ISSUU 307

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Des peintures tout en contours ?

Préhistoire

Développement durable

Un régime qui rapporte... du CO2

La revue de l’Espace des sciences

www.sciences-ouest.org

n°307

Agroalimentaire, agriculture

LES ROBOTS S’INTÈGRENT

MARS 2013


Des peintures tout en contours ?

Préhistoire

Développement durable

Un régime qui rapporte... du CO2

La revue de l’Espace des sciences

www.sciences-ouest.org

n°307

Agroalimentaire, agriculture

LES ROBOTS S’INTÈGRENT

MARS 2013


© CÉLINE DUGUEY

Robots des villes et robots des champs Robotique, fermes automatiques..., ces “tiques” sont souvent critiquées car elles piquent des emplois. Malgré tout, leur aide peut s’avérer précieuse. Il ne faut pas oublier les messages positifs, me disait une de mes interlocutrices en préparant ce dossier. Alors les voici. En ce mois de mars, synonyme de Salon de l’agriculture, du machinisme agricole ou du Carrefour des fournisseurs des industries agroalimentaires, nous nous sommes concentrés sur l’utilisation

des robots dans ces secteurs. Et nous avons trouvé qu’ils peuvent permettre d’éviter des délocalisations pour cause de recherche de main d’œuvre, ou d’améliorer les conditions de travail des salariés des usines agroalimentaires ou des agriculteurs. Le côté innovant et technique de la robotique contribuant aussi à revaloriser l’image de ces métiers réputés difficiles. Alors oui aux “tiques” bien dosées ! NATHALIE BLANC RÉDACTRICE EN CHEF

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LE DOSSIER

DÉJÀ DEMAIN LES BRÈVES

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CHANGEMENT D’OPTIQUE ! ILS ONT TROUVÉ LES FAILLES CONTRÔLER LA FORMATION DES CELLULES DES JEUX VIDÉO À GRANDE CONCENTRATION

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DES PEINTURES TOUT EN CONTOURS ?

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UN RÉGIME QUI RAPPORTE... DU CO2

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À L’ESPACE DES SCIENCES

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L’AGENDA DE LA RÉDACTION

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L’ÉPREUVE PAR 7 TANGUY ROUXEL, chercheur mécanicien, spécialiste du verre Une interview non scientifique

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© DR

COUVERTURE © DAMIEN MEYER-AFP

DÉJÀ DEMAIN LES ACTUS

© DAMIEN MEYER-AFP

CE QUE JE CHERCHE

Par JOAQUIN JIMENEZ-MARTINEZ, hydrogéologue « Je cherche à comprendre les lois physiques qui régissent la dispersion des polluants »

AGRI ET AGRO EN MODE ROBOT 10 à 18 EN DÉMONSTRATION

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INTÉGRATION DANS LES LIGNES

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SAVEZ-VOUS PARLER ROBOT ?

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LA TRAITE OÙ ET QUAND JE VEUX !

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LES ROBOTS DES CHAMPS

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UNE FORMATION ROBOT À LA PAGE

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POINTE SÈCHE PAR WILLIAM AUGEL

Suivez-nous sur Twitter

@sciences_ouest et sur www.sciences-ouest.org

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Déjà demain

JOAQUIN JIMENEZ-MARTINEZ HYDROGÉOLOGUE

«J

’étudie la dispersion des polluants dans les eaux souterraines. L’objectif est de créer de nouveaux modèles pour faire des prédictions à long terme. Les polluants pénètrent dans le sol à travers des pores, des petits espaces libres entre la matière. En profondeur, dans les aquifères, ces pores sont entièrement remplis d’eau. Mais dans la zone insaturée, entre le sol et les aquifères, ces pores sont occupés par de l’air ou de l’eau, en différentes proportions. Et cela va modifier le trajet et la vitesse d’écoulement des polluants. En laboratoire, je modélise le sol et ses pores en deux dimensions, en emprisonnant des grains d’une colle spécifique entre deux plaques de verre. Grâce à un dispositif pointu, je peux injecter de l’air et de l’eau en proportions choisies, qui vont remplir les interstices - les pores - entre les grains. Puis j’envoie de l’eau avec un produit fluorescent, qui représente le polluant. Grâce à une caméra de grande résolution spatiale, je filme la progression de ce mélange dans mon modèle. Je cherche ainsi à comprendre les lois physiques qui régissent son trajet. Des modèles plus précis pourraient permettre d’anticiper la présence éventuelle de polluants, par exemple des nitrates, dans une nappe phréatique avant d’y prélever de l’eau. Mais ces travaux pourraient intéresser d’autres disciplines, comme le génie pétrolier. » PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE DUGUEY

