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Pour une construction durable et locale
Zoom sur la construction locale et durable
Local et durable sont deux termes couramment utilisés en matière de construction. Pierres angulaires du secteur du bâtiment, ces deux concepts sont interdépendants et reposent sur plusieurs mécanismes. Trois spécialistes apportent leur éclairage et donnent des pistes pour la construction et la rénovation de demain.
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Iphigeneia Debruyne
Dans le canton de Vaud les projets d’architecture et d’infrastructures se chiffrent en milliards. Face à ces perspectives, Frédéric Burnand, porte-parole de la Fédération vaudoise des entrepreneurs, se penche sur la construction locale et ses atouts.
Frédéric Burnand
Qu’est-ce Que vous entendez par construction locale?
La construction locale est souvent associée à la provenance des matériaux. Dans un premier temps, nous pensons au bois, au béton recyclé, ou encore au pisé fabriqué à partir de matériaux d’excavation. Il s’agit aussi d’un savoir-faire, d’une main-d’œuvre compétente et d’un gage de qualité. En effet, la formation duale dans la construction en Suisse est l’assurance de travailler avec un personnel qualifié. La construction locale ne s’arrête pas là. Construire avec des entreprises du cru veut également dire faire appel à des acteurs qui connaissent les conditions, les règles et les normes locales. En sus d’une qualité de l’exécution qui répond aux exigences, le suivi du chantier et la possibilité de faire valoir la garantie sont facilités.
le recours à la construction locale évolue-t-il en suisse? Quels sont les enjeux?
Il est difficile de mesurer l’évolution. Ce que je peux en revanche affirmer, c’est que la concurrence est rude sur les marchés publics. La Suisse est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les appels d’offres publics sont donc ouverts à l’international. Le canton de Vaud a réalisé des projets d’envergure. Le Musée cantonal des beaux-arts à Lausanne inauguré en 2019 en est un bel exemple. D’autres projets de taille sont planifiés. Dans ce contexte, les entreprises vaudoises doivent se montrer compétitives pour prendre part à ces projets. La Fédération vaudoise des entrepreneurs lutte avec acharnement pour que le critère prix ne soit pas le plus déterminant dans l’attribution des mandats. Nous œuvrons pour que le meilleur rapport qualité/prix soit retenu. En effet, avoir le coût comme unique mesure est contre-productif. La qualité qu’il faut rétribuer, cela est vrai, s’amortit sur le long terme. Sur ce plan, les entreprises suisses sont très bien placées. Elles ne construisent pas pour dix ans, mais pour cent ans.
Quels sont les impacts de la construction locale?
Plus que d’avoir un effet sur la qualité de l’ouvrage, la construction locale a un impact sur le bilan écologique mais aussi sur l’économie d’un canton. Sur le plan écologique, la proximité entraîne une diminution du bilan carbone. Les distances à parcourir sont raccourcies. Il y a l’utilisation de ressources locales, le recyclage des matériaux, ou encore la déconstruction et consécutivement le réemploi. Sur le plan économique, plus globalement, faire travailler des entreprises locales contribue au maintien de nombreux emplois, favorise la création de postes d’apprentissage en quantité, et assure aux pouvoirs publics des revenus fiscaux importants. Ces incidences positives ne sont pas à sous-estimer mais elles restent difficiles à mesurer. À titre d’exemple, l’impact réel de l’emploi dans la construction sur le taux de chômage ne peut être chiffré. Toutefois, nous pouvons souligner que les entreprises vaudoises de la branche occupent quelque 28 000 salariés, soit près de 10 % des emplois et près de 6 % du PIB du canton. En 2019, ces entreprises-là ont dégagé un PIB estimé à près de 2,6 milliards de francs. C’est plus que le secteur des machines, équipements, instruments et horlogerie. L’implication de la construction locale sur l’économie ne peut être ignorée. Avec la fédération nous nous efforçons de mettre la lumière sur ce mécanisme.
la construction locale est-elle une pierre angulaire de l’économie locale?
Oui. Cet aspect est trop souvent négligé. Toutefois le mécanisme est simple. Mettre une entreprise vaudoise à l’œuvre, c’est lui donner du travail. Elle paie ses impôts dans la commune et le canton. Ses employés en font de même. Et surtout, ces derniers ne sont pas au chômage. Ils ne coûtent rien à notre système social. Mieux encore, ils dépensent leur salaire dans les commerces locaux et l’argent ainsi investi profite à l’ensemble de la région. La construction locale construit la localité dans tous ses aspects.
Quel rôle jouent l’innovation et l’utilisation de nouveaux outils et systèmes dans la construction durable? Jean-Daniel Wicht, directeur de la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs et président du Building Innovation Cluster (BIC), approfondit la question.
Jean-Daniel Wicht
Qu’est-ce Que vous entendez par construction durable?
La finalité de la construction durable est évidente: créer un parc immobilier peu «ressourcivore» et peu énergivore. Le jour du dépassement de la terre, c’est-à-dire la date à partir de laquelle nous avons consommé l’ensemble des ressources que la terre est capable de régénérer en un an, avance systématiquement depuis les années 1980. Agir est nécessaire. Pour le secteur du bâtiment et génie civil, les projets neufs mais aussi les rénovations du patrimoine sont concernés. La mise aux normes des demeures permet des économies de ressources et diminue considérablement le bilan énergétique des habitats. Avec un taux de rénovation annuel de seulement 1 %, le potentiel d’économie d’énergie à faire en promouvant les rénovations n’est pas à sousestimer. Aujourd’hui, l’attention est avant tout portée sur le développement des circuits courts. Le recours aux matériaux locaux réduit en effet l’empreinte carbone de l’ouvrage. Durable et local vont main dans la main. Toutefois, ceci n’est qu’une pièce du puzzle. Innovations et changements de mentalité sont primordiaux pour prendre le virage durable.
À Quels types d’innovations pensez-vous?
D’abord, le développement de nouveaux matériaux induit des économies de ressources directes et indirectes. Les bétons fibrés ultra-performants (BFUP) sont un bel exemple. Mis au point ces vingt dernières années, les BFUP permettent la réfection de ponts et de façades que l’on ne pouvait pas restaurer auparavant. Ces produits prouvent que des idées motivées par la recherche de solutions ont un réel impact sur l’environnement. Actuellement, imaginer du béton armé composé d’une moindre quantité d’acier et de plusieurs liants semble audacieux. Or, c’est à travers de tels projets que nos ingénieurs mettent au jour des nouveaux processus et produits moins consommateurs des ressources. Une comparaison avec l’industrie de l’automobile, à savoir l’ampleur qu’a prise la voiture électrique ces dernières décennies, invite à sortir des sentiers battus. Par ailleurs, l’implémentation de différents outils digitaux contribue aussi à optimiser les ressources.
comment la digitalisation influence-t-elle l’utilisation des ressources?
Plusieurs outils numériques ont un impact. Le recours au BIM permet une analyse approfondie avant le démarrage du chantier. Grâce à cette étude détaillée avec entre autres des logiciels de visualisation 3D, des erreurs et donc l’utilisation à froid de ressources peuvent être évitées. Quant aux capteurs GPS fixés sur les engins de terrassement, ils ont le même effet. Les machinistes s’appuient sur cette technologie de haute précision pour effectuer leur travail. La maquette numérique introduite dans l’ordinateur de la machine de terrassement améliore considérablement la précision, évite l’engagement d’un ouvrier pour contrôler l’exactitude du travail et par conséquent optimise l’utilisation des ressources. Par ailleurs, l’intégration d’applications de logistiques collectives pour les circuits courts est à envisager. Celles-ci vont à l’encontre du gaspillage. Mettre en commun les informations donnerait lieu à davantage de revalorisation des matériaux au niveau local.
comment seconder les entrepreneurs pour accélérer la transition?
La construction durable a un coût. Mener des études de faisabilité technique et implémenter la digitalisation engendrent des frais et parfois des risques financiers pour les entrepreneurs. Pour relever ce défi, nous encourageons à Fribourg, dans le cadre du Building Innovation Cluster (BIC), les projets collaboratifs. Nous repérons les besoins de nos entrepreneurs, esquissons des axes de réflexion, facilitons les partenariats pour le lancement de projets innovants. Qui plus est, dans le cadre du BIC, nous cherchons à mettre en œuvre des modèles d’affaires durables. La construction durable ne peut pas fonctionner en vase clos. Elle est entre autres tributaire d’un système financier, d’un maître d’ouvrage prêt à investir pour faire des économies de ressources.
