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MANUEL D’UTILISATION READ/ WRITE BOOK
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CHAPITRE
Contribution du design aux pratiques et aux apprentisages des savoirs dans la culture numĂŠrique
Les technologies numériques sont des technologies d’écriture et, par conséquent, de lecture. Elles impliques des compétences et des pratiques spécifiques de celles de la culture du livre sans pour autant les annuler. Nombre d’études menées dans divers champs du savoir interrogent ces transformations. En revanche, peu de réflexions, en France, portent sur la contribution du design graphique à l’élaboration du context où s’inscrivent de nouvelles pratiques de lecture. Alors qu’il participe à l’organisation des contenus, à leur conditions d’accès et d’appropriation, le design graphique et typographique agit non pas à la surface des choses, mais dans leur structure, dans les processus, dans les relations. Il a donc un rôle décisif à jouer dans la conception des conditions de lecture et d’écriture sur les divers écrans aujourd’hui à notre disposition. C’est cette réflexion que souhaitent amorcer les actes de cette journée d’étude organisée par l’école supérieure d’art et design de Grenoble.
SOMMAIRE Introduction Annick Lantenois
12 - 19
Le Livre Inscriptible
20 - 37
Marin Dacos Introduction du livre Read/ Write Book.
Feuilleter, flâner:
Interaction fluide pour les bibliothèques numérisées
38 - 69
Pierre Cubaud
Lire Gutenberg Entretien avec Yannick James, Alexandre Dimos et Annick Lantenois
70 - 89
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Introduction Annick Lantenois
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La généralisation et la diversification des écrans (ordinateurs, téléphones portables, iPad, liseuses, etc.) nous rappellent brutalement que la lecture n’est pas un acte «naturel» mais une pratique culturelle qui n’a cessé de se transformer au cours de l’histoire de l’écrit en général, et du livre en particulier. Sous la pression de cette poussée technologique, nous redécouvrons que le texte est indisociable de son support, que les conditions de son déchiffrage sont déterminées par le dispositif matériel sur ou dans lequel il s’inscrit, et que la lecture est intimement liée à l’acte d’écrire. Ces vingt dernières années, le dynamisme de la réflexion, en particulier dans l’histoire de la lecture et des écritures, qui se manifeste par des rééditions, des publications inédites, des colloques, des expositions, témoigne des enjeux de cette redécouverte.
Les technologies numériques sont des technologies d’écriture et, par conséquent, de lecture. En tant que telles, elles constituent, comme l’invention de l’écriture elle-même il y a 5000 ans, une extension de notre cerveau et, ainsi, de nos possibilités cognitives. Elles impliques des «savoircomprendre» qui sont des «savoir-lire» et des «savoirvoir» spécifiques de ceux de la culture du livre. Au coeur de ces savoirs spécifiques, s’imposent entre l’auteur et le lecteur les languages de programmation qui sont des textes par lesquels s’ouvrent les contenus. Mais ils ne sont pas seulement des clés d’accès. Ils définissent également l’envirronement sensible des contenus et donc les conditions de lecture et d’écriture.
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Intro
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Or, si divers champs du savoir interrogent ces transformations, en revanche, peu de réflexions et d'expérimentations sont consacrées à la contribution du design graphique à l'accès à ces nouveaux «savoirlire» et «savoir-voir». Florian Cramer le regrette et constate que le traitement de ces questions au coeur du design graphique tend aujourd'hui à être délégué aux ingénieurs. Que les designers et les ingénieurs réunissent leurs compétences et travaillent ensemble ne serait pas inédit. C'est même une donnée inhérente à l'histoire des designs. Le texte proposé par Pierre Cubaud, professeur au Conservatoire national des arts et métiers ( CNAM), est structuré par une réflexion équivalente, qui pourrait être celle d'un designer. Elle est articulée par une préoccupation qui se trouve au coeur du design graphique et qui structure de nombreuses études en sciences humaines: l'impossibilité de concevoir, d'analyser le texte sans que soient pris en compte les éléments matériels de son inscription qui déterminent les conditions de son déchiffrage. Le problème de fond que soulève Florian Cramer est le désengagement des designers de l'exploration des médias numériques au profit d'une conception du design graphique axée sur la production artisanale de livres pour «cibler un marché de biens matériels luxueux en pleine expansion». Cette critique est relayée par Marin Dacos qui, citant Milad Doueihi, invite à abandonner les tentations fétichistes à l’égard du livre. Ce qui est soumis à leur critique est donc, plus généralement, l’attitude des acteurs des arts et de la culture à l’égard des implications des médias numériques notamment sur le statut de l’auteur et, par conséquent, sur le statut des contenus. L’axe principal du texte de Florian Cramer est l’analyse de cette attitude.
Le constat qu'il dresse de la stagnation, voire de l'effondrement, de la littérature électronique repose sur son observation critique de la persistance de la différenciation entre écriture en général et«belleslettres» en particulier; une distinction devenue obsolète depuis que les lecteurs s'approprient l'écriture et sa diffusion sur Internet. Marin Dacos recense les pratiques d'écriture menées par les lecteurs dits «non-experts» selon les normes académiques. Le projet Lire Gutenberg, que Yannick James a élaboré pour la bibliothèque en ligne de livres numérisés Project Gutenberg, consiste à proposer un espace de travail qui d'une part dote les lecteurs d'outils leur permettant de mettre en forme les textes numérisés, et d'autre part favorise l'échange des commentaires en temps réel. C'est cette ouverture au travail contributif qui structure également la revue en ligne else if conçue par Stéphanie Vilayphiou et Alexandre Leray ( <stdin> ). Ce qui réunit ces explorations et ces réflexions est le souhait de leurs auteurs de définir le numérique, non pas comme un territoire, un milieu fermé, mais plutôt comme une extension du monde concret. Loin d'opposer culture du livre et culture numérique, ces chercheurs et ces designers affirment la nécessité de penser leur coexistence. Car l'émergence de la culture numérique ne signifie pas« la mort du livre» ou la«mort de l’auteur». En revanche, elle engendre un profond mouvement de reconfiguration des pratiques, des apprentissages, de l’économieet des modes de production des savoirs et des divers champs de la création et, par conséquent, de leur statut. Bien sûr, le design graphique n’échappe pas à ce processus de reconfiguration. Communément assimilé à une fonction d’emballage créateur de plus-value, il doit, ici, être compris comme l’un des acteurs contribuant au traitement, à l’organisation des contenus, à leurs conditions d’accès et d’appropriation; il agit non pas sur la peau, la surface des choses, mais dans leur structure, dans les processus, dans les relations.
l'émergence de la culture numérique ne signifie pas « la mort du livre» ou la «mort de l’auteur»
19 Intro
Parmi les divers niveaux de relations: celle entre la culture du livre et la culture numérique. Se posent alors les questions:
si la culture numérique est aujourd'hui notre socle commun, comment transforme-t-elle la culture du livre?
Et, à l'inverse, comment cette dernière, âgée de plus de 2000 ans, négocie-t-elle son histoire avec la culture numérique?
Quelles seraient les formes de leur coexistence?
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LE LIVRE INSCRIPTIBLE Marin Dacos
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LE LIVRE INSCRIPTIBLE Marin Dacos
25 LE LIVRE INSCRIPTIBLE
d’appropriations individuelles, dont l’essentiel est intime, conservé dans les bibliothèques de chacun d’entre nous. En amont, comme en aval, donc, plusieurs mondes du livre s’ignorent largement, et qui pourtant font partie du livre lui-même. Avec le numérique, ces continents immergés semblent se remplir d’oxygène, se connecter entre eux et remonter à la surface. Les carnets de George Orwell reparaissent en ligne, soixante-dix ans après leur rédaction, billet par billet, au rythme quotidien de leur écriture, sous les atours inattendus d’un blog posthume. L’éditeur ajoute des liens internes, des liens externes, des tags, des rubriques. Et les lecteurs d’aujourd’hui naviguent dans le corpus, formulent leurs réactions, leurs questions, apportent des précisions1.
1. Voir à ce sujet : Marin Dacos, « La mécanique des fluides. L’édition électroniquedu journal de George Orwell sur Wordpress.com », http://blog.homo-numericus.net
Les généticiens, ces spécialistes de la genèse des œuvres, qui travaillent par exemple sur les brouillons de Madame Bovary, savent qu’il y a une vie avant le livre. Bref, un dialogue explosif entre l’auteur et son œuvre, jusqu’à ce que celle-ci soit soumise à un éditeur, qui, lui-même, va lui faire subir divers traitements, la correction, la mise en collection et la mise en page n’étant pas les moindres. On sait également qu’il y a une vie après le livre. Une vie publique, sous forme de recensions, comptes-rendus, débats, citations, évocations, imitations. Une vie privée, plus encore. La photocopie partielle, la glose, l’annotation, le surlignage, l’opération du stabilo, le coin corné. Et même le classement, qu’il soit alphabétique ou thématique, par éditeur ou par pays, par couleur ou par collection, par taille ou par date d’achat. Un continent
2. Voir l’historique des statistiques pour la notice «Johannes Gutenberg» 3. Voir www.bookcrossing.com
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Les auteurs contemporains exploitent la forme du blog pour tester leurs idées et les soumettre au débat, en prélude à celui qui pourra avoir lieu lors de la publication. Ils associent, ainsi, leur lectorat à la genèse de l’ouvrage. Sur Wikipedia, la notice «Johannes Gutenberg» a été créée en 2003, éditée 836 fois depuis, dont 291 corrections mineures, par 375 personnes différentes. Dans les 12 derniers mois, 197 modifications ont été apportées à la notice2. Zotero, Delicious, CiteUlike, Librarything et bien d’autres récoltent les moissons de lecture des internautes, autant de signets conservés, classés par tags et rendus publics. L’internaute peut parcourir ces corpus inédits verticalement, horizontalement, ou même en diagonale, dans l’ivresse désordonnée des tags collectifs ou dans la linéarité de l’ordre antéchronologique. Ces listes de lectures peuvent être répercutées sur les sites personnels du lecteur luimême, constituant une offre de partage de lectures, qui a tendance à déborder sur le monde matériel. En témoignent les nombreuses initiatives d’échanges et de partages de livres dans la cité3. Les exemples d’interactions, d’inter-écritures, entre le livre et le reste du monde semblent innombrables et appelés à se développer. Même sur Amazon.fr, de telles inscriptions se développent. Les lecteurs écrivent leur émotion à la lecture de Lettre à D. d’André Gorz. Ils créent des listes de livres préférés qu’ils rendent publiques. Ils laissent également des traces lors de leurs achats, qui permettent à Amazon de proposer, autour de la notice du Creuset français de Gérard Noiriel, d’autres livres qui ont été acquis par des acheteurs de l’ouvrage. D’ambition commerciale, une telle fonctionnalité construit également des propositions de lecture et de découverte qui étaient autrefois l’apanage des gens instruits, disposant d’un environnement culturel privilégié. Elle offre à tous une forme de cartographie de la culture. Elle rend publique des informations de sociologie de la culture inaccessibles, autrefois, sans une longue et coûteuse enquête de terrain. Surtout, elle offre des conseils de lectures qui étaient autrefois l’apanage de ceux qui disposaient les clés permettant de s’aventurer jusqu’au bureau de la bibliothécaire du quartier ou jusqu’à l’office du libraire.
blog
Brandan Deason http://cargocollective.com/ brandandeason/VISIONS
VISION
Johannes Gutenberg
tags collectifs listes de lectures
inter-ĂŠcritures
cartographie de la culture 27 CHAPITRE
conseils de lectures
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28 THE GRAPH OF IDEAS http://griffsgraphs.files.wordpress. com/2012/07/poster-new-final.png
Le lecteur inscrit le livre dans sa trajectoire et certaines de ces inscriptions laissent une trace qui contribue au savoir de l’humanité.
Le lecteur devient un des auteurs du complexe de livres qu’il lit et qu’il parcourt.
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un écosystème inédit, vivant et puissant.
Cette liste d’interactions entre le livre, l’auteur et le lecteur est très partielle et pourrait s’énumérer sur des dizaines de pages. Elle permet, cependant, de distinguer l’écriture, l’inscription et la lecture. En entrant dans l’ère de l’informatique en réseau, le livre semble appelé à devenir de plus en plus réinscriptible. Il n’est plus seulement séquentiel comme autrefois, dans cette fameuse chaîne du livre qui mène de l’amont vers l’aval en ligne droite. Il est aussi réticulaire. Comme un oignon, il se pare de multiples couches, un ensemble d’informations ajoutées par des dizaines de métiers différents, qui participent à une vaste entreprise d’enrichissement documentaire, et par des auteurs secondaires qui, par leurs inscriptions, contribuent, à toutes les étapes de la vie du texte, à enrichir la grille de lecture du texte, à ajouter des strates supplémentaires au texte initial. 4. Voir «Qu’est-ce qu’un livre à l’heure du numérique» d’Hubert Guillaud. 5. Christian Vandendorpe, « Le livre et la lecture dans l’univers numérique », Presses de l’Université de Montréal, 2008, pp. 191-209.
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Le livre devient inscriptible, dans un système d’information riche, polymorphe, mouvant et encore très fragile. C’est le Read/ Write Book, expression proposée par Hubert Guillaud4, sur le modèle du magnifique Read/Write Web. Le livre qui s’écrit et qui se lit. Ou bien le livre qui se lit puis qui s’écrit. Comme on voudra. Les inquiets y verront la disparition des figures de proue du navire livre: l’auteur, l’éditeur, le librairie. Et, trop souvent, de dénoncer Wikipedia comme le paroxysme de la démocratie des médiocres et de l’absence de hiérarchie, d’ordre et de valeurs. La transposition sur internet de l’ancienne prophétie concernant les quinze minutes de célébrité offertes à chacun. Ce contre-sens est lié à la confusion entre l’encyclopédie des Lumières et l’encyclopédie collaborative, en train de se faire, du XXIe siècle. Les autres y voient un enrichissement historique, qui se dotera peu à peu de repères, de règles, de lieux, de formes et de codes. Et qui nécessite la mise en place de grilles de lectures. La « prison de papier », selon l’expression de Christian Vandendorpe5, dans laquelle le livre avait atteint son âge d’or, pourrait donc céder la place à un écosystème inédit, vivant et puissant.
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Il est aussi réticulaire. Comme un oignon, il se pare de multiples couches, un ensemble d’informations ajoutées par des dizaines de métiers différents, qui participent à une vaste entreprise d’enrichissement documentaire, et par des auteurs secondaires qui, par leurs inscriptions,contribuent, à toutes les étapes de la vie du texte, à enrichir la grille de lecture du texte, à ajouter des strates supplémentaires au texte initial.
6. http://www. archimedespalimpsest.org/
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Mais le palimpseste n’est pas le modèle du Read/ Write Book. Pour inscrire leurs prières sur un parchemin, des prêtres du XIIe siècle ont effacé des traités de mathématiques d’Archimèdes 6. La rareté du support a mené au sacrifice d’œuvres anciennes. Le Read/Write Book n’est pas l’autodafé ou le monde sans hiérarchie ni auteur que craignent certains fidèles du livre traditionnel. L’auteur et l’éditeur restent libres de rendre le noyau de l’œuvre réinscriptible ou de le refuser. À terme, même, ils devraient même pouvoir régler de nombreux curseurs d’inscriptibilité, comme on décide de modérer a priori ou a posteriori les commentaires d’un site web. Le modèle du Read/Write Book ne s’impose pas à tous les niveaux, comme une solution de substitution à la définition traditionnelle de l’auteur ! Yves Bonnefoy et Michel Foucault restent Bonnefoy et Foucault, et rien n’indique que doive disparaître l’auteur solitaire, travaillant des années dans son atelier, signant de sa plume un livre marqué de l’empreinte de sa personnalité ou, même, de son génie. Le paradigme du Read/Write Book ne se substitue pas à celui du livre classique, il s’y ajoute. Ils devront désormais cohabiter. Notre thèse est que le livre se situe à un tournant de son histoire et que, malgré les chausses-trappes qui l’attendent, et à condition d’abandonner tout fétichisme, sa vitalité, sa liberté et sa force sont en mesure d’être décuplées avec l’arrivée du numérique en réseau. Révolution de l’accès, bien entendu, mais aussi révolution des usages, qu’ils soient d’écriture, de lectures ou d’inscription. Le livre, donc, sans cesse, se réinvente, et réinvente notre société par la même occasion.
le livre se situe à un tournant de son histoire... sa vitalité, sa liberté et sa force sont en mesure d’être décuplées avec l’arrivée du numérique en réseau.
