les vide-greniers. Je les vois, je les découvre, je les interroge, et ensuite je regarde de plus près et j’observe des choses que je ne connaissais pas. Là, par exemple, dans ce que j’ai regroupé sous l’expression « sur un pied », parce que les gens 5 Je me souviens, Georges Perec, 1978.
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qu’on y voit se tiennent sur un pied, je n’imaginais pas l’existence de ces photos. J’en ai d’abord sélectionné une de manière intuitive, mise dans la rubrique « divers », et j’ai attendu. En ajoutant une seconde photo dans cette pochette, j’ai pris conscience de mon intérêt pour cette notion d’équilibre précaire. Et la plupart de ma documentation a connu le même traitement. C’est étonnant comme on peut ressentir avant de voir. Ce que je vois, ce ne sont pas des gestes, non, mais des abstractions. En fait, c’est comme si je ne voyais jamais le geste mais tout ce que le corps met en place, les intervalles, les contre-formes. Comme dans mes cyanotypes. C’est abstrait et pourtant très figuratif. Pour moi, c’est du dessin. C’est pour ça que j’ai fait cet hommage à Kandinsky, pour dire à quel point mon regard est abstrait. Ce que je cherche, c’est parler de l’être, de l’archétypal dans l’être, comme les notions et les figures que montre l’historien de l’art Aby Warburg dans son Atlas mnémosyne. Il y a toujours, ou presque, deux temps dans tes œuvres : celui de la prise de vue des images et celui de ton travail sur elles, qui aboutit à ta propre signature. Peux-tu dire un mot de ce processus d’actualisation, en particulier concernant tes images « sportives » ? D’abord, il y a le regard porté sur ces images et leur classement. Ensuite la numérisation et la retouche, afin de les harmoniser entre elles et nettoyer la trace du temps sur les documents pour retrouver la photographie au plus proche de la prise de vue. Enfin arrive le moment où je leur donne un nouveau corps, une présence physique dans l’espace. Je pense particulièrement au projet La Chambre des trophées, où l’image positive est imprimée au dos d’un Plexiglas de grand format, une matière transparente et solide ainsi rendue lisible lorsque, dans l’accrochage6, elle fait corps avec le mur.
6 http://www.doc-cd.net/exhibitions/trophaen-kammer-arbeiterkammer-2011/ http://www.doc-cd.net/exhibitions/images-deployees-centre-regional -de-la-photographie-2013/
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Yoan Sorin Douarnenez, 15 février 2016. Skype, 10 août et 16 octobre 2016.
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Jean-Marc Huitorel Yoan, j’aimerais que nous commencions par
évoquer tes débuts sportifs, en particulier de basketteur. Yoan Sorin Je n’ai pas commencé par le basket, mais j’ai débuté le sport
très tôt parce que mes parents ont participé à la mise sur pied d’un club de gym à Cholet, où nous vivions. Il s’appelait La Choletaise. Très rapidement, ils ont donné des cours de gym dans ce club ; c’était aussi pour eux un moyen de me garder avec eux, plutôt que de me placer chez une nounou. Dès 2 ans, je faisais donc du baby gym. Mes parents pratiquaient cette activité en amateur. Mon père était ouvrier et ma mère, était encore femme de ménage. Ils étaient tous les deux très sportifs, ma mère en particulier, dont le père était boxeur… Mon père, quant à lui, avait fait beaucoup de sports collectifs. Pendant huit ans, j’ai fait de la gym de manière soutenue. C’était assez dur, et je n’en garde pas que de bons souvenirs. La référence, à l’époque, c’était les gymnastes roumains… Quand cela a vraiment commencé à me déplaire, j’ai regardé ailleurs. De 10 à 12 ans, j’ai fait du base-ball et, comme il y avait très peu d’équipes, j’ai participé à des finales de championnat de France. J’ai découvert le basket à l’école et aussi parce que mon père m’emmenait voir le Cholet Basket. J’habitais juste en face de la Meilleraie, la salle des professionnels. J’étais doté d’un physique hors norme pour mon âge et d’une souplesse qui me venait de mes années de gym. J’ai commencé tout en bas de l’échelle, en poussins 5 ; et, très vite on m’a retenu dans les meilleures équipes. Au-delà de la dimension sportive, c’était pour moi un truc de camaraderie. On avait des entraîneurs assez durs, mais qui nous inculquaient les valeurs du basket et le dépassement de l’individualisme, à prendre plaisir à produire du beau basket. On a survolé tous les championnats, pendant ces années. J’étais sélectionné dans toutes les équipes premières et aussi les équipes de détection des jeunes (départementales, régionales), jusqu’au championnat de détection pour l’équipe de France. Alors que j’évoluais chez les cadets, au moment où s’opère un vrai changement au niveau physique, où on commence à vous préparer pour le niveau professionnel, j’ai commencé à me blesser. Malgré mes blessures, je suis parvenu à me maintenir dans les bonnes équipes, mais j’ai dû changer mon jeu, athlétique, et le transformer en jeu d’adresse. Jusqu’à un certain niveau, je rivalisais avec des joueurs beaucoup plus grands, parce que je jouais intérieur. J’étais tout petit, mais j’avais une détente suffisante pour faire jeu égal avec les grands. Toutefois, si j’ai pu continuer à évoluer à ce niveau, c’est parce que j’ai fait souffrir mon corps ; et ça, ça ne pouvait pas durer très longtemps. Et, de fait, 71 Entretiens
le physique a lâché. J’ai néanmoins fait quelques matchs en espoirs, ainsi qu’en seniors 2, qui est la réserve de l’équipe pro, toujours au Cholet Basket. C’est alors, voyant que je n’y arriverais pas, que mon rêve se brisait, que j’ai commencé à travailler comme ouvrier. C’était la seule option possible, dans la mesure où je n’avais aucun projet d’études puisque je visais une carrière sportive. C’est un peu plus tard, à 22 ans, que je suis entré dans l’une des rares écoles qui n’exigeaient pas le bac, pour suivre une formation de design et d’arts appliqués, des domaines dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Outre la découverte émerveillée de l’histoire de l’art, j’y ai réalisé quelques dessins qui m’ont servi de dossier pour passer le concours d’entrée aux beaux-arts de Nantes. Après deux années à l’école des beaux-arts, je suis parti au Canada, puis, après bien des péripéties1, en Espagne, où j’ai passé mon diplôme. Nouveaux voyages, nouvelles expériences, en Haïti, en Grèce, avant d’arriver, par le plus grand des hasards, en Bretagne. Une chose me paraît importante dans ce que tu viens de dire, c’est que, très tôt dans le basket, plus que le sport en lui-même, c’est le jeu qui t’a intéressé. En fait, quand j’étais adolescent, j’avais une conscience aiguë de la nécessité de protéger mon équipe. C’est pour ça que j’étais un très bon défenseur. J’étais satisfait quand on avait fait un beau match, avec de beaux mouvements de ballon, où tout le monde avait trouvé sa place. C’est moins la victoire qui comptait pour moi que d’avoir pris du plaisir dans le partage du ballon : faire bien ce qu’on sait faire. Il y a parfois des moments magiques où tout fonctionne, où tu appliques exactement ce que tu as décidé. Voilà les meilleurs souvenirs, bien plus que les victoires ou les défaites. Et le jeu, dans le sens de s’amuser ? Le plaisir, plus que l’amusement, je crois, c’est trouver un espace de liberté et de création dans le cadre d’une règle précise. C’est contourner 1 La plus notable mérite d’être brièvement narrée. À Montréal, comme il rentrait un soir, des amis dessinent un tag sur un mur, puis s’en vont. Yoan Sorin, resté en arrière, se fait arrêter par la police, est placé en garde à vue puis jugé lors d’un procès où on lui conseille de plaider coupable. Résultat : beaucoup d’argent dépensé et une interdiction de séjour au Canada et aux États-Unis, qu’il croyait limitée dans le temps, mais qui s’est avérée définitive. Cet événement ne sera pas sans conséquence sur le travail de l’artiste.
