Europan, une aventure à suivre

Page 1

Hors-série

60

20 *

www.urbanisme.fr

LA REVUE

Europan, une aventure à suivre Europan, an ongoing adventure W


Directrice de la publication Sophie Vaissière

2

Rédacteur en chef adjoint  et responsable   du développement Jean-Michel Mestres urba.mestres@orange.fr

Les titres, inter titres et chapeaux relèvent de la seule responsabilité de la rédaction. Crédit s photos Couverture : Concorde architecture et urbanisme Page 16 : DR Page 30 : DR Page 50 : Jean-Dominique Billaud/ Nautilus-Samoa Gérante Sophie Vaissière Ser vice comptabilité Marie-Laure Rota urba.compta@orange.fr Ser vice abonnement s Isabelle Reuten Ligne directe : 01 45 45 4 0 0 0 urbanisme.abos@orange.fr Régie publicitaire MultiMedia Régie Albane Sauvage 0 6 60 97 12 98 as@mmregie.com Philippe Morel 0 6 83 03 26 27 pm@mmregie.com Conception graphique, réalisation Etat d’Esprit-Stratis 35, boulevard de Strasbourg 75010 Paris w w w.etat-desprit.fr Président Grégoire Milot Chef de projet Julie Teurnier Création et direction ar tistique Catherine Lavernhe Mise en page Hélène Doukhan Diffusion en librairie Dif ’Pop 81, rue Romain Rolland 93260 Les Lilas Tél. : 01 43 62 08 07 Télécopie : 01 43 62 07 42 Impression Imprimerie SNAG & Centrale est éditée par la SARL Publications d’architecture et d’urbanisme au capital de 532 50 0 euros (groupe CDC) RCS Paris : 572 070 175 Commission paritaire n° 1020 T 87 217 ISSN : 124 0 - 0 874 Code T VA : FR-1357-2070175 Dépôt légal : à parution

6

Ils ont participé à ce numéro

Rédacteur en chef Antoine Loubière urba.loubiere@orange.fr

Rédactrice et responsable d’édition Annie Zimmermann urba.zim@orange.fr

5

3

7 Guy Amsellem 1 , diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et ancien élève de l’ENA , est président de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Il a commencé sa carrière au ministère de la Culture et de la communication, domaine dans lequel il a occupé de nombreuses responsabilités. Il a aussi assumé des fonctions dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, notamment comme directeur de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette (2010 -2012). Dernier ouvrage paru : Romain Gar y. Les métamorphoses de l’identité (L’Harmattan, 20 08). Alain Ber trand 2 , architecte et diplômé en urbanisme (ENPC), est directeur général adjoint de la Samoa (Société d’aménagement de la métropole ouest atlantique) en charge du projet urbain de l’Ile de Nantes. Il a précédemment exercé des responsabilités de direction à la Semavip, SEM de la Ville de Paris, et à l’EPA Seine Arche. Il est un membre actif du club Ville Aménagement. Il a par ticipé au jur y français d’Europan 9 et siège au conseil d’orientation et au conseil d’administration d’Europan France. Raphaël Besson 3 est exper t en socioéconomie urbaine et docteur en sciences du territoire-urbanisme (laboratoire PACTE, Université de Grenoble). Il a forgé au cours de sa thèse la notion de Systèmes Urbains Cognitifs. En 2013, il fonde « Villes Innovations », un bureau d’étude localisé à Madrid et Grenoble, spécialisé dans les thématiques villes innovantes et créatives et tiers-lieux. Il inter vient actuellement sur le schéma d’innovation et de développement culturel du Grand Paris Seine Oise, le Living Lab urbain de Marseille, le Cit y Lab de Nantes métropole et les projets européens Interreg-med (« Coworkmed ») et Europan (« Productive cities »).

©Jean-Domonique Billaud/Nautillus

176, rue du Temple 750 03 Paris Tél. : (33) 01 45 45 45 0 0 Télécopie : (33) 01 45 45 60 37 w w w.urbanisme.fr urbanisme@urbanisme.fr

Photos : D.R.

villes / sociétés / cultures

4

©Jean-Domonique Billaud/Samoa

1

LA REVUE

10

8

9 Fabien Gantois 4 , architecte, diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette (ENSAPLV) et du Georgia Institute of Technolog y (Atlanta, États-Unis) a été primé lors de la session Europan 8. Enseignant à l’ENSAPLV, gérant de l’agence A AFG, il collabore avec Europan depuis dix ans. Guillaume Héber t 5 est architecte urbaniste et diplômé de l’ESSEC . En 20 08, il fonde avec Jean-Louis Subileau la société de conseil en matière d’aménagement Une Fabrique de la ville. Cette structure d’une douzaine de collaborateurs associe aujourd’hui Marina Gaget et Sébastien Harlaux. Didier Rebois 6 , architecte, est secrétaire général d’Europan Europe. Il est enseignant à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette, exper t et commissaire d’exposition auprès de l’Institut pour la ville en mouvement. Laurence Schlumberger-Guedj 7, architecte et programmiste, exerce en libéral dans le domaine du projet urbain et de la programmation urbaine. Architecte conseil de l’État, elle est actuellement affectée à la Direction dépar tementale des territoires et de la mer (DDTM) 76, et inter vient également au ser vice des Musées de France. Elle enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette. Mentionnée au PAN, elle contribue à l’élaboration des dossiers de sites, à l’exper tise des projets puis au suivi des réalisations pour les sessions 3, 4 et 5 puis 12, 13 et 14 d’Europan. A près des études d’architecture, Claire Schor ter 8 côtoie l’urbanisme au sein de l’agence Paul Chemetov. En 20 02, elle travaille avec l’équipe Europan sur la programmation des sites proposés, puis est nommée exper te pour les sessions Europan 8 et Europan 9 (20 04 -20 07). En 20 02,

11 elle intègre l’agence Reichen & Rober t où elle est en charge de projets urbains avant d’ouvrir sa propre agence en 2013. En 2016, elle rempor te avec Jacqueline Ost y la consultation pour la poursuite de l’aménagement de l’Ile de Nantes. Socrates Stratis 9 , architecte et urbaniste, est professeur associé, président du dépar tement d’architecture de l’Université de Chypre. Il a obtenu son doctorat d’études urbaines, planification (option architecture) à l’Université Paris 8, Saint-Denis (France), son diplôme d’architecte et son master d’urban design à l’Université Cornell (États-Unis). Il est le fondateur de l’agence A A & U for Architecture, Ar t and Urbanism. Il a été nommé curateur du pavillon chypriote pour la Biennale d’architecture de Venise 2016 et fait par tie du comité scientifique d’Europan Europe. Jean-Jacques Terrin 10 , architecteurbaniste, est professeur émérite à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, professeur associé à l’Université de Montréal et à l’Université poly technique de Tirana, et exper t auprès du programme URBACT. Dernier ouvrage paru : Le Projet du projet, Concevoir la ville contemporaine (Parenthèses, 2014). Jean-Louis Violeau 11 , sociologue, est professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes et enseignant à l’École urbaine de Sciences Po Paris, chercheur au sein du Centre de recherche nantais architectures urbanités (CRENAU) affilié au CNRS. Avec Juliette Pommier, il est l’auteur de l’ouvrage Notre histoire, Europan à 20 ans. Sociologie des architectes lauréats du concours Europan (Archibook s, 20 07). Dernier ouvrage paru : Les Bords de Vilaine. 25 années de projets urbains à Rennes (Palantines, 2017).


ÉDITO

Europan, une aventure à suivre uropan est un concours d’idées d’architecture et d’urbanisme s’adressant à des équipes de jeunes concepteurs européens (de moins de 4 0 ans). Lancé avec le soutien de la Communauté européenne en 1988 dans la perspective du marché unique de 1992, ce concours est né peu de temps avant que ne tombe le Mur de Berlin, comme le rappelle Jean-Louis Violeau. Si la visée européenne d’Europan s’entend aisément dans le début de son intitulé, le « pan » suscite l’interrogatio n… C ’e s t e n fait un sig le q ui sig nif ie « p ro gramme d’architec ture nouvelle » et renvoie à une démarche française – née en 1972 à l’initiative du Plan construction du ministère du Logement de l’époque. Le PAN laissera place à Europan à la fin des années 1980 et marquera ses débuts. Car, centré sur l’innovation à la fois technique et architecturale, avant tout dans la construction de logement s, le PAN avait pour caractéristique d’être accompagné de financements d’État pour la réalisation de logements sociaux. Ce qui constituait une motivation puissante pour les candidatures des villes proposant des sites d’expérimentation. L e PA N p e r mit a u s si à q ue lq ue s- u n s d e n os f u t u r s grands architectes de faire leurs premières armes. En par ticulier Christian de Por tzamparc avec la fameuse o p é r a t i o n d e s «  H a u te s Fo r m e s  » r é a l i s é e d a n s le 13 e ar rondissement de Paris entre 1976 et 1979, qui marqua un tournant dans l’histoire de l’architecture française de l’après-Mai 68. Ce détour historique n’est pas un exercice de nostalgie. Il éclaire les évolutions qu’Europan s ymbolise. Car il s’agit d’abord d’un concours européen (13 pays pour Europan 14) qui s’appuie sur les propositions de sites faites par les villes (ou les ag glomérations ou les métropoles). Sans ces sites, pas de concours ! Depuis la première session (1989 -199 0), le bilan est impressionnant : 23 38 8 équipes d’architectes européens ont participé au concours, avec plus de 784 sites dans 558 villes impliquées, dans 30 pays. Pour la France,

E

ce sont 85 sites dans 67 villes, 4 172 projet s rendus, 170 projet s sélectionnés… Dans ce numéro hors-série réalisé avec Europan France, nous avons voulu donner un aperçu de la démarche, en nous appuyant d’ab ord sur la prochaine se s sion Europan 14, lancée of ficiellement en février dernier sur le thème « Villes productives ». En o u ve r t ure, A l ain M a uga rd , p ré sid e nt d ’ Euro p a n France, et Pierre Veltz, Grand Prix de l’urbanisme 2017, président du jur y d’Europan 14, dialoguent autour des nouvelles ar ticulations du territoire et de la production. Puis deux élus de ville et d’ag glomération qui proposent des sites s’expliquent sur leurs motivations : Brigitte Fouré, maire d’Amiens, et Dominique Schauss, vice-président du Grand Besançon, rappellent le passé industriel de leurs territoires et exposent leurs attentes à l’égard des équipes. Dans une se co nde par tie, Didie r Re b ois , se crét aire général d’Europan Europe, et des exper t s français et européens ayant par ticipé à des commissions techniques évoquent les évolutions du concours. Dans la troisième partie, introduite par Isabelle Moulin, secrétaire générale d’Europan France, deux enquêtes de Sylvie Groueff permettent de comprendre comment les équipes et les villes s’impliquent dans le concours et comment s’organisent le s suite s . S ous for me de fiches, huit exemples en France et en Europe donnent une vision de projet s en cours et de réalisations. Enfin, dans une quatrième par tie, plus prospec tive, de s ex per t s, profe ssionnel s et chercheur s donnent des clés pour appréhender les mutations actuelles de la fabrique de la ville et leur impact sur Europan, dont Guy Amsellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine souligne « les acquis tangibles pour le monde de l’architecture ». Reste aux équipes et aux ville s pa r tie pre na nte d ’Euro pa n 14 d e co ntinue r à creuser le sillon de l’innovation et de l’invention. Antoine Loubière


OUVERTURE 6

Alain Maugard et Pierre Veltz Les nouvelles articulations du territoire et de la production

SOMMAIRE

10 AMIENS Brigitte Fouré Tradition industrielle et créativité urbaine 12 B ESANÇON Dominique Schauss Un campus et une technopole à rapprocher 14 ABSTRACT en anglais

EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES

UNE DÉMARCHE D’INNOVATION 17 E uropan : un paradoxe productif en permanente adaptation Par Didier Rebois 21 Faire les chiens couchants ? Par Socrates Stratis 22 Des démarches plutôt que des plans Par Claire Schorter 24 Acclimater les projets Par Fabien Gantois 26 Du concept à la réalisation Par Laurence Schlumberger-Guedj

ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

DISPOSITIFS ET PROCESSUS DE PROJET 31 «  The times they are a-changin’ » Par Isabelle Moulin 33 P ourquoi participer à une session Europan ? Par Sylvie Groueff 36 P ourquoi proposer un site ? Par Sylvie Groueff 39 E uropan, espace et politique Par Jean-Louis Violeau

ANALYSES ET POINTS DE VUE

NOUVEAUX ENJEUX, NOUVELLES PERSPECTIVES 51 ENTRETIEN Bernard Roth L’émergence du travail collaboratif 53 U ne mutation profonde de l’aménagement Par Alain Bertrand

40 FICHES

55 C hangement de rôles entre acteurs publics et privés Par Guillaume Hébert

40 L e Haut Montreuil en quête d’identité

57 V ers une biopolitique des villes Par Raphaël Besson

41 Saint-Brieuc repense son centre

59 U n regard européen sur des villes en mouvement Par Jean-Jacques Terrin

42 P réserver un aqueduc romain à Barcelone 43 F osses veut revivifier son cœur de village 44 Plan d’Aou en préfiguration 45 S aint-Herblain rêve d’un territoire jardin 46 R evitaliser Selb, ville en décroissance 47 Les Villas Sarrail à Roubaix

61 ENTRETIEN Kaye Geipel Une lueur d’espoir en Allemagne et en Europe 63 Europan : des acquis tangibles pour le monde de l’architecture Par Guy Amsellem 64 ABSTRACT en anglais 67 RÉFÉRENCES

48 ABSTRACT en anglais

27 E NTRETIEN Aglaée Degros Concevoir l’espace et construire 29 ABSTRACT en anglais

En couverture, maîtrise d’œuvre des espaces publics de Plan d’Aou (Marseille) : proposition de Concorde architecture et urbanisme, Wagon Landscaping (paysage) et CEC WRD (bet). Maîtrise d'ouvrage : Erilia (bailleur social), 2016/2017.


6

Alain Maugard and Pierre Veltz The new relationships between land and production

10 AMIENS Brigitte Fouré Industrial tradition and urban creativity

SURVEY AND DEMONSTRATIONS

PROJECT SYSTEMS AND PROCESSES

NEW ISSUES, NEW PERSPECTIVES

31 “ The times they are a-changin’” By Isabelle Moulin

51 INTERVIEW Bernard Roth The emergence of collaborative work

12 BESANÇON Dominique Schauss A campus and a science and technology park to be brought together

33 W hy take part in a Europan session? By Sylvie Groueff

14 ABSTRACT in English

39 E uropan, space and politics By Jean-Louis Violeau

EXPERIENCES AND ACCOUNTS

AN INNOVATION APPROACH 17 E uropan: a productive paradox which is constantly adapting By Didier Rebois 21 P lay the sleeping dog? By Socrates Stratis 22 A pproaches rather than plans By Claire Schorter 24 A dapting projects By Fabien Gantois 26 F rom design to implementation By Laurence Schlumberger-Guedj 27 INTERVIEW Aglaée Degros Designing space and building 29 ABSTRACT in English

ANALYSES AND POINTS OF VIEW

36 W hy propose a site? By Sylvie Groueff

40 BRIEFS 40 Haut Montreuil seeks an identity 41 Saint-Brieuc rethinks its centre 42 Preserving a Roman aqueduct in Barcelona 43 Fosses wants to revitalise its village centre 44 Plan d’Aou prefigured 45 Saint-Herblain dreams of a garden territory 46 Revitalising Selb, a town in decline 47 Les Villas Sarrail in Roubaix 48 ABSTRACT in English

53 A profound change in development By Alain Bertrand 55 A n exchange of roles between public-sector and private-sector actors By Guillaume Hébert 57 T owards biopolitics in cities By Raphaël Besson 59 A European view of cities in motion By Jean-Jacques Terrin 61 INTERVIEW Kaye Geipel A ray of hope in Germany and Europe 63 E uropan: tangible achievements for the world of architecture By Guy Amsellem 64 ABSTRACT in English 67 REFERENCES

CONTENTS

INTRODUCTION


©Métropole de Lyon

Quar tier du Carré de Soie aux confins de Villeurbanne et Vaulx-en-Velin

Les nouvelles articulations du territoire et de la production Dialogue entre Alain Maugard, président d’Europan France et Pierre Veltz, président du jury de la session Europan 14, autour du thème des villes productives, des mutations territoriales et des évolutions sociétales. Comment les villes productives prennent-elles place dans la succession des thèmes du concours Europan ? Alain MAUGARD : Au fil des ans, le concours Europan est passé d’une problématique architecturale isolée, puis prise dans son environnement à une continuité totale entre la démarche architecturale et l’approche urbanistique. En ce moment, les thèmes sont complètement urbanistiques. Les dernières sessions en témoignent. Après avoir réfléchi sur les modes de vie et les villes durables – Europan 10 et 11 –, nous avons cherché à penser la ville adaptable – Europan 12 et 13 –, qui se caractérisera vraisemblablement par une morphologie très souple, très peu anguleuse, pour permettre une malléabilité. Pendant longtemps, on a cru que cela n’intéresserait pas les maires. En fait, les maires sont intéressés parce qu’ils entendent les habitants leur dire :

6

HORS -SÉ RI E n o  6 0

« Laissez nous prendre des initiatives ! » Cela nous conduit à l’idée du projet-processus, où il s’agit de s’appuyer sur les événements et les opportunités ; on accélère l’adaptabilité chaque fois que l’on a une occasion nouvelle de transformer la ville. Même à morphologie constante, cela peut déboucher sur une utilisation différente des espaces. Après les séquences modes de vie et ville adaptable, pourquoi avons-nous basculé vers les villes productives ? Je crois que Pierre Veltz nous aide à penser ce basculement qui correspond à des mutations profondes. Pierre VELTZ : C’est un choix particulièrement pertinent car nous sommes au seuil d’une nouvelle articulation entre la ville et la production sous toutes ses formes (industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale). Historiquement, la ville


Les nouvelles articulations du territoire et de la production OUVERTURE

a été le foyer de la production pendant très longtemps, en consommation locale et production locale, que ce soit dans le articulation avec les campagnes, mais celles-ci étaient en domaine des productions agricoles, maraîchères par exemple, position de sous-traitantes. Avec la révolution industrielle, qui ont disparu, ou au niveau des énergies – électricité, gaz, nous avons assisté à une dissociation des lieux de production pétrole – fournies par des réseaux de plus en plus lointains. et des lieux de résidence : les usines sont sorties des villes, Aujourd’hui, on assiste au contraire à un mouvement inverse les centres tertiaires, puis commerciaux sont devenus des avec la recherche de produits locaux, les circuits courts et lieux à part. les AMAP dans le domaine de l’agriculture, mais aussi, pour Nous sommes à l’aube d’une phase extrêmement intéressante la fourniture d’énergie, les bâtiments à énergie positive. où cette fragmentation est remise en cause, où les frontières Pour l’industrie, il me semble que l’on a connu des phénomènes deviennent poreuses. La ville va redevenir le cœur de la semblables. J’emploierais l’image des gros cailloux – les grandes production. Cela renvoie à des évolutions très générales dans le usines – dont on n’a plus voulu à l’intérieur des villes. Mais, système productif que j’ai essayé d’analyser dans mon récent à partir du moment où, comme vient de l’évoquer Pierre ouvrage La Société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme Veltz, se développent des formes d’artisanat industriel ou productif1 . En gros, la distinction entre la d’industrie artisanale, on a affaire à une production manufacturière – la création granulométrie fine et ces petits cailloux des objets matériels – et les services peuvent se retrouver partout dans la disparaît progressivement, il y a une vraie ville. Des start-ups vont alors fournir La ville va imbrication entre les deux, que ce soit des opportunités nouvelles. redevenir le cœur au niveau des acteurs, des processus ou Avec Internet et le numérique, nous de la production des espaces. On fait d’ailleurs une erreur pouvons discuter facilement avec des importante quand on évalue les emplois personnes à Hong Kong, San Francisco industriels en s’en tenant à l’industrie ou Los Angeles, mais aussi avec notre manufacturière proprement dite qui, elle, va continuer à voisin. Et nous découvrons que nous pouvons échanger des perdre des emplois. En fait, les services s’industrialisent et services avec lui. Ce qui explique l’explosion du covoiturage il y a une diffusion générale de l’industrie qui consomme de par exemple. Avec ces nouveaux services et ces nouvelles plus en plus de services. Surtout, l’industrie devient servicielle, productions, la ville retrouve davantage d’autonomie, des au sens où elle vend des fonctionnalités, des usages. Par choix à faire localement, des formes de liberté. Je me exemple, l’avenir des constructeurs automobiles, c’est de demande d’ailleurs s’il ne faudrait pas inclure un indicateur vendre de la mobilité. D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls d’autonomie dans les critères de la ville durable. Cette sur ce créneau puisque des grands groupes de l’économie dynamique s’exprime également dans l’immobilier, avec numérique comme Google s’y mettent également. des start-ups qui mettent en circulation des salles de Ces changements sont extrêmement profonds et ont des réunion non utilisées ou Airbnb qui contribue à louer des impacts sur la structuration territoriale. Les zones d’acti- appartements occasionnellement vides, ou les démarches vités vont certes continuer d’exister. Mais Europan serait qui visent à mutualiser des bâtiments monofonctionnels. complètement à côté du sujet s’il ne traitait que des zones C’est la chronotopie qui cherche à donner plus d’usages dans d’activités. Le vrai sujet, c’est la manière dont les activités se moins d’espaces. En augmentant les services rendus par la rediffusent à l’intérieur de la ville, de manière très différenciée. ville, on permet de redécouvrir le plaisir d’y vivre. Et je suis Les usines deviennent automatisées, très propres, avec peu d’accord avec Jean Haëntjens, qui explique 2 que c’est plus de gens qui travaillent à l’intérieur mais beaucoup dans leur facile pour les villes que pour les États de mettre en œuvre environnement car elles ont besoin de nombreux services. des politiques innovantes. Une partie de cette industrie peut très bien être réintégrée dans le cœur des villes. Il y a aux États-Unis un mouvement Pierre VELTZ : Je ne suis pas en désaccord avec Alain d’urban manufacturing, par exemple à San Francisco, avec Maugard sur la question des circuits courts. C’est absurde un retour des unités de production dans la cité. En même de consommer une bouteille d’Évian à Singapour ! Mais il ne temps, certains gros objets s’en éloignent : les serveurs, les faut pas limiter la vision de cette réorganisation des villes fermes informatiques, les centrales énergétiques… et des territoires à la production d’objets de petite taille Nous assistons parallèlement à l’émergence de formes de et à l’organisation des circuits courts. Ma thèse, c’est que néo-artisanat numérique avec les imprimantes 3 D, les ce retour de la production dans les villes concerne aussi fab labs, etc. On va pouvoir fabriquer ou finir des objets les chaînes de valeur qui s’organisent à grande échelle au dans des micro-usines. Le mouvement des makers est très niveau mondial. Les coûts très bas du transport maritime intéressant. Le « faire » redevient une valeur positive, dans mondial ont permis ces circuits longs, fournissant des notre monde d’écrans et de symboles. Du côté des services, produits manufacturés ou des composants en provenance du leur écosystème naturel reste bien sûr la ville. Et les emplois monde entier. Les circuits courts et les circuits longs vont se ont tendance à se concentrer dans des endroits où les gens coupler. On pourra par exemple customiser des biens issus ont envie d’aller. La ville a abrité puis rejeté toutes sortes des grands pôles de production de masse. On assiste déjà d’infrastructures productives. Demain, c’est la ville elle-même à une articulation des mondes professionnel et amateur. qui va redevenir l’infrastructure de production, comme au Les gens bricolent avec des composants fabriqués en Chine Moyen Âge ou au Siècle des Lumières. mais aussi des logiciels italiens. Pour l’énergie, on aura des productions renouvelables locales, mais l’interconnexion Alain MAUGARD : Pour aller dans le sens de Pierre Veltz, il électrique restera nécessaire. Bref, vivent les circuits courts, m’apparaît que la ville a été au départ un lieu de consommation, mais il ne faut pas laisser croire qu’on va revenir à l’utopie    mais qu’au fil du temps s’est installée une dichotomie entre d’autarcie villageoise.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

7


Alain Maugard

©Lionel Pagès

©Bruno Levy

OUVERTURE Les nouvelles articulations du territoire et de la production

Pierre Veltz

Quand vous évoquez la ville, et si nous restons en France, ou besoin d’immigrés ». Immigrés au sens de nouveaux actifs. en Europe, s’agit-il uniquement des métropoles ? Les villes petites En Corrèze où trois petites villes se sont réunies, nous avons et moyennes ont-elles une chance de tirer leur épingle du jeu ? eu beaucoup de réponses. Une des équipes proposait d’attirer Pierre VELTZ : Je crois qu’il faut raisonner différemment pour non pas des touristes mais des gens qui viendraient trois les pays émergents où le développement est monopolisé jours, samedi-dimanche et en plus le vendredi ou le lundi par de grandes métropoles et des pays comme la France où ou les deux, et qui diraient : « Moi, à temps partiel, je peux les infrastructures et les compétences sont disponibles un faire des choses à distance mais aussi en local ». peu partout. Nous sommes dans des processus territoriaux Une candidate d’Europan, qui a été nommée lauréate, était nettement moins clivants qu’aux États-Unis ou même originaire d’Aurillac. Associée avec un professionnel basé à qu’en Grande Bretagne. Ma métaphore de la France comme Casablanca, elle avait un atelier de design à Londres. Elle métropole unique reliée par des lignes TGV me paraît avait donc une vision des formes à la mode et se proposait de juste. J’ajouterai que nos métropoles régionales tirent leur reprendre le design des produits corréziens. Il s’agit là d’une arrière-pays. L’ancien bassin minier doit, démonstration de ce que peut apporter par exemple, s’arrimer à Lille. un actif nomade pour contribuer au Il existe en France beaucoup de PME qui renouvellement des capacités productives La notion de connexion fonctionnent très bien dans des endroits locales. Parce qu’en Corrèze, des artisans est une idée collective qui peuvent apparaître improbables, et savent travailler le bois, mais en restant de territoire des territoires dits « périphériques » toujours dans les mêmes formes. qui s’en sortent très bien. Les données Par ailleurs, il y aura toujours un tourisme statistiques globales font apparaître vernaculaire sympa mais ce n’est pas la croissance des métropoles. Mais 200 emplois dans une avec lui que l’on conquiert des parts de marché. Il faut donc ville moyenne pèsent souvent plus que 2 000 dans une profiter du fait que les urbains ont des points d’attaches métropole. Beaucoup de villes moyennes souffrent, c’est ailleurs. Une des idées pour les villes petites et moyennes, c’est vrai. Souvent, leurs centres donnent un sentiment d’abandon. de faire venir des actifs qui leur donnent un sang nouveau. Mais ne confondons pas les effets de la crise avec ceux J’ajoute un point. Lorsque nous parlons de smart cities et de du dépérissement commercial des centres, qui découle villes connectées, il s’agit en fait de bâtiments connectés dans directement de la croissance du commerce périphérique. Des des quartiers eux-mêmes connectés entre eux et connectés à centres de villes peuvent dépérir dans des bassins d’emploi la ville. La notion de connexion est aussi une idée collective prospères. Même si certaines villes, notamment de l’Est de de territoire. Et, en ce qui concerne les petites villes, il me la France, ont pu souffrir aussi de l’effondrement de leur semble que la vraie chance est qu’il y ait un accès aussi fort base industrielle. Mais ce n’est pas le cas général. partout au très haut débit, sur tout le territoire. S’il y a un geste d’aménagement du territoire à faire, c’est bien celui-là. Alain MAUGARD : Je défends une idée que nous a donnée un Europan précédent : celle des « nouveaux nomades ». Elle Cela rejoint une question de fond sur la définition et la place consiste à dire aux élus : si vous voulez retrouver des forces du travail dans nos sociétés. productives dans vos villes, petites ou moyennes, soit vous Pierre VELTZ : Cela rejoint l’idée d’hybridation. Nous allons dites « je ne compte que sur mes habitants » – c’est une solution vers des lieux moins spécialisés. Par exemple, quand on mais cela se saurait si ça marchait… – soit vous dites « j’ai verra une usine, on ne saura même pas que c’en est une. Le

8

HORS -SÉ RI E n o  6 0


Les nouvelles articulations du territoire et de la production OUVERTURE

corollaire est l’effacement, en tout cas la porosité entre le temps de travail et le temps du non-travail. Pour une grande partie des jeunes, la valeur essentielle est l’autonomie. C’est massif, c’est une révolution. Ils ne veulent plus, même les jeunes ingénieurs qui sortent de Polytechnique, aller dans des grosses boîtes. Ils veulent créer leur start-up ou une petite boîte, être autonomes, être leur propre patron, choisir leur rythme de vie, etc. Il y a aussi ceux qui décident de gagner moins pour avoir une vie personnelle plus riche, s’occuper de leurs enfants, prendre un congé parental de longue durée, etc. Cela va réguler beaucoup de choses. Je ne crois pas en la thèse de la raréfaction du travail. C’est une fausse piste.

certain nombre d’automatismes, ce qui me frappe beaucoup, ayant moi-même été maître d’ouvrage. Je ne parle pas des marchés publics, mais par exemple des automatismes de la programmation. Je prends un exemple vécu. Quand on fait des bâtiments universitaires, on oublie de se poser la question : « À quoi vont-ils servir ? » Comment vont-ils absorber la mutation des formes d’enseignement et d’apprentissage que crée le numérique ? À côté, on fait des résidences étudiantes. Mais les étudiants font la fête dans les locaux d’enseignement parce que les espaces y sont plus grands et ils travaillent chez eux sur leurs portables. Dans certaines universités américaines, on leur demande de rester gentiment dans leur Europan fait travailler les jeunes architectes et professionnels chambre pour suivre les cours afin d’éviter d’avoir à construire sur des projets dans des sites réels, en leur demandant : des amphis. On déclenche des programmes qui s’appellent « Comment vous projetez-vous et comment faites-vous « résidence étudiante », « bâtiment d’enseignement », avec ce qui existe ? Comment mettez-vous en pratique une « bâtiment de recherche », etc., puis la mécanique implacable vision, sur des sites, avec des élus ? » Ces expérimentations de la programmation se met en route. Le programmiste va sont largement nouvelles. En France, on expérimente voir les usagers et recueillir leurs besoins. C’est normal, beaucoup sans réussir à généraliser. Comment définir les mais si on se contente de cela, on reproduit seulement le apports d’Europan à l’innovation urbaine ? monde existant. Alain MAUGARD : Il me semble que l’originalité d’Europan, Or on n’a pas le droit de reproduire l’existant pour les sans la théoriser, réside dans une démarche collaborative entre cinquante ans à venir alors que l’on est sûr que le mode maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Nous ne sommes plus d’utilisation va changer. Dans les résidences étudiantes, dans le schéma où la maîtrise d’ouvrage nous devrions programmer davantage passe une commande à une maîtrise d’espaces communs et moins de piaules d’œuvre qui, ensuite, se débrouille. Il monacales, parce que c’est dans ces On n’a pas le droit y a des allers-retours. Europan est le espaces communs qu’ils vont travailler. de reproduire l’existant seul endroit où quelqu’un peut devenir Mais cela reste quasiment impossible. pour les cinquante ans lauréat en disant : « La question que m’a Donc, des architectes qui présentent à venir posée la Ville était mal posée ». Partout deux plateaux nus mais confortables, ailleurs, vous seriez éliminé d’entrée cela me va très bien. Flexibilité, c’est de jeu si vous ne répondez pas à la l’objectif majeur. Mais, neuf fois sur question. On peut aussi dire que la question posée n’était dix, le maître d’ouvrage veut un projet identitaire, et puis pas la plus importante. chaque prof veut garder son petit domaine, etc. Donc, dans C’est très intéressant parce que beaucoup de domaines Europan, ce que j’apprécie, c’est que l’on puisse réinterroger économiques sont dans ce type de dialogue, qui va d’ailleurs les programmes. Il s’agit d’un questionnement sur la question. jusqu’à la façon de produire, d’exécuter. Il n’y a que dans le bâtiment et dans l’urbanisme où l’on a un maître d’ouvrage Alain MAUGARD : En urbanisme, cela me paraît une idée de droit divin, un prince qui passe des commandes à un neuve. Il est évident que, quand la question n’est pas solidifiée, architecte qui fait travailler des bureaux d’études sans la participation des habitants et des usagers a plus de sens. forcément les intégrer, et ensuite les entrepreneurs vont Dans la plupart des cas, la participation ne consiste qu’à seuls chercher les produits industriels. persuader les gens que l’on a choisi pour eux la bonne réponse. Maintenant, avec la maquette virtuelle, on se met tous Au contraire, si l’on s’appuie sur la diversité et la créativité autour de la table, dès le début. C’est un changement. Cela des réponses comme dans Europan, la participation, ce n’est peut aussi casser les prix et permettre de faire du sur-mesure plus fournir sans alternative une seule solution à quelqu’un, industriel. C’est ce que nous sommes en train de faire dans c’est collaborer et co-construire avec lui. Tout n’est certes l’urbanisme. Il y a une porosité entre le questionnement pas fait par les gens mais ils peuvent être proactifs et cela de la maîtrise d’ouvrage et les réponses qu’apportent les a du sens de les mobiliser. Ce qui ne veut pas dire qu’il équipes de conception. Cette porosité est un dialogue entre ne faille pas prendre des décisions au final en urbanisme, les deux qui, à mon avis, enrichit la solution finale. Certains comme dans n’importe quel domaine. Propos recueillis par maires disent : « En écoutant les arguments du jury, j’ai été Isabelle Moulin et Antoine Loubière d’accord et j’ai changé d’avis ». C’est passionnant, cette idée d’être beaucoup plus fin et intelligent dans la recherche ! Cf. la note de lecture de cet ouvrage par Martin Vanier, Urbanisme, n° 404, printemps 2017. d’une bonne réponse. @ Cf. son ouvrage Les Villes au secours de l’État, Éditions Fyp, 2014.

Pierre VELTZ : Il est vrai que dans l’aménagement, l’architecture, et même la construction, c’est souvent une réponse à une question qui n’avait pas été posée qui fait la différence. On réalise des projets qui correspondent à l’imaginaire d’un concepteur ou à la lubie d’un maître d’ouvrage mais, au fond, dans quel but ? Nous sommes prisonniers d’un

HORS -SÉ RI E n o  6 0

9


©Amiens Métropole, Atelier urbanisme architecture paysage

Zone d’activités de Montières (Europan 14)

©Laurent Rousselin

Brigitte Fouré

AMIENS

Tradition industrielle et créativité urbaine Entretien avec Brigitte Fouré, maire d’Amiens, qui propose un site pour la session Europan 14. Votre ville a été historiquement une grande ville industrielle. Quelle est sa situation actuelle ? Brigitte FOURÉ : Notre ville était traditionnellement vouée à l’industrie textile. Au Moyen Âge, la cathédrale Notre-Dame d’Amiens, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, a été construite grâce à la prospérité des teinturiers qui utilisaient une plante, la guède, appelée en picard la waide. Celle-ci donnait une teinture bleue qui, à l’époque, a fait la richesse de la ville. Depuis, nous avons continué à produire des cotons et des velours, comme le velours bleu d’Amiens. Cosserat était l’une des grandes entreprises implantées dans notre ville mais, lors de la crise du textile dans les années 1970, l’usine a subi plusieurs plans de reconversion jusqu’à sa fermeture totale. Un industriel allemand, Criegee, a racheté le site situé dans la zone d’activités de Montières au milieu des années 2000 pour garder la marque – qui était réputée – mais il a ensuite licencié les derniers salariés en 2008. Notre deuxième grand domaine de compétence industrielle était celui des équipementiers automobiles. Nous avions Goodyear, Dunlop et une entreprise dont le nom a changé depuis, Magneti Marelli, qui fabriquait des tableaux de bord de voiture. La crise est passée par là aussi, Goodyear

10

HORS -SÉ RI E n o  6 0

a fermé ses portes et licencié ses 1 200 salariés en 2014. À l’usine Dunlop, un plan social portant sur une soixantaine de personnes est en cours, avec des départs anticipés ou en retraite. Pour le reste, l’entreprise reste profitable. Magneti Marelli a aussi perdu du personnel. Notre ville – et je pense que c’est le cas de beaucoup de villes de France depuis une quarantaine d’années – connaît une réelle désindustrialisation. C’est dans ce contexte qu’a surgi l’affaire Whirlpool ? B. F. : Le dernier épisode en date, c’est évidemment Whirlpool, avec sa fermeture prévue en 2018. Actuellement, l’entreprise emploie 290 salariés, plus des intérimaires et un sous-traitant qui fait travailler 60 personnes. Il y a quinze ou vingt ans, l’usine employait encore plus de 1 000 personnes. Nous avons cependant des sites industriels qui hébergent toujours de nombreuses entreprises. Il y a une quinzaine d’années, la municipalité a cherché à rééquilibrer le développement économique entre l’industrie et les services, le tertiaire. Sous l’impulsion de Gilles de Robien, maire de 1989 à 2002 et de 2007 à 2008, ont été réalisés des mètres carrés de plateaux proposés en location à des entreprises qui venaient s’installer, dans le cadre de


Tradition industrielle et créativité urbaine OUVERTURE

ce qu’on appelait alors les nouvelles technologies de la communication et de l’information. De nombreux centres d’appels sont ainsi venus s’implanter et 3 000 emplois existent aujourd’hui dans ce domaine. Parmi les bonnes nouvelles, l’entreprise Amazon a annoncé en octobre 2016 qu’elle allait créer à Amiens sa cinquième plateforme en France, qui sera la plus importante, avec une surface de 107 000 m2 . En cours de construction, elle devrait entrer en fonction en septembre 2017 et on nous a annoncé la création de 500 emplois dans les trois ans à venir. Nous sommes persuadés qu’il y en aura à terme beaucoup plus car la plateforme Amazon immédiatement en dessous – 93 000 m2 – emploie 1 000 salariés. Coriolis Service, un des centres d’appels d’Amiens est également en train de recruter, ainsi que d’autres entreprises. L’horizon s’éclaircit donc malgré le départ annoncé de Whirlpool.

Cela veut-il dire que vous n’excluez aucune possibilité ? Des logements, la reconversion de bâtiments industriels, des locaux pour des artistes… vous n’avez pas de tabou ? B. F. : Non, aucun. Parce que ce site, cet espace, permet tout. Il n’est pas exclu non plus que l’on prenne des idées chez les différentes équipes qui vont plancher sur le dossier. Cela fait aussi partie de l’intérêt d’Europan.

La thématique d’Europan 14 sur les « villes productives » vous a donc intéressée ? B. F. : Absolument. D’autant plus que nous avons à Amiens une tradition d’entreprises de textile ou de teinturerie en centre-ville ou en périphérie immédiate, dans les faubourgs. C’était le cas de l’entreprise Cosserat située à un quart d’heure à pied de l’hôtel de ville, dans une zone d’activités qui accueillait une entreprise comme la Clara, une grande coopérative laitière. Il nous paraissait donc intéressant d’avoir une réflexion sur ce secteur qui mêle des entreprises existantes, d’autres en reconversion et des terrains comme celui de l’ancienne station d’épuration de la ville. Nous sommes également très près du zoo dont nous allons commencer la rénovation. Il s’agit donc d’un site proche du centre-ville et présentant des problématiques vraiment très variées. Nous envisageons d’y construire un nouveau quartier, créatif en termes de formes architecturales puisque nous sommes loin de constructions existantes. Il s’agit d’un lieu formidable au bord de la Somme. Les bâtiments de l’entreprise Cosserat datent de la fin du xix e siècle, nous ne voulons pas les démolir mais les réutiliser. Nous avons un investisseur, un architecte parisien qui est en train de racheter une partie du site – qui appartient pour partie à Criegee, l’industriel allemand – avec des idées d’implantation de logements pour des artistes parisiens. Nous avons également une pépite, un jeune héritier d’une vieille famille amiénoise de teinturiers, qui travaille le velours pour des palaces des quatre coins du monde, il confectionne des rideaux, des habillages de siège, etc. Notre site est donc étonnant.

Qu’en est-il de la propriété foncière, qui semble morcelée ? B. F. : La Ville est propriétaire d’une partie du foncier, Amiens Métropole également, il y a aussi des propriétaires privés. La propriété foncière est effectivement morcelée mais on trouve un véritable esprit d’entreprise dans ce secteur que l’on appelle le quartier Montières. Certains propriétaires peuvent aussi envisager de vendre des terrains, qui constituent donc un réservoir possible. Le site global traité par Europan s’étend jusqu’à l’usine Whirlpool, sans l’inclure, ce qui est également une proximité intéressante.

Europan est un concours d’idées mais vous avez déjà quelques idées vous-même. Qu’attendez-vous de plus ? B. F. : Il faut que notre réflexion soit alimentée, nourrie par les idées de ces jeunes architectes qui vont probablement avoir une vision complètement différente de celle que nous connaissons en local. J’espère que les idées qui émergeront pourront se concrétiser, qu’elles seront mises en œuvre pour un certain nombre d’entre elles. Ce site est tellement divers qu’il nous est difficile de mener une réflexion globale. On peut avoir une idée pour le site de Cosserat, une autre pour celui de l’ancienne station d’épuration mais ce n’est pas suffisant. Il faut penser ce morceau de territoire comme une seule entité. Je compte beaucoup sur le concours Europan pour nous donner cette vision d’ensemble, en tout cas des thématiques, des sujets.

Est-ce une ZAC avec un aménageur ? B. F. : Il y avait un projet de ZAC sur le secteur avant les élections municipales de 2008, avec une chance de concrétisation. Mais la crise immobilière étant passée par là, mes prédécesseurs ont abandonné ce projet. Nous ne partons toutefois pas de rien, mais les choses ont évolué. À l’époque, l’entreprise Cosserat fonctionnait encore partiellement. Nous ne sommes donc plus dans la même situation.

Comment avez-vous pu proposer un tel site ? B. F. : Amiens intra muros est très étendue, autant que la ville de Lyon. Ce qui explique que l’on ait un tel espace dédié au concours Europan. Je ne pense pas qu’il y ait autant d’espace disponible dans d’autres villes de population comparable. Mais comment assurer le lien entre un site pour partie industriel et des logements, des espaces de vie, de loisirs, etc. ? Comment relier ce morceau de ville au centre-ville ? Comment le retourner vers la Somme alors qu’actuellement il lui tourne le dos ? Toutes ces questions sont posées. Le concours Europan s’inscrit en fait au cœur de vos préoccupations ? B. F. : Oui, notamment autour du site Cosserat, qui est incroyable. Les employés avaient baptisé l’un des bâtiments « la cathédrale ». Après la cathédrale religieuse, qu’il y ait une cathédrale industrielle ou industrieuse en brique et pierre ne me choque pas du tout. Elle fait partie de notre histoire. Nous allons célébrer en 2020 le 800 e anniversaire de la pose de la première pierre de notre cathédrale, alors pourquoi pas un autre bâtiment patrimonial ? Ce serait un beau clin d’œil. Propos recueillis par Antoine Loubière

AMIENS ET SON AGGLOMÉRATION La ville d’Amiens compte 135 000 habitants et prend place dans la communauté d’agglomération Amiens Métropole composée de 33 communes et 180 000 habitants. Il existe également un syndicat mixte du Pays du Grand Amiénois, regroupant 381 communes et 337 000 habitants, qui est en train de se transformer en pôle métropolitain et traite notamment les questions de tourisme et de mobilités. Le SCOT se situe à l’échelle du Pays du Grand Amiénois.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

11


Campus de La Bouloie et technopole Temis (Europan 14)

©Laurent Rousselin

©Ville de Besançon/SM-PSI

Dominique Schauss

BESANÇON

Un campus et une technopole à rapprocher Entretien avec Dominique Schauss, vice-président du Grand Besançon chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. La Ville et l’agglomération proposent un site pour la session Europan 14. Quelle est la situation industrielle actuelle de Besançon ? Dominique SCHAUSS : Besançon est connue pour son passé horloger. Mais l’horlogerie de masse ne s’est jamais relevée de la chute de la célèbre entreprise Lip en 1973, même si la ville garde une identité liée à la haute horlogerie ou à l’horlogerie de niche. L’industrie bisontine a fait évoluer ses savoir-faire vers ce qui est micro-mécanique, micro-système, micro-assemblages, tout ce qui participe au montage de différents composants et d’une quantité d’appareillages que l’on retrouve un peu partout dans la robotique, le spatial, le médical, le luxe… Nous sommes passés de l’horlogerie aux micro-techniques, qui ne sont pas un produit, comme la montre, mais une technologie avec des applications multiples et variées. Ce passage s’est fait assez doucement mais de façon plutôt robuste, avec une participation très forte de laboratoires universitaires, de spin-off sortis de labos qui ont donné lieu à la création d’entreprises. Au fond, l’industrie va plutôt bien. Et nous avons quelques pépites comme, par exemple, Zodiac Aerospace, leader

12

HORS -SÉ RI E n o  6 0

mondial des masques à oxygène pour les pilotes d’avion. Les tableaux de bord des avions sont aussi conçus et fabriqués à Besançon grâce à ces technologies issues de l’horlogerie. Ces savoir-faire ont donné lieu à la création d’une foultitude de PME. Et nous avons l’unité Europe du SAV de Breitling, connue pour ses montres d’aviateur vendues très cher. Besançon se positionne également au point de rencontre des micro-techniques, des micro-assemblages et de la médecine en fabriquant des dispositifs médicaux qui demandent des certifications très exigeantes. Des écoles d’ingénieurs – l’ENSMM [École nationale supérieure de mécanique et de microtechnique] et l’ISIFC [Institut supérieur d’Ingénieurs de Franche-Comté] préparent à ces différents métiers situés entre les sciences du vivant et les sciences de l’ingénieur. Quand il s’agit de rentrer dans une cellule avec des microsondes, des micropipettes, nous disposons des technologies développées dans ces écoles et au sein de FEMTO ST, le plus gros laboratoire des sciences de l’ingénieur en France, avec 700 chercheurs. Tout cela n’est pas venu


Un campus et une technopole à rapprocher OUVERTURE

par génération spontanée, les collectivités ont été très actives. La technopole Temis [Technopole microtechnique et scientifique] symbolise ces évolutions. Elle a été créée il y a plus d’une vingtaine d’années, avec, en son centre, un équipement, Temis Innovation, où l’on trouve toute la panoplie des outils d’accélération de l’innovation, de création d’entreprises et de développement économique : incubateurs, pépinières, start-ups… Comme le monde universitaire est-il organisé ? D. S. : Besançon est une ville campus, elle en possède trois. La Bouloie, qui est consacré aux sciences et techniques, au droit et aux sciences économiques, date des années 1960. C’est un campus à l’américaine, excentré, avec des grandes perspectives. Il est plutôt beau. Mais, comme tous ceux de cette génération, il manque d’animation. Il n’y a pas de mixité des fonctions. Le deuxième campus, historique, est resté au centre-ville, où nous avons un grand projet urbain de 7 ha lié à la reconversion du site de l’ancien hôpital Saint-Jacques. Nous allons en faire une cité internationale des savoirs et de l’innovation, avec l’implantation d’une BU, d’une bibliothèque-médiathèque régionale, d’un centre de congrès, de l’École supérieure du professorat et de l’éducation, de Canopé [ex Centre régional de documentation pédagogique]… Un village de start-ups est aussi mis en place par le Crédit agricole. Le troisième campus, contigu au Centre hospitalier universitaire, accueille les études de médecine et de pharmacie ainsi qu’une école d’infirmières. Il se situe au sein d’une technopole, Temis Santé, dont les entreprises sont tournées vers la médecine. Nous avons également un centre de linguistique appliquée, un des plus grands centres d’apprentissage du français pour des étrangers, qui est situé en centre-ville. Il rejoindra la Cité des savoirs et de l’innovation. Comment vous êtes-vous reconnu dans le thème Europan 14 ? D. S. : Ville productive, pourquoi ? Parce que ce campus de La Bouloie a facilité et accéléré la mutation industrielle de Besançon par les spin-off, par les entreprises créées par des chercheurs. Et il est contigu à Temis. Donc, entre Temis qui est vraiment une jolie technopole avec de jolies boîtes et le campus de La Bouloie, il y a une histoire commune, qui est scientifique et économique mais pas du tout spatiale. Ces deux entités sont parfaitement étanches l’une à l’autre. Et elles sont gérées de façon complètement séparée. Temis est gérée par le syndicat mixte du Parc scientifique et industriel [SM-PSI] dans lequel l’agglomération du grand Besançon est très représentée, et le campus est du ressort de l’université. Ce sont deux espaces juxtaposés. Temis, un jour, deviendra trop petite par rapport à la demande alors qu’à côté, de vastes espaces pourraient contribuer au développement industriel. Et puis, si l’activité économique s’implante sur le campus, peut-être créera-t-elle de l’animation. Comme tous les campus excentrés, il est purement monofonctionnel, il n’y a pas de commerces. C’est le modèle du plateau de Saclay. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Pierre Veltz quand nous avons présenté notre projet lors du lancement d’Europan 14. Il m’a dit que notre projet était aussi son sujet. Il y a un troisième pôle au projet, le quartier en politique de la ville. Il ne faut pas laisser cet habitat de côté comme s’il s’agissait d’une poche étanche. Nous souhaitons une vision

globale, généreuse de ce site avec ses trois entités. La Bouloie et Temis buttent contre une rocade et le contact entre la rocade, le campus et Temis n’a jamais été traité. C’est aussi un sujet qui nous intéresse dans le cadre d’Europan. Dernier point, qui fait partie des acquis : la ligne de transports en site propre [TCSP] qui va mieux relier ces trois ensembles au reste de la ville, car les conditions économiques n’étaient pas réunies pour installer une ligne de tramway. Le campus de centre-ville et le CHU sont déjà reliés par un tram, il manquait cette branche pour relier La Bouloie et Temis au cœur de Besançon. Tout cela dans une perspective plus globale de désenclavement du campus. Le TCSP, qui sera un bus à haut niveau de service, desservira aussi le quartier Montrapon en politique de la ville [QPV]. Les travaux seront terminés à la fin de l’été. Le temps de trajet pour se rendre au centre-ville sera d’environ cinq minutes. Les terrains sont-ils maîtrisés par la puissance publique ? D. S. : Absolument, surtout par l’État qui détient la propriété du campus universitaire. Pour la technopole et le quartier, c’est la collectivité, Ville et Agglomération. Des projets émergent en permanence sur cette technopole. Nous avons des éléments de programme sous le pied. Il faut préciser qu’à Temis la fonction recherche et enseignement supérieur a un peu débordé. Car deux éléments sont très importants : l’École nationale supérieure de mécanique et de micro-technique [ENSMM] et Temis Innovation. Donc, il faut considérer qu’il s’agit, au fond, d’une seule entité et la gérer avec la vision d’un seul espace à composer. C’est ce que nous attendons des équipes d’Europan. Qu’elles nous proposent des plans de composition, des schémas d’intention à l’échelle de l’ensemble de ce grand site, qui est compliqué. On l’a vu pendant la visite : ils étaient très stimulés par le site tout en en mesurant sa complexité. C’est plus un travail d’urbanisme à une vaste échelle qu’un travail d’architecture sur un périmètre contenu, avec un programme précis. Comment et par qui ce site est-il aménagé ? D. S. : Pour la technopole Temis, l’aménageur est une société d’économie mixte, la SEDD1 . Il s’agit d’une ZAC qui se poursuit encore. Des leviers d’intervention existent. En bordure de Temis par exemple, il est possible de réaliser un programme de logements sur un terrain de rugby désaffecté. Et, sur le campus, nous avons un projet conjoint avec l’université : le déplacement du jardin botanique, actuellement sur un autre site, pour le transformer en « jardin de la découverte et du savoir ». Cela va également participer de l’attractivité et de la mixité du campus. Ce projet est acté, financé, à peu près localisé mais pas encore dessiné. Europan va nous donner des pistes, ce sera passionnant. L’université est l’investissement d’avenir numéro un de notre plan de développement territorial. Le projet Europan s’intègre donc dans cette ambition majeure pour Besançon. Nous ne sommes plus une capitale régionale mais nous restons une place forte dans le domaine universitaire, un habitant sur cinq étant un étudiant. En termes d’économie résidentielle, cela représente 30 000 personnes, entre les étudiants [23 000], les enseignants chercheurs et le personnel universitaire, dans une ville de 120 000 habitants 2 . L’université est notre principal moteur économique. Propos recueillis par Antoine Loubière ! Société d’équipement du département du Doubs. @ L’agglomération du Grand Besançon en compte 192 000.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

13


ABSTRACT

The new relationships between territories and production The topic for the 14th session of Europan was “productive cities”. To examine the questions that it raises, the review Urbanisme arranged a discussion between Alain Maugard, President of Europan France, and Pierre Veltz, Chairman of the French jury for the 14th session of Europan, winner of the French Grand prix de l’urbanisme 2017 and author of several books about economics and territories. The purpose of their conversation was to shed light on the issues raised by the current economic and territorial changes and the challenges that they pose for urban designers. lain Maugard firstly mentioned the changes in the Europan competition: “Over the years, the Europan competition has developed from an architectural problem taken in isolation, and then viewed in the context of its environment, to total continuity between the architectural approach and the town planning-based approach. At the moment, the themes are entirely based on town planning. After reflecting on ways of life and sustainable cities (Europan 10 and 11), we looked at adaptable cities (Europan 12 and 13). That led us to the idea of the project-process, where events and opportunities are relied upon. After the ways of life and adaptable cities sequences, why have we moved on to productive cities? Because this switch reflects profound changes”. Pierre Veltz underlined the relevance of this theme, because “we are at the threshold of a new relationship between territories, especially cities, and all forms of production (industrial, commercial, tertiary, crafts). Historically, cities were the centre of production for a very long time, in tandem with rural areas, but the latter were subcontractors. When the industrial revolution took place, places of production and places of residence became dissociated – factories left the cities, and then tertiary centres followed by commercial centres – and special places. We are witnessing the dawn of an

A

extremely interesting phase where this fragmentation is being called into question, where the boundaries are becoming porous. This brings us to some very general changes which I attempted to analyse in my recent work La Société hyper-industrielle. Le nouveau capitalisme productif. Broadly speaking, the distinction between manufacturing – the creation of physical objects – and services is gradually disappearing, there is real interlinkage between the two in terms of actors, processes and spaces. These changes are affecting the structure of territories. Areas of activity will certainly continue to exist, but Europan would go entirely off-topic if it only looked at areas of activity and how these activities are being redistributed within cities, in a highly differentiated way. Factories are becoming automated and very clean, with few people working inside them but a lot of people in their environment as they need many services. Part of this industry can certainly be reintegrated into the heart of cities. As for services, their natural ecosystem is still the city. And jobs tend to be concentrated in places that people want to go to. This is why I firmly believe that the city will become the infrastructure of production once again.” How can we define Europan’s contributions to urban innovation? Alain Maugard: The original aspect of Europan is its approach based on

collaboration between clients and contractors. We are no longer in a situation where a client places an order with a contractor who then gets on with it. It’s a two-way process. Europan is the only place where someone can win a prize by saying: “The question that I was asked by the City was the wrong question”. There is porosity between the questioning of the client and the answers that design teams come up with. This porosity is a dialogue between the two which enriches the final solution. Some mayors say: “When I listened to the jury’s arguments, I agreed and I changed my mind.” Pierre Veltz: In planning, architecture and even construction, it is often an answer to a question that was not asked that makes the difference. You have to think. Tell yourself that we are reproducing what already exists for the next fifty years but we are sure that the way in which it will be used will change. For example, in student accommodation, we should plan more shared spaces and fewer monastic rooms, because it is in the communal spaces that they will work. But this is almost impossible, mechanics make this impossible. Nine times out of ten, the client wants an identity project, and then some teacher wants something or other. So what I like about Europan is that you can re-question things. It is a case of questioning the question.


Two elected representatives of cities who are proposing sites for the Europan 14 session present the characteristics of the economic, and especially industrial, fabric of their territories and express their expectations with regard to the Europan candidate teams. Brigitte Fouré is the Mayor of Amiens, a city with 135,000 inhabitants which has seen steady deindustrialisation over many years. Amiens was recently in the spotlight due to the planned closure in 2018 of a Whirlpool production facility which employs 290 people but had over 1,000 employees fifteen or twenty years ago. Since the beginning of the 2000s, the city council has sought to rebalance economic development between industry and services, the tertiary sector, with premises suitable for new information technologies. A lot of call centres have been set up, creating 3,000 jobs in this sector. And Amiens is where Amazon is creating its fifth distribution centre in France (107,000 m2), which will create 500 jobs over the next three years. Amiens has a tradition of textile or dyeing businesses in the city centre or the immediate vicinity, in the suburbs. One of them is Cosserat, a business that specialises in cotton and velvet, which is fifteen minutes’ walk from the town hall, in the Montières business zone, which has been proposed as a site for Europan 14. Brigitte Fouré explains this decision: “So we thought it would be interesting to look at this sector, which is a mix of existing businesses, other businesses which are undergoing conversion and sites such as that of the city’s old water treatment plant. We are also very close to the zoo, which we are going to renovate. So it’s a site near the city centre with issues which that are really very varied. We are planning to create a new district there which will be creative in terms of architectural form because we are a long way from existing buildings. We are at the edge of the Somme, it is a great place. And Cosserat has buildings which date to the end of the nineteenth century, we don’t want to demolish them, but rather reuse them. We have an investor who is buying back part of the site and has ideas about building housing for Parisian artists. We also have a gold nugget, the young heir of an old Amiens family of dyers, who makes velvet goods for luxury hotels all over the world, curtains, seat upholstery,

©DR

ABSTRACT

Site de Papaverdriehoek à Amsterdam (Europan 14)

and so on. So our site is amazing. We want our analysis to be driven, inspired by the ideas of these young architects who will probably have a vision that is completely different from the one that we know locally. This piece of territory has to be analysed in a holistic way. I really hope that the Europan competition will give us this overall vision, of the themes and topics in any case”. Dominique Schauss is the Vice-President of Greater Besançon and is responsible for higher education and research. The city of Besançon (120,000 inhabitants) is known for its watchmaking past. But mass watchmaking has never recovered from the collapse of the famous company Lip in 1973. Besançon’s industrial sector has developed its watchmaking know-how to micro-technologies, which have many and varied applications. This transition involved a great deal of participation by university laboratories, spin-offs from labs which have given rise to the creation of businesses. The communities have been very active. The Temis science park symbolises these changes. Besançon also has three campuses. The La Bouloie campus is devoted to science and technology, law and economics. It is an American-style, outlying campus with great prospects which dates back to the 1960s. But like all those of its generation, it lacks activity. This is why the city of Besançon has proposed the La Bouloie campus and the Temis science park as a site for Europan 14. As Dominique Schauss explains, “these two entities are completely impervious

to one another. And they are being run completely separately from each other. There is a third centre in the project: a social housing neighbourhood which is being regenerated. We want an overarching and generous vision for this site with its three entities. La Bouloie and Temis are beside a bypass road and the contact between the bypass road, the campus and Temis has never been dealt with. This is also a topic which interests us from the point of view of Europan. One last thing, which forms part of the assets: a public transport lane will improve the links between these three sites and the rest of the city. What we are expecting from the Europan teams is that they will offer us composition plans, plans of intent covering the whole of this big site, which is complex. It is more a case of town planning on a vast scale rather than architectural work in a contained area, with a precise programme. The university is the number one investment for the future in our territorial development plan. In terms of the residential economy, it represents 30,000 people, including the students [23,000], the research fellows and the staff, equating to one in four inhabitants. So the Europan project forms part of this major ambition, which is pivotal for Besançon”.


EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES

UNE DÉMARCHE D’INNOVATION


Europan : un paradoxe productif en permanente adaptation Suivant les villes et les pays, le passage du concours aux processus opérationnels est plus ou moins aisé. L’enjeu est de bien identifier les difficultés du côté des villes et de proposer aux jeunes concepteurs des thèmes et des sites stimulants. Depuis sa création, Europan repose sur un paradoxe actif : le concours prime des idées innovantes de jeunes professionnels de la conception architecturale et urbaine en donnant à chaque session une centaine de Prix (lauréats, mentionnés) et en attribuant un label que recherchent beaucoup d’équipes. Mais ces idées sont aussi des projets incarnés dans les contextes d’une cinquantaine de sites européens à chaque édition ; l’enjeu est de permettre aux villes concernées d’engager avec le maximum de primés des processus opérationnels après le concours.

que peu de temps à réserver au travail Par Didier Rebois, de recherche et d’innovation que leur secrétaire général propose Europan. d’Europan Europe Malgré ces évolutions, le concours reste attractif, surtout pour les professionnels intéressés par les enjeux urbains. Ces équipes mêlant architectes, urbanistes, paysagistes et quelquefois d’autres compétences sont plus âgées, plus matures et ont une expérience du projet.

UN CONCOURS QUI ÉVOLUE

DES JEUNES PROFESSIONNELS DANS LE « FAIRE »

Lancé sur une thématique d’évolution du logement en relation avec les modes de vie, le concours s’est progressivement orienté, à la demande des villes partenaires, vers des enjeux plus urbains, ajoutant à l’échelle architecturale celle de la ville et du paysage, Un autre renversement de situation concerne la période plus récente liée à la crise économique. D’un côté, celle-ci se traduit par une certaine diminution des participants à partir d’Europan 11. Chez les jeunes diplômés, l’euphorie face au futur a fait place à l’inquiétude sur leur avenir professionnel. Se lancer comme agence avant la trentaine sur un marché restreint et moins ouvert aux jeunes est, partout en Europe, devenu une pratique plus rare. En sortant des écoles, les jeunes diplômés s’engagent comme projeteurs dans des agences et, s’ils le peuvent, y restent en occupant des postes de chef de projet offrant des responsabilités intéressantes. C’est moins risqué ! Heureusement, il n’est pas rare que certains de ces jeunes salariés répondent quand même aux concours, mais sans doute plutôt pour conserver leur « training » au projet urbain. À cela s’ajoute le fait que, dans les pays comme la Suisse et l’Allemagne dont l’économie est dynamique, les agences ont beaucoup de travail et donc moins d’intérêt immédiat à répondre à Europan. Dès la chute du Mur de Berlin, Europan a voulu accompagner le changement démocratique dans les ex pays communistes : différents pays baltes et balkaniques participent, mais de manière irrégulière suivant les sessions, au concours. Pourtant, si des projets innovants peuvent y être primés, ils sont souvent originaires de l’étranger, très peu nationaux. Car, pour gagner leur vie, les jeunes professionnels n’ont

Sans généraliser, la jeune génération ayant traversé la crise économique cherche à évoluer vers des pratiques plus réalistes que celles de l’urbain, impliquant des processus à long terme, donc potentiellement précaires en termes de commande. Elle s’oriente plus rapidement vers la fabrication, l’usage du matériau, le réemploi, et des pratiques qui mettent directement en contact avec les usagers et les usages à travers une approche collaborative du projet. On passe du « projet vision à moyen et long terme » – pour lequel il y a moins d’adhésion – au « projet fabrication » plus modeste mais plus facilement réalisable. À travers ce changement de paradigme, une série de valeurs très intéressantes émergent, qui renvoient davantage à une logique d’actions dans la ville qu’à celle de projets urbains longs et difficiles à mettre en place. Pourtant, les responsables publics urbains restent majoritairement les partenaires premiers d’Europan. Sur les 44 sites de la 14 e session, 43 sont proposés par des municipalités, même si elles sont associées à une multitude d’autres acteurs. Si certains sites proposent encore des processus du type précédent associant à une vision large un fragment réalisable, la tendance est aux grands sites. La surface moyenne des sites de réflexion d’Europan 14 est de 180 ha, et celle de sites dits de projet de 18 ha. C’est très grand ! Beaucoup de villes se sont attachées – pour favoriser le développement durable et une nouvelle gestion des ressources – à vouloir repenser/ densifier/diversifier leur territoire en faisant prioritairement évoluer les grandes aires monofonctionnelles héritées du fonctionnalisme urbain et de la ville diffuse. Europan est donc confronté à une double équation. D’un côté, il doit prendre en compte l’évolution des mentalités

HORS -SÉ RI E n o  6 0

17


©Teknobyen Studentboliger

EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES Une démarche d’innovation

Trondheim - Nor vège (MEK architectes, Europan 9)

des jeunes concepteurs vers davantage de pragmatisme et de matérialité dans une culture renouvelée des modes de production de l’espace ; de l’autre, il lui faut diversifier les sites, non pas avec moins d’ambition mais en pensant dès le départ aux types de suites qui pourraient être données.

TROIS FAMILLES DE SITES ET DE PROJETS Même s’il est difficile de réduire la diversité des contextes à quelques paramètres, l’attractivité future d’Europan pourrait reposer sur trois types de mutations proposées à la sagacité des jeunes professionnels. Une première famille de sites (XL) – en reprenant la catégorisation de Rem Koolhaas – satisfait la demande des villes de proposer des morceaux du puzzle métropolitain issu du zoning. Il s’agit ici de créer, autour des grands enjeux de mobilité, de nature, de mixité sociale et d’usages, des régénérations territoriales et des reliances urbaines. Cela peut intéresser une partie des professionnels qui ont déjà une expérience de ces grandes échelles et qui sont habitués à travailler en équipes multidisciplinaires. Les débouchés ne se mesureront pas en mètres carrés construits mais en pensée stratégique territoriale associant visions et outils opérationnels pour des mutations sur un temps long. Le paysage joue souvent ici un rôle dynamique et l’on peut, même sans construction directe, parler de réalisations urbaines. Une seconde famille de sites (L) renvoie à ce qui constitue « un fonds de commerce » d’Europan autour de fragments urbains de quelques hectares constituant de potentielles articulations pour résoudre des blocages, des conflits locaux entre mobilité et densification par exemple, ou entre nature et ville. Mais plutôt qu’un projet architectural à finaliser dans

18

HORS -SÉ RI E n o  6 0

un second temps selon l’ancienne logique d’urban design, il est important d’associer à la mutation une temporalité du processus. Et, surtout, il faut réfléchir à la manière dont ce projet peut démarrer, quel(s) projet(s) temporaire(s) ­p eu(ven)t préparer un développement plus conséquent, ou bien quel « starter » significatif peut engendrer un changement d’image du site. Une inventivité renouvelée sur cette échelle est attendue des jeunes professionnels. La troisième famille (S) n’est pas la réduction de l’enjeu des sites à la possibilité de dessiner un édifice architectural. Il s’agit de sites qui permettent de concevoir « le micro » mais associé « au macro ». Il s’agit d’un petit projet qui vaut plus que sa seule taille, par les effets qu’il peut provoquer à une plus grande échelle. Comme par exemple penser un passage urbain qui va dépasser une coupure et relier deux quartiers enclavés. Quelques sites et réponses primées ces dernières années ont déjà contribué à cette logique de projet ; et ils ont pu déboucher sur des réalisations dans des contextes parfois démunis de moyens importants, comme à Selb (Allemagne) ou à Groningen (Pays-Bas). À Groningen (Europan 12), sur une friche industrielle prête pour l’édification d’un nouveau quartier mais bloquée par la crise économique, les lauréats ont proposé une attitude plus qu’un projet, qu’ils ont intitulée « prélude ». La réalisation a consisté à penser le provisoire en reliant la friche au centre-ville grâce à un cheminement piétons-vélos franchissant un canal par un pont provisoire, et à son verdissement la rendant plus attractive pour les citadins. C’est donc aussi vers des sites faisant appel à l’ingéniosité des concepteurs et avec des actions à réaliser dans des délais assez courts qu’Europan doit faire un effort de recherche. Cet enjeu est vital pour régénérer le concours à travers des dynamiques concrètes de micro-projets innovants associés à des modes de fabrication courts. Et même si les échelles


Une démarche d’innovation EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES

(XL) et (L) sont intéressantes, le renforcement de cette échelle (S) permet une diversité qui peut stimuler des jeunes concepteurs aux cultures et profils très différents.

Et il a fallu attendre les années 1980 pour voir apparaître en Norvège des projets urbains de régénération des sites portuaires, comme à Stavanger et Oslo, avec un engouement pour habiter au bord de l’eau. QUAND LA FRANCE FAIT ÉCOLE Une fois le pragmatisme nordique des lotissements suburbains remis en question, Europan a constitué pour ces pays un Au-delà de ce paradoxe que constitue Europan à l’échelle de terrain d’aventure pour des sites assez vastes nécessitant un toute l’Europe, et qu’il s’agit de renouveler partiellement, il est projet urbain à réaliser dans le temps. Pourtant, les réalisaimportant de prendre en compte les différentes déclinaisons tions ont souvent consisté en des immeubles d’habitation, du concours (idées) et de ses effets (processus) dans les en raison des difficultés à donner aux équipes primées cultures du projet apparues au fil des ans en Europe. la maîtrise de grands projets, comme la belle résidence Ce numéro d’Urbanisme met en valeur la dynamique française étudiante construite par une équipe espagnole à Trondheim du concours. Travaillant essentiellement avec des acteurs (NO) Europan 9 ou le projet d’habitat groupé à Vassa (FI) publics, Europan France a dû s’adapter au code des marchés Europan 4. On constate aujourd’hui une situation presque publics pour permettre le passage à des contrats et à des inversée. Les villes nordiques n’hésitent plus à se servir du réalisations avec les équipes primées. Il a su transformer concours pour donner à concevoir de grands projets urbains cette difficulté en un atout. En effet, l’obligation de concevoir intégrant le paysage. Et les équipes lauréates sont souvent un concours en trois étapes – choix d’idées multiples sur choisies pour réaliser un plan guide stratégique dont la ville chaque site par un jury indépendant (1) comme préalable à se servira pour programmer son développement, loin des la désignation par les représentants des sites (2) d’une (ou premiers pavillons dans la nature de la première phase. À plusieurs) équipe(s) pour la partie opérationnelle (3) – a Ørsta (NO) Europan 13, une équipe danoise d’architectes permis de mieux impliquer dans le paysagistes est en train de concevoir, deuxième temps les partenaires locaux. à grande échelle et autour de corridors Pendant quelques mois, les deux ou verts, la structuration d’un tissu urbain trois équipes primées de la première très éclaté. Ou à Nacka (SE) Europan Une manière de s’adapter phase travaillent leurs idées in situ 13, sur une friche industrielle dominant à des contextes avec les acteurs locaux. Aux projets la rivière, une équipe définit un plan et des acteurs différents top down est associée une démarche urbain autour de grands îlots paysagés, locale qui permet de découvrir, au-delà que la ville va concrétiser à travers de de leurs projets, la valeur personnelle multiples réalisations. Mais, dans ces de plusieurs équipes ; et donner la possibilité de choisir aux pays où les rôles des acteurs sont assez cloisonnés, associer maîtres d’ouvrage urbains contribue à améliorer le processus au rôle d’urbaniste celui d’architecte réalisateur, soit d’espaces de réalisation qui suivra. publics soit d’un fragment architectural, reste encore difficile. Cette procédure, au départ, a été regardée d’un œil un peu suspicieux par les tenants d’un concours où, à un lauréat PEU DE PARTENAIRES PRIVÉS est associée une réalisation (attitude répandue plutôt dans À L’EXCEPTION DE LA SUISSE… les pays nordiques). Mais, grâce à son efficacité, même si cela implique une phase intermédiaire supplémentaire, elle Même si une ville est à l’initiative d’une participation au commence à faire école ; l’Espagne, la Suède et d’autres, concours et que de multiples acteurs sont associés, en pour les sites liés à la commande publique, s’orientent vers particulier les propriétaires privés quand le sol n’appartient cette procédure. Ils cherchent néanmoins des formules qui que partiellement à la collectivité, il est très rare que, dès minimisent le coût des études confiées à plusieurs équipes le départ, des investisseurs ou promoteurs privés soient primées après le concours, et certains envisagent un temps impliqués dans la phase concours. Certains surgissent pendant intermédiaire plus court, voire d’impliquer les équipes dans la phase réalisation et leur non-implication en amont, et un workshop in situ à l’issue duquel la ville choisira celle qui même, souvent, dans la phase opérationnelle urbaine qui poursuivra la réalisation. Ainsi, en Italie, la ville de Molfetta suit le concours, rend leur adhésion au projet et surtout a réalisé pour Europan 13 un workshop avec trois équipes à l’équipe primée plus difficile. Beaucoup de ruptures de primées au concours sur le front de mer, ce qui a permis la chaîne de production viennent du fait que ces acteurs d’obtenir des crédits régionaux pour la réalisation qui sera responsables de la construction et arrivés trop tardivement confiée à au moins deux équipes parmi les trois. ne peuvent infléchir les idées primées pour les adapter au Europan s’oriente donc vers des processus post-concours cadre de la réalisation. assez différents. C’est une manière de s’adapter à des Mais il existe des exceptions, et c’est bien sûr en Suisse qu’on contextes et des acteurs différents tout en partageant les trouve des exemples positifs. À Monthey, la ville a impliqué mêmes finalités. dès le début dans le concours Europan 12 un aménageur privé, qui a racheté tout le site, jusqu’au développement du LE CAS DES PAYS projet primé. Cela accroît les chances de réaliser ce projet DU NORD DE L’EUROPE aujourd’hui validé par tous les partenaires. Dans le cadre d’Europan 14, sur le site de Kriens (CH), le propriétaire de En dehors de la Suède et des villes capitales, les pays nordiques l’usine à transformer en quartier est lui aussi fortement avaient à la fin du xx e siècle des pratiques de projet urbain impliqué dans le concours. Cette association acteurs publics/ limitées. La Finlande, autour des noyaux historiques des acteurs privés peut dans certains cas être essentielle au villes, a développé des quartiers étendus diffus dans la forêt. développement, en particulier quand la ville sait assez

HORS -SÉ RI E n o  6 0

19


©DR

©Theo Bos

EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES Une démarche d’innovation

Groningen - Pays-Bas (Casanova + Hernandez architects, Europan 12)

Molfetta - Italie (Europan 13)

tôt ce qu’elle veut et quels partenaires privés pourront être impliqués. La condition est bien sûr que ces acteurs opérationnels jouent le jeu du concours et de l’innovation en acceptant d’intégrer les idées primées.

à des changements politiques qui ne permettent pas de maintenir une certaine permanence de l’intervention urbaine engagée et entraînent la disparition des projets amorcés. Mais, dans certains cas, comme dans beaucoup de pays de l’ancien bloc communiste, les villes n’ont pas les moyens DEUX TYPES DE VILLES de leur politique en raison d’un mode de production de la ville essentiellement privé et peu contrôlé par la puissance On peut opposer deux types de villes qui participent à publique. Cas plus rare, il arrive que les responsables des Europan. D’un côté, celles d’une certaine taille, jouissant sites rejettent les équipes primées sur leur site. d’une relative stabilité politique, qui disposent de moyens Face à cette situation d’échec que l’on retrouve sur un et d’outils adaptés pour réaliser les idées issues du concours. certain nombre de sites, Europan Espagne – confronté De l’autre, celles qui, à cause de leur instabilité politique ou pourtant à une grave crise économique avec un marché de leur aspect velléitaire, abandonnent une fois le verdict de l’architecture sinistré – a su rebondir en proposant aux du jury connu. Comment gérer ces différences ? équipes primées des processus de réalisation alternatifs sur Dans la première catégorie, on trouve la ville de Vienne d’autres sites. Un exemple intéressant est celui de la ville (Autriche) qui, depuis de nombreuses sessions, propose à de Don Benito qui a rejeté le projet primé (E 12) parce que chaque fois un site adapté à la thématique changeante du le lauréat « travaillait essentiellement sur les traces du site, concours : des sites d’échelle (L) mais et non sur sa modernisation » ! La Région toujours bien pensés en fonction d’objectifs d’Estrémadure où est situé Don Benito, précis de mutation. À l’exception d’un partenaire fidèle d’Europan, a au contraire Cette association cas, Vienne réalise d’ambitieux projets été séduite par l’approche de l’équipe acteurs publics/acteurs urbano-architecturaux avec des équipes car la plupart des villes de cette région privés peut issues du concours, dont une partie est ont un patrimoine important, et réaliser être essentielle étrangère. Ainsi le projet Europan 9 des projets d’espaces publics à partir situé sur une friche industrielle des de la prise en compte de ses traces leur quartiers nord en régénération consistait à penser une semblait très pertinent. L’équipe développe actuellement sorte de macro-lot, ou d’hyper-îlot. En partenariat avec les son projet pour la ville de Guadalupe, également dans cette nombreux acteurs, l’équipe studio-uek, lauréate, a revisité région. On pourrait multiplier les exemples espagnols de sans le changer son projet pour l’adapter à un processus changement de sites pour parvenir coûte que coûte à une de réalisation faisant intervenir plusieurs architectes et un réalisation en maintenant la force des idées primées. Cela paysagiste pour le parc intérieur. Avec l’appui des services semble une solution adaptée aussi à d’autres pays, avec de la ville, elle a même enrichi le projet primé en ajoutant l’objectif d’impliquer dans des réalisations le maximum une série de services pour les résidents et en créant une d’équipes primées. ingénieuse mise en réseau des toits-terrasses des différents Promouvoir les idées des jeunes concepteurs grâce à un label immeubles, permettant une appropriation par les habitants Europan qui permet à certains d’entre eux de développer et la création de jardins agricoles. Ce projet réalisé dans sa une pratique professionnelle est essentiel. Mais la réussite globalité a fait l’objet de nombreuses publications autour future d’Europan, sa capacité à se régénérer, tiendra dans de l’art de vivre dans le logement collectif. l’offre variée de situations dans les villes européennes autour A contrario de cette longue expérience réussie avec la ville de thématiques stimulantes, avec le souci, quelles que de Vienne, d’autres villes dans différents pays n’arrivent pas soient les échelles, d’engager des processus de réalisation. à passer du concours à l’opérationnel. La raison peut tenir Didier Rebois

20

HORS -SÉ RI E n o  6 0


Faire les chiens couchants ? Contribution sur les différentes manières de mettre en œuvre un projet lauréat d’Europan. Mes enfants, faut pas heurter la chose de front, vous êtes trop faibles, prenez-moi ça de biais !… Faites les morts, les chiens couchants. Honoré de Balzac, Les Paysans es mots d’Honoré de Balzac auraient pu être destinés aux lauréats de la session 13 d’Europan qui est récemment entrée en phase de mise en œuvre des propositions. En fait, ils auraient pu être destinés à n’importe quel lauréat d’Europan, dont moi-même puisque je faisais partie de l’équipe sélectionnée pour le projet de redéveloppement du waterfront de la vieille ville d’Héraklion en Crète (Grèce) lors d’Europan 4 en 1996. Entrer en phase de mise en œuvre est une sorte de rituel par lequel les villes participantes, avec leurs protocoles et leurs cultures urbaines, accompagnent le projet lauréat sur une trajectoire non linéaire et ponctuée de surprises1 . Ce rituel prend des formes différentes à travers l’Europe selon le type d’accompagnement offert au projet, qui dépend à la fois de la volonté des institutions urbaines d’un pays et de celle des secrétaires nationaux d’Europan.

C

Cependant, les mots de Balzac portent à notre attention le fait que Par Socrates Stratis, les dynamiques de pouvoir entre architecte urbaniste les acteurs de l’urbain au fil d’une (Chypre) telle trajectoire ne se conforment pas souvent aux transformations qu’impliquent les propositions. Keller Easterling 2 a avancé cet extrait de Balzac en référence aux potentialités de la figure de l’architecte, plus proches selon elle de celles d’un entrepreneur activiste. Easterling exhorte les architectes, et, ajouterais-je, tous les praticiens qui visent à introduire des transformations dans l’environnement urbain, à étudier méticuleusement comment l’entrepreneur considère l’innovation, en cycles multiples, d’une durée limitée, et présentant des caractéristiques partielles. Elle poursuit sa critique de l’architecte, dont la logique et la forme de pensée seraient plus théologiques qu’entrepreneuriales. L’architecte se complaît volontiers dans des absolus et des idéologies, il est également séduit par la vision utopique qui considère que le changement n’a lieu qu’à un moment unique et non pas tout au long de cycles d’innovation. En fait, Europan est un terrain fertile pour les recherches d’Easterling sur les architectes en tant qu’entrepreneurs

©AA&U

Aménagement du waterfront d’Héraklion, Socrates Stratis arch. (Europan 4)

HORS -SÉ RI E n o  6 0

21


EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES Une démarche d’innovation

activistes ainsi que sur les transformations qui se déroulent d’une façon partielle au cours des cycles d’innovation multiples. Le réseau Europan, pendant ses quelque trente années d’existence, a produit une étonnante quantité de données sur les pratiques de design urbain portant sur ces transformations partielles, partout en Europe, et qui malheureusement restent inexploitées.

RITE DE PASSAGE En dépit du fait que les architectes constituent toujours la majorité des participants au concours, les approches sont davantage orientées vers d’autres professions telles que paysagiste, urbaniste et praticien de la communication. Les équipes de projet elles-mêmes deviennent progressivement mixtes en termes de nationalité, fondées sur des amitiés qui se sont forgées par-delà les frontières grâce aux programmes Erasmus. Les approches des projets lauréats, tout particulièrement sur les sites français, consistent en scénarios complexes de programmation de calendriers et de processus étroitement liés à des protocoles prenant en compte les incertitudes de la phase de mise en œuvre (E13, lauréats à Bondy). Ce sont des projets à caractère incrémental, multipliant des relations dynamiques entre les objets physiques, les processus et les acteurs de l’urbain. En fait, ils semblent avoir plus de chances de mener à bien leur parcours jusqu’à la mise en œuvre en intégrant les incertitudes et les nouvelles dynamiques urbaines (E13, lauréat à Vernon, mention spéciale à Montreuil). Néanmoins, ils risquent de se trouver impliqués dans des calendriers de projet très étendus. La mise en œuvre du projet Europan 4 à Héraklion reposait sur une approche similaire. Grâce à la pratique réflexive de l’équipe, de tels problèmes sont devenus explicites pendant

le très long temps du processus de mise en œuvre (de 2000 à aujourd’hui) et ont été partagés avec les autres acteurs du projet durant des périodes de négociations. Poursuivant la logique de l’architecte entrepreneur activiste, les équipes de projet d’Europan 13 doivent développer une approche réflexive au cours du processus de mise en œuvre afin de réajuster en permanence les stratégies et méthodes de leurs propositions. Dans le même temps, l’équipe de projet doit prendre rapidement conscience du caractère collectif d’un tel rite de passage à la mise en œuvre, dont les protagonistes font partie d’un assemblage hétérogène d’acteurs de l’urbain qui ont le pouvoir de modifier les priorités du projet. Comment établir des alliances à travers de multiples négociations, comment faire évoluer le jeu en introduisant des nouvelles données visuelles et des projections du possible, comment formuler de nouvelles questions qui intègrent de nouveaux acteurs a priori non invités, deviennent des composantes majeures du travail de l’équipe. Balzac ne précise pas que « les enfants » auxquels il s’adresse se transforment en faisant les morts. De la même manière, les priorités et les imaginaires des acteurs des projets Europan évoluent durant le rite de passage à la mise en œuvre. Si elle fait le chien couchant, l’équipe lauréate gagne un temps supplémentaire pour réfléchir au processus en cours, qui devient ainsi un profitable outil d’apprentissage. Socrates Stratis (traduit de l’anglais par Annie Zimmermann) ! Cf. Socrates Stratis, « Welcome Back In My Back Yard: an urban porosity interrogation », in « Ideas Changing, Europan Implementations », Europan Europe, 2012, pp. 46-50. @ Keller Easterling, « The activist entrepreneur », in Robert Gutman (éd.), Architecture from the Outside In, Princeton Architectural Press, 2010, pp. 318-323.

Des démarches plutôt que des plans Récit d’une expérience d’expert d’Europan, mise en perspective avec des orientations et choix professionnels. Au début des années 2000, après mes études d’architecture, j’aborde le projet urbain chez Paul Chemetov au gré des consultations et projets traités par l’agence. Simultanément, en 2002, je suis missionnée pour une aide à la programmation des sites destinés au concours Europan. Je participe à la septième session « Challenge suburbain, intensités et diversités résidentielles », l’une des premières à placer le thème de l’urbain devant celui l’architecture. Durant mes études, j’ai suivi l’enseignement de Michel Conan et participé à ses côtés à des recherches du CSTB1 sur la programmation générative qui inclut dans le processus de

Par Claire Schorter, architecte-urbaniste (France)

22

HORS -SÉ RI E n o  6 0

conception les attentes des futurs usagers et utilisateurs et leurs transactions (interactions). J’ai également collaboré à certaines publications où il était expliqué, via des schémas et plans, comment transcrire spatialement les pratiques du quotidien. Cet intérêt pour les habitants, les usages, l’espace public constitue le socle à partir duquel j’alimente mes projets. Cette expérience de recherche sur la programmation générative m’a permis de rentrer finement dans le travail de programmation urbaine nécessaire à la constitution des concours Europan. Il s’agit d’ailleurs d’une étape essentielle qui n’est pas toujours menée à bien avant la recherche de réponses par le projet urbain. Se rendre sur place, visiter les lieux, rencontrer les élus,


comprendre leur vision, participer à formuler des enjeux politiques et sociétaux – avant que spatiaux –, écouter les services techniques – futurs gestionnaires des espaces publics –, « ressentir l’ambiance », envisager les contours d’un programme en cohérence avec la thématique de la session, la politique d’aménagement de la commune, et apporter quelques éléments chiffrés, cela afin de rédiger un « dossier de site » destiné aux candidats. Pour ma part, je consacrais beaucoup de temps à des entretiens avec les futurs utilisateurs, des représentants d’associations ou tout autre acteur non institutionnel. De ces échanges surgissaient des questionnements qui restent essentiels : pourquoi ce site ? Quelle est sa particularité du point de vue géographique, historique ? Quelle politique ou vision sociétale sous-tend le projet ? Comment établir un programme garant de l’émergence d’un morceau de ville, réfléchir la programmation avant d’aborder le champ du design, saisir rapidement les jeux d’acteurs, évaluer l’engagement des élus qui est une plus-value pour des résultats satisfaisants et des suites données au concours ? etc. Souvent, les villes proposent des sites dont les enjeux ne sont pas matures. C’est une caractéristique assez récurrente car les maîtres d’ouvrage se révèlent avides de regards extérieurs et de projections à court, moyen et long terme sur des secteurs dont la temporalité opérationnelle n’est pas avérée. Il peut s’agir de friches, de délaissés plus ou moins vastes, de morceaux de ville en perte de dynamisme et/ou inadaptés aux pratiques contemporaines, de périphéries rattrapées par l’urbanisation, de situations retrouvant de la valeur par l’arrivée d’un transport en commun. Un panorama complet des conditions urbaines.

©Jean-Dominique Billaud/Samoa

Une démarche d’innovation EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES

Atelier citoyen sur la désignation du nouveau maître d’œuvre pour l’Ile de Nantes

réfléchir en termes de processus, de débattre et de négocier avec les maîtres d’ouvrage et les habitants. Le hasard participe à la construction du parcours de chacun. Europan fait partie de mes expériences. Au terme très en vogue d’innovation, je préfère celui d’exploration ou d’expérimentation. C’est ce que je développe lorsque je commence un projet, pour faire émerger des avis, de nouveaux questionnements et élaborer ensuite un processus. À Lille, pour le réaménagement du quartier Saint-Sauveur, avec l’agence Gehl et la SPL Euralille, nous avons inséré dans notre processus plusieurs étapes de programmation avant l’avant-projet (AVP) des espaces publics. Nous avons, avec les QU’EST-CE QU’UNE BONNE services – futurs gestionnaires – de la Ville et de la Métropole, RÉPONSE ? réalisé des guides : lumière, biodiversité et programmation Pour les sessions E 8 et E 9, nous sommes sept ou huit experts des espaces publics. Nous voulions comprendre et pouvoir à disséquer une soixantaine de réponses à partir d’une grille interpréter les demandes : pourquoi des espaces de jeux ? d’analyse commune. Nous travaillons en binôme sur deux Pour qui ? Pourquoi ici ? Cela a généré des temps d’enquêtes sites, un coordonnateur préservant le cadre général. Le rythme sur le site et autour. Un AVP ne peut pas succéder à un plan de travail est très soutenu. Nous apprécions l’approche du guide, qui correspond à une vision générale ; il manque un site, les propositions de programmation et de projets et palier, même si des secteurs d’intervention sont identifiés. Comment rentrer dans le détail des attribuons des notes. Puis, nous discutons usages de l’espace public sans se donner entre experts, chacun devant argumenter les moyens d’aller chercher à la source ses choix. Qu’est-ce qu’une bonne Prendre de la distance réponse ? Est-ce une réponse conforme des éléments de projet et, avant de les avec un mode à l’esprit du concours ? Parfois, certaines dessiner, sans organiser une étape de de représentation propositions de qualité sont écartées programme et de questionnement sur graphique (trop sérieuses ; professionnelles, mais la gestion future avec les villes ? pas assez innovantes). Il faut également À l’agence, je vois de jeunes architectes prendre de la distance avec un mode de présenter un book impeccable. Et je représentation très graphique mais dont les projets sont crains souvent que celles et ceux qui intègrent l’équipe ne inaboutis sur le fond. L’intelligence des processus est mise en soient déçu(e)s par le fait que nous leur demandions des avant : un projet urbain n’est pas un plan, aussi intéressant choses simples. Montrer leur compréhension d’un site, d’une soit-il, mais une histoire urbaine à compléter ou à faire naître situation, d’une géographie par des croquis, comprendre et à accompagner dans la durée. Cette notion de processus, finement les jeux d’acteurs, explorer la densité, le « grain » très présente, est chère à Didier Rebois qui parle, lui, de de la ville à travers de nombreuses hypothèses pour bien projet négocié. Cela peut paraître banal. Ce n’était pourtant saisir la « matière » du projet avant de s’arrêter sur une pas le cas au début des années 2000 où les projets urbains forme. Ce moment d’exploration – parfois long – est la restaient très dessinés, figés. Europan, en distinguant des genèse de nos réponses. Il contribue à la mise en récit et à démarches plutôt que des plans, a contribué à faire avancer la richesse du projet. Ensuite, on pense à la représentation. les modes de fabrique de la ville. Cet acquis est parfaitement Claire Schorter intégré par les jeunes générations pour qui il est naturel de ! Centre scientifique et technique du bâtiment.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

23


Acclimater les projets À partir de l’expérience d’un projet primé à Hénin Carvin (Europan 8) et de la participation comme expert à plusieurs sessions, réflexion sur les suites du concours. Europan est un concours dont l’objectif est de promouvoir des idées innovantes, puis de poursuivre les dynamiques initiées par des projets expérimentaux et d’installer les conditions de valorisation de ces idées. Les modalités des suites sont adaptées à chaque situation, selon les projets, les sites, les villes, les équipes et les partenaires engagés. À Hénin-Carvin, dans le cadre d’Europan 8, il s’agissait de penser les franges d’un ancien site minier. Un parc urbain fraîchement construit venait d’y remplacer l’ancienne cokerie. Autour des masses noires de deux importants terrils gravitaient une multitude de fragments urbains : des cités-jardins minières, un village, une zone d’activités, un lotissement et quelques rues vaguement urbanisées. Nous avions donc pour tâche de donner à ce parc un rôle de centralité urbaine, de rétablir une cohérence dans les franges

Par Fabien Gantois, architecte-urbaniste (France)

et de préparer l’arrivée de plusieurs centaines de logements en raison de la pression immobilière en couronne lilloise. Hénin-Carvin est sans doute le premier site Europan français à associer deux équipes sous un même contrat pour la réalisation d’une étude urbaine. Le projet du concours proposé par Des Abris et des Hommes était très différent du mien : il développait une réflexion sur la densité et la préservation du foncier alors que je proposais une réinterprétation du modèle de la cité minière. Les 165 hectares du site et la variété des situations urbaines rencontrées nous ont toutefois permis de réaliser un assemblage cohérent et pertinent. Mais la crise de 2008-2009 a sapé l’hypothèse d’un projet fondé sur la croissance urbaine. L’étude finalisée au terme de quatre années de travail est jusqu’alors restée sans suite. Mais les projets Europan sont parfois relancés plus tard… Dans un premier temps, les équipes reçoivent souvent la commande de petites missions de type « starter », qui

©DR

Ussel en Corrèze (Europan 13)

24

HORS -SÉ RI E n o  6 0


Une démarche d’innovation EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES

LA NATURE DES SITES Dans les quatre dernières sessions d’Europan (10, 11, 12 et 13), on remarque une continuité dans la nature des sites proposés par les villes. Une volonté de soumettre au concours des fragments de territoire en questionnement : friches industrielles, réseaux mutables, bâtiment libre ou en instance de l’être, parcelles urbanisables. Europan 13 a cependant vu l’arrivée d’un site particulier qui devrait ouvrir une nouvelle voie en termes de commande : trois petites communes de Corrèze distantes de plusieurs dizaines de kilomètres, accompagnées par la Direction départementale des territoires (DDT). Individuellement, elles n’auraient probablement pas rejoint le concours. Mais, mises en réseaux par la DDT, partageant des problématiques communes et une envie profonde de voir ce que pouvaient leur apporter de jeunes concepteurs, elles ont su se regrouper et bénéficier de projets leur permettant de poser de nouveaux regards sur leurs territoires. Europan s’ouvre donc à d’autres espaces, plus ruraux, moins riches mais tout aussi porteurs de questionnements urbains.

LES ATTENTES DES VILLES

publics, privés ou associatifs, sont réunis autour d’une table et que les projets primés les interpellent, se dessinent alors les prémices d’un intérêt qui va porter l’étude. Dans ce contexte, Europan joue un rôle de médiateur et d’accordeur. Avec près de dix sites portés tous les deux ans, le concours (qui en est à sa 14 e session) a engrangé un savoir et une expertise qui en font une « boîte à matière grise » unique en Europe. Il bénéficie d’une vision transversale des territoires et peut en faire bénéficier chaque ville. Réunir l’ensemble des acteurs dans une étude est la clé si l’on veut se donner toutes les chances de réussir. D’ailleurs, si l’on travaille sur un site sans que les propriétaires soient informés des intentions, il y a peu de chance de pouvoir intégrer leurs doléances dans le cahier des charges et qu’ils s’intéressent aux résultats. Rien n’est alors entrepris après le concours. Avec la Ville et l’établissement public foncier d’Ile-de-France, c’est ce que nous avons voulu éviter à Pantin (site de la 14 e session). L’ensemble des propriétaires du site ont été informés du concours. SNCF Réseau et Renault sont présents en tant que partenaires dès le début, ce qui pose les conditions d’un dialogue enrichissant et constructif.

UN CADRE INHABITUEL Pour la maîtrise d’ouvrage, Europan constitue un cadre inhabituel composé d’acteurs différents : des jeunes équipes qui sont un peu des trublions et permettent une gestion plus souple des réunions, source de convivialité. Les relations avec elles ne sont pas de type « prestataire », ce qui peut déverrouiller des situations alors que des équipes de maîtres d’œuvre plus classiques ne seraient pas en situation de le faire. Lorsque les villes se tournent vers Europan, elles manifestent une demande d’innovation et d’expérimentation, conscientes que les méthodes classiques usées ne peuvent pleinement répondre aux problématiques urbaines qu’elles rencontrent. Pourtant, les thématiques de recherche portées par Europan – hier la ville adaptable, aujourd’hui la ville productive – n’appellent pas qu’à des innovations formelles de la part des architectes-urbanistes. Elles impliquent une mutation des modes de production de l’urbain ; cette mutation appelant à son tour les villes à repenser le cadre de leur fonctionnement car elles ne reçoivent pas des projets clé en main : l’innovation nécessite de repenser la « chaîne de fabrication ». Fabien Gantois

Ussel ©DR

permettent d’acclimater les projets à la réalité des sites et des jeux d’acteurs, comme à Saint-Herblain (Europan 12) ou à Montreuil (Europan 13). Ces études offrent aux villes le temps d’apprécier les qualités des projets dont les codes et les stratégies leur sont parfois étrangers, mais aussi d’apprécier le professionnalisme des jeunes équipes. Durant cette période, les équipes précisent et actualisent leur réponse en même temps que les Villes affinent leurs attentes. Les équipes peuvent travailler ensemble dans le cadre d’ateliers thématiques, mais leur avancement reste nourri des projets rendus lors du concours. À Saint-Herblain, dont le site présentait des caractéristiques très homogènes, cette phase de maturation et de dialogue a ouvert la voie à la rédaction d’un cahier des charges étoffé, socle d’une étude plus longue en cours et attribuée à l’une des équipes sur la base d’une nouvelle consultation. A contrario, à Montreuil, la ville a décidé de poursuivre la réflexion avec deux des trois équipes pour explorer des situations de projets très variées : accompagner les mutations d’un îlot et y préparer l’arrivée d’un hôpital, construire des logements avec un organisme foncier solidaire. Mais les suites peuvent prendre d’autres formes, comme à Goussainville (Europan 13) où les équipes ont souhaité se regrouper pour mener une étude commune. Là encore, le site aux problématiques élargies a permis ce type de montage.

Europan peut apporter une expertise mais n’a pas pour rôle de se substituer aux compétences des villes. Dans le cas de communes peu outillées, le concours peut s’appuyer sur d’autres acteurs. En Corrèze par exemple, la DDT a été un véritable relais et partenaire. Mais il faut se garder de tracer une ligne séparatrice entre des villes en carence de compétences et des villes outillées. Ce ne sont pas seulement les premières qui ont besoin d’un appui. Les sites proposés au concours sont souvent complexes et ont parfois été l’objet d’études urbaines restées sans suite. L’enjeu n’est donc pas seulement de s’appuyer sur des compétences mais aussi d’installer une dynamique de projet. Si l’ensemble des acteurs d’un site,

HORS -SÉ RI E n o  6 0

25


Du concept à la réalisation La difficile articulation entre le désir d’innovation et le cadre institutionnel. Les villes qui s’engagent dans la démarche Europan y voient un Schlumberger-Guedj, véritable levier pour faire face à la complexité des problématiques architecte-programmiste urbaines qu’elles rencontrent ainsi qu’une occasion inédite de rassembler les différents partenaires autour d’une réflexion commune, d’une démarche singulière qui leur permettent de sortir des schémas classiques de conduite de projets… Bref, une bouffée d’air frais dans leur quotidien ! Très sensibles à la dimension européenne, les élus participent volontiers aux différentes manifestations organisées par Europan Europe. Les rencontres entre élus, techniciens et partenaires des différents sites français et des pays européens participants offrent également de belles opportunités d’échanges d’idées. L’appartenance à un réseau est très appréciée, et la forte mobilisation des élus tout au long du processus du concours constitue un gage important pour le succès des suites opérationnelles. On peut regretter qu’en France, à la différence d’autres pays européens, il n’y ait pas assez d’architectes-urbanistes du côté de la maîtrise d’ouvrage (élus, techniciens, bailleurs sociaux, promoteurs…). Quand elle existe, la parole des architectes-urbanistes est largement écoutée, qu’elle porte sur les formes urbaines, la qualité des espaces publics…

Par Laurence

UN CHEMIN LONG ET COMPLEXE Les collectivités découvrent souvent Europan par « le bouche-à-oreille ». À Guebwiller, par exemple, la personne chargée des grands projets urbains ayant eu l’expérience des suites du concours Europan 4 dans le cadre de ses anciennes fonctions à Mulhouse a proposé la démarche à ses élus pour la session 14. Certaines villes ou agglomérations entretiennent avec Europan un contact suivi au fil des sessions et sont ainsi garantes d’une continuité de pensée et d’action. Avant Europan, il y avait le PAN (Programme Architecture Nouvelle) centré sur la dimension architecturale du logement, avec à la clé des financements d’État pour la réalisation de logements sociaux. Les collectivités et les bailleurs étaient donc intéressés par cet aspect financier qui venait en contrepartie de la proposition de sites d’intervention. Les rendus, à l’échelle architecturale, permettaient de passer rapidement à la phase opérationnelle. Avec Europan, les échelles sont plus vastes : la dimension européenne donne un écho unique à la consultation, les thèmes de réflexion ainsi que la dimension des sites aboutissent à des propositions à l’échelle urbaine voire territoriale privilégiant le concept, le processus, au détriment parfois

26

HORS -SÉ RI E n o  6 0

de la formalisation du projet lui-même. Aussi, le passage du concours d’idées à la réalisation est souvent long et complexe. Les potentialités de suites pour Europan commencent dès le choix des sites. En effet, dès la première visite, nous pouvons estimer les possibilités de la ville à s’engager au-delà du concours d’idées vers des réalisations avec les lauréats et mentionnés. Plusieurs critères sont déterminants : la mobilisation des élus (commune, communauté de communes ou métropole), la participation des partenaires opérationnels (établissement public foncier, bailleurs, entreprises…), la propriété du foncier totale ou partielle et enfin l’implication d’une équipe technique sensibilisée à la démarche. Pour les suites, le travail du jury est essentiel. Au cours des deux sessions (la première où on élimine, la seconde où on choisit), les représentants des villes sont très mobilisés et très entendus par les membres du jury. Cependant, le choix du jury ne recoupe pas forcément celui des villes, notamment dans la distinction entre lauréats, mentionnés et cités. Les trois équipes sélectionnées sont remises en compétition sous forme d’une consultation à partir d’un cahier des charges précisé par la collectivité et ayant pour objectif d’aboutir à un plan guide sur le site du concours. Europan accompagne activement les villes tout au long de cette démarche, et une participation financière peut être octroyée pour les études. Europan est un dispositif particulier, hors marchés publics. La question qui se pose est donc : comment réintégrer le cadre institutionnel en gardant l’innovation ? Les villes ont souvent des difficultés à passer du concept à la réalisation sans perdre l’essentiel de l’esprit du projet. Europan est un catalyseur d’idées, d’orientations, de décisions… La participation des collectivités aux rencontres contribue à leur sensibilisation, à leur acculturation, donne une nouvelle vitalité à leurs projets urbains. Structure en marge des administrations, le concours offre une grande liberté à tous les acteurs impliqués. D’où l’importance de la valorisation des projets. Chaque session représente une somme considérable de travail, de réflexion, d’idées et de concepts. Quel gâchis, quelle perte si on ne les valorise pas. Il faut parvenir à montrer que, partout, des choses se font, qui peuvent même intéresser le grand public. Nous poussons les villes à faire des expositions, avec les CAUE, les maisons de l’architecture, les écoles d’architecture, à créer des événements auxquels les gens participent. D’où l’importance de la forme des « rendus ». Au lieu d’un cahier A3 avec trop de textes, trois panneaux commentés permettent de présenter des idées et des concepts, des orientations de projet. Ce que les villes retiennent, ce sont justement les réponses non formatées, la liberté que s’accordent les concepteurs dans leurs réponses et les pistes d’ouverture qu’elles offrent. Laurence Schlumberger-Guedj


©Rajek Barosch Landschaftsarchitektur ©DR

Réalisation de studio-uek à Vienne suite à Europan 8

Concevoir l’espace et construire Aglaée Degros, directrice de l’Institut d’urbanisme de l’Université de technologie de Graz en Autriche, est membre du comité scientifique d’Europan Europe. Vous enseignez l’urbanisme dans une faculté d’architecture de l’environnement bâti de Delft donnent une ENTRETIEN en Autriche. En France, les écoles d’architecture sont séparées forme d’autonomie à l’urbanisme. Et finalement, des universités et l’urbanisme au sens du « planning » est la question « est-on dans l’aménagement du généralement enseigné dans des instituts universitaires. territoire ou dans l’architecture ? » ne s’y pose plus. Ce Quelle vision avez-vous de l’enseignement de ces disciplines n’est pas un hasard si cela se passe aux Pays-Bas où il y a en Europe ? une grande tradition d’organisation du territoire avec, par Aglaée DEGROS : Je suis à la tête de l’Institut d’urbanisme de exemple, la réalisation des polders. On travaille dans ce pays la faculté d’architecture de Graz, ce qui est assez nouveau sur un tel mouchoir de poche que le territoire entier est un pour moi. Quand j’ai enseigné à Delft ou en Belgique ou projet urbain et que l’urbanisme ne peut se concevoir qu’à même à Vienne, mon institut délivrait un diplôme d’urbaniste une échelle territoriale. alors qu’à Graz nous délivrons à la fin des études un diplôme Je suis très influencée par cette notion de design territorial d’architecte. La définition de l’urbanisme est une interrogation parce qu’elle est en accord avec l’époque actuelle, où récurrente pour moi. D’un côté, il y a ce qu’on appelle en l’urbanisme s’intéresse à des éléments sociaux, économiques, allemand le Raumplanung et, de l’autre, le Städtebau : le mais aussi écologiques comme dans le concours Europan. Raumplanung, c’est l’aménagement du territoire, avec des Et, comme ces facteurs écologiques dépassent les limites de règlements, alors que le Städtebau est la ville, il faut élaborer une logique du plutôt vu, particulièrement en Autriche, territoire prenant en compte ses ressources comme la manière d’organiser un ensemble énergétiques ou autres. Le projet doit se de bâtiments. concevoir à l’échelle des grands éléments L’urbanisme a trop Deux écoles me paraissent intéressantes qui structurent le territoire, que ce soit longtemps été défini à ce sujet : l’université technologique un cours d’eau, une infrastructure de par le bâti (TU) de Delft, l’École polytechnique mobilité, etc. C’est essentiel. fédérale (ETH) de Zurich et l’Université L’urbanisme – je ne parle pas du Raum-­ technologique (TU) de Munich1 où la planung – a trop longtemps été défini par discipline urbanistique a une grande maturité. Cette disci- le bâti et consigné dans les limites de la ville. Il est maintenant pline n’a pas peur de collaborer avec d’autres, no­t amment intéressant de l’envisager par rapport à des éléments du avec les paysagistes, et elle a finalement inventé une sorte territoire ; de moins focaliser sur le bâti et de se souvenir que de « design territorial ». Car comment, à une échelle qui l’on crée de l’espace. Les jeunes étudiants perçoivent très dépasse peut-être l’architecte, façonner l’espace ? Pas bien cette forme de mise en relation socio-économique et seulement le réglementer mais obtenir une réelle qualité écologique. Peut-être davantage que ceux des générations de projet ? Les départements de la faculté d’architecture et précédentes car ils y sont très sensibilisés : les changements

HORS -SÉ RI E n o  6 0

27


EXPÉRIENCES ET TÉMOIGNAGES Une démarche d’innovation

climatiques, la crise économique les y ont éveillés. Mais ils oublient un peu qu’il y a un espace à façonner, que c’est notre métier, et qu’il ne s’agit pas nécessairement de bâti, on peut aussi travailler l’espace entre les éléments construits. C’est bien là notre responsabilité professionnelle et nous devons posséder les outils techniques pour le faire. Quelle analyse faites-vous des projets présentés dans le cadre d’Europan en France ? A. D. : Lors du jury Europan France, j’ai été très frappée par les différences de compétences entre les équipes en termes de technicité et de capacité à construire l’espace. D’ailleurs, les projets en France et en Autriche ne sont pas conçus de la même façon. En Autriche, ils sont d’ordre spatial alors qu’en France ils sont issus de stratégies certes très intéressantes, fondées sur des principes écologiques et économiques, mais on constate parfois une absence de formalisation spatiale. Cela m’a beaucoup interrogée car nous sommes formés à l’architecture pour concevoir l’espace. Si nous ne le faisons plus, qui va le faire ? J’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs candidats et il me semble que certains jeunes architectes ne croient plus en la possibilité de mettre l’espace en œuvre dans la situation économique actuelle. Et d’autres pensent que la réalisation relève d’autres acteurs comme les promoteurs, les forces du marché, etc. On note donc une forme de séparation entre des architectes qui seraient plus stratégiques et d’autres plus intéressés par la mise en forme spatiale. Je me demande si cela ne tient pas, effectivement, à la place donnée à l’architecture dans l’enseignement et dans la société. Sur les projets de la session Europan 13, nous avons eu beaucoup de discussions à ce propos et, finalement, les projets lauréats ont été ceux qui alliaient les deux. « Landscape Focus » à Saint-Brieuc par exemple est un beau projet car, justement, il présente un aspect de stratégie paysagère et il parvient aussi à faire de l’espace : mettre en forme une station d’épuration des eaux, la rendre aussi « agréable » que possible, en faire un élément du paysage, avec des transformations qui sont bien physiques. À Metz aussi, le beau projet « Résonance économe » créait un cadre avec de grandes lignes du paysage dans lesquelles venait s’insérer la structure bâtie qui, elle-même, prenait en compte toutes les réflexions sur l’écologie, la transition énergétique, etc.

AGLAÉE DEGROS (née à Louvain, Belgique) est à la tête de l’Institut d’urbanisme de l’Université de technologie de Graz. Elle a auparavant exercé en tant que professeur et conférencière invitée dans plusieurs institutions d’architecture européennes, dont le TU Delft, l’Académie d’architecture d’Arnhem et celle de Rotterdam. Elle a également enseigné en tant que professeur invité à la chaire « Culture urbaine et espace public » de l’Université de technologie de Vienne (2010), à l’Académie de Vienne (2013) et à la Vrije Université à Bruxelles (2015). Avec Stefan Bendiks, elle a co-fondé Artgineering (2001), une agence d’urbanisme et infrastructure basée à Bruxelles. Leur travail a été récompensé par plusieurs Prix tels que le Prix Karl Hofer de l’Université des arts de Berlin et Europan 6. Elle est membre du comité scientifique Europan Europe.

Il s’agissait bien d’une stratégie, mais qui débouchait sur une création spatiale. Je pense que l’on doit trouver un équilibre entre les deux. Car il y a ce risque, chez une jeune génération d’architectes qui a grandi dans un monde bien moins stable que le précédent, d’élaborer des stratégies plutôt que de construire. Pourtant, en Europe, on construit encore, notamment en Allemagne ou en Autriche. Il ne faut pas oublier le fondement de notre discipline tout en l’enrichissant de cette discussion sur les stratégies à mettre en place. Nous ne sommes pas dans le « ou » mais dans le « et ». Dans son ensemble, le monde est plus incertain, et penser des stratégies en matière de transition est un prérequis. Mais l’Europe est grande et le secteur immobilier se porte bien dans certains pays, il serait dommage que la commande y échappe aux architectes innovants ! Les projets français peuvent-ils intéresser les autres pays ? A. D. : J’ai invité Europan France à exposer des projets en Autriche. Parce que j’aime bien que mes étudiants qui, eux, ne sont pas extrêmement stratégiques prennent conscience des incertitudes de leurs collègues français et découvrent des stratégies de transition. La conscience écologique est bien sûr présente en Autriche mais il est intéressant de leur montrer des stratégies françaises telles que reconnecter un peu plus le citoyen avec la nature, avec les processus de conception de la ville, etc. Ce sont des aspects qu’ils peuvent ajouter à leur savoir-faire. Mes étudiants y sont très réceptifs, ils comprennent la nécessité de cette réflexion stratégique et de penser l’écologie et le socio-économique parallèlement au bâti. Je les mets toutefois en garde afin qu’ils ne négligent pas leur savoir-faire pour autant. La célèbre « École de Graz » a une très grande tradition de compétence architecturale. Il ne faut surtout pas que les étudiants la perdent mais ils peuvent aussi essayer de penser une stratégie, de nourrir le projet d’une réflexion qui le met dans une perspective plus large. Comment permettre que le concours Europan débouche sur des suites pour les équipes ? A. D. : En Autriche, nous réalisons assez souvent. En même temps, lorsque le jury d’Europan France s’est réuni, j’ai été positivement impressionnée par la présence des maires et l’expression de leurs attentes. Il ne me semble pas qu’il y ait beaucoup de pays où les maires sont réellement en attente de réponses et pensent que les projets des candidats vont vraiment leur apporter quelque chose. J’ai trouvé remarquable la manière dont ces maires venaient parler et poser des questions. En Autriche, beaucoup de réalisations se font à Vienne, là où les pouvoirs publics sont forts et maîtrisent le foncier. Les acteurs publics ont à la fois l’expérience et les instruments nécessaires pour mettre en œuvre. Il faut toujours replacer la commande faite aux jeunes architectes d’Europan dans le contexte global de la construction dans un pays. Et ce n’est pas parce que l’on n’obtient pas nécessairement des réalisations qu’il est moins important de répondre à la question posée. Toutefois, il est indispensable de rappeler au maître d’ouvrage que nous sommes aussi là pour construire ; et de ne jamais abandonner mais continuer à faire des propositions, avec des stratégies suffisamment intelligentes pour qu’elles offrent des alternatives. Propos recueillis par Antoine Loubière ! Avec notamment le professeur Wolfrum.

28

HORS -SÉ RI E n o  6 0


ABSTRACT

Europan, a competition that constantly adapts In this section, Didier Rebois, General Secretary of Europan Europe and experts who participated in different sessions of Europan, talks about how the competition has changed. ccording to Didier Rebois, since its inception, Europan has been based on an active paradox: during each session, the competition rewards innovative ideas from young architecture and urban design professionals by giving a hundred or so prizes (awards, commendations) and conferring a label that is sought by many teams. But these ideas are also projects which are implemented in the contexts of fifty or so European sites each time; the aim is to enable the cities concerned to launch operational processes after the competition with as many prize-winners as possible. But there are two types of city that take part in Europan. On the one hand, there are those of a certain size which are relatively politically stable and have adequate means and tools to implement the ideas that come out of the competition. On the other hand, there are those which, because of their political instability or indecisiveness, pull out once the jury’s decision is known. The challenge is to manage these differences. Because the future success of Europan, its ability to regenerate itself, will depend on the wide range of situations in European cities around stimulating themes, with the aim of initiating implementation processes, regardless of scale.

a Europan-winning project. He says that the project teams taking part in Europan 13 must develop a reflective approach during the implementation process so that they can constantly readjust the strategies and methods underpinning their proposals.

Socrates Stratis, an architect and town planner (Cyprus), who won Europan 4 for his redevelopment project for the waterfront in the old town of Heraklion in Crete (Greece), offers a contribution about the different ways of implementing

Laurence Schlumberger-Guedj, an architect and programmer, thinks about the difficult relationship between the desire that teams have to innovate and the institutional framework within which projects are implemented. Cities which

A

Claire Schorter, an architect and town planner (France), recalls her experience as a Europan expert, which she puts into perspective with her career choices and directions. Her studies and research into generative programming have contributed to her understanding of the programming issues faced by the Europan sites proposed for the competition. This is also an essential stage which is not always completed successfully before the urban project seeks responses. Fabien Gantois, an architect and town planner (France), looks at the outcomes of the competition based on his experience with a project (in Hénin-Carvin) which won a prize in Europan session 8 and his work as a Europan expert for a number of sessions (10, 11, 12 and 13). In his opinion, bringing all actors together for a study which follows the competition is essential for success. He believes that innovation involves rethinking the city production chain.

embark upon the EUROPAN process see it as a tool which enables them to deal with the complexity of the urban problems that they face. As an entity which is external to authorities, Europan gives a great deal of freedom to all actors involved, hence the importance of subsequently capitalising on projects in different forms (discussions, exhibitions, etc.). Aglaée Degros, the Director of the Institute of Town Planning at Graz University of Technology in Austria, is a member of the scientific committee of Europan Europe. She analyses the differences in the way town planning is taught between several European countries (Austria, Switzerland, Netherlands, etc.). She then compares the ways in which the outcomes of Europan are organised in Austria and other European countries. She underlines that in Austria, “we implement quite often”. At the same time, when she was a member of the jury of Europan France, the presence of mayors and the expression of their expectations made a positive impression on her. Aglaée Degros believes there are not many countries where mayors really expect responses and believe that the candidates’ projects will really yield anything for them. In Austria, a lot of implementation happens in Vienna, where public actors have both the experience and the tools that are necessary. So the order that is given to young Europan architects must always be considered within the overall context of construction in a country. not necessarily lead to build.


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

ENQUÊTE A VENIR ET DÉMONSTRATIONS

DISPOSITIFS ET PROCESSUS DE PROJET

30

HORS -SÉ RI E n o  6 0


« The times they are a-changin’ »1 Le concours Europan permet de faire projet, de travailler différemment entre jeunes professionnels et collectivités, d’associer de nouveaux partenaires publics et privés. Depuis plusieurs sessions, son objet principal n’est plus de construire des logements, ni même d’aménager de nouveaux quartiers clés en main. La méthode déployée par Europan se révèle très appréciée des villes et des Par Isabelle Moulin, collectivités parce que, justement, secrétaire générale elle permet de prendre la hauteur d’Europan France nécessaire aux questionnements de transformation urbaine, aux difficultés aussi. Si faire projet en métropole est compliqué alors que l’ingénierie territoriale existe, c’est quasiment insoluble à l’échelle de collectivités de moindre taille, villes moyennes (comme on les appelle couramment, les dépréciant ainsi) ou petites villes, ou encore périphéries que l’on pourrait souvent encore qualifier de « zones ». Europan fait le pari de demander en premier lieu aux jeunes générations : qu’est ce qui est important ? Que peut-on faire ? Comment peut-on faire ?

UNE MÉTHODE DANS UN ESPACE-TEMPS HORS DU COMMUN Le thème donne le point de départ de la session, souvent révélé par les résultats de la session précédente. La première phase commence par la pré­ pa­r ation des sites au plus près des élus et des techniciens, avec des partenaires qu’il faut démarcher et inviter autour de la table. Cela dure un an, parfois plus. La deuxième phase, le concours, est une période de repérage, découverte, arpentage, ajustements. Ensuite, la sélection des projets par le jury et le collège des villes se fait de façon collective et transversale, objet de controverses, de négociations, de risques, période qui dure plusieurs mois, entrecoupée d’une rencontre européenne. Le travail se poursuit alors avec les trois équipes sélectionnées par site en France, de nouveaux acteurs et des paramètres contextuels à adapter souvent. Le rôle des équipes de concepteurs peut être crucial dans l'organisation du travail collectif. À Goussainville (E13), les trois équipes sélectionnées se sont réunies en association dédiée à la mission d’étude urbaine    pour laquelle elles étaient consultées (juin 2017). ©Nadia Rabhi

Les enjeux exprimés par les sites proposés au concours Europan deviennent de plus en plus associés à un monde mouvant, qui appelle un renouvellement de la pensée urbaine et des modes de faire. Repenser la ville face à la mer à Saint-Brieuc, mesurer l’impact du fleuve dans le paysage urbain de Vernon, revenir sur des préceptes modèles du xx e siècle à Saint-Herblain, imaginer le partage d’activités humaines et productives au cœur d’une usine à Bègles, investir le Marché d’intérêt national à Angers, le concours est devenu l’espace des idées, des démarches, des visions de transformations à venir, assez loin, de fait, de la maîtrise d’œuvre opérationnelle. Se faisant, les enjeux du concours qui ont été posés dès sa création sont toujours d’actualité : remettre en question les modèles en créant des plateformes de débats entre des collectivités et leurs partenaires, des acteurs de la recherche architecturale et urbaine et de jeunes professionnels, expérimenter en leur donnant accès à la commande. Ce qui nous amène à interroger la définition de l’innovation dans la démarche du concours. Et si l’innovation résidait dans la façon de faire émerger, circuler des idées et de les faire éclore là où on ne les attend pas forcément ? De décloisonner les lieux mais encore les professions et les rôles, comme le propose Studio Dièse à Bondy 2 ? À Fosses-Roissy Pays de France, un périmètre très précis de projet à partir du programme d’un centre d’interprétation archéologique a été reconsidéré. Après un an d’études et de travail entre l’équipe Ter.a.u et les collectivités ainsi que différents acteurs dont les habitants, le champ d’investigation s’est étendu le long de la rivière sur plusieurs communes du parc naturel pour la révéler et la restaurer. Urbain, naturel ou fabriqué, comme un milieu préalable en capacité de rassembler et de réparer l’espace public et toute forme bâtie constitutive, le paysage a pris une importance capitale. Europan devient un vecteur d’une pensée de la ville comme une architecture d’articulations et d’outils pour changer les modes de faire et de production, à toutes les échelles.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

31


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

Europan joue un rôle d’assistance et de conseil auprès des collectivités et des équipes sélectionnées, en continu, du montage des sites au lancement du concours, puis au passage à l’expérimentation in situ, qui est donc prise en main par les collectivités et leurs partenaires. La plus-value de l’organisation du concours réside en cette assