Les Lieux de mémoire - Mémoire Licence

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LES LIEUX DE MEMOIRE monument aux morts - mémorial Canadiens de Vimy - Ossuaire de Douaumont - mémorial de Mondement - mémorial des martyrs de la déportation - mémorial de l’holocauste de Berlin - mémorial de l’holocauste de Washington - mémorial notre Dame de Lorette - mémorial des fosses ardéatines - mémorial de Rivesaltes - mémorial ds Sintis et des Roms mémorial du martyr juif inconnu - la bibliothèque vide - Le mémorial aux soldats du feu - mémorial de Yad-Vashem

ESTELLE GUIRAUD - DIRECTEUR DE MEMOIRE : JEAN-BAPTISTE HEMERY

ESTELLE GUIRAUD

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Remerciements: Je souhaite adresser mes remerciements aux personnes qui m’ont aidé dans l’écriture de ce mémoire. En premier lieu mon directeur de mémoire, Jean-Baptiste Hemery, qui m’a guidé dans ma réflexion et mon travail, mais aussi pour sa patience et sa pertinence.

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Ensuite ma famille pour les relectures et ma soeur Camille Guiraud pour ses connaissances en histoire et quelques-uns de ses cours. Sans eux la réalisation de ce mémoire n’aurait pas été possible. Merci.



Sommaire:

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Introduction

p.6-12

Termes et concepts de référence

p.12-14

Premiere partie: approche historique, sociologique, liens entre la premiere guerre mondiale et la deuxième guerre mondiale

p.18-42

deuxième partie: La polique des mémoriaux et l’héritage patrimonial, pédagogique

p.46-56

troisième partie: L’impact architectural, création d’un nouveau lexique

p.60-98

Conclusion

p.102-106

bibliographie

p.108

Iconographie

p.109-110



Introduction

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Fig 01, Entrée du mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson


Introduction: Les lieux de Mémoire

La place de la mémoire au cours du temps

La mémoire commémorative a pour but de s’inscrire dans le temps, d’élever certains faits et personnes comme martyr dans le souvenir ou de les laisser tragiques. On émet l’hypothèse que cette mémoire est composée de plusieurs axes celle de la mort, des victime, du temps, des lieux. C’est une mémoire qui retrace l’humanité tout entière. La définition des lieux de mémoire est en fonction de ce qui s’est passée à cet endroit-là, notre discours sera orienté vers les mémoriaux d’après la seconde guerre mondiale pour leur architecture et les principes mis en avant, il est important de préciser que le travail de mémoire et des mémoriaux existait bien avant. La mémoire et l’histoire, loin d’être synonymes sont à dissocier pour comprendre leur impact et leur rôle. Le fait de se souvenir est propre à l’homme, lui-même déformera la mémoire inconsciemment au fil du temps. La mémoire n’est pas objective, dans le sens où les actions qui ont eu un lien seront comprises différemment, et l’homme prend toujours un parti. Influencé par son passé, sa situation politique ou sa culture. D’un pays à un autre, il est compliqué de ne pas être subjectif. Pour comprendre la mémoire ou son devoir, il faut assimiler l’histoire d’un pays ou d’une personne. L’attachement à l’histoire expliquera la volonté de perpétuer son souvenir. Pour se commémorer il faut un lieu, et c’est grâce à l’architecture que la mémoire s’exprime. De nouvelles notions sont apparues au fil du temps, comme les mémoriaux, lieu de commémoration. Leur écriture architecturale évoluera avec le temps. Plus généralement, l’enjeu relève de la détermination de ce qui appartient au patrimoine national, et interroge les processus de transmission. Suite aux évènements tragiques après la seconde guerre mondiale, il y a une relecture de la construction de la mémoire et de l’identité d’un pays, il faut « domestiquer l’histoire ». C’est l’héritage des notions qui vont se transmettre aux générations futures. L’historien Moses Finlet écrivait : « On ne peut vraiment connaitre son propre temps… Le passé ne peut rien fournir de plus que des exemples confirmant les conclusions tirées à partir du présent.. » ¹. 9

¹ M.Finlet, Mythe, mémoire, Paris Flammarion, 1981


Fig 02, Wattignies, Monument aux Morts de 1914-1918

Fig 03, BrĂŠa, Monument aux Morts de 1914-1918


Introduction: Les lieux de Mémoire

La place de la mémoire au cours du temps

Dans le cas de la Première Guerre Mondiale, on édifiait des héros, pour la Seconde Guerre Mondiale on parle de témoins, car les fondements idéologiques qui sont touchés ne sont pas les mêmes, on a touché à l’humanité avec ces actes-là. Les mémoriaux sont créés pour la disparition des morts et non pour les proclamer, leur proposer une mort digne. Le travail réalisé sur cet axe a été particulier et il s’est traduit sous de nombreuses formes matérielles en faisant appel à différentes disciplines (sculpture, sociologie, historique…). Selon le pays le travail mémoriel a commencé quelques années après la fin de la guerre comme pour la France, pour l’Allemagne, il a fallu de nombreuses années, pour établir une réflexion qui satisfait le peuple allemand mais aussi les associations. Pour que la mémoire soit éternelle, elle doit être inscrite dans des matériaux durs et intemporels. L’architecture jouera le rôle le plus essentiel, elle doit retranscrire les émotions, le vécu en laissant au visiteur une réflexion qui lui sera personnelle. Elle prendra tout son sens avec la création de monuments chargés d’histoire, il faudra faire la différence entre les lieux de mémoire comme les musées, les mémoriaux, les monuments aux morts. La trace indélébile laissée par les bâtiments est la matérialisation de la mémoire. Le mémorial permet la conservation du souvenir, comme un écrin. A partir de ces explications, le programme commémoratif des mémoriaux est exceptionnel. La mémoire peut être assimilée à la vie, elle peut être déformée avec le temps. Dans ce mémoire on retrouvera un parcours suivant des thématiques précises celle de construire pour commémorer avec les idées principales de la mémoire, pour la conception des mémoriaux, leurs valeurs architecturales et leur écritures. On proposera un parallèle entre le développement de la mémoire identitaire en Allemagne et la mémoire en France, comme dans la construction de leurs mémoriaux. On finira alors par les écrits possibles laissés dans le patrimoine, la pédagogie pour les générations futures et l’influence de la politique dans leur construction, propre à chaque pays pour répondre à la problématique suivante : comment la retranscription de la mémoire a-t-elle évolué après la première guerre mondiale et la deuxième guerre mondiale, dans l’architecture. 11



Termes et concepts de référence: Analyse des termes habituels sur le sujet

depuis La bibliothèque vide et le mémorial de l’holocauste de Berlin, de Regis SchlagdenHauffen

L’antisémitisme : L’antisémitisme moderne surgit en Allemagne peu après la création de l’Etat national en 1871. Cette nouvelle poussée d’hostilité envers les juifs coïncidait avec l’aboutissement du processus d’émancipation engagé en Allemagne dans le sillage de la Révolution Française. Le terme fut créé en 1879 par le journaliste Wilhelm Marc. Mais l’antisémitisme n’avait pas uniquement trait à des préjugés xénophobes, sociaux et ou religieux qui existant depuis longtemps. Commémoration et remémoration : Les phénomènes de commémoration s’opposent aux phénomènes de remémoration, assignés à la seule mémoire privée. Avec la remémoration, l’accent est mis sur le retour à la conscience éveillée d’un évènement reconnu comme ayant eu lieu avant le moment où celle-ci déclare l’avoir éprouvé, perçu, appris. La marque temporelle de l’auparavant constitue le trait distinctif de la mémoration, sous la double forme de l’évocation simple et de la reconnaissance, concluant le processus de rappel. La commémoration désigne le rappel d’un évènement avec plus ou moins de solennité. Une commémoration ne peut avoir lieu que dans un lieu donné ayant un lieu avec l’évènement qu’il s’agit de réactualiser. Ce type de manifestation nécessite une mise en scène particulière. Ces acteurs sont nécessaires pour conférer à la commémoration sa légitimité, lui permettant de continuer à s’inscrire dans la mémoire collective. Identité et nation : L’identité en rapport au concept de nation consiste en un ensemble de marqueurs faisant que les membres d’une nation ont la capacité de se reconnaitre en celle-ci. L’identité devient facteur d’unité et de cohésion. A l’heure actuelle en Allemagne, la notion de culture commune est réellement le marqueur significatif prévalant au concept de nation mais aussi d’identité. Ces deux concepts ne peuvent, par conséquent, être saisis que selon une acception diachronique. Mais nation et identité sont des concepts évolutifs dans la mesure où le temps qui passe est le forgeron de leur unification. 13



Termes et concepts de référence: Analyse des termes habituels sur le sujet

depuis La bibliothèque vide et le mémorial de l’holocauste de Berlin, de Regis SchlagdenHauffen

Souvenir et oubli : Le souvenir est le retour de l’esprit d’un fait rapporté à un moment déterminé du passé. C’est encore ce qui rappelle la mémoire d’une personne, d’un évènement. Tout souvenir est la réactualisation d’un présent dans un présent passé, mais le présent dont les individus se souviennent est une construction sociale. L’oubli désigne l’absence de souvenir dans la mémoire individuelle ou collective. Dans ce cas, l’oubli fait pour ainsi dire couple avec le pardon, car le pardon fait référence à la culpabilité, la faute et la reconnaissance. C’est en somme la force vive de la mémoire et le souvenir en est le produit. Mémoire et devoir de mémoire : La mémoire désigne le plus simplement la faculté de conserver et rappeler des sentiments éprouvés, des idées des connaissances acquises. Sans elle nous ne pourrions-nous construire individuellement ni entrer en communication avec autrui. La mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective est attachée à une perspective. Le devoir de mémoire est le devoir de rendre justice, par le souvenir, à un autre que soi. On retrouve ces traits dans la notion de reconnaissance. Patrimoine : On est obligé de faire une comparaison avec l’histoire, il ne sélectionne qu’une partie du passé, c’est comme les éléments que la mémoire sélectionne, tout en cherchant une identité et une légitimité dans la société contemporaine. Ainsi le patrimoine est une vue au présent du passé, qui révèle aussi les inspirations futures des acteurs qui l’initient. Patrimoine et commémoration s’inscrivent ainsi dans les mêmes dynamiques. 15



Premiere partie:

approche historique, sociologique, liens entre la premiere guerre mondiale et la deuxième guerre mondiale

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Fig 04, Catalogue des fonderies, pour les monuments aux morts de 1914-1918


Première partie:

Situation après la Première guerre Mondiale

Après de la Première guerre mondiale, la France fait partie des pays vainqueurs, il y avait des héros à se souvenir, des batailles qui ont laissé des cicatrices dans les mémoires et dans les paysages. Pour se souvenir et commémorer les guerres mondiales, il existe des monuments dédiés à la mémoire. C’est à ce moment que le travail de mémoire commence, au travers de l’architecture. Il existe quatre grands types de monuments mémoriels : des monuments aux morts élevés par les villes par exemple, puis les monuments rappelant les morts des grandes écoles et des administrations, les monuments évoquant des évènements précis et les monuments religieux. Toute la France semble être devenue un immense espace de commémoration. Bien souvent financés en partie à l′aide de la souscription publique, les monuments aux morts érigés ont fait systématiquement l′objet d′une délibération du conseil municipal qui inscrivait cette dépense au budget de la commune. Les projets retenus devaient alors passer au crible d′une commission de contrôle départementale constituée de personnes qualifiées. Il n’a pas été accepté des insignes religieux pour des monuments qui allaient être placé sur une place ou en espace publique. Erigés principalement entre 1920 et 1925, les monuments aux morts de la Grande Guerre ont donné lieu à une production variée, allant de la simple stèle ou de la simple plaque commémorative apposée sur un mur à la composition monumentale d′un artiste, en passant par une large gamme d′œuvres de série ou préfabriquées figurant dans des catalogues de fonderies mis à la disposition des commanditaires. C’est pour cette raison que les monuments possèdent des éléments en commun, comme l’obélisque ou bien les obus qui l’entourent. Le monument présente systématiquement une inscription commémorative associée à la liste des noms des victimes de la Grande Guerre, figurant souvent en lettres dorées ou couleur sang, classés soit par ordre chronologique de disparition, soit par ordre alphabétique ou les deux combinés. Le type de monument aux morts le plus répandu fut sans conteste le monument en forme d′obélisque. Le discours prédominant de l′époque tendant à l′héroïsation des victimes, et ce probablement dans une optique d′exaltation de la Patrie à des fins de légitimation à posteriori du conflit et des pertes humaines massives. Car même si la France gagne la guerre, les morts appartiennent aux villages, qui les érigent en vainqueurs emblématiques. 19


Fig 05, mĂŠmorial de Rivesaltes, Perpignan, Rudy Ricciotti


Première partie:

Transmission de la mémoire collective

« La mémoire est la vie portée par des groupes vivants. L’histoire est une représentation du passé » ² . Selon le groupe qui raconte les évènements passés, le fait de transmettre l’histoire sans la figer avec des écrits cause une perte d’authenticité, les propos se retrouvent déformés, la perte d’authenticité est un risque important. C’est à partir de cette sacralisation et banalisation qu’il est décidé de bâtir des monuments à leur image, pour se souvenir des «belles» actions ou celles qui ont blessés une patrie. Dans ces mémoriaux de la Première guerre mondiale, la mémoire n’est pas objective (pour les monuments évoquant des évènements précis), la décision est de se rappeler les évènement qui vont amener une pensée en partie positive dans un pays souffrant. La volonté est tout autre en Allemagne, il existe un esprit revanchard suite à la défaite et aux différents traités qui l’ont oppressé (la perte de l’Alsace, Lorraine, le traité de Versailles..). Ce sont les nationalistes qui ont saisi l’occasion pour soulever un peuple derrière une pensée extrême. Le cadre est alors différent et cela causera la Seconde guerre mondiale. C’est le message que souhaite faire passer l’état français, le choix est possiblement orienté pour aider le pays à sortir de ce souvenir d’effroi. Alors que l’histoire est universelle, et appartient à tout le monde. Tout le monde ne se rend pas dans un mémorial par curiosité, il faut se sentir concerné par l’acte, pour vouloir se commémorer le passé, faire un deuil. Les architectes et les artistes qui construisent les lieux de mémoire (mémoriaux, sculptures, musées..) doivent donner un investissement particulier. La mémoire est un devoir, il faut la perpétuer pour éviter les erreurs du passé. Même s’il reste des archives historiques, les documents sont difficilement accessibles pour tout le monde, sauf s’ils sont associés dans certains mémoriaux à un centre de documentation. La construction des mémoriaux permet un lieu de repère du souvenir, où la mémoire est indélébile. La mémoire s’accroche à des lieux comme l’histoire à des évènements. 21

²P.Nora, Les lieux de mémoire tome 1, Gallimard, 1997, page 24-25


Fig 06,mĂŠmorial de notre Dame de Lorette, philippe Prost


Première partie:

Définition d’un lieu de mémoire

Il faut différencier les lieux monumentaux, dans le sens sculpture, représentation iconographique comme les monuments aux morts, avec les lieux architecturaux qui imposent une réflexion sur la démarche architecturale dans un espace précis, auxquels nous allons nous intéresser. Les premiers tiennent leurs significations de leur existence intrinsèque, ils sont imposés dans des villes, villages sans que le lieu sur lesquels ils reposent n’est une signification. Le visiteur peut s’identifier aux peuples qui ont subi de nombreuses souffrances même si il n’y est pas directement rattaché. Les lieux de mémoire ont en commun d’interpeller le visiteur et de déclencher en lui des émotions. Le dialogue avec un inconnu est possible lors d’un parcours dans un mémorial car il y a un partage de ressentis. C’est avant tout un lieu qui illustre la mémoire collective, elle est partagée et comprise par un public disparate, venu trouver une reconnaissance dans le mémorial. Les guerres mondiales sont enseignées à l’école le plus juste et objectivement possible. C’est en grandissant, avec notre culture personnelle que l’interprétation du parcours dans un mémorial diffère. C’est à la suite de leur visite que le visiteur peut comprendre leur impact, quelles réflexions sur l’histoire. Une commémoration est d’autant plus justifée si elle se trouve dans un lieu où s’est passé un évènement tragique. Les modèles mémoriaux sont-ils préformés ? Peuvent-ils influencer notre/la perception de la mémoire? Car nous tenons toujours les souvenirs pour vrais, sans être à chaque fois complètement objectifs. Ils doivent pousser notre réflexion personnelle. Les lieux de mémoire sont des éléments complexes qui se veulent dans leur justification simple mais en offrant une expérience sensible. Ils sont dans leur représentation à la fois preuve matérielle, symbolique et fonctionnelle de la mémoire, mais à des degrés différents selon les mémoriaux. C’est la manière dont ils traduisent l’émotion et la mémoire grâce à des matériaux, un parcours propre, à l’emplacement, ou à la lumière. L’espace est rendu plus ou moins appropriable par le spectateur. Il peut le pratiquer, se rendre compte des procédés mis en œuvre pour se commémorer ou alors participer à cette mémoire et en devenir acteur. Il est vrai que dans ces lieux le temps doit s’arrêter, bloquer le travail de l’oubli, fixer un état des choses. Les mémoriaux souhaitent figer la mort, comme le dit Pierre Nora : « Immortaliser la mort », pour commémorer l’histoire. Il s’agit d’enfermer le maximum de sens dans le minimum de signes, plus précisément après la seconde guerre mondiale, où il y a une évolution dans l’interprétation de la mémoire. Leurs significations seront assimilables différemment selon les personnes. 23


Fig 07, ossuaire de Douaumont


Première partie:

Description d’un mémorial de la première guerre mondiale L’Ossuaire de Douaumont

Dans le cas de la Première guerre mondiale, beaucoup des mémoriaux sont monumentaux, érigés vers le ciel, comme pour montrer une direction, avec souvent une signification propre au lieu d’implantation. Ils pointent du doigt un évènement qui marque les esprits, par son ampleur, ses conséquences et ses pertes (soldats, civils..) exemple : L’ossuaire de Douaumont dans la Meuse ou le mémorial Canadien de Vimy. Le premier mémorial est une représentation type du mémorial d’après-guerre. L’ossuaire a été inauguré le 7 aout 1932, et construit sur un des sites les plus meurtriers de la Première guerre mondiale : la bataille de Verdun. Le bâtiment repose dans un terrain où plus de 26 millions d’obus ont été tirés. Il se compose d’une tour en forme d’obus placé au milieu du mémorial, représentation linéaire de la bataille. Dans son plan, la tour repose sur une croix représentant les quatre points cardinaux. S’y trouve les ossements des soldats morts et non identifiés, proposant ainsi un espace de recueillement. Le mémorial regroupe un cloitre, une chapelle et un musée de guerre. Le lien avec la religion est très présent. Placé en haut d’une colline, il donne une vue en contre bas sur le cimetière national, avec 16 142 tombes, porteur de l’écriture : « mort pour la France ». Le mémorial se veut imposant par sa taille et la pérennité des matériaux. Erigé pour la Patrie, il est le symbole de cette bataille mais aussi de cette guerre gagnée malgré les pertes tragiques. Il vante l’héroïsme de ces soldats, orientant le souvenir de cette bataille vers un axe précis. Dans les salles de classe sont affichés les récits des batailles, des survivants, comme les gueules cassés, qui sont considérés comme des héros, rescapés des atrocités. La mémoire des évènements est propre à ces lieux, elle laisse une preuve irréfutable des actions, elle tente de figer dans la pierre une mémoire qui se veut objective, pure. 25


Verticalité

mémorial de Mondement

Verticalité principe architectural de la première guerre mondiale, mémorial de Mondement et Ossuaire de Douaumont

Horizontalité

Horizontalité principe architectural de la seconde guerre mondiale, mémorial de l’Holocauste et le mémorial de Pingusson

Fig 08, shémas explicatifs


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Fig 07, plan masse ossuaire de Douaumont 27


Fig 09, Croquis mémorial Canadiens de Vimy

Fig 10, mémorial Canadiens de Vimy


Première partie:

Symbolique d’un mémorial

Les monuments aux morts se trouvent dans chaque commune de France comme un rappel: chaque homme a été appelé et a participé à la guerre. Leur localisation n’est pas indifférente, il peut y avoir une perte de leur signification à cause d’un déplacement. Lors de leur construction, le maire devait penser à un espace public devant le monument pour accueillir des rassemblements pour les fêtes nationales. Un lieu comme le mémorial de Rivesaltes (de Rudy Riciotti) perdrait tout sa signification s’il était ailleurs. «Il existe des lieux dominants et les lieux dominés.» 3 Les premiers mémoriaux sont spectaculaires et triomphants, imposants et généralement imposées (nation, associations..) ont souvent la froideur ou la solennité des cérémonies officielles. Les seconds sont des lieux de refuge, les sanctuaires des fidélités spontanées et des pèlerinages. C’est le cœur de la mémoire. Les problèmes de conception des mémoriaux sont plus nombreux après la Seconde guerre mondiale, car on porte atteinte aux fondamentaux de la démocratie et à l’Humanité. Ce n’est pas comme pour la Grande Guerre. La conception se fait avec humilité et recul. Certains monuments comme le mémorial de l’holocauste de Berlin ont mis beaucoup de temps à voir le jour. C’est grâce aux mémoriaux que la mémoire survivra au temps. Les mémoriaux sont un rappel du passé, un enseignement du « tu ne reproduiras pas ». Les mémoriaux de la Première guerre mondiale sont à la gloire des vainqueurs de la Grande Guerre, il n’y a pas de réelle pensée pour le pays vaincus. Pour Douaumont, cela doit être l’âme de Verdun, avec à ses côtés un espace funéraire, dit religieux. C’est dans cet espace que l’âme du soldat est célébrée. L’hommage est rendu à chaque soldat mort au combat, mais pas en la Mort de l’Homme en particulier mais de tous les hommes tombés. C’est lors de la conception, que les architectes pensent à des mémoriaux qui pointent vers le ciel comme le mémorial de la bataille de la Marne, de Paul Bigot, ou encore du monument de la butte Chalmont dit « les fantômes » par le sculpteur Paul Landowski. Mais il existe d’autres monuments érigés vers le ciel comme les clochers dans chaque village. Il y a un lien avec la religion même si les mémoriaux se veulent laïcs, le fait de se diriger vers le ciel tend à penser à ce qui se passe après la mort, c’est le besoin de glorifier la France après cette grande Guerre. Cette verticalité peut être aussi traduite comme un élan vers un futur prospère. 3

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P.Nora, Les lieux de mémoire tome 1, Gallimard, 1997, page 42


Fig 11, mĂŠmorial des fosses ArdĂŠatines, Rome


Première partie:

Symbolique d’un mémorial

Après la Seconde guerre mondiale, que beaucoup d’historiens ont qualifié de tragique et inutile, l’évolution de la mémoire impose un tournant dans la réflexion et la conception des mémoriaux. L’atteinte à l’humanité était telle qu’il fallait une retenue, une certaine pudeur pour construire un mémorial qui sera la preuve physique de ces actions horribles. Le travail de mémoire est empreint des fondamentaux de la première guerre mondiale, et va s’en enrichir. Une nouvelle écriture architecturale et un nouveau lexique apparaissent. L’hypothèse est qu’ils tendent plus vers une forme horizontale, comme le mémorial des martyrs français des déportations de Pingusson ou le mémorial des fosse Ardéatines à Rome. Il n’y a plus de personnalisation des espaces, mais la construction d’un mémorial pour tout le monde avec une notion fondamentale, qui touche toutes les personnes qui viendront sur le site. Le fait de souvent dépersonnaliser une partie d’un lieu permet de laisser le visiteur réfléchir, sur ce qui s’est passé, sur soi-même mais de trouver aussi une paix intérieure possible, par exemple le cimetière américains sur les plages de Normandie qui dédie une croix à chaque soldat tombé au combat, l’addition des croix en bord de mer rend les pertes innombrables malgré tout il y a une unité dans l’espace. Pour les mémoriaux de la Première guerre mondiale on a un sentiment d’admiration face aux valeureux soldats qui ont sauvé la France. Pour les mémoriaux de la Seconde guerre mondiale, leur puissance réside dans leurs capacités à créer un lieu à la fois universel et spécifique. Il s’adresse à des personnes ayant vécu le drame mais aussi à tout à chacun, avoir une résonnance individuelle mais aussi communautaire. La forme horizontale est assimilée à une mémorisation contemporaine qui facilite la coexistence des lectures variées, des plus personnelles aux plus générales. Cette nouvelle génération de mémoriaux tend à développer une expérience participative chez le visiteur. « La matérialisation de l’absence et de la régénération passe dorénavant par la conceptualisation d’une intériorité qui se traduit formellement par des bâtiment en creux. » 4. C’est le passage de l’allégorie à une réalisation par la sensibilité qui laisse place à une dramaturgie silencieuse et à une conceptualisation de la mémoire chez le visiteur. Ce sont des cheminements contemplatifs qui l’invitent à se promener, s’assoir, se commémorer ou se recueillir, avec à la fois ce sentiment d’oppression et de réconfort. 31

AMC numéro 222, mars 2013

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Fig 12, La place des Martyrs Juifs du Vélodrome d’Hiver, Paris


Première partie:

Unité architecturale

Les nouveaux modèles commémoratifs font également preuve d’une certaine unité architecturale. Outre l’abstraction formelle qui les caractérise et qui renvoie à une symbolique de la perte et de l’immensité, les architectes font souvent usage de matériaux qui provoquent une unité importante. Même si c’est le cas pour ceux de la Première guerre mondiale, les matériaux sont pérennes, et traduisent la volonté du souvenir. Le mémorial impose un parcours au visiteur avec des espaces qui sont bien définis. Souvent, un point culminent montre l’importance des évènements où des soldats tombés au combat. Avec le temps l’évolution est marquée dans le style architectural mais cela est dû à l’évolution de la pensée, comme de la perception de la mémoire et comment elle va se transmettre. Les crimes contre l’humanité de la Seconde guerre mondiale ont choqué le monde entier. Il a fallu «mettre en scène» une souffrance, difficile à matérialiser. On tente d’intégrer à ces nouveaux mémoriaux une notion pédagogique pour les générations futures, il faut une trace forte pour marquer les mémoires pour les décennies à venir. Il y a une recherche dans l’égalité des victimes. Tous les morts méritent un hommage, c’est au nom d’un peuple, ou d’une catégorie de personnes (exemple : les enfants du Vél d’Hiv, monument commémoratif du quai de grenelle par l’architecte Mario Azagory). Les guerres ont été différentes mais toutes les deux meurtrières, elles ne laissent pas dans la mémoire le même impact. 33


Fig 13, MĂŠmorial Notre Dame de Lorette


Première partie:

Naissance d’une notion, les lieux de mémoire

Rappellerons que d’un point de vue patrimonial, la Première guerre mondiale est à l’origine de la notion que l’on appellera plus tard les lieux de mémoire. C’est en effet des 1920, dans un soucis de conservation des souvenirs et des vestiges de guerre, qu’il y a eu une des première mobilisations de la loi de 1913 sur les moments historiques visant à protéger des champs de bataille, des platesformes d’artillerie, des ouvrages fortifiés et autres abris allemands, ainsi que quelques édifices laissés délibérément à l’état de ruines. Pour les mémoriaux de la Grande Guerre cela se traduit par une démonstration de grandeur, alors que pour la seconde guerre mondiale, c’est dans la retenue et un respect pudique que les architectes construisent. L’architecte ne pense pas les mémoriaux comme des espaces pratiques, ou l’usage d’écoule de la fonction. La finalité du monument est de proposer un espace de recueillement dans le respect des actions du passé. La justesse du projet architectural est de pointer du doigt les terribles actions comme celles de la seconde guerre mondiale sans un inventaire de ce qui s’est passé. 35


Fig 14, MĂŠmorial des Fosses ardĂŠatines, Rome


Première partie:

Dualité France et Allemagne

Lors de son parcours, le visiteur doit être libre de ressentir une émotion qui lui est propre. On ne peut pas imposer le souvenir, C’est un lieu porteur de mémoire, elle y restera vivante comme le mémorial des fosses Ardéatines. Ce n’est pas comme « les musées qui sont assimilés à des lieux froids » comme dit Serfes Barcellini avec une absence d’un groupe social mémoriel. Même si un musée a été construit pour une exposition particulière, il peut s’adapter à différentes configurations. Ce n’est pas le cas d’un mémorial, on ne peut déplacer la mémoire ni la détruire, preuve évidente des erreurs du passé. Elle fait partie du mémorial au même titre que les murs. La perception de la mémoire est différente selon le pays, c’est pour cela que nous allons comparer la notion de commémoration dans la France mais aussi en Allemagne. La France a décidé de créer des lieux de mémoire pour la Seconde guerre mondiale dans un esprit de réunification et de reconstruction. Elle a longtemps été divisée en deux sous le régime de Vichy, la France est ruinée et au bord de la guerre civile. Ce n’est qu’en 1944 que le gouvernement tenu par le Général de Gaulle est reconnu et la IV république créée. La mémoire et l’histoire n’ont pas la même symbolique en Allemagne et en France. Il existe un mot en France pour désigner l’histoire vécue et l’opération intellectuelle qui la rend intelligible, alors qu’en Allemagne il existe deux sens pour le mot histoire, Geschichte pour l’histoire évènement tels des romans, celle que l’on enseigne à l’école et Histoirie pour la science, propre à l’histoire de l’Allemagne. La conscience historiographique est différente suite à ces évènements. Le mémorial est la résultante des actions subies et passées. Les pays ont alors du effectuer des démarches pour commémorer les atteintes causées aux fondements démocratiques. Le cas de l’Allemagne est différent, à la sortie de la Seconde guerre mondiale, elle se retrouve divisée: une Allemagne de Ouest tenue par les alliés (Amérique, France, Angleterre) la RFA (République Fédérale Allemande) et l’Allemagne de l’Est la RDA (République Démocratique Allemande, sous l’emprise de l’URSS) qui a empêché pendant longtemps une réunification de la mémoire et d’être politiquement unie. 37


Fig 15, la frontière du mur de Berlin, 1961


Première partie:

Re-construction de l’identité Allemande

Il est compliqué pour les deux Allemagnes de se reconstruire mais aussi d’accepter l’histoire. Le manque d’unité ethnique historique et culturelle des pays « encadrant » l’Allemagne l’empêchait de penser au devoir de mémoire. Dans l’Allemagne de l’ouest, la notion de culpabilité collective n’a jamais été revendiquée. Le rapport à la nation a été brisé. Comment peut-on aborder une mémoire collective, établir la paix intellectuellement dans un pays divisé. Il faut à nouveau la création d’une identité nationale pour se tourner vers une commémoration juste. Entre la fin de la guerre et la chute du mur de Berlin en 1989, la question mémoirelle était encore vague et non aboutie. C’est lors de la réunification de l’Allemagne que la question de la mémoire se pose réellement même si elle avait été abordée auparavant, les démarches commencent à aboutir et se concrétisent. Beaucoup d’allemands n’ont pas le sentiment que le chapitre de l’Histoire est clos. Une fois l’Allemagne réunifiée, il faut trouver une manière de se défaire de ce sentiment de culpabilité pour avancer. Contrairement aux pays appartenant au camp des vainqueurs, il n’y a pas ce sentiment de fierté nationale. Le fait d’avoir de nouvelles générations d’apès guerre permet d’avoir du recul et un nouveau point de vue. En France il y a une génération d’avant-guerre et une d’aprèsguerre alors qu’en Allemagne, il y en a une d’avant-guerre, d’après-guerre, mais aussi une génération avant la chute du mur et une après la chute. « Les lieux de mémoire » selon Pierre Nora sont des lieux de mémoire au sens propre et figuré : des lieux symboliques ou des formes d’expression « localisées » de la mémoire culturelle. 39


Fig 16, La nuit de cristal, 1938


Première partie:

Re-construction de l’identité Allemande

En Allemagne, après la défaite, il y a un temps du refus et de l’amnésie post traumatique, la tentation d’oublier le passé nazi a été très forte, comment assumer (pour mieux avancer) les atrocités qu’une partie de l’Allemagne avait causé. Même si l’Allemagne était divisée en deux, elle imposa aux vainqueurs de la laisser gérer la dénazification. C’est ce qui s’est passé de 1945-1949. Ensuite de 1949 à 1969, ce fut le temps du silence et de l’amnistie. Le peuple allemand parlait d’une indifférence, c’est un phénomène décrit par Hannah Arendt : « elle se reflète dans l’apathie, qui elle-même agit ou plutôt n’agit pas sur le destin des déplacés. Le manque général de sentiments, en tout cas cette dureté manifeste, qui est parfois doublée d’un pseudo sentimentalisme est assurément le symbole extérieur le plus spectaculaire d’un refus persistant, enraciné et à l’occasion brutal, de se confronter aux faits et par la même occasion d’un désintérêt. » . (Selon un sondage réalisé pendant cette période, 21% des personnes interrogées pensaient que les Juifs étaient responsables de ce qu’il leur était arrivé.) La population allemande était dans l’incapacité de faire un deuil, elle se trouvait encore dans le déni. C’est de la deuxième génération d’après-guerre de 1961-1969 et le procès Eichmann (responsable du camp d’extermination d’Auschwitz) que tout resurgit, le peuple allemand se retrouvait confronté aux atrocités avec la prise de conscience de l’implication des allemands dans l’ère nazie. Autre sondage en 1963, 88% des allemands affirmaient de pas avoir de compassion pour les juifs exterminés. Par la suite il y a eu une crise liée au refoulement des années 1968-1978, les nouvelles générations se posent de plus en plus de questions sur les crimes de masse, il faut qu’il y est une compréhension. C’est à ce moment que la crise de conscience liée au refoulement des années cinquante et soixante cessa. « Les mouvements estudiantins de la fin des années soixante et les attaques lancées contre la génération des parents, directement impliquée dans le système National-socialiste permirent à ces jeunes de se considérer, à travers cette accusation, comme les victimes de leurs propres parents. Cette accusation leur ouvrait ainsi la possibilité de se détacher de la faute commise et de se construire sans ces témoins d’un passé honteux » Regis Schladenhauffen. Dans cette continuité d’évènement, a eu lieu la commémoration des cinquante ans de la Nuit de Cristal en 1988, au Bundestag. 41