Digital Archimedes Palimpsest http://guides.lib.cua.edu/ content.php?pid=269709&sid=2232203
De telles évolutions vont jusqu’à poser la question ontologique de la définition du livre, qui semble avoir perdu ses repères historiques, patiemment construits au fil des siècles. C’est l’objet du chapitre un, qui regroupe des contributions importantes sur ce que devient le livre au XXIe siècle, lorsqu’il s’installe « dans les nuages » du réseau. Mais ces évolutions attisent également les convoitises, car un marché en devenir s’ouvre devant nos yeux, et une bataille s’engage entre diverses conceptions du réseau. Doit-il être centralisé ou distribué, les contenus en accès restreint ou en libre accès, avec ou sans DRM8, dans des formats propriétaires ou dans des formats ouverts? Quels modèles d’organisations pour les métiers du livre, quels acteurs, quelles compétences, quels canaux, quels lieux de pouvoirs peuvent, doivent ou risquent d’émerger ? Ces questions agitent le chapitre deux, qui concerne la bataille du livre numérique, désormais engagée. Le scénario le plus sombre déboucherait sur ce que nous avons appelé un monopolivre, c’est-à-dire un univers complètement noyauté par une poignée d’acteurs tenant les leviers de l’écriture, de l’inscription et de la lecture, de l’accès au savoir et à la possibilité de confronter les points de vue.
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Pour que le livre soit au service de la société, il ne doit pas être inféodé à quelques intérêts, mais devenir un bien largement public, tout en s’inscrivant dans une économie libre.
Le dernier chapitre cherche à replacer la science au cœur du questionnement sur l’avenir du livre, elle qui a si largement contribué à l’histoire du livre et à la naissance d’internet. Elle qui se situe au cœur des enjeux de la société et de la connaissance.
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FeUILLETER, FLÂNER: Interaction fluide pour les bibliothèques numérisées
Pierre Cubaud
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7. www.ieee.org/
2. Association for Computing Machinery. http://cacm.acm.org/. Note de l’éditeur. 4. The Magazine of Digital Library Research: www.dlib.org/. Financé par I'Advanced Research Projects 6. Éditions Hermès-Lavoisier,
1 Centre d'étude et de recherche en informatique.
La recherche pour les bibliothèques numériques est en plein essor: une dizaine de revues et de conférences internationales spécialisées en témoignent. Le thème a donné lieu à deux numéros spéciaux fondateurs de la revue savante d'informatique Communication of the ACM2 (avril 1995 et avril 1998), suivie depuis par l'International journal on Digital Libraries3, D-Lib4,journal of Digital Informations, et, en France, Document numériques6. La conférence annuelle« ACM Digital Libraries» a fusionné avec son homologue de l'IEEE7 en 2001. L'« European Conference on Digital Libraries» tiendra sa quinzième édition en 2011 et une conférence parallèle a aussi lieu en Asie. Par ailleurs, depuis la« Digital Library Initiative» américaines, de nombreuses actions incitatives ont été mises en place par les organismes de financement de la recherche.
5. http://journals.tdl.org/jodi, Texas.
3. www.dljournal.org/, Springer Verlag. NdÉ
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Ce texte est la synthèse de plusieurs communications antérieures du groupe de recherche a«Interactivité pour lire et jouer» du laboratoire CEDRIC1 au Conservatoire national des arts et métiers. Chercheur en informatique invité à participer à une table ronde réunissant aussi des chercheurs en sciences humaines, des artistes et des designers, j'ai essayé d'insister dans ce qui suit sur des questions qui peuvent préoccuper les autres communautés.
<Page marqué le 18/06>
8. Voir pour une synthèse: Roger T. Pédauque, Le Document à la lumière du numérique, Éditions, 2006, et les numéros spéciauxde la revue Document numérique depuis 1997.
Cette vitalité s'explique par la nature nécessairement pluridisciplinaire du thème et l'importance de ses enjeux sociaux. La diversité des propos a cependant conduit à rendre le terme «bibliothèque numérique» ambigu.On peut en effet considérer la bibliothèque numérique comme un lieu d'accueil (encore à inventer) pour les documents numériques que notre société produit maintenant en très grand nombre, ou bien considérer la numérisation comme le prolongement naturel des missions de conservation et de diffusion communes à toutes les bibliothèques. La recherche en matière de bibliothèques numériques s'inscrit bien sûr dans des réflexions plus générales sur la théorie de l'information, le document, l'acte de lecture, l'échange de documents, l'écriture collective et la communication en général dans un contexte informatique8. Je ne traiterai ici que de la numérisation d'oeuvres écrites et reproduites sur support papier: de bibliothèques numérisées, en somme, plutôt que numériques. Même envisagée de cette manière plus restrictive, il s'agit là d'une recherche mettant en jeu de nombreuses spécialités qui interviennent aux différentes étapes de construction de la bibliothèque: l'acquisition par capture des informations, le stockage, la compression des facsimilés, la reconnaissance automatique de texte, la modélisation des documents, la diffusion des données du lieu de stockage au lieu de consultation, et enfin la manipulation des documents par l'utilisateur. 43 Feuilleter, flâner
. Éditions Hermès-Lavoisier, . www.ieee.org/
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Feuilleter, fl창ner
11. Voir le site Memory of America de la bibliothèque du Congrès.
9 Michael Buckland, «Histories, heritages and the pass: the case of Emanuel Goldberg» 10. La base de données Enluminure du ministère de la Culture et les travaux de la bibliothèque municipale de Lyon
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Les bibliothèques numérisées ont un passé, une histoire et un héritage, pour paraphraser Michael Buckland9, encore à retracer. La connaissance objective de cet héritage est pourtant fondamentale pour une compréhension des habitudes de travail, des motivations et des attentes des acteurs du domaine. Par exemple, l'attention un peu systématique portée actuellement en France à la numérisation des manuscrits enluminés10 et aux États-Unis à celle de la presse quotidienne locale du XIXe siècle11 a pour origine des campagnes de microfilmage effectuées dans ces deux pays dans l'entre-deux-guerres13. Les arguments avancés en faveur ou en défaveur du numérique par rapport au livre sont aussi souvent le décalque inconscient d'utopies (je pense ici au Mundaneum de Paul Otlet, au World Brain d'H.G. Wells, mais aussi à la pittoresque Agonie du papier d'Alphonse Allais) ou de polémiques produites lors de la diffusion du microfilm il y a plus de 70 ans. Les échecs des premiers livres électroniques (de Sony en 1992 à Cytale en 2000) ne sont pas non plus sans rappeler l'échec, oublié aujourd'hui, du télécopieur de journal à domicile, confronté d'ans les années 1940 à la télévision naissante. Le premier projet institutionnel de« l'ère pré-Web» est certainement celui initié lors de la conception de la nouvelle Bibliothèque de France à la fin des années 1980. Des moyens très importants étaient souhaités: un milliard de francs pour le numérique, dix milliards pour la bibliothèque elle-même. Un plan de numérisation d’un million de titres était envisagé (le seuil des 100 000 titres a en fait été atteint dans le courant de l’année 2006), ainsi que le développement d’outils informatiques de consultation.
12. Philippe Rouyer, L'âge d'or du microfilm, thèse de doctorat de l'université Paris Ill, 1999.
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Passées progressivement du stade totalement expérimental au (relativement) opérationnel, les bibliothèques numérisées ont depuis bénéficié du progrès constant des technologies de captation, de stockage et de transmission numérique ainsi que de la chute de leurs coûts12. Le développement du WorldWide Web a permis d'atteindre un public international considérable par le biais d'une interface standard et commode. Les projets de numérisation se sont développés au fil des années: pour la France, le catalogue du ministère de la Culture en recensait près de 6oo en octobre 2010 (www.numerique.culture.fr), mais il n'existe pas à ce jour de coordination de ces projets. Le nombre d'entreprises capables d'assumer campagnes de numérisation a crû proportionnellement. Une dimension nouvelle a été atteinte fin 2005 avec l'annonce de projets très ambitieux: l'accord de Google avec plusieurs très grandes bibliothèques américaines (Harvard, la New York Public Library, Stanford, et surtout l'université du Michigan), la mise en place d'une Bibliothèque numérique européenne (six millions de titres d'ici cinq ans) et l'accord particulier de Microsoft avec la British Library (100000 volumes en un an). Enfin, la commercialisation en 2009 par Apple de la tablette iPad a relancé l'intérêt du grand public pour les dispositifs dédiés à la lecture numérique. La boucle semble bouclée, puisque les contenus et le dispositif de consultation sont maintenant tous deux disponibles. Ces annonces ne doivent pas faire oublier que plusieurs difficultés demeurent. Les plus médiatisées sont celles d'ordre juridique, en particulier la question du droit d'auteur.
