ISSUU SO 306

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Cerveau : ils cherchent le code Télécommunications

Biologie

Des bactéries caméléons

La revue de l’Espace des sciences

www.sciences-ouest.org

n°306

Rennes, une nouvelle planète

NANO Un bâtiment high-tech pour les nanosciences

Découvrir les nouvelles propriétés de la matière

Construire des matériaux atome par atome

FÉVRIER 2013


Cerveau : ils cherchent le code Télécommunications

Biologie

Des bactéries caméléons

La revue de l’Espace des sciences

www.sciences-ouest.org

n°306

Rennes, une nouvelle planète

NANO Un bâtiment high-tech pour les nanosciences

Découvrir les nouvelles propriétés de la matière

Construire des matériaux atome par atome

FÉVRIER 2013


© CÉLINE DUGUEY

Tout est nano dans notre vie ! Nanosciences, nanotubes, nanoparticules... Depuis le début des années 80, la technologie permet d’approcher l’échelle de l’atome : le nanomètre ! Aujourd’hui, certaines connaissances fondamentales en physique, chimie, biologie s’en trouvent bouleversées. Les chercheurs voient et comprennent désormais des phénomènes qu’ils avaient théorisés, mettent en évidence de nouvelles propriétés de la matière..., tandis que la miniaturisation apporte de nouvelles solutions de

production ou de stockage d’énergie en électronique notamment. Avec la construction d’un nouveau bâtiment dédié aux nanosciences, les chercheurs de l’Institut de physique de Rennes sont dans cette mouvance. Ce dossier leur est consacré, même si les “nanos” font l’objet de travaux dans bien d’autres laboratoires bretons. NATHALIE BLANC RÉDACTRICE EN CHEF

n° 306 FÉVRIER 2013

LE DOSSIER

CE QUE JE CHERCHE

Par DAVID MASCLET, économiste « Pour pallier le manque d’information, les employeurs peuvent s’appuyer sur des croyances parfois erronées »

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UN STAPHYLOCOQUE EXPLOSIF IL DONNE DES YEUX DERRIÈRE LA TÊTE ! DES BREVETS BIEN VALORISÉS CHIRURGIE ET RECHERCHE : LE LIEN OPÈRE

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DES BACTÉRIES CAMÉLÉONS

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À L’ESPACE DES SCIENCES

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L’AGENDA DE LA RÉDACTION

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L’ÉPREUVE PAR 7 PHILIPPE TAQUET, président de l’Académie des sciences Une interview non scientifique

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© BRIGITTE EYMANN- ACADÉMIE DES SCIENCES

CERVEAU : ILS CHERCHENT LE CODE

© DR

DÉJÀ DEMAIN LES ACTUS

© CNRS PHOTOTHÈQUE-QING JI, DENIS MORINEAU

Couverture : Dans des nanocanaux, certains fluides constitués de molécules allongées ne présentent plus les mêmes propriétés physiques (lire article p. 16).

DÉJÀ DEMAIN LES BRÈVES

LES NANOS EN EXPANSION UN MASTER NANOS À LA HAUTEUR

10 à 18 13

ILS EMPLOIENT LES GRANDS MOYENS 14/15 PIÉGÉES DANS DES ESPACES RÉDUITS 16 MAGIQUE L’AUTO-ASSEMBLAGE ?

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LES NANOS SORTENT DU LABO

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POINTE SÈCHE PAR WILLIAM AUGEL

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FÉVRIER 2013 N°306 SCIENCES OUEST

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Déjà demain

« Pour pallier le manque d’information, les employeurs peuvent s’appuyer sur des croyances parfois erronées » DAVID MASCLET, ÉCONOMISTE