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la contrainte et être créatif. La notion de jeu pour moi, c’est vraiment ce truc de prendre du plaisir avec des règles fortes et de réinventer des mouvements. Oui, créer. Quand tu arrives en Bretagne, en 2014, tu t’installes à Douarnenez, où vivent de nombreux artistes et où tu deviens l’assistant de Bruno Peinado. Où en était ton travail personnel à cette époque ? À mon arrivée en Bretagne, pur fruit du hasard, j’ai enfin pu récupérer l’héritage de ma grand-mère maternelle, décédée deux ans plus tôt. Ces trésors familiaux consistaient en de multiples bibelots exotiques, des tapis, des disques, et aussi la ceinture de champion de France de mon grand-père, François Pavilla, boxeur martiniquais. C’est à Douarnenez, encouragé par Bruno Peinado et Virginie Barré, installé dans un espace suffisant, que j’ai commencé à assembler ces objets hétéroclites qui racontaient toutes sortes d’histoires. Des assemblages qu’on pouvait regarder sous différents angles, toujours modifiables, comme une mise en forme du métissage dont j’étais le produit. Un métissage conçu non comme une pâle synthèse de deux cultures, mais bien comme un univers en soi, une vraie troisième culture qui, par ailleurs (mais c’est un tout) était constituée de culture populaire. Je rentrais en France avec un fort sentiment d’étrangeté vis-à-vis de moi-même. Où que j’aille, on me prenait pour « l’autre », l’étranger. En Grèce, j’étais le Turc (donc, la tête de Turc) ou l’Albanais ; en Espagne, le Marocain, etc. Dès lors, mon travail revêtait un fort aspect identitaire, très lié à ma vie personnelle. Quand tu as commencé à faire de l’art, tu avais en tête ta pratique du basket ? Disons que pour les premières pièces, au début des beaux-arts, je me suis tout de suite tourné, de manière instinctive, vers la performance, mais c’était parce que j’avais une forte conscience de mon corps et la certitude de ne pouvoir m’exprimer que par quelque chose de physique. Ainsi, je manifestais mon incompréhension de l’art par des performances, toujours liées au sport. L’une d’entre elles concernait les streakers, ces gens qui pénètrent nus dans les stades lors des événements sportifs. J’avais couru tout nu dans une exposition2 au Hangar à bananes de Nantes. C’était, certes, primaire et naïf. 2 + de réalité (2008). Hangar à bananes, Nantes.
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Puis ça s’est transformé en actions et en contraintes autour de la peinture et du dessin. J’étais plus intéressé par le processus de création que par le résultat. Comme au basket, finalement. Par exemple, je me suis filmé en train de tourner sur moi-même en même temps que je dessinais sur des feuilles accrochées au mur. Il y avait également une bonne dose d’humour là-dedans. Pendant cinq ans, j’ai interrompu ma pratique de la performance pour me consacrer au dessin et à la peinture. Cela a coïncidé avec le début de ma collaboration avec la chorégraphe Dana Michel, qui a le même cursus que le mien, ayant commencé très tard la danse contemporaine et venant d’une pratique sportive intense (athlétisme et foot). On est très proches dans ce rapport au milieu dans lequel on évolue, d’où l’on vient, dans cette conscience, de par nos origines, de ne pas avoir le même background que les autres, d’avoir des choses à prouver, faute de bases théoriques rassurantes. Au cours des séances de travail, où il était presque toujours question de performance, je me suis rendu compte que c’était de ça que j’avais envie. C’est de là qu’est née la performance que j’ai réalisée pendant notre résidence à la Friche La Belle de Mai, à Marseille3, puis exécutée en public au Quartier4 à Quimper, Si j’existe, je ne suis pas un autre. Une performance qui débouche sur un objet d’exposition. Quand on regarde cette pièce, on ne se trouve pas face à de simples restes, comme c’est souvent le cas après les performances. La pièce se tient. Cela veut dire qu’au fond ce n’est pas vraiment, ou pas seulement, une performance, c’est un process, c’est un atelier ouvert. Et, au bout du compte, c’est bien une pièce d’exposition. On pourrait dire la même chose pour Frapper creuser [CAT. P. 24], ta proposition pour Une Forme olympique, à l’Espace d’art contemporain HEC. En fait, quand je dévoile le processus, c’est beaucoup plus sincère, et les gens comprennent des choses que je n’ai pas besoin d’expliquer. C’est nommé performance par convention, mais je repasserais par ces mêmes étapes si je voulais refaire cette pièce. C’est un peu mon rapport à la performance. Là, chaque geste est utile (m’enduire le visage de pigments, de vaseline…) à la fabrication de la pièce même si, dans cette situation théâtrale, il y a un double langage. Chaque 3 Dans le cadre du festival Actoral, en 2015. 4 Dans l’exposition Alfred Jarry Archipelago : La Valse des pantins, Acte 1, du 5 juin au 30 août 2015. Commissaires Keren Detton et Julie Pellegrin.
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geste a son utilité (le pigment, la vaseline…). Je tente de transposer et de faire sentir ce plaisir que j’éprouve à l’atelier. Avec Dana Michel, on a souvent évoqué l’ivresse qu’on éprouve dans le sport de haut niveau, dans n’importe quel sport, lors de la communion entre les supporters à l’instant où l’on réalise une action. Les moments les plus intenses de ma vie sont ceux où, dans le sport, on se trouve dans une sorte de zone incompréhensible où chaque geste est parfait et où tout réussit pendant un court moment, où vraiment on sent qu’on provoque l’émotion des gens qui regardent. C’est comme dans une pièce de théâtre ou un concert. Et cette communion-là, (je sais que je ne serai pas chanteur…) c’est là que je l’ai éprouvée. Quand la pièce s’achève, on abandonne un peu le public, alors que là je profite un peu plus longtemps de ce lien avec les spectateurs. De très nombreuses pièces ont, dans ton travail, un rapport avec le sport : les performances, évidemment, mais aussi des sculptures agencées à partir d’objets issus du monde du sport, comme des coupes-trophées que tu articules avec des coupes de fruits, des ballons, des raquettes de ping-pong, un filet de basket traité comme une plante exotique. C’est un mélange de sport/culture populaire/exotisme et… de pas mal d’humour. Tes expositions elles-mêmes s’organisent selon des schémas sportifs. C’est le moment d’évoquer ici la figure de ton grand-père, le boxeur François Pavilla, car il constitue à mes yeux le pendant à ton passé de basketteur, la part exotique de ton identité, un pôle déterminant de ton futur travail d’artiste. C’est vraiment une mythologie, car ma mère elle-même ne l’a pas vraiment connu. Il est mort quand elle était toute petite. C’était en effet le premier champion de boxe (plusieurs titres de champion de France chez les welters) issu des Antilles. Alors qu’il avait obtenu le principe d’une revanche contre Marcel Cerdan Junior, qui l’avait battu lors de ce qui est devenu son dernier combat, il est mort à l’hôpital des suites d’une erreur d’anesthésie lors d’une banale intervention à l’œil. Il avait 31 ans. On commence à redécouvrir des documents sur lui aujourd’hui par Internet. Un enregistrement radio de mon arrière-grand-père, à la mort de son fils. Une interview à la télé suisse. Les matchs. Depuis longtemps, on avait accès à ce passage de Vivre pour vivre, le film de Lelouch, avec Montand, où les protagonistes assistent à un combat de boxe où l’on voit mon grand-père, peut-être lors du match contre 75 Entretiens
Curtis Cockes pour le titre de champion du monde des welters. Je sais que ça m’avait marqué parce que le père de mon grand-père, lui, faisait des combats de coqs. En fait, tout s’est un peu mélangé. Entre mémoire, souvenirs inventés, récits, coupures de journaux, j’ai dû me créer une mythologie de ce qui devait, aurait pu être la vie de mon grand-père. J’ai mis du temps à introduire la boxe dans mon travail, à utiliser cette figure de mon grand-père. Je crois que la première fois où j’en ai vraiment parlé directement, mais à demi-mots, c’est à l’occasion de la performance que j’ai faite au Quartier, Si j’existe, je ne suis pas un autre, qui est clairement liée à son histoire.