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Du point de vue de la sélection des textes en vue d'une numérisation, on peut grouper la production imprimée en trois classes: - Les oeuvres qui relèvent aujourd'hui du domaine public. En droit français, il s'agit de celles dont les auteurs sont décédés depuis 70 ans. En 2010, on peut grossièrement considérer que toute la production imprimée antérieure à 1860 relève de cette catégorie. - Les oeuvres dont les ayants droit disposent d'une représentation numérique complète (sous la forme de fichiers de traitement de texte, SGML ou PostScript) permettant l'inclusion quasi-automatique dans une bibliothèque numérique. Ce n'est en pratique le cas que depuis au mieux deux décennies, les grands éditeurs scientifiques étant précurseurs en la matière.
- Une classe intermédiaire, dont la période de production s'étale donc entre 1860 et 1990. Cette classe doit être subdivisée en deux groupes, selon que les ayants droit de ces oeuvres sont identifiables, ou non: on parle alors d'oeuvres «orphelines». Dans la pratique des projets de numérisation, ce dernier groupe revêt une importance considérable, car c'est lui qui regroupe la plupart des textes référencés dans la production intellectuelle d'aujourd'hui. On comprend donc que les projets de numérisation massive doivent passer par une négociation tout aussi massive des droits d'exploitation. Mais il existe aussi des difficultés d'ordre plus technique, que nous allons examiner.
PLEASE
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NOT
SCAN
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Feuilleter, fl창ner
Distorsion http://www.sodeoka.com/ Distortion
NUMÉRISATION, ÉCHANTILLONNAGE ET MOIRÉ Le point de départ de la construction d'une bibliothèque numérisée réside dans la numérisation du document sur support papier, pour en extraire, via un capteur, un nombre fini d'informations considérées comme significatives: ces informations (des nombres) sont ensuite susceptibles de traitements informatiques. La « remédiation» ainsi réalisée (du support papier au support mémoire magnétique, par exemple) ne peut pas se faire trivialement.Tout d'abord, message et support entretiennent des relations beaucoup trop complexes pour qu'on puisse les supposer toujours dissociables. Un exemple parmi mille: la figure 1 reproduit un passage de la Minéralogie de la France et de ses colonies deLacroix, monumental inventaire encore aujourd'hui de référence. Comme souvent pour ce type de publication de nature encyclopédique, l'écriture et l'impression se sont effectuées de manière concomitante, et il n'est pas surprenant que l'auteur fasse référence au processus d'édition au sein même de son texte.Imaginons cependant la perplexité du lecteur passionné de phyllosilicates, cherchant dans son Lacroix numérique les occurrences du mot «feuille»!
Figure. 1 51
A. Lacroix, Minéralogie de la France et de ses colonies, T.1-1, p. 10, 189
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Le deuxième type de problèmes réside dans le processus de numérisation lui-même. L'expérience fondatrice en matière de numérisation de document est peut-être le photo-télégraphe d'Arthur Korn (1904). Dans cet appareil, une cellule au sélénium balaie une photographie en un nombre fini de lignes. Le signal électrique résultant est transmis sur une ligne téléphonique au récepteur, qui à son tour déplace une source lumineuse au-dessus d'un papier photosensible. Lorsqu'il juge de la qualité de reproduction de ses fac-similés, Korn montre bien les relations entre le nombre de lignes de balayage, le temps de transmission et les limitations de la technologie des lignes. Il a fallu attendre cependant une vingtaine d'années pour qu'Harry Nyquist propose une explication formelle du processus d'échantillonnage. Ce qu'on appelle maintenant le théorème de Nyquist donne une borne inférieure à la fréquence d'échantillonnage liée à la bande passante du signal d'origine. Quand l'échantillonnage se fait à une fréquence inférieure à la limite de Nyquist, le signal résultant contient des formes absentes de l'original: du moiré, ou, pour employer la terminologie franglaise du traitement du signal, un alias. Rappelons que l'on peut obtenir facilement des figures de moiré en superposant deux feuilles de celluloïd sur lesquelles on trace des réseaux de lignes ou de courbes de dimension et d'orientation légèrement différentes.
http://MoirĂŠ.files.wordpress. com/2012/07/poster-new-final.png
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La téléphotographie à l’illustration. Conférence de M;le prof. Korn et expérience de transmission des photographies sur le circuit Paris- Lyon- Paris
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Les systèmes de numérisation actuels sont bien différents du photo-télégraphe de Korn, mais la nature même de la numérisation comme processus d'échantillonnage reste inchangée. Il est en pratique difficile de décider de la pertinence des signaux« émis» par un document et les exemples de sous-estimation sont fréquents, du fait des contraintes techniques ou économiques (sans oublier les approches naïves). Par exemple, la numérisation en noir et blanc est encore très courante dans les projets de numérisation du patrimoine imprimé, au lieu d'une captation couleur (fig. 3). Le traitement des planches hors-texte dépliantes est un exemple moins trivial. Cette technique de mise en page a été extensivement utilisée dans l’édition scientifique et technique jusqu’au milieu du xrxe. Elle permet en effet un commentaire (pour l’auteur) ou un examen (pour le lecteur) en parallèle, évitant les allers-retours entre page dus aux limites physiques imposées par la typographie. À ma connaissance, aucune interface de consultation de bibliothèque numérique actuellement en service ne transcrit ce type de fonctionnalité. Bien souvent, c’est à cause de la limitation des métadonnées associées au fac-similé. Pour le site du Conservatoire numérique des arts et métiers (http:/ /cnum.cnam.fr), nous avons bien distingué les hors-texte des autres fac-similés, mais pas le fait qu’une planche soit dépliante ou non. On doit dès lors considérer la version numérique du livre à planches comme un alias. D’une manière plus générale, un livre n’est pas seulement un ensemble de pages planes, mais aussi un volume, qui se feuillette et peut être modélisé comme tel.
Figure. 2 Numérisation a 600DPI. Image bitonale résultante, les tâches, les notes et l’encre se fondent en une forme unique.
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On retrouve ces problématiques de l'échantillonnage et du moiré à d'autres niveaux: par exemple lorsqu'on réduit un périodique à la somme des articles qu'il contient, écartant au passage les couvertures, tables, errata (ce qui est, hélas, très fréquemment fait). On les trouve encore dans la pratique de sélection des «politiques éditoriales » des projets de bibliothèques numérisées, qui privilégient tel ou tel aspect des fonds originaux. Il me semble surtout que cette idée d'échantillonnage peut être généralisée au support et à l'environnement physique du texte (la bibliothèque), aux gestes et aux démarches des lecteurs. Dans un chapitre intitulé «Les oubliés» de la composition informatisée», Roger Laufer et Dominico Scavetta faisaient déjà un constat similaire:
Feuilleter, flâner
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LIRE À L’ÉCRAN
«
Le livre contemporain et ancien offre d'autres modèles qui n'ont pas tous été pris en compte. Songeons aux livres animés. Une tirette y fait sortir l'oiseau de la cage. [ ... ]
Ces relations ne sont pas analysées mais perçues au feuilletage, autrement dit à une lecture graphique de survol toujours associée à la lecture verbale. [ ... ]
L'hyper texte a dû découvrir le rôle de la main dans la lecture.
