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Trois transformations respectueuses du patrimoine

Les bâtiments ruraux (granges, fermes, mayens, mazots, etc.) font partie du patrimoine suisse. Originellement utilisés pour abriter le bétail, stocker le fourrage et parfois pour loger l’homme, ces constructions sont aujourd’hui souvent laissées à l’abandon en raison de l’urbanisation et de la densification des communes qui perdent progressivement leur pratique agricole. Cela pose alors la question de la transformation du patrimoine bâti rural. Comment lui permettre d’accueillir de nouvelles fonctions tout en préservant l’histoire du bâtiment ? Les trois projets suivants présentent des solutions pour transformer les granges en logements afin de les revitaliser et éventuellement de les densifier sans dénaturer les caractéristiques principales de l’existant. Des projets contemporains qui font perdurer le patrimoine.

Salomé Houllier Binder

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GRANGES EN RECONVERSION

Lier par La matière

La maison M transforme une grange-étable située à Flanthey (VS). Le projet adopte une forme singulière, reprenant la caractéristique hétérogène du bâti de la région formé au fil du temps par addition successive de volumes différenciés. Une extension en béton apparent réalisée au nord-ouest de la grange vient enlacer le vieux bâtiment dont les façades soulignent les traces du temps. Le crépi fragmenté est conservé et laisse entrevoir la pierre. La texture minérale du béton sablé lie les différentes matières et, par contraste, les révèle. Le béton est placé autour des ouvertures et au-dessus de la pierre, à même les murs existants. Telle une prothèse, il consolide la structure.

À l’intérieur, l’espace est modelé à l’aide d’un élément structurel et structurant en béton qui façonne l’escalier principal, la cheminée et un banc face au grand paysage. Les espaces diurnes et nocturnes sont séparés par des penderies aménagées dans l’épaisseur de l’ancienne façade ouest ainsi que par des rideaux coulissants. Le volume de la grange est mis en valeur par la suppression du plancher intermédiaire qui ne permettait pas d’exploiter le niveau inférieur. La pièce de vie bénéficie ainsi d’une hauteur généreuse. À l’arrière, le bloc sanitaire filtre les nuisances de la route. La composition spatiale se lit comme un

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Michel Bonvin ©

parcours qui offre différents axes de dégagements visuels en utilisant les ouvertures déjà existantes. Les fenêtres en chêne cadrent les vues sur le clocher de l’église, le Val d’Anniviers et le Val d’Hérens. Le volume proposé est volontairement neutre. Le sol est unifié par une chape poncée. Les matériaux sont laissés bruts et les détails constructifs sont simples et rationnels, ce qui donne de la cohérence à l’ensemble.

Une même toiture unifie la grange et l’extension. Sur le côté sud, elle adopte une forme à double pans selon les règlementations du village et se transforme en une toiture à pans inversés qui prolonge celle d’un couvert existant. La forme qui en résulte procure des visions différenciées. Depuis la route au nord, la grange disparaît derrière les nouveaux murs et elle réapparaît pleinement depuis le parvis de l’église. Ainsi, par déambulations intérieures et extérieures, le béton qui constitue le fil conducteur du projet lie les espaces et volumes et offre des perceptions variées. Cette liaison par la matière offre un projet à l’architecture sensible, riche, élémentaire et fondamentale qui maintient la substance de la grange tout en proposant une construction atemporelle.

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RévéleR l’existant

Inscrite à l’Inventaire des monuments historiques, cette ancienne ferme vaudoise témoigne du passé agricole de Gland. Sa reconversion en deux logements suit deux objectifs principaux: donner une nouvelle vie à la grange tout en mettant en valeur et rendant visible sa structure, caractérisée par des murs de maçonnerie très épais et une grande toiture à pans.

Le geste fort du projet a été de révéler la structure en réalisant, sur l’une des façades pignons, une grande fissure dont la forme découle de décisions fonctionnelles. D’un côté, elle vient soutenir la panne faîtière et de l’autre, elle accueille un escalier. Enfin, elle permet d’introduire de la lumière au cœur du bâtiment à l’aide d’une cour intérieure vitrée autour de laquelle s’organisent les espaces de vie des deux appartements. Cet élément marquant brouille volontairement la position de la ligne qui sépare le dedans et le dehors. De l’intérieur, la vision de l’épaisseur de la vieille enveloppe de maçonnerie procure une sensation de protection. Ce sentiment est accentué par l’introduction, à l’intérieur, d’une structure en bois et verre. Indépendante des murs de maçonnerie, elle porte en revanche la charpente existante. Imbriquée dans l’ancienne enveloppe, elle articule l’essence de la grange et les besoins d’aujourd’hui. Elle reprend une géométrie orthogonale et permet de régler les questions d’isolation. Les architectes mettent en valeur l’existant mais l’utilisent aussi pour développer le projet. Par exemple: l’escalier est directement posé sur la grande épaisseur du mur perforé ; la grande ouverture en bandeau sur la façade nord constitue la trace d’une ancienne surélévation. C’est aussi le cas de la conception des appartements, du duplex en particulier, qui est dictée par la structure organique d’origine. Les planchers conservent l’aménagement sur plusieurs niveaux qui répondait à une tripartition fonctionnelle entre l’homme, les animaux et le fourrage. L’espace est ainsi partitionné à l’aide de niveaux variables, d’armoires intégrées et d’un travail sur les matériaux. Le sol est recouvert d’une chape dans laquelle sont insérés des tapis de parquet en bois. Ensemble, cela génère des espaces variés, des niches, des points de vue cadrés.