Fig 17, MĂŠmorial Yad Vashem, JĂŠrusalem


Première partie:

Re-construction de l’identité Allemande

L’abscence de commémoration commande la nécéssité de regarder le passé qui devient de plus en plus vif et présent. La création de mémoriaux allemands contribue totalement à la reconstruction de la mémoire allemande, tous les mémoriaux construit n’auront pas vocation d’être assimilés au peuple allemand en général, ni d’être érigés en mémorial de la nation, mais pour un évènement précis ou un peuple en particulier. Ces peuples peuvent se sentir coupés de leurs racines comme s’ils ont été bafoués, il y a eu une rupture historique. A leur construction, ces lieux seront porteurs de la mémoire collective d’un groupe donné. Le rôle des politiques (il y a toujours un point de vue politique) est de satisfaire la demande, la justesse du projet mais aussi de cristalliser la mémoire, même s’il s’agit de l’Allemagne Nazi. Le mémorial permettra un soulagement dans la mémoire des allemands, une paix enfin apportée. Le mémorial de l’holocauste devient une nécessité, comme un renouveau, aussi une fin pour une époque. La position des pays vainqueurs est plus facile, il n’y pas cette culpabilité, le deuil est tout aussi important malgré l’implication de la France. Dans la mémoire populaire, on ne prend pas toujours en compte toutes les actions de la France et on préfère se souvenir du Général de Gaulle ou de la résistance, l’Allemagne se doit de réagir, il faut qu’elle assume les conséquences et doit montrer l’exemple pour les prochaines décennies. C’est en 1993, que le gouvernement allemand recrée la Neue-Wache (une nouvelle garde), son but est de construire un mémorial national allemand, en souvenir de toutes les victimes de guerre et du règne de la violence. Plutôt qu’un mémorial plus ciblé, ce fut l’idée de départ. Cet espace devait parler à chaque citoyen et devait être assez vaste pour symboliser l’impact des actes. Il y a eu de nombreuses discussions avec beaucoup de désaccords, certains pensaient qu’il y avait encore un manque d’intérêt du gouvernement allemand, il ne fallait pas construire pour construire, mais une réelle implication, en prenant l’avis des associations, des lobbies. La mise en place du projet a permis de voir les tensions provoquées par la création du projet. Des mémoriaux se sont construits rapidement après la guerre, comme le Yad-Vashem en 1953 à Jérusalem ou le mémorial de Pingusson et du martyr juif respectivement en 1962 et 1957. L’Allemagne n’a toujours pas de mémorial au nom de l’holocauste, pourtant c’est un sujet qui a été rabâché dans les écoles partout, on était confronté à la culpabilité de la Seconde guerre mondiale, les élèves d’après-guerre ont été les premiers à apprendre cette nouvelle histoire, et les enseignants inculquaient de manière approfondie. 43



Deuxième partie:

La polique des mémoriaux et l’héritage patrimonial, pédagogique

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Fig 18, mémorial de l’holocauste, Washington, halle des témoins


Deuxième partie:

volonté politique de s’appropier la mémoire

Avec ce nouveau mouvement architectural, découlant de la seconde guerre mondiale, de nombreux mémoriaux ont été construits. Chaque pays à une perception de la victoire, de l’histoire, de la mémoire. Pour le mémorial de Yad Vashem il y a une centralisation des documents, avec le souhait de réunir l’histoire d’un peuple. Dans ce nouveau pays, c’est une pierre à l’édifice, un visage pour chaque personne exterminée. Pour le mémorial de l’Holocauste de Washington conçu par Leo A. Daly, c’est une autre initiative. Il possède tous les micros filmages de toutes les archives concernant le génocide des Juifs. Une sorte de monopole pour ce pays qui a libéré la France mais qui a aussi permis la victoire. Il atteste la centralité des Etats-Unis pour la mémoire de la Shoah. Même si les camps de concentration et d’extermination ne se sont pas trouvés sur son sol. On affirme un statut, une position politique aussi par les mémoriaux. Ils peuvent servir d’exemples aux générations futures. Malgré eux ils sont des emblèmes, les populations ont besoin de se dire que cela est derrière eux, que le pays a fait honneur à la mémoire de ces peuples qui ont subis le génocide. Même si de nombreuses démarches ont été mises en place, rien ne permettra d’excuser les atrocités, ni soulager la mémoire des victimes. Le devoir de l’histoire passe aussi par la narration des faits, l’exposition et l’entretien des traces laissées par la guerre. Il permet au visiteur de renouer concrètement avec l’évènement. Est-il possible que le fait de répertorier les noms, le plus d’informations possible provoque un amas de preuves importantes, pour prouver que les atrocités étaient bien réelles ? C’est en médiatisant par exemple le camp de concentration d’Auschwitz, qu’il y a eu un électrochoc dans la pensée populaire en France. La confrontation a permis aux populations de réaliser ce qui se trouvait et se passait à Auschwitz. 47


Fig 19, mÊmorial de l’holocauste, Berlin


Deuxième partie:

Rôle de l’Europe dans l’évolution de la mémoire

Bien sur tous les mémoriaux sont à replacer dans le cadre d’ensemble des politiques mémorielles conduites dans différents pays. Par exemple en France, on a longtemps parlé du statut de la « Résistance », support politique et symbolique, et c’est une pensée positive qui a aidé la France à avancer. Pour la seconde guerre mondiale: la tendance actuelle est de faire ressurgir et de placer au premier plan les victimes du judéocide auxquels l’Etat Français rend hommage depuis 1993 par des cérémonies spécifiques . La création de l’Europe impose une unité générale et historique. Elle pousse l’Allemagne à ériger des mémoriaux emblématiques. L’association France/Allemagne ne peut avoir lieu pour l’opinion politique si cette dernière ne répond pas au devoir de mémoire. C’est le passage d’une Europe déchirée par la guerre à une paix, forcée en Allemagne par la politique. C’est une Europe en recomposition, qui au travers des mémoriaux fait son deuil et accepte ses erreurs. La première Guerre Mondiale avait morcelé les empires austro-hongrois, russe et allemand, la deuxième a encore plus bouleversé l’Allemagne, avec par exemple la disparition quasi totale des populations juives en Pologne. Construire cette Europe qui est née de la politique d’après-guerre impose une solidarité nationale de la mémoire. Lors de l’élargissement de l’Europe, il y a eu une étude qui a comparé des processus et des stratégies mémorielles qui peuvent donner à réfléchir sur la construction d’un espace européen. C’est l’alliance entre la France et l’Allemagne qui est un socle pour la construction de l’Europe. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le besoin de l’Allemagne de faire son pardon et son deuil national. Selon l’historien Heinz-Dieter Kittsteiner, le monument est une allégorie politique. Pour un gouvernement, il n’est pas question d’art mais d’une représentation politiquement correcte. De plus ils incarnent l’expérience, l’auto idéalisation et les traditions culturelles d’un pays. Chaque mémorial construit portera les marqueurs de son pays, du régime politique à la tête. 49


Fig 20, mĂŠmorial de Tiergarten, Berlin


Deuxième partie:

Pérrénité des mémoriaux

Suite à la séparation de l’Allemagne le 7 octobre 1949 en RDA et la RFA, on notera une différence dans l’écriture architecturale des mémoriaux en RFA. Leur création est à la mémoire de l’URSS, qui a agis comme libérateur d’un pays. Le Mémorial soviétique de Tiergarten est en l’honneur des soldats rouges tombés au combat conçu par l’architecte Jacow S.Belopolsk. C’est une configuration similaire à celle de la Première guerre mondiale, d’un point de vue architectural. Il est dans la verticalité et glorifie la chute des soldats. Alors que les nouveaux mémoriaux répondent plus souvent à une logique horizontale. Même si le peuple allemand était dans l’attente d’un mémorial, c’est lors de la réunification que les débats se font entendre. La pérennité des mémoriaux est une question primordiale et politique. Leur conservation historique est très importante mais peut poser de nombreux litiges comme ce fut le cas avec la bibliothèque vide. Le sénat allemand a voulu ériger un parking sous la place où se trouve le mémorial. Il a fallu de nombreuses années pour que les élus comprennent que la valeur, la signification et que le message transmis ne se résumait pas uniquement à une plaque de verre. Le parking venait modifier la symbolique du lieu. Même si l’intention était louable, le sénat déplorait alors l’utilisation abusive des voitures, le projet ne pouvait se réaliser à cet emplacement. Le parking sera alors déplacer à Unter den Linden. Ce sont les étudiants qui se sont mobilisés pour réunir pas moins de 4000 signatures contre la création de ce parking, les jeunes générations en Allemagne se sentent très concernées par la mémoire, et sont porteuses de cette nouvelle identité nationale. 51


Fig 21, mémorial du martyrs français de la déportation, Pingusson


Deuxième partie:

L’héritage de la mémoire au travers des mémoriaux

Apres l’unification de l’Allemagne en 1989, la question a été posée, pourquoi a-t-elle besoin d’un mémorial ? Selon Aleida Assman, « le mémorial doit être érigé car il permettra de contrecarrer l’asymétrie existant entre la bonne mémoire et la mauvaise mémoire des coupables. Ce mémorial sera alors un contre mémorial par rapport à la Neue Wache, symbole de la reconnaissance de la culpabilité du peuple allemand et de la prise en charge de la faute de celui-ci ». En admettant les tords et les fautes commises, on laisse aux générations futures un fardeau moins lourd. Un autre travail commence c’est celui de ne pas oublier. Les monuments incarnent un impératif culturel, du « tu n’oublieras pas ». Ils sont à la fois des marqueurs intérieurs et extérieurs de l’identité culturelle et politique. En plus de répondre à la demande politique, le mémorial doit remplir une fonction pédagogique pour les générations futures. Leur passage dans le mémorial nourrira peut être un enseignement. Il n’a pas vocation d’être une démonstration des actions, c’est pour cela que la mémoire est aseptisée et rendue présentable, symbolique, tirant sa force du lieu. Par conséquent, on peut se demander si enfin de compte les mémoriaux parlent d’eux même. Mais ils sont souvent associés à un centre de documentation, afin de toujours donner le moyen d’expliquer. Le mémorial est une demande de pardon permanente au nom des victimes. Ce besoin de ne pas oublier, une injonction à se souvenir, leur construction engagent un pays à assumer son histoire et à perpétuer les valeurs représentées dans un mémorial, imposent une conscience lucide et une préocupation intellectuelle. Une fois les mémoriaux construits, elle appartient aux descendants et il possède deux aspects : le souvenir et la vigilance. Il est compliqué d’expliquer ce qui s’est passé sur ce sol et ce que certains peuples ont subis, il y a un risque de perte ou de banalisation de la mémoire. 53