Il devient possible aujourd'hui de simuler de tels livres. L'amélioration de la qualité des écrans était un préalable à toute lecture soutenue à l'écran. Le confort moyen demeure insuffisant. La petite dimensiondes écrans grand public freine l'hypertexte et le dévoie passagèrement. La question des formats présente pourtant une analogie évidente avec l'imprimé. Dans les rayons d'une bibliothèque, on ne place pas côte à côte les folios éléphants et les octavos nains. On n'y verse pas non plus les mêmes matières. La structure physique de chaque page définit un ordre strictement linéaire.Mais la séquence des surfaces encrées sur les pages brise la ligne du discours en arborescences diverses, par le jeu des divisions et subdivisions. [ ... ]
La physique du livre enfin ne se trouve pas seulement dans la succession de surfaces planes mais dans son assemblage tridimensionnel, son volume. C'est ce qui autorise les lectures transversales à l'aide de tables. [ ... ]
Les mots d'onglets et d'index disent bien comment le livre se tient et se consulte. Le poids et l'encombrement rendent mal commodes les plus beaux ouvrages de très grand format.
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Nous feuilletons avec le pouce et l'index et souvent de l'une ou l'autre main. Nous glissons même les autres doigts entre les pages en consultant plusieurs références. Toute simulation doit tenir compte du corps et de l'espace. [...]
»
CHAPITRE
Pas de simulation interactive sans stimulation sensorielle.
LIRE À L’ÉCRAN
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On trouvera dans N'espérez pas vous débarrasser des livres de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, une critique plus récente, intégrant les avancées d'Internet et du Web, mais ne différant pas sur le fond. La consultation simultanée sur le Web de plusieurs documents numérisés se traduit par des superpositions de fenêtres et des actions très nombreuses de redimensionnement, rendues d'autant plus nécessaires que les fac-similés imposent leurs dimensions au dispositif de visualisation, et non l'inverse. De fait, la plupart des utilisateurs préfèrent télécharger et imprimer leurs documents de travail19. Avec la multiplication des bibliothèques en ligne d'accès international, les utilisateurs sont de plus confrontés à un nouveau problème: évaluer l'adéquation de ces collections avec leur besoin de documentation. Pour estimer la valeur d'un corpus, il faut avoir recours à un moteur de recherche, ce qui suppose la capacité de l'utilisateur d'énoncer une telle requête.
Comment dès lors déambuler -flânerdans une bibliothèque numérique? Quelles techniques de visualisation utiliser quand la taille de corpus peut atteindre le million d'items? Comment permettre les découvertes accidentelles, la sérendipité?
Pour répondre à ces deux questions, il faut augmenter le débit d'informations entre les bibliothèques numériques et leurs usagers. Ceci implique l'obtention de données plus riches et la mise en oeuvre d'une interaction plus fluide2o pour l'utilisateur.
Peter CronKrak ( the luxury of protest) Print, 2010, UK
REAL MAGICK
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CHAPITRE
LIRE À L’ÉCRAN
Gauche: Extrait de la revue «La Nature» Droite: Les 32500 pages correspondantes
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Figure. 3
FEUILLETER L'action de feuilletage peut être simulée de manière assez convaincante par une animation à l'écran de la circulation de la page courante d'un bord vers l'autre. Un tel procédé avait été proposé sur des bornes à écran tactile dans l'expérience pionnière «Turning the page» de la British Lïbrary. Il est maintenant régulièrement utilisé, avec grand succès, dans des expositions grand public de textes précieux (exposition des manuscrits de Léonard de Vinci, au Louvre en 2004, par ex.). Une animation plus sophistiquée, basée sur le comportement physique d'une feuille de papier fléchie, a été décrite dans « How to turn the page» et« Realistic books: a bizarre hommage to an obsolete medium?» et améliorée depuis. On peut aller plus loin encore, et permettre le déchirage virtuel, par exemple pour assurer une
fonction de type copier-coller. Dans un autre ordre d'idée, il est possible de manipuler en 3D des versions numériques de livres à système. La fonction de feuilletage rapide est, quant à elle, encore hors de portée des ordinateurs grand public. Pour procurer à l'usager une expérience comparable à celle qu'il peut réaliser avec un livre papier, avec son pouce parcourant toute l'épaisseur du livre, il faudrait un système vidéo capable d'afficher approximativement soo images haute définition par seconde: nous en sommes loin. Le problème peut être contourné de diverses manières. La technique du RSVP (Rapid Seriai Visual Presentation) consiste à réaliser une vidéo de cadence assez rapide à partir de la suitedes pages. À ma connaissance, elle n'a pas été appliquée aux livres numérisés.
Réorganisation de l’image précédente par volume
Figure. 4
une image construite en accolant des réductions «extrêmes>> des pages numérisées: 5 par 7 pixels, pour une image résultante de 1 ooo par 1 ooo pixels (fig. 3, droite). Les alternances de vignettes grises et plus foncées traduisent la régularité de la mise en page, qui voit se succéder les grandes illustrations à un rythme constant. En réordonnant l’image par volumes de la revue, la variation de longueur des volumes est évidente (fig. 4). Ainsi, dans le volume 34 de notre collection, les suppléments qui apparaissent en fin de volume sont visiblement manquants, ce que nous ignorions avant cette expérience.
61 Feuilleter, flâner
Plus courant est le recours aux vignettes, images réduites des pages du livre numérisé, que l'on peut organiser en «chemin de fer» (voir par exemple Google Books ou Gallica). Les vignettes posent cependant deux problèmes. On ne sait pas facilement calculer leur taille idéale. Trop petites, toutes les pages se ressemblent. Plus grandes, elles mobilisent trop de surface d'écran (et leur transmission sur le réseau, du serveur d'origine au poste de l'usager, peut devenir trop lente). Au CNAM, nous avons commencé à explorer les apports de la visualisation par vignettes en produisant des miniatures pour le périodique illustré La Nature. Nous en avions numérisé les 30 premières années (1873-1902), ce qui représente 32500 pages. La figure 3 (gauche), extraite de la revue elle-même, donne une idée de la volumétrie physique correspondante. Nous avons produit
LIRE À L’ÉCRAN
62 Nous avons ensuite cherché comment passer de manière fluide de la vue globale du volume à la page unique en haute définition. La visualisation interactive d'un ensemble de telle grandeur, de l'ordre du giga-pixel, est actuellement hors de portée pour les ordinateurs grand public, mais pas des dernières générations de cartes graphiques multi-coeurs (par exemple GeForce 9400M). Dans le dispositif baptisé «mur de page», le logiciel calcule à l'avance une pyramide d'images de six niveaux de résolutions décroissantes pour chaque fac-similé. On assure par «MIP mapping» un zoom fluide et net dans toute la gamme de résolutions.
Le «mur de page» repose sur une présentation 3D cylindrique et une interaction reposant sur un périphérique à trois degrés de liberté. La technique de présentation des pages du volume et l'interaction offerte à l'utilisateur posent chacune des problèmes spécifiques. On trouvera dans la thèse de Rodrigo Almeida, Contribution aux techniques pour enrichir l'espace moteur et l'espace visuel des dispositifs d'interaction bureautique, le compte rendu de plusieurs expériences à ce sujet, ainsi qu'une riche bibliographie.
THE PAGE WALL http://www.aznavour.com
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Feuilleter, fl창ner
LIRE À L’ÉCRAN
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FLÂNER La découverte accidentelle est difficile avec le système de type requête-réponse utilisé pour les moteurs de recherche. Le problème est ancien et se posait déjà avec les catalogues de bibliothèques en ligne (Telnet, Minitel, etc.). Les concepteurs des services grand public comme Google Books etAmazon en sont conscients et ont mis en place plusieurs techniques alternatives, essentiellementbasées sur la visualisation: des lectures en cours d'autres usagers, ou de recommandations inspirées de la navigation passée, voir de notices d'ouvrages sélectionnées de manière aléatoire. Dans tous les cas, il faut substituer au texte descriptif (notice de l'ouvrage) des indices visuels qui permettront une lecture de survol de l'ensemble de l'écran. Un indice simple à construire et visiblement efficace (bien que, à ma connaissance, cela reste à évaluer formellement) consiste à afficher une vignette représentant la couverture des ouvrages concernés. Pour le livre moderne (après la première guerre mondiale), l'éditeur s'attache à rendre cette couverture attrayante ou au moins discriminante. Pour les livres anciens, dont la reliure n'était pas du ressort de l'éditeur, il faut se contenter de la page de titre ou des dos des reliures. Reste ensuite à placer ces vignettes sur l'écran. De nombreuses approches sont explorées: le placement en liste verticale (Amazon, etc.) ne procure que peu d’avantage pour une vue d’ensemble. La visualisation en graphe ou en nuage reste à ce jour difficile car on ne connaît pas d’indice de proximité lié au contenu des ouvrages qui soit robuste et efficace. Finalement, l’étagère reprend ses droits. On en trouve maintenant la transposition numérique sur l’iPad (application iBook) ou sur la Nintendo-DS (application 100 Livres Classiques). Comme souvent, les artistes ont vu plus loin que les ingénieurs.
