l'illusion en Architecture

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Ambiances et Architecture contemporaines 2011 Séminaire Master 2 Architecture et Cultures Sensibles de l’Environnement

L’illusion Par Etienne Emptoz, Lorsque l’on aborde le thème de la virtualité en architecture, la notion d’illusion émerge rapidement. L’illusion intervient dans l’architecture sous de nombreux aspects, et pose alors des interrogations sur les ambiances : En quoi et de quelle manière, les illusions agissent sur la perception des ambiances ? Et comment faut-il alors prendre en compte les principes et les processus d’illusion dans la conception architecturale ? Nous traitons ici l’illusion en tant que perception déformée d’un sens. Nous n’allons pas décrire cette notion en fonction de chaque sens (illusion d’optique, auditive…) mais par rapport à une typologie d’illusion sensible. En effet de manière globale, toute illusion est basée sur le même principe. Un principe qui peut s’expliquer de manière scientifique. Il s’agit de l’interprétation de données physiques, qu’elles soient d’origine naturelle ou artificielle, par le cerveau humain. Ces données sont perçues par chacun de nos sens, puis analysées et enfin interprétées en fonction d’un vécu, d’une expérience. Des données d’origines différentes peuvent aboutir à une même déduction. On comprend ce que l’on ressent grâce à ce que l’on sait. Ces déductions peuvent cependant différer selon chacun, selon chaque expérience, souvenir et vécu. Encore une fois ce principe de variabilité d’interprétation peut trouver une part d’explication dans la science, prenons l’exemple de la vision. Des études ont permis de découvrir que les nerfs optiques étaient liés aux zones d’analyse

visuelle à uniquement 90 % et que les 10 % restants étaient quant à eux liés à l’amygdale, zone du cerveau qui traite les émotions. Comme l’explique le professeur Christian Marendaz dans son ouvrage « du regard à l’émotion : la vision, le cerveau, l’affectif »1, des stimuli visuels provoquent des émotions directement, séparément de l’analyse visuelle « classique » qui se fait en parallèle. En généralisant aux autres sens, cela nous apporte des éléments qui nuancent les propos à tenir sur les effets des illusions. Il ne s’agit pas uniquement d’une cause à effet pragmatique. Nous pouvons établir une typologie d’illusions et définir pour chacune les effets qu’elles sont susceptibles de créer. Nous présenterons dans un premier temps l’illusion d’échelle puis l’illusion paysagère qui font majoritairement référence à des notions de spatialité ; dans un second temps nous traiterons l’illusion d’atemporalité et l’illusion dite d’hétérochronie, toutes deux affectant les temporalités.

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MARENDAZ Christian "Du regard à l’émotion : la vision, le cerveau, l’affectif" Edition Le pommier, 2009

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Illusion d’échelle Dans la vie de tous les jours nous sommes confrontés à des phénomènes illusoires, sans même y prêter attention. Un exemple tout simple, l’aménagement mobilier d’un intérieur, en effet, la disposition des meubles dans une pièce peut radicalement changer la perception que l’on aura de l’espace. Placez un miroir sur un pan de mur et vous aurez le sentiment d’avoir doublé la surface de la pièce, ou même de l’avoir ouverte sur l’extérieur. La présence trop forte de luminaires au plafond peut écraser la hauteur de l’espace, comme des néons placés trop bas, on percevra à la fois la forte masse lumineuse, mais aussi la chaleur qu’ils irradient, le bruit… Tout le jeu des couleurs est également un domaine très riche, en particulier la relation entre différentes couleurs peut créer des effets très variés et changer la perception que l’on a de l’espace. Deux espaces de surface identique vont paraître très différents en fonction de leurs aménagements, l’un pourra paraître deux fois plus grand que l’autre alors qu’il n’y a physiquement pas de différence.

Jardins japonais, photo Internet

L’essence même d’un jardin japonais est de recréer un paysage naturel à plus petite échelle, de ce fait c’est un très bon exemple d’illusion d’échelle dans le sens où on l’entend. Un tel jardin recrée une impression de grand paysage par des compositions de petite échelle et le fait d’être tenu à distance (par des plans d’eaux par exemple) nous permet d’être baigné dans l’illusion. De tels jardins

peuvent se trouver dans des lieux inattendus, en ville par exemple. Ce qui permet de dépasser la réalité d’un lieu, cette illusion crée de l’espace (sensible) là où il n’y en a pas.

