Mémoire / De la ville marchande à la ville marchandise : Venise

Page 1



École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

Mémoire pour l’obtention du diplôme d’État d’architecte (DEA)

DE LA VILLE MARCHANDE À LA VILLE MARCHANDISE : VENISE Présenté et soutenu par Hélène Esparon Sous la direction de Hélène Guérin

Présenté le 20 Janvier 2020 devant un jury composé de : Ilaria Agostini : Architecte, docteur en Architecture. Maître de conférences HDR en Architecture et Urbanisme à l’Université de Bologne. Hélène Guérin : Docteur en Histoire de l’art contemporain, maître de conférences associée en « Histoire de l’Art et de l’Architecture » à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier. Andrés Martinez : Architecte et urbaniste, docteur en architecture. Maître de conférences en TPCAU à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier. 
 Laurent Viala : Géographe, sociologue, consultant en urbanisme, maître de conférences en Ville et territoires à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.


REMERCIEMENTS L’écriture de ce mémoire n’aurait pu se faire sans les différentes personnes qui m’ont inspiré, encouragé, aidé et assisté tout au long de ces deux années de master. Je tient tout d’abord à remercier mes parents qui m’ont permis de découvrir le monde à travers le voyage; mes professeurs du domaine d’étude Architecture & Milieux, Alexandre Neagu, Vinicius Raducanu, Jean Planès et Robert Celaire qui m’ont, à travers leur enseignement remarquable, sensibilisés à l’importance de comprendre un lieu pour mieux l’habiter,


FIG 1 : Au départ de l’aéroport Marco Polo en direction de Venise, 2019, ESPARON Hélène.

de prendre conscience de l’importance de l’évolution de notre monde à travers notamment la transition écologique. Un grand remerciement à Hélène Guérin qui m’a accompagné tout au long de la rédaction, je salue son savoir, sa gentillesse ainsi que sa bienveillance à mon égard. Pour finir je souhaite remercier toutes les personnes qui m’ont encouragées, soutenues et qui ont été présentes pour moi tout au long de ces années d’apprentissages riches en rebondissements.


FIG 2 : Rio de San Moisè, 2019, ESPARON Hélène.


SOMMAIRE Une matinée à Venise

3

Introduction

14

I. La construction d’une situation

17

1. La naissance d’une ville a. L’installation antique ou l'impulsion barbare b. De l’inhabitable à l’habitable c. Des constructions sur mesure

17 17 18 21

2. Conditions historiques à cette situation a. La Sérénissime b. Une grande puissance économique

26 26 30

II. De la ville singulière à la carte postale

35

1. Les transformations historiques du XIXe au XXe siècles a. L’aménagement de grandes avenues b. Le Port de Marghera, une nouvelle industrie c. Le Pont de la Liberté

35 37 42 43

2. À la conquête de Venise a. Un business commercial b. La folie des grandeurs

44 45 51

III. Venizland, une ville hors de contrôle

59

1. La Venise du XXIe siècle a. Les impacts humains b. Les impacts environnementaux

60 61 66

2.Résister au naufrage de Venise a. Les actions citoyennes b. Les réponses apportées et les mesures prises

69 69 74

Conclusion

87

Bibliographie

90


AVANT PROPOS Ce mémoire débutera par un court récit d’une matinée que j'ai passé à Venise, au cours de laquelle, munie de mon carnet de bord, de mes crayons et de mon appareil photo, j'ai découvert la ville et ses différentes ambiances. Ce récit narré et illustré, vous plongera le temps de quelques minutes, à mes côtés dans les rues vénitiennes, dont vous en découvrirez les nombreux aspects. Il m’a semblé important de faire apparaitre, dans ce mémoire, ce qui pourrait être considéré comme un extrait de carnet de bord, de recherche. Cela me permet de faire vivre au lecteur mon expérience, de lui communiquer mon regard et ma vision des choses en tant que futur architecte, en le faisant participer à ma propre découverte de Venise.


FIG 3 : Arrivée à Venise, tard le soir, face au Canal Grande, 2019, ESPARON Hélène.


En pointillés noirs, mon arrivée à Venise de l’aéroport Marco Polo à l’arrêt Sant’Angelo, par vaporetto; puis du quai de bateau à mon hôtel à pied. En pointillés bleus, le trajet réalisé et décrit dans mon cours récit qui suit, « Une matinée à Venise ». 1


FIG 4 : Carte de mon trajet d’arrivé à Venise et du trajet « Une matinée à Venise », 2019, ESPARON Hélène.

2


Une matinée à Venise Venezia, il 6 Gennaio 2019, Cheveux attachés, lacets bien noués, j’enfilai mon manteau et pris mon sac à dos. Deux tours de clés, quelques marches et je saluai le réceptionniste d’un geste de la main « ciao, buona giornata »1, je poussai une grande porte en bois et descendis cette dernière marche en pierre, me voilà dans la Calle Giustinian prête à fouler le sol vénitien. La brise matinale presque glaciale vint me caresser le visage d’un doux geste m’invitant à marcher pour me réchauffer. Le silence résonne sur le Campo Santo Stefano, je croisai quelques personnes, environ deux, presque trois, pressant le pas; certainement pour se rendre à l’université, à leur travail ou à leurs activités de la journée. Pour se lever à une heure aussi matinale, c’est que ça doit sûrement être des vénitiens. Je balayai du regard la grande place; une église dont une seule façade est visible, une grande statue2 au centre, un puit un peu plus loin, un sol de pierre, une boutique de déguisements, un café, quelques bancs rouges et un bâtiment en rénovation; délimitée par de grands bâtiments hauts de trois étages aux façades colorées, il était difficile de percevoir où se situaient les passages qui permettaient de s’échapper de cette place. Je fus interpellée par la signalisation de la ville m’indiquant par un grand panneau d’acier « Per S.Marco »3, plaqué sur la façade d’un bâtiment au coin d’une étroite ruelle, la direction pour se rendre à la place Saint-Marc. Avec quelques frissons, je m’engouffrai alors dans la Calle dello Spezier me menant vers l’est de la ville. C’est une Venise tout à fait charmante qui se dressa d’abord devant moi. Une rue ponctuée de marches polies par les nombreuses personnes passées avant moi, celles-ci permettant d’accéder à un pont qui traversait un canal, pas plus large que quatre mètres, pouvant juste laisser la possibilité à deux barques de se croiser. Un pont si bas qu’il obligera aux conducteurs des barques de baisser la tête quand ceux-ci voudront passer au dessous. Sur le pont, il suffisait de jeter un regard dans la direction perpendiculaire à celle de la rue, pour découvrir une grande faille, une ouverture mettant en vis-à-vis deux FIG 5 : Il ponte Giustinian traversant un canal étroit, 2019, ESPARON Hélène. 1

Du français signifiant « salut, bonne journée ».

2

Statue représentant Niccolò Tommaseo, écrivain linguiste et patriote italien du XIXes.

3

Du français signifiant « Pour Saint-Marc » équivalent à « Pour aller à Saint-Marc ». 3


façades qui semblaient être immenses face à la largeur du canal. Une jolie mélodie vint à moi, Il Museo della Musica, les portes grandes ouvertes laissaient s’échapper la musique de l’intérieur. Celle-ci me permis d’accompagner le regard que je portai sur les habitations de la place sur laquelle je me trouvai. Des couleurs douces, légèrement pastels voire pâles, tirant vers du beige, se mêlant parfaitement à la couleur du ciel qui laissai déjà de la place au soleil. Du jaune, du rouge, vieillis sur les façades dont les fenêtres et balcons furent garnis de pots vides attendants leurs fleurs. Je présumai alors que la saison hivernale révélait une Venise plus froide et moins colorée qu’en été. Je poursuivis mon chemin en découvrant peu à peu une image différente de la précédente. Le nombre de passant augmenta au fur et à mesure que j’avançai, la direction de la Piazza San Marco fut de plus en plus lisible, notamment grâce, une fois de plus au panneau d’acier sur lequel était dessinée une grande flèche pointant la rue à suivre. Il est vrai qu’il est facile de se perdre dans ce dédale de ruelles. Des vitrines de boutiques de luxes flambantes, colorées, attisèrent le regard des passants envoutés par toute cette richesse exposée derrière des plaques de verre. Je me laissai emporter moi aussi quelques fois, je doit avouer que j’aimais beaucoup cette robe signée Dolce&Gabbana. Bienvenue dans la Calle Larga XXII Marzo ! La lourde voix d’un homme me sortit de mes rêves, ce fut celle d’un gondolier, appelant les passants à dépenser leur argent pour une vingtaine de minutes qu’ils passeraient à faire le tour de quelques habitations le long des canaux, à gondole. Me faisant un grand sourire, je m’approchai dans l’idée de pouvoir m’offrir une petite balade afin d’observer ce que ces guides avaient à nous montrer pendant un tour. Je fus vite stoppée par le prix que je jugeai trop élevé, et qui ne rentrai pas dans le budget que j’avais prévu pour ma découverte de Venise. J’observai le profil de cet homme, à mesure que mon regard se décolla du panneau affichant le prix. Il portait aux pieds des Stan Smith noires des plus basiques, un jean noir, une doudoune noire comme tout le monde a, et une cigarette à la main. Il semblait avoir la trentaine et présentait un style assez classique. Je souris. Ce qui me fit sourire c’est ce qu’il portait sur sa tête, una paglietta, un petit chapeau de paille de forme ovale à fond plat et à bord étroit orné d’un ruban noir qu’on appelle en français, un canotier4. Ce décalage de style et d’époque entre le chapeau et son porteur me laissa penser que celui-ci le portait par obligation ou par contrainte, afin d’attirer les passants, pour leur évoquer l’image d’un gondolier d’époque. Pourquoi n’a-t-il donc pas fait un choix entre rester lui même ou décider de faire entièrement entrer ses clients dans une autre ambiance en revêtant des habits d’époque, qui se mêleraient avec la paglietta ? Cette hésitation de sa part rendit son activité elle-même hésitante. Je lui souris et repris mon chemin. La rue dans laquelle je m’engageai fut la plus luxueuse à mes yeux, elle fut ponctuée de petites boutiques de grandes marques mondialement connues, dont chaque portes furent durement surveillées par un grand homme de costume noir. L’étroite largeur de la rue vous incitait à frôler les vitrines de chaque magasins, et vous voilà de nouveau envouté par ces objets scintillants. Dérivé du mot « canot » qui est le nom d’un petit bateau propulsé à la rame. Avant d’être un chapeau, il définissait un marin faisant partie de l’équipage d’un canot. Plus sophistiqué avec un ruban long, il se réfère au matelot qui conduit une gondole typique de Venise. 4 4


FIG 6 : Calle Larga XXII Marzo, ses magasins de luxe et le gondolier en arrière plan devant la Chiesa di San Moisè, 2019, ESPARON Hélène.

Je parvins tout de même au bout de la rue, passai sous une arche et arrivai au coeur de la ville de Venise, à la tant attendue Piazza San Marco. Une vaste, immense place encadrée sur ses trois cotés par de majestueuses arcades abritants il Museo Correr, il Museo Archeologico Nazionale di Venezia, la Biblioteca Nazionale Marciana, de nombreux commerces, des cafés et restaurants. Le quatrième côté de la place est celui qui offre la vue la plus prestigieuse, face à moi la dominante Basilica Cattedrale di San Marco, et sur sa gauche un peu plus éloigné devant elle, il Campanile di San Marco. Je ne m’attendait pas à être aussi surprise en découvrant ce lieu, mais je fus sans voix devant cette immensité, je me sentis vraiment petite et je réalisai à quel point notre présence sur terre était ridicule, qu’on était tellement minuscule et à quel point certaines choses bien plus grande pouvaient nous rattraper très vite. J’avais déjà ressenti cette sensation, mais en beaucoup plus grande et intense quand je me suis retrouvée face au vide, seule face à l’immensité des falaises du Grand 5


Canyon5. Les éléments ne sont plus à l’échelle humaine, on ne sais plus où regarder, comment se positionner, on est troublé et une sensation de vertige apparait. C’est cette sensation que j’avais eu à cet instant, là, à contempler les pieds fixés au sol, la place sous une arche. Je descendis les marches et parcourus la place en direction de la Basilica. Sur celle-ci, de nombreuses personnes se prenaient en photo, les touristes étaient presque aussi nombreux que les pigeons et les mouettes qui se battaient pour manger les quelques miettes jetées au sol par les passants. Les terrasses des cafés et restaurants s’étalaient sur la place et les serveurs à l'affut, étaient prêt à servir les clients, qui soit dit en passant, paieraient cher pour un simple café. Il y avait des étalages mobiles exposants des bibelots, breloques en tout genre, écharpes, bonnets de toutes les couleurs, drapeaux italiens et plus encore, tenus par des hommes semblables à ceux qui vendent, d’ailleurs quasiment les mêmes produits, aux pieds de la Tour Eiffel, ou aux pieds de n’importe quel monuments ou endroits touristique que l’on connaisse; ces étalages semblent alors se dupliquer à travers les villes dans les endroits les plus fréquentés. Je remarquai très rapidement la diversité des origines de chaque passants, j’entendis différentes langues, observai les différentes actions, usages que faisaient les gens de cette place, et vis les multitudes de vues qu’avait à offrir le lieu, mais certainement pas toutes. Au fur et à mesure que j’avançai, la place s’agrandissait et parut de plus en plus lumineuse, je découvris alors qu’elle s’étendait derrière il Campanile. À cet endroit, les rayons du soleil semblent vous traverser, se mêlant à la brume, ils vous éblouissent et vous donnent du mal à regarder en face. À cet instant pesa une atmosphère calme mettant comme à l’arrêt toute respiration, toute parole, le temps. Cette sensation m’invita à imaginer ce à quoi pouvait ressembler la place à l’époque, celle où les vénitiens menaient leur vie publique, ce qu’on y faisait, ce qu’il s’y passait, éloignée de la présence touristique . Je parvins alors à distinguer de l’eau, puis un peu plus, une grande étendue d’eau; face à moi la lagune, scintillant le reflet du soleil sur ses douces vagues. Un quai, où de nombreuses gondoles sont surveillées sagement par leur gondolier, assis, discutant autour d’un café. En levant les yeux, je vis deux hautes colonnes de granit, une sur laquelle trônais une statue de lion6, et l’autre celle d’un homme repoussant un dragon7 . À ma gauche, le monumental Palazzo Ducale reflétant le mariage de l’architecture byzantine à celle du gothique. La partie haute de sa façade donnant sur la Piazza San Marco, parait au premier coup d’oeil largement plus lourde que sa partie basse, c’est étrange de voir que quelque chose de lourd peut être porté par quelque chose de léger. Ses nombreuses arches ouvertes posées sur la place, permettent de marcher sous le monument tout en étant abrité, je m’y rendis. Plus loins sous celles-ci, je remarquai que beaucoup de personnes attendaient devant l’entrée d’une des portes menant à l’intérieur du palais, c'était une file d’attente pour visiter l’intérieur du bâtiment, je décidai alors de le visiter moi aussi. Canyon situé aux États-Unis dans le Nord-Ouest de l’Arizona, classé patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO en 1979. 5

Leone di San Marco, symbole de Venise, est le lion ailé de Saint-Marc, saint protecteur de la ville depuis 828. 6

7

San Todaro, patron des études et premier protecteur de Venise. 6


7 FIG 7 : Â La piazza San Marco, sur la gauche il Palazzo Ducale, au centre les colonnes reprĂŠsentants les symboles de


8 Venise, à droite la Biblioteca Nazionale Marciana et des étalages mobiles, 2019. ESPARON Hélène.


Après avoir attendu un quart d’heure, acheté un ticket d’entrée en bénéficiant d’une réduction étudiante, je fus dans l’enceinte du fameux Palazzo Ducale. Je ne vais pas vous narrer toutes les richesses tant artistiques qu’architecturales que j’ai vu à l’intérieur, j’ai passé bien quelques heures à observer, admirer, apprendre et comprendre une grande partie de ce que renfermais ce palais. J’ai, à ma grande surprise, par moments été seule dans certains endroit, à me demander si j’avais réellement le droit de me trouver dans ces lieux, notamment dans le passage menant vers il Ponte Dei Sospiri (Le Pont des Soupirs). Au dehors, la douce chaleur que les rayons du soleil me procurèrent, m’apaisa. Je décidai alors de m’asseoir sur le quai en face du palais, à coté des gondoles, les pieds dans le vide en direction de la lagune. Face à mon regard, une île, celle de la Giudecca, à coté d’elle, à sa gauche, une seconde île, plus petite, celle de San Giorgio Maggiore soutenant la grande Basilica et son Campanile portant le même nom. D’ici, le soleil m’éblouissait, son reflet dans l’eau transformait tout ce qui était devant moi en une silhouette noire.

FIG 8 : Silhouette de l’île San Giorgio Maggiore, sa Basilique et son Campanile, 2019. ESPARON Hélène.

Je fermai les yeux, le clapotis des vagues contre le bois creux des gondoles, les cris aigus des mouettes, les battements d’ailes des pigeons, la chaleur du soleil réchauffant mon visage, se mêlèrent aux moteurs et sirènes des bateaux, aux piaillements des touristes, aux joueurs d’accordéon et au vent glacial venant me gêner par moment. Je me demandai alors de quoi pouvais bien être faite la Venise « romantique », pourquoi lui avait-on attribué cet adjectif? Quels sont les facteurs, critères qui définissent le romantisme de la ville ? Et en quoi la Venise d’aujourd’hui est-elle romantique ? L’est-elle plus ou moins qu’a l’époque ? Je pensai alors que c’était un mot acquis pour la ville, un mot qu’on avait l’habitude d’utiliser, et qu’on employait encore aujourd’hui sans même prendre la peine de vérifier si il correspondait toujours à la réalité. Venise est une ville romantique, ça a toujours été dit comme cela, alors pourquoi cela changerait? J’ouvris les yeux, pris mon sac à dos, me levai et continuai mon chemin. J’empruntai la direction de la Riva degli Schiavoni, cette rive segmentée de plus de huit ponts, mène jusqu’a la pointe de Venise, au bout de Castello. Le premier pont, le plus proche du Palazzo Ducale, fut bondé de touristes, tous prenant des photos du canal qui s’engouffrai dans la ville. 9


Curieuse, je m’avançai pour découvrir que ce qui les enjouaient autant, était il Ponte dei Sospiri. Certains prenaient la pose devant en affichant un grand sourire, d’autre le mitraillèrent de photos, les uns s’émerveillèrent les autres eurent l’air content et soulagé de le voir. D’autres encore, passèrent devant sans même s’arrêter. Une question me vint à ce moment là, comment pouvait-on être aussi content, joyeux, émerveillé devant ce monument qui renfermait en lui une grande histoire de tristesse et d’horreur? Mes seules réponses étaient de ne pas être au courant de l’usage historique de ce pont; de faire comme les autres; de garder un souvenir pour montrer que nous y sommes allé et que c’est formidable; ne pas prêter attention à ses choses là ou enfin, être cruel et aimer l’horreur.

FIG 9 : Les touristes du Ponte della Paglia sur la Riva degli Schiavoni, immortalisants leurs souvenirs, 2019. ESPARON Hélène.