THE IMAGE MIXER http://www.oyonale.com/ imagemix_images.php
Pour la réalisation de tableaux sur ordinateur, Gilles Tran a construit des programmes de synthèse procédurale pour générer à l’infini des étagères de bibliothèques (www.oyonale.com).
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Jean François Rauzier a quant à lui recours à l'assemblage de photos numériques pour créer d'immenses tableaux, qu'il appelle des «hyperphotos» (www.rauzier-hyperphoto.com). Certaines de ses oeuvres ont comme thématique la bibliothèque. Ces tableaux sont aussi accessibles en ligne, par le biais d'une interface zoomable. Il est assez tentant de reproduire en images de synthèse l'organisation de la bibliothèque réelle (salles de travail, zones de rayonnage, voire couloirs et escaliers). Si cela a un intérêt indéniable en tant qu'outil de communication, de tels procédés ont évidemment des limites pour la lecture proprement dite, car la navigation d'une salle virtuelle à l'autre est forcément coûteuse en temps (on n'ose pas imaginer une telle interface représentant la bibliothèque François Mitterrand ... ). Il faut donc repenser la mise en espace de la bibliothèque numérisée, en développant des métaphores de navigation spécifiques.
Il faut repenser la mise en espace de la bibliothèque numérisée, en développant des métaphores de navigation spécifiques.
2.O HYPER LIBRARY www.rauzier-hyperphoto.com
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<X> only
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most significant <x,y>
least significant <x,y>
<y> only
Sur les traces du«Web forager» développé au laboratoire PARC, nous avons expérimenté de tels systèmes de visualisation de collection au laboratoire CEDRIC du CNAM dans la décennie passée. Nous avons présenté, dans «Experimenting a 3D Interface for the access to a Digital Library», une interface 3D de navigation dans une bibliothèque organisée sous la forme d'un long cylindre. Les «rayonnages» de cette bibliothèque se réorganisent selon les requêtes de l'utilisateur. Par exemple, une requête concernant l'astronomie du XVIIIe siècle ferait présenter les volumes concernés face au lecteur. Les ouvrages d'astronomie d'autres périodes sont disponibles par une rotation axiale au sein du cylindre, tandis que les textes du
XVIIIe d'autres thématiques sont disponibles par un mouvement vertical (fig. gauche). Le dispositif a ensuite été complété par une interface de lecture des documents proprement dits. La collection est placée en arrière plan de la scène 3D et des «lutrins» repositionnables sur le sol permettent le feuilletage des textes (fig. droite). Le fait de positionner en arrière plan des lutrins permet de gérer la différence de format que peuvent avoir les fac-similés. Le déplacement d'un lutrin peut être contraint par la présence des autres si on choisit de détecter les collisions éventuelles de ces objets 3D. La destruction du lutrin s'effectue par un clic de bouton droit sur la barre verte.
éventuellement radicalement, selon l'échelle de l'affichage. On trouvera dans «Zoomable and 3D Representations for Digital Libraries» la présentation d'une telle application, ainsi qu'une comparaison avec les autres procédés.
Feuilleter, flâner
À ce jour, de tels systèmes ne sont pas déployables sur le Web grand public, du fait de leur exigence en terme de puissance de calcul et de débit réseau. L'absence de standardisation pour l'interaction 3D sur le Web est aussi (provisoirement?) un frein.
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Il est possible d'imaginer d'autres raccourcis pour l'interaction pour, par exemple, permettre le passage rapide du lutrin en premier plan (mode plein écran). Le feuilletage continu est possible en saisissant la boule rouge qui coulisse sur l'axe horizontal du lutrin. Sinon, un clic sur les fac-similés euxmêmes provoque un changement de page en avant ou en arrière. Une alternative à la navigation 3D consiste à se baser sur une interface 2D zoomable. Le service Google Earth a contribué à la popularisation de ce procédé utilisé depuis longtemps dans les systèmes d'information géographique. Mais ici, on a recours à un zoom sémantique, c'est-à-dire que l'information présentée change,
LIRE À L’ÉCRAN
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Les bibliothèques numérisées actuelles ne sont qu'une étape dans un long processus d'innovations techniques. La technologie informatique en 2010 n'est pas assez mature pour quel'on puisse imaginer «se débarrasser des livres» dans un avenir proche. Il me semble probablequ'une assez grande variété de machines à lire, numériques ou non, coexisteront ou mêmes'associeront pour offrir des expériences de lecture très diverses, et, espérons-le, beaucoup plus riches que celles que nous vivons aujourd'hui, qu'il s'agisse du patrimoine écrit papier ou des nouvelles formes d'écriture associées aux réseaux numériques. L'ordinateur de poche, le portable et la station de bureau sont associés chacun à des usages spécifiques de lecture-écriture. La tablette sera sans doute déclinée dans plusieurs dimensions pour devenir le support privilégié de la presse quotidienne. La table interactive pourrait devenir le support des livres d'art ou techniques, en grand format, que l'on consulte à plusieurs. Les écrans souples à très haute résolution nous sont promis dans un avenir proche et nous travaillons dans notre laboratoire à un petit dispositif en forme de rouleau qui serait bien adapté à la lecture continue et personnelle d'un texte linéaire, comme un essai ou un roman.
La technologie informatique n'est pas assez mature pour que l'on puisse imaginer «se débarrasser des livres» dans un avenir proche. 71 Feuilleter, flâner
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Lire Gutenberg Entretien avec Yannick James, Alexandre Dimos et Annick Lantenois
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LIRE À L’ÉCRAN
Yannick James 74
http://www.yannickjames.fr https://www.facebook.com/ yannick.e.james1?ref=ts&fref
Annick lantenois Lire Gutenberg fut ton projet de diplôme soutenu en 2009 à l'ÉRBA de Valence. Nous avons tenu à ce que tu le présentes lors de cette journée d'étude. Peux-tu le définir? Yannick James Je souhaitais améliorer les conditions visuelles et graphiques d'accès au catalogue en ligne de livres numérisés de Project Gutenberg. J'ai donc imaginé un environnement de lecture utilisable depuis un navigateur web. Plus précisément, j'ai conçu une application offrant aux lecteurs un cadre de lecture, des outils pour accompagner l'accès à cette bibliothèque. Il s'agissait d'abord de neutraliser les éléments graphiques du site internet pour aider le lecteur à atteindre une plus grande concentration. Ce dispositif agit comme une greffe logicielle, il vient recouvrir le navigateur web de fonctions spécifiques pour permettre l'annotation d'un texte et le partage des notes de lectures avec d'autres lecteurs. Annick lantenois Pourquoi Project Gutenberg?
Yannick James
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Ce projet de bibliothèque universelle a été initié en 1971, avant même la création d’Internet. Elle réunit des textes numérisés provenant de livres dont les droits d’auteur sont échus ou libres. À l’origine, elle n’était accessible que par le réseau informatique universitaire. Son fondateur, Michael Hart, alors étudiant à l’université de l’Illinois aux États-Unis, fut enthousiasmé par la puissance et le potentiel de l’informatique. Selon lui, cette technologie rend possible l’accroissement du partage du savoir, de sa diffusion auprès du plus grand nombre, dans la lignée des bibliothèques publiques créées au début du XXe siècle. À ce jour, 33000 ouvrages libres de droits composent cette bibliothèque en ligne. La numérisation des ouvrages est assurée en grande partie par des bénévoles qui scannent les livres et les transforment en différents formats numériques de présentation de texte.Il faut préciser que Project Gutenberg utilisait- et utilise encore l'encodage d'une très grande simplicité existant dans les années 1970. Il n'y avait alors pas de caractères accentués car il n'étaitpas prévu d'accueillir des textes dans d'autres langues que l'anglais. Le texte numérisé est brut, il n'est pas mis en forme. Ce choix de format exclut tout travail de mise en page spécifique, ou alors en amont. Cependant, au fil du temps, les bénévoles de Project Gutenberg ont contribué à diversifier les formats de fichiers et à enrichir les textes dans leur mise en pages et leur syntaxe. Cette variété permet aujourd'hui un plus grand accès aux textes notamment à partir des appareils de lecture personnels comme les liseuses et les téléphones portables. Outre ces questions de forme, la seule fonctionnalité offerte sur le site est l'accès à une fiche de l'ouvrage. Il n'y a pas de résumé, rien n'est vraiment dit sur l'auteur et les liens servent seulement à accéder aux ouvrages disponibles. C'est un dispositif qui ne semble pas être vraiment informé et l'absence de design laisse apparaître la froide et rigide structure de la base de données. C'est ce qui m'a donné envie de travailler à l'élaboration d'un outil de lecture pour Project Gutenberg. J'ai essayé d'imaginer comment je pouvais présenter autrement les textes de cette bibliothèque. L'application Lire Gutenberg que j'ai élaborée est intégrée au navigateur web. Lorsqu'elle est activée, elle vient recouvrir la fenêtre du navigateur comme un calque. Elle ne nécessite aucune installation. Tout comme le site internet de Project Gutenberg, c'est un accès distant. Je tenais à l'idée de transition et que l'on arrive progressivement à un autre mode de présentation du texte. Pour le moment, la mise en forme du texte reste sommaire. Il est dépourvu de toute richesse typographique, il n’y a que le strict minimum.