Rens. : Joaquin Jimenez-Martinez Tél. 02 23 23 66 04 joaquin.jimenez-martinez@univ-rennes1.fr

© DR

Docteur de l’université de Catalogne, Joaquin JimenezMartinez est titulaire de la chaire environnement et innovation, mise en place par la fondation Rennes 1, au laboratoire Géosciences Rennes, en collaboration avec l’Institut de physique de Rennes. Outre l’aspect recherche, cette chaire comprend une partie d’enseignement et une autre de valorisation vers le monde économique.

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Changement d’optique ! epuis des siècles, ils guident les marins. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne profitent pas des progrès technologiques ! Les phares, et leurs consœurs les balises, se sont donc offert une petite cure de jouvence côté optique. Ils vont bénéficier, dans les prochains mois, d’un nouvel éclairage à Led(1), qui remplacera les anciennes lampes halogènes, dont l’entretien - tous les six mois à un an -, devenait trop contraignant. C’est EvoSens, un bureau d’étude brestois spécialisé dans l’optique, qui a relevé le défi, suite à l’appel d’offres lancé fin 2009 par le Centre d’études techniques maritimes et fluviales, en charge de ces installations. « Il a fallu répondre à trois challenges, explique Frédéric Bérier, gérant d’EvoSens. Le premier vient du fait qu’un éclairage à Led est une surface, il est unidirectionnel, contrairement aux filaments des anciennes lampes. Nous avons donc mis au point un système composé de miroirs et de surfaces complexes afin de compenser cela. » Les ingénieurs ont ensuite dû trouver un stratagème pour refroidir le système. Car si les Led ne chauffent pas par rayonnement infrarouge comme les ampoules classiques

D

(ce qui fait que l’ampoule est rapidement brûlante), elles peuvent néanmoins augmenter la température de l’air ambiant par convection. « Nous avons intégré un dissipateur thermique qui maintient la température en deçà des 120 °C, pour assurer une durée de vie optimale. Le tout avec des dimensions réduites, car les balises et les bouées sont souvent très compactes ! » La dernière difficulté concernait l’électronique. « Il fallait adapter les besoins des Led : un fort courant et une faible tension, autour de 3 V, à la tension beaucoup plus élevée entre 10 et 40 V - disponible dans les systèmes de signalisation maritime. Heureusement, le composant électronique est arrivé sur le marché au moment de notre étude ! » Une étude qui a duré deux ans, au cours de laquelle plusieurs prototypes ont été testés, notamment sur le phare du Minou, à l’entrée du port de Brest, et sur celui de plus grande puissance de Ker Morvan. « Fin 2012, nous avons livré 900 unités pour balises, qui devraient être installées dans l’année. Et nous allons en produire encore 170, pour les phares de moyenne puissance. » Ces systèmes doivent pouvoir fonctionner en autonomie pendant cinq ans, et abaisser la consommation des équipements. (1)

Diode électroluminescente.

Rens. : Frédéric Bérier Tél. 02 30 79 46 00 www.evosens.com

© CÉLINE DUGUEY

« Je cherche à comprendre les lois physiques qui régissent la dispersion des polluants »

Une entreprise brestoise a conçu les éclairages à Led qui vont désormais allumer les phares et balises.

LES ÉCHOS DE L’OUEST SCIENCES DE L’UNIVERS L’OSUR FIER DE SON PRÉSIDENT ● Jean Jouzel, paléoclimatologue, membre du Giec et président du conseil de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes, a reçu, le 21 février dernier, le prix Vetlesen 2012, une première pour un Français. Décernée tous les quatre ans, cette récompense est considérée comme le Nobel des sciences de la Terre et de l’Univers.

UNIVERSITÉS L’UNIVERSITÉ EUROPÉENNE DE BRETAGNE ACCUEILLE DES NOUVEAUX ● En 2013, quatre grandes écoles ont rejoint l’UEB : l’Écam Rennes (école d’ingénieurs généralistes), l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, l’École des métiers de l’environnement et l’École supérieure de commerce Rennes School of Business. L’UEB compte désormais 28 membres.