«J

’utilise des méthodes d’économie expérimentale, une branche de l’économie qui permet de tester les modèles traditionnels en mettant les personnes en situation, plutôt qu’en les interrogeant, ce qui évite de biaiser les réponses. Par exemple, nous estimons le goût du risque en proposant aux participants de choisir entre deux loteries, dont ils remporteront réellement les gains. L’une est sûre mais rapporte peu. L’autre est plus risquée, mais les gains sont plus gros. Je mobilise ces méthodes pour étudier les discriminations dans le monde du travail, à l’égard des femmes ou bien des personnes nées de parents immigrés. Pour étudier les hypothèses avancées dans la littérature scientifique, j’analyse des résultats d’enquêtes et je mène des expériences sur les différences de salaires ou d’accès à l’emploi. En laboratoire, avec d’autres collègues, nous avons, par exemple, organisé un jeu de mise en situation d’embauche, qui a mis en évidence l’existence d’une discrimination, et a apporté des éléments quant à ses causes. Une première théorie supposait un favoritisme intra-groupe : les individus embauchent ceux qui leur ressemblent. Nos résultats tendent à valider une autre hypothèse, qui avance que, pour pallier le manque d’information qu’ont les employeurs sur les différents candidats, ils peuvent s’appuyer sur des croyances parfois erronées. Ces résultats peuvent être utilisés pour apporter des conseils aux décideurs, afin de trouver des solutions aux problèmes de discrimination. » PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE DUGUEY Rens. : David Masclet Tél. 02 23 23 33 18 david.masclet@univ-rennes1.fr

Quand un système “toxine/antitoxine” de bactéries est activé par un stress extérieur, c’est l’explosion.

Un staphylocoque explosif es staphylocoques dorés n’ont qu’à bien se tenir. Des chercheurs du laboratoire de biochimie pharmaceutique(1), dirigé par Brice Felden, en savent désormais un peu plus sur la stratégie d’attaque de cette bactérie redoutée, notamment dans les hôpitaux(2). Pionniers dans l’étude des ARN régulateurs (petites séquences de génome non codantes mais transcrites en ARN et jusqu’alors peu étudiées), dont certains possèdent un rôle majeur dans la virulence bactérienne, les chercheurs rennais ont franchi un nouveau cap. « Ces ARN n’ont pas seulement le rôle de régulateurs que nous leur avions attribué au départ (3). Le système est encore plus astucieux, explique Brice Felden. On a découvert qu’ils pouvaient finalement coder et exprimer de petits peptides (représentés par les hélices grises sur l’illustration) qui s’accumulent dans la membrane du staphylocoque et le détruisent, mais qui peuvent également attaquer d’autres bactéries concurrentes, et aussi détruire certaines cellules de l’hôte comme ses globules rouges. » La synthèse de cette toxine est déclenchée en conditions de stress (oxydation ou acidification du milieu), quand l’ARN duquel elle découle n’est plus réprimé par la présence d’un deuxième ARN partiellement complémentaire (l’antitoxine). « Nous pensons que ces systèmes “toxines/antitoxines” sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le croit

L

dans le monde bactérien », poursuit le chercheur. Le rôle de ce nouveau facteur de virulence est actuellement à l’étude sur la souris. Pour améliorer ses fonctions antimicrobiennes et éliminer sa toxicité sur les cellules humaines, Brice Felden s’est aussi rapproché de collègues chimistes(4), spécialisés dans la fabrication et l’étude de peptides. Un brevet est en cours de rédaction avec l’aide de Bretagne Valorisation.

© DR

CE QUE JE CHERCHE

(1) Unité Inserm U835. (2)Publication de Nour Sayed, ancienne doctorante au laboratoire, dans The Journal of Biological Chemistry en novembre 2012. (3) Régulation qui repose sur la stratégie anti-sens basée sur la propriété des acides nucléiques à pouvoir s’apparier avec un brin complémentaire (anti-sens), comme dans une fermeture éclair. Lire Les médicaments de demain dans Sciences Ouest n°281-novembre 2010. (4) Équipe Ingénierie chimique et molécules pour le vivant de l’UMR 6226 Sciences chimiques de Rennes.

Rens. : Brice Felden Tél. 02 23 23 48 51 brice.felden@univ-rennes1.fr

LES ÉCHOS DE L’OUEST

© DR

David Masclet est directeur de recherche CNRS, responsable de l’équipe Économie industrielle et économie comportementale du Centre de recherche en économie et management, à Rennes. Il a reçu, le 21 décembre dernier, la médaille de bronze du CNRS. Il viendra présenter ses travaux lors d’une conférence à l’Espace des sciences le 12 février (lire p. 19).