LIRE À L’ÉCRAN
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Ajouté le 08/05
Adapter la pensée à l’écran ainsi qu’aux caractéristiques du net, penser la diffusion des idées à l’ère du numérique, telle est l’ambition fondatrice de Strabic, dans le domaine du design. Dès lors, comment aurions-nous pu passer à côté de Lire à l’écran, un petit livre au format paysage, publié en novembre dernier, aux belles Éditions B 42. Actes de la Journée d’étude organisée par l’ESAD Grenoble-Valence et sous-titré, « Contribution du design aux pratiques et aux apprentissages des savoirs dans la culture numérique » l’ouvrage aborde en réalité différents champs de la lecture à l’écran au travers du prisme d’auteurs de référence : la littérature numérique (Marin Dacos et Florian Cramer), les tentatives de bibliothèques numériques (Pierre Cubaud), les outils de lecture à l’écran (Yannick James) ou encore des magazines web collaboratifs (interview du studio stdin). Avec son format intrigant, ce livre a le mérite de dresser un panorama des questions autour de la lecture à l’écran et, sans être exhaustives, les contributions des auteurs sont larges et clairvoyantes. Cependant, il semblerait que le réel enjeu du livre ait été oublié. Dans leur présentation, les Éditions précisent vouloir analyser l’implication du design graphique et typographique dans la lecture à l’écran, car cette discipline « agit non pas à la surface des choses, mais dans leur structure, dans les processus, dans les relations. »
Ajouté le 14/09
Pendant ses dix premières années, le web a su séduire le grand public avec uniquement du texte et des images. Puis vint l’avènement de la vidéo avec YouTube. Puis vient la révolution des terminaux mobiles avec l’iPhone et l’iPad. Nous sommes maintenant en 2012 et plus personne ne veut lire à l’écran : trop fatigant, trop long, trop… ringard. Les articles et contenus sont maintenant mis de côté pour être lus sur un smartphone ou une tablette, ils sont synthétisés sous forme d’infographie ou sont tout simplement ignorés (on se contente de les tweeter si le titre est accrocheur ou des les épingler s’ils contiennent une photo sympa). Une réalité bien triste…
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LIRE À L’ÉCRAN
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Alexandre Dimos Comme par exemple là, la majuscule après deux points? Yannick James Oui, ou le e dans l' o, par exemple. À l'heure actuelle, Project Gutenberg n'intègre pas d'information sur la syntaxe spécifique aux différentes langues. C'est quelque chose qui pourrait être amélioré et automatisé en apportant plus de précisions dans l'écriture du programme de l'application. Alexandre Dimos Le code t'impose-t-ille choix du caractère typographique? Est-illié aux caractères disponibles sur la machine? Est-il généré d'une autre manière? Yannick James Le caractère typographique peut être laissé au libre choix du lecteur. Dans cette version de Lire Gutenberg, cette fonction n'est pas active mais pourrait le devenir. De même, la possibilité de régler la taille du caractère fait partie des variables qui permettent d'ajuster le confort de lecture selon l'écran dont on dispose. J'avais aussi réfléchi à une fonction qui permettrait de varier les contrastes. J'utilisais, en effet, cet outil sur un ordinateur portable, et il y a des moments où la luminosité devenait désagréable. J'ai mis tout cela de côté. Mais c'est quelque chose de bien utile quand on travaille sur un texte, de pouvoir l'agrandir, le sélectionner. .. En revanche, j'ai conçu des outils pour que le lecteur puisse se repérer au cours de la lecture d'un texte. Quand on marque une page dans un livre, on met un post-it pour se repérer. Il permet un accès très rapide, on le voit dépasser de la tranche et on accède tout de suite à la page. Pour le texte numérisé, j'ai souhaité proposer des bookmarkers. Il est possible de mettre un signet au cours de la lecture, d'accéder à une page, et de passer à la page suivante.
une classe ou un groupe de personnes qui travaille sur un même texte puisse voir les notes, les commentaires de chacun par l'intermédiaire du site internet de la bibliothèque.
Je ne voulais pas retenir le scroll de la page web. J'ai préféré privilégier l'analogie du feuilletage pour circuler dans le texte. J'ai donc retenu la représentation graphique de la tranche du livre, qui est une donnée historique assimilée, donc stable. L'idée de cette analogie était de pouvoir accéder à la page que l'on recherche dans l'ouvrage numérisé et d'avoir accès aux marques que l'on a pu laisser dans le texte. Ces marques fonctionnent justement comme des post-it. Enfin, tout en gardant le souvenir du livre, il me paraissait indispensable d'exploiter les possibilités offertes par la technologie numérique: proposer un outil d'annotation du texte qui permette également un partage en ligne des notes de lecture. J'ai imaginé qu'une classe ou un groupe de personnes qui travaille sur un même texte puisse voir les notes, les commentaires de chacun par l'intermédiaire du site internet de la bibliothèque. Avec l'application, le lecteur n'aurait pas besoin de télécharger le fichier du texte, de le copier, puis de l'envoyer pour obtenir une réponse, un commentaire sur son propre commentaire. Par ce simple dispositif, on partage les notes avec les personnes que l'on souhaite. C'est quelque chose que j'essaye de développer pour faciliter les discussions. Annick Lantenois Cette fonction« commentaire» et« dialogue», existe également sur Ward ou sur PDF. Yannick James
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Les logiciels de bureautique tels que Ward ou Acrobat permettent en effet d'annoter un document PDF, mais le seul moyen de le partager est d'envoyer une copie du fichier. En outre, Ward est un logiciel d'édition de texte. Or, avec l'application Lire Gutenberg, il n'est pas question d'éditer mais d'être à un autre niveau. On est dans la marge, on annote, on discute en dehors du texte. C'est un processus de travail qui peut acquérir une dimension contributive.
LIRE GUTEMBERG
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CHAPITRE
www.Libraryforms_project.com
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Forms Library
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Alexandre Dimos Il s'agit donc d'avoir accès en ligne au texte et de partager ses commentaires. Yannick James C'est ça. Ce dispositif permet la formation d'un espace commun dans lequel on peut accéder aux notes de tous. Je ne sais pas s'il serait efficace dans le contexte d'un groupe de dix personnes qui ne se connaissent pas mais qui lisent le même texte et l'annotent ... Mais de toute façon, si on n'a pas envie d'être perturbé par cet environnement, on pourrait aussi ne sélectionner que les personnes que l'on connaît. Alexandre Dimos À l'origine, ton projet était donc de mettre en forme un texte brut et de permettre le partage des commentaires de lecture. YannickJames Ce n'était pas aussi précis. Ma question était d'imaginer une porte d'accès à ces 33000 textes que Project Gutenberg rend accessible par Internet. C'est cela qui m'a poussé à développer cet objet: améliorer l'accès, la lecture de tous ces textes et faire en sorte qu'ils soient partageables. À la manière de ces pratiques urbaines que j'appelle des «bibliothèques» de la rue. Les livres sont tagués avec un code-barres ou un numéro d'identification. Ils sont enregistrés dans une base de données. Ensuite les lecteurs se les partagent en les laissant sur le coin d'un banc ou dans une gare. Mon projet revient à imaginer aussi ce partage autour du texte, entre des lecteurs qui a priori ne se connaissent pas. Si l'écriture peut se développer, c'est autour d'un axe, le texte numérisé d'un ouvrage. Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la programmation, j'ai été séduit par la réversibilité du dispositif internet. C'est-à-dire qu'il permet d'accéder simultanément à un espace de lecture et à un espace d'écriture. Cette double compétence peut être traduite par le terme anglais litteracy. Emmanuël Souchier, quant à lui, utilise le mot français « lettrure ».