Rens. : www.insu.cnrs.fr

Rens. : www.ueb.eu

© DR

CE QUE JE CHERCHE


Communiquer, tout un symbole ur l’écran d’une tablette tactile se côtoient les images d’une poignée de main, d’un soleil, d’une silhouette... Ce n’est pas un jeu de rébus, mais un véritable outil de communication - baptisé Comooty - destiné aux personnes ayant des troubles de la communication verbale. « Jusqu’ici, il existait des classeurs de pictogrammes papier, rappelle Adeline Colomb, cofondatrice de la société Ezooty, basée à Lannion, à l’origine de ce logiciel, ou des outils sur ordinateurs, peu maniables. Ici l’avantage, c’est que les utilisateurs peuvent entrer les images qu’ils souhaitent : les pictogrammes avec lesquels ils ont l’habitude de travailler, et même des photos. » Chaque image est associée à un son, afin de la rendre plus compréhensible à l’entourage. Et il est possible d’associer des symboles pour composer une phrase. « C’est un plus pour les enfants handicapés en apprentissage de la structure du langage, ou pour les adultes aphasiques, suite à un AVC(1), par exemple. » Déjà testé à l’Institut médico-éducatif de Tréguier, le logiciel est en déploiement dans douze autres établissements en France. La jeune société, née en 2010, va poursuivre le développement de logiciels destinés à faciliter la vie quotidienne de personnes handicapées.

UNE ENCYCLOPÉDIE POUR LES PUCERONS ● Ils sont petits, verts et mangent les rosiers... pour le néophyte, rien ne ressemble plus à un puceron qu’un autre puceron. Et pourtant ! Il existe plus de 4 700 espèces différentes de ces insectes capables de faire des ravages dans les cultures. Des chercheurs de l’Inra, passionnés du puceron, ont donc mis au point une encyclopédie en ligne : Encyclop’aphide, qui référence et décrit plus de 70 espèces d’importance agronomique, ainsi que leurs prédateurs et les parasitoïdes qui s’attaquent à elles. Avec, à l’appui, de nombreuses photographies. Cela pourra notamment servir aux équipes de recherche qui s’intéressent de près au fonctionnement de ces petites bêtes pour mieux les combattre.

(1)

AVC : Accident vasculaire cérébral.

Rens. : Adeline Colomb Tél. 02 96 37 69 44 acolomb@ezooty.com

© INRA-BERNARD CHAUBET

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Rens. : www4.inra.fr/encyclopedie-pucerons

TROIS FEMMES À L’HONNEUR À L’UNIVERSITÉ DE RENNES 1 ● L’Université de Rennes 1 a remis, le 8 mars dernier, son diplôme de docteur honoris causa, titre le plus prestigieux que peut décerner une université française, à trois chercheuses de nationalités étrangères. Hélène Esnault, spécialiste de géométrie algébrique à l’université libre de Berlin, Vivian Wing-Wah Yam, chimiste à l’université de Hong Kong et Francine Lafontaine, professeur en économie de la franchise et des contrats à l’université du Michigan.

L’ANTARCTIQUE EN APNÉE ● Depuis le 15 février, deux apnéistes brestois, Frank Daouben et Laurent Marie, sont partis, avec un équipage de cinq personnes, explorer l’Antarctique à bord d’un voilier. Ils en ramèneront, le 20 mars, des photos, des sons et un film qu’ils utiliseront ensuite dans des opérations de sensibilisation des plus jeunes à l’écologie. Ils vont également prélever des échantillons de zooplancton, qui seront transmis aux universités de Munich et Brest. Parrainée par Nicolas Hulot, leur expédition est soutenue par Océanopolis.