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This book is the third part of a set devoted to studying the links between contemporary art and sport. In the wake of La Beauté du geste (2005) and L’Art est un sport de combat (2011, with Barbara Forest and Christine Mennesson), the brief of Une Forme olympique/Sur l’art, le sport, le jeu is to complement the approach to these two essential arenas of human activity, by taking into account a third marker, which is the game. The book is constructed around three themes: an essay, a series of intervews, and an exhibition catalogue. Like the two previous volumes, in fact, this third one was accompanied by an exhibition. So after the Vassivière art centre (La Beauté du geste, 2000), and after the Calais Museum of Fine Arts (L’Art est un sport de combat, 2011), it is the HEC campus and its Espace d’art contemporain which, in 2016, played host to the exhibition Une Forme olympique.
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Almost eighty years after the publication of Johan Huizinga’s groundbreaking book Homo Ludens,1 games have gradually become a topic of study and knowledge. Literature and art certainly provided him with his representations, but the social sciences offered him a certain number of theoretical tools, whether hailing from history, philosophy, sociology, psychology or ethnology, and more broadly from anthropology. Right away, Huizinga hits the nail with an opener that leaves readers in no doubt both about his beliefs and about the purpose of his essay: “Games are older than culture”. Making games a subsuming category (for example, by stressing the fact that they are not peculiar to man, animals also play, and that civilization has contributed nothing more to what games immediately represent, etc.), the Dutch historian sweeps away a certain number of received ideas and commonplaces, as well as prejudices. He thus includes in the field occupied by playful systems of logic, social organization, rites and cults, war and art, inter alia. Twenty years later, based on a critical reading of Huizinga, Roger Caillois2 came up with the idea of creating a general sociology based on categories whereby he, in his turn, defined games, thereby admitting, and whatever the case might be, his insolvent debt to his predecessor. Philosophers, for their part, are not to be outdone, and Eugen Fink could assert in Le Jeu comme symbole du monde/Play as Symbol of the World:3 “Philosophical speculation might take off when it strives to think about the world’s total movement based on the concept of play.” In the field of psychology, it was Freud, with Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient/Wit and its relation to the Unconscious, who laid the foundations for an analysis of the role of games (it being understood that witticisms or witty 79
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wordplay are a form of game, albeit it with words) in the economy of the unconscious. But all credit must go to Winnicott4 and his “transitional object” concept for having updated, both theoretically and clinically, this idea that the game (and the toy just as much) represents not only a valuable healing tool, but, well beyond that, one of the essential foundations of the identity of the social subject. As we know, anthropologists work on long time-frames and expanded spaces. The primary merit of Roberte Hamayon’s book, Jouer, une étude anthropologique/ Playing, an Anthropological Study,5 undoubtedly lies in the fact that it studies the mechanisms and role of games in non-Western societies,6 but what we dwells with us, even more so here, is her analysis of the way games turned into sports at the dawn of modernity. We are in fact indebted to her for one of the most fertile analyses of the link between games and sport. Needless to say this line is an ancient one which was most strikingly made in ancient Greece, whose so-called “Olympic” games were the most brilliant example, but they waned for many centuries between the edict banning circus acts and Olympic games (393 CE), and the second half of the 19th century. They were not, however, non-existent, as is shown by the extremely interesting studies carried out by the German historian Horst Bredekamp7 of Florentine calcio (football), forbear of modern soccer, at least to some extent. If it is possible, in the wake of Johan Huizinga, to admit the all-encompassing quality of games, it also behooves us to closely study the place and role of sports, not, to be sure, in the phases forming culture and civilization, but, more modestly, and more recently, in contemporary societies. Because the appearance of sport, in its modern conception, only dates back to the 1960s, and despite the indisputable importance
of ancient Hellenic games, we cannot broach sport in a way identical to the manner in which the social sciences have examined games. The history and sociology of sport, just as much as its philosophy and psychology, form such a voluminous bibliography that, in the framework of this short essay, and because we have done so in other writings, we will cautiously eschew the idea of proposing such a thing, if only in the form of a sketch. We shall merely call to readers’ minds one or two elements essential to the stuff of sport, as a social phenomenon, almost a century and a half ago. The fact that games, like sports, occupy a place that is as special as it is specific in the production of symbolic forms, seems more and more obvious. It has already been demonstrated8 that sport and art, another great purveyor of representations, offer a vast swathe of common history, as it has been shown that sport provides art with an infinite variety of forms, narratives, tools, and attitudes. Others have also shown interest in the ludic aspects and functions of art, as much in the procedures for developing this latter as in our ways of understanding it. What, it seems to us, remains to be done is to imagine this art/sport/game triangulation in the way that it is organized and in its complexity. If, together with Roberte Hamayon, we consider that sport has permitted the social re-integration of games, demonized by the Church for centuries; if we also consider that this condemnation is not universal (many societies assume and lay claim to the playful element of games); and if, last of all, we take into account the concomitance of the appearance of modern sport and artistic modernity, then we will perhaps manage to shed additional light on the determinedly anthropological nature of art, including in what we must continue to defend: its irremediable specificity. This is the avowed purpose of this essay; 80
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it also represents the whole meaning of the illustrative choice which punctuates it. Rather than opting for the illustrative register, for example by reproducing some of the works mentioned in the text, we have chosen a dialogue with the work of an artist. The images presented by documentation céline duval9 [P. 60, CAT. P. 40] are a twofold trigger. On the one hand, they come from anonymous sets, often family photos, sorts of “I remember” objects retrieved by the artist; on the other hand, they are re-integrated as a medium, into a project involving ways of looking at the world, a decidedly contemporary gaze. Once this essay has recognized its new theoretical debts, it will become part of research into the links between art and sport, which we have been involved with from the 1990s, through a series of articles and books, as well as exhibitions. It is for this reason that, in addition to this essay, this book includes interviews with artists as well as an exhibition catalogue. What we are hoping for here, when all is said and done, is that the social sciences may nurture an approach which, while nevertheless claiming to be a playing field, so to speak, is that of art criticism. The words which follow only in fact have legitimacy insomuch as they are based on an assiduous acquaintance with both works and artists, otherwise put, on what is the creed of our discipline: there is no art without works. What is a game? What is playing?