Fig 22, mĂŠmorial de Rivesaltes, Perpignan


Deuxième partie:

l’impact des informations des mémoriaux

En Allemagne, il y a une augmentation incessante d’actes de violences, racistes depuis la réunification de 1989 à nos jours. L’importance du message transmis devient alors de plus en plus importante. Selon Régis Schlagdenhauffen, il y a un manque d’intérêt dans les médias, qui mettent toujours à jour la construction médiatique du souvenir. Et c’est pour cela qu’il pose la question : a-t-on tiré profit des erreurs du passé ? Pourquoi y a –t-il une monté antisémitisme et du racisme ? Associé à un mémorial, se trouve souvent un centre d’archives ou de documentation, l’accés aux sources écrites est plus facile car en sortant d’une visite d’un mémorial, de nombreuses questions peuvent se soulever. C’est dans ces lieux que sont conservés les traces du passé. La logique des mémoriaux, veut une remise en question du visiteur suite à son parcours. Mais cette accessibilité des preuves ne poussent-elles pas le visiteur à prendre parti, avec une possible déformation de la mémoire ? Par exemple, lors d’une visite dans un musée, confronter le visiteur à une affiche de propagande sans explication, peut déformer sa perception et sa compréhension. Le patrimoine est figé dans le sol, la mémoire des actes dans les écrits. La peur d’oublier est d’autant plus grande que le temps passe. Dans le film « les Héritiers » de Marie-castille Mention-Schaar, un professeur d’histoire impose à une classe professionnelle de participer au concours de la résistance, en la mémoire des enfants juifs déportés lors de la Seconde guerre mondiale, et elle se rend compte qu’il y a une grande perte dans la notion des termes mais aussi dans le souvenir des atrocités qui ont eu lieu. 55


Plan du mémorial

Coupe longituniale du mémorial

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Fig 23, Plan et coupe mémorial de Rivesalte de Rudy Ricciotti, Perpignan


Deuxième partie:

Le patrimoine des mémoriaux

Pour les jeunes générations, il est difficile de comprendre tous les éléments d’un mémorial. Ils ne connaissent pas encore toute l’histoire. « C’est pour cette raison que les parcours et les objets sont hermétiques »5 . La médiation est un passage obligé dans l’accueil des groupes scolaires. Pour que la Seconde guerre mondiale ne devienne pas qu’un chapitre d’histoire, la rencontre avec les survivants est essentielle, les enfants peuvent écouter les vécus de ces personnes et en tirer des leçons. Comment éviter la symbolique ? La question du patrimoine de la seconde guerre mondiale n’est pas évidente, c’est cette période qui a construit notre identité d’aujourd’hui. Et le but est d’instruire les générations qui suivent pour se souvenir et ne pas revivre ce traumatisme. Comme le dit Pierranne Gasse : « j’ai parfois, dans les moments de doute, l’intime conviction que la sacralisation de la période agit comme un moyen de déni de la réalité actuelle. » 6. D’un point de vue général, depuis les années 1990, il y a un changement très net: la construction mémorielle transforme les mémoriaux en musées-mémoriaux. Les mémoriaux ne visaient pas l’acquisition directe des notions historiques, aujourd’hui on les associe aussi à un usage pédagogique. Ils cherchent à expliciter les faits avec les présentations des archives, des témoignages. Avec des expositions temporaires ou permanentes, la mise en place des programmes éducatifs pour attirer ou recevoir du public, ces espaces mémoriels correspondent à l’objectivation d’un nouveau type commémoratif. Il est possible de distinguer les mémoriaux construits sur un site historique et ceux qui sont créés à partir de rien dans les grandes capitales, suite aux décisions politiques, même si ces derniers sont plus «spectaculaires» que les lieux de mémoire à proprement parler qui privilégient souvent la modestie formelle. C’est le cas pour le site-mémoriel du camp de Rivesaltes près de Perpignan, crée par Rudy Ricciotti. Il y a une volonté de conserver la valeur patrimoniale, comme si l’émotion devait être indissociable d’une démarche visant à satisfaire une curiosité suite à la visite des mémoriaux. Le futur des mémoriaux dans le patrimoine est important, est-il possible que dans de nombreuses années, les élus décident de construire trop près des monuments, touchant à leur symbolique et de leur fonction? Leur devenir est entre les mains des futures générations. Comme dans l’éduction il y a des notions que l’on ne peut pas se permettre de perdre. Musées de guerre et mémoriaux, Jean yves Boursier

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du musée tombeau au musée livre d’histoire, Peiranne Guasse



Troisième partie:

L’impact architectural, création d’un nouveau lexique

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Fig 24, Parvis, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson


troisième partie:

Le mémorial des martyrs français de la déportation Georges Henry Pingusson

En France, un nouveau mouvement architectural se met en place, avec une nouvelle écriture. C’est l’effacement du projet en mettre en avant les valeurs qu’il faut promulguer. On est dans l’évolution de la représentation de la mémoire avec de nouvelles notions, dont celle de l’abstraction. Un nouveau lexique nait après la Seconde guerre mondiale. C’est le cas du mémorial de Pingusson, le mémorial des martyrs français de la déportation est une référence incontournable pour les architectes de la mémoire. Georges Henry Pingusson invite le visiteur à développer une expérience unique et propre en l’impliquant dans le parcours. Le mémorial est souvent appelé « crypte du souvenir » ou bien alors « monuments aux déportés ». Pour engager le projet, le gouvernement crée le réseau du souvenir en 1952, qui est voué aux souvenirs des déportés. Le débat de sa réalisation a été porté sur le choix de bâtir un monument de types musée ou mémorial, mais c’est le réseau du souvenir qui propose un mémorial. Il a été validé par le président de Gaulle mais le projet n’a été financé d’un cinquième par les ressources propres du réseau du souvenir et des bienfaiteurs. Le devis est de 36.4 millions de francs (auquels viennent s’ajouter 580 000 nouveaux francs). Pour la construction du mémorial, trois sites ont été proposés : les jardins du Trocadéro, les alentours du dôme des Invalides et la pointe orientale de l’île de la Cité. C’est l’architecte Pierre Victor Fournier qui fait connaitre Georges-Henry Pingusson, pour la conception, était proposé de rechercher de préférence des architectes qui sont d’anciens déportés. On associe alors un architecte et un sculpteur. Le duo Pingusson et Veysset est retenu. Le dispositif spatial mis en avant est un parcours conduisant du square de l’île de France, situé à l’arrière de Notre Dame jusqu’a la crypte. 61


Fig 25, crypte, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson


troisième partie:

Le mémorial des martyrs français de la déportation Georges Henry Pingusson

Dans le mémorial se trouve les différentes phases comme dans une cérémonie de deuil. La phase du silence se fait lors de la traversée du square jusqu’au mémorial. Face au mémorial, seules les entrées se trouvent sur les côtes latérales, avec deux escaliers oppressants, aussi appelées les phases du dépaysement. Elles accompagnent la rupture avec le monde des vivants (cf : AMC 231). Le parvis se situe entre le ciel et l’eau. Il est le seuil du tombeau, comme une fosse intemporelle creusée dans une seule roche. Le visiteur se retrouve coupé du monde face à une herse de métal noir (du sculpteur Veysset), avec en arrière-plan l’eau. L’entrée de la crypte s’effectue par une petite porte face à la herse. Dés l’entrée, le visiteur se trouve dans un espace de recueillement hexagonale, avec une dalle en ardoise du déporté inconnu. Puis les deux chapelles, les deux cellules vides et, dans les galeries les 200 000 bâtonnets de verre, représentant chacun un déporté. Pingusson décompose ainsi son dispositif en une succession de seuils et de moments, voire d’évènements. Le choix du matériau est primordial dans la construction d’un mémorial, il est ici intemporel, résistant au temps et porteur du souvenir. Pingusson écrit en 1954 : « il semble que ni la pierre blanche, ni le gré, ni même le granit ne pourraient représenter la rudesse, la violence de contraste, la grande dimension des blocs capables d’exprimer ce caractère. Nous pensons plutôt à un granit géant, à surface éclatée dans des blocs monolithiques géants, un petit appareil serait faible. Nous proposons donc une pierre artificielle, que la technique moderne peut réaliser avec les mêmes caractéristiques de dureté, de compacité, d’inaltérabilité que la pierre naturelle.» 7 Une autre citation de l’architecte explique son choix : « la matière est fruste et puissante et anime les grandes parois nues en contrastant avec les éléments en fer forgé (herses et grilles) surtout lorsque, la nuit venue le parvis est éclairé sur tout son pourtour d’une lueur pâle et profonde. » AMC, numéro 231, mars 2014

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Fig 26, escalier, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson


troisième partie:

Le mémorial des martyrs français de la déportation Georges Henry Pingusson

Le bâtiment est commandé par l’association du réseau du souvenir, beaucoup de proposition concernant les sculptures ont été mises de côté, ne correspondant pas avec l’idée qu’elle s’en faisait. Pingusson réalise un travail trés approfondi sur la lumière. Il compose avec deux sources de lumière. Les visiteurs se retrouvent éblouis par le soleil réfléchissant sur les parois blanches lors de la descente sur le parvis. C’est dans la crypte que se trouve le deuxième jeu de lumière: le passage dans la pénombre. Les bâtonnets dédiés (200 000) à la mémoire de chaque déporté sont illuminés, la perspective centrale renforce cette notion de multiplicité de profondeur, d’infini. On peut lire dans le mémorial sur le parvis : « pardonne mais n’oublie pas ». « Pour la conception de ce mémorial, Pingusson imagine un camp l’hiver, avec une fumée noire, un camp avec son tragique. Dans les mémoriaux contemporains, on fait souvent l’abstraction du vide ». 8 Les murs du mémorial sont l’écrin de la mémoire, des souvenirs qui ont tendance à s’effacer ou à se transformer avec le temps. Il ne possède pas de quoi s’assoir sur le parvis, notre vue se porte sur la grille qui laisse entrevoir l’eau, le visiteur est coupé de son environnement, tout est pensé pour qu’il soit dans l’inconfort, la raideur des escaliers, la rugosité des murs, l’irrégularité du sol du parvis, la masse écrasante des murs. L’entrée de la crypte se fait entre deux blocs légèrement décollés du sol. La notion de perspective disparait et ne revient qu’à l’entrée dans la crypte. La mort même dématérialisée en petits bâtonnets de verre est fortement présente. 8

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AMC, numéro 231, mars 2014


Fig 27, entrée, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson


troisième partie:

Le mémorial des martyrs français de la déportation Georges Henry Pingusson

Pingusson réalise un bâtiment dans l’épaisseur de l’île de la Cité, un projet se lit en coupe principalement, il est invisible depuis le square. Il est dans le principe d’horizontalité, et c’est lors de la lecture des plans que l’on perçoit sa complexité et l’épaisseur des murs. La volonté est de créer un lieu pouvant faire surgir des émotions, au fil du parcours, de palier en palier. La lecture des élévations est d’autant plus dure que le seul élément représenté et visible est l’ouverture vers le fleuve, mais entrecoupée par la herse du sculpteur. Dans ce mémorial, il reprend les codes symboliques de la mort, avec les différents stades. Mais la volonté d’associer un centre de documentation comme pour le mémorial du martyr juif inconnu de Georges Goldberg et Alexandre Persitz à Paris, est très présente, surtout pour comprendre pourquoi de telles atrocités ont eu lieu. Pour répondre à cette demande, Pingusson dispose avec l’aide des élèves de l’Ecole des beaux-arts des cartes et des inscriptions peintes dans le béton blanc. L’exposition des photos montrant les camps de concentration se retrouve dans le mémorial. La mémoire ne s’arrête pas à ces murs mais à la perception que ce fait l’homme. Le mémorial aide à se commémorer un passé tragique que les nouvelles générations n’ont pas connu, comme le contexte historique ou politique. Le visiteur peut avoir besoin d’appronfondir cette expérience en consultant les achives pour encore mieux comprendre. 67


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Fig 28, coupe supposée du mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson

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Fig 29, Plan du mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson 69


Fig 30, mĂŠmorial des Sinti et des Roms, Berlin


troisième partie:

Mémorial des Sinti et des Roms Dani Karavan

Les architectes dans la conception de mémoriaux peuvent vouloir mettre le visiteur dans une situation inconfortable, ou déstabilisante comme l’affirme Dani Karavan, concepteur du mémorial dédié aux Sinti et aux Roms. Dans son espace de conception restreint, l’artiste conçoit, dans un lieu près du Reichstag à Berlin, un cercle remplis d’eau sombre avec une fleur qui est changé chaque jour. Symbole d’un espoir pur, mais aussi en rapport avec les fleurs déposées sur les tombes. Ces Sintis n’ont pas de lieu pour se recueillir, pas de commémoration. Le public est en interaction avec le mirroir noir de l’eau. La noirceur frappe et déstabilise, pourtant cette lueur d’espoir renvoie aux survivants, qui seront à jamais porteurs de cette histoire. On a différents procédés que l’on peut citer pour imposer une réflexion au visiteur, la lumière, les matériaux. Les mémoriaux nous projettent face à notre mémoire personnelle, à nos souvenirs. Nous sommes obligés de nous confronter à notre passé pour assimiler cette histoire tragique. La Seconde guerre mondiale percute les fondamentaux de l’Homme, sa liberté, et se pourquoi il se bat. 71


Fig 31, mĂŠmorial du martyrs juif inconnu, Paris


troisième partie:

Le mémorial du martyr juif inconnu Georges Goldberg et Alexandre Persitz

Une autre référence fait écho au mémorial de Pingusson; le mémorial du martyr juif inconnu à Paris, construit par les architectes Georges Goldberg et Alexandre Persitz. Le mémorial regroupe dans son enceinte un centre d’archives et un espace d’exposition, cœur du mémorial. L’accès aux informations est facilité. Le bâtiment lui se trouve dans un quartier emblématique de Paris : le Marais qui accueillait avant-guerre une communauté juive. Ce mémorial est rattaché à la religion (présence de l’étoile juive) même si le projet initial se voulait sobre. Les architectes ont cherché à concevoir un monumental sévère et avec une certaine pérennité par le renoncement à tout effet plastique ou de style. Le site partulièrement difficile dans sa disposition architecturale imposait de nouvelles contraintes aux architectes. Le lieu empêche le mémorial d’être associé à un bâtiment funéraire, ou à un mémorial tombeau grâce à son implantation dans un tissu urbain dense. Le fait d’être inséré dans le paysage lui donne une autre signification, car le mémorial est implanté dans une parcelle de 600m² adossée à un existant. Malgré tout le visiteur se retrouve confronté à un espace de recueillement comme pour une tombe dans un cimetière. 73


Fig 32, mĂŠmorial du martyrs juif inconnu, Paris


troisième partie:

Le mémorial du martyr juif inconnu Georges Goldberg et Alexandre Persitz

Le projet de mémorial se compose d’un volume de quatre étages contre le bâtiment mitoyen. Il abrite le centre de documentation juive contemporaine et le musée (aujourd’hui la salle des archives). La façade aveugle de 14 mètres sert de support aux inscriptions commémoratives, elle domine le parvis, clos par deux murs de pierre et une grille de fer forgé. L’entrée sur le parvis est surmontée d’une dalle de couverture de 14m de portée sans point d’appui en béton précontraint. Le visiteur se trouve face à un espace bordé d’un mur comportant sept bas-reliefs. Dans l’axe du parvis (on s’aperçoit qu’ici des bancs sont disposés autour contrairement au mémorial de Pingusson), un cylindre porte les noms du ghetto de Varsovie et des camps d’Auschwitz, Belzec, Bergen-Belsen, Birkenau, Buchenwald, Chelmno, Dachau, Majdanek, Mauthausen, Sobibor, Struthof, Treblinka. Il se trouve à l’intérieur, un escalier à double volée conduit à la crypte. C’est le tombeau symbolique des six millions de Juifs morts sans sépulture. Dans ce lieu sont mêlés les cendres des martyrs recueillies dans les camps de la mort ainsi que dans les ruines du ghetto de Varsovie. Le mur du fond de la crypte porte une citation biblique, en hébreu: «Regardez et voyez s’il est douleur pareille à ma douleur. Jeunes et vieux, nos filles et nos fils fauchés par le glaive.» Le visiteur arrive dans une salle dite « du souvenir », le tombeau reprend l’étoile de David, en son centre est placée une urne symbolique au fond de laquelle brule une flamme de piété. Comme pour le mémorial de Pingusson, les architectes ont apporté une attention particulière aux matériaux : « dont la beauté naturelle se suffit à elle –même » 9. On retrouve aussi dans ce mémorial l’association du sculpteur Arbit Blatas aux architectes, pour le mur intérieur du parvis. En 2005, après quelques années de travaux pour rénovation le lieu est agrandi. Un «Mur des Noms» est le nouveau projet. Oeuvre des architectes Jean-Pierre Jouve et François Pin. Il est en pierre de Jérusalem et reprend le nom des 76 000 juifs (dont 10 000 enfants) partis de France en déportation entre 1942 et 1944. Parmi eux 2 500 sont revenus des camps. 9

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AMC, numéro 231, mars 2014


Fig 33, la bibliothèque vide, Berlin


troisième partie:

La bibliothèque vide Micha Ullman

En Allemagne, il n’est pas étonnant qu’un monument pour les victimes de l’Holocauste soit devenu une nécessité. La situation d’après-guerre a positionné l’Allemagne dans l’obligation de créer un mémorial en la mémoire des victimes. C’est un pays qui devait reconnaitre ses torts avant de pouvoir les assumer. Les mémoriaux qui vont être étudiés sont représentatifs de la demande et la pensée allemande. «La bibliothèque vide» est un exemple emblématique. Ce n’est pas un mémorial à valeur nationale, plus intime dans ses convictions, comme son implantation dans le site. La Bibliothek a été mise en place le 20 mai 1994. Elle est constituée d’une pièce souterraine, complétement fermée au centre de la place Bebelplatz à Berlin. Le visiteur ne peut se confronter au projet au travers d’une vitre de 1.20x1.20m. Dans cet espace, il y a des étagères blanches collées contre les parois en béton et qui auraient pu contenir environ 20 000 livres. Ce mémorial est un rappel aux livres qui ont été brulés dans la nuit du 10 mai 1933, lors de l’autodafé. Le projet a commencé à voir le jour en 1993 suite à un concours international. Le premier prix revient directement à Micha Ullman pour son œuvre, qui a pour perspective artistique la transformation de la matière en énergie. Elle a été conçue dans un lieu sans réelle fonction propre, mais le fait d’avoir disposé ce mémorial sous terre permet d’enterrer la mémoire. La Bibliothek reste un mémorial inaccessible. Contrairement au mémorial de l’holocauste, il donne un aperçu global de ce qui se passe à l’intérieur, alors que l’entrée se fait de manière symbolique. Elle tire son caractère sacré de l’absence de l’objet, du vide. La vitre met à distance le visiteur, lui signalant que ce qui a été commis ne peut être réparé. L’impossibilité de remplir à nouveau les étagères, les livres brulés sont perdus à jamais. Ullman souligne à la fois la disparition des livres (l’autodafé) et l’impossibilité de représenter l’immensité du crime commis dans cet acte envers la civilisation. Lors de sa création Ullman utilise les Schweigen, Stille und leere (le silence, l’immobilisme et le vide), pour expliquer le message à transmettre, à l’image de la citation, le mémorial se veut fort mais discret, un visiteur peut tomber par hasard dessus et être frappé par sa symbolique. Le piéton peut «marcher» dessus sans être inquiété, sans se rendre compte ou bien volontairement. Elle fonctionne comme un phare, guidant les futures générations en leur indiquant que « le savoir est une arme ». La lumière qui émane de la Bibliothek rappelle la lumière éternelle. 77


Fig 34, mÊmorial de l’holocauste, Berlin


troisième partie:

Le mémorial de l’holocauste Peter Eisenmamn

Le mémorial de l’Holocauste se trouve au croisement des rues Wilhelmstrasse, Behrenstrasse et l’Ebertstrasse à Berlin sur un terrain de 19.000 m², c’est lors de la séparation de l’Allemagne que le terrain se trouva sur le passage du mur. D’un point de vue pédagogique, il fallait que le mémorial se trouve sur le passage de chaque visiteur qui se rend au Reichstag. Il est central par sa position et national par le message transmis. L’architecte Peter Eisenamn a conçu ce mémorial comme un jardin de 2711 stèles. Un étrange malaise s’installe pendant le parcours, une sensation d’insécurité. Tandis que les blocs semblent être parfaitement alignés de l’extérieur, en y entrant on découvre qu’ils sont légèrement inclinés, à la fois verticalement et horizontalement. Le sol est composé d’une série de carreaux de pierre et l’éclairage est encastré, décrit une topographie ondulée, permettant aux visiteurs de «disparaître» entre les dalles. Le mémorial possède un centre de documentation de 800m² en dessous, invisible lors du parcours du site. Pour l’atteindre il faut réellement faire la démarche, c’est-à-dire rentrer dans les entrailles de la terre. Le projet a également été conçu par Peter Eisenman et l’exposition hébergée par le designer Dagmar von Wilckern Berlin. En descendant les escaliers d’accès qui fonctionnent comme une salle et dans lesquels des textes et des images expliquent le contexte historique. Dans la première salle, la «Chambre des dimensions», les murs sont gris clair, avec des panneaux de verre dans le sol afin positionnés qui reflètent le modèle de stèles monument est au-dessus. 79


Fig 35 mÊmorial de l’holocauste, Berlin


troisième partie:

Le mémorial de l’holocauste Peter Eisenmamn

Le mémorial de l’holocauste à Berlin est un champ en forme trapézoïdale recouvert de blocs de béton de différentes hauteurs et avec d’innombrables nuances de gris qui se trouvent sur un terrain vallonné. Les 2 711 blocs de béton sont utilisés avec un traitement anti graffitis. Chaque bloc a 95cm de large et 238cm de longueur a été placés en rangs serrés. Leurs hauteurs varient de niveau du sol et 4,5 m dans le centre du monument. Le sol est incliné dans un sens puis dans l’autre en laissant un large couloir 95cm entre les blocs, suffisante pour passer un fauteuil roulant ou une personne seule, et non deux, l’intention est que chaque visiteur vive individuellement espace. Les historiens l’assimilent à des catacombes ou à des cryptes comme (en référence au mémorial de Pingusson). Il n’existe ni de réelle sortie ni de réelle entrée, c’est dépendant de la volonté du visiteur. Ce mémorial a pour but de prévenir les futures générations de ne plus jamais porter atteintes aux droits de la personne humaine ni de laisser une dictature prendre le dessus sur une démocratie. Le mémorial tire sa puissance dans la matérialisation du souvenir. Le silence, le néant sont une métaphore de la déshumanisation de notre société actuelle. La non représentation de la souffrance s’explique car Eisemamn a voulu représenter les conséquences, les stèles représentent à la fois les baraques des camps mais aussi des tombes tout en restant non nominatif. 81


Fig 36, mÊmorial de l’holocauste, Berlin


troisième partie:

Le mémorial de l’holocauste Peter Eisenmamn

C’est l’association Perspektive Berlin, qui lance le concours pour un projet d’aménagement en 1989. C’est cette même année qu’est votée la réalisation d’un monument en la mémoire des juifs assassinés. Il ne faut pas construire un mémorial sans penser aux impacts symboliques qu’il aura. Il sera porteur de la mémoire allemande et devra s’inscrire dans une logique architecturale précise. Ce monument amène un autre sens à la mémoire de la Shoah, il est dit actif et participatif pour les visiteurs. Il ne prend pas la forme lapidaire, dénonciatrice comme si on pointait du doigt les actions, comme certain de la première guerre mondiale ou à Jérusalem, il s’inscrit dans ce mouvement contemporain qui voit le jour après la seconde guerre mondiale, avec l’abstraction du vide. Au-delà du devoir de mémoire, l’Allemagne, doit reconnaitre une notion qui apparait : le génocide, c’est la volonté de détruire un groupe humain l’Humain, le peuple juif. A cela s’ajoute la suppression de sa culture, de son histoire, le réduisant à n’avoir jamais existé. Le génocide peut toujours être d’actualité si le déni n’est pas levé et qu’il n’est pas reconnu. Pour les survivants et les héritiers porteurs, il faut empêcher que ce passé disparaisse. Faute d’enterrement et de mémoire pour ces morts, les héritiers des victimes sont contraints de faire de leur propre corps le lieu du souvenir, le travail de mémoire sera fait par les sujets. Le mémorial de l’Holocauste reconnait le génocide juif et sans ses murs permet de donner un lieu de deuil, de commémoration. Les deux mémoriaux viennent nous questionner sur la fixation du souvenir en Allemagne. Ne serait-il pas une échappatoire afin d’évacuer le problème du National-socialisme plutôt que de tenter de le résoudre ? Les deux mémoriaux ont rempli leur devoir. Il y a sans conteste un dépassement symbolique, celle de ne pas oublier. La mémoire se retrouve figée dans un objet qui la symbolise. 83


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Fig 37, plan masse mÊmorial de l’holocauste, Berlin

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Fig 38, coupes du mÊmorial de l’holocauste, Berlin 85


Horrizontalité et massivité

Croquis mémorial des Fosses Ardéatines

Horrizontalité et massivité

Croquis mémorial de Notre Dame De la Lorette

Horrizontalité

Fig 39, croquis montrant le principe architectural de la Seconde guerre mondiale

Croquis mémorial de Rivesaltes


troisième partie:

Le nouveau lexique de l’architecture commémorative

Des traits communs à beaucoup de mémoriaux de la Seconde guerre mondiale peuvent être soulignés. Les mémoriaux ont souvent pour principe de s’inscrire discrètement dans le paysage, d’une manière horizontale comme le mémorial de Vassieux ou pour le mémorial de l’Holocauste, celui des camps de Rivesaltes ou alors s’enterrer pour être invisible à la vue des visiteurs comme la bibliothèque vide et le mémorial du martyr de la déportation française de Pingusson. C’est l’image du néant, du vide qui ne permet pas d’accrocher l’œil. C’est ce travail sur le thème de l’absence qui nous fait comprendre que la réponse se trouve dans la terre. Le sol est chargé d’histoire, c’est lui qui est porteur de toutes les atrocités qui ont eu lieu, c’est à lui que l’on doit se référer. A l’image des tranchées des archéologues, qui crée le lien avec le passé devenu invisible dont seul le lieu semble se référer. Les mémoriaux et les centres de documentation sont les cicatrices visibles de la guerre, symboles de cette impossibilité de guérir. L’horizontalité est associée à la matérialité qui se veut imposante, durable dans le temps, mais lourde. La massivité se ressent dans le dimensionnement des espaces intermédiaires (exemple : escaliers descendant au mémorial de Pingusson ou l’immense dalle à Rome). L’imposante architecture se veut pérenne dans le temps et adaptée au lieu, c’est elle qui est porte la mémoire. Il peut vieillir mais ne pas devenir obsolète. Ce sont des principes que l’on peut associer à tous les mémoriaux construits après la seconde guerre mondiale, c’est dans cette évolution de la pensée historique, sociologique et politique que vient s’inscrire cette démarche architecturale. 87


Fig 40, Le mĂŠmorial aux soldats du feu, des iles Kornati


troisième partie:

Le nouveau lexique de l’architecture commémorative

Le mémorial aux soldats du feu dans le parc national des iles Kornati réalisé par Nikola Basic, traite ce rapport au sol en disposant à même le sol des croix au nom de cette tragédie qui a eu lieu en temps de paix. C’est un acte direct sur le territoire, qui est l’unique support. La seule présence des croix suffit à donner la force au message transmis. Les architectes réfléchissent avec le lieu en se servant de ce dernier comme fil conducteur de leur réflexion. Souvent dernier témoin des actes, il est d’autant plus légitime, comme pour le mémorial de Royallieu (ancien centre de concentration, le deuxième plus grand après Drancy) imposait un mémorial, pour en faire un lieu de partage, de culture. Le choix de site a été une évidence. Les différences de niveaux aux différents stades de la visite accompagnent et rythment la visite. L’histoire du lieu peut donner la légitimité à un mémorial, justifiant sa forme et la mise ne scène du projet. 89


Fig 41, croquis du mémorial de Pingusson, matérialité


troisième partie:

Le nouveau lexique de l’architecture commémorative

La matérialité est souvent utilisée pour traduire le caractère imposant et affirmant la notion de pérennité pour les mémoriaux. L’association de la matérialité aux jeux de lumière est trés souvent développé dans les projets pour des espaces plus propices au recueillement, ceux à la promenade. Leur but étant de créer à la fois un lieu universel et spécifique. La dissociation est espaces par gradation permet de laisser la mémoire des victimes et celle des coupables s’exprimer. Il se doit d’être juste. Peut-être que c’est pour cette raison qu’il y a représentation du vide, avec des espaces de recueillement. Les visiteurs doivent trouver un moment de paix, de repos pour la mémoire. Avec un mémorial, le deuil se fait avec l’acceptation du passé. Le travail des architectes se trouve dans les détails et la justesse de leur écriture. Entre Enfermement, ouverture, c’est de cette manière qu’il passe dans différents stades émotionnels, ou de réflexion. C’est le cas pour le mémorial des fosses ardéatines de Mario Fiorentino et Guiseppe Perugini à Rome. Tout au long du parcours l’espace a été rénové pour accueillir la foule, mais les espaces ou la tragédie s’est passé sont laissés intacts. C’est à la fin du parcours que le visiteur est face au tombeau ou des centaines de résistants qui ont été assassinés dans un esprit de revanche, dans ce grand tombeau, un soin particulier a été apporté à chaque victime, même aux corps non identifié. Le fait d’avoir un par terre de stèles quantifie et choque le visiteur des actions qui ont été menées. Le tombeau est semi enterré avec une lame de lumière horizontale et une dalle très imposante qui compose le toit, on a ce sentiment d’être oppressé, la volonté de l’architecte n’est pas de culpabiliser un visiteur qui n’a pas de lien direct (souvent) avec ce passé, mais de lui signifier la souffrance qui a eu lieu. Même si tout n’est pas compris lors de leur première visite, les émotions éprouvées peuvent être comprises des années après. 91


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Fig 42, plan du mĂŠmorial des Fosses ArdĂŠatines, Rome

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Fig 43, coupe du mĂŠmorial des Fosses ArdĂŠatines, Rome 93


Fig 44, mĂŠmorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost


troisième partie:

Le nouveau lexique de l’architecture commémorative

L’architecte travaille pour la mémoire, pour la retranscrire de la manière la plus juste et objective. La perception de la mémoire varie avec les années qui passent. Chaque pays suivant les époques à sa manière d’ériger ses mémoriaux avec les mêmes principes mais propre à leur culture. Le message transmis reste le même, avec une ambiance recrée similaire. La lecture des plans des projets permettant de comprendre la composition qui permet des parcours intuitifs qui laissent aux visiteurs la liberté de leurs cheminement. L’expérience des mémoriaux se fait aux travers des émotions et du bagage culturel du visiteur. On peut dire qu’un mémorial est réussi si le message transmis est assimilé par différents peuples de la même manière. Car ils sont à l’image de l’Homme et de l’humanité. Le mouvement architectural concernant la mémoire est apparu après la Seconde guerre mondiale, porteur de nouveaux principes fondamentaux. Nous avons étudié différents mémoriaux, et compris que leur sobriété renvoyait à des symboliques très fortes. Il ne suffit plus d’ériger un monument comme une démonstration de la bravoure, d’un moment mais de reposer la question mémorielle à travers les projets et leur instrumentalisation. Lors de la conception des mémoriaux, les architectes se sont souvent associés à des artistes pour la réalisation de grilles par exemple au mémorial de Pingusson, ou pour le portail d’entrée dans le mémorial des fosses Ardéatines. Ce sont des œuvres d’art contemporaines avec une volonté d’afficher le point de vue de l’artiste, souvent plus prononcé que celui de l’architecte. Autre exemple, la sculpture pour la rafle du Vel d’hiv par Mario Azagury qui représente la simple existante, innocente avant le drame. L’art n’apparait pas comme un complément à l’architecture mais comme indispensable à certains projets. 95


Fig 45, mĂŠmorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost


troisième partie:

Le mémorial de notre Dame de la Lorette Phillipe Prost

Le mémorial de notre Dame de Lorette de Philippe Prost s’inscrit parfaitement dans cette logique. Le mémorial se situe à côté d’un mémorial de la prémière génération. Ils se font écho. Bien que construit en l’hommage des 100 ans de la Première guerre mondiale, il porte en lui toutes les qualités architecturales mise en place après la Seconde guerre mondiale. Pour l’architecte s’était l’occasion d’aborder la question de la mémoire au service de l’art et la nature. La question du site est primordiale car c’est à cet endroit que se sont déroulés d’effroyables combats et même si la guerre de 1914-1918 semble loin, il ne faut pas oublier. L’architecte pense un mémorial d’une nouvelle manière, pour qu’il renvoie à une expression de paix et non à la représentation d’un acte de bravoure. Une de ses références est le mémorial de Pingusson. Sa forme elliptique de 328 mètres de périmètre extérieur renvoie à une notion d’infini, le visiteur ne peut lire le nom des 600 000 combattants de toutes les nationalités mortes au combat sur 500 panneaux de 0.9 mètre de large sur 3 mètres de haut. Le symbole de fraternité est représenté par un parcours sans fin, dans l’ellipse. Il y a une non-volonté d’individualisation. On passe d’un état d’enfermement à un état d’ouverture. La vue en élévation est un rectangle horizontal plein, et c’est lors de sa pratique que l’on se rend compte que panneau oriente la vue vers la nature, son site. Il était nécessaire d’unir l’art et la nature au service de la mémoire du site. La signification et la découverte du site seront intuitives pour le visiteur, à celles et ceux qui découvriront le sens et l’objet du lieu, dès leur arrivée, en empruntant la saignée pratiquée dans le sol, telle une tranchée dont les parois latérales. Le porjet propose une perception des strates de la terre que l’on vient de creuser. C’est pour cette raison que le lieu choisi est très important. Il parle de lui-même et soutient le mémorial. Une partie de l’ellipse de Philippe Prost est en équilibre, preuve que cette paix est encore fragile. Et qu’il faut l’entretenir, ne pas oublier. L’emploi d’un matériau nouveau, un béton fibré à ultra-hautes performances, rend sa réalisation possible et lui permettra de défier le temps, entre ciel et terre, le mémorial assure une pérennité, son rapport avec le sol est d’autant plus fort. 97


190 90

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Fig 46, coupe mĂŠmorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost


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Fig 47, Plan masse mĂŠmorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost 99

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Conclusion

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Conclusion:

Quelles évolutions? Quelles adaptations?

Après la Première guerre mondiale, un mouvement architectural s’est développé pour apporter une réponse à l’état et à la détresse de la population. Les mémoriaux sont des projets qui portent le plus les marques de l’évolution de la pensée, du regard sur le passé qui doit s’ouvrir sur un avenir. Pour la Première guerre mondiale, la retranscription des batailles ou des héros de guerre se retrouvait dans l’écriture architecturale. C’est suite aux attaques des fondamentaux des droits de l’Homme lors de la Seconde guerre mondiale qu’il y a un bouleversement dans le dessin, et les formes proposées. La situation géopolitique des pays les pousse à construire des mémoriaux qui leur sont propres et qui s’adressent à un peuple ou une valeur bien définie. Aprés cette guerre, le devoir de mémoire a vu sa symbolique évoluer pour répondre à une demande différente, concernant différents peuples ou des fondamentaux de l’Humanité. L’intention initiale d’un architecte est de faire un mémorial unique et le plus représentatif possible, on se rend compte que des principes architecturaux apparaissent, et qu’ils se retrouvent dans presque tous les mémoriaux existant après la seconde guerre mondiale, même s’ils ne rendent pas tous hommage aux mêmes choses. Les mémoriaux sont tous reliés par un symbole unique avec un parcours découlant de la mémoire. L’architecture s’adapte à l’environnement qui l’entoure. Pour perpétuer le devoir de mémoire elle crée des espaces plus puissants en émotion à l’échelle des évènements qui se sont déroulés. Dans cette nouvelle démarche, le mémorial cherche à privilégier une modestie formelle. La perception et l’identification au lieu est unique à chaque visiteur, contrairement aux mémoriaux de la première guerre mondiale qui imposait une seule analyse possible. 103



Conclusion:

Quelles évolutions? Quelles adaptations?

La mémoire vie dans la pierre des mémoriaux, figée pour rester la plus correcte possible. Parce qu’elle est affective et magique, la mémoire ne s’accommode que des détails qui la confortent, souvenirs flous et dans le sacré. Le traumatisme vécu a été tellement dur, que la volonté du souvenir a été primordiale. La mémoire officielle, portée par les mémoriaux, quant à elle esthétise la mort et l’horreur, elle n’évoque pas la peur des hommes, rien de ce qui restituerait le passé effectivement vécu. Elle a besoin de monuments et mémoriaux car ils participent à la prise en considération de la nation en tant que berceau d’une mémoire collective. Ils réactualisent la mémoire. Reconnaitre ses erreurs pour un état est une lourde tâche, encore plus lourde pour l’Allemagne, car un pays se forge au fils des siècles par les actions qu’ils assument. C’est leur identité qui en dépend. La construction et la réflexion des mémoriaux est encore d’actualité de nos jours, comme en témoignait l’exposition des nouveaux musées et mémoriaux de septembre 2012 à mars 2013 à Paris. De nombreux mémoriaux ont vu le jour, d’autres projets sont à l’étude en Italie, en Pologne et en Belgique. Souvent placés sur des lieux porteurs de vestiges qui sont suffisamment évocateurs pour ne pas nécessiter la construction d’architectures dramaturgiques. Le deuil des victimes n’est pas encore fait et ne sera sûrement jamais fait, la construction des mémoriaux est un besoin essentiel à la reconstruction d’un peuple mais aussi à l’écriture de son histoire. La construction des mémoriaux interroge: les mémoriaux sont devenus nombreux mais combien sont réellement fréquentés et porteurs d’une mémoire vivante. 105



Conclusion:

Quelles évolutions? Quelles adaptations?

L’étude des mémoriaux a soulevé de nouvelles questions, le besoin de commémorer sans cesse les évènements du passé n’est-il pas une résultante de la peur face à la menace d’une nouvelle guerre. Même si l’homme semble avoir appris de ses erreurs, il faut répéter les risques de l’oubli. Même si cette dernière est louable, elle n’en est pas moins univoque, incarnant l’institutionnalisme d’une douleur. Il semble ainsi que la mémorisation qui en résulte soit parfois inverse à l’observation et à l’étude de ce passé. Comme si seuls les mémoriaux devaient se charger du souvenir, être les catalyseurs d’une société malade, qui vit dans la peur d’une troisième guerre qui sera d’autant plus meurtrière. La société se force à monumentaliser ses plaies, se délestant, en assumant les actes. Elle referme un chapitre de l’histoire. Doit-on espérer que les erreurs du passé ne se reproduise pas ? Ou alors sans cesse imposer la mémoire aux générations futures. Bien sûr, il ne faut pas oublier mais il ne faut plus se limiter à cautionner le systématisme d’une patrimonialisation des catastrophes. Certes, il y a un devoir de mémoire mais aussi un risque de déformation au fil du temps, seuls les murs des mémoriaux tentent de la figer accompagné par une culture qui doit être préalablement faite dans les écoles. Des termes reviennent souvent, l’histoire, le patrimoine, la mémoire, la nation et à la croisée de ces termes se situe dans la création d’un mémorial, sa participation à l’inscription dans la société dans son rapport au temps. Le patrimoine invite le visiteur à s’interroger sur l’identité mémorielle d’un pays. On réfléchit de nos jours à la notion de commémoration, pour transmettre l’histoire et la mémoire en restant contemporain, poussant à une nouvelle analyse des lieux de mémoire, de leurs expositions. L’écriture architecturale de la mémoire évoluera toujours en fonction des évènements, des conflits pour s’adapter. 107



Bibliographie: Ouvrages: Pierre Nora, Les lieux de mémoire tome 1 , Collection Quarto, Gallimard, 1997 Pierre Nora, Les lieux de mémoire tome 3, Collection Quarto, Gallimard, 1997 Emmanuel Penicault, Lieux de mémoire, musées d’histoire, La documentation française, 2012 Regis Schlagdenhauffen, La bibliothèque de l’holocauste de Berlin,l’Harmattan, 2005 Jean-Yves Bousier, Musées de guerre et mémoriaux, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2005 Simon Texier, Les architectes de la mémoire, éditions du huitième jour,2007 Revues: «Deux mémoriaux modernes»,AMC 231 , mars 2014 «Architecture de mémoire», AMC 222, mars 2013 «Le patrimoine de la grande guerre»,In Situ 25, février 2015 «The Holocaust Museum, Between Beauty and Horror», Progress Architecture 2, 1993 «Le mémorial de notre Dame De Lorette», AMC 235,mai 2014 Expositions et films: «Les nouveaux musées-mémoriaux de la Shoah en France», Paris, De septembre 2012 à mars 2013 Les héritiers» de Marie-Castille Mention-Schaar, 2014 «L’armée des ombres» de Jean-Pierre Melville, 1969 Sites internet: http://chemindenosmémoire.gouv.fr http://edusol.education.fr http://culturecommunication.gouv.fr http://lemoniteur.fr

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Iconographie: -Fig 01, Entrée Mémorial des Martyrs français de la Déportation, Pingusson, Wally Gobetz, dsiponible sur Flickr,2005 -Fig 02, Wattignies, Monument aux Morts de 1914-1918, mapio.net -Fig 03, Bréa, Monument aux Morts de 1914-1918, disponible sur exode1962.fr -Fig 04, Catalogue des fonderies, pour les monuments aux morts pour 1914-1918 disponible sur monumentsmorts.univ-lille3.fr -Fig 05, mémorial de Rivesaltes, Perpignan de Rudy Ricciotti, disponible sur Laregion.fr -Fig 06,mémorial de notre Dame de Lorette, philippe Prost, artefactorylab, disponible sur Région Haut de France.fr, 2014 -Fig 07, ossuaire de Douaumont, par tourisme grand verdun, disponible sur flickr.fr, 2012 -Fig 08, shémas explacatifs, Estelle Guiraud, 2016 -Fig 09, Croquis mémorial Canadiens de Vimy, Estelle Guiraud, 2016 -Fig 10, mémorial Canadiens de Vimy, toilegothique.com, 2009 -Fig 11, mémorial des fosses Ardéatines, Rome par Jean-Baptiste Hemery, 2015 -Fig 12, La place des Martyrs Juifs du Vélodrome d’Hiver, Paris par Martyn David, disponible sur Flickr, 2006 -Fig 13, Mémorial Notre Dame de Lorette, par Sebastien Croes disponible sur Flickr -Fig 14, Mémorial des Fosses ardéatines, Rome, par Jean-Baptiste Hemery, 2015 -Fig 15, la frontière du mur de Berlin, 1961, disponible sur associationdu46eri.com -Fig 16, La nuit de cristal, 1938, dsiponible sur deseretnews.com -Fig 17, Mémorial Yad Vashem, Jérusalem, disponible sur Israeltours.net -Fig 18, mémorial de l’holocauste, Washington, halle des témoins, disponible sur ushmm.org -Fig 19, mémorial de l’holocauste, Berlin par Benoit Dienaud disponible sur Flickr.fr, 2012 -Fig 20, mémorial de Tiergarten, Berlin par FH photography disponible sur Flickr, 2013 -Fig 21, mémorial de Pingusson, Paris, par Tom Gagner Photographe disponible sur wordpress.com, 2016 -Fig 22, mémorial de Rivesaltes, Perpignan dans AMC 249, mars 2016 -Fig 23, Plan et coupe mémorial de Rivesalte de Rudy Ricciotti, Perpignan, dans AMC 249, mars 2016 -Fig 24, Parvis, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson par Brandon Pass disponible su Flickr


Iconographie: -Fig 25, crypte, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson, par Julien Fourniol, disponible sur Flicckr.fr -Fig 26, escalier, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson par James Joel disponible sur Flickr.fr -Fig 27, entrée, mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson disponible sur Flickr.fr -Fig 28, coupe du mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson, retracée Estelle Guiraud 2016 -Fig 29, plan du mémorial des martyrs français de la déportation, Pingusson, retracée Estelle Guiraud 2016 -Fig 30, mémorial des Sinti et des Roms, Berlin disponible sur Carnetnordique.com - Fig 31, mémorial du martyrs juif inconnu, Paris disponible sur mémorialdelashoah.org -Fig 32, mémorial du martyrs juif inconnu, Paris disponible sur Wikipédia -Fig 33, la bibliothèque vide, Berlin disponible sur digii.eu, 2008 -Fig 34, mémorial de l’holocauste, Berlin par Irina Eger disponible sur Flickr -Fig 35 mémorial de l’holocauste, Berlin par Chloe Chevalier, disponible sur Flickr, 2011 -Fig 36, mémorial de l’holocauste, Berlin disponible sur 3voyage.wordpress.com -Fig 37, plan masse mémorial de l’holocauste, Berlin, retracée par Estelle Guiraud, 2016 -Fig 38, coupes du mémorial de l’holocauste, Berlin, retracée par Estelle Guiraud, 2016 -Fig 39, croquis par Estelle Guiraud, 2016 -Fig 40, Le mémorial aux soldats du feu, des iles Kornati par Yannick Hech sur twitter.fr -Fig 41, croquis du mémorial de Pingusson, matérialité par Estelle Guiraud,2016 -Fig 42, plan du mémorial des Fosses Ardéatines, Rome retracé par Charlotte Pimenta de Miranda, 2015 -Fig 43, coupe du mémorial des Fosses Ardéatines, Rome retracé par Estelle Guiraud, 2015 -Fig 44, mémorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost par Sebastien Croes disponible sur Flickr -Fig 45, mémorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost par Sebastien Croes disponible sur Flickr -Fig 46, coupe mémorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost retracé par Estelle Guiraud, 2016 -Fig 47, Plan masse mémorial de notre Dame de Lorette, Philippe Prost, retracé par Estelle Guiraud, 2016

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