Rens. : www.univ-rennes1.fr

Rens. : www.antarctique2013.fr

UNE DISTINCTION SILENCIEUSE ● L’entreprise brestoise Quiet-Oceans, spécialisée dans la prévision et la cartographie des bruits sousmarins (lire Sciences Ouest n° 274-mars 2010), vient d’être sélectionnée pour participer au projet de recherche collaboratif Aquo, qui rassemble treize partenaires, pour une durée de trois ans. Il vise à atténuer l’empreinte du bruit sousmarin due aux transports maritimes. Rens. : Florence Marchand florence.marchand@quiet-oceans.com

© DR

DES ÉTUDIANTS ONT TESTÉ LE TERRAIN ● Ils viennent de Gent, de Hambourg ou de l’Ensta de Brest. Une cinquantaine d’étudiants se sont retrouvés le 28 janvier dernier pour partager les résultats d’un travail entamé cet été, au cours d’un programme Erasmus intensif en hydrographie et géomatique. « Pendant deux semaines, explique Nicolas Seube, professeur à l’Ensta, nous avons été faire du travail de terrain dans la Creuse, sur le lac de Vassivière qui constitue une réserve pour un barrage hydroélectrique d’EDF. » Sur place, les étudiants se sont organisés en groupes. « Certains ont travaillé sur la cartographie des sédiments, d’autres ont effectué des relevés de courantométrie, ou des mesures bathymétriques. » Le tout grâce à des moyens techniques acheminés sur place depuis Brest notamment, comme la vedette hydrographique de l’école et un véhicule amphibie. « Ils ont ensuite poursuivi leur travail à distance. Cela nous a permis de montrer que la température de l’eau en profondeur n’était pas affectée par la retenue du barrage, par exemple », résultat transmis à EDF. C’était la seconde édition de ce programme intensif, qui « développe l’autonomie des étudiants », et les organisateurs préparent déjà la troisième, toujours au lac de Vassivière. Rens. : Nicolas Seube Tél. 02 98 34 88 88, nicolas.seube@ensta-bretagne.fr

UN BON SERVICE ● La bibliothèque du Centre de recherche bretonne et celtique est, depuis 2012, une unité mixte de service. Le centre, qui comprend aussi une équipe d’accueil partagée entre Brest et Rennes, est dirigé Philippe Jarnoux.

BIOTECHNOLOGIES BIOGENOUEST CERTIFIÉE ● En 2012, sept plates-formes du réseau du grand Ouest en sciences du vivant et de l’environnement Biogenouest ont acquis la norme Iso 9001, qui certifie le respect d’exigences quant à l’organisation et la gestion de la qualité. Cela porte à douze le nombre de plates-formes du réseau qui sont certifiées.

Rens. : www.univ-brest.fr/crbc

Rens. : www.biogenouest.org

DROIT UN DIPLÔME FRANCO-QUÉBÉCOIS ● Le jeudi 24 janvier dernier, un accord de principe a été signé entre l’Université de Rennes 1 et son homologue d’Ottawa pour la création d’un double diplôme en droit. Il s’agit d’un master 2 à vocation recherche. Les premiers étudiants - dix dans chaque pays seront recrutés d’ici à mai prochain. Rens. : Tél. 02 23 23 76 82 charlotte.florenty@univ-rennes1.fr MARS 2013 N°307 SCIENCES OUEST

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Déjà demain

Cheval de Lourdes (Musée de Saint-Germain-en-Laye)

PRÉHISTOIRE Un nouvel ouvrage qui fait polémique propose que nos ancêtres utilisaient l’ombre portée de statuettes pour peindre les célèbres mammouths et chevaux des grottes Chauvet et de Lascaux.

Des peintures tout en contours ? ascinés par l’idée que l’art pariétal puisse s’être « perpétué pendant au moins 15 000 ans sans subir de modifications essentielles »(1) et jugeant douteuse l’hypothèse de l’existence d’écoles des beaux-arts pariétaux émise par certains spécialistes, Bertrand David, peintre et dessinateur breton, et Jean-Jacques Lefrère, professeur de médecine et historien de la littérature, proposent, dans leur ouvrage La plus vieille énigme de l’Humanité(2), que « les hommes du paléolithique disposaient d’une technique de dessin suffisam-

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En images

P

ment simple à exécuter et à transmettre pour qu’il ait été inutile de la modifier. »

Une fausse bonne idée ? En projetant l’ombre d’une figurine d’animal sur une paroi à l’aide d’une lampe à graisse, « tout individu parvient aisément à tracer un contour absolument fidèle au modèle », assure Bertrand David qui a lui-même maintes fois testé et fait tester ce procédé d’ombre portée. Alors que « des statuettes d’animaux datant des mêmes époques ont été retrouvées par dizaines dans les mêmes

our mieux comprendre le procédé proposé par les deux auteurs, n’hésitez pas à aller voir une démonstration filmée à l’adresse suivante : www.youtube.com/watch? v=f8kvxDdgDQI Pour mesurer plus en détails les arguments des préhistoriens opposés à cette théorie comme à d’autres proposées par le passé, Romain Pigeaud recommande la lecture du livre de Jean-Loïc Le Quellec, Des Martiens au Sahara (Paris-Arles, Actes Sud / Errance, 2009). JD

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régions que les grottes ornées, pourquoi personne n’avait-il pensé avant à cette idée si simple ? », s’interroge-t-il. « Parce que c’est une fausse bonne idée et que le peu de statuettes retrouvées n’affichent pas du tout le style des peintures dont elles auraient été les modèles », répond Romain Pigeaud, préhistorien et chercheur associé au Muséum national d’histoire naturelle.

Un style qui varie « S’ils ne maîtrisaient que cette technique, comment ces hommes auraient-ils pu réaliser les centaines de gravures à l’air libre que l’on retrouve sur les sites de la Côa au Portugal et de Siega Verde en Espagne ou peindre le cheval de Rouffignac sur un plafond dont la distance au sol n’excédait pas un mètre ? », s’interroge Romain Pigeaud. Et Bertrand David de répondre : « Il ne s’agit pas d’affirmer l’universalité de notre théorie, nous disons juste que ce fut sûrement la méthode graphique

la plus employée par ces hommes. Peut-être devrionsnous tester ce procédé en extérieur par des nuits sombres ? » Quant au constat fait par les auteurs de fortes similitudes entre les dessins de Lascaux et Chauvet, « il témoigne de leur méconnaissance des grottes, commente le préhistorien. Le remplissage des corps, la représentation du pelage, les choix esthétiques sont très différents d’une grotte à l’autre. » Selon Bertrand David, c’est en effet dans ces zones, une fois le contour tracé, que les artistes expriment pleinement leur talent, affichent leur style, lequel varie selon les époques. « Mais ces différences observées entre les peintures de Lascaux et Chauvet ne doivent pas nous faire oublier tous leurs points communs : elles représentent à 98 % des animaux de profil, sans aucune indication de sol, aucun souci d’action identifiable (copuler, déféquer, paître), on y retrouve les mêmes superpositions


Un régime qui rapporte... du CO2 DÉVELOPPEMENT DURABLE Une monnaie CO2 a été créée en Bretagne pour inciter les éleveurs à adopter de bonnes pratiques. ne vache, ça produit du lait, mais pas seulement ! Ses rots dégagent de fortes quantités de méthane, un gaz à effet de serre. Depuis plusieurs années, l’association Bleu Blanc Cœur (BBC), avec l’entreprise Valorex et des laboratoires de l’Inra(1), a montré que nourrir les troupeaux avec de l’herbe et des oléagineux locaux : lin, luzerne, colza... engendrait une réduction de ces émissions. Mais cela coûte un peu plus cher que le régime maïs-soja. Alors pour inciter les éleveurs à franchir le pas, l’association va lancer, le 2 avril, une nouvelle monnaie, qui permet à ces derniers de payer avec le méthane qu’ils évitent de rejeter.

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Certains préhistoriens pensent que les hommes du paléolithique, comme beaucoup d’artistes, s’inspiraient de croquis d’animaux pour peindre dans les grottes. Bertrand David imagine plutôt qu’ils traçaient les contours des ombres portées de statuettes telles que celle ci-contre. © BERTRAND DAVID

inexplicables de dessins, les mêmes variations d’échelles et anamorphoses(3) étonnantes, les mêmes parois vierges de tout dessin à proximité... que la technique de l’ombre portée explique. » Des ressemblances que Romain Pigeaud considère comme « superficielles. » « On pourrait dire la même chose de l’art occidental du Moyen Âge à l’époque moderne : il y a le même personnage sur une croix, les mêmes gens en armure... Mais personne ne va dire que les peintures romanes et gothiques se ressemblent ! » Largement contestée par les spécialistes de la préhistoire, l’hypothèse des deux auteurs intéresse néanmoins plusieurs scientifiques universitaires d’autres disciplines qui travaillent actuellement à établir un protocole d’expériences par imagerie 3D dans le but de la vérifier. Affaire à suivre...