Façade de la fondation Cartier, photo Internet

Le projet de la fondation Cartier2 (Paris , 1994) de Jean Nouvel propose un jeu sur les apparences dans beaucoup d’aspects (idée esquissée avec l’institut du monde Arabe en 19873). Cela implique de faire appel à des dispositifs, des " trucs ", tel un prestidigitateur, pour créer des illusions. Dans ce projet, une des principales illusions remarquables est l’effet créé par la façade en verre. Cette dernière est alignée le long de la rue et nous renvoie par association d’idée à une façade classique comme les immeubles voisins. Or la réelle façade du bâtiment se trouve plusieurs mètres en retrait. Ce stratagème permet de dissimuler la réelle hauteur du bâtiment (plus de deux fois supérieures aux autres) et de nous donner ainsi l’illusion d’un édifice aligné et de taille comparable au contexte. Bien entendu cet effet est accentué par le verre et les reflets entre les deux "murs miroirs", de nouvelles images se créent et l’impression d’irréalisation spatiale est d’autant plus forte (L’espace n’est pas compréhensible sur la première impression). Comme le dit Nouvel son intention était de « rendre les limites physiques de l’édifice floues afin de perturber intentionnellement la perception du visiteur ». 2

Jean NOUVEL, Fondation Cartier, Paris, 1994 Jean NOUVEL, Institut du monde arabe, Paris, 1987 3

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Illusion paysagère Un autre type d’illusion que l’on observe fréquemment est celle que l’on pourrait qualifier de paysagère. Il s’agit d’une illusion qui tend à recréer une image mentale d’un lieu, d’un paysage connu dans le but de nous tromper sur la réelle nature de l’architecture. Les jardins anglais entrent dans ce type d’illusion, dans un contexte végétal, ils sont conçus de façon à faire oublier qu’ils ont été pensés. Il s’agit de recréer une impression de nature sauvage, dans laquelle l’homme n’est pas intervenu. Par l’artifice, les concepteurs arrivent à faire oublier aux usagers l’intervention de l’homme. Cette illusion permet de transporter les promeneurs dans un monde aux apparences naturelles. Bien que les jardins et les parcs soient cernés par l’homme (clôtures, démarcations, ville…) l’effet de dépaysement fonctionne.

Ma bulle, ma plante, photo personnelle (novembre 2010), Atmosphère de nature en milieu urbain

Reprenant cette idée de création d’une atmosphère de nature afin d’échapper au milieu urbain, le designer Amauri Gallon en propose une réinterprétation plus contemporaine et symbolique à travers le projet « Ma bulle, ma plante »4. Il s’agit de microstructures autonomes et éphémères qui proposent gratuitement aux citadins d’entrer dans un microcosme de nature exotique où la 4

Amauri GALLON, "Ma bulle, ma plante", Paris, 2010

température, l’humidité, les sons y sont différents. Ces "bulles" sont des parenthèses à l’ambiance urbaine. L’usager doit ici faire la démarche de se laisser imprégner par cette atmosphère. On a donc un rapport différent au dispositif, il est totalement identifiable et c’est donc en faisant le choix d’entrer dans ce lieu que l’on peut vivre l’illusion proposée.

Miroir d’eau de Bordeaux, photo Internet, Tromper la nature, marcher sur l’eau.

Le projet de réaménagement des quais de Bordeaux, et plus précisément le "miroir d’eau"5 réalisés par le paysagiste Michel Corajoud, utilise le principe d’illusion paysagère au sens où on l’entend. Ici le but n’est pas de plonger l’usager dans une ambiance illusoire totale mais de perturber sa perception habituelle des lieux. Le miroir d’eau fait référence à des idées communes, celle de tromper la nature, de marcher sur l’eau par exemple, ou encore l’inversion du ciel et de la terre, ou bien l’effet d’un bâtiment tronqué, comme un navire qui coule. L’ambiance créée par un tel dispositif est alors de l’ordre de l’étonnement et de l’admiration, surprise et contemplation en font un lieu attractif qui vit de jour comme de nuit.

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Michel CORAJOUD, Aménagement des quais de Bordeaux, "Miroir d’eau", Bordeaux, 2006

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Illusion d’atemporalité

«L’immeuble qui pousse», photo Internet

Entre tromperie et symbolique, "L’immeuble qui pousse"6 d’Edouard François à Montpellier (2000), créé une illusion paysagère car il fait référence à une image de forêt et de paysage naturel pour camoufler l’édifice. Cette illusion vient transformer l’image même du bâtiment, comme un morphing entre la ville et la nature. Ce type de dispositif peut amener à imaginer une multitude de nouveaux paysages « hybrides ».

Le temps est un élément incontrôlable par nature, irréversible, qui ne cesse de s’écouler et qui a toujours fasciné les générations, comment le contrôler, le ralentir ou l’accélérer ? Physiquement impossible on peut néanmoins en modifier la perception, le marquer ou au contraire l’oublier. Effectivement en observant certaines œuvres et réalisations, on remarque que cela est possible et parfois même contre le gré des usagers. Certains lieux donnent cette illusion d’atemporalité, c’est-à-dire que la perception du temps qui passe est perturbée, on perd nos repères temporels habituels et l’on ne perçoit plus le temps passer.

Casino, Las vegas, photo Internet Phare de Santa Marta, photo internet, Paysage sonore

On peut également qualifier d’illusion paysagère l’effet sonore généré par le dispositif simple d’encadrement biseauté des ouvertures du musée du phare de Santa Marta7 par Aires Mateus à Cascais. Lorsque l’usager se trouve dans cet espace, les sons de la mer sont alors démultipliés, comme s’il se trouvait au pied même des rochers, là où les vagues se brisent. Cette illusion paysagère est une sorte de rapprochement d’un élément naturel. 6

Édouard FRANCOIS, L’immeuble qui pousse, Montpellier, 2000 7 AIRES Mateus, Musée du phare de Santa Marta, Cascais, 2007

Ce principe est souvent utilisé à des fins commerciales, les centres commerciaux et les casinos sont les meilleurs exemples de cette illusion. Le but étant que les usagers, les consommateurs restent le plus longtemps possible dans ces édifices, il faut donc qu’ils perdent la notion du temps. Les architectes et les concepteurs ont mis en place des dispositifs qui leur permettent de créer cette illusion. Tout d’abord la lumière naturelle à l’intérieur est contrôlée, rendue diffuse et constante par des ouvertures face nord et des dispositifs lumineux cassant la lumière directe, elle est parfois également supprimée totalement, comme dans les casinos. De même l’absence de vue directe sur

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l’extérieur ne permet pas à l’usager de prendre ses repères, il ne sait pas s’il fait jour ou nuit, s’il pleut ou non… Afin de renforcer cette sensation d’atemporalité les autres sens sont également perturbés, l’environnement sonore et olfactif est contrôlé et uniforme, indépendant de l’extérieur de l’édifice. Enfin la température ne varie pas selon l’heure de la journée ou même la saison. Les aménagements de jardins intérieurs participent aussi à cet effet, ils sont toujours verts, arrosés à heure fixes, protégés des intempéries…Tous ces éléments contrôlés et uniformisés constituent une décontextualisation qui engendre cette illusion d’atemporalité. Chaque effet est artificialisé pour ainsi pouvoir contrôler le temps. Pour certains, cette manipulation sensorielle peut apparaître comme néfaste.

contexte… Cependant cette absence de repères temporels (aucun moyen de savoir l’heure puisque l’on dépose toutes ses affaires à l’entrée) a provoqué des sensations de malaise chez les usagers, Zumthor a donc consenti à ajouter une minuscule horloge, de la taille d’une montre et à la positionner en haut d’un grand tube. Ce dispositif permet à ceux qui le veulent vraiment de retrouver leurs repères temporels. Cette anecdote montre bien que cette modification temporelle influe fortement sur l’ambiance d’un lieu et sur le ressenti des personnes qui le fréquentent. La perte de repères temporels a d’ailleurs été utilisée pour la torture par exemple, les prisonniers étaient enfermés dans une salle occulte, toujours éclairée, perdant ainsi toute notion du temps. Cette situation extrême montre bien les risques de malaise et de dérèglement psychologique qu’une telle illusion peut engendrer.

