Des séances prennent du relief Planétarium
Photonique
Nanolasers et super-ordis
La revue de l’Espace des sciences
www.sciences-ouest.org
n°316
JANVIER 2014
Au labo, le cerveau remplace le joystick
La réalité augmentée rejoue le Moyen Âge
L’addiction analysée sur plus de 600 joueurs
LA SCIENCE DÉVOILE SON JEU
Des séances prennent du relief Planétarium
Photonique
Nanolasers et super-ordis
La revue de l’Espace des sciences
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n°316
JANVIER 2014
Au labo, le cerveau remplace le joystick
La réalité augmentée rejoue le Moyen Âge
L’addiction analysée sur plus de 600 joueurs
LA SCIENCE DÉVOILE SON JEU
© BRIGITTE EYMANN - ACADÉMIE DES SCIENCES
Favoriser la compréhension du monde L’Espace des sciences fête cette année ses trente ans. Trente années à tisser et renforcer les liens entre le monde scientifique et le grand public, pour favoriser la compréhension du monde, pour insérer les sciences dans notre culture. À l’heure où le savoir scientifique est de plus en plus riche et complexe et où les chercheurs sont de plus en plus spécialisés, la communication avec le public est primordiale mais peut devenir un exercice difficile. Les scientifiques ne doivent
pas s’accaparer les connaissances. La culture scientifique, grâce aux compétences reconnues de ses médiateurs, représente donc un réel enjeu de société, qui concerne également l’enseignement, le monde économique, les choix politiques... et les idéologies. Toute l’équipe de l’Espace des sciences se joint à moi pour vous souhaiter une bonne année 2014 et s’apprête à relever le défi des prochaines années avec enthousiasme ! MICHEL CABARET DIRECTEUR DE L’ESPACE DES SCIENCES
n° 316 JANVIER 2014
LE DOSSIER
DÉJÀ DEMAIN LES BRÈVES 4
L’HOMME ET L’ANCHOIS, MÊME COMBAT ! UN ŒIL INFORMATIQUE BIO-INSPIRÉ DES COQUILLES SUIVIES À LA TRACE
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DES SÉANCES PRENNENT DU RELIEF
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NANOLASERS ET SUPER-ORDIS
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À L’ESPACE DES SCIENCES
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L’AGENDA DE LA RÉDACTION
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L’ÉPREUVE PAR 7 ALBAN LEMASSON, éthologiste, enseignant-chercheur à l’Université de Rennes 1 Une interview non scientifique 22
© UR1 - DIRCOM - JLB
COUVERTURE © DOMINIQUE VERNIER
DÉJÀ DEMAIN LES ACTUS
© DOMINIQUE VERNIER
CE QUE JE CHERCHE
Par MARIANNE PRÉVÔT, physicienne « Je crée un matériau qui émet dans le rouge. »
LA SCIENCE DÉVOILE SON JEU 10 à 18 DES JEUX POUR APPRENDRE ?
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LE CERVEAU EN GUISE DE JOYSTICK
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LES JEUX UTILISÉS EN RECHERCHE
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POUR SE REPRÉSENTER L’ESPACE
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AU SERVICE DES MATHS À L’ÉCOLE
17
QUAND LE JEU DEVIENT MALADIE
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POINTE SÈCHE PAR WILLIAM AUGEL
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@sciences_ouest et sur www.sciences-ouest.org
JANVIER 2014 N°316 SCIENCES OUEST
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Déjà demain CE QUE JE CHERCHE
Des chercheurs en écologie marine ont calculé la position de l’homme dans la chaîne alimentaire.
« Je crée un L’homme et l’anchois, même combat! matériau qui émet ous pensions être de superpréda- Chine (en plafonnant à 2,3) et diminue parteurs ? C’est raté ! Certes, l’homme fois avec l’uniformisation des régimes alidans le rouge. » n’est la proie quotidienne d’aucune mentaires, comme en Islande.
«J
PROPOS RECUEILLIS PAR KLERVI L’HOSTIS (1)
Inra : lire Sciences Ouest n° 277-juin 2010.
Rens. : Marianne Prévôt Tél. 02 23 23 43 54 marianne.prevot@univ-rennes1.fr
© DR
Marianne Prévôt est doctorante dans les laboratoires Chimie du solide et Matériaux de l’Institut des sciences chimiques de Rennes et Foton de l’Insa de Rennes. Elle a remporté le prix du jury lors de la finale régionale de “Ma thèse en 180 secondes” organisée dans le cadre des Doctoriales le 9 décembre.
4 SCIENCES OUEST N°316 JANVIER 2014
Ces résultats sont le fruit d’une analyse de données de la FAO(4) sur la consommation humaine entre 1961 et 2009.
« Connaître le niveau trophique humain est utile car plus il est bas, mieux c’est pour économiser les ressources naturelles », ajoute Olivier Le Pape. Un mangeur ne récupère que 10 % de l’énergie de sa proie. À chaque passage à un niveau trophique supérieur, l’énergie disponible pour le prédateur diminue exponentiellement. » Si l’homme était phytophage, il ne consommerait donc pas plus de végétaux qu’à l’heure actuelle et la perte énergétique serait moindre. Dans les mois prochains, l’équipe de chercheurs établira des scénarios simulant l’influence du niveau trophique humain sur la quantité de production primaire requise pour soutenir les besoins alimentaires mondiaux, en tenant compte de la croissance démographique prévue.
Institut de recherche pour le développement. (2) Human Trophic Level (HTL). (3) “Eating up the world’s food web and the human trophic level”, S. Bonhommeau, L. Dubroca, O. Le Pape, J. Barde, D. Kaplan, E. Chassot, A.-L. Nieblas. PNAS 2013. (4)Food and Agriculture Organization.
(1)
Rens. : Olivier Le Pape Tél. 02 23 48 55 31 Olivier.Le.Pape@agrocampus-ouest.fr
© DR
PHYSICIENNE e cherche à mettre au point un affichage adapté à des écrans souples. On pourrait imaginer un rideau de douche qui affiche le journal ou même une cape qui nous rende invisible ! Trois couleurs sont utilisées dans l’affichage, le rouge, le vert et le bleu. J’utilise un cristal liquide mis au point dans mon laboratoire, appelé clustomésogène(1), qui émet dans le rouge. Ce matériau a les propriétés physiques d’un solide émetteur de lumière, et la fluidité d’un liquide. Il peut prendre la forme que l’on souhaite, être déposé sur n’importe quel support, et en plus, il est très bon marché. Dans les salles blanches de l’Insa et de l’IETR de Rennes, j’intègre le clustomésogène dans un dispositif de plusieurs couches (verre, polymère conducteur, oxyde de titane...) afin d’optimiser son émission de lumière lorsqu’il est traversé par un courant électrique. Je réalise donc des pixels rouges pour l’affichage Oled des écrans de demain et je teste leurs caractéristiques optiques et électriques. Au laboratoire de chimie, j’essaie également de créer un matériau adapté, cette fois, à l’affichage LCD. Dans ce cas, le clustomésogène est encore trop visqueux. Les molécules sont bien sensibles à la polarisation de la lumière mais s’orientent lentement. Cela signifie que sur un écran, l’actualisation de l’affichage ne serait pas instantanée. Je cherche donc à mélanger le clustomésogène à un cristal liquide commercial dont la structure est analogue, et à déterminer la composition adéquate pour obtenir un matériau fluide, parfaitement homogène et luminescent à 25 °C. Il me reste un an de doctorat pour lever les derniers verrous et obtenir un bon résultat ! »
N