De la graisse au méthane L’aventure commence en 2012, lorsque les Nations unies valident une méthodologie, mise au point par BBC et brevetée avec Valorex et l’Inra, qui mesure directement dans le lait le volume de méthane émis par les bovins(2). « Nous avons montré que les productions de graisses saturées du lait et de gaz étaient corrélées. » Un

coefficient suffit ensuite à convertir le méthane en tonnes équivalent CO2, l’étalon des gaz à effet de serre.

100 € la tonne de CO2 « Grâce à cela, la France nous a attribué 8 635 tonnes équivalent CO 2 , issues du quota national d’émissions autorisées pour le pays par les accords de Kyoto. Ces tonnes correspondent à ce que les éleveurs ont “économisé” sur les derniers mois de 2012 en préférant le régime BBC pour leur troupeau. Nous leur redistribuons sous forme de bons d’achat, chaque tonne de CO2 correspond à 100 €, soit vingt fois plus que le cours mondial ! » Un tarif avantageux choisi sciemment, pour être réellement incitatif. « En parallèle, poursuit Pierre Weill, nous mettons en place un catalogue de fournisseurs qui acceptent ces bons d’achat. » En acceptant cette monnaie “virtuelle”, les fournisseurs font bénéficier les éleveurs d’un prix avantageux. « Mais ils gagnent en retour une publicité auprès d’agriculteurs sensibles à l’environnement, ajoute Pierre Weill. Ainsi nous avons mis en contact une start-up lannion-

JULIE DANET Page 32. D’après les datations archéologiques, les peintures de Lascaux et de Chauvet remonteraient respectivement à 17 000 ans et 32 000 ans avant notre ère. (2) Éditions Fayard, janvier 2013. (3) Représentation peinte ou dessinée déformée d’un objet dont l’apparence réelle ne peut être perçue qu’en regardant l’image sous un angle particulier. (1)

Baisser le bilan national Et si les éleveurs économisent de plus en plus de CO2, le prix de la tonne pourra diminuer, donc se rapprocher du prix du marché et coûter moins au consommateur. « Il faut réussir à rentrer dans ce cercle vertueux », conclut Pierre Weill. L’initiative a été mise en avant lors du Salon de l’agriculture, où l’association a signé avec le ministère de l’Agriculture les premiers accords collectifs, qui visent à faire évoluer favorablement la composition nutritionnelle des produits et la durabilité des modes de production. CÉLINE DUGUEY

© AFP-DAMIEN MEYER

CONTACTS Romain Pigeaud, Bertrand David Romain.pigeaud@wanadoo.fr bertrand.david3@aliceadsl.fr

naise spécialisée dans les éclairages à Led économes, avec des éleveurs qui pourraient les installer dans les bâtiments d’élevage ! » Une fois dépensée par l’éleveur, la tonne de CO2 revient dans l’escarcelle de l’association, qui peut la redistribuer, ou bien la vendre à une entreprise ou à une collectivité qui en a besoin pour son bilan carbone, et qui accepte de la payer 100 €. « Avec l’argent récolté, nous pourrons faire de la communication auprès des consommateurs, afin de les sensibiliser et de transférer petit à petit le prix du CO2 des fournisseurs partenaires vers les produits. Il faut que ce soit le consommateur qui décide ! » Lui aussi pourra ouvrir son propre compte épargne CO2, qu’il pourra remplir de kilogrammes distribués par des éleveurs, ou bien gagnés grâce à ses efforts personnels - sur son chauffage, son mode de transport - et qu’il pourra convertir en bons de réduction.

(1) Inra : Institut national de la recherche agronomique, centre de Theix. (2)Lire Sciences Ouest n° 287-mai 2011.

CONTACT Pierre Weill Tél. 02 99 97 53 67 p.weill@valorex.com MARS 2013 N°307 SCIENCES OUEST

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LE DOSSIER DE

Les robots améliorent le confort de travail des agriculteurs. Il existe des robots pour la traite (lire p. 16) ou qui préparent et distribuent le fourrage. Celui-ci nettoie les caillebotis dans une ferme, à Bréhan (Morbihan). © DAMIEN MEYER-AFP

AGRI ET AGRO E LES ROBOTS SE DIVERSIFIENT ET S’IMMISCENT DANS LES FILIÈRES “AGRI ET AGRO” PLEINES DE NOUVEAUX DÉFIS À RELEVER. vec leurs bras articulés, armés d’un pistolet à peinture ou d’une visseuse, les robots ont longtemps été l’apanage des industries manufacturières, de l’automobile ou de l’électronique. Et puis un jour, on a eu l’idée de remplacer la peinture par de l’huile... et les bras robotisés ont commencé à investir les usines agroalimentaires. Il y a vingt ans seulement.

