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4.5. Démocratie

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4.4. Numérique

4.4. Numérique

A l’échelle mondiale, les revendications réclamant une extension de la démocratie se multiplient, non seulement à l’égard des régimes autoritaires – qui se légitiment eux-mêmes en tentant de discréditer les régimes démocratiques – mais également à l’intérieur même de ces régimes démocratiques. En effet, de larges pans de la population mondiale se méfient des institutions et des gouvernements, qu’ils estiment peu disposés, voire incapables, de répondre à leurs besoins ou à leurs attentes. Les systèmes fondés sur une démocratie exclusivement représentative sont particulièrement visés. Il leur est reproché de ne pas représenter la diversité des populations et d’être inaptes à répondre à leurs problèmes, du fait, entre autres, de la lenteur des processus institutionnels ou de leur corruption. Si, à l’étranger, le terme «crise de la démocratie» est utilisé, en Suisse, les mécanismes de démocratie directe ont jusqu’à aujourd’hui très bien fonctionné et fortement atténué la défiance envers le politique et les institutions. Non que le pays soit totalement à l’abri d’une certaine «mauvaise humeur» envers les autorités, mais la démocratie dite semi-directe (que l’on appellera directe par la suite), par la clarté des résultats qu’elle engendre, a plutôt conforté la confiance en elle. Néanmoins, la prudence doit être de mise. La demande d’une participation plus grande aux décisions s’accroît, en Suisse comme à l’étranger. La démocratie «directe» n’est en effet pas épargnée par des critiques. Des voix s’élèvent depuis un certain nombre d’années, critiquant tant le référendum que l’initiative. La lenteur des procédures est également soulignée: pour des cercles croissants, les pratiques démocratiques usuelles ne sont plus adaptées à l’urgence que requièrent certaines situations. De même, la polarisation qui affecte les sociétés occidentales concerne également la Suisse, comme l’a montré la crise du Covid-19, et nourrit un certain nombre de tensions à ne pas perdre de vue. Parallèlement, cette méfiance d’une partie de la population envers les institutions politiques s’exprime également à l’égard des sciences et de l’ensemble des figures incarnant une forme d’autorité intellectuelle: l’université, à travers les valeurs culturelles qu’elle véhicule, et la place des savant·e·s dans la société.

4.5.1. Proximité entre les autorités et la population Les instruments de démocratie directe peuvent être considérés comme le socle par lequel se construit la confiance de la population suisse envers les autorités politiques. Cette confiance garantit la stabilité du pays et du canton, qui elle-même contribue dans une large mesure à la prospérité économique dont nous jouissons. Les procédures démocratiques suisses ne peuvent toutefois être considérées comme immuables. Dans ce sens, le renforcement par des méthodes élaborées dans le cadre de la démocratie dite «participative» constitue un enrichissement. Ces approches ont comme objectif d’associer des personnes possiblement exclues des procédures habituelles (jeunes, étrangers, …) aux décisions effectives ou, du moins, aux processus délibératifs qui accompagnent une prise de décision. S’il est vrai que ces démarches comportent parfois un biais de représentation – car elles rallient plus difficilement les populations exclues des processus démocratiques traditionnels – elles permettent néanmoins de proposer une alternative au processus d’horizontalisation du pouvoir. Le canton de Vaud connaît d’ailleurs déjà de tels dispositifs, notamment pour les politiques d’aménagement du territoire. En parallèle, le recours aux outils numériques (e-démocratie) permet, notamment chez les jeunes générations, de favoriser la participation aux processus démocratiques. Par ailleurs, le respect de la proximité entre autorités et population, que rend possible la démocratie fondée par essence sur le dialogue, offre les bases à la transparence exigée de l’action publique. Elle constitue une condition sine qua non de la qualité des arbitrages livrés par les citoyennes et les citoyens.

4.5.2. Relations entre l’administration publique et la population L’Etat est appelé à s’adapter constamment aux changements, dans une période marquée par une succession de profonds bouleversement liés aux enjeux environnementaux, du numérique ou encore du vieillissement de la population. Les collectivités publiques sont appelées à faire preuve d’agilité, et à adapter leurs règles de fonctionnement au contexte tout en prenant en considération les nouvelles réalités de ce monde en mouvement. Si les autorités politiques intègrent la population dans leur conduite des politiques publiques, cette évolution concerne également leurs administrations, qui s’adaptent à la nouvelle demande démocratique. Vu leur place de plus en plus importante dans le fonctionnement de la société, les administrations ne peuvent plus uniquement se prévaloir des procédures qui rythment ordinairement leur travail quotidien: elles vont plus fréquemment à la rencontre des gens, directement touchés par une mesure en discussion ou intéressés par une problématique particulière. Ces nouvelles façons d'interagir et de coopérer avec la population vont au-delà des habituelles procédures de consultation, qui se contentent d’accumuler les opinions des différents secteurs de la société concernés par tel projet de loi ou de règlement. Certaines plateformes d'échanges permettent de faire participer les citoyennes et citoyens directement au processus d’élaboration d’une norme ou d’un projet. En même temps, un danger subsiste: les gens associés à ce dialogue avec le monde politique ou le monde administratif peuvent en sortir déçus ou frustrés, avec l’impression que les décisions importantes ont déjà été prises par ailleurs.