Thermes de Vals, P. Zumthor, photo Internet

Mais dans d’autres cas, une telle illusion peut apporter des éléments intéressants et beaucoup moins manipulants. C’était la volonté de Peter Zumthor dans son projet des thermes de Vals8 ; selon ses dires, il désirait que les usagers des termes oublient le stress du temps, qu’ils restent des heures dans ce lieu de ressourcement. Il a donc refusé de placer une horloge au sein du bâtiment. Dans ce projet, nous sommes loin de la manipulation temporelle d’un casino puisque les termes sont ouverts sur l’extérieur, totalement en lien avec le 8

Peter ZUMTHOR, Termes de Vals, Vals, 1996 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Encadrement : Grégoire Chelkoff (responsable), Magali Paris et Céline Bonicco


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Illusion d’hétérochronie Nous venons de voir comment des dispositifs architecturaux peuvent créer l’illusion d’une temporalité figée. Il existe un autre type d’illusion qui consiste également à modifier la temporalité d’un lieu. Pour désigner cette catégorie, nous utiliserons la notion de "l’illusion d’hétérochronie", en référence à Michel Foucault qui définit le terme d’hétérochronie dans Des espaces autres9. Il s’agit d’une situation où « les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue avec leur temps traditionnel ». Ce sont des lieux hors du temps, dans une autre temporalité. On trouve plusieurs lieux qui créent cette illusion, de manière consciente et voulue pour certains ou plus involontaire pour d’autres. La conservation en un même lieu clos d’objets du passé, comme les musées et les bibliothèques, est une forme d’hétérochronie. On pourrait la qualifier d’involontaire car ce sont les objets contenus qui la définissent. Ces lieux représentent l’éternité du temps qui s’accumule. Lorsque l’on entre dans un musée par exemple, on change d’état d’esprit car on sait que dans ce lieu, la temporalité est différente de l’extérieur. On se laisse alors porter par l’illusion que les œuvres ou les livres nous proposent, c’est-à-dire un voyage dans leur propre temporalité.

Allan deSouza, The Goncourt Brothers stand between Caesar and the Thief of Bagdad, 2003, "lieu d’illusion et de phantasmes"

Un autre type de lieu peut être qualifié d’hétérotopique, il s’agit des parcs d’attractions. Ce sont des enclaves artificielles qui sont dans un rapport temporel différent, dans une dischronie, une hétérochronie. Mais l’illusion est également plus que temporelle. Chaque attraction met en place des dispositifs illusoires afin de provoquer un dépaysement, une désorientation chez les visiteurs. Faisant souvent référence à l’imaginaire de l’enfance. Les parcs d’attractions apparaissent comme une réduction du monde, l’illusion de tout dominer et d’avoir tout à portée de main. On peut comparer les parcs d’attractions aux villes nouvelles telles que Las Vegas ou Dubaï qui semblent être des représentations grandeur nature de ces parcs de loisirs. Quentin Bajac explique cela dans son commentaire10 de l’exposition Dreamland11 qui traitait ce sujet. À Las Vegas, l’architecture n’est que simple décor à la fiction du lieu. Dubaï, « quand la fiction devient réalité », il s’agit de la quête d’un ailleurs, avoir tout ici, maintenant et pour toujours. Pour cela la mise à l’écart du monde est nécessaire, comme un "hortus conclusus". C’est le risque de ces architectures : se refermer sur soi-même et mettre le reste du monde à l’écart, pour rester dans l’illusion infantile du parc d’attractions.

Vieille ville de Varsovie, photo personnelle (Juillet 2011) 10

9

FOUCAULT Michel "Des espaces autres, Hétérotopies", 1967, publié dans Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, en octobre 1984, pp. 46-49.