Les matériaux respectent la vie antérieure du bâtiment. La structure en bois est réalisée avec des panneaux de hêtre blanchis. La façade pignon ouest a été enduite à la chaux afin de préserver son irrégularité marquée par le temps. Le projet travaille ainsi avec l’existant. Il le révèle et en tire parti tout en le respectant et le protégeant, à l’instar de la grande toiture qui recouvre l’ouvrage.

Samuel Nugues © Samuel Nugues ©

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Mangeat-Wahlen MW architectes associés

Le bureau a été créé en 1971 par Vincent mangeat, aujourd’hui associé à pierre Wahlen. Les deux architectes travaillent sur tout type de projet, de la petite à la grande échelle. ils s’attachent à comprendre le territoire et ses diverses couches afin de révéler ses caractéristiques fondamentales à travers leurs réalisations. Leur approche s’inspire et se nourrit des qualités du territoire. ils mettent tous deux de l’importance à l’éducation, puisant sans cesse dans leur pratique pour enseigner et dans leur enseignement pour développer leur pratique.

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Harmoniser l’ancien et le nouveau

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Cette ancienne grange située dans le village d’Ollon (VD), a été achetée par le maître de l’ouvrage en 2015 pour en faire sa résidence principale. Vue de l’extérieur, elle conserve une apparence traditionnelle à l’exception de quelques éléments contemporains. Les murs en moellons ont pu être conservés et isolés de l’intérieur. Seules la façade ouest et une partie de la façade nord étaient trop abîmées et ont été démontées et reconstruites en réutilisant les pierres d’origine. La position des ouvertures, le linteau et la porte en bois ont aussi été maintenus. La transformation a donc principalement consisté en un réaménagement intérieur. Afin d’occuper le sous-sol semienterré dont la hauteur sous plafond était trop basse, la dalle du sol a été abaissée d’une vingtaine de centimètres. Il abrite maintenant une chambre/bureau, une salle de bain, une cave et un local technique. L’étage principal reprend la structure ouverte d’origine pour proposer un espace d’un seul tenant, hiérarchisé par un bloc de services (sanitaires, cuisine, escaliers, rangement) qui ne s’étend pas sur toute la hauteur. La partie jour se trouve à l’ouest tandis que la chambre se trouve à l’est, surélevée de quelques marches. Ce décalage reprend la pente du plancher d’origine et s’adapte ainsi aux ouvertures existantes. Il permet aussi d’articuler les espaces et renforce l’aspect privé de la chambre. Enfin, il permet d’encastrer la baignoire. Objet contemporain marquant, celle-ci est posée à même le sol de la chambre, sans alignement prédéfini.

Le sol est réalisé avec un béton noir teinté dans la masse. Les parois et la toiture sont revêtues de panneaux en sapin lasuré en noir, procurant ainsi un intérieur unifié et neutre.

Les ouvertures ont été conservées afin préserver l’histoire de la grange. Les trois ouvertures latérales réinterprètent le langage des claustras en bois qui permettaient la ventilation. Les nouvelles claustras posées devant les fenêtres assurent désormais une certaine intimité aux habitants. La façade ouest, rebâtie à neuf, possède une grande fenêtre sur toute la largeur et donne à l’espace de jour la vue sur la vallée du Rhône, profitant du dégagement dû au terrain en pente.

Ainsi, la maison Bornet jongle entre un extérieur principalement vernaculaire et un intérieur beaucoup plus moderne. Elle conserve les éléments intéressants d’origine sans pour autant figer le projet dans un état historique. En jouant avec des matériaux contemporains, les architectes parviennent à une transformation totale qui respecte l’existant.

Thomas Jantscher © Thomas Jantscher ©

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Savioz Fabrizzi architecteS

Le bureau œuvre depuis 2004, principalement en Valais. sa quinzaine de collaborateurs adopte une démarche de travail basée sur l’analyse du site – historique, bâti, paysager. en préservant, revalorisant ou requalifiant les éléments définis comme essentiels, le bureau met en valeur le rôle culturel de l’architecture. Dans un souci d’unité du traitement de la pensée architecturale et afin de répondre au mieux aux besoins du maître d’ouvrage, chaque collaborateur gère l’ensemble des étapes d’un même projet, de la conception à la réalisation, proposant ainsi un suivi de qualité.

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