Les touristes s’engouffrèrent dans les étroites ruelles perpendiculaires à la rive. Je décidai d’en faire de même, de les suivre, de me fondre dans la masse touristique, après tout, je ne suis aussi qu’une simple touriste venue visiter cette ville ! Je prends moi aussi des photos de tout ce qui m’intrigue, que je trouve intéressant, parfois des choses simplement satisfaisantes à regarder, et d’autres moins. Les rues par lesquelles je passai, furent toutes gangrenées de boutiques, cette fois-ci, non pas par celles de luxe, mais par celles de souvenirs et de bibelots. Les innombrables vitrines des magasins composées d’une multitude de couleurs, prenaient le dessus sur les façades des bâtiments qui les recevaient. Un contraste apparut entre leur brillance et leur propreté vis à vis des façades qui furent elles, comme laissées à l’abandon, la peinture parfois 10


s’écaillant. En suivant la foule, sans m’en rendre compte, je parvins de nouveau à la Piazza San Marco, puis me dirigeai tout naturellement vers la rue de la Merceria Orologia. Celle-ci un offrant un passage plus large que les précédentes, permettait à peine de frôler les gens que l’on croisait, contrairement à celles où l’on devait parfois céder le passage aux personnes. Inutile de vous décrire la rue, si ce n’est de répéter que les boutiques furent toujours présentes et bien décorées. N’ayant que pour ligne d’horizon les dos, les visages et manteaux des gens, je décidai bien souvent de lever les yeux afin d’observer la hauteur des bâtiments. Des fenêtres, beaucoup, des façades colorées et cette ligne bleue presque blanche qui sépara les deux bâtiments, le ciel. Après quelques minutes de marches, j’arrivai devant une église, la Chiesa8 San Salvador, qui fut visiblement en travaux, mais toujours ouverte. Sa façade blanche noircie par le temps, la faisait se démarquer des autres bâtiments de couleurs présents sur la place, mais son encastrement entre ceux-ci, la mettant en retrait, la rendait comme, égale aux autres constructions qui entouraient la rue.

FIG 10 : Chiesa San Salvador et son entrée en travaux, 2019. ESPARON Hélène.

Deux bâtiments plus loin, je me retrouvais au bord du Canal Grande. Là, eut commencé un défilé de bateaux en tout genre, gondoles, bateaux « bus » Alilaguna9 déposant des voyageur accompagné de leurs valises, transport de marchandise, bateaux touristiques (…). Je levai les yeux et découvris à ma droite le fameux Ponte di Rialto (Le pont du 8

Du français signifiant « église ».

9

Service public de transport de l’aéroport Marco Polo à Venise et Venise à Marco Polo. 11


Rialto). Ce ne fut pas un pont comme ceux que l’on trouve dans les ruelles, avec celui-ci, nullement besoin de baisser la tête pour naviguer en dessous, sa hauteur fut quasiment égale à celle des bâtiments de trois étages se trouvant à ses côtés, ce qui laissa la possibilité à tous les bateaux de traverser le Grand Canal aisément. Sa grande enjambée massive en pierre blanche d’Istrie refléta le soleil et m’éblouis, ses douze arches furent comblées par un fond noir; ce n’est qu’après être monté sur le pont que j’eus compris que derrière se cachaient des boutiques de souvenirs. En son milieu, au point le plus haut, la plus grande arche, ouverte, permettait de passer d’un côté à l’autre du pont. Je m’approchai un peu plus et remarquai, contre se balustrade, un grand nombre de personnes agglutinées prenant des photos, admirant le canal, ou discutant simplement. Je montai les marches du pont, et me retrouvai tout d’un coup au milieu d’une foule entourée de boutiques. À chaque arche sa boutique, leurs entrées étaient à cheval entre deux marches de pierre; j’eus l’impression à ce moment de ne plus être sur un pont, me sentis oppressé par cet engouement; je décidai alors de passer sous l’arche centrale pour respirer, accoudée à la balustrade. Je fermai les yeux face aux rayons du soleil et me mis à penser. Le pont du Rialto ne fus pas aussi prestigieux que je l'imaginais, il l’est assurément par sa richesse architecturale et historique, mais j’eu l’impression qu’il s’effaçait face à toute cette foule de personnes; qu’il n’était pas forcément respecté comme il le devait et n’avait pas le regard et la mise en valeur qu’il méritait d’avoir à mon sens. Est-il en train de s’effacer peu à peu sous l’influence touristique ? Cette question pouvait également se poser pour la ville car le pont du Rialto n’est à mon regard, pas le seul qui a l’air de souffrir de cette situation (…).

FIG 11 : Il Ponte di Rialto dans son environnement du XXI°siècle, 2019. GUILLERMIN Sarah.

12


13


Introduction Intéressée depuis le début de mes études d'architecture par le devenir des villes touchées par la modernisation du XIX e siècle, c'est par une démarche phénoménologique que je suis partie à la découverte de la ville de Venise le temps de quelques jours. Le thème que j’ai choisi de traiter pour ce mémoire, relate du destin des villes historiques face au tourisme. L’activité touristique; définie comme étant les « activités qui produisent généralement des produits caractéristiques du tourisme » par l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme); qui touche aujourd’hui de nombreuses villes dans le monde, est vue très généralement comme étant un facteur de destruction urbaine, architecturale et sociale pour les villes qui en subissent les conséquences. Il m’a semblé être intéressant et important d’analyser et comprendre les bouleversements qu’ont subis ces villes à travers un cas exemplaire; celui la ville de Venise; qui subit aujourd’hui le phénomène du tourisme; défini comme étant le « système d’acteurs, de lieux et de pratiques permettant aux individus la recréation par le déplacement et l’habiter temporaire de lieux autres. » par les ressources du glossaire Géoconfluences, et « qui fait référence à l’activité des visiteurs » par l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme); et plus encore celui du tourisme de masse; définit comme étant « le système touristique le plus récent, fondé à la fois sur l’accès du plus grand nombre au tourisme et sur l’individualisation des pratiques, standardisées ou personnalisées, répétitives ou innovantes. » par les ressources Géoconfluences. Mon choix de cas d'étude s'est alors porté sur cette ville, d’une part, parce que son actuelle situation allait pouvoir nourrir mes propos pour ce mémoire; et d'une autre part, parce que j’affectionne tout particulièrement l’Italie. Nous étudierons l’évolution de la situation de Venise à travers trois grandes parties. Tout d’abord nous apprendrons comment la ville s’est formée, en passant de sa naissance à ses conditions historiques; puis nous verrons comment cette situation; qui se révèlera définir une ville singulière; s’est transformée peu à peu laissant un tout autre visage à la ville, en énumérant les différentes transformations historiques du XIXe au XXe siècles, et en expliquant les différentes manières dont la ville s’est faite conquérir; enfin, nous ferons un bref état des lieux de la Venise actuelle, en constatant les conséquences de l’activité touristique sur sa ville et en portant un regard sur les mesures prises pour éviter son naufrage. À l’issu de ces recherches et analyses; menées au travers de la ville de Venise; une problématique se posera : Comment l’architecte peut-il être acteur de l’anti- destruction d’un lieu par le tourisme ? ou, Comment peut-il prévenir un lieu des bouleversements que peuvent engendrer les impacts touristiques ? 14





15


16

Éblouie par Venise, 2019, ESPARON Hélène


I. La construction d’une situation 1. La naissance d’une ville a. L’installation antique ou l'impulsion barbare L’histoire commence au Nord-Est de l’Italie, non loin de ses côtes, dans les eaux saumâtres d’une des lagunes de la mer Adriatique. Là un peuple de pécheurs et de sauniers s’étaient installés dans cet environnement hostile et marécageux qu’est la lagune, dans des habitations sur pilotis, semblables à des huttes, trop dispersées pour pouvoir former une urbanité10… Dans l’Antiquité, les côtes septentrionales de l’Adriatique étaient habitées par les Vénètes, qui donnèrent leur nom à la région11 avant de se faire chasser par les Romains. Ceux-ci fondèrent dès 181 la colonie d’Aquilée12. Cette région appartenant autrefois à l’Empire Romain d’Occident, connaissait quelques troubles avec les acteurs politiques des régions alentours. Ce sont ces troubles politiques qui vont impulser et permettre la création de la ville de Venise. C’est pendant les Ve et VIes; lorsque les Barbares ont envahis, saccagés la Gaule et mis à feu et à sang l’Europe, que les Lombards et les Huns ont déferlés sur l’Italie13; que les marécages de la lagune ont froidement accueillis de nouvelles population fuyants leurs terres côtières, dans l’intention de se protéger de ces invasions sanglantes. Les eaux saumâtres, peu profondes de ces bancs sablonneux de la lagune, se sont révélées être d’une excellente protection plus que n’importe quels remparts, ou n’importe quels autres moyens de fortification déjà existants, en témoigne l’architecte et urbaniste italien Franco Mancuso « La lagune est une défense naturelle, il était très difficile pour les ennemis d’y naviguer, seuls les habitants connaissaient les canaux, et il n’y avait pas besoin de murs pour se protéger, c’est un grand avantage »14. En effet, cette limite aquatique met les bancs de sables, sur lesquels s’étaient réfugiés les populations, à distance de la côte et de la mer de quelques kilomètres, décourageant les ennemis, aussi bien venus à cheval que part voie navale, à se déplacer pour une quelconque attaque. Les populations ne se seraient jamais intéressées à la lagune avant le Ves, c’est grâce à ces invasions qu’elles ont été contre leur grès, obligées de s’y rendre, forcées de

Caractère propre à la ville dont l’espace est organisé pour faciliter au maximum toutes les formes d’interaction. Définie comme procédant du « couplage de la densité et de la diversité des objets de société dans l’espace » par Jacques Lévy, géographe et spécialiste français. Urbanité, Glossaire Géoconfluences. 10

11

La région porte encore aujourd’hui le nom de « Vénétie », dont Venise en est la capitale.

Commune de la province d’Udine dans la région autonome du Frioul-Vénétie Julienne, une des villes les plus importante de l’Empire Romain. 12

13

Attaque menée par Attila en 452.

14

Sauver Venise, 2017, 3:50min. 17


constater que c’était pour elles la seule solution de continuer à vivre et de ne pas avoir à affronter de nouveau des attaques destructrices. La première fondation de Venise est donc issue de cette impulsion barbare, de cette discorde politique, de ces invasions sanglantes et des populations effrayées cherchant à fuir leur environnement en destruction. Tout commença sous une ambiance de terreur.

b. De l’inhabitable à l’habitable Ce sont des îlots de terres à moitiés immergés, des bancs de sables humides, des boues et de l’eau à perte de vue qui constituèrent la lagune. Avec une superficie d’environ 260km2 à l’époque15, elle est entourée d’une limite aquatique; permettant d’avoir une sécurité vis à vis des invasions humaine; et au Sud, se tient un long cordon de dune; permettant de réguler l’invasion des marées des eaux de la mer Adriatique, évitant de recouvrir entièrement les terres de la lagune. L’environnement lugubre, froid et désertique qu’offrait la lagune aux nouveaux arrivants, ne permettait pas à première vue de construire quoi que ce soit. Il était inhabitable et inconstructible, mais le fait de pouvoir être protégé était bien plus important que tout autre chose à cette époque ponctuée d’invasions. C’est ce qui a alors convaincu les populations de rester et donc d’essayer d’habiter sur ces terres immergées.

« Aussi loin que peut atteindre la vue, s’étend une immensité de marais, d’un sombre gris cendré, marais stagnants, mornes, sans couleur et sans vie, ne ressemblant en rien à nos marais du Nord qui passent du noir de leurs mares au pourpre de leurs bruyères. L’eau de mer croupie mouille les racines de leurs herbes arides et pose, de-ci, de-là, une tache brillante sur les canaux tortueux. Aucun brouillard fantastique poursuivant les nuages, mais la clarté mélancolique de l’espace au coucher d’un soleil chaud, oppressant, qui va atteindre la ligne d’horizon dans laquelle il se perdra. » John Ruskin, The stones of Venice, 1851-1853 C’est avec un élan de force et de conviction que les populations accumulèrent les étapes afin de rendre ces zones inhabitables humides en terres pouvant supporter leurs futures habitations mais également leurs futurs lieux de vie citoyenne, semblables à celle qu’ils avaient auparavant sur la terre ferme. Tout cela sans savoir qu’ils réussiraient à construire une des plus grandes, riche et respectable ville du monde. Ils utilisèrent alors ce qu’ils trouvèrent sur place, ce qui s’offrait à eux, de la terre et de l’eau, et ils s’appuyèrent sur les bancs de sables déjà existants pour commencer leurs constructions après les avoir consolidés. Deux endroits, aujourd’hui connus de tous à Venise, se sont démarqués à l’époque, comme nous l’indique le docteur en science de l’environnement Lorenzo Bonometto, « La construction de la Venise ancienne a débutée sur les endroits les plus consolidés. Par exemple, Rialto viens de Rivo Alto qui veut dire

15

Venise, 2013, 2:03 min. Aujourd’hui la superficie de Venise est d’environ 414,6km2. 18


Rive haute et solide, Dorsoduro vient du fait que c’était un morceau de terre plus dur en forme de dos. C’est sur ces endroits que la ville s’est construite dans un premier temps »16. Le terrain de la lagune était marécageux, boueux et instable. En effet, son fond est fait de sédiments, de boues traversées par de nombreux courants, il constitue un sol en mouvements permanent. D’un point de vue géologique, l’environnement de la lagune est entre terre et mer, d’un côté les fleuves ramènent du sable de la terre ferme qui forme un certain type de sol, de l’autre; là où il y a les roseaux; c’est un sol fait de tourbe17 qui n’est pas du tout de la même densité. Le sol est constitué d’une multitude de strates géologiques de nature et de solidité très diverse, ce qui va poser des problèmes tant pour la création de la ville que pour son évolution dans le temps. Il fallait donc s’adapter à ce sol humide en perpétuel mouvement, en commençant par consolider les terres déjà présentes. Ils délimitèrent les terrains à consolider en enfonçant des pieux de bois par centaines de milliers au fond de la lagune jusqu’a atteindre une profondeur sous le niveau de l’eau, là où se trouvait sous le sable, une couche d’argile appelé le Caranto, qui permettrait de stabiliser le terrain. Les pieux de bois très serrés servaient à retenir la terre et tout autres matériaux qu’on plaçaient sur les surfaces dans le but de combler celle-ci, on battait ensuite le terrain obtenu afin d’améliorer sa tenue. Dès le VIIes, les vénitiens manquent de place, la solution est alors de fabriquer de nouvelles surfaces artificielles à la lagune pour permettre à la ville de s’étendre. On reproduisait ainsi les mêmes étapes de consolidation de terrain en enfonçant des pieux dans le fond de la lagune pour ensuite y ajouter des matériaux de récupération, des gravats, de la terre(…) pour combler le vide entre les pieux. Afin d’éviter la dégradations des surfaces liées au va et viens permanent des marrées, on consolida les bords des surfaces en renforçant les confins entre la terre et l’eau par des pieux et des murs de soutènement, qui finalement créèrent les quais sur lesquels nous pouvons marcher aujourd’hui appelés fondamente. Les pieux de bois enfoncés sous l’eau restent intactes, en effet, comme nous l’explique Jane Da Mosto, une spécialiste de l’environnement à Venise18, les pieux de bois se conservent très bien dans la boue, car ils sont dans un environnement sans oxygène, les microbes et les bactéries dangereuses pour le bois n’arrivent pas à atteindre les pieux, et donc ne peux les dégrader. « Le bois subi un processus de minéralisation, il devient dur comme de la pierre et peu rester intact pendant des siècles. » nous confirme Franco Mancuso19.

16

Sauver Venise, Op.cit. 4:30 min.

Matière organique fossile formée par accumulation sur de longues périodes de temps de matière organique morte, essentiellement de végétaux, dans un milieu saturé en eau. 17

18

Ibid. 8:30 min.

19

Ibid. 8:40 min. 19


FIG 13 : Évolution de la ville de Venise du VIIIe au XIIIes, Giorgio DEL PEDROS, Voilà Venise, p. 15 20


La transformation de cet environnement hostile en réel lieu d’habitation fut longue et difficile, mais avec le temps les îles se bonifièrent et se développèrent pour faire naître des constructions comprenants des habitations, des églises, des palais et les monuments de Venise qui seront reconnus plus tard mondialement pour leur beauté et leur richesse. Ce qui était au départ qu’un peuple de sauniers et de pécheurs s’unit peu à peu et se transforma en ville. Mais quelle ville était alors Venise ?

c. Des constructions sur mesure Venise est une ville qui s’est construite à partir de rien, ou du moins à partir d’éléments qui n’étaient pas favorables ou n’envisageaient pas l’avenir d’une ville. Comme toute autre ville, elle est artificielle, construite de toute pièce par la main de l’homme. Mais ce qui fait la particularité de Venise, ce qui la rend différente des autres, est qu’elle fut construire de toute pièce sur un terrain qui ne l’accueillait pas, entourée par l’eau de la lagune; non potable; et coupée du monde qui l’entoure. Au vu de toutes ces contraintes, les constructions ont du s’adapter à la nature du sol ainsi qu’aux marrées afin de perdurer dans le temps. Comme on l’a vu précédemment, le sol de Venise est en perpétuel mouvement. Son sol d’origine fragile et marécageux a été créé et fortifié afin de recevoir des palais, des églises, des bâtiments, tout ce qui permettait de recréer une ville, un cadre de vie semblable à ce que les habitants avaient auparavant sur la terre ferme. Toutes ces constructions ont étés pensées dans le but de pouvoir bouger légèrement, pour s’adapter au sol en mouvement. En effet, si les bâtiments peuvent bouger lors des mouvements de sol, alors il ne s’effondrent pas. Les bâtiments réalisées à Venise doivent alors suivre certains protocoles de constructions… Tout commence par les fondations; le terrain était creusé en profondeur pour atteindre les strates les plus basses, les plus compactes, assez profond en fonction du poids du bâtiment que l’on voulait construire. On enfonçait ensuite des pieux en profondeur qu’on venait recouvrir de grandes planches de mélèzes entrecroisées, simplement clouées et dépassant d’environ 15 à 20cm de chaque côtés par rapport aux fondations en briques qui allaient prendre appuis sur cette strate de bois20 . Le nom de cette couche de planche est appelé Zatterone, ou grand radeau, ce qui évoque l’idée de quelque chose permettant à l’édifice de tenir sur l’eau. Le dé de maçonnerie en brique se rétrécit au fur et à mesure qu’il monte, pour finir par atteindre l’épaisseur du mur du rez-de-chaussée du bâtiment. Cette grande emprise se finissait par une série de bloc de pierre d’Istrie21 qui, superposés sur les briques, unissaient tout le système des fondations, tout en protégeant les ouvrages en maçonnerie; situés au dessus; de l’humidité qui remontait le long des murs.