BALJAC Quentin, L’attraction universelle, Communiqué de presse de l’exposition Dreamlands, 2010 11 Exposition Dreamlands, Centre George Pompidou, Paris, Mai-Aout 2010

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Suite à la destruction à 80% de la ville de Varsovie durant la seconde guerre mondiale le centre historique datant du 13ieme siècle a été alors reconstruit à l’identique dans les années 60. La ville médiévale a été entièrement reconstituée grâce à des relevés d’étudiants en architecture effectués juste avant sa destruction. Ce quartier est alors une illusion dans son intégralité car il représente une temporalité médiévale alors que les bâtiments n’ont que quelques dizaines d’années. Nous pouvons alors observer deux types de réaction, d’une part les visiteurs non avertis croiront alors totalement à cette "tromperie" et s’imagineront contempler de vieilles ruelles pavées, qui ont été façonnées par les années… Alors qu’au contraire des visiteurs avertis vont y voir une simple reconstitution du même ordre qu’un décor de cinéma. Cela n’empêche pas d’être touché par l’ambiance de la vieille ville. Au même titre qu’un spectateur se laisse projeter dans les décors de films, bien que sachant parfois que ces lieux n’existent pas réellement. Un usager va donc tout de même se laisser porter par une illusion même s’il est conscient du dispositif. Cependant celui qui n’as pas la culture ou l’information nécessaires est alors trompé et n’a pas le choix d’entrer dans l’illusion, il y est soumis malgré lui.

artificiel où l’intégralité des facteurs de la vie d’un homme sont contrôlés par un jeu télévisé. Cela va des décors d’habitation, de ville, en passant par la météo, les saisons, la température en allant jusqu'à l’extrême de l’artificialisation des relations humaines (les interlocuteurs de Truman étant tous des acteurs). Il s’agit dans ce cas d’une hétérotopie la plus totale, c’est un espace clos dans lequel chaque élément est indépendant de l’extérieur, hors du temps et des saisons, hors du jour et de la nuit… On pourrait le qualifier d’utopie de l’hortus conclusus. Ici on voit clairement la critique des risques que peuvent créer une artificialisation d’un environnement lorsque celle-ci ne laisse aucun choix, aucune prise ni possibilité d’échappatoire. Nous en revenons à l’idée de culture nécessaire au recul, dans ce cas, les acteurs ont la connaissance de l’illusion, seul celui qui ne l’a pas est affecté, aliéné.

The Truman show, extrait du film.

Suivant cette idée de tromperie et de décor, comment ne pas faire le lien avec le film The Truman show12 ? Peter Weir met en scène un univers totalement 12

The truman show, réalisé par WEIR Peter, 1998 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Encadrement : Grégoire Chelkoff (responsable), Magali Paris et Céline Bonicco


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qu’il faut être capable de sortir de l’illusion pour lui donner un sens.

Conclusion Nous avons vu comment et en quoi les illusions trompent nos sens, chacune d’elle modifie donc la perception que l’on peut avoir d’une ambiance. Cette tromperie peut naturellement avoir des aspects positifs et négatifs qu’il faut impérativement prendre en considération. Plusieurs exemples montrent que l’illusion sensorielle, d’ambiance et d’espace suffirait ou du moins serait tout aussi importante dans la perception et l’appréciation d’un lieu que le "réel". L’illusion d’un espace a plus de valeur que l’espace lui-même. En effet, "l’important, c’est de croire". L’illusion permet d’ajouter une marge à la perception, c’est-à-dire de laisser place à l’imagination. « Des images trop nettes, trop claires, des parois trop transparentes bloquent au contraire l’imagination » (Sandrine Amy13). Ainsi l’usage de l’illusion en architecture ouvre à des possibilités sensorielles plus riches et permet d’aller plus loin que la réalité physique d’un espace ; des avantages qu’on ne peut nier. Selon moi, il faut voir les dispositifs illusoires comme des tremplins à l’imagination, et non comme une tromperie négative. Par exemple, un décor de théâtre va permettre aux spectateurs de s’imaginer des situations, des lieux… Cependant le spectateur peut à tout moment se rendre compte qu’il est tout de même dans une salle de théâtre. Dans le cas contraire, où l’on ne serait pas capable de prendre ce recul, on se trouve face à une situation perturbante. Comme l’exprime Augustin Berque14, la perte de référence est néfaste, et l’on a besoin de parvenir à trouver un repère à l’extérieur du système, afin de pouvoir donner un sens à celui-ci, c’est à dire ici