Jean-Claude Baudoin, directeur de la Fédération neuchâteloise des entrepreneurs, souligne le lien entre les concepts de local et de durable et les mécanismes à déployer pour faciliter leur mise en place.
Jean-Claude Baudoin
Comment expliquez- vous l’intérêt pour le loCal et le durable dans la ConstruCtion?
Ces deux thématiques sont dans l’air du temps. Il s’agit de deux mots que les autorités, les législateurs et les scientifiques utilisent pour décrire une évolution nécessaire dans notre société. Les consommateurs ont adopté cette terminologie. Au fil des années, l’urgence liée au changement climatique et la prise de conscience du besoin de préserver l’environnement ont pris de l’ampleur. Progressivement, des solutions réelles sont mises au jour et appliquées. Pour réaliser une construction locale et durable, il faut poursuivre les innovations sur trois plans: le plan normatif, le plan technologique et le plan comportemental.
qu’est-Ce que vous entendez par Changement sur le plan normatif?
L’introduction de cadres légaux qui encouragent la construction durable et locale est une bonne chose. Un exemple récent et parlant est la nouvelle Loi cantonale sur l’énergie (LCEN) que le Grand Conseil du canton de Neuchâtel a adoptée en automne 2020. Entrée en vigueur le 1er mai 2021, ce texte stimule le virage durable. Pour les constructions neuves, la LCEN renforce les normes d’isolation et exige notamment l’installation d’une production d’électricité renouvelable. Par ailleurs, l’utilisation de l’énergie fossile pour chauffer de nouveaux édifices est fortement découragée. À savoir, elle est soumise à une autorisation spéciale. En cas de remplacement du chauffage dans un bâtiment existant, l’énergie renouvelable est de mise. En tous les cas, 20 % de la source énergétique du chauffage doivent être issus de l’énergie renouvelable. Il y a des subsides pour les rénovations énergétiques. Ces dispositions sont prises pour épauler les propriétaires lors de travaux de remise aux normes.
Ces systèmes qui enCouragent la transition sont-ils importants?
Oui, je pense qu’ils permettent d’amorcer le virage. D’un côté, il y a les aides et avantages financiers pour stimuler les propriétaires qui désirent faire cet effort. Des subventions absorbent une partie des frais. De l’autre côté, les autorités s’engagent à donner l’exemple. La LCEN stipule que les bâtiments des collectivités doivent être exemplaires. La promulgation des nouveaux critères lors de la passation de marchés publics assure l’ancrage de la construction locale et durable dans les mœurs. À terme, la demande du consommateur se transforme en une demande de construction durable et locale. L’approche commerciale change. Le critère qualité primera progressivement sur le critère prix. Qui plus est, les nouveaux développements sur le plan technologique vont accélérer cette transition. Des centres de recherche, tels que le Centre suisse d’électronique et de microtechnologie (CSEM) à Neuchâtel, assurent que la Suisse a des pôles de compétences pour soutenir le virage à prendre. Les projets d’innovations menés au sein de ces pôles par des start-up locales montrent qu’au cœur du progrès, il y a l’économie. Microcity à Neuchâtel, un site pour PME développé en partenariat avec l’Institut de microtechnique de l’EPFL, figure parmi les exemples qui illustrent cette dynamique.
la pandémie a-t-elle aCCéléré le virage vers la ConstruCtion loCale et durable?
Le Covid-19 nous rappelle l’impuissance face à la nature et les limites de la globalisation. Nous pensions que la quête de la croissance infinie n’était que force. L’arrêt abrupt en mars 2020 de l’économie mondiale a démontré l’importance de l’économie locale et de la fibre entrepreneuriale et sociétale à la fois écosolidaire et éco-responsable. Le virus a renforcé cette prise de conscience. Maintenant, il faut trouver l’équilibre pour avancer dans la bonne direction en accord avec le marché.