20

Voilà Venise, 2010, p.42

L’Istrie est une péninsule de l’Adriatique. La pierre d’Istrie, « pietra d’Istria » en italien, désigne une roche de calcaire micro cristallin compact à faible porosité qui provient de la péninsule istrienne. Les Vénitiens l’utiliseront abondamment dans de nombreuses constructions. 21 21


FIG 14 : Anatomie du Labyrinthe , BELLAVITIS Giorgio, Venise, un voyage intime, p. 32 22


Il s’agit ensuite de la structure du bâtiments qui doit encaisser les mouvements de terrain; les murs porteurs sont encastrés les uns dans les autres, mais ne sont pas scellés, de ce fait, ils bougent et ne s’effondrent pas. Par ailleurs, ils sont inclinés vers l’intérieur, ce qui laisse une marge de mouvements possibles avant que le bâtiment ne s’éventre. À l’intérieur, les cloisons et les planchers doivent eux aussi s’adapter aux mouvements du sol, les planchers sont donc fixés aux murs porteurs par de longues tiges métalliques qui peuvent se déformer à souhait, quant aux cloisons, leur structure les rendent élastiques, qui certes contraignent à refaire les plâtres des murs de temps en temps, mais assurent le non effondrement des murs. À cette mesure prise pour la stabilité des bâtiments vient s’ajouter celle de leur légèreté. En effet, le sol fragile ne peut supporter de nombreuses constructions trop lourdes au risque de s’affaisser et de s’effondrer. Les règles de constructions sont partout les mêmes, y compris pour les palais les plus somptueux. Les matériaux lourds et précieux tels que le marbre ou la pierre d’Istrie ne sont employés que pour les façades, de plus, celles-ci sont percées à l’aide de nombreuses ouvertures afin d’alléger leurs poids. S’élevaient alors à Venise de nombreux bâtiments suivant ces techniques de construction, qui, aujourd’hui créent sont identité et sa distinction à travers le monde, notamment pour la particularité de ses façades. On arrivait à créer une grande variété de façades et de volumes respectants toujours la structure interne et, avec l’application de schémas fondés sur des symétries bien organisées et sur un équilibre attentif des rapports, on arrivait à une architecture organique et rationnelle. Tout ces bâtiments fondés sous cette tradition constructive font partis, selon Egle Renata Trincanato22, d’une Venise authentique. « Après tout, Venise n’a pas seulement de grands monuments, mais comme écrivait Alvise Cornaro il y a quatre siècles, ce sont vraiment le case e le stantie dei cittadini (che) sono di numero infinito quelle Che fanno la città (les maisons et les habitations modestes des citoyens qui en nombre infini font la ville) »23. Dans son ouvrage Guide de l’architecture mineure, il dévoile à l’aide de croquis de façades, de plans et de cours textes explicatifs la particularité et la richesse des façades de plusieurs constructions établies du XIIe au XVIIIes dans les sestieres du Castello et du Dorsoduro24. Ce qu’on remarque en premier, en lisant son ouvrage et en observant ses dessins, sont ces nombreuses ouvertures symétriques et répétitives qui donnent une sensation de légèreté aux bâtiments, puis de nombreuses indications précises nous sont communiquées; inspirées de l’art gothique, alignées à des piliers en pierre, des grands arcs, les conduits de cheminées, les balustrades en fer forgés, de nombreux escaliers, les fenêtres lobées et bilobées, terre cuite, chapiteau d’imposte, fenêtres cambrées à arcs en brique(…); montrent des compositions différentes et font la richesse architecturale de la Venise mineure, qui, décrite par Egle Renata Trincanato, 22

Architecte italien du XXes.

23

Guide de l’architecture mineure, 1995, préface.

Venise est composée de 6 sestieri (quartiers), Cannaregio, Castello, Dorsoduro, San Marco, San Polo et Santa Croce. 23 24


n’est pas à laisser de côté au profit des grands monuments. L’identité de Venise est aussi faite par ces bâtiments aux particularités architecturales conçues sur mesure afin de s’adapter au sol vénitien qui a lui même été conçu sur mesure auparavant.

Maison della Marinarezza / Corte Colonne ou Schiavona (via Garibaldi et Riva dei Sette Martiri). Habitations collectives construites à but social.

Calle dei Preti (Via Garibaldi) - Petites maisons alignées du XV°s. Le dernier étage à été ajouté au XVII°s. FIG 15 : Dessins de bâtiments vénitiens, TRINCANATO Egle, Guide de l’architecture Mineure, pp. 16-17 24


Au fil des siècles, les aires principales de la ville autrefois en terre battue ont été recouvertes de briques disposées en chevrons, puis bien plus tard, au XVIIes, on effectua le pavage de pierre que l’on voit encore aujourd’hui, appelé les masegni25. La ville se bonifie et s’agrandit laissant émerger de plus en plus d’îlots sur lesquelles les constructions se développèrent; on assécha les piscines pour créer des places; construisit des ponts pour traverser les canaux afin de pouvoir se déplacer d’îlots en îlots à pied; des ruelles étroites et plus larges se dessinèrent faisant de la ville un véritable labyrinthe géant; des quais pour amarrer les gondoles et autres bateaux venant d’ici et d’ailleurs… Mais Venise a dû s’adapter à une seconde contrainte, celle de l’eau. Il est vrai que Venise ne serait pas Venise sans l’eau, elle constitue sa seconde particularité, c’est ce qui la rend unique une fois de plus aux yeux des autres villes. L’eau est la fondation même de la ville, elle est celle qui a poussé les réfugiés à réfléchir à comment construire des fondations, des constructions (…), elle est le coeur de la ville, la protège des attaques et lui vaudra sa réussite commerciale. Venise dépend de l’eau, elle vie au rythme des marées, et s’adapte aux conséquences de celles-ci, notamment le phénomène des acque altae26, qui recouvrent pendant une à deux heures la place Saint-Marc. Les nombreux canaux traversants ces terres sont semblables à des veines venants injecter de nombreux flux au coeur de la ville. Ils jouaient un rôle fondamental et encore aujourd’hui en terme de moyen de déplacement. Mais le plus grand axe de la ville est sans doute le Canal Grande qui divise Venise en deux parties, et qui constitue la plus belle et grande avenue de la ville. Tout au long de celui-ci, sont construit les plus beaux bâtiments de la Renaissance, du gothique vénitien comme le Ca’ d’Oro ou le Ca’ Foscari,

FIG 16 : Plan perspectif de la ville de Venise, 1500, DE BARBARI Jacopo. Ce plan constitue encore la base pour toutes les études faites sur la ville de Venise aujourd’hui.

Grandes dalles rectangulaires en trachyte, une pierre extraite des mont Euganéens qui présente une seule face plate, celle sur laquelle on marche. 25

De l’italien « hautes eaux », désigne un phénomène de pic de marée qui provoque la submersion d’une partie plus ou moins grande de la zone urbaine insulaire. Elle est surtout fréquente en période automne-printemps. e-venice.com 25 26


célèbres palais, mais aussi du baroque vénitien comme la majestueuse basilique Santa Maria della Salute(…), ainsi que les fondachi, édifices qui combinent l’entrepôt et la résidence des commerçants, comme le Fondaco dei Tedeschi27 ; ils reflètent le grand nombre de marchands étrangers travaillant à Venise. Venise, construite à partir de peu de choses, devint une ville, qui petit à petit va prendre une place conséquente et importante dans l’histoire mais aussi dans le monde.

2. Conditions historiques à cette situation a. La Sérénissime Le nom de Venise est régulièrement suivi de « la Sérénissime », même quelques fois, on abandonne le nom de Venise pour le remplacer contre la Sérénissime28 . Ce nom qu’on lui donne, elle le doit à sa prospérité religieuse qui s’est agrandie au fil du temps. Dès le début, et pendant deux siècles et demi, chaque îlots nomma un tribun, une sorte de maire renouvelable tous les ans, responsable devant l’assemblée générale de tous. Au fil du temps, les populations continuèrent à s’établir sur plusieurs îles de la lagune, dont une qui se démarquera et deviendra le centre épiscopal de la région; avec sa cathédrale Santa Maria Assunta fondée en 639; la cité de Torcello située à 8km au dessus de la Venise actuelle. Elle est restée pendant plus de quatre siècles la plus importante et plus prospère des cités lagunaire. Cependant, les différents centres d’habitations dispersés finissent par se fédérer et choisissent au XIes l’île du Rivo Alto29 comme centre politique situé au coeur de la lagune, reliant environ une dizaine d’îlots entre eux. Les habitants commencent peu à peu à être définis en fonctions de leur appartenance à telle ou telle paroisse. Certains diront que c’est à ce moment que tout à commencé, que Venise est née30. D’autres diront que la Sérénissime République débuta lors d’un évènement qui va marquer l’histoire de Venise; sans doute l’un des plus grand; l’enlèvement du corps de Saint-Marc par des marchands, ramené d’Alexandrie, en Egypte, en 813 à Venise31 . Les vénitiens le choisissent comme saint patron, lui et son lion ailé. Saint-Marc remplaça donc Saint-Théodore, ce qui marqua ainsi la prise d’indépendance de Venise par rapport à Byzance, cette action mémorable lancera l’essor de la République de Venise. Pour égaler à la hauteur de la richesse et de la puissance des reliques de Saint-Marc, les 27

Du français signifiant « Entrepôt des Allemands », il est situé sur le Grand Canal.

Le/La Sérénissime était un titre honorifique généralement utilisé envers les princes et les souverains. Il a été utilisé pour les doges de Venise. Ce nom fut alors employé pour la Serenissima Repubblica di Venezia, du français « la Sérénissime République de Venise », puis on a contracté cette forme pour l’appeler uniquement Sérénissime. 28

29

Aujourd’hui appelée Rialto.

L’histoire de la « naissance » de la ville de Venise et le début de son essor est partagé, encore aujourd’hui par les italiens, les chercheurs (…), on ne peut définir exactement la date de sa « naissance ». 30

31

Venise, la ville et son architecture, 2002, p. 149. 26


vénitiens lui construisirent une basilique afin de les conserver à l’abri. Cette majestueuse Basilique, portant le nom de la Basilica di San Marco, a donné le ton de construction pour tous les bâtiments qui ont été fondés autour d’elle.

FIG 17 :Vue panoramique de la Piazza San Marco, 2019, ESPARON Hélène. Devant moi, au bout de la place, la Basilique Saint-Marc, devant elle, le Campanile. Autour de moi, encadrant les trois arcades des bâtiments des Procuraties Vecchie et Nuove (anciens bureaux des « procureurs », anciens hauts

Le plan est en croix grecque, à cinq travées, chacune surmontées d’un dôme. Le narthex ou portique entoure les trois côtés de la nef.

FIG 18 : Plan de la Basilique Saint- Marc, GOY Richard, Venise, la ville et son architecture, p. 150. 27


La Basilica San Marco Dans son ouvrage Venise, la ville et son architecture, Richard Goy nous fait une description complète, précise et très intéressante de la Basilique Saint-Marc. On apprend son origine, son histoire, ses détails, ses richesses… En voici quelques illustrations.

autres cotés de la place, des boutiques, restaurants, cafés (dont le fameux café Florian datant de 1720) sous les fonctionnaires vénitiens) et l’aile Napoléon.

Coupe de la Basilique montrant les hautes coupoles extérieures appuyées sur une charpente en bois complexe, beaucoup plus élevées que les dômes maçonnés intérieurs (à gauche). FIG 19 :Coupe de la Basilique Saint- Marc, GOY Richard, Venise, la ville et son architecture, p. 151. 28


La Piazza San Marco deviendra et restera encore aujourd’hui un lieu mythique et très respecté de la ville, considérée comme étant le coeur de Venise. La popularité de la ville s’accroit au fil des années attirant de nombreux peintres, architectes, sculpteurs, musiciens ou encore scénaristes (…) qui vont contribuer à sa richesse lui permettant de se définir plus tard comme étant l’une des capitales mondiales de l’art. Ces nombreux artistes vont faire de Venise un véritable musée à ciel ouvert. Un des chef-d’oeuvre de l’art vénitien, est sans doute le Palazzo Ducale32. « Le Palazzo, l’édifice médiéval civil le plus remarquable de Venise, est si méconnu du public que l’image de son remplage gothique raffiné et de sa maçonnerie à motifs oblitère facilement ses nombreuses missions spécialisées. Représentant beaucoup plus que le simple palais des Doges, il devint le fondement et le coeur d’un puissant empire vaste et riche, et regroupa tous les organes administratifs et judiciaires les plus élevés de la République »33 . Ce palais représente la plus grande oeuvre d’imagination de Venise, reconstruit en 1340 après un grand incendie détruisant le précédent, il s’inspire de l’art gothique et byzantin afin de rivaliser avec la cité voisine de Venise, Padoue. La façade massive et imposante du Môle domine le quai du Bacino, débarcadère central pour tout visiteurs de la ville aujourd’hui encore. Les arcs du portique ou de la galerie inférieure, courant le long des deux côtés de l’édifice, sont soutenus par 36 colonnes basses, lourdes et sans base, ornées d’hommes, d’animaux et d’inscriptions latines. Sur la treizième colonne du côté de la Piazzetta sont représentées les différentes phases de la vie humaine. Les arcs du portique supérieur étant doubles, ils sont soutenus par 72 colonnes et constituent la partie la plus belle du palais des Doges. Du haut de cette galerie, et précisément dans l’espace entre les deux colonnes rouges (la 9ème et la 10ème) du côté de la Piazzetta, on proclamait au temps de la République les sentences de mort, qui se déroulaient entre les deux colonnes représentant Saint-Théodore et Saint-Marc. Les magnifiques grandes fenêtres centrales des deux façades ornées de colonnes, statues et figures symboliques, donnent de l’éclat et de la grandeur à la construction. Le palais des Doges, imposant de par sa taille et de par sa position; en face du grand débarcadère de la place Saint-Marc; montre la puissance et la richesse de Venise aux habitants, aux visiteurs ainsi qu’au monde. Mais Venise ne doit pas sa prospérité uniquement à sa richesse culturelle, architecturale et artistique, elle le doit aussi à sa réussite commerciale dû à son essor maritime, qui lui permettra de devenir la plus grande puissance commerciale d’Europe.

32

Du français signifiant « Palais des Doges ».

33

Venise, la ville et son architecture, Op.cit. p.110 29


FIG 20 : Le Palais des Doges, 1725, CANALETTO.

b. Une grande puissance économique Venise était autrefois un grand centre de manufactures, on y exerçait avant tout l’industrie de la laine et du verre, mais aussi beaucoup d’autres industries de moindre importance, mais certaines activités étaient considérées comme étant dangereuses ou malsaines, elles étaient alors très tôt éloignées de la ville, tandis que d’autres restèrent dans différents quartiers34 . Mais la plus grande industrie, qui a rendu prospère la ville de Venise est celle de leur grand chantier naval, l’Arsenal. Dès le début de son histoire, Venise s’intéresse à la conquête de la mer, pour cela elle s’équipe d’une flotte extrêmement développée et très efficace qui est mise au point à l’Arsenal. Au début, ce chantier servait uniquement de base navale dans laquelle on reparait les navires, mais progressivement, son activité se développa et l’état lui confia le monopole de la construction navale, l’Arsenal s’agrandit et emploie plus de 4 000 ouvriers. On y fabriquait constamment de grandes galères pour les voyages, pour le transport des marchandises et des galères plus fines pour l’armée. Elle est l’une des plus grande manufacture d’Europe, et grâce à cette extraordinaire flotte, Venise va devenir le tout premier empire colonial du Moyen-âge; cette flotte fut la base de la fortune mercantile de la ville. Puissante, la flotte avait même rendu service à son protecteur; l’Empire byzantin; afin de terrasser des ennemis, en guise de remerciement, Venise reçu des privilèges commerciaux, des points à partir desquels elle va pouvoir faire du commerce sans payer de taxes. La ville installe donc ses ports à Durazzo sur les bords de l’adriatique, à Thessalonique, à Athènes (…). Toujours en quête de plus de puissance et de richesse, Venise va même jusqu’a louer ses galères aux croisés pour les 34

Voilà Venise, Op.cit. p.61 30


mener à Jérusalem; croisée au cours de laquelle elle va finalement dévier son chemin pour mettre à sac et piller la ville de Constantinople; cette action lui permettra de récupérer un grand nombre de ville et de territoires, et donc d'accroitre son commerce, notamment à Beyrouth, Alexandrie, Tunis (…). Venise ramène de ce pillage des trésors en quantités phénoménales, qui serviront entre autre à enrichir et embellir la ville, comme par exemple les célèbres chevaux situés sur la Basilique Saint-Marc35. Du XIe au XVes, Venise parvint à contrôler tout le bassin méditerranéens et agrandit son territoire autour de la lagune. Son siège économique, le Rialto; traversé par le Grand Canal, principale artère maritime large d’environ 60m et capable d’accueillir les bateaux marchands; organise et contrôle le commerce entre l’orient et l’occident. C’est ainsi le début des banques et des assurances. En effet, tout le trafic naval transit par la ville de Venise, de la soie de Chine; en passant par les épices et les pierres précieuses d’Inde, et le coton d’Egypte; les marchandises chargées sur les navires étaient déchargées à Venise puis rechargées avant d’être distribuée dans toute l’Europe. Les grands marchands affichent leur richesse que l'on peut encore observer aujourd’hui à travers leurs luxueux palais au bord du Grand Canal. Dès le XVes, Venise est à son apogée, sa célébrité est universelle, elle devient donc la ville la plus puissante d’Europe.

FIG 21 : Évolution de l'Arsenal du XIVe au XIXes, DEL PEDROS Giorgio, Voilà Venise, p.63

Les chevaux de Saint-Marc sont quatre statues antiques de cuivre coulé. Ornant autrefois l'hippodrome de Constantinople, ils sont amenés a Venise, puis volé de Venise par Napoléon, pour enfin être finalement rendu à Venise. Ils ornent aujourd'hui la Basilique Saint-Marc. 31 35


Venise est partie de rien, pour au final devenir la plus grande puissance d’Europe. Elle a réussi à se construire une situation, une stabilité, une singularité, et a gagné son indépendance politique et géographique. Il est fascinant de constater que c’était une île à la fois isolée et indépendante, mais aussi connue de tous et qui contrôlait l’Europe. Sa riche et puissante histoire gravée dans la mémoire des vénitiens, ainsi que sa force structurelle due à ses solides fondations pensées par l’ingéniosité de ses habitants, lui ont garantis une stabilité à travers le temps; Venise a su conserver son modèle, même après les plus grandes tragédies. Qui aurait cru à l’époque que cette lagune lugubre et marécageuse deviendrait riche et puissante ? Qu’un évènement cruel au départ, se transformerait en une grande et prospère cité, faisant d'elle une destination dont tout le monde parle et rêve ? Mais la Sérénissime République de Venise s’effondra à la fin du XVIIIes, suite à l’invasion des troupes de Napoléon. Affaiblie, et fragilisée depuis longtemps, elle cède et se livre à l’Autriche avec le traité de Campoformio, qui fait d'elle une province de l’Empire et le restera pendant environ 70ans. Venise n’est plus une capitale, en effet, la Vénétie s'unie à la Lombardie, et c’est Milan qui devient alors capitale de cette région LombardieVénétie. L’occupation autrichienne va céder la place à l’occupation française; qui va entreprendre de grands changements constructifs à Venise sous l’influence Napoléonienne; pendant plusieurs siècles, puis va revenir pour occuper Venise durant plusieurs décennies(…). L’économie vénitienne se dégrade, le patriarcat vend ses trésors aux plus offrants, les palais tombent en ruine et Venise ne devient plus que le souvenir de la glorieuse Sérénissime. Après le départ des français, émerge l’idée fondamentale de la modernisation de Venis; afin de la rendre « normale»; c’est à dire de la rendre semblable le plus possible à n’importe quelle autre ville européenne. Ces changements la priveront peu à peu de sa spécificité, de son isolement et de sa singularité.