4.5.3. Approche large et intégrative de la réalité Une approche segmentée des questions majeures traitées par les collectivités (transitions énergétique et numérique ou crises sanitaires par exemple) peut s’avérer problématique dans un contexte de complexité croissante et d’interconnexion toujours plus forte entre les domaines. Le modèle dominant d’élaboration des politiques publiques, consistant à réduire les défis complexes en des problèmes de plus en plus petits, permet difficilement de faire face à des perturbations systémiques. Un enjeu de la démocratie consiste donc à renforcer toujours plus les approches intégratives, tout en veillant à y intégrer l’ensemble des domaines concernés, à piloter le changement de manière globale (Wernli et al. 2021), et à assurer la cohérence des décisions. Il en va de même pour la prise en compte des complémentarités entre le secteur privé, public et parapublic. Dans le contexte de pandémie par exemple, l’expérience récente a montré l’importance de considérer les implications sociales, économiques et psychologiques, en plus de l’analyser sous le prisme de la santé physique. De même, la politique vieillesse est toujours plus abordée de manière transversale, notamment dans les politiques d’aménagement du territoire, du logement, de santé et d’action sociale. Le vieillissement

de la population future rendra cet enjeu encore plus saillant. Enfin, la sensibilisation des spécialistes de tous les domaines et futur∙e∙s dirigeant∙e∙s aux enjeux climatiques et aux enjeux de la transition numérique est essentielle.

4.5.4. Question de la judiciarisation des relations sociales La justice, comme troisième pouvoir, apparaît comme l’un des fondements de la démocratie et de l’Etat de droit. Elle assure le respect des lois par les actrices et acteurs privés et publics, et garantit l’égalité devant la loi entre les individus et entre ceux-ci et les collectivités publiques. Les relations entre le processus politique et le pouvoir judiciaire tend toutefois à se modifier à travers un phénomène dit de «juridiciarisation». Ce phénomène témoigne d’un nouveau rapport des individus au droit et à la justice (Castillo, 2018). La justice se voit ainsi saisie de causes traditionnellement considérées comme relevant du domaine politique (p. ex. changement climatique), lui prodiguant ainsi un pouvoir nouveau: donner à l’Etat des instructions quant aux politiques à suivre. Observé tout d’abord aux Pays-Bas et en Allemagne, le recours à ce type de justice, qui tend à subordonner les procédures démocratiques d’arbitrage usuelles aux décisions de justice, est apparue en Suisse il y a peu. En Suisse, ce processus s’est aussi matérialisé sous la forme d’interventions de la justice dans le domaine des droits populaires (annulation d’un vote à Moutier tenu en 2017 sur le futur statut de cette commune ou celle du résultat d’une votation portant sur l’imposition du mariage en 2019). De telles interventions ne sont pas forcément mauvaises dans la mesure où elles démontrent que tous les actes de la vie démocratique sont placés sous la surveillance de la justice, qui doit veiller au bon fonctionnent des procédures telles que définies par le cadre constitutionnel et législatif. Mais, à la longue et si elles devaient s’intensifier, elles poseraient la question de l’autorité de l’Etat. Le droit serait alors de plus en plus convoqué lorsque des décisions démocratiquement prises ne conviendraient pas à certaines personnes déçues par des choix politiques. Le politique pourrait se trouver en difficulté, au profit de la justice mais aussi de l’administration (Rosanvallon 2015; Supiot, 2005).

4.5.5. Dangers menaçant la démocratie Une démocratie ne fonctionne que si les canaux d’information sont adéquats. Au cours des dernières années, les réseaux sociaux et leurs algorithmes prévus pour filtrer l'information qui parvient aux internautes («bulles de filtre») ont pris de l’ampleur. En parallèle, ces informations sont régulièrement non vérifiées ou manipulées, encourageant la binarité des opinions et faisant craindre à certain·e·s un danger pour la démocratie. La polarisation de la société s’accroît alors que certains groupes sociaux, parfois enclins à s’enfermer dans des logiques de type sectaire, voient quelques membres se radicaliser. Tout devient opinion, la connaissance n’est plus valorisée comme telle: chacun·e pouvant énoncer sa vérité, les scientifiques perdent leur aura de personnes garantes de la connaissance. La lutte contre la diffusion d’informations erronées ou manipulées passe, entre autres, par l’éducation des jeunes et des adultes, qui forme les esprits à trier le flot d’informations quotidiennes. Il est aussi possible de se demander si cet éparpillement de l’information a également contribué à durcir les relations entre la société et le monde scientifique. Celui-ci est à la fois investi de grandes attentes pour répondre aux problèmes de notre modernité (de la crise sanitaire à la crise écologique) et la cible d’une certaine méfiance, tant bien même que la science, loin de pouvoir donner des explications à tout, est guidée par le doute.

DIFFÉRENTS POINTS DE TENSION

• Les pratiques démocratiques classiques sont parfois jugées insuffisantes, ou du moins pas assez inclusives et réactive: dans quelle mesure l’exercice de la démocratie doit-il être renforcé par des pratiques relevant de la démocratie dite participative? Comment concilier l’exigence d’une agilité plus forte des pouvoirs publics avec ces nouvelles pratiques? • Les jeunes générations ont souvent tendance à s’abstenir: une implication d’une plus grande partie de la population doit-elle être soutenue par une extension des pratiques démocratiques par voie numérique, alors même que les systèmes dévoilent encore des failles en matière de sécurité? • La démocratie ne peut être complète que si les pouvoirs de décisions se trouvent le plus près possible de la population: faut-il dès lors renforcer la marge d’action des cantons, au niveau fédéral, et l’autonomie communale dans le canton? • Il est admis que la formation joue un rôle central dans la bonne santé démocratique d’une société: comment introduire, dans les programmes scolaires, une formation civique adaptée?

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