The paradox is not surprising. There is no term more common, more shared and more admitted which does not have its equivalent, or even its equivalents in countless languages, and yet there is no notion harder to define. In fact, any attempt to define games, and the ensuing words will fully confirm as much, lends itself to a discussion of some or all of its terms, and there is no analyst of any
significance who has not based his approach on a critique of his predecessors. To such a degree that discouragement lies in wait for anyone who rubs up against it, as much through a sense of impossibility as through an observation of contradiction. It is nevertheless important to accept the authors who have written about this, albeit without any guarantee of success. We make no claim here to reach a general definition of the game, rather than trying to imagine a part of the semantic field of this notion, which is so essential at the anthropological level, particularly here in its relation to art. In opposing the received idea that games are just a deteriorated leftover of social and civilizational events, broadly based on mimicry and imitation, and above all practiced by children, Johan Huizinga maintained that the spirit of play preceded culture and that culture is considerably reliant upon games. “Culture came into being in the form of games, culture, originally, was played.” 10 “The playful attitude must have been present before a human culture and a faculty of language and expression existed.” 11 He also asserted that most social, artistic and intellectual events are steeped in play: philosophy (wisdom), war (at least until the 20th century: “Games are combats and combats are games”), justice, poetry, music… sport, well, that goes without saying. From his viewpoint, it was with the plastic arts that the link turned out to be most difficult to establish. So, for Huizinga, rather than being an autonomous activity, deriving from human practices as a form of entertainment, games represented one of the principle markers of the experience of living beings, which, a century and a half earlier, Schiller described thus: “Man only plays where, in the full accepted meaning of the word, he is man, and he is only altogether man where he plays.”12
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On these premises, the Dutch historian came up with the following definition: “From the angle of form, it is thus possible, in a nutshell, to define the game as a free action, felt as ‘fictitious’ and situated outside ordinary life, but nevertheless capable of totally absorbing the player; an action stripped of all material interest and all utility, which is accomplished within an expressly circumscribed time and space develops in an orderly way in accordance with given rules, and bestirs in life relations of groups readily surrounding themselves in mystery and, through disguise, accentuating their strangeness with regard to the ordinary world”. We shall nevertheless permit ourselves to discuss certain terms in this famous definition. It is, for example, possible to confront Huizinga with the fact that, even when he asserts that professional sport excludes play, games of chance and professional football are not without material interests. We might further put forward that games are useful for the equilibrium of the individual, his/her pleasure, and place in society. Alternatively, that the game often exceeds the time and space in which one wishes to confine it. As we have said, the specific contribution made by Roger Caillois, with Les Jeux et les Hommes/Man, Play and Games, came in the wake of Huizinga and was also part of the way he contested most of Huizinga’s conclusions. It nevertheless seems to us that Caillois marks this reflection less in any strict definition of the game, which, when all is said and done, is fairly close to the Dutchman’s definition, than in categories which he borrows from games, in order to base his sociology. Caillois prefers the feature of unproductiveness to that of uselessness, the former being a notion dear to Georges Bataille13, as well as to Marcel Mauss. So “unproductive activity” can be likened to the “sumptuary expenditure” which Mauss14 makes the
core of his analysis of the Potlatch, a giftgiving ceremony in certain ancient societies, in which riches are also destroyed in order to demonstrate power. Let us bear in mind the four characteristics of the game which, through their combination, inter alia, are used by Roger Caillois to draw up his sociological nomenclature. 1st competition (agon), 2nd chance (alea), 3rd simulacrum (mimicry), and 4th vertigo (ilinx).
mirror of existence, a tool, and an observation post, which Alain Caillé sums up with these apt words: “The primary interest of the game is perhaps that it makes it possible to know (at last!) what game one is playing.” 16 In other words, and from our point of view, games may be regarded as symbolic objects. As such, and we shall attempt to show as much, they form a not inconsiderable part of art.
For his part, the philosopher Stéphane Chauvier15 makes an apt distinction between “playing” and “playing a game”—the game as behaviour and the game as system. This latter presupposes a system of rules when the two can be carried out in relation to a purpose. In borrowing from Caillois the category of alea (chance), Chauvier raises this fundamental point: “In order for any kind of purpose to be the purpose of a game, it must, at the very minimum, be possible to not achieve it.” If the purpose of the game is indeed to win, there could not be any kind of game without the possibility of losing. The fact of losing is rendered possible by what Chauvier calls the “failuremongers”, among which he numbers agon and alea, but also a lack of strategic caution and a lack of tactical skill. By basing his thesis on the central role of alea, underscored by most authors; by acknowledging uncertainty as being primordial, and by asserting the primacy of the dimension of time in playful activities, it is possible to put forward the notion that the time-span of the game represents the strongest contestation of the timespan of tragedy. Opposing Huizinga once again, Stéphane Chauvier argues about the teleologically closed nature of games (their only purpose is their own realization) and excludes sacred ceremonies and rituals from this class of activities. This conception of the game as a teleologically closed practice and world does not stop him from granting them a function as a
Is sport a game? Are sports games?
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The huge scope of the notion of sport cannot be reduced to the appearance of the noun “sport”, in France, in 1828 and even more so in 1854, when the bimonthly newspaper Le Sport was first published. This human activity which associates physical exercise (and to a lesser degree cerebral exercise) with competition seems as old as humankind itself, and is inextricably mixed up with the game which, if we are to believe many authors, is its assimilating category. There is not a region in the world nor a period in the history of peoples which have not known these physical and ludic competitions, from duels to the death to the most refined sporting contest, from bucolic pastimes to cerebral sports. It then became evident that sport could be defined the way that George Orwell did, as “war without the shooting”; and that, in their amorous way, in fable and reality alike, Don Juan and Casanova were great sportsmen. But sport as a phenomenon cannot be reduced to sports in particular, or to the strict activity of the body. The sporting phenomenon, and even more so in its contemporary period, is also a panel of professions, an associative and institutional organization, an industry of spectacle, attire, and fashion, a manufacture of objects and tools, forms of architecture, a press and the media, a way of life, a culture, an object of research and
knowledge, in a word, a not inconsiderable part of the world and reality. Many of the qualities which we attribute to games can be equally applied not so much to sport in general as to sports in particular: the space/time definition, the free action (Huizinga), agon and alea, and vertigo (Caillois), among others. But there is one quality about which everybody agrees and which broadly seals their analogy, which is the presence, in sports and in games alike, of rules. Both are regulated activities, possibly above all else. Roberte Hamayon: “All sport is defined first of all by the rules which make it. These rules legitimize sport as a rationalization of the game, as a factor of promotion and professionalization for those practicing it.”17 So be it. But does it follow that all sport includes play and games, and can even be defined as a game? When we are talking about the practice of a specific sport, the French language has verbs which seem to us to define two categories: on the one hand, “doing” (or “practicing”, which is its synonym), and on the other, “playing”. So people do biking, judo, boxing, athletics, and windsurfing; but people play football, rugby, basketball, handball, tennis, and badminton. Does this mean that there is no game in the first category? And that the sports in the second category not only have a significant playful dimension, but are in addition games? And what is it that makes football and tennis games, and not biking or boxing? They are all subject to rules. So would there be more pleasure and less suffering in “playing” football than in “doing” some biking? Probably, although we may well wonder about the comparative strenuousness between five sets of tennis and a judo competition. The competitive dimension does not tell them apart either, any more than the alea, or uncertainty as to the outcome, and the possibility of losing. 83
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What perhaps best hallmarks the playful share of sport, in a general way, is a sort of lightness, that impulsive, and temporarily gratuitous aspect, which takes the boxer by surprise in the middle of a round, which makes the teasing runners in the pack “rub (shoulders/wheels)” as they say in the pack. This innocence which freshens up the most blasé of professional footballers and reminds him of the good memories of the child he once was in the school playground, or in his village or neighbourhood streets; that which, beyond his profession, makes him still play! The game imbues the living fabric of sport, by taking an infinite number of paths, and using a whole range of methods and tricks. It does so by disturbing the predictability of actions, by making rules, but also by getting round them. If we admit that cheating is the antonym of playing, there is nothing to stop people from playing at cheating. Which means that all sports, in one way or another, are games; the fact is that, over and above the restrictions which confine them, and over and above the cynicism and ill-will, and the aggressiveness shown by players, including at the most modest level of competition, beyond the “gladiatorialization” of sporting spectacles, the fact is that they remain free activities, albeit imperceptibly. They are free because they are “fictitious”, executed within a space-time framework which situates them, not outside real life, but in a very specific niche, as mental as it is physical, which, at the heart of human experience, is akin to a representation of it, a possibility of experimenting (and in this respect never fatal), a way of testing the world, and a viewpoint from which to observe it while at the same time “practicing” it. At this stage, if we may so put it, sport, game, sport as game, and game in sport perforce affect certain characteristics of art.