32


FIG 22 : Vue aérienne de Venise et de sa lagune schématisant les différentes transformations qu’a subis la ville et sa

Entourées en bleu, les infrastructures qui ouvrent Venise au monde et la prive de son isolement. En pointillés jaune, parties de la ville développées dans ce prochain chapitre, où de grandes avenues ont été créées.

33


lagune du XIXe au XXIe siècles. 2019, ESPARON Hélène. les principaux trajets réalisés par les navires pétroliers, marchands et de croisière. Encadrées en blanc, les

34


II. De la ville singulière à la carte postale Le début du XIXes sous l’occupation autrichienne provoque de grands changements et de grands bouleversements pour la ville de Venise; en effet de nombreuses transformations vont être faites dans le but de « moderniser » la ville, de la rendre comme toutes les autres grandes villes d’Europe. Ces transformations vont provoquer des dommages, d’une part sur la ville en elle même; son architecture et son tissu urbain; et d’autre part sur ses habitants. Avec les XXe et XXIes, Venise est définitivement entrée dans les tourments de la modernité; reliée à la terre ferme, elle subis les conséquences de ces grands changements oubliant parfois son histoire. Elle ne devient plus qu’un objet à conquérir, une carte postale à faire découvrir.

1. Les transformations historiques du XIXe au XXe siècles En 1846 est mis en place sur la lagune vénitienne, un pont translagunaire reliant la cité des Doges à la ville de Milan, sur la terre ferme.36 C’est sans nul doute le plus grand ouvrage réalisé pendant la domination autrichienne, qui révolutionna et bouleversa l’insularité de Venise. Celui-ci mit fin à l’isolement de la ville, qui était tournée jusqu’ici principalement vers la mer. La construction en 1860 de la gare ferroviaire de Venise Santa Lucia, par l’architecte Angelo Mazzoni, sur la ville, entraînât de nombreuses conséquences durant les années qui ont suivi sa naissance. En effet, elle a provoquée la modification profonde de certains quartiers; leurs tissus urbains, ainsi que la démolition de certains édifices religieux, comme la Chiesa di Santa Lucia37 datant du Xes, détruite pour faire place à l’arrivée du chemin de fer sur la cité; puis la création d’un nouveau port et d’une zone industrielle non loin de Venise sur la terre ferme à Marghera; ainsi que des modifications sur le plan social, entrainants l’émigration de certains habitants et l’arrivée de nouvelles populations. Toute de fer vêtue au moment de sa construction, la gare vénitienne située dans le sestiere de Cannaregio; faisant face au Grand Canal et à l’église San Simeone Piccolo; a été refaite dans son état actuel en 1934 et est aujourd’hui la principale gare ferroviaire de Venise. Au début de l’année 2010, elle compte une desserte quotidienne d’environ 450 trains, et voit passer plus de 82 000 voyageurs chaque jours pour environ 30 millions annuellement.38

36

Venise au fil du temps, 1971, chap. la domination étrangère, l’unité italienne, c/édifices privés.

37

De français signifiant « église de Sainte Lucie ».

, Le stazioni più grandi d'Italia : Venezia S. Lucia. (consulté le 27 Octobre 2019). Disponible sur : grandistazioni.it 35 38 GRANDISTAZIONI RAIL


FIG 23 : Le Grand Canal avec Santa Lucia et Santa Maria di Nazareth. 1780, GUARDI Francesco.

FIG 24 : Le Grand Canal avec la gare Santa Lucia et l’église Santa Maria di Nazareth. 2018, GOOGLE STREET VIEW.

Plus de quatre siècles séparent ces deux images où l’on peut constater l’évolution urbaine de la ville de Venise, à cet endroit, entre le sestiere Cannaregio et celui de Santa Croce. On peut observer, d’après l’oeuvre de Francesco Guardi, que plus de sept bâtiments; dont l’église Santa Lucia; ont été démolis pour laisser place à la longue gare. Son architecture moderne linéaire; très différentes de celles des bâtiments de son environnement proche; semble s’étendre à l’infini, ce qui marque un peu plus l’ouverture de Venise au monde extérieur et efface d’avantage son isolement. 36


a. L’aménagement de grandes avenues Ces grands mouvements de modernisation de la ville de Venise; par les autrichiens; commencent par une politique d’aménagement de grandes rues; alors on éventra de nombreux endroits, on enterra des canaux pour créer ces nouvelles rues plus larges, on renforça le parcours piéton en le privilégiant par rapport à celui de l’eau; ce qui inversa complètement la manière de vivre la ville, qui avait été jusque là une véritable ville fonctionnant avec l’eau. Pendant l’occupation Autrichienne, on enterra en tout 25 canaux; comme le Rio dei Catecumeni à la Salute, le Rio della Carità à l’Académie, le Rio di San Leonardo à Cannaregio(…)39; afin de laisser place à de nouvelles rues, de grandes avenues, visants à créer de nouveaux centres résidentiels et administratifs40. Parmi elles, la Calle Larga XXII Marzo, la Strada Nuova, la Via Giuseppe Garibaldi (…), regardons de plus près deux de ces grandes rues.

VIA GIUSEPPE GARIBALDI

FIG 25 : Vue aérienne montrant la Via Garibaldi et son environnement proche. 2019, ESPARON Hélène. 39

Voilà Venise, 2010, p.69.

40

Venise au fil du temps, Op.cit. chap. la domination étrangère, l’unité italienne, c/édifices privés. 37


Située dans le sestiere de Castello; non loin de l’Arsenal; la Via Giuseppe Garibaldi est l’une des plus connues et aimée de la ville de Venise. Populaire et très animée du matin au soir, elle est décrite comme étant la plus belle avenue de la cité des doges par de nombreux habitants et passants, elle attire encore aujourd’hui de nombreuses personnes. C’est l’unique rue de Venise à porter le nom de Via et elle le doit à sa largeur; en effet, elle est l’artère la plus large de la ville, mesurant 17,5m. Construite en 1807 sur ordre de Napoléon, elle recouvre l’ancien Rio di Castello. Cette vue aérienne schématisée donne à voir la Via Giuseppe Garibaldi et son environnement proche. Entouré en bleu, l’Arsenal dont la grande surface, semble être hors d’échelle par rapport aux habitations qui l’entoure.41 Délimitée de lignes jaunes, la Via Giuseppe Garibaldi; et de lignes rouges, le canal qui s’engouffre entre les bâtiments et qui s’arrête à l’extrémité de la Via. En regardant la vue aérienne, il est assez simple de s’imaginer ce à quoi ressemblait le Rio di Castello autrefois. Il délimitait clairement deux îlots qui étaient simplement unis par des ponts. La création de cette avenue vient briser la séparation de ces deux îlots pour n’en créer finalement qu’un. L’avenue possède sur toute sa longueur un revêtement de sol particulier qui est marqué par deux lignes blanches parallèles : de part et d’autres, un pavage de pierres alignées; et entre elles, ce même pavage de pierre mais disposé en chevron. Ces deux lignes rappellent la passage de l’ancien rio, elles dessinent ses limites; là où autrefois il y avais de l’eau.

FIG 26 : Célèbre barque/boutique vendant des fruits et des légumes, là où le Rio Santa Anna s’arrête, à l’extrémité de la Via Garibaldi. 2019, ESPARON Hélène.

L’Arsenal couvre aujourd’hui une superficie de 332 000m2 et embrasse un périmètre de presque 4 km. 38 41


LA STRADA NUOVA Entre le canal du Cannaregio et le Campo Apostoli, s’allonge parallèlement au Grand Canal, une artère qui s’étrangle à certains endroits en prenant des noms successifs différents, comme Calle Del Pistor ou encore Rio Terà S. Leonardo, mais principalement le nom de Strada Nuova. Dessinée vers 1870, cette longue artère facilite le déplacement piéton pour se rendre jusqu’a la gare ferroviaire de Santa Lucia, au bout de Venise. Sa création a du combler un bon nombre de canaux, un peu au hasard, dénaturant alors les cours naturels de leurs eaux circulants autrefois jusqu’au coeur de Venise. La circulation au sein de cette longue rue d’environ 1km est dense; en la parcourant on peut y découvrir un bon nombre de palais et d’églises comme la Chiesa Cattolica Parrocchiale dei Santi Apostoli, qui marque le début de la Strada Nuova, ou encore la Chiesa di Santa Sofia, la Chiesa di San Felice, le musée d’art Ca’ d’Oro, le Palazzo Donà Giovannelli(…); elle offre aux promeneurs maintes occasions d’être comblé d’admiration. Elle passe également devant le Campo Santa Maddalena, qui se présente comme un décors de théâtre, avec en toile fond des maisons vénitiennes colorées aux multiples détails. Cette vue aérienne schématisée montre l’emplacement de la Strada Nuova dans le sestiere de Cannaregio. Elle est facilement repérable de part son tracé bien marqué dans le centre de Venise. Tout comme la Via Giuseppe Garibaldi, son existence à reliée un bon nombre d’îlots qui étaient séparés par des ponts autrefois. Au sol, on retrouve les lignes blanches qui rappellent les limites des anciens canaux.

39


FIG 27 : Vue aérienne montrant la Strada Nuova. 2019, ESPARON Hélène.

L’église Santa Maria Maddalena construite en 1760, est conçue sur le modèle du Panthéon. La circularité extérieure de son bâti est soulignée par l’aplatissement de la façade de temple. Autour, sur le Campo Santa Maddalena, des maison vénitiennes colorées, un puit au milieu, et des pigeons; le silence règne. FIG 28 : Le Campo Santa Maddalena, 2019, ESPARON Hélène.

40


On procède parallèlement à de grands travaux de restauration, de réfection et d’agrandissements de ponts déjà existants, et l’on construit beaucoup en fer, ce qui constituait à l’époque une nouveauté révolutionnaire. Un second pont est construit sur le Grand Canal en 1852, il Ponte dell’Academia, reliant le sestiere de San Marco à celui du Dorsoduro. En 1858, l’ingénieur Eugenio Miozzi remplaça l’ancien pont métallique, il Ponte degli Scalzi; situé en face de la gare ferroviaire Santa Lucia; par un pont en ciment armé qui aurait pu être un ouvrage résolument moderne aux lignes élégantes s’il n’avait pas été revêtu de pierres d’Istrie.42

FIG 29 : Il Ponte degli Scalzi recouvert en pierre d’Istrie. En face, la Chiesa di Santa Maria di Nazareth, plus loin sur la gauche, à quelques mètres, la gare ferroviaire. 2019, ESPARON Hélène.

Ces avenues tracées dans Venise, modifient son tissu et incitent à la promenade; elles marquent le début des grands flux piétons. En traçant de grandes avenues, droites, faciles d’accès et de passages, on prive en quelque sorte l’habitant et le visiteur d’avoir l’opportunité de se perdre dans les petites ruelles vénitiennes. De plus, les courants d’eau naturels qui s’infiltraient dans les canaux; qui ont été comblés; sont déviés dans d’autres canaux, perturbant alors un système qui fonctionnait ainsi depuis plusieurs siècles.

42

Venise au fil du temps, Op.cit. chap. Venise une ville en italie. 41


b. Le Port de Marghera, une nouvelle industrie Au début du XXes, l’industrie, sous l’impulsion de nécessitées nouvelles, s’implanta sur la terre ferme, dans une zone marécageuse, sur la rive ouest de la lagune. Les premières installations, créées en 1917, deviendront en quelques dizaines d’années l’une des plus fortes concentrations industrielles d’Europe.43 Une seconde zone, attenante à la première, s’est développée après la guerre.

« De 1907 à 1927, l’idée du Comte de Volpi de créer un nouveau port et une zone industrielle sur la terre ferme à Marghera se concrétise. L’extraordinaire développement de ces nouvelles industries métallurgiques, mécaniques et pétrochimiques provoque inévitablement l’expansion urbaine de Mestre et entraine en même temps l’agglomération vénitienne dans un processus de marginalisation progressive. » Identité et comportement en milieux urbain, p.47.

À l’horizon des usines, une raffinerie, des centrales électriques, un chemin de fer(…), alors que Venise était habituée à dominer les mers, elle finie définitivement rattachée à la terre ferme et devient par conséquent une sorte « d’appendice de plus en plus délaissée ».44 La nouvelle ville de Marghera, avec son dynamisme économique et social devient un point de référence pour les vénitiens, en effet, ils décident pour un bon nombre d’entre eux de quitter la ville de Venise pour aller s’installer sur la terre ferme, à Marghera où même à la ville de Mestre. Une étude menée par l’Office Statistique de la Commune de Venise au XXes, indique que le centre historique; comprenant Venise et la Giudecca; avait perdu 38,7% de sa population entre les années 1951 et 1972, et que la terre ferme, comprenant les villes de Mestre et Marghera, avait augmenté sa population de plus de 113,7% entre les mêmes années.45 En cause, les offres de travail plus nombreuses et accessibles, les études, la nouveauté et la liberté, parfois même la curiosité.

« Soudain, la ville. L’oeil du voyageur, venu par le pont qui franchit la lagune, s’est laissé bercer par les arabesques des mouettes, par les eaux et les herbes mêlées qui s’étendent jusqu’à l’horizon. L’odeur d’algues en putréfaction est pénétrante. Les premières usines, qui modifient subitement les proportions, l’emplissent d’appréhension. Leurs ombres hautes et sales, réparties de part et d’autre de

43

Venise au fil du temps, Op.cit. chap. L’île et son expansion vers le territoire, c/ mestre.

44

Identité et comportement en milieux urbains, 1979, p.48.

Variations annuelles de la population résidente de la commune de Venise. Identité et comportements en milieux urbains, Op.cit. p. 48. (source : CENSIS et Office Statistique de la Commune de Venise). 42 45


la rue bitumée, sont piquetées çà et là de coquelicots : les drapeaux rouges et l’agitation sociale. L’impact produit par Mestre est couleur de grisaille : fumée, ciment, désir mal réprimé d’oublier Venise pour une New-York de téléfilm. L’autre face de la lune, dit-on, celle qui soutient à grand renfort de poutres et d’étais la majesté des cratères visibles. Et pourtant, à qui la connait un peu mieux, Mestre inspire la tendresse qu’on aurait pour un adolescent. » Extrait du récit Avoir vingt ans sur la terre ferme. 1985, STERN Ruth. 46

Le centre historique de Venise se voit alors un peu plus abandonné, dégradé de jours en jours.

FIG 30 : Schéma du principe d’émigration des population vers la terre ferme. Identité et comportement en milieu urbain, p.48.

Le Port de Marghera, aujourd’hui accueillant encore les plus gros bateaux et navires pétroliers, sera l’une des causes principales du bouleversement de la lagune vénitienne.

c. Le Pont de la Liberté Le Ponte della Libertà, en italien, a été construit à partir de 1931 et mis en service en 1933, sur un projet de l’ingénieur Eugenio Francesco Giuseppe Miozzi et est venu doubler le pont ferroviaire, raccordant ainsi Venise à la terre ferme par le trafic automobile. Pour réaliser les presque 4 km (environ 3.850m) du pont, de grands travaux ont été entrepris, qui ont bouleversé l’environnement de cette partie de la lagune, et changé du tout au tout la vie des vénitiens. En parallèle de ces travaux, Miozzi transforme toute la partie nord de Venise; proche de la gare où arrive le pont ferroviaire construit en parallèle du nouvel ouvrage d’art. Toute une partie du vieux quartier est rasé pour réaliser la Piazzale 46

Venise, un voyage intime, 1985, p.57. 43


Roma, qui sera dédiée aux automobiles; et un garage nommé Sant’Andrea, qui fait office aujourd’hui de parking municipal pour la ville. Bien que la ville soit rattachée à la terre ferme, elle est restée jusqu’a présent à l’abri de l’invasion automobile, ce qui lui confère un charme tout particulier et contribue toujours à en faire sa particularité aujourd’hui.

FIG 31 : Le Pont de la Liberté, Venezia 1933. L’isolamento è finito.

Le pont permet à des milliers de vénitiens de pouvoir aller travailler sur la terre ferme, et permet également aux visiteurs du monde entier d’envahir la cité lagunaire, ou de venir profiter de la beauté séculaire de Venise. Les conséquences de ces grands changements ne sont pas des moindres, les jeunes émigrent sur la terre ferme, entrainant le vieillissement de la population vénitienne; Venise perd chaque jours un peu plus de son activité économique et sombre peu à peu sous la dégradation et la désertification de ses rues et ses bâtiments. Dépendante de la terre ferme aussi bien du point de vue du marché du travail que celui de l’approvisionnement en biens de consommation, elle reste semblable à un décors, un lieu de passage et de découverte que l’on quitte le soir. Venise, comme laissée de côté, enchante les visiteurs qui deviennent de plus en plus nombreux à fouler son sol chaque jours. Son rattachement à la terre ferme par le train, l’automobile, mais aussi l’avion, l'a rendue plus accessible au monde. Commence alors pour la ville une nouvelle activité, basée exclusivement sur le tourisme, attirant souvent bien plus important et parfois dangereux que de simples touristes visitant la cité des Doges.

2. À la conquête de Venise Même si Venise se dresse toujours fièrement sur l’eau, la lagune, elle, à bien changée; des voitures, des trains, des avions s’ajoutent au trafic maritime qui s’est multiplié avec le temps. Venise n’a certes pas perdue de son charme et attire de plus en plus les touristes, mais aussi les commerciaux, les investisseurs du monde entier, les plus 44


grands architectes, des célébrités (…), qui tous, veulent à leur façon pouvoir conquérir et marquer le sol vénitien qui renferme toujours en lui son âme pleine de richesse. Tout cet engouement va venir bouleverser une fois de plus la ville de Venise sur de nombreux points.

a. Un business commercial La conquête de Venise passe bien évidemment, sans surprise, par la conquête du commerce sous toutes ses formes. Tout d’abord par celui venant de la mer. En effet, privée de son économie et de sa force navale, Venise ne fait aucunes ombres et laisse maintenant la place de l'industrie à la ville de Marghera, un peu plus loin sur la terre ferme; qui reçoit encore et toujours certains des plus grands navires pétroliers, traversant la lagune et frôlant de quelques mètres Venise. Il y a aussi l’arrivée des navires de croisières, qui entrent dans la lagune pour accoster à la Cité des Doges, afin de proposer à ses passagers de découvrir le temps de quelques heures ou d’une journée la ville. Ces navires entrent dans la lagune vénitienne par trois différentes portes, dont les deux principales sont la porte de Malamocco; empruntée principalement par les navires se rendant directement au port de Marghera; et la porte du Lido, pour les navires touristiques.47 Afin de faciliter la circulation aux grands pétroliers se rendant au port de Marghera, l’entrée de la porte de Malamocco a été élargie pour atteindre les 900m, et un nouveau canal a été creusé au beau milieu de la lagune.48 Au lieu de faire en sorte que les bateaux suivent les canaux naturels; qui sont assez sinueux; il a été décidé de creuser une véritable autoroute à travers la lagune, très large et très profonde. Ce nouveau canal ayant pour but de faciliter les échanges entre la mer et le port, va drainer énormément d’eau vers Venise et va donc la menacer. Le Docteur en sciences de l’environnement Lorenzo Bonometto nous en informe, « L’eau ne se répand plus de la même manière dans la lagune, c’est un énorme problème, les canaux naturels sont complètement perturbés par le canal pétrolier qui absorbe tout les courants, et ça change tout. C’est un désastre hydraulique complet qui s’est produit en très peu de temps, cet environnement naturel millénaire a été détruit en seulement 30ans. »49 Mais l’industrie de Marghera dégrada encore plus la lagune, en effet, pour satisfaire ses besoins, elle creusa 8 000 puits pour pomper l’eau de la nappe phréatique qui se trouve juste en dessous des fondations de Venise; dans les années 50, on pompa jusqu’a 40 000 m3 d’eau par jours, ce qui causa bien évidemment des dégâts sur la ville. Pietro Teatini, un ingénieur à l'université de Padoue explique « avec le pompage on réduit la pression dans les couches de sable, quand la pression diminue dans un sol aussi 47

Conf. FIG : 22, Vue aérienne de Venise et de sa lagune p.41.

48

Sauver Venise, 2018, 22:45min.

49

Ibid. 23:30min. 45


particulier et fragile que celui de Venise, les strates géologiques se compactent, et résultat, le sol s’affaisse… » 50, Venise s'est alors enfoncée de 13cm en seulement 30ans. Voyant l’étendu des dégâts, ces pompages ont été subitement stoppés. Chaque années, les bateaux de croisières génèrent plus de 283 millions d’euros de retombée direct pour Venise51 , pour l’année de 2017, cela correspondait à plus de 1 400 000 passagers visiteurs52 , mais leur présence et leurs passages frôlants la ville53, généreront et continueront même aujourd’hui à générer beaucoup de dégâts pour la ville. L’industrie et les navires participent aujourd’hui activement à l’économie de la ville, mais aussi à sa destruction. C’est paradoxale, car d’un coté ils permettent à Venise de rester en vie, mais d'un autre, ils participent à sa « mort ». Ce paradoxe posera de nombreux soucis qui sont toujours présent à l’heure actuelle; nous les développerons dans la troisième partie de ce mémoire. Puis nous avons le business du logement à Venise, comment y résider une nuit, plusieurs jours, des mois ou des années(…). Venise qui reste une ville prisée, demeure sous une pression immobilière forte, contraignant au départ les habitants locaux, peu à peu remplacé par des hôtels et des locations touristiques. La ville se vide de ses habitants pour laisser place aux acteurs de son décors, qui viennent et qui s’en vont. ANNÉE

CENTRE HISTORIQUE

TERRE FERME

TOURISTES

TOURISTES QUI RESTENT DORMIR

1951

174 000

96 966

475 000

1 097 366

1960

145 402

152 575

691 646

1 563 427

1990

78 165

192 770

1 250 649

2 760 068

2005

62 296

176 449

1 902 478

4 925 182

2017

53 976

179 776

3 155 548

7 862 292

FIG 32 : Tableau de l’évolution de la population (habitants et touristes) de la commune de Venise de 1951 à 2017 54, 2019, ESPARON Hélène.

Les chiffres de ce tableau nous montrent clairement que le nombre de touristes se rendant à Venise pour la journée et pour y rester dormir, augmente de plus en plus au fil des années, de même que les habitants du centre historique disparaissent pour s’installer ailleurs, notamment sur la terre ferme à Marghera et à Mestre. 50

Ibid. 24:21min.

51

Pourquoi les paquebots de croisière continuent d’accoster à Venise?, 3 juin 2019.

52

Annuario del turismo 2017, 2018, p. 61.

53

Conf. Vue aérienne de Venise et de sa lagune p.41.

54

Tourisme - Venise face au surtourisme. 2018, pp. 15-16-17. 46


Les logements se vident; les vénitiens partent de leur pleins grès, abandonnant tristement leur ville, lassés de tout ce spectacle, ne peuvent plus assurer financièrement, ou dans certains cas, se voient forcés, contre leur grès de quitter leur logement par obligation. Les logements sont donc mis à la location via des sites internet ou des applications connues du monde entier, comme par exemple la plateforme communautaire de location et de réservation de logements de particuliers Airbnb. Fondée en 2008 par trois américains, le site internet contient en 2019 plus de 7 millions d’annonces dans plus de 220 pays, accessibles en 62 langues; elle permet à des particuliers de louer tout ou une partie de leur propre habitation comme logement d’appoint. À Venise, les logements touristiques sont nombreux sur cette plateforme, à ce jour on en enregistre plus de 300; modernes, ils proposent de nombreux services, certains à des prix abordables et d’autres beaucoup plus chers, pour attirer un maximum de personnes.55

FIG 33 : Carte des logements locatifs touristiques, hôtels, auberges(…) déclarés à Venise en 2020. 2020, GEOPORTAL CITTÀ DI VENEZIA.

Les logements locatifs touristiques prennent alors le dessus sur les logements résidents, selon un agent immobilier, « le propriétaire préfèrent louer aux touristes, il y en très peu qui continuent de louer aux résidents » la seule annonce qu’il trouva propose un loyer de 1 400€ par mois dans le centre, « ce n'est pas tenable »56 affirme t-il. En effet, un vacancier peut rapporter jusqu’a 4 fois plus de ce fait les hébergements pour

55 AIRBNB, 56

(consulté le 5 Janvier 2020).

Un été à Venise, 18:00min. 47


les touristes ont envahit la ville. Il est donc difficile, voire impossible aujourd’hui pour un vénitien de rester habiter dans sa ville, ou pour un étranger de vouloir venir y habiter. Nombreux sont les immeubles, bâtiments et même palais qui sont rachetés par des étrangers pour être transformé en hôtel de luxe; entre 2010 et 2015, plus de 1000 habitations auraient été transformées. Venise se fait aussi conquérir par de grands groupes de commerces, familles, comme celle des Benetton, qui utilisent leur richesse et leur fortune pour s’emparer de la ville. En 1992 ils mettent la première fois la main sur Venise en achetant l’îlot Ridotto, puis en 1999 celle de San Clemente. En 1995, après un colloque, la municipalité publie « Privatizzare Venezia. Il progettista imprenditore » une publication dans laquelle ils révèlent les projets et montrent leur encouragement pour les Benetton. Leurs investissements privés apparaissent alors comme des « bienfaiteurs » pour la ville.57 En 2010, ils rachètent le Fondaco dei Tedeschi; bâtiment mythique de la Cité des Doges datant du XVIes, servant de halles marchandes le long du Grand Canal; pour le restaurer en grand magasin de luxe. Aujourd'hui, le Fondaco dei Tedeschi c’est plus de 7 000m2 consacrés aux commerces, à la restauration et à l’art. Situé à quelques mètre du Pont du Rialto, il attire de nombreux touristes chaque année et voit son chiffre d’affaire augmenter. A Les Boutiques poussent comme des champignons dans toutes les rues de la ville, mais surtout sur les grands axes comme la Calle Larga XXII Marzo ou encore la Strada Nuova, elles se répandent et parasitent les façades de nombreux bâtiments vénitiens, même les plus emblématiques. À chaque pas sa boutique, en passant par des petites boutiques de souvenirs de toutes les couleurs, des bijouteries artisanales ou de luxe, des magasins d’habits de marque connues et d’autres moins, des confiseries(…), ouvertes toute la journée et quand la nuit vient à tomber, Venise s’éclaire de ses vitrines colorées attirants tout autant de touristes que la journée. Lors de mon séjours dans la ville, toutes ces boutiques m’ont fascinées, mais quelques fois choquées. Mon regard et mon questionnement ce sont arrêtés plus longtemps quand je suis arrivée en face du Pont du Rialto, ou plus précisément sur le Pont, au centre. Une multitude de boutiques, une foule qui se bouscule, le commerce prenait le dessus sur l’histoire du Pont. Construit au XIVes, il était l’unique pont à traverser le Grand Canal avant la construction du Pont de l’Académie en 1933, étant le plus ancien, il est l’un des monuments les plus emblématiques de Venise et doit dans ce cas là, dans une logique, être respecté et mis en valeur. Cette gangrène de boutiques le rend alors vide de sens et comme figé dans le temps, un décors, support de ce commerce impitoyable. Les commerces s’installent, s’incrustent dans les bâtiments sans se soucier du lieu, l'histoire qui les entoures, sans chercher à créer une cohérence visuelle et dénaturent ainsi le charme authentique de la ville de Venise. L’objectif n’est alors plus vraiment de faire découvrir la ville, ni de la vivre, mais de la faire consommer. Tout est mis en avant pour satisfaire le client, le touriste et l’inciter à dépenser. Venise conquise, vis au rythme du tourisme. 57

Benettown, 2011, p.15. 48


FIG 34 : Le Pont du Rialto brille de milles feux, 2019, ESPARON Hélène.

FIG 35 : L’intérieur d’une boutique de souvenir sur le Pont du Rialto, 2019, ESPARON Hélène.

49


FIG 36 : Incrustation d’une boutique dans un bâtiment vénitien, 2019, ESPARON Hélène.

FIG 37 : Détournement du regard dans une ruelle perpendiculaire à la Strada Nuova, 2019, ESPARON Hélène.

50


b. La folie des grandeurs Depuis toujours, de nombreux artistes; peintres, sculpteurs, musiciens, écrivains(…) sont attirés par la célèbre ville de Venise, par son charme, son mystère, elle leur est de « grande » inspiration. Sa renommée mondiale, abritant certaines des plus grandes richesses du Moyen-Âge et de la Renaissance, à attirée notamment de nombreux architectes qui ont voulu marquer, eux aussi, leur territoires en construisant des édifices, qui sont pour le moins surprenant, farfelus et parfois hors d’échelle.

UNE CONSTRUCTION MODERNE AU BORD DU GRAND CANAL

FIG 38 : Le Masieri Memorial in Venice, ARTCHIST, artchist.wordpress.com

En 1952, un riche vénitien, Paolo Masieri, commande à l’architecte américain Franck Lloyd Wright la construction d'un palais au bord du Grand Canal de Venise, à la mémoire 51


de son fils, mort dans un accident de la route, le Masieri Memorial. Les plans sont dessinés, mais les critiques que susciteront le projet; résolument moderne de Wright dans une ville figée dans son passé; empêcheront sa réalisation. Le projet présente à première vue une toiture terrasse, de grandes ouvertures vitrées en façade ainsi que de la végétation débordante des balcons présents à tous les étages. Son architecture linéaire qui semble être d’acier, ne correspond en aucuns cas aux bâtiment vénitiens d'époque qui sont dessinés sur ces deux côtés.

UNE TOUR DE HAUTE COUTURE, LE PALAIS LUMIÈRE

FIG 39 : Perspective du Palais Lumière sur le port de Marghera, en arrière plan, Venise, UNIT-STUDIO

Un second projet beaucoup plus récent est celui de la tour du Palais Lumière du grand couturier Pierre Cardin. Cette tour pharaonique haute de 245m, soit 140m au delà du Campanile de San Marco58, était prévue sur un ancien site industriel de 40ha au port de Marghera et devait voir le jour en 2015. Le bâtiment futuriste «imaginé à partir d'un bouquet de trois tiges de fleurs» se veut également «éco-soutenable» grâce à l’utilisation de l’énergie photovoltaïque, éolienne et géothermique, ainsi qu’a un verre spécial éliminant les problèmes d’effet de serre. Le complexe se présente comme une sculpture composée de 6 disques empilés à 35m d'intervalle et soutenu par 3 tours de hauteurs différentes. Cette «ville verticale» de 65 étages est destinée à abriter des logements, des hôtels, des restaurants, des pôles de recherche et d'éducation et des installations sportives sur une surface de 250 000m2.. Le budget pour sa réalisation est de 1,5 à 2 milliards d’euros. Pierre Cardin a confié la direction technique à son neveu, 58

Le Campanile de Saint-Marc mesure 98,6m de hauteur. 52


l’ingénieur italien Rodrigo Basilicati59. Cette tour a suscitée beaucoup de discussions sans fin, mais le conseil municipal de Venise avait donné son accord au couturier pour lancer sa construction, c'est le ministère des biens culturels italien qui n’était pas favorable. Devant tant d’incertitude, ils ont préféré tirer un trait sur ce projet qui semblait hors d’échelle. Ces projets trop chers, trop lourd et trop moderne, étaient de trop pour la ville de Venise. D’une élégance fine toute en dentelle et raffinée de ses richesses, les architectes et constructeurs n’ont pas su s’adapter à son passé et ont eu parfois la folie des grandeurs. Du XIXes jusqu’à aujourd’hui, Venise a connue de profonds bouleversements qui ont débuté après sa chute économique et son emprise par l’Empire d’Autriche. Tout s'est enchainé durant 3 siècles; des modifications de son tissu urbain, à la création de nouveaux points d’intérêts; qui engendrent sa désertifications et sa dégradation; en passant par sa nouvelle activité tournée autour du tourisme laissant place à de nouvelles populations envahissant de jour comme de nuit ses périphéries et son centre historique; pour finir par le monde extérieur qui essaie de la conquérir par tous les moyens en se désintéressant de son histoire et des conséquences parfois dramatiques qu’ils engendrent. Vide de sa vie originelle, tout est mis au profit du commerce et du tourisme, Venise ne ressemble plus qu’a un vaste décors qui la rend vide de qualité. Ce qu’il reste est son excellence et sa grandiosité à travers le regard des gens; qui d’ailleurs pour un bon nombre d'entre eux ne savent et connaissent de Venise pas grand chose, et la reconnaisse seulement pour sa particularité d’être romantique, dans l’eau et n’ayant pas de voitures; réduite à des archétypes, son modèle est bien souvent exporté à travers le monde. En Chine, située dans une zone portuaire, la ville de Dalian est surnommée « la Venise de l’Asie ». Dalian, 3ème port de Chine, qualifié comme étant de « pas très glamour », veut et décide de s'inventer une nouvelle façade pour attirer les touristes, c’est alors une nouvelle ville « made in China » qui voit le jour et pour cela, elle décide de prendre la forme d'une célèbre ville, Venise. Emerge du sol une reproduction sur plus de 400 000m2 avec un coût de construction d’environ 640millions d’euros. La ville apparait alors comme un vaste décor, fausse, comparable à un parc d’attraction. Dotée de 200 manoirs aux styles vénitiens, 35km de canaux ainsi que 168 ponts, elle permet aux touristes «qui n’auraient pas eu assez le temps ou pas assez d’argent » de visiter la ville de Venise.60 Cette volonté de recréer une partie de Venise prouve la puissance de la ville et de sa lagune et sa notoriété dans le monde.

BERDOU Jérémy, Pierre Cardin abandonne son projet de Palais Lumière. 5 Juillet 2013, (consulté le 6 Décembre 2019). Disponible sur : urbanews.fr 59

LA RÉDACTION, Chine, une copie de Venise à Dalian. 12 Septembre 2014, (consulté le 10 Septembre 2019). Disponible sur : chine.in 53 60


FIG 40 : Dalian, la Venise made in China. 2016, FALLETI Sébastien.

FIG 40 : Reproduction de Venise dans un grand palace à Las Vegas. 2015, Las-Vegas.fr

54


En observant la photo de la reproduction de Venise à Dalian, nous pouvons voir un canal, une gondole et des bâtiments. Ceux-ci paraissants faux, ont tentés de reproduire l'ambiance de la ville et son architecture vénitienne: on retrouve les nombreuses ouvertures en façade, les arcades, les briques, les colonnes, le gondolier se tenant debout et portant une paglietta, le canal, un peu trop large(…); malgré toutes ces reproductions, on arrive en un seul coup d’oeil à discerner Dalian de Venise; celle-ci parait froide et vide d’histoire. Faite sur mesure pour le regard et l’enchantement des touristes, elle ne reste qu’une froide copie à but commercial. Venise est aussi reproduite dans un grand palace à Las Vegas, The Venetian & Palazzo Resort, sur la photo, on peut reconnaitre le Pont des Soupirs, et le Palais des Doges. L’ancienne Venise, riche de par son histoire et de par son vécu, continue d'exister à travers ses derniers habitants, mais elle se vide peu à peu de ses derniers instants de vie, de ses derniers souffles pour ne laisser flotter dans l'air que son âme chargée d’histoire. Ce décors victime de son succès souffre et emporte dans sa douleur son sol artificiel, sa richesse architectural et culturelle, sa fabuleuse histoire, ses derniers vénitiens, son existence.

55


56


57


F58 IG 41 : Le géant qui effleure Venise. 2019, GUILLERMIN Sarah


III. Venizland, une ville hors de contrôle Au fil des siècles61, Venise s'est peu à peu transformée en un grand décor de carte postale où l’affluence touristique; qui s'est accru un peu plus chaque années; lui a causée de nombreux dégâts la plaçant dans une situation de « survie ». Aujourd’hui dans la ville, tout est mis en oeuvre afin de pouvoir accueillir les touristes; des moyens de transport par lesquels on va l’atteindre, en passant par les multiples propositions de la manière dont on va pouvoir la découvrir ou plutôt la « consommer », jusqu’aux multiples possibilités de pouvoir s'y loger le temps d’une nuit ou d'un séjour. Ce sont de véritables marées humaines que Venise doit supporter chaque jours en parallèle des marées aquatiques; qui elles aussi sont de plus en plus importantes et cela en partie à cause du réchauffement climatique, mais également des impacts humains qui n'arrangent pas ces situations de débordements.62 Hors de contrôle, impuissante face à des conséquences majoritairement irréversibles, et noyée sous les vagues d’eau et de pas, Venise apparentée à un parc d'attraction; que l’on ouvre le matin et que l'on ferme le soir, où l'on va parfois faire plus d’une heure de queue pour entrer dans un monument, et que l’on nettoie la nuit; va tout de même tenter; par des mesures prisent par les autorités, ainsi que par la force, une fois de plus de ses habitants rappelant étroitement la ténacité des premiers vénitiens; de sortir la tête de cette noyade.

FIG 42 : Rendre Venise accessible à tous, à tout prix. 2019, ESPARON Hélène. 61

De sa naissance au Vesiècle jusqu’à aujourd’hui au XXIesiècle.

62

A che ora chiude Venezia ?. 2011. 59


Sur cette photo (FIG 42), prise pendant mon séjour à Venise, on peut y voir une rampe destinée aux personnes à mobilité réduite, qui franchit un pont vénitien. Longue de plusieurs mètres, elle a pour but de rendre la ville accessible à tous, en effet, elle se situe sur le Fondamente Zattere Al ponte Lungo, quai principalement utilisé par les touristes arrivants par bateau de croisière et par voiture. Sur cette partie de la ville, longeant le sud du sestiere Dorsoduro, il y en a quasiment à tous les décalages de hauteur de sol; aucunes autres parties de la ville ne dispose de cette imposante installation.63 Il est alors amusant de constater que « rendre Venise accessible » se traduit seulement par rendre une partie de Venise accessible. Cette installation a été permise grâce à la longueur des quais, qu'on ne trouve que très rarement dans le centre historique. En revanche, certains escaliers ont intégrés une rampe à leur marche, solution qui amoindrie l’impact visuel et ne dénature que partiellement l’escalier vénitien.

FIG 43 : Il Ponte della Paglia, à sa gauche, le Pont des Soupirs. 2019, ESPARON Hélène.

1. La Venise du XXIe siècle Si vous décidez de vous rendre à Venise, vous constaterez par vous même, au détour de ses ruelles, de ses grands axes (…), de nombreux bâtiments abimés, abandonnés, dont la façade s'effrite rongée par l'eau et le temps; de longues files d'attentes pour entrer dans le Palais des Doges; des poubelles remplies de déchets divers dont certains tombent à terre et s’éloignent avec le vent; des mouettes et beaucoup de pigeons affamés mais nourris, recouvrant la Place Saint-Marc; des personnes, une quantité innombrable de personnes; semblables à vous même, touriste; prenants en photo les moindres détails qu'ils observent, s'appropriants la ville à leur guise en s'asseyants où bon leur semble par exemple, comme si elle était la leur, ne se souciants, pour certains, en aucuns cas de la respecter elle et son histoire; et vous aurez même, si vous avez un peu de chance, les pieds dans l’eau.

63

Constat réalisé pendant mon séjour à Venise en Janvier 2019. 60


a. Les impacts humains L’homme est à l’origine de la création de Venise, il l'a construite, soutenue, développée jusqu’à l'avoir poussée au sommet, l’a rendue puissante et réussi à lui créer une grande réputation dans le monde entier, mais paradoxalement, il contribue aussi à sa destruction.

SUR L'ARCHITECTURE Un des impacts causé par l'homme qui a le plus posé de problèmes à la ville est la montée du niveau des eaux de la lagune, notamment dû à une surexploitation des navires de l’industrie, de marchandise et de croisière. En effet, comme on l’a vu64, pour faciliter le déplacement des navires pétroliers jusqu’au port de Marghera sur la terre ferme, un grand canal a été creusé créant une véritable autoroute profonde dans la lagune, ce qui a inévitablement perturbé et modifié la biodiversité de la lagune et ses courants naturels, renvoyant ainsi de grandes masses d’eau sur Venise. S’ajoutent aux conséquences de l’industrie, l’affaissement de la ville avec le pompage des eaux souterraines situées dans les nappes phréatiques juste au dessous de Venise, lui faisant perdre alors 13cm de manière irréversible, et l'enfonçant donc un peu plus sous l’eau. 65 Il y a aussi les immenses paquebots qui entrent chaque jours dans la lagune pour déposer les touristes, comme nous l’explique la spécialiste de l’environnement66 Jane Da Mosto, ces grands paquebots déplacent d’énormes masses d’eau, et selon le principe de la Poussée d’Archimède67 , l'eau qui représente l'équivalent du volume du bateau immergé doit aller quelque part, et c'est dans la ville, entre les petits canaux qu’elle va s'infiltrer en les inondants. Ce phénomène vient créer comme une sorte de marée supplémentaire, mais au lieu d’arriver lentement sur la ville, elle arrive en quelques minutes, voire seulement quelques secondes. L’eau qui arrive dans les canaux vient se projeter contre les façades des bâtiments, les mettants en péril. Dino Cimoli, un ingénieur à Venise nous explique « la zone la plus exposée à ce problème c’est la zone qui est aujourd’hui verte, elle marque les allées et venues des marrées, celles de tous les jours, l’eau entre et ressort, et ceci en permanence ».68 Mais ce ne sont pas uniquement les navires de croisière qui génèrent ces dégâts, il y a aussi les nombreux bateaux à moteurs qui naviguent chaque jours dans les canaux de la ville; en effet, ils viennent eux aussi créer des ondes supplémentaires, à la surface de l’eau mais également en profondeur, qui viennent se 64

Conf. Partie 2, a. Un business commercial. p.45.

65

Sauver Venise, 24:45min.

66

Ibid. 30:50min.

Théorème développé par le mathématicien, ingénieur, physicien et astronome Archimède du La Poussée d'Archimède est la force particulière que subit un corps plongé en tout ou en partie dans un fluide soumis à un champs de gravité. 67

IIIes. 68

Ibid. 27:30min. 61


casser contre les façades. Ces mouvements d’eau provoquent l’érosion des murs, « une fois que le mur est érodé, les vagues s’attaquent même à la terre, et celle-ci se retire avec le mouvement de l’eau » nous ajoute-t-il69. Les bâtiments se dégradent, et l’eau qui s’infiltre dans leurs fissures met en périls toute la structure. L’eau qui se projette contre le bas des façades est salée; auparavant la pierre d’Istrie, fondation imperméable des bâtiments, servaient de ceinture protectrice contre les mouvements d’eau, mais comme Venise s’est enfoncée, l’eau est maintenant en contact directe avec les briques qui sont elles très perméables. Quand l’eau s’évapore de celles-ci, « le sel reste à l’intérieur et se cristallise, de cette manière le sel multiplie son volume par douze et ses cristaux font très lentement exploser les pierres »70. L’eau s’attaque également aux joints en chaux, ainsi les briques tombent, et le bâtiment tout entier est fragilisé.

FIG 44 : Dégradation d’un bâtiment: partie verte, érosion des briques, disparition des joints de chaux. 2019, ESPARON Hélène.

Les bâtiments vénitiens, les palais, datants d’il y maintenant plusieurs siècles, se dégradent et disparaissent au profit des bateaux à moteurs. C’est un véritable bouleversement qui remet en cause les précautions prises par les architectes et ingénieurs du passé.

69

Ibid. 27:30min.

70

Ibid. Propos de Jane Da Mosto. 28:00min. 62


SUR L’IDENTITÉ HISTORIQUE Chaque jours à Venise, c’est environs 77 000 visiteurs dont 5 800 dans les structures hôtelières, 1050 dans d’autres hébergements réceptifs et 57 500 excursionnistes qui foulent le sol vénitien.71 Il existe une différence à savoir entre le touriste et l’excursionniste, qui sont tous les deux des visiteurs; en effet, selon l’OMT ( Organisation Mondiale du Tourisme), un excursionniste (ou visiteur de la journée) est définit par un visiteur (du tourisme interne, récepteur ou emetteur) dont le voyage n’inclut pas de nuit sur place; à contrario du touriste (ou visiteur qui passe la nuit) qui est définit par un visiteur dont le voyage inclut au moins une nuit.72 On peut distinguer quatre catégories d’excursionnistes selon Le Dinamiche del Turismo73, les « véritables » excursionnistes (italiens essentiellement) qui partent à Venise puis retournent à leur domicile; les « faux » ou « impropres » excursionnistes qui dorment à proximité du centre historique ( à Mestre par exemple); les excursionnistes « indirects » qui visitent le centre historique depuis leur lieu de séjour (Padoue, Trévise, Jesolo, Cavallino, des stations thermales des Monts Eugannéens (…); et les excursionnistes en « transit » qui passent par Venise pour aller ou rentrer ailleurs. Tout ces touristes pratiquants la ville, pour la plupart, ne la respecte pas forcément, et ce sont les agents de sécurité qui doivent chaque jours les rappeler à l’ordre pour le bon fonctionnement de la ville. La Piazza San Marco est sans doute l’endroit qui reçoit le plus de visiteurs par jours. En 2017, les monuments qui l’entourent, comme le Palais des Doges, la Basilique Saint-Marc, le Campanile, le Musée Correr (…), ont attirés de nombreux visiteurs, environ 110 000 par mois pour le Palais des Doges, 25 000 pour le Musée Correr et 60 000 pour le Campanile74, qui sont inévitablement passés sur la place. Les agents doivent donc, sur cette place, veiller à la bonne circulation des visiteurs pour ne pas créer de blocage et que le passage reste libre et à ce qu’ils respectent les règles. De nombreuses incivilitées et infractions sont commises; des baignades illégales, des pics-nics sauvages (…); qui sont régulièrement relayées par les médias italiens, les réseaux sociaux (…). Le tourisme génère 35% des activités économiques de Venise, il est à la source de 83% des déchets produits, qui sont acheminés à l’extérieurs… par bateaux75. Dans la ville, ce sont des poubelles pleines à craquer, plus de 200 tonnes par jours sont ramassés par les éboueurs qui travaillent de 6h00 à 23h00, du Lundi au Dimanche.76 71

Tourisme - Venise face au sur tourisme, 2018, p.19.

72

Définition du visiteur. GLOSSAIRE GÉOCONFLUENCES.

73

Le Dinamiche del Turismo. p.29.

74

Annuario del turismo. 2017, pp 100-101 et p. 117.

Impacts et menaces portant sur un site patrimonial à haute fréquentation touristique, le cas de Venise. 2017, p.16 75

76

Un été à Venise. 2018, 1:10min. 63


« Regardez, nous on mange des pâtes à la maison ou au restaurant, et ici, il y en a qui les mangent par terre; même les animaux ne mangent pas comme ça. » Constat d’une habitante de Venise dans une grande avenue touristique.

« Je peux vous prendre en photo? Parce que partout où je vais je prends une photo avec un policier. » Demande d’un touriste à une policière sur la Piazza San Marco. « S’il vous plait, c’est interdit de donner à manger aux pigeons ! - Ah! Je ne savais pas, j’ai vu tout le monde le faire. » Rappel à l’ordre d’une policière à une touriste sur la Piazza San Marco. « Bonjour s’il vous plait levez-vous. - Non, non, on ne va pas se lever ! On ne sais pas que c’est interdit de s’asseoir ici, montrez moi les panneaux ! C’est écrit où? » Altercation entre une policière et deux touristes sur la Piazza San Marco.

« Bonjour monsieur, vous savez que vous êtes place Saint-Marc à Venise? - Je ne comprend rien (rire) - Vous savez que vous êtes place Saint-Marc? Dans le coeur de Venise, la partie la plus belle, la plus jolie, la plus importante, la plus historique de Venise? Qu’est ce que vous faites là? - Il fait chaud (rire) - Il fait chaud pour tout le monde et alors ? - Je suis spécial (rire) - Merci monsieur, et vive la France » Un gondolier rappelant l’importance du lieu à deux touristes qui se baignaient dans l’eau de la lagune à côté des gondoles. « Je pense qu’ils ne sont pas tous bien éduqué, mais bon, je vois ça tous les jours, je ne m’énerve même plus. » Un éboueur chassant des touristes appuyé contre un monument. FIG 45 : Propos tirés du reportage ENVOYÉ SPÉCIAL , Un été à Venise, Youtube, 19 Septembre 2018

L’identité historique de la ville se perd, Venise se transforme en un parc d’attraction où certains même en viennent à se demander « à quelle heure ferme Venise? »77.

77

A Che ora chiude Venezia?, 2011. 64


SUR LES HABITANTS Les derniers vénitiens vivent au rythme du tourisme, ils étouffent et il leur est très difficile d’essayer de continuer à habiter dans leur ville. Avec l’affluence des touristes, la concurrence des hôtels et des logements locatifs type Airbnb; les loyers des locataires augmentent, et ils ne peuvent plus, pour la plupart, suivre ce prix exorbitant; ce qui poussent certains à quitter la ville pour rejoindre la terre ferme, à d’autres de résister, et à nombreux d’entre eux de se faire expulser sans savoir où aller. Une vénitienne de 74, locataire dans le centre historique de Venise en témoigne; un nouveau propriétaire a acheté trois appartements dans l’immeuble où elle vit, dont le sien. Il en propose déjà deux à l’hébergement touristique et voudrait faire la même chose avec celui de la vénitienne. Résistante, il a alors choisi de lancer une procédure d’expulsion contre la locataire qui est bien décidée à ne pas partir. Elle a reçu un papier qui indique que le tribunal autorise l’huissier et la force publique à intervenir pour son expulsion. Désemparée, et sous le choc, la vénitienne à toujours payée son loyer depuis 52ans, date à laquelle elle est entrée dans cet appartement. Son logement représente toute l’histoire de sa vie, de la naissance de ces enfants à la mort de son mari. Anéantie de ne pas savoir où aller si elle se fait expulsée, elle a à de maintes et maintes fois sollicitée la mairie de Venise pour un nouveau logement, sa demande est toujours restée sans réponse.78 Il existe aujourd’hui environ 20 agences immobilières dans le centre historique, qui proposent de nombreux appartements, à l’achat et très peu à la location, à des prix inabordables pour les habitants vénitiens.79 Prenons l’exemple de la première agence qui apparait dans mon moteur de recherche internet quand j’y inscrit « Agence immobilière à Venise », c’est l’agence ENGEL&VOLKERS Venezia. Dans son moteur de recherche, trois choix sont possibles; « Acquisto » achat, « Locazione » location et « Tutti » tout, puis on peut choisir de chercher une maison « casa » un appartement « appartamento » ou un terrain « terreno »; faisons la recherche d’un simple appartement à louer. Sans grande surprise, seulement 6 appartements sont proposés, allant d’un loyer de 10 000€ par mois pour un 400m2 située dans le sestiere de Cannaregio, à un loyer de 1 500€ par mois pour un 140m2 au fin fond du sestiere Castello. Un appartement situé dans le Dorsoduro demande un loyer de 1 700 € pour un 90m2, un autre de 3 800€ pour un 145m2.80 Le prix du logement dépend alors, en partie à l’emplacement de celui-ci, s’il est avantageux ou non par rapport à la fréquentation du lieu. Cette agence immobilière se situant au centre de Venise, est en réalité une société allemande, leader mondial des sociétés de courtage en immobilier. Fondée en 1977, elle est présente dans plus de 30 pays et fait 78

Un été à Venise. 2018, 21:00min.

79

Recherche personnelle d’agences immobilières sur internet.

80

Étude basée sur le site engelvoelkers.com 65


travailler plus de 11 000 collaborateurs. Ce sont alors des dizaines d’agences comme celle-ci qui se partagent aujourd’hui les logements vénitiens, la ville de Venise devient alors marchandise.

FIG 46 : Propositions de logements locatifs de l’agence Engel&Völker. engelvoelkers.com

Les habitants souffrent de cette situation, ils ne reconnaissent plus leur ville, ne se sentent plus soutenus et écoutés, ils se sentent délaissés, un peu comme Venise l’est.

b. Les impacts environnementaux Depuis toujours Venise est confrontée à l’environnement, en effet, elle est née des marécages boueux de la lagune, elle est entourée d’eau et vie au rythme de ses marées se laissant recouvrir le temps de quelques heures; on peut donc dire qu’elle en dépend. Mais l’homme vivant à Venise va tout faire pour dévier les phénomènes naturels qui ont quelques fois eux tendance à vouloir la faire disparaitre, elle et sa lagune.

66


Déjà au XVes, les vénitiens agissaient en conséquence pour sauver leur ville, Venise menaçait de n’avoir plus les pieds dans l’eau et d’être rattachée à la terre ferme. En cause, les fleuves qui se déversaient dans la lagune. Dans leur flot, il transportaient continuellement des sédiments et alluvions81 qui commençaient à combler la lagune. Les canaux perdaient en profondeur, bloquant les bateaux et navires qui y circulaient et cela posait un réel problème à l’époque, en effet, Venise était à son apogée grâce à son trafic maritime tant pour le commerce que pour sa flotte militaire. Cet ensablement remettaient également en cause la sécurité de la ville, car une fois reliée à la terre ferme, la ville serait vulnérable à des attaques ennemis. Des kilomètres de canaux vont alors être creusés afin de dévier les deux plus grands fleuves se déversant dans la lagune, le Sile et le Brenta; ces travaux titanesque réalisés avec les moyens du XVes, vont durer 100ans. Cette déviation a sauvée l’eau de la lagune, mais était contre son évolution naturelle, ce qui ne permet plus de la définir comme étant un environnement naturel. Venise subit tous les ans un phénomène naturel appelé Acqua Alta, la ville se retrouve inondée à certains endroits par les marées de la lagune. Ce phénomène s’est amplifié avec les conséquences des impacts humains, qui ont affaissées le sol; et le réchauffement climatique qui fait monter le niveau de la mer. Ces 50 dernières années, Venise a du faire face à des crues de plus en plus fréquentes, auparavant elles étaient au nombre d’une crue tous les 10 ans et aujourd’hui elles sont passées de quatre à cinq tous les ans.82 Ces Acque Alte83 ont des répercussions sur la ville aujourd’hui. Elles endommagent, comme on l’a vu, les bâtiments en s’attaquant à leur structure, elle les fragilisent et mettent en périls leur conservation. En les dégradants, elles ont rendues les rez-de-chaussée de nombreux bâtiments totalement inhabitables. Voici quelques chiffres tirés d’une explication sur les Acqua Alta, qui permettent de savoir le pourcentage de la surface totale de la ville de Venise qui se retrouve sous l’eau en fonction de la hauteur des marées: Hauteur d’eau en m

Surface inondée en %

m

%

m

%

1

3,56

1,30

68,75

1.60

99,27

1,10

11,74

1,40

90,19

1,70

99,74

1,20

35,18

1,50

96,33

1,80

99,86

FIG 47 : Tableau du pourcentage de la surface totale de la ville recouverte par les eaux en fonction de la hauteur des marées. Les marées hautes à Venise conseils et prévisions, e-venise.com.

Ce phénomène impressionnant a parfois été spectaculaire. La plus impressionnante est celle du 4 Novembre 1966, une marée haute particulièrement forte a fait monter le Dépôt de sédiments abandonnés par un cours d’eau quand la pente ou le débit sont devenus insuffisants. 81

82

Sauver Venise, Op.cit. 50:00min.

83

Pluriel de Acqua Alta signifiant « Hautes Eaux » 67


niveau de l’eau pour atteindre 194cm au dessus du niveau de la mer, c’est la pire inondation que les vénitiens aient jamais connue, plus de 80% de la ville se retrouve inondée. La seconde plus importante a eu lieu dernièrement, le 12 Novembre 2019, avec plus de 187cm d’eau au dessus de la mer, une telle montée des eaux n’avait pas eu lieu depuis 53ans. Celle-ci a été fatale pour un vénitien âgé de 78ans qui a trouvé la mort après avoir été électrocuté dans son logement inondé84, au rez-de-chaussée. L’eau montante a submergé des cafés, emportant les tables et les chaises le long des ruelles, elle a tout emporter sur son passage engendrant la présence d’obstacles submergés très dangereux pour les piétons comme pour les bateaux. Les nombreux dégâts que causes ces marées doivent être réparés, et atteignent bien souvent des milliards d’euros.

FIG 48 : Aqua Alta Venise 1966, PAVAN Vittorio.

Venise abasourdie après une « acqua alta » historique. 13 Novembre 2019, (consulté le 23 Novembre 2019), actu.fr 68 84


FIG 49 : Une plateforme est installée sur la place Saint-Marc inondée dimanche à Venise, 2019, SILVESTRI Manuel.

Entre l’affaissement des sols, la montée du niveau de la mer et les ondes provoquées par les paquebots et les bateaux à moteurs, Venise est menacées de toute part d’être submergée. L’idée d’un véritable engloutissement de la cité ne semble plus être de l’ordre du fantasme. La Venise du XIXes va mal, elle souffre de son activité et menace de disparaitre. Bien éloignée du temps où elle dominait le monde, sa puissance et sa notoriété se sont retournées contre elle la réduisant à être dominée, elle même, par le monde. Polluée, saturée, marchandée, inondée, les vénitiens lassé de cette situation réagissent; une fois de plus, comme au XVes; de diverses manières afin d’éviter l’anéantissement de leur ville.

2. Résister au naufrage de Venise De nombreuses actions, structures, constructions, mouvements (…) sont alors entrepris et mis en place par la ville de Venise et ses vénitiens, ils ont tous un même but, sauver leur ville et la préserver, mais pas forcément des mêmes menaces et de la même manières.

a. Les actions citoyennes Elles sont diverses et pour de nombreuses causes, prenant la forme de manifestations, d’associations, de partages en ligne, de mouvements citoyen, (…) et naissent toutes d'une cohésion vénitienne, une solidarité qui les unie, en effet, les habitants mènent 69


tous le même combat: sauver Venise des griffes du tourisme, l’empêcher d’être mutée en parc d’attraction.

CONSERVER L’IDENTITÉ DE LA VILLE Les habitants ne cessent de se battre contre la destruction à feu doux de leur ville, ils voient les bâtiments se dégrader; et leurs réparations est pour de nombreux cas à leurs frais; et d’autres se vider et rester abandonnés, mais pour la plupart du temps et bien souvent, rachetés afin d’être transformés en machine à faire de l’argent, en boite à ranger les touristes. Pour se faire entendre de tous, et partager leurs mécontentements et leurs désespoirs, ils organisent des manifestations; ils se déplacent par milliers avec des banderoles, criants ce pour quoi ils s’agitent. L’identité de leur ville disparait.

FIG 50 : Manifestation le samedi 6 Juin 2019 contre les grands paquebots, 2019, nograndinavi.it.

Le samedi 6 Juin 2019, plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour demander l’interdiction du passage des grands navires dans la lagune; leurs passages dégradent l’architecture vénitienne, l’écosystème de la lagune et rendent dangereux le passage dans la lagune pour les autres bateaux. En effet, une semaine avant est survenu un accident entre un paquebot de croisière et un bateau touristique. Cet accident, qui n’est pas le premier, a fait réagir un peu plus les habitants les poussants à se mobiliser pour éviter d’autres désastres. Un cortège d’environ 5 000 à 6 000 personnes s'est alors 70


formé, sillonnant les ruelles du centre historique derrière une grande banderole sur laquelle était écrit « Fuori le grandi navi dalla laguna » (Les grands navires hors de la lagune). Cette manifestation était orchestrée et lancée par un célèbre comité vénitien, No Grandi Navi, qui a pour but de lutter depuis quelques à l'expulsion des grands navires du bassin de Saint-Marc car pour eux, « Venise n’existe pas sans une lagune guérie et équilibrée qui la défend »85. Ils invitent un maximum de personne à rejoindre leur comité car ils décrètent qu’il ne suffit pas de se contenter de ne pas voir les grands navires traverser la lagune, mais qu’il faut que la bataille, pour expulser les grands navires, doit être engagée et impliquer autant de mouvements et de FIG 51 : Affiche de mouvement citoyen « Sauvons citoyens possible, qu’ils soient à Mestre Venise du MOSE, du changement climatique, des ou Venise. Le comité se fait entendre et navires et de Brugnaro! ». 2019, nograndinavi.it. veut se répandre, pour cela ils ont mis en place un site internet où sont expliqués, programmés et enregistrés tous les mouvements citoyens qu’ils ont mis en place, c'est aussi depuis ce site qu’ils appellent à la mobilisation pour les prochaines manifestations. Sans sa lagune, Venise n’est plus Venise; sans ses richesses architecturales, Venise n’est plus Venise; sans ses bâtiments vénitiens, Venise n’est plus Venise, Venise perd son identité pour du tourisme, de l’argent, toujours plus d’argent, et ça, les vénitiens l’ont bien compris et en sont plus que révoltés. Certains se battent aussi pour la conservation des bâtiments, pour empêcher que de grands groupes commerciaux ou de riches investisseurs venant des quatre coins du monde, ne transforment les derniers bâtiments vénitiens, abandonnés, en un hôtel de plus pour la ville, ou en de luxueux appartements qu’aucuns vénitien ne pourrait s’offrir(…). L'un d’entre eux s’appelle Marco Gasparinetti, il est avocat et comme les habitants de la ville, il est attaché à son histoire et son identité, il se bat au quotidien avec son association pour la conservation des anciens bâtiments, pour cela, il scrute la ville et ses moindres changements. Il est en perpétuelle recherche du ou des détails qui peuvent empêcher la construction d’un bâtiment, il passe donc en revu les permis de construire, vérifie s’il y a des logements vacants, observe même comment se déroule le

85

nograndinavi.it 71


chantier (…), il cherche la moindre faille juridique capable de faire suspendre le chantier86 .

RETROUVER UN CADRE DE VIE STABLE « Ce n’est plus la place de mon enfance, la Venise de mon enfance c’est celle où quand je sortais, je croisais des amis dans la rue, on se saluait. C'est devenu difficile de trouver des gens qu'on connait, il n’y a que des visages étrangers. » Beatrice Penso, vénitienne depuis quatre générations.87

Habiter, vivre, se balader, faire ses courses en toute tranquillité, (…) et même respirer n’est plus possible aujourd’hui pour les derniers habitants de Venise, ils suffoquent et ne veulent plus avoir à subir les conséquences d’actes qui ne sont pas les leurs, ils souhaitent retrouver un cadre de vie stable, vivre dans une ville habitable et vivable, loin de toute cette cohue touristique, qui génère bruits, saletés, énervements, tensions, dérangements et bouleversements. Il veulent retrouver l’image d’une Venise opposée à celle du parc d'attraction qu’elle devient.

FIG 52 : Un homme tenant une pancarte avec le slogan « Adieu Venise » durant une manifestation contre l’augmentation du nombre de touristes, le 12 Novembre 2016, BERTORELLO Marco.

Les manifestations anti-tourisme se multiplient alors dans la ville, où des slogans fort se laissent entendre comme celui-ci : « le projet du maire est clair, il veut 86

Un été à Venise. Op.cit. 14:00min.

87

Ibid. 7:00min. 72


transformer cette ville en Venise Land, en une sorte de parc à thème, une sorte de Disneyland sur pilotis ».88

FIG 53 : « Resistiamo ». 2016, VISINTIN Furio.

FIG 53 : Manifestation anti-tourisme. 6 Juin 2019, MEDINA Miguel.

88

Ibid. 3:40min. 73


Certains vénitiens se mobilisent aussi pour lutter contre l’expropriation de leur logement; en effet, comme on l’a vu avec l'exemple de la vénitienne89; qui a passé toute sa vie dans son logement; les logements sont réaménagés pour être destinés à la location touristique, obligeant alors l’habitant à quitter son logement de force. L’une d’entre elle s’appelle Matelda Bottoni, elle est responsable du syndicat de défense des locataires et s'occupe des vénitiens en difficulté de logement, elle écoute et aide à sa façon les vénitiens en danger d’expropriation. Elle est soutenue par des militants qui viennent manifester le jour même de l’expropriation; ils attendent du petit matin jusqu’au moment attendu, afin d’empêcher l’huissier d’entrer dans le logement. Ils brandissent des pancartes « Venezia non si svende » (Venise ne se vend pas), « - Turisti, + cittadini » (moins de touristes, plus de citadins), et restent soudés pour sauver leur « famille ».90 Un des militants nous explique qu’ils sont de la partie de Venise qui résiste, qui ne veut pas partir; en effet, c'est toute l’histoire de leurs familles, de sa famille, de tous les vénitiens, qui est mise en périls avec les changements de ces dernières années, alors ils sont de plus en plus nombreux à se mobiliser pour ce types d’intervention. Il est difficile de trouver des chiffres qui apportent une vision sur ces propos, comme par exemple le nombre de personnes expropriées ces dernières années, ou encore des moments où l’expropriation à eu lieu; mais il est assez facile de comprendre pourquoi ils sont justement difficiles à trouver. Venise se débarrasse de ses habitants tout doucement sans faire de bruit, et cela pour ne certainement pas noircir son image auprès du monde…

b. Les réponses apportées et les mesures prises Les dégâts s’enchaînants et les citoyens se révoltants; les autorités italiennes, sous pression, ont du prendre des décisions pour agir en conséquence afin de limiter les divers phénomènes néfastes qui s'abattent sur leur ville.

POUR LA CONSERVATION DES BÂTIMENTS Perdre la richesse architectural de Venise est un vrai problème qui se pose face à eux, en effet, les bâtiments et palais présents depuis des siècles, contribuent à sa beauté et en fait un de ses caractères spéciaux; avec l’eau et l’absence de la voiture; elle fait partie des « attractions » que les touristes veulent « découvrir » et voir. Cependant, les structures des bâtiments se dégradent à cause des vas et viens de l’eau venant se projeter contre leur façade, engendré en grande partie à cause des paquebots et bateaux qui transportent ces mêmes touristes. En revanche, l’activité touristique, ne peut s’arrêter selon les autorités, en effet, aujourd’hui ce sont les touristes qui font vivre la ville. 89

Conf. L’expropriation d’une vénitienne, p.64.

90

Un été à Venise. Op.cit. 22:40min. 74


Ils se voient alors devoir répondre à un important dilemme dont en dépend l’avenir de Venise. Après le naufrage du Costa Concordia, qui a fait 33 morts en 2012, un décret à interdit l’entrée de la lagune aux navires de plus de 40 000 tonnes, mais il a tout de suite été assorti d’une dérogation, l’interdiction est opérante que si un parcours alternatif est défini. Il a donc été question de dévier les paquebots vers le canal qu'utilisent les pétroliers pour rejoindre le port industriel de Marghera sur la terre ferme; de les envoyer à Chioggia, plus au sud; ou de construire un nouveau port sur l’Adriatique à la sortie de la lagune; les voyageurs seraient ensuite conduits vers le centre historique par une navette. Mais les jours passent, les paquebots ne respectent pas les décrets, les projets s’enchainent et aucunes décisions n’est prises, laissant flotter un problème qui s'aggrave de jours en jours. Constatant l’ampleur des dommages causé par les grands navires; à l’été 2016, l’UNESCO avait donné six mois à la ville et à l’État italien pour élaborer des solutions concrètes, faute de quoi Venise serait inscrite sur la liste des sites du Patrimoine mondial en péril. L’Italie a donc adopté un plan le Mardi 7 Novembre 2017, de développement de la lagune de Venise pour conserver le but lucratif du tourisme de croisière, sans laisser les grands paquebots s’approcher de la place de Saint-Marc. Le ministre des Infrastructures et des Transports, Graziano Delrio a annoncé via le réseau social twitter : « Les grands paquebots ne passeront plus par la place Saint-Marc, ils accosteront à Marghera. Le grand comité a donné son feu vert à la proposition du gouvernement » FIG 54-55 : Tweets du ministre et du maire. 2017, Twitter.

Le maire de Venise, Luigi Brugnaro s’est également félicité de ce plan de développement de la lagune qui selon lui satisfait les demandes des habitants et des groupes environnementaux tout en préservant l’activité lucrative de la ville. « Nous voulons dire à l'UNESCO et au monde entier que nous avons une solution » déclare-t-il dans la vidéo jointe à sa publication sur le réseau twitter. 75


Résultat, les paquebots ne pourrons plus emprunter le canal de la Giudecca, et les bateaux de plus de 100 000 tonnes devront accoster dans le port industriel de Marghera. Ces mesures prendrons du temps à se mettre en place, et c’est à partir de l’année 2019 que les navires de croisière quitteront peu à peu le large canal de la Giudecca, qui traverses Venise et longe la place Saint-Marc. Les paquebot passeront désormais par la même entrée que les navires pétroliers, la porte de Malamocco.91 L’année 2019 étant passée, les résultats et les changements sont faibles, n’apaisant pas la colère des citoyens. C'est un évènement tragique qui a remis sous les projecteurs ce problème, le 2 Juin 2019, un paquebot du grand groupe MCS Opera, de 65 000 tonnes transportant près de 2700 passagers, a percuté un petit bateau touristique et un quai, faisant quatre blessés; en cause, il s'est fait emporté par un moteur défaillant. Avec une largeur de 32m, une longueur de 274,9m et une hauteur de 54m; plus haut de la Basilique Saint-Marc qui mesure 43m de hauteur92; c'est un énorme bloc qui s'est accidenté sur la quai San Basilio, dans le canal de la Giudecca. Une semaine après, s’est déroulé dans les rues de Venise la grande manifestation « No Grandi Navi »93 .

FIG 56 : Le paquebot MSC Opera heurtant le bateau touristique, 2 Juin 2019, Social Media / Reuters

MULLER Agathe, Menacée par le tourisme de masse, Venise interdit l'entrée des paquebots dans la lagune, 8 Novembre 2017, (consulté le 12 Novembre 2019), disponible sur : lefigaro.fr 91

JEROME Benjamin, Tourisme : Les coursière n’amusent plus Venise, 15 Juin 2019, (consulté le 13 Octobre 2019), disponible sur : leparisien.fr 92

93

Conf. Le comité No Grandi Navi. p. 79 76


Des mesures sont aussi prises dans les canaux de la ville, ainsi que sur le Grand Canal. Après un tragique accident en 2013, qui a été fatal pour la vie d'un touriste allemand, une alternance de circulation dans le Grand Canal a été mise en place : jusqu’a 12h00, il est réservé aux taxis, aux bateaux de marchandises pour les hôtels, pour les restaurants, à tout ce qui est du côté « business » de Venise; les habitants eux, doivent faire un grand détour pour pouvoir contourner le Grand Canal.94 De plus, une limitation de vitesse oblige les bateaux à ne pas dépasser les 5 km/h. Même si quelques mesures sont prises pour amoindrir l'impact de l’eau sur les bâtiments vénitiens, le fait est qu’ils sont pour la plupart déjà fortement menacés et sur le point de s’effondrer. Des mesures sont prises pour les sauver, leurs éviter l'effondrement et les réparer en quelque sorte. Cette procédure de sauvetage des fondations de bâtiments en dégradation, oblige d’assécher les canaux afin d’intervenir à la base. « On travail sur des portions d’environ 50 m de canaux asséchés, pas plus, il faut savoir que l’assèchement des canaux provoque l’affaissement des strates géologiques et ça peut créer des dommages aux palais, c'est pourquoi on ne peut jamais garder un canal à sec pendant plus de trois mois »95 nous explique l’ingénieur Dino Cimolli. C’est un travail minutieux et long qui est demandé, tout est fait de manière artisanale par des spécialistes, et des moyens modernes sont employés; comme l'emploi d'agents chimiques qui sont injectés à la place du mortier pour consolider et reconstruire les murs et empêcher à l’eau de s’infiltrer dans les briques. Cependant, tout ces travaux sont long, couteux et ne font visiblement pas le poids contre les dégâts que subis la ville.

POUR LIMITER LE TOURISME DE MASSE Le samedi 28 Avril 2018, Venise se voit « filtrée », « régulée » à l'occasion du long weekend du 1er Mai. En effet, le maire de Venise, Luigi Brugnaro, a autorisé la police municipale à réguler exceptionnellement les flux de piétons en plaçant des portiques à des endroits stratégiques du centre historique; en cas d'affluence trop forte, ils sont destinés à être fermés, obligeants ainsi les touristes à emprunter d'autres chemins. Cette réponse donnée pour soulager Venise de la forte affluence touristique peut être assez frustrante, à la fois pour les visiteurs, mais aussi pour les habitants, du fait qu'ils doivent attendre leur tour, faire la queue comme si l’on entrait dans un manège(…). Ces portiques soulignent un peu plus le côté attractif de la ville, si leur mise en place devient définitive, alors ils contribueront fortement à la mutation de Venise en un grand parc d’attraction. Les citoyens sont du même avis, pour eux, la mise en place de ces portiques ne fait qu'empirer l’état de Venise, et sont jugés « inutiles » et « symbole d'une ville qui se transforme en parc d’attraction ».96 94

Un été à Venise. Op.cit. 13:00min.

95

Sauver Venise. 2018, 30:26min.

96

Un été à Venise. Op.cit. 3:17min. 77


FIG 57 : Les portique de régulation à l'entrée du Pont de Calatrava, 1 Mai 2018, AFP.

Avant les portiques, en 2017 a émergé l'idée de prévoir un dispositif en deux temps afin de contrôler le flux des visiteurs. Pour ce faire, la commune avait d'abord l’idée de mettre en place un système pour compter le nombre de personnes présentes sur les lieux populaires de la ville afin de les diffuser de manière directe sur les réseaux sociaux et le site de Venise, pour dissuader les touristes de se rendre dans les endroits déjà bien fréquentés. Puis en parallèle, l’idée de faire découvrir des circuits moins connus pour parcourir la ville et désengorger ainsi les lieux historiques fragilisés, par le biais de nouvelles cartes indiquants des circuits; et de mettre en place un système de tickets payants pour pouvoir accéder à des monuments, ou se rendre sur des sites historiques remarquables tel que la Place de Saint-Marc. Ces mesures existent aujourd’hui, sous la forme circuits, pass, billets et tickets qui sont présentés et proposés dans de nombreux flyers, dépliants (…) que la ville distribue dans ses monuments, à l’office du tourisme, dans ses lieux attractifs. Prenons l'exemple d'un dépliant que j’ai récupéré sur place, le Venice Events Walks & Tours, édité par VeniseEvents (planned to perfection), concernant la période hivernale 2018/2019 du 1er Novembre au 31 Mars. Il est proposé à l'intérieur, tout au long de ses 23 pages, des circuits payants pour visiter la ville « Absolute Venice », faire un tour de bateau « Venice Grand Canal Small boat Tour », naviguer sur le grand canal en gondole « Classic Gondola Ride »; certains sont même focalisés du l'aspect byzantin de la ville « Byzantine Venice ». Attardons nous sur un de ces circuit, le « Classical Venice » détaillé à la page 8. Il propose pour un prix de 86 euros par personnes un circuit d'une durée de 2h30 où un guide vous accompagne tout d’abord à partir de 10h45 pour une durée de 2h00 à découvrir le Palais des Doges et la place Saint-Marc, puis à partir de 15h00 pour une durée de 30 minutes en gondole. Ce circuit est disponible tous les jours, sauf le dimanche et est accessible en quatre langues différentes : l’anglais, le français , l’espagnol et l'allemand, ce qui permet à une bonne partie des touristes européens de pouvoir en profiter. 78


FIG 58 :« Classical Venice », Venice Events Walks & Tours Winter 2018 -2019, Venice Events, p.8.

Récemment, une taxe pour les touristes, qualifiée de « taxe de débarquement » devait voir le jour pendant l’été 2019. Luigi Brugnaro, maire de Venise, s’était montré favorable à cette mise en place, puisqu’aujourd’hui seuls 20% des touristes payent leur taxe de séjour, ce qui est faible97 . Cette taxe qui s’élèverait dans une fourchette de 3 à 10 euros par jours98, pourrait rapporter jusqu’a 50 millions d'euros par an selon les premières estimations de la commune de Venise, ce qui permettrait à la fois de limiter les effets du

Robert, À Venise, le tourisme est le problème, mais aussi la solution, 19 Juillet 2017, (consulté le 16 Novembre 2019), disponible sur : slate.fr 97 PANFILI

Emilie, Venise : la taxe pour les touristes (encore) repoussée à Juillet 2020, Octobre 2019, (consulté le 12 Novembre 2019), disponible sur : lechotouristique.com 79 98 VISON


tourisme de masse et de soulager l'économie de la ville. Mais celle-ci, faisant de nombreux débats, a été une fois de plus repoussée, et cette fois-ci au 1er Juillet 2020. Pour faire face aux nombreuses incivilité des touristes, ainsi qu'au non respect des lieux, la municipalité a lancée une campagne de sensibilisation de la ville de Venise appelée #EnjoyRespectVenezia. Cette campagne a été lancée à l’occasion de l’Année Internationale du Tourisme Durable pour le développement99 , afin d'inciter les visiteurs à adopter des comportements responsables et respectueux envers l'environnement, le paysage, les beautés artistiques, l'identité de Venise et ses habitants. Son but est aussi d’augmenter la prise de conscience de l'impact du tourisme pour diffuser une manière de voyager responsable qui contribue à l'élaboration d'un développement durable. Cette campagne prend la forme de panneaux affichant les interdits et contraventions à l'aide de petits logos compréhensibles par tous, ainsi que de dépliants dans lesquels sont mis en avant les qualités de la ville, et où l'on retrouve les logos d’interdictions. En voici quelques uns, tirés d’un dépliant que j’ai récupéré sur place.

FIG 59 : Prohibited Behaviours », #EnjoyRespectVenezia, Citta’di Venezia, 2019. 99

Année 2017. 80


Toutes ces mesures prises pour limiter le tourisme de masse dans la ville n'excluent pas l’activité touristique, elles le contrôle et le rend tout simplement payant, ce qui contribue un peu plus à assimiler Venise à un parc d’attraction.

POUR ÉCHAPPER AUX GRANDES MARÉES L'affaissement de la ville, le réchauffement climatique et la montée des eaux de la mer, sont des facteurs qui menacent depuis plusieurs siècles d’ensevelir Venise sous l’eau. La ville devait donc élaborer un projet qui assurerait sa pérennité et celle de la Lagune, tout en gardant son esthétique et une activité économique à la hauteur des métropoles européennes. C’est de cette nécessité qu’est né le projet Moise. Le projet Moïse, « Mose » en italien : Modulo Sperimentale Elettromeccanico, s’inscrit dans le cadre de la sauvegarde de Venise. La Cité des Doges est en effet menacée par les incursions d’eau de mer qui surviennent fréquemment lors des grandes et moyennes marées. Ce projet date de 1966, en effet, la terrible inondation qui eut lieu cette année là fit prendre conscience des menaces qui pèsent sur la ville. Parmi les nombreux projets proposés c’est Moïse qui fut retenu en 1981. Il a été mis au point en accord avec « Venice Water Authority » et le « Consorzio Venezia Nuova ». Le projet conceptuel fut achevé en 1989, puis le projet préliminaire vit le jour en 1992. Alors commença la phase finale et de nombreuses mises au point en réponse à différentes études réalisées et critiques formulées. La construction devait débuter le 29 avril 2003 mais elle a été reportée. Huit années de travaux seront nécessaires avant que les barrières soient opérationnelles et leur coût s’élèvera à plus de 6 milliards d’euros. Le projet Moise a pour objectif de protéger l’ensemble de la lagune du phénomène d’acqua alta, pour cela on isole la lagune de la mer si nécessaire en fermant les trois passes d’entrée (la porte du Lido, la porte de Malamocco et la porte de Chioggia100 ) par des barrières modulaires mobiles. Le principe qui a été retenu est le suivant : en temps normal, les 79 caissons modulaires constituant les barrières sont remplis d’eau et reposent au fond des canaux d’entrée, dans des loges creusées à cet effet. Le système est alors totalement invisible. Lorsque les prévisions hydrométéorologiques annoncent une montée du niveau de la mer au-delà du seuil de + 110 cm, de l’air comprimé est insufflé dans les caissons : l’eau qu’ils contiennent est chassée en quelques heures. Les caissons, au fur et à mesure qu’ils se remplissent d’air, remontent vers la surface sous la poussée de flottaison, tout en restant amarrés au sol par la base. Ils prennent ainsi une position quasi-verticale et dépassent le niveau de la mer. Alors bien visibles, ils constituent un rempart contre l’eau de mer pendant la marée haute. Une fois les niveaux d’eau redevenus identiques côté lagune et côté mer, les modules sont à nouveau remplis d’eau de mer et rejoignent leur cavité au fond des passes. Chaque module fait environ 20m de large, 4m d’épaisseur et une hauteur 2 fois égale à la hauteur moyenne d’eau dans la passe. Le concept de barrières modulaires 100

Conf. FIG 22 : Vue aérienne de Venise et de sa lagune p.34. 81


indépendantes permet de réduire les fondations et d’alléger la structure. Les modules ne peuvent être sortis de l’eau. Tout l’entretien doit donc être réalisé sur le site même, sous l’eau. Toute la machinerie et l’alimentation (air comprimé, électricité) passent par un tunnel immergé. Les modules pivotent indépendamment les uns des autres, en conséquence l’étanchéité de la barrière est imparfaite : de l’eau de mer pénètre dans la lagune à une vitesse qui a pu être évaluée. Cela fixe la durée d’efficacité du système en fonction de la hauteur moyenne de la mer et de l’arrivée d’eau du côté de la lagune. La barrière peut résister à une différence de 2 mètres d’eau entre la lagune et la mer101.

FIG 60 : Schéma du principe simplifié du projet MO.S.E, 2017, BRINDAMOUR Jean.

Alors qu’il devait être inauguré en 2016, le chantier a pris beaucoup de retard, à cause des difficultés de mises en place, des nombreuses batailles juridiques des opposants, des mouvements écologiques n’approuvant pas le projet car pour eux, il est destructeur de l’écosystème de la lagune; mais notamment quand en 2014, un énorme scandale financier éclata mettant en cause une centaine de personnes qui auraient effectué des détournements d’argent public, dont l’ancien maire de Venise, Giorgio Orsoni, qui a été interpellé. Les autorités judiciaires, qui menaient depuis plusieurs années une enquête sur les diverses malversations liées à ce projet, estiment à 1 milliards d'euros les sommes en jeu, soit un cinquième du coût final de la construction du projet MO.S.E. Repoussé à de très nombreuses reprises, le livraison du projet est à l'heure actuelle prévue pour permettre de premiers essais à l’automne 2019 et une inauguration en 2020. Ce projet titanesque a forcément une limite, l'eau qui ne cesse d’augmenter passera dans quelques années au dessus de ces digues laissant pour inutiles ces grands caissons de ferraille engloutis dans la lagune. Pire encore, si jamais l’un d'entre eu ne résiste pas à la force de l’eau, c’est tout droit sur la ville de Venise qu’il finira sa course emporté par les vagues. Un jour ou l’autre, la nature le rattrapera. 101

mosevenezia.eu 82


FIG 61 : La porte de Malamocco, 16 Mai 2016, mosevenezia.eu

FIG 62 : Test du soulèvement de la barrière, 26 Mai 2016, mosevenezia.eu

83


Tous les moyens sont imaginés, pensés, travaillés et pour la plupart mis en place dans le but de sauver Venise de son engloutissement touristique et aquatique. Les impacts de l’homme ont accompagnés ceux de l’environnement pendant des siècles, et ont fortement fragilisés la ville mettant en péril son identité, sa richesse architecturale, ses habitants, et remettant en cause sa place sein de l’UNESCO comme étant reconnu en tant que patrimoine mondial. Les évolutions technologiques, les avancées industrielles et l'évolution des sociétés et de l’homme; qui ont permis de développer des moyens de déplacements rapides comme l'avion ou la voiture; et les tendances et facilitées aujourd’hui à pouvoir voyager partout dans le monde, ont touché Venise au moment où elle était faible et vide d’activité. Accueillant le tourisme et le prenant comme sa principale activité visant à enrichir son économie, Venise se retrouve coincée dans un dilemme qui l’oppose entre le réel et l’irréel. Années après années, elle ne semble être qu'a un fil de tomber du côté de l'irréel en se transformant en parc d’attraction la destituant de son nom de « ville ». Paradoxalement, le tourisme détruit Venise, mais il la maintient aussi en vie en devenant une sorte de monoculture économique.

84


85


86

FIG 63 : Et Venise sombre…, 2019, ESPARON Hélène


Conclusion Construite de la mains de l’homme et portée jusqu’a son apogée au XVes, Venise, d'une singularité particulière, fut la plus grande ville marchande d’Europe. Elle a fondée en plusieurs siècles ses propres qualités, sa puissance et sa richesse en surmontant tous les évènements qui s’abattait sur elle et en se faisant respecter partout dans le monde grâce à sa grande notoriété. Son déclin, marqué par une diminution de son activité navale, par l'invasion des troupes napoléoniennes et par son emprise par l’Autriche, ont été les évènements déclencheurs de sa transformation en ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Impuissante, dirigée, transformée et bouleversée, les changements qui lui sont imposés de la modernité, l'ont peu à peu vidée de ses qualités. Vide de sens et sans activité pour faire vivre son économie, elle s'est très vite rattachée à l'activité touristique; amplifiée par les développements technologiques des XXes et XIXes qui ont favorisé de nombreux échanges dans le monde entier; qui lui a finalement causée beaucoup de dégâts. Malgré les prises de conscience et de mesures pour empêcher l’anéantissement et la Cité des Doges et de la voir disparaitre, celles-ci ne font que retarder la mutation de la ville qui voit, un peu plus, sa réalité devenir fictive, mettant son identité et ses richesses au profit de sa nouvelle activité; Venise ville autrefois marchande, se voit alors devenir marchandise. Aujourd’hui, le mot le plus employé pour décrire le facteur destructeur de la ville est : le tourisme. Et Venise n'est pas la seule à être dans cette situation où cette masse touristique l’empoisonne. De grandes villes comme Barcelone en Espagne; qui a accueillie plus de 18 millions de touristes en 2017; ou Dubrovnik en Croatie; qui a atteint un pic de 112 000 touristes par mois; mènent la même bataille que celle de Venise, c’est à dire sauver leur ville du tourisme. Mais le fait de visiter une ville et d’avoir la volonté d'y rester le temps de quelques nuits, est-il réellement la cause du problème? Ou ne serait-ce qu’une question de volume, de quantité, du nombre de personnes venant à un endroit en même temps? Ne dépend-il pas de la capacité du lieu à pouvoir recevoir? Certainement, mais il est compliqué de gérer ces choses là quand le mal est déjà fait. Alors comment l'architecte peut-il être acteur de l’anti-destruction d'un lieu par le tourisme? Ou comment peut-il prévenir un lieu des bouleversements que peuvent engendrer les impacts touristiques? Face à cette situation, l’architecte se doit d’abord de se positionner quant à la question du tourisme. En tant que future architecte, je pense que trois positions peuvent exister si l’on décide d’intervenir dans un endroit déjà très touché par le tourisme: le contrer, l’éviter ou l’assumer. 87


J’avais pour projet de continuer d’étudier cette question à travers la ville de Venise pour mon PFE de 2020. Concernant ma prise de position, j’avais choisi celle d’assumer le tourisme. Pour moi, il était plus cohérent plus judicieux et plus intéressant d’essayer de travailler avec la situation actuelle de Venise; pour apporter quelque chose de positif; plutôt que de l’éviter au risque de ne pas être en cohésion avec elle, ou de la contrer au risque d’en subir les répercussions. Une idée de projet m’était alors venue en regardant le film de Luchino Visconti, Mort à Venise; j’ai été interpellée par un bâtiment; l’hôtel dans lequel se passe un bon nombre de scènes au début du film; que je n’avais pas reconnu, c’était le Grand Hotel des Bains située sur le Lido de Venise. Aujourd’hui désaffecté, une transformation de cet ancien hôtel en logements de luxes pour touristes avait été proposé, mais le chantier n’a jamais eu lieu. C’était alors pour moi une occasion de pouvoir intervenir sur ce bâtiment du XXes, autrefois construit pour attirer de riches touristes, afin de développer ma position et de rechercher comment je pouvait de par un projet éviter la destruction du lieu par le tourisme. Mais après mûres réflexions et discussions avec un bon nombre de mes professeurs, il s’est révélé pour moi être plus intéressant de travailler sur la question de la prévention d’un lieu qui menace de se retrouver dans une situation de bouleversement face au tourisme. Prévenir un lieu, c’est prévenir les risques du tourisme de masse qui peuvent engendrer la destruction du lieu, c’est le préserver et le rendre dominant avant qu’il ne se fasse dominer. Un exemple d’un lieu qui s’est fait dominé, est la Grotte de Lascaux, inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. La position qui a été prise et la solution apportée face à la dégradation de ce lieu, était de contrer le tourisme en fermant définitivement leur accès au public. Cette solution radicale est absolument triste, à quoi bon vouloir préserver des dessins datant du Paléolithique, réalisés par nos ancêtres, si personne n’est présent pour les admirer ? Prévenir un lieu, c’est mettre en place de réelles solutions en passant d’abord par la compréhension du lieu dans lequel on souhaite intervenir. Il est important de comprendre un lieu, son fonctionnement, de l’écouter, lui et son environnement proche comprenant aussi ses habitant s’il y en a, mais aussi ses qualités et défauts. Prévenir un lieu, c’est se l’imaginer dans la pire des situations, pour le préserver des moindres risques qui peuvent le bouleverser. Enfin, prévenir c’est croire en la possibilité d’un environnement meilleur pour le lieu, générer une sorte de ceinture protectrice qui, à tout obstacle, préservera l’identité du lieu l’éloignant des bouleversements que peuvent causer le tourisme.

88


89


Bibliographie OUVRAGES CATLING Christopher, Venise et la Vénétie, Hachette, 2005, 311 p. SITTE Camillo, L’art de bâtir les villes, L’urbanisme selon ses fondements artistiques, trad. par D.Wieczorek, Seuil, 1996, 256 p. TRINCANATO Egle, Guide de l’architecture mineure, trad. Par M. Radini, Venise, Canal&Stamperia, 1995, 70 p. GOY Richard, Venise, la ville et son architecture, Phaidon Press, 2002, 320 p. LANAPOPPI Paolo, Caro turista, Venise, Corte del Fontego, 2011, 36 p. TANTUCCI Enrico, A che ora chiude Venezia ?, Venise, Corte del Fontego, 2011, 36 p. SOMMA Paola, Benettown, Venise, Corte del Fontego, 2011, 36 p. GIANIGHIAN Giorgio, PAVANINI Paola, Voilà Venise, Venise, Gambier&Keller, 2010, 80 p. TRINCANATO Egle, FRANZOI Umberto, Venise au fil du temps, trad. Par J. et G. Genot, Boulogne-Billancourt, Joël Cuénot, 1971, non paginé. MATTHIEUSSENT Brice, LAMBERT Edwige (dir.), Venise un voyage intime, revue Autrement, hors

série n°14, Paris, Octobre 1985, 222 p.

RAPPORT D’ÉTUDE CHENU Laurent, DOZIO Marie-José, FEDDERSEN Pierre, NOSCHIS Kaj, Identité et comportement en milieu urbain, Venise, Avril 1979, 138 p.

ARTICLES EN LIGNE DE THIER Frédéric, Impacts et menaces portant sur un site patrimonial à haute fréquentation touristique, le cas de Venise. Grade académique de Master en Sciences et Gestions de l’Environnement : Université Libre de Bruxelles : Institut de Gestion de l'Environnement et d’Aménagement du Territoire : 2017. 84 p. (consulté le 20 Octobre 2019). Disponible sur : http://mem-envi.ulb.ac.be/Memoires_en_pdf/MFE_16_17/ MFE_De%20Thier_16_17.pdf TARRIEUX Jean-Paul, Tourisme - Venise face au sur tourisme, BTS Tourisme Lycée Gaston Berger, Lille, Novembre 2018, 65 p. (consulté le 20 Octobre 2019). Disponible sur : http://heg.discipline.ac-lille.fr/archives/ressources-bts-tourisme/ europe/venise-face-au-surtourisme

90


LENASSI Alvise, MINTO Marika, PESCE Chiara et SIMONE Domenico, Le Dinamiche del turismo, una finestra sulla provincia di Venezia. Ente Billaterale Turismo dell’area veneziana, non daté, 160 p. (consulté le 16 Novembre 2019). Disponible sur : http://www.ebt.ve.it/sites/default/files/ le%20dinamiche%20del%20turismo.pdf ASSESSORATO AL TURISMO, Città’ di Venezia, Annuario del Turismo 2017. 2018, 150 p. (consulté le 13 Novembre 2019). Disponible sur : comune.venezia.it/sites/comune.venezia.it/files/immagini/Turismo/ ANNUARIO%202017%20Ver%202.8.1%20cover.pdf BOIRON Zoé, Pourquoi les paquebots de croisière continuent d’accoster à Venise?, 3 juin

2019 (consulté le 13 Octobre 2019). Disponible sur : lefigaro.fr

REPORTAGES C’EST PAS SORCIER, Venise, Youtube, 15 Mai 2013, (consulté le 20 Septembre 2019), 29:01min. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=kiKHDouin5M L’OMBRE D’UN DOUTE, Venise la cité des mystères, Youtube, 2017, (consulté le 15 Octobre 2019) 1:51:20 min. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=Jh_6hCiBNSw ENVOYÉ SPÉCIAL , Un été à Venise, Youtube, 19 Septembre 2018, (consulté le 18 Mai 2019), 33.25 min. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=Uimc9PRxd0M ECHAPPÉES BELLES, Venise, l’Eternelle, Youtube, 25 Août 2015, (consulté le 10 Septembre 2019), 1:29:50 min. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=8_wG7FvTJhU BARBARA NECEK, Sauver Venise, Youtube, 23 Aout 2018, (consulté le 23 Octobre 2019), 45:38min. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=ABjZ-XwGeho R.C.A PHOTOPHONE,

Mestre, i lavori del nuovo ponte che unirà Mestre a Venezia stanno per essere ultimati, Youtube, 5 Avril 2011, (consulté le 18 Novembre 2019), 3:40min. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?time_continue=3&v=aq7DesvsY94&feature=emb_title R.C.A PHOTOPHONE,

L’isolamento di Venezia è finito senza alcuna offesa alla sua divina bellezza, il gigantesco ponte lagunare voluto dal duce, Youtube, 4 Avril 2011, (consulté le 18 Novembre 2019), 3:12. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=dw7BCN-ZQrU&feature=emb_title

SITES WEB PERUNALTRACITTÀ, (consulté le 5 Mars 2019). Disponible sur : perunaltracitta.org 91


EDDYBURG, (consulté le 5 Mars 2019). Disponible sur : eddyburg.it CIVITATIS VENISE, (consulté le 23 Octobre 2019). Disponible sur : venise.net VENISEVENICE, (consulté le 20 Novembre 2019). Disponible sur : venise-venice.com VENEZIATODAY, (consulté le 20 Novembre 2019). Disponible sur : veneziatoday.it LAROUSSE, (consulté le 20 Décembre 2019). Disponible sur : larousse.fr TUTTITALIA, (consulté le 20 Décembre 2019). Disponible sur : tuttitalia.it FUTURASCIENCES, (consulté le 14 Décembre 2019). Disponible sur : futura-sciences.com WORLD TOURISM ORGANISATION, (consulté le 12 Décembre 2019). Disponible sur : unwto.org GLOSSAIRE GÉOCONFLUENCES, (consulté le 13 Mars 2019). Disponible sur : geoconfluences.ens-lyon.fr CITTÀ DI VENEZIA (consulté le 10 Octobre 2019). Disponible sur : comune.venezia.it

FILMS CASTELLANI Renato, Roméo et Juliette, 1954, 2h22min WATTS Jon, Spider man : Far from home,2019, 2h10min VISCONTI Luchino, Mort à Venise,, 1971, 2h11min

DÉPLIANTS Venice Events Walks & Tours, VeniceEvents planned to perfection, hiver 2018/2019, 24 p. CityPass, VeneziaEUnica. #Enjoy Respect Venezia, VeniziaEUnica.

92


93


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.