espèce animale, mais il n’est pas non plus le prédateur supérieur que l’on croit. Une étude publiée dans la revue PNAS montre même un résultat surprenant : dans la chaîne alimentaire, l’homme se place au même niveau que l’anchois ! Une équipe de chercheurs Ifremer/IRD(1)/Agrocampus Ouest à Rennes a en effet estimé pour la première fois le niveau trophique humain(2). « Il se calcule en fonction du régime alimentaire, explique Olivier Le Pape, coauteur de la publication (3) et enseignant-chercheur à Agrocampus Ouest. Les végétaux, premiers producteurs de matières organiques, appartiennent au premier niveau. Les herbivores, consommateurs de végétaux, relèvent du second niveau et sont les proies des prédateurs, rattachés au troisième, quatrième voire cinquième niveau. En écologie marine, notre domaine de spécialisation, ce calcul est courant. » Verdict pour le niveau trophique humain ? Une moyenne de 2,2 contre 5,5 pour l’orque, ce qui met donc l’homme au même rang que l’anchois ou le cochon. Logique puisqu’il se nourrit essentiellement de végétaux et d’herbivores, alors que l’orque se nourrit de carnivores. « La moyenne chez l’homme n’est pas la même partout dans le monde. Nous avons distingué cinq grands groupes de pays. L’évolution des tendances reflète les transitions socio-économiques, environnementales et nutritionnelles. » Ainsi, on constate que le niveau trophique augmente avec le niveau de vie comme en Inde et en
LES ÉCHOS DE L’OUEST DÉMÉNAGEMENT LE CNRS S’INSTALLE À VILLEJEAN ● La Délégation Bretagne et Pays de la Loire du CNRS s’installe à Villejean (Rennes). Elle occupe 1 300 m2 du nouveau parc tertiaire Alcyone. Le groupe Bardon (constructeur, promoteur et investisseur à Saint-Grégoire) en a achevé la première tranche. Le parc sera développé sur 15 000 m2 dans sa phase complète.
HIGH-TECH B-COM SE RENOUVELLE ● L’Institut de recherche technologique breton B-com a dévoilé le 10 décembre son conseil scientifique international. Il est composé de neuf personnalités scientifiques françaises et étrangères reconnues notamment dans les domaines des réseaux ultra-haut débit, de l’hypermédia et de l’e-santé.
Rens. : www.dr17.cnrs.fr
Rens. : http://b-com.org/wp
© GAËLLE DIABATÉ
MARIANNE PRÉVÔT
près le gène responsable de l’ichtyose(1), une maladie de peau, ce sont ceux des mélanomes qui sont pistés chez le chien à l’Institut de génétique et développement de Rennes(2). Toujours selon le même principe : chez le chien, la recherche de gènes, dont ceux responsables de maladies, est facilitée par la concentration due à la création et à la sélection des races. Une fois ce(s) gène(s) identifié(s), les chercheurs peuvent aller scruter le génome humain pour les retrouver. « Le travail sur les mélanomes est plus compliqué que sur l’ichtyose car c’est un cancer, et il en existe de nombreux types : dus aux UV ou non, cutanés ou muqueux... et plusieurs gènes sont impliqués, précise Catherine André, responsable de l’équipe. Nous avons réalisé un gros travail de fond pour caractériser les homologies entre les mélanomes canins et humains (3), et, actuellement, cinq cents cas de mélanomes de chien sont en cours d’analyses génétiques. » Une piste prometteuse, sachant que les mélanomes muqueux du chien représentent de bons modèles pour les mélanomes non liés au soleil chez l’homme et pour certains mélanomes cutanés rares de l’enfant.
A
(1) Lire “Un modèle fidèle à l’homme” dans Sciences Ouest n° 295-février 2012. (2)IGDR-Équipe génétique du chien. (3)Travaux publiés dans Pigment Cell and Melanoma Research - janvier.
Rens. : Catherine André Tél. 02 23 23 41 75 catherine.andre@univ-rennes1.fr
QUAND LES SKIPPERS FONT DE LA RECHERCHE ● Au départ du Vendée Globe 2012-2013, le skipper Bernard Stamm avait deux défis en tête : finir la course autour du monde et mener à bien le projet scientifique Rivages(1) dont il est porteur. Ainsi, un petit laboratoire scientifique installé à bord de son voilier de soixante pieds lui a permis de collecter, dans des eaux très peu fréquentées, de multiples données dédiées à l’étude du phytoplancton. Le MiniLab Océanopolis a effectué des relevés horaires automatisés de la température de l’eau, la salinité, la turbidité, l’oxygène dissous, le CO2 et la fluorescence. La station de navigation a également récupéré des informations sur la force de vent, la position, la pression atmosphérique et la température de l’air. Toutes ces mesures ainsi que le rapport d’analyses sont désormais à la disposition de la communauté scientifique. (1)
© THIERRY MARTINEZ- SEA&CO
Les mélanomes pistés chez le chien
http://rivages2012.com
Rens. : Céline Liret Tél. 02 98 34 49 15, www.oceanopolis.com
LES BIO-INDUSTRIES CARTOGRAPHIÉES ● La Bretagne est la troisième région biotechnologique française. C’est le résultat de la Biomap, une carte de France répertoriant les bio-industries région par région, publiée dans la newsletter Biotech Finances. Vingt-cinq entreprises bretonnes y figurent contre dix-neuf l’an passé.
TARA FÊTE SES 10 ANS ! ● Lorient a fêté les 10 ans de la goélette Tara, samedi 7 décembre, après six mois de navigation dans l’océan Arctique. Cette dernière expédition de 25 000 km a permis de récolter plus de 5 000 échantillons de planctons. Elle marque la fin de la mission d’étude des microorganismes marins, opérée entre 2009 et 2013 sur tous les océans du monde.
RENNES PRIMÉE POUR SES INNOVATIONS ● La ville de Rennes et Rennes Métropole ont reçu le label d’argent “Territoire innovant” lors du forum des Interconnectés de Lyon, le 3 décembre. Le label récompense le projet “Infolab rennais, pour comprendre et innover avec l’open data”, qui consiste à animer le territoire autour des questions posées par la libération des données.
Rens. : www.biotech-finances.com/fr
Rens. : http://oceans.taraexpeditions.org
Rens. : http://metropole.rennes.fr
© A. PUISSANT, S. LEFÈVRE, R. DESGUÉE, F. LEVOY, 2008.
D’IRRÉDUCTIBLES ALGORITHMES ● Plus qu’un irréductible Gaulois, Asterix est un projet de recherche en informatique(1). Porté par l’équipe Obelix de l’Irisa(2), il a débuté l’automne dernier pour quatre ans. L’objectif ? Développer un ensemble d’algorithmes dédiés à la fouille et à l’analyse de données issues des images satellite et aériennes. De plus en plus perfectionnés, les satellites fournissent des images à des fréquences et des résolutions toujours plus grandes. Les pixels à traiter se comptent alors en milliards. Et les algorithmes doivent comparer des sources très hétérogènes - images satellite, images radar, cartes de l’époque napoléonienne scannées - d’une même zone géographique. Il leur faut pour cela une capacité d’apprentissage automatique, afin de reproduire un raisonnement humain à partir des connaissances fournies. « Nos outils s’appliquent aux domaines environnementaux, en collaboration avec le LETG-Costel et l’Osur (3), mais aussi d’autres laboratoires à Strasbourg et Toulouse. Nous allons, par exemple, suivre l’évolution des sédiments dans la baie du mont Saint-Michel », explique Sébastien Lefèvre, responsable du projet et enseignant-chercheur à l’Université de Bretagne Sud. Retenu dans le cadre du programme Jeunes chercheurs et jeunes chercheuses de l’Agence nationale de la recherche. (2)À l’Université de Bretagne Sud (Vannes). (3)Laboratoire Climat et occupation du sol par télédétection. Composante de l’Université Rennes 2 de l’UMR LETG (Littoral, environnement, télédétection, géomatique) et de l’Osur (Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes).
(1)
Rens. : Sébastien Lefèvre Tél. 02 97 01 72 35, sebastien.lefevre@univ-ubs.fr
PARTENARIAT LA BRETAGNE SOUTIENT L’INRA ● La Région Bretagne a signé une convention pluriannuelle avec l’Inra-Rennes le 5 décembre. Elle accompagne financièrement les installations de R&D et expérimentales de l’Inra en Bretagne.
DISTINCTIONS MÉDAILLE DE BRONZE CNRS ● Alban Lemasson, professeur à l’Université de Rennes 1 et directeur adjoint du laboratoire EthoS (éthologie animale et humaine, Unité mixte de recherche CNRS/ Université de Rennes 1) a reçu la médaille de bronze CNRS le 10 décembre. Il étudie notamment la communication vocale chez l’animal et son évolution (lire p. 22).
Rens. : www.rennes.inra.fr
Rens. : www.ethos.univ-rennes1.fr
LAURIER INRA 2013 ● Josiane Quéré, technicienne de laboratoire à l’Institut de génétique, environnement et protection des plantes (Igepp) de Ploudaniel (29), a reçu le Laurier Inra 2013 de l’Appui à la recherche, le 2 décembre à Paris. Cette récompense vient saluer son travail sur la génétique des pommes de terre. Rens. : www.jobs.inra.fr/Nos-metiers/Portraits/ Josiane-Quere JANVIER 2014 N°316 SCIENCES OUEST
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Déjà demain
Des séances prennent du relief PLANÉTARIUM Un nouveau pas va être franchi par l’Espace des sciences avec la projection de nouvelles séances en 3D relief. ubert Reeves, le célèbre astrophysicien et parrain du planétarium de l’Espace des sciences, sera là pour l’occasion. Le 20 janvier prochain, aura lieu l’inauguration de la salle, de son nouvel écran, mais aussi de son nouveau système de projection. Car dans plusieurs semaines, certaines séances seront proposées en relief. Dans certaines conditions. « Le relief, c’est un petit plus pour le public mais pas une fin en soi, expliquent Priscilla Abraham et Bruno Mauguin, responsables du planétarium. Cela fait partie de la mutation de l’équipement dans l’ère numérique. » Une ère qui a commencé il y a une quinzaine d’années, non loin de Rennes... à Pleumeur-Bodou, dans les Côtes-d’Armor, grâce à l’inventivité, l’acharnement et la patience de trois extraterrestres : Priscilla Abraham,
H
Bruno Mauguin et Claude Ganter. Et à leur volonté de ne pas projeter des spectacles tout prêts. Bien avant l’ère du numérique, au temps des diapositives, ils avaient imaginé un système pour afficher les images voulues au moment opportun. Les débuts du temps réel ! À cette époque, nous sommes à la fin des années 90, le système de projection du planétarium de PleumeurBodou est un planétaire numérique central (Digistar), une sorte de gros frigo qui renferme un tube électronique vert (la longueur d’onde la plus visible dans le noir) capable de projeter des points ou séries de points (images filaires) et de simuler les mouvements de la Lune, des étoiles, du Soleil. Les images texturées et en couleurs, au début des diapositives puis des films en images de syn-
Le plané, c’est pas du ciné !
A
thèse, sont projetées par-dessus le ciel étoilé, grâce à dix magnétoscopes numériques couplés à des vidéoprojecteurs. « Le Digistar était très fragile. Notre hantise était qu’il tombe en panne, car, alors, on n’avait plus de ciel étoilé ! », se souvient Priscilla qui a d’ailleurs effectué plusieurs sauvetages...
Des étoiles à Noël Au cours de l’été 98, Claude Ganter réalise que la prise inutilisée sur les vidéoprojecteurs pourrait bien servir et être branchée à... un ordinateur ! Ni une, ni deux, quinze machines, justement en promotion au supermarché du coin, sont achetées. Chaque vidéoprojecteur se retrouve branché à un ordinateur et Claude se lance dans la programmation : il crée le logiciel de planétarium numérique qui calcule les trajectoires des
u cinéma, comme dans la vie de tous les jours, notre vision est basée sur la balance des blancs. Et dans nos yeux, ce sont les cellules coniques qui travaillent. Leur temps de rafraîchissement est de vingt-quatre images par seconde. Dans un planétarium, c’est différent : la vision est basée sur la balance des noirs et ce sont les cellules en forme de bâtonnets qui travaillent, avec un rythme de soixante images par seconde. Un système de projection du relief créé pour le cinéma ne peut donc pas être utilisé dans un planétarium. Il ne s’agit pas non plus de la même technologie de lunettes. NB
8 SCIENCES OUEST N°316 JANVIER 2014
astres et commande l’ordinateur central, le master, qui synchronise et envoie les ordres aux machines périphériques qui affichent chacune leur partie du ciel. Le tout en temps réel. Résultat : en octobre 98, la Lune et le Soleil apparaissent, projetés par les vidéoprojecteurs et non plus par le Digistar central. « Claude sautait partout !, se souviennent Priscilla et Bruno. Puis, nous avons créé les planètes, et les étoiles sont arrivées à Noël ! » Beaucoup plus complexe à créer et gourmande en puissance de calcul, la Voie lactée ne sera finalisée qu’au début de l’année 99.
Une première mondiale Ingénieusement fabriqué, ce ciel étoilé en temps réel n’en est pas moins une première mondiale. Été 2000 : Pleumeur-Bodou devient le centre du monde. Des concepteurs de planétariums européens et américains font le déplacement. « On avait mis le capot sur le Digistar pour bien montrer que les images venaient des vidéoprojecteurs. » Les Américains repartent bluffés et proposeront plus tard à Claude Ganter de venir travailler pour eux. Ce qu’il fera
© PLANÉTARIUM - ESPACE DES SCIENCES
en 2001. À Rennes, le projet des Champs Libres est en marche et l’Espace des sciences a un planétarium dans ses cartons. Bruno (en 2002) et Priscilla (en 2005) rejoignent le bateau. Le planétarium de l’Espace des sciences, qui ouvre en 2006 avec le bâtiment Les Champs Libres, est nourri par le concept de Pleumeur-Bodou, et gagne en puissance de calcul grâce aux progrès de l’informatique. Le choix est fait de ne plus projeter depuis le centre, mais depuis les côtés de la salle. Tandis que le nombre de projecteurs diminue, passant de six en 2006 à deux aujourd’hui pour couvrir tout le dôme.
Laisser parler l’Univers En ce début d’année 2014, l’arrivée de la 3D relief n’est qu’une étape de plus dans l’aventure. « Notre première idée était plutôt de faire de l’immersif, précise Priscilla. J’avais cette envie de créer une séance avec peu de commentaires pour laisser parler les splendeurs de l’Univers. La 3D relief ne sera utilisée, pour son côté pédagogique, que quand cela s’y prête vraiment. » Et l’opération nécessite encore plus de puissance de calcul. « Il a fallu doubler tout le système : les vidéoprojecteurs et les calculateurs. Un pour chaque œil », ajoute Bruno. La création des images, elle, reste la même. C’est la façon de projeter et de piloter qui change. Car contrairement au cinéma où les films sont tournés avec toujours la même parallaxe - ce qui donne des arrièresplans flous -, au planétarium, la parallaxe sera réglée tout au long de la séance (exactement comme le font nos yeux sans qu’on s’en rende compte) par les médiateurs. Du grand confort pour le public ! NATHALIE BLANC
CONTACTS Priscilla Abraham priscilla.abraham@espace-sciences.org Bruno Mauguin bruno.mauguin@espace-sciences.org www.espace-sciences.org/planetarium
PHOTONIQUE En introduisant des composés optiques dans les puces de silicium, les scientifiques cherchent à doper les ordinateurs de demain.
Nanolasers et super-ordis es appareils électroniques et connectés qui nous entourent sont truffés de puces de silicium, elles-mêmes bourrées de transistors. Ces petites unités de calcul sont reliées entre elles par des interconnexions métalliques. « On a toujours cherché à augmenter les puissances de calcul, pose Charles Cornet, chercheur dans le laboratoire Foton(1) à l’Insa de Rennes. Aujourd’hui, elles sont telles que c’est la vitesse du courant électrique dans les liaisons métalliques qui devient limitante. En plus, ces liaisons ne sont pas très économes en énergie. »
L
Des fibres nanométriques Qu’à cela ne tienne, il est possible de remplacer ces ponts par des interconnexions optiques, dont la source est une lumière laser. C’est le principe des fibres optiques, qui traversent les océans sur des milliers de kilomètres, quadrillent des villes entières. Sauf qu’ici, nous sommes à l’échelle du nanomètre ! Le problème de la limitation par le transport avait été anticipé et les travaux de recherche sur les connexions optiques à petite
échelle ont commencé depuis trente ans. On sait, par exemple, fabriquer des fibres optiques de quelques micromètres. « Les travaux que nous menons dans le laboratoire Foton de l’Insa de Rennes dans le cadre du projet Sinphonic, portent plus précisément sur la source : la brique de base qui va nous permettre de fabriquer un laser à semi-conducteurs III-V », reprend Charles Cornet. C’est-à-dire un laser fabriqué à partir d’éléments chimiques dotés de bonnes propriétés optiques (dans les colonnes III et V du tableau de Mendeleïev).
Sans craquelures L’opération s’effectue grâce à un équipement très particulier (2) dont le principe consiste à déposer, sous vide, atome après atome, une couche très fine (< 1 µm) de ces matériaux optiques pardessus la couche de silicium. Or, la plupart du temps, des défauts apparaissent car les deux familles de matériaux n’ont pas les mêmes propriétés cristallines. Et la moindre craquelure rend la diffusion de la lumière laser impossible. « Nous avons trouvé la parade en changeant d’élé-
ment : nous avons choisi le phosphure de gallium (plutôt que l’arséniure de gallium, couramment utilisé), car sa maille cristalline est très proche du silicium. Au moment du dépôt, et dans certaines conditions, cela ne provoque quasiment plus de craquelures. » Des tests de luminescence ont montré que ces composés pouvaient constituer une source de lumière. La prochaine étape : constituer le laser en entier !
Le prix de l’innovation Seuls quatre laboratoires au monde travaillent avec le phosphure de gallium. Ce qui a valu au laboratoire rennais et au projet Sinphonic de remporter, à la fin de 2013, le prix innovation des Trophées Loading the Future, organisés tous les ans par le pôle de compétitivité Images et Réseaux. Encore plus rapides, économes en énergie et bourrés d’optique, tels seront les ordinateurs de demain ! NB Fonctions optiques pour les technologies de l’information. (2) Le cluster de croissance par épitaxie est l’un des équipements de la plateforme technique Nano-Rennes, répartie sur les sites de l’Insa et de l’Université de Rennes 1. (1)
CONTACT Charles Cornet Tél. 02 23 23 83 99 charles.cornet@insa-rennes.fr
Après le dépôt sous vide des différentes couches de matériaux, les puces électroniques sont gravées en salle blanche (ici celle de l’Insa de Rennes). © FOTON INSA
JANVIER 2014 N°316 SCIENCES OUEST
9
LE DOSSIER DE
LA SCIENCE DÉ HOMMES ET ANIMAUX JOUENT. POURQUOI ? SELON QUELLES RÈGLES ? VOICI QUELQUES RÉPONSES, ÉCLAIRÉES PAR LE JEU DES PRIMATES. e jeu est-il le propre de l’homme ? « Non, répond sans hésitation Catherine Blois-Heulin, spécialiste de l’étude du comportement des animaux à l’Université de Rennes 1. Les animaux aussi jouent. Et quand ils jouent, cela se voit tout de suite », ajoute-telle en citant les primates qui se poursuivent dans les arbres, une corneille qui s’envole avec un morceau de bois, le lâche, le rattrape et recommence, ou encore une tortue devenue célèbre, observée en captivité en train de pousser un ballon avec son museau ! « Le fait d’être en captivité peut avoir un effet, mais des tortues ont aussi été obser-
L
10 SCIENCES OUEST N°316 JANVIER 2014
Chez les animaux, le jeu concerne principalement les jeunes, et surtout ceux dont le développement est long. vées par des plongeurs dans leur milieu naturel en train de jouer. Les primates et les oiseaux jouent beaucoup, même en liberté. Par contre, on n’a jamais observé un serpent ni une musaraigne jouer. Cela serait trop dangereux pour leur survie. » Et l’on en vient à la définition du jeu.
Avoir du temps libre ! Le premier critère est l’âge. Chez les animaux, le jeu concerne principalement les jeunes, et surtout ceux dont le développe-
ment est long, comme les primates. « Ces animaux sont maternés, c’est-à-dire qu’ils ne se préoccupent ni de chercher leur nourriture, ni de se protéger des prédateurs car ces contraintes sont assumées par les adultes. Ils ont donc du temps libre », poursuit l’éthologiste. Des adultes sont parfois vus en train de jouer : « La plupart du temps, il s’agit de mâles qui répondent aux sollicitations des jeunes, mais jamais des mères, occupées à nourrir les toutpetits. » Le jeu se caractérise aussi par le fait qu’il se compose d’enchaînements d’attitudes issues de situations de la vie quotidienne, mais ordonnées différemment : des séquences d’agression, par exemple, mais sans violence. Les primates utilisent même des vocalisations propres à l’agression, qu’ils
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Le cerveau en guise de joystick © INRIA - PHOTO KAKSONEN
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Les jeux utilisés en recherche © PATRICK HERTZOG - AFP
P. 18 © DOMINIQUE VERNIER
Quand le jeu devient maladie © FRANCOVOLPATO - FOTOLIA.COM
VOILE SON JEU font précéder d’un cri particulier pour prévenir qu’il s’agit d’un jeu ! Enfin, on observe aussi dans les jeux des changements de rôles : l’individu A poursuit B, puis l’inverse se produit. Âge des joueurs, jeux d’imitation, changements de rôles, seul ou à plusieurs..., on retrouve ces critères dans les jeux humains. Par contre, ils peuvent être plus élaborés. Au début du 20 e siècle, le pédiatre et psychanalyste anglais Winnicott avait défini deux formes de jeu, que différencie bien la langue anglaise : le “play” qui fait référence à l’activité même de jouer en faisant appel à la créativité et à l’onirisme, et le “game” qui regroupe les jeux (objets) avec des règles construites.
On ne joue pas pour rien Que ce soit chez l’homme ou l’animal, le jeu est utile. Il sert d’ailleurs depuis longtemps en psychologie pour étudier le
À Rennes, les traces du premier sport de masse
R
ue Saint-Louis, dans le quartier du couvent des Jacobins en pleine restructuration à Rennes, un trésor a été redécouvert en 2011 : les traces d’un jeu de paume datant du début du 17e siècle. Décrit précisément dans les archives “construit en bois et terrasse, pavé de tuiles et entouré de galeries...”, il avait été recouvert par une chapelle dans les années 1690, puis transformé en annexe de l’hôpital militaire
à la Révolution. « L’intérêt patrimonial de la chapelle avait été repéré, mais personne ne s’attendait retrouver la salle du jeu de paume ! », s’enthousiasme Gauthier Aubert, historien à l’Université Rennes 2 et spécialiste de l’histoire et du patrimoine de Rennes(1). Le jeu de paume a été le premier grand jeu urbain, un des premiers sports de masse, dont l’apogée se situe entre le 15e et le 17e siècle. Délaissée par
l’élite, cette véritable passion française s’est effondrée. Si le jeu a laissé des traces dans la langue “rester sur le carreau”, “épater la galerie”..., les vestiges des bâtiments sont plus rares. D’où la démarche de la ville de Rennes pour une protection au titre de monument historique. NB (1) Lire article Rue Saint-Louis - Le jeu de paume perdu et retrouvé dans Place Publique, n° 21, janvier - février 2013.
Rens. : Gauthier Aubert gauthier.aubert@uhb.fr
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