The rules of play/in the rules of art
Generally speaking, as we have seen, there is an element of the game in sport, and certain sports are games. If we add to this pair the third term in our study, which is to say: art, in its semantic relation not to sport18 but to games, what do we observe? At first glance, not very much. If we make an exception of the Olympic and more broadly the Hellenic mixture of physical competitions called games, and poetic jousts, not forgetting the constant production of sculptures in honour of the gods. We shall come back to this. Let us here add one or two lexical analogies: playing with forms and colours, executing performances… The term “performance”, common to both fields, is, as we know, a faux ami, a linguistic false friend; we will deal with this further on. So what do we still have that can justify this test involving the art/sport/ game relation and, precisely here, the art/ game relation? Two things, and just two, but they are essential. On the one hand the issue of representation and on the other, the issue of rules. It was Aristotle19 who was the first, in opposing Plato, to assert that imitation was natural to man, and that it furthermore represented a source of pleasure and knowledge. In expressing himself thus, he was thinking of poetry and theatre, but also of the plastic arts, and he recognized in these latter a certain playful dimension: the game of imitation (simulacrum) sometimes fuelled by competition (agon). Less than a century before him lived the painter Zeuxis, who bequeathed us more legends than works. One story20 has it that during an artistic joust with his colleague Parrhasius, he painted grapes so realistic that birds came to peck at them. His rival, for his part, merely painted a curtain; but we have to believe that he made it even more perfect than the birds because Zeuxis asked for it to be drawn so that people 84
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could admire the picture. If trompe-l’œil is a game, it is designed to fool the viewer. The keenest viewers let themselves be taken in, but most of them nevertheless… play the game, delighted to be had. In what ways is representation, imitative or otherwise, a source of pleasure and knowledge? This is an issue to which Freud and, above all Winnicott, brought decisive answers which we will refer to at the end of this essay. These answers are actually so significant that they might well be used to formulate the thesis that we are seeking to draw up here. However, the thing which, more than anything else, and albeit in an asymmetric way, makes it possible to compare art with games is indeed a shared use of rules. Those which are the basis for games are well known, starting with the most paradoxical: the absence of rules (playing dolls, or cowboys and Indians…). They vary from one game to the next but they share the ontological imperative of having to be complied with (if not, “it’s no longer a game”). As far as the rules of art are concerned, these turn out to be all the more difficult to identify because they seem to belong to the very bedrock of this activity, to such a degree do rules and art appear to be one; and to such a degree, in the end, does their existence remain irrevocably irreconcilable. In fact, at least in its modern period and even more so in its contemporary period, art has consisted precisely in not complying with rules, and breaking codes and expectations. The fact is that, in order to conceive of the very idea of doing without rules, these rules have to exist. For a long time they were dictated to art by the powerful parties commissioning art: the religious powers-that-be and the wealth of princes. Michael Baxandall21 shows how, between artists of the Quattrocento (15th century) and their clients, a game was set up with very precise rules which had to do
with the subjects to be represented, the manner of executing them, the colours used, their quantity, etc. The directives imposed by the Academy, in the 17th century in France, were no less restrictive, and it was by way of protests against them that there appeared the first signs of an art focused on supply more than on mere commissions. Those artists had names, in France and elsewhere: Goya, Watteau, then Géricault, and the romantic aftermath, Courbet, Turner, and up to the Impressionists. They all did without rules and, using novel methods suited to their project, gave pride of place to selfexpression, or at the very least to the novel signs of the new times that were theirs. However, if the permanent disagreement with rules and academic prescriptions found favourable terrain in the fits and starts of embryonic democracy, voluntary servitude, as amply shown by Sade, had not said its last word, including, and this is what interests us here, in its challenge in the name of, it just so happens, freedom and the personal initiatives of artists. So, in no time, from Monet on, with his Haystacks and paintings of Rouen Cathedral, artists introduced variations, and the beginnings of series, where the game assumed its full share and its structure-giving role. Variations and games were again involved when Marey and Muybridge, both scholars and photographers, broke down movement; game and sport. Little by little, in internalizing the restrictions, painters in particular managed to invent new rules of play, a fruitful tool if ever there was with regard to the production of new forms, and new pictures. The Surrealists’ games of consequences, Max Ernst’s frottages, Simon Hantaï’s folding method, Pollock’s (sporting) drip paintings, systematic and random motifs in the work of François Morellet; and so many others who, near or far, and usually unwittingly, worked in the vicinity and in the spirit of the most playful of 20th century writers, Georges 85
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Perec, member of the Oulipo*. Perec was a go player and a crossword enthusiast as well as compiler enthusiast, so it is not surprising that one of the motifs woven into his masterpiece W ou le souvenir d’enfance/W or the memory of Childhood,22 is a metaphor of totalitarianism, in the guise of an insular society entirely given over to the Olympic ideal. As the awesome verbal virtuoso that he was, he found in linguistic games the tool required for a reconstruction of the world—his own world—ravaged by war and the shoah. La Disparition/A Void,23 for example, a lipogrammatic novel written entirely without using the letter ‘e’, presents, behind the vaguely detective story it recounts, the absence of ‘e’, by far the most used of French vowels, which, we may note, is also the main vowel in the author’s own name… Georges Perec. When Morellet decided that the two colours of each small square in his abstract geometric picture would be determined by the odd and even numbers in a Maine-et-Loire telephone directory,24 he abandoned himself to chance (alea) and turned his back on the heroic and agonistic posture of the artist as demiurge. But he did so within the rules of art, albeit in accordance with the rules of a game that he himself had invented. Chance which, inter alia through the game of dice, so profoundly marked man and their relation to the ancient gods (notwithstanding the birth of tragedy) was violently censored by monotheistic religions. It nevertheless represents an essential part of art, without which André Malraux would never have been able to declare that “art is an anti-destiny”. Sports and game(s) in four stages
This is neither the time nor the place to tell the story of the art/sport/game relation down the ages, so we shall simply
point out one or two focal points of this relation, points that might more solidly underwrite it. The age of the Olympic and Hellenic games.
It is a fact that the Hellenic games were not scaled down to physical competitions, ephemeral substitutes for the neverending wars waged by the Greek citystates. These latter, which were closely associated with religious rituals, led to the creation of nothing less than schools of sculpture, that of Phidias in Olympia being the best known. The sporting sites were accordingly veritable museums where champions and gods alike were entitled to their statues. Unlike the Olympic games, which focused exclusively on physical agon (contest) and were placed under the patronage of Zeus, the Pythian games at Delphi were dedicated to Apollo and were hallmarked more by musical and poetic contests than by merely physical confrontations, which only appeared in a second stage. So sport/game and art were all part and parcel of one and the same culture, involving the accomplishments of the individual, as opposed to the “high and low” division which is the mark of our day and age, making sport a vulgar activity and art a distinguished culture. The age of rubber with the Maya and the Aztecs. Ball games were a very ancient
activity (2nd millennium BCE) among Pre-Columbian peoples, mainly the Maya, and then the Aztecs. Practiced for nearly two millennia BCE, we can situate their climax between the 10th and 13th centuries, and their decline tallies with the conquest of Central America by Europeans, in the 15th and 16th centuries, when these latter discovered both the region’s ritual and sporting activities, and the famous latex. To date, some 2,000 stadia have been listed, proof of the major place occupied by these games in pre-Hispanic Mesoamerica. Like Greek athletes, their players are frequently 86
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depicted on stelae and on the risers of stairways. These players confronted each other in two teams whose members exchanged a heavy ball made of rubber, a sacred material, which was not allowed to touch the ground; neither feet and hands were permitted to be used to control the ball. The purpose of the game involved passing the ball through a small stone circle fixed high up. The roundness of this ball matched the conspicuously ritual dimension of the game, with the pitch representing the earth, between the sky and the edge of the abyss. The losers were liable to death by beheading. In the symbolic organization of the spheres, it may be noted that the round skull was used in many cultures as a ball for games. These games were also used as means of negotiation and barter, economic and political alike. The artist Éric Giraudet de Boudemange draws inspiration from these ancient activities for his set of works (sculptures and performances), Cycle du rebond [CAT. P. 32, 80]. The age of Florentine calcio. The historian
Horst Bredekamp25 shows that while the game of Florentine calcio should not be regarded as the ancestor of football, but rather as a variant thereof, it was also the essential ingredient of the prodigious spectacles which the Medicis offered their Florentine subjects between the 15th and 17th centuries, at the height of the Italian Renaissance. “Calcio” means “kick”. It lay at the origin of a republican practice subsequently recycled by the famous ruling family. The ceremony involved a parade, a huge and magnificently costumed procession, and then the match properly so-called, the two being inseparable. The influence of calcio was such on Florentine society that Bredekamp can write that “The sumptuous nature of the show probably encouraged the conclusion […] that it was not the calcio ritual imitating the ceremonial of the court, but rather the reverse”. As we can see, Huizinga was not
far off when he asserted that the game existed prior to culture. What is more, calcio offers one of the best examples of the close link between sports, games, and the arts. A total social fact, as Marcel Mauss might have put it, but also a total artwork, encompassing in an overall representation both the applied art of costumes and hairstyles, and processional paraphernalia, not forgetting the décor of the squares and the sculptures on the palaces lining the way. It also gave rise to many tapestries and prints, including the well known ones by the French artist Jacques Callot26. As we know, the round ball also calls to mind the roundness of the globe and of the vault of heaven, thus explaining its presence even in coats of arms and the attributes of sovereignty among the Medicis, Cosimo in particular, whose very name evokes the cosmos.
far from being over because, since the 1960s, and the publication of La Société du spectacle 30, voices are still being raised condemning the sporting spectacle, this time less in the name of idolatry than in that of the alienation which it is the symbol of, and the massive and cynical use of money which it illustrates. In Quel corps!, the magazine which he founded in 1975, and in many of his books, the sociologist Jean-Marie Brohm was one of the pioneers of this critical approach to contemporary sport. The rehabilitation of games, via sport, got underway in the mid-19th century, when sport itself, resulting from a specific history, was gradually imposed through its social and institutional organization: the birth of the sporting press, the formation of clubs, the organization of competitions and championships, etc.
The age of modernity. “Sport appeared as
a healthy activity for the body just when secular attacks against games had finally managed to discredit them […]. So it is common to hear it said that it is by becoming sports that many games have acquired their spurs.” 27 Roberte Hamayon thus traces the history of the disapproval of games by the early Founding Fathers of the Christian Church. Those condemnations, dating back to Aristotle (Nicomachean Ethics), were aimed principally at the Circus games in Rome, and culminated in the decree abolishing them (not only the Circus games but also the Olympic games), thus leading to the closure of stadia by Theodosius I in 393. Spectators and players alike were targeted for the leading reason of idolatry.28 Seventeen centuries later, when games (in the broad sense of the term) were reintroduced in the institutionalized form of sport,29 people were not surprised by the restoration of the Olympic Games, brainchild of baron de Coubertin. But the debate is 87
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“It may be said in a general way that the world of sport came into being based on the game, but relieving it of any religious reference, and any representational function; it wanted to be fully and exclusively a game. However, keen to link physical exercise to values vital to the stability of society, it developed a social morality which took the place of religious representation. As a result, all sport ends up having something ritual about it, in spite of itself, in becoming a representation if only of the collective identity of the players. It might thus also be possible to analyze football matches and their televised transmissions from the angle of play.” 31 We have often underscored the simultaneous occurrence of the emergence of sport and that of modern art in the early 1960s. Let us emphasize this point, which might well represent a definition of modernity. In La Vie intense 32,Tristan Garcia describes modern man through his concern with intensity (“being intensely what one is”). Among other domains, he sees in sport, and also in art, the most
visible areas of application of this “modern obsession”. Under the fallacious pretext of a rebirth of the ancient Olympic ideal, sport is the activity whereby modern man speeds himself up, with no goal other than that of acceleration. An acceleration exaggerated by the technical advances of measuring instruments, which leads to what Alain Ehrenberg calls “the cult of performance”33, the modern imperative of self-surpassment, which Isabelle Queval34 contrasts with the accomplishments of the Ancients. The fact is that the generalization of this tendency, by way of the democratization of Western societies, corresponds to a similar shift in art history. Manet’s Olympia was the main warning shot, quite different to Courbet’s rebellion, addressed at established positions, followed shortly thereafter by Impressionism, which would undermine them, announcing the beginning of a cycle which has been called “the avant-gardes”, which would introduce the imperative of the swift, the strong, and the new, not far removed from the famous “citius, altius, fortius”—faster, higher, stronger. This motto, borrowed by baron de Coubertin from abbot Didon, a Dominican with a passion for sport and co-founder of the modern Olympic Games, nevertheless assumed, without batting an eyelid, the betrayal of the ancient ideal, founded, as has just been noted, not on surpassing, but on accomplishing. For the very expression “Olympic Games” uses the term “game” (to be sure, “jocus” rather than “ludus”) and not that of “sport”, which has nevertheless been common currency for several decades. Paradoxically, the game (be it existing games, or the spirit of the game) has become the unthought element and, even more astonishing after all these centuries of condemnation and calumny, the positive and almost edenic part of a sport eaten away by corruption, and undermined by headlong rushes, drug use, and spectacularization. 88
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Games, sports and artworks in the different chords of representation
The mediaeval tournament possibly represents one of the best examples of synthesis between sport, games, and coded representation. If it clings closely to the characteristics of war, it is still a representation, itself widely represented by the arts of painting, engraving, illumination, and tapestry. However, this link between art and games (and sport just as much,if we allow ourselves the use of an anachronistic term), beyond its spectacular dimension, the spectacle as total artwork, only really appears in painting through this latter’s illustrative and documentary function. This would more or less be the case throughout the following centuries, up until the contemporary period, and the reconsiderations for which it was the theatre. If the truth be told, games and physical activities rarely appear as real subjects, and only occur very rarely in the process of symbolization. We should, however, remember one or two major works within which are played out many different interactions between the game, war, the construction of the picture, and the codes of representation. The most striking example of this is provided by the three panels painted by Paolo Uccello, each one known by the name of the Battle of San Romano.35 The game of war and war as an almost theatrical spectacle here lend structure to a painting in which the upright lances act as the broken lines of tiling, which, like the recumbent bodies, are an arena for groundbreaking experiments with codified perspective. The painting by Pieter Bruegel the Elder, titled Children’s Games 36, also goes beyond mere illustration, and if there can be no doubt about their documentary value, they are also the subject of a picture in the specificity of its development and in the more general logic of a work for which they represent something like a manifesto.
The encyclopaedic dimension is in fact organized around a conception of the occupation of the surface which, while incorporating the whys and wherefores of monocular perspective, announces certain modern forms for structuring the picture, from Impressionism to the “all over”, by way of Cubism. With Bruegel, games and sport are mixed irrespectively, as in Gargantua and in the whole humanist tradition. As has been said, over and over again, modernism was based, inter alia, on the twofold emergence of an art breaking with what went before and sport undergoing a phase of economic and social organization. A liking of the outdoors is the feature shared by these two types of experience which people aspire to, as much among the rich tired by gloomy romantic landscapes as by the proletarian masses, imprisoned in factories. And all the more so because it was artists and writers who would give form to that new trend called the sporting press. Maupassant, a player as well as a canoeing champion, spent much time on the banks of the Marne. Manet, then Monet and Caillebotte would paint regattas, and Cézanne, bathers; Degas painted jockeys. This point has probably been made too much of, but most painters developed a liking for being outside, getting away from their studios to go and paint and draw on the spot, from life, setting up their easels in the middle of the countryside. When Impressionist painting depicts people canoeing and other outdoor games enthusiasts, it is not confined to a role recording the motifs of a period, it is its very foundations which are being brought in: the light of the Impressionists is the direct emanation of physical games and outdoor activities. Likewise, at the dawn of the 20th century, Futurist painting and sculpture, and the constructivist photography of an artist like Rodchenko, drew their very nature from the nature of their 89
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subject: movement, speed, sequences of gestures, confrontation, vertigo… Later on, Yves Klein would refuse to separate his painting from his judo practice, turning his art into a combat sport. Another New Realist, Gérard Deschamps [CAT. P. 18], would mix beach games and a new genre of painting, with joyful colours and constantly recycled forms. Performance and performance. A contemporary history
It was not until the last years of the 20th century that we witnessed a massive interpenetration of sports, games, and arts. For reasons broadly to do with a far-reaching alteration in the relation between art and ambient reality, which we have described elsewhere,37 sport, but also games, as we shall attempt to demonstrate here, would become essential factors in the processes of artistic creation. If, together with Huizinga and Chauvier, we regard the game as an assimilating category, including in relation to culture and civilization taken together, it may henceforth be overtly assumed to be one of the driving forces of art. Why? Because, since the 1990s, by freeing itself from the modernist dogma of its autonomy, and without denying its specificity, art has once again found its place at the heart of social, and more broadly anthropological, reality. So the playful part of sport in general, and of specific sports in particular, would be summoned wholesale by artists freed from the diktat of academic representations, and making unrestricted use of the objects and attitudes made available to them by Duchamp. Readymade, performance, video, and various other systems would found logical systems for works which no longer illustrate the sport and/ or game which they call upon, but which, though in a different way to their elders in the avant-gardes, turn sport and/or games
into nothing less than a medium. One or two examples will show what is involved. At the 1993 Lyon Biennale, John Armleder and Oliver Mosset exhibited a skateboard ramp for use by the public. A few years later, Neal Beggs made climbing the main medium of his work, either in the form of performances or by installing climbing walls in exhibition venues. In a video titled Power (1999), Salla Tykkä was filmed as a boxer who, wearing a male outfit, thus naked from the waist up, confronts her sparring partner, a tough guy in a T-shirt. Chasing 1000 (1994) [CAT. P. 56] is a video in which Roderick Buchanan and the artist Paul Maguire go to great lengths to reach 1,000 headers exchanged with a basket ball, all taking place on an American court, kitted out as basketball players. This sport and these games here represented are no longer either a sport or a game, but a novel object which is called a work of art. Between 1997 and 1998, Pascal Rivet, greatly helped by a real gift as an imitator, played at being Cantona, Barthez and Pantani, the way you do as a child, when you are Zidane, Messi or Michael Jordan. Photographs and videos describe these simulacra. One of the first well-known works of Maurizio Cattelan38 consists in a game of bar-football for 22 players, in which he pitted an Italian football team against a bunch of African immigrant workers without papers. Their vests bore the sponsor’s logo: Rauss. In 2002, Massimo Furlan39 re-enacted the 1982 World Cup final between Germany and Italy, all alone, in a stadium, and without a ball. A video of the event was made [CAT. P. 62]. Between 1993 and 1996, Gilles Mahé drew up a contract with the architect Rudy Ricciotti: in exchange for paying his membership fee for the Dinard golf club, the artist gave his patron all the objects to do with his pastime (tees, score sheets, drawings, various certificates, etc.) for a total of more than 300 items compiling the work titled Gilles Mahé Plays Golf Thinking of Rudy Ricciotti. 90
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These examples are strikingly homogeneous, and show that, in each one of these instances, and to a decisive degree, the work is the game; the game which, by being based on sporting realities known and recognized by one and all, produces new and specific forms; and which, on the other hand, is never the work. Let us bear in mind, once again with Johan Huizinga, that game and seriousness are definitely not opposites. But we must dwell on this lexical point which we brought up at the start of this essay, and which has to do with the notion of performance. There are in fact few similarities between these faux amis, a sporting and economic performance, and the performance as we understand it in the vocabulary of art, and even when certain actions executed by Chris Burden, Gina Pane and Vito Acconci in the 1960s and 1970s often stemmed from a form of heroism, as physical as it was mental.40 It was actually in those years following the decline of the New York School that the bases were laid for a re-examination of the relation of art to society which, twenty years later, would permit the massive recourse, by artists, to the worlds of sports and games. When Chantal Pontbriand took it upon herself to define performance, this is how she started: “The literalness of time and space is a basic component. A performance often lasts for as long as the process which underpins it.”41 Game theoreticians say the same thing about the object of their study. But the major difference between an artistic performance and a game resides in the type of representation to which both are attached. In differing degrees, most games are representations and, as such, liable to become symbolic objects—we shall return to this at the end of this essay. Performances, too, including the most literal in relation to reality, result from the system of representation,
in the same way as classical painting, although in a different way with regard to the frames in which they are defined. It is the nature and components of these representational objects which should be described in detail in order to establish both the common points between them, and their differences. Art and game (sport?) as sources of symbolic production
“There is no subject, be it individual or collective, without a distance being created making it possible to see yourself and be seen, expressed or recounted as if one was another, seen, expressed or recounted by others.” This distance which Alain Caillé42 talks about is that of representation, the distance which, versus the death-dealing sirens of fusion, permits the making of symbolic objects. The person who has best described the role of the game in the making of the subject, by way of what he has called “transitional objects”, is D. W. Winnicott: “What I am referring to is not the scrap of fabric, or the Teddy bear which babies use; it is not so much the object used as the use of the object.” 43 Emphasizing process and interaction, the English psychoanalyst clearly shows that what is involved here is a dynamic construction which, finding its source in early childhood and being read even more easily through pathological cases, is carried on throughout the development of the identity of individuals, in their quest for a satisfactory relation to reality. “Here I would like to introduce the notion of an intermediate state between the small child’s inability to recognize and accept reality, and the capacity that he will gradually acquire to do so. This is why I study the essence of illusion, the one existing in 91
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the small child and which, in the adult, is inherent to art and religion.” 44 So this object, together with its use, are described as illusions. As far as we are concerned, we would rather talk of ruses in the strategy of accepting reality, or, if you will, necessary illusions. Because religion is involved, we understand what Winnicott is talking about, something which, however, is not the “opium of the people” which Marx made fun of. As far as art is concerned, the psychoanalyst connects it with what he calls “cultural experiences”, stemming from creativity. It is this creativity which he puts at the centre of his investigation, the core of the subject really formed, and which begins in those intermediate stages when the child constructs the way he has access to reality, where the main tool is the game. “It is by playing, and only by playing, that the individual, be he child or adult, is capable of being creative and using his whole personality. It is only by being creative that the individual discovers his self.” 45 When all is said and done, if sport has managed to provide art with a plethora of motifs, processes, metaphors, and forms, it is probably the game, including within the playful part of sport, which achieves veritable representations. And it is indeed this playful part of sport, and not the sport itself, which means that a tennis game or a boxing match can be erected as representations, if not as symbolic objects. In tennis, for example, it is less the strict physical effort or the technique than the rules of play, and all the features of the game, which raise this sport to the metaphorical and fictitious level of an image of life. Through its space-time definition, through its fictitious dimension, also through its capacity to do as if (simulacrum), and lastly through its quality of free action, the game is thus in fact an activity capable of producing
discrepancy, a sidestep, a tool for better seeing the world. “A mirror that one takes along a path”, wrote Stendhal with regard to the novel. Stéphane Chauvier says much the same thing: “Games are a mirror of existence. […] What we see in games offers us a significant contrast for seeing how things happen outside games.” 46 It is because games are teleologically closed, and because they have no direct influence on the course of our existence (I can lose at a game of cards without it having adverse consequences on my life47), that they are a formidable tool for grasping reality. That red line which still exists between games and life (when it is crossed, people say that it’s no longer a game), is also the one that separates art from everyday life, and from reality. And it is because art, by sometimes being similar to life, never merges with real existence, that, thanks to the specificity of its nature, it remains one of the most valuable tools in the development of human societies. If this line of defence was dented it would be a step back similar to the one which strikes certain young children in their unsurpassable nostalgia for their fusion with their mother. Allan Kaprow 48 is the person who has pushed experimentation with the closeness between art and life the furthest. He was one of the inventors of the happening (where the role of chance is essential) and performance; he promoted to the rank of artworks simple everyday actions like brushing your teeth. Needless to say, brushing your teeth is not, on the face of it, art, it is, quite simply, life. But when you claim that the action of brushing your teeth is a work of art, it becomes a work of art by that mere fact, and Kaprow could then claim an art similar to life. He simply proposed a very realistic version of it, probably the most realistic ever seen, a readymade of day to day actions.