C’est ce qui structure les blogs ou la pratique des commentaires sur les sites internet. Cette réversibilité signifie que l'on peut être autant lecteur que producteur de contenus. Cette pratique est celle de Wikipedia par exemple. La rédaction de commentaires sur les sites internet d'actualité est une manière de marquer sa lecture, de donner son opinion. D'un site à l'autre l'espace accordé au lecteur varie. Or, il est possible de le rendre totalement acteur du dispositif.
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MIX MIDDLE http://www.omoi.com/imagemix_ images.php
Annick Lantenois Ces commentaires déposés par les lecteurs pourraient constituer un second texte. Dans ton mémoire, tu as fait référence aux gloses dans les manuscrits du Moyen Âge, tracées autour du texte principal et entre les lignes par différents lecteurs-commentateurs. Finalement, ton dispositif permettrait, là aussi, de constituer des textes complémentaires au texte principal, une espèce de texte critique sur le texte. Yannick James Cette pratique du Moyen Âge a vraiment été une référence importante. Cependant, je ne suis pas sûr que la glose s'autonomise dans un espace autre que concomitant à celui du texte qui a permis son écriture. D'ailleurs le terme «lettrure », qu'Emmanuël Souchier remet au jour, réunissait aux XIIe et XIIIeme siècles les pratiques de lecture et d'écriture en une seule activité. Il est passionnant d'envisager que la technologie numérique, et en particulier le Web, porte ainsi une mémoire si longue des pratiques. Annick Lantenois La première étape de ce projet était centrée sur ton propre usage. Tu as conçu en 2008 un outil, MySimpleText, permettant d'articuler et d'organiser les fragments de textes que tu écrivais; de visualiser ton processus d'écriture. Tu as par la suite élargi ta préoccupation au collectif. Ce passage correspond bien à la logique des médias numériques, à la fois individuels et collectifs.
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Yannick James Ce qui m'intéressait durant cette première étape était effectivement le bureaupersonnel d'écriture qui n'est pas destiné, a priori, à être partagé. Dans cet espace, j'imaginais écrire différents textes puis les assembler, les commenter moi-même. Ce projet faisait partie, à ce moment-là, d'un travail d'écriture. J'avais besoin d'un outil pour dissocier les éléments textuels et pouvoir visualiser ce qui était de l'ordre du brouillon, du texte achevé, de l'appendice ou du résumé, ces différents stades qui précèdent le texte final. J'ai ensuite voulu prolonger ce que j'étais parvenu à concevoir avec MySimpleText dans un outil utile à des pratiques collectives et contributives. En interrogeant ma pratique d'écriture dans un environnement numérique, j'ai été amené à questionner les conditions de lecture. Que lisons-nous sur les écrans d'ordinateurs? Comment lisons-nous alors? Est-ce vraiment de la lecture? Annick Lantenois Et: comment la lecture peut-elle mener à l'écriture? Yannick James Oui. Pour ma part la lecture d'étude génère l'écriture de commentaires en marge du texte. D'où la nécessité d'annoter et de consigner des passages, des phrases ... Alexandre Dimos Que tu pouvais réutiliser ensuite. Ce projet naît donc d'un manque: le besoin d'un outil d'une certaine souplesse que tu n'aurais pas trouvé ailleurs. À moins que tu en connaisses un? Yannick James Un dispositif s'en approche, StorySpace. Il a été inventé au début des années 1990 et permettait de visualiser graphiquement une écriture hypertextuelle. Le but était de produire une écriture parsemée de liens, créant des chemins. Le fonctionnement de ce logiciel s'inscrit directement dans la lignée des travaux de recherche de Vannevar Bush, Ted Nelson et Douglas Engelbart, considérés comme les inventeurs de l’hypertexte.
Alexandre Dimos Je trouve la nécessité de ton application pour Project Gutenberg moins évidente. Sauf à supposer que tu t'intéresses à des lecteurs qui ont la même pratique que la tienne. Comment as-tuéprouvé ce système? Yannick James Je dois encore le soumettre au partage. En ce qui concerne la fonction d'annotation, il existe des pratiques d'étude pouvant nécessiter un travail collectif de lecture et de discussion. Dans ce cas, c'est avant tout un outil de travail. En 2009, Google a mis en ligne un projet, Google Wave qui, aujourd'hui, faute d'intérêt de la part des utilisateur a été abandonné. Cependant, en de nombreux points il correspondait à ce que j'imaginais: l'élaboration d'un texte à plusieurs,la discussion sur des textes. Il proposait des outils et de nouvelles fonctions pour encadrer l'écriture collective en direct. La conception d'un texte de cette façon constitue un champ de recherche passionnant. Wikipedia est probablement l'une des plus belles réussites de la mise en pratique d'un travail collaboratif et contributif. Annick Lantenois Ton projet nécessite-t-il beaucoup de programmation? Yannick James
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Oui. Pour quelqu'un dont c'est le travail, c'est sûrement beaucoup plus facile ... Pour ma part, la programmation procède davantage d'une mise en pratique, d'une expérimentation que d'un moyen de production. Je dirais que je pratique la programmation en amateur. Ainsi, les résultats de mes expériences sont le plus souvent des objets faiblement opérants. MySimpleText, tout comme Lire Gutenberg, s’apparente davantage à des esquisses, à des intentions, plutôt qu’à des logiciels prêts à l’usage. Lire Gutenberg a été un dialogue permanent entre une logique mathématique et des envies ne correspondant pas forcément à celle-ci. Cependant, durant la construction du projet, la conception et la programmation se répondent.
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Forms Library
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Annick Lantenois Selon toi, le texte de programmation est-il du design? Yannick James On peut dire ça. Pas en tant que tel. Le design est engendré par l'exécution du texte/ programme. Il est le résultat d'une description d'objets par leurs fonctions, leurs attributs, leurs propriétés, et les relations qu'ils entretiennent. En ce sens, le texte/programme est porteur d'intention, celles du designer, mais il ne produit pas de résultat tant qu'il n'est pas exécuté. Il ne devient design qu'à partir du moment où il rentre en action, où il est joué. Annick Lantenois La programmation est-elle la partition? C'est le texte par lequel apparaissent les dispositifs et qui permet l'expérience singulière? Yannick James Exactement. Annick Lantenois As-tu proposé ton projet à la bibliothèque Gutenberg? Yannick James
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Non. J'estime que le dispositif Lire Gutenberg n'a pas encore atteint le seuil d'expérimentation nécessaire qui me permettrait de le présenter, de le proposer à Project Gutenberg. En revanche, les intentions portées par le projet et leurs préoccupations pourraient bien trouver un écho. Le développement du logiciel et de son fonctionnement pourrait s'inscrire dans la démarche participative qui définit le fonctionnement de Project Gutenberg.
LIRE GUTEMBERG
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Les LECTEURS/ AUTEURS Remerciements aux lecteurs qui ont contribué à l’enrichissement iconographique de cette ouvrage.
https://www.facebook.com/ gillesinvernizzi?fref=ts gillesinvernizzi@wanadoo.fr gilleâ&#x20AC;&#x2122;s library 16 Fichiers ajoutĂŠs
https://www.tumblr.com/ lucasvalent?fref=ts https://www.facebook.com/ lucasvalent?fref=ts lucas_valente007@free.com lucas library 2 Fichiers ajoutĂŠs
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https://www.facebook.com/ gabrielfeltain?fref=ts gabrielfeltain@wanadoo.fr gabiâ&#x20AC;&#x2122;s library 15 Fichiers ajoutĂŠs
https://twitter.com/scottrenau scott_codex@codex.fr scottâ&#x20AC;&#x2122;s library 34 Fichiers ajoutĂŠs
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