L’illusion peut alors être perçue comme source d’aliénation lorsque l’usager n’a plus le choix d’y croire, d’y échapper. Il faut donc être très vigilant à laisser des prises possibles à l’usager dans ces illusions, laisser la possibilité du librearbitre, de la prise de conscience. Pour cela plusieurs moyens peuvent être utilisés; de manière générale, je pense que les dispositifs à l’origine des illusions doivent rester perceptibles. Porter une attention à offrir des prises possibles à l’usager sur les illusions peut se faire de beaucoup de manières, qui sont propres à chaque type d’illusion. De façon générale, il s’agira de rendre visible et compréhensible le ou les dispositifs illusoires, ou de laisser la possibilité d’échappatoire au sujet. Par exemple, dans le cas d’une illusion qui ne fonctionne qu’à un point précis, il suffit à la personne d’un pas pour y échapper, il advient donc du choix du sujet de vivre ou non l’illusion, et surtout d’en prendre ainsi conscience. Il s’agit de la même chose lorsque l’on fait la démarche d’aller voir un spectacle, on sait que l’on va être soumis à des illusions ; les individus peuvent alors décider ou non de suivre cette illusion sans être trompé contre leur gré. Nous avons vu que l’illusion valait le réel dans certains cas, son importance dans l’architecture est alors primordiale. Sa prise en compte dans la conception architecturale ne peut surtout pas être négligée, afin de ne pas créer par erreur des situations illusoires qui seraient néfastes. Pour cela, les concepteurs de ces illusions se doivent de laisser des prises aux usagers, et un libre-arbitre face aux illusions. En considérant les risques qu’elle apporte, l’usage de l’illusion peut enrichir des architecture.

13

AMY Sandrine "Les nouvelles façades de l’architecture" Revue Appareil n°spécial 2008 14 Augustin BERQUE, "L’existence humaine dans sa plénitude", propos reccueillis par Mona Chollet Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Encadrement : Grégoire Chelkoff (responsable), Magali Paris et Céline Bonicco


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Références et Bibliographie  Textes et Ouvrages

 Projets 2

Jean NOUVEL, Fondation Cartier, Paris, 1994 3

Jean NOUVEL, Institut du monde arabe, Paris, 1987 4

1

MARENDAZ Christian "Du regard à l’émotion : la vision, le cerveau, l’affectif" Edition Le pommier, 2009 CORAJOUD Michel "Le paysage c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent.", édition Champ Vallon 1981 + site internet : http://corajoudmichel.nerim.net/ + infos sur le Miroir d’eau, aménagement des quais de Bordeaux en 2006 9

FOUCAULT Michel "Des espaces autres, Hétérotopies", 1967, publié dans Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, en octobre 1984, pp. 46-49.

Amauri GALLON, "Ma bulle, ma plante", Paris, 2010 5

Michel CORAJOUD, Aménagement des quais de Bordeaux, "Miroir d’eau", Bordeaux, 2006 6

Édouard FRANCOIS, L’immeuble qui pousse, Montpellier, 2000 7

AIRES Mateus, Musée du phare de Santa Marta, Cascais, 2007 8

Peter ZUMTHOR, Termes de Vals, Vals, 1996

10

BALJAC Quentin, L’attraction universelle, Communiqué de presse de l’exposition Dreamlands, 2010 11

Exposition Dreamlands, Centre George Pompidou, Paris, Mai-Aout 2010 site internet : http://www.centrepompidou.fr/education/r essources/ENS-dreamlands/ENSdreamlands.html 12

The truman show, réalisé par WEIR Peter, 1998 13

AMY Sandrine "Les nouvelles façades de l’architecture" Revue Appareil n°spécial 2008 14

BERQUE Augustin, "L’existence humaine dans sa plénitude", propos reccueillis par Mona Chollet

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