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In 1991, when a naked Matthew Barney 49 climbed over the walls and ceilings of Barbara Gladstone’s New York gallery, he gave a representation of the act of climbing and defined it within the art world: he played at being a climber. In so doing, he produced a symbolic form, and all the more symbolic because the action was carried out without any audience, with people only becoming aware of it through the go-between, a second medium, of a screen on which the images were transmitted. So, in Barney’s case—and he was incidentally a great sportsman— it is less sport producing representation than game. We could offer many more examples. We might also argue by way of the negative. The boxing match which pitted the Dadaist Arthur Cravan against the American champion Jack Johnson in 1916 in Barcelona, notwithstanding the fact that Cravan was a poet and probably a painter, could not be regarded as a work of art. It was just a wretched slapstick event, a non-match, a swindle.50 So games, from the earliest age of human beings, followed by art, and every manner of ritual, represent so many intercessors between the individual and the world, and between subject and reality, an intermediate stage vital for that task of separation without which there is no free identity. We will let everyone pass judgment on the relevance and effectiveness of these go-betweens, but we should emphasize this point: the representations which fill these transitional spaces are neither good nor bad in themselves, and they make both the best and the worst possible. We know that good literature is not made by good sentiments. In fact, neither games nor art, any more than sport, are to be considered by the yardstick of morality and values. Either alone or organized together, they precede specific values, and the information with which they are
swiftly endowed. So by existing prior to those forms which we call works, and works of art as far as the subject of this essay is concerned, they make a decisive contribution of those symbolic forms, without which no society could survive. The fact that these forms may turn out to be harmful to social life and to the beings which create it, let us repeat ourselves here, is something that is sadly obvious, but fighting against the aberrations of representations has to do with political combat, and struggle is only possible, and ethics only envisageable on the basis of constituted symbolic forms. Recognizing signs and delighting (because what is indeed involved is a delightful recognition) in objects which, in their very specific way, are so many points of view, is, thanks to the forms thought up, being able to represent reality for oneself, which is to say envisaging or imagining the world.
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1 Johan Huizinga, Homo Ludens (1938). Gallimard, 1951, for the French translation, collection Tel for the current edition. 2 Roger Caillois, Les Jeux et les Hommes, Gallimard,1958, collection Folio Essais for the current edition. 3 Eugen Fink, Le Jeu comme symbole du monde, Les Éditions de Minuit, for the French translation, 1966. 4 D.W. Winnicott, Jeu et Réalité. L’Espace potentiel (1971), Gallimard, 1975, for the French translation, Folio Essais for the current edition. 5 Roberte Hamayon, Jouer. Une étude anthropologique, La Découverte/Bibliothèque du MAUSS, 2012. 6 To be precise among the Nganasans and the Yakuts in Siberia. 7 Horst Bredekamp, Le Football florentin. Les Jeux et le Pouvoir à la Renaissance, Diderot éditeur, 1995. 8 Jean-Marc Huitorel. La Beauté du geste. L’Art contemporain et le Sport, Éditions du Regard, 2005. 9 See, further on, the interview with the artist as well as the notices for the works on view in the exhibition Une Forme olympique. 10 Huizinga, ibid. 11 Huizinga, ibid. 12 Friedrich von Schiller, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, 1795-1796, Fifteenth letter. 13 Georges Bataille, La Notion de dépense, Les Éditions de Minuit, 1967. 14 Marcel Mauss, Essai sur le don, in Marcel Mauss, sociologie et anthropologie, Presses universitaires de France, collection Quadrige, 1950. 15 Stéphane Chauvier, Qu’est-ce qu’un jeu ?, Vrin, 2007. 16 Alain Caillé, Jouer/Donner/S’adonner, in L’Esprit du jeu, Revue du MAUSS nº 45, La Découverte/MAUSS, First semester 2015. 17 Hamayon, ibid. 18 The links between art and sport have been analyzed in La Beauté du geste and we reached the conclusion that it is sport that says something about art, much more than the other way round. Because it is always informed by the reality of its day and age, and because contemporary reality has been very widely “sportivized”, art has borrowed massively from sport: forms, concepts, styles, attitudes, techniques, etc.
19 Aristotle, Poetics, chapter IV. 20 In particular, it was Pliny (23-79) who recounted the fact in his Naturalis Historia. 21 Michael Baxandall, L’Œil du Quattrocento, 1972, Paris, Gallimard, 1985, for the French translation. 22 Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975. 23 Georges Perec, La Disparition, Denoël, 1969, then Gallimard, 1989. 24 François Morellet, Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone (1963). Silkscreen print on wood, 80 × 80 cm. 25 Bredekamp, ibid. 26 Jacques Callot, Calcio sur la Piazza Santa Croce, in Capricci di varie figure (1617 and 1623). Etchings. 27 Hamayon, ibid. 28 Tertullian, Treatise on Spectacles, end of the 2nd century. 29 “The deconstruction of the notion of game culminated, on the one hand, in introducing competitive games into autonomous chivalrous and military art; their future reorganization was thus prepared under the name of ‘sport’, stripped of the negative connotations resulting from the play aspect of the game, focused on its competitive dimension and on the demands stemming therefrom in terms of conduct”. R. Hamayon, Petit pas de côté, in L’esprit du jeu, Revue du MAUSS nº 45, La Découverte/MAUSS, first semester 2015. 30 Guy Debord. La Société du spectacle. Buchet-Chastel, 1967. Then Folio-Gallimard 31 Hamayon, Petit pas de côté, in L’Esprit du jeu, Revue du MAUSS nº 45, La Découverte/ MAUSS, first semester 2015. 32 Tristan Garcia, La Vie intense, Autrement, 2016. 33 Alain Ehrenberg, Le Culte de la performance, Poche/Pluriel, 1991. 34 Isabelle Queval, S’accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport contemporain, Gallimard/ Bibliothèque des Sciences humaines, 2004. 35 Paolo Uccello, Battle of San Romano (circa 1456). Tempera on wood, approx. 2 × 3 m, London, National Gallery. Paris, Musée du Louvre. Florence, Uffizi Gallery. 36 Pieter Bruegel the Elder, Children’s Games (1560). Oil on canvas, 116 × 161 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienna.
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37 Huitorel, ibid. 38 Maurizio Cattelan, Cesena 47 - A.C. Forniture Sud 12 (1991). 39 Massimo Furlan, Numero 23 (2002). 40 In Blindfolded Catching (1970), a camera films Vito Acconci who, blindfolded, tries to protect himself from tennis balls with which he is being permanently bombarded, from off screen. 41 Chantal Pontbriand, Introduction : notion(s) de performance, in Performance by Artists, A.A. Bronson, P. Gale. Toronto, Art Metropole, 1979. Reissued in La Performance entre archives et pratiques contemporaines, edited by Janig Bégoc, Nathalie Boulouch and Elvan Zabunyan, PUR/Archives de la critique d’art, 2011. 42 Alain Caillé, Anthropologie du don, La Découverte, 2000. 43 Winnicott, ibid. 44 Winnicott, ibid. 45 Winnicott, ibid. 46 Chauvier, ibid. 47 We will be told that this is far from being true if we think of the dramas that cause addiction to gambling games, whose playful part it would be as well to better define, even if it is the darkest. 48 Allan Kaprow (1927-2006). Allan Kaprow, L’Art et la vie confondus, Paris, Centre Georges Pompidou, 1996. Texts compiled by Jeff Kelley and translated by Jacques Donguy. 49 Matthew Barney, Mile High Threshold: flight with the anal sadistic warrior (1991). 50 Cravan refused to fight, instead fleeing his opponents punches and ending up making off with part of the box office receipts. * Translator’s note: a loose gathering of (mainly) French-speaking writers and mathematicians seeking to create works using constrained writing techniques.