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Pas deux morceaux de viande pareils L’émergence récente de ce phénomène a plusieurs explications. Les conditions de travail particulières de la filière : le froid et

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On a eu l’idée de remplacer la peinture par de l’huile... et les bras robotisés ont commencé à investir les usines agroalimentaires. l’humidité, qui règnent souvent le long de la ligne de production, ainsi que les lavages et les désinfections, inhérents à la manipulation de produits alimentaires, ne sont pas toujours compatibles avec la machinerie des robots. Par ailleurs, la variété des produits initiaux à traiter - il n’y a pas deux morceaux de viande qui se ressemblent ! - et l’irrégularité de la production : saisonnalité, conditionnements multiples (il existe souvent plusieurs références ou tailles pour un même produit) sont autant de freins au

développement de solutions standardisées. « On n’est pas du tout dans le contexte de l’industrie automobile où les objets à assembler sont tous bien calibrés, souligne Jean-Marc Thouélin, conseiller technologique à l’Institut Maupertuis, à Bruz. Et en robotique, s’adapter à la variété des produits signifie qu’il faut rendre la machine plus intelligente en l’équipant de capteurs ou de caméras... »

Une fois les produits standardisés Les usines agroalimentaires ne représentaient que 4 % du marché mondial des robots en 2011. Et ceux-ci se font encore rares au cœur même du processus de fabrication. On les trouve surtout en bout de ligne de production, une fois que les pro-


P. 14

Intégration dans les lignes © MICHÈLE LE GOFF

P. 15

Savez-vous parler robot ? © WEST ROBOTIC

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Les robots des champs © SIEGI-FOTOLIA.COM

N MODE ROBOT duits ont été standardisés, c’est-à-dire emballés. Ils effectuent principalement des tâches de manutention : emballage secondaire (palettisation), chargement ou déchargement... « Les industries agroalimentaires et l’agriculture ne sont pas le vecteur d’innovation principal des Étic (1), mais elles représentent un potentiel d’applications important », affirme Tiphaine Leduc, chargée de mission à la Meito(2). D’où le lancement du programme Agrétic, piloté par la Meito, en lien étroit avec la stratégie de Bretagne Développement Innovation, les acteurs de l’agroalimentaire et la Chambre d’agriculture de Bretagne, destiné à croiser les compétences de ces deux filières importantes en Bretagne. Soutenu par la Région Bretagne et l’État pour une période de quatre ans (20112014), Agrétic a pour objectif de favoriser l’émergence de solutions Tic innovantes

La cobotique, c’est fantastique !

R

ésultat de l’association des mots : collaboratif et robot, la cobotique est développée depuis quatre ans dans le laboratoire CEA List de Fontenay-auxRoses, historiquement spécialisé dans le domaine nucléaire. « Pour éviter à un opérateur d’aller dans un environnement dangereux, explique Frédéric Colledani, il pilote un robot maître qui communique ses gestes au robot esclave qui, lui, est sur

place. Mais la distance n’est quand même pas idéale. D’où l’idée de rassembler l’homme et le robot au même endroit. » Le premier guide et contrôle, le second fait l’effort. Le port de charges et l’amplification d’efforts sont les applications les plus directes, grâce, par exemple, à un exosquelette : sorte d’armature dans laquelle un opérateur vient se glisser, ou un bras.

Les premiers cobots sont en place depuis seulement un an dans des usines de mécanique, où ils aident les ouvriers pour les opérations de meulage, en exerçant à leur place l’effort de 20 kg. Mais l’expertise humaine est toujours indispensable. Dans le domaine de l’agroalimentaire, la découpe de carcasses de bœufs se prêterait bien à la “cobotisation”. NB

Rens. : Frédéric Colledani Tél. 01 46 54 84 36, frederic.colledani@cea.fr Un bras de l’exosquelette fera des démonstrations sur le stand de Bretagne Développement Innovation, au CFIA (Carrefour des fournisseurs de l’industrie agroalimentaire) du 12 au 14 mars.

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