AGROALIMENTAIRE UNE PLATE-FORME COLLABORATIVE POUR BOOSTER L’INNOVATION ● L’Adria Développement, centre brestois d’expertise et de transfert du domaine agroalimentaire, met au point une plate-forme Internet collaborative. Opérationnelle d’ici à l’été 2013, elle regroupera des informations sur les travaux de recherche du secteur.

FROID LE PÔLE CRISTAL VA DÉMÉNAGER ● Un bâtiment est en cours d’achèvement à Dinan pour accueillir en juillet le Pôle Cristal, centre technique spécialisé dans la filière froid et le génie climatique(1). Il disposera ainsi, en plus des bureaux, de plateaux techniques pour mener ses expérimentations avec les entreprises de la région. (1)

Rens. : www.adria.tm.fr

4 SCIENCES OUEST N°306 FÉVRIER 2013

Lire Sciences Ouest n° 294-janvier 2012.

Rens. : www.pole-cristal.fr


Des informaticiens ont mis au point un casque pour voir à 360 °. oir derrière soi sans même tourner la tête, voilà qui pourrait éviter pas mal d’accidents. C’est désormais possible, grâce à un casque mis au point par quatre chercheurs, dont trois Bretons. Baptisé Flyviz, il est surmonté d’un système de capture d’images et d’une visière écran qui couvre les yeux de son utilisateur. La caméra, associée à un miroir parabolique, capte les images sur 360 °. Ces informations sont ensuite traitées par un algorithme mathématique qui permet de faire correspondre chaque point de l’image panoramique à un pixel de l’écran, plus restreint. Ces calculs ultrarapides, effectués sur un ordinateur portable transporté dans un sac à dos, permettent au porteur du casque de voir en temps réel ce qui se passe derrière lui ! Déjà présenté à Toronto en décembre dernier, lors du congrès Virtual Reality Software and Technology, le dispositif reste expérimental. Les chercheurs travaillent à son amélioration, notamment sa miniaturisation. Mais les première idées d’applications, concernant les jeux vidéo, avec l’incrustation de réalité virtuelle, ont déjà émergé.

V

Rens. : Maud Marchal Tél. 02 99 84 22 85 maud.marchal@inria.fr

MOINS DE NITRATE ET PLUS DE RÉCOMPENSES ● Elle a reçu deux prix en quelques mois ! L’entreprise costarmoricaine Bio3G, spécialisée dans la conception de solutions agronomiques innovantes, a été récompensée en décembre lors du CleanTech Open France, programme de repérage des start-up éco-innovantes. Elle avait été aussi lauréate du concours Crisalide Éco-activités, dans la catégorie Écotechnologies. Ces distinctions portent notamment sur son projet Éconitrate, qui, depuis treize ans, vise à réduire les apports azotés pour l’élevage et l’agriculture. Bio3G vient par ailleurs de signer un accord de partenariat dans les domaines de la formation et de la R&D avec le campus de la Lande du Breil, à Rennes.

© HUW WILLIAMS

Il donne des yeux derrière la tête !

Rens. : www.bio3g.fr

L’UNIVERSITÉ DE BREST RÉCOMPENSÉE AU ROYAUME-UNI ● Le programme de recherche Tempus, auquel participe l’Université de Bretagne Occidentale, vise à développer l’enseignement assisté dans les pays du Caucase, dans le domaine de la biologie moléculaire. Il vient de recevoir la plus haute distinction du Royaume-Uni dans le domaine de l’enseignement supérieur : le Times Higher Education International Collaboration of the Year Award !

VANNES LANCE SON FABLAB ● La technopole vannetaise Vipe vient de lancer son Fablab. Ce laboratoire de fabrication doit permettre aux professionnels, chercheurs, étudiants et aux citoyens d’expérimenter dans le domaine de l’électronique, de l’informatique et de réaliser des prototypes 3D. Il sera également doté d’une zone de coworking et pourra ainsi éventuellement entrer dans le réseau des cantines numériques de France.

Rens. : www.ubo.fr

Rens. : http://makerspace56.org

LES CHAMPS LIBRES S’OUVRENT SUR LE NUMÉRIQUE ● Dans le cadre du mouvement Open Data(1), la ville de Rennes vient de mettre en ligne des données statistiques recueillies à la bibliothèque des Champs Libres. La fréquentation par jour et par heure, jusqu’au mois d’août 2012 -pour l’instant- est ainsi accessible librement sur le site consacré. Les citoyens peuvent s’en emparer pour alimenter, par exemple, de nouvelles applications mobiles. Lire Sciences Ouest n° 282-décembre 2010.

(1)

Rens. : www.data.rennes-metropole.fr

© DR

UN INVENTAIRE UNIQUE POUR DES MILLIONS D’ESPÈCES ● Ils mesurent tout au plus quelques millimètres mais ont donné naissance aux imposantes falaises d’Étretat ! Les protistes sont des organismes composés d’une seule et unique cellule, dotée d’un noyau contenant leur ADN. Apparus sur la Terre il y a plus de 800 millions d’années, ils se sont complexifiés pour donner, entre autres, les plantes et les animaux que nous connaissons, et ont, au cours des temps géologiques, bâti de gigantesques gisements diversifiés : craie, pétrole... Présents dans tous les écosystèmes, notamment dans le plancton marin, il en existerait des dizaines de millions d’espèces différentes, dont seules 75 000 sont aujourd’hui décrites et formellement nommées. Pour combler ce manque, des chercheurs de vingt-quatre pays ont lancé un vaste programme de classification, dans le cadre du Consortium for the Barcoding of Life, qui recense depuis plus de dix ans la biodiversité terrestre. En utilisant les dernières techniques de séquençage ADN, l’objectif est d’associer, pour chaque espèce, une signature génétique, un nom et une photo, au sein d’une immense bibliothèque numérique. Un travail de titans, qui pourrait prendre une vingtaine d’années !

© DARREN HESTER

Rens. : Colomban de Vargas Tél. 02 98 29 25 28, vargas@sb-roscoff.fr

ÉCOLE L’INSA FONDE UN CLUB D’ENTREPRISES ● Créé il y a un an, le Club partenaire entreprises de l’Institut national des sciences appliquées de Rennes a été inauguré officiellement le 31 janvier dernier. Il compte déjà trente-cinq membres, qui travaillent avec les enseignants et chercheurs de l’école pour développer des projets en lien avec leurs besoins.

CHANGEMENTS DE TÊTES UN NOUVEAU DIRECTEUR POUR IMAGES ET RÉSEAUX ● Le pôle de compétitivité Images et Réseaux vient d’accueillir son nouveau directeur, Gérard Le Bihan. Trésorier depuis 2007, il a participé à la création de la structure en 2005. Il succède à Bertrand Guilbaud, qui a pris les rênes de l’Institut de recherche technologique B-Com.

CAPBIOTEK CHANGE DE PRÉSIDENT ● Alain Le Roch, industriel à l’origine du groupe AES Laboratoire (Combourg et Bruz), vient d’arriver à la présidence du cluster Capbiotek, qui réunit 250 acteurs des biotechnologies en Bretagne.

Rens. : www.insa-rennes.fr

Rens. : www.images-et-reseaux.fr

Rens. : www.capbiotek.fr FÉVRIER 2013 N°306 SCIENCES OUEST

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Déjà demain

Le codage distribué, sur lequel Vincent Gripon et Claude Berrou s’appuient pour décrypter le cerveau, fonctionne sur le même principe qu’une grille de Sudoku : le découpage en petites équations mathématiques (lois de codage). © TÉLÉCOM BRETAGNE- CC BY NC SA

TÉLÉCOMMUNICATIONS Claude Berrou, Vincent Gripon et leurs collègues tentent de comprendre et de modéliser le cerveau à partir de la théorie de l’information.

Cerveau : ils cherchent le code

«A

ujourd’hui, nous sommes capables d’expliquer comment fonctionne un ordinateur. Nous souhaitons, de la même façon, pouvoir expliquer le fonctionnement du cerveau et être capables de l’imiter », commente Claude Berrou. Présenté ainsi, le nouveau programme de recherche de l’inventeur des turbocodes paraît simple. Et pourtant, si tel était le cas, cela aurait probablement déjà été réalisé. Peu importe, le professeur de Télécom Bretagne, membre de l’Académie des sciences, a une intuition.

Théorie connexionniste Il pense que l’information mentale (ce que le cerveau retient) serait numérique et soutenue par un réseau. Ce réseau, simple, binaire, permettrait de « stocker des infor-

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mations, de les combiner, d’apprendre des séquences (poèmes)... » Ce réseau serait constitué de neurones, connectés selon une organisation particulière. Le chercheur considère que ce sont des connexions entre les neurones qui font la mémoire et l’intelligence, selon la théorie connexionniste. Cette intuition s’est forgée au vu de l’analogie perçue par le chercheur entre le fonctionnement du cortex cérébral et celui d’un décodeur distribué, c’est-à-dire un décodeur qui traduit de l’in-

formation numérique par différentes petites équations mathématiques, plutôt que par une seule grosse équation.

1,9 million d’euros Pour préciser, développer et expérimenter cette intuition, Claude Berrou a lancé un programme, Neucod(1), soutenu par le Conseil européen de la recherche à hauteur de 1,9 million d’euros, et s’entoure d’une dizaine de spécialistes, dont un neuropsychologue, une neurolinguiste et Vincent Gripon,

docteur en sciences et technologies de l’information et de la communication. Les scientifiques cherchent à comprendre l’organisation et la structure du réseau de neurones avec des concepts propres à la théorie de l’information : graphes, cliques, chaînes de tournoi, redondance, parcimonie... Ces deux derniers ne sont pas les plus difficiles à comprendre. La redondance caractérise ce qui peut être retiré sans générer d’erreurs. Le corollaire étant que de la redondance assure la sécurisation :

Cdu cerveau ; une théorie de l’information mentale, publié chez Odile Jacob Sciences,

laude Berrou et Vincent Gripon ont présenté leur approche dans Petite mathématique

en septembre 2012. Le livre s’adresse au grand public, “motivé”, comme le soulignent les auteurs. Ils ont souhaité partager leur réflexion au-delà de la communauté des télécoms. Ils y explicitent ainsi les concepts qui sous-tendent leur théorie, graphiques à l’appui. Vincent Gripon viendra en parler à l’occasion d’un mardi de l’Espace des sciences, le 14 mai prochain à Rennes. MLG


deux lois de codages pour une même donnée. La parcimonie s’applique ici à la consommation d’énergie et au temps de transfert de l’information.

Comprendre plus vite « C’est de la pure théorie de l’information portée à un niveau de cognition », résument les chercheurs. Et c’est ce qui peut surprendre, voire dérouter, au-delà du vocable, l’intuition même d’une information mentale numérique et d’une analogie avec le fonctionnement des télécoms. Claude Berrou et Vincent Gripon en sont conscients. « Poser la question de cette manière c’est très nouveau, conviennent-ils. Cela présente l’avantage d’être moins complexe qu’une approche biologique du cerveau. Notre approche est très simplifiée mais peut-être qu’elle permettra de comprendre plus vite. » Et surtout, « ce n’est pas qu’une intuition ; nous l’avons expérimentée », souligne Vincent Gripon.

Un cogniteur d’ici à 2017 L’objectif des chercheurs à travers Neucod consiste, d’ici à 2017, à spécifier, concevoir et implémenter une “machine de raison pure”, encore appelée “cogniteur ”. Il faut entendre par là les prémisses d’un cortex artificiel, « une machine qui sera capable d’apprendre des millions de milliards de choses, connectée via Internet à toutes les encyclopédies en ligne, à toutes les bases de données, aux centaines de millions de sites accessibles », écrivent Claude Berrou et Vincent Gripon (voir encadré). Une journée d’apprentissage lui donnerait un savoir « supérieur à celui qu’un être humain est capable d’engranger en une vie. » MICHÈLE LE GOFF Programme Neural coding (Neucod) avec la contribution des laboratoires CominLabs (Labex) et Labsticc (Laboratoire en sciences et techniques de l'information, de la communication et de la connaissance).

(1)

CONTACT Claude Berrou claude.berrou@telecom-bretagne.eu

Des bactéries caméléons BIOLOGIE Des chercheurs de Roscoff ont découvert le secret du changement de couleur de bactéries du phytoplancton. a mer n’est pas uniformément bleue. Plutôt verte dans les eaux superficielles et le long des côtes, elle devient bleue au large et cette teinte s’intensifie avec la profondeur. Ces variations tout en nuances peuvent être gênantes pour les organismes du phytoplancton qui ont besoin de capter la couleur dominante des rayons du soleil dont l’énergie est indispensable à la photosynthèse. Certains d’entre eux ont trouvé une solution : ils arrivent à modifier leur pigmentation. Chercheurs du laboratoire Adaptation et diversité en milieu marin de la Station biologique de Roscoff, Frédéric Partensky et Laurence Garczarek viennent d’identifier l’enzyme qui leur permet de jouer les caméléons. Les résultats de leurs travaux ont été publiés en novembre dernier dans une revue scientifique prestigieuse(1).

L

Un gène commun « En comparant les génomes de différents Synechococcus(2), un des organismes photosynthétiques les plus abondants de

l’océan, nous avons repéré un gène commun à près de 25 % des souches de notre collection de cultures », rapportent-ils. Or, ce gène code pour une enzyme qui modifie la pigmentation de leur antenne, organe qui permet de capturer les photons solaires. En lumière verte, ce gène est inactif. Mais quand celle-ci devient bleue, l’enzyme est synthétisée et fixe sur l’antenne un pigment qui capte le vert puis le transforme chimiquement - par simple réaction d’isomérisation pour qu’il puisse capter le bleu. Le phénomène est réversible et, dans les flacons au laboratoire, il se déroule en une semaine. Il serait sous le contrôle de plusieurs gènes régulés par la lumière dont les chercheurs essayent actuellement de décortiquer les interactions.

Choisir la couleur « Nous avons été surpris que ce phénomène d’acclimatation chromatique soit si répandu parmi les souches en culture. Nous cherchons aujourd’hui à voir si l’on retrouve cette proportion dans le milieu naturel.

Et aussi à comprendre si ce phénomène rend les cellules qui en sont capables plus compétitives dans les zones de transition entre la côte et le large, ou entre la surface et la profondeur. » Menés en collaboration avec deux équipes américaines de l’université d’Indiana, ces travaux pourraient déboucher sur des applications dans le domaine des biotechnologies, pour fabriquer des molécules fluorescentes avec le chromophore de son choix. Frédéric Partensky a récemment soumis un projet au Conseil européen de la recherche (ERC), qui finance des programmes exploratoires pour poursuivre dans cette voie haute en couleur ! NATHALIE BLANC (1) Dans Proceeding of the National Academy of Sciences of the USA. (2) Les génomes de onze souches de Synechococcus ont été publiés par les chercheurs roscovittes courant 2008. Lire Le plancton révèle ses secrets dans Sciences Ouest n°261-janvier 2009 sur www.sciencesouest.org.

CONTACTS Frédéric Partensky - Laurence Garczarek Tél. 02 98 29 25 64 partensky@sb-roscoff.fr garczarek@sb-roscoff.fr

Frédéric Partensky et Laurence Garczarek posent devant les flacons de cultures de cyanobactéries et les boîtes colorées qu’ils utilisent pour les cultiver et simuler la lumière verte ou bleue. © MARIELLE GUICHOUX - SBR

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LE DOSSIER DE

LES NANOS EN L’INFINIMENT PETIT EST RÉGI PAR DES LOIS QUE LES PHYSICIENS VEULENT APPRIVOISER. UN DOMAINE EN PLEIN ESSOR À RENNES. ’est un stade de quelques milliardièmes de mètre de longueur ! Et la course qui s’y passe ne laisse pas beaucoup de suspens, car il n’y a qu’un seul coureur : la lumière. Cela se passe à l’Institut de physique de Rennes (IPR(1)), dans un bâtiment flambant neuf sur le campus de Beaulieu (lire cicontre).

C

Et la lumière fut ! Parmi les quelque quarante chercheurs qui ont pris possession des lieux, Bruno Bêche et Nolwenn Huby sont les deux spécialistes de la photonique, une discipline qui

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étudie et utilise certaines propriétés des photons - les particules qui composent la lumière -. Dans l’infiniment petit, en ce qui concerne nos deux chercheurs. « Nous créons des circuits micrométriques, en forme de cercle, de stade, ou même de sphère en trois dimensions, dans lesquels nous pouvons faire circuler la lumière de façon très particulière. Pour la faire résonner, par exemple ! » Ils parviennent également à mettre au point des nanotubes, dans lesquels ils peuvent injecter la lumière d’un laser, grâce à une fibre optique très affinée, placée à quelques nanomètres de l’entrée du tube. « Nous avons remarqué un phénomène étonnant : lorsque l’on rapproche deux tubes l’un de l’autre, une grande partie de l’énergie lumineuse “sort” pour former un pic

très intense entre les deux. Cette lumière est dans l’air extérieur mais on peut la guider, car elle reste liée à la petite part d’énergie qui subsiste dans les tubes. » Grâce à ces différents dispositifs, les deux physiciens obtiennent une énergie lumineuse localisée et très sensible aux variations de son environnement. D’où l’idée d’utiliser leurs travaux pour mettre au point des capteurs. « Aujourd’hui, nous allons vers des senseurs pour le monde biomédical, pour repérer des bioespèces, des anticorps par exemple, dans des échantillons. Mais ce n’est encore qu’un projet. »

Un recrutement attendu Lorsqu’il est arrivé à Rennes en 2006, Bruno Bêche s’attelait seul au sujet. La


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Ils emploient les grands moyens © CÉLINE DUGUEY

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Piégées dans des espaces réduits © AZIZ GHOUFI - IPR

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Les nanos sortent du labo © DR

© AFRICA STUDIO-FOTOLIA.COM

EXPANSION nanophotonique n’existait pas encore dans la capitale bretonne, et son recrutement était attendu(2). « Mon installation a été soutenue par la ville de Rennes. » Le chercheur a même reçu une médaille pour l’occasion ! Tout cela participait d’une dynamique de l’Institut de physique. « À la même époque, nous avons commencé à rédiger le projet pour le nouveau bâtiment. » Et lorsque Nolwenn Huby est arrivée deux ans plus tard, l’activité du département Optique et photonique a pu prendre de l’ampleur.

Graver avec des UV La physicienne est spécialiste de l’étude des matériaux pour l’optique. « Nous utilisons une résine organique, explique-t-elle, et non pas des semi-conducteurs métalliques. L’avantage des matériaux organiques, c’est que nous pouvons les travailler à l’état liquide. Et aussi qu’ils coûtent moins cher ! »

Une architecture sur mesure

L

’Institut de physique de Rennes (IPR) a inauguré, le 4 décembre dernier, son nouveau bâtiment dédié aux nanosciences. Financé dans le cadre d’un projet État-Région, il est labellisé basse consommation. Mais surtout, ses architectes ont respecté un cahier des charges adapté aux recherches qu’il héberge. Les deux premiers niveaux, réservés aux

laboratoires, ont été conçus de manière à limiter les poussières. Ils abritent notamment une salle grise, où l’air est filtré de façon à atteindre un minimum de particules en suspension (lire ci-contre) et une seconde salle dessinée pour limiter les vibrations. Située en rezde-chaussée, son sol est indépendant du reste du bâtiment et rien n’a été construit au-dessus d’elle.

Elle peut ainsi loger un microscope qui réalise des images avec une résolution d’un nanomètre (lire p. 14-15). Le dernier étage est affecté aux bureaux, avec une capacité totale de quarante personnes, permettant ainsi de désengorger les bâtiments plus anciens et d’augmenter la capacité d’accueil de l’IPR. CD Rens. : www.ipr.univ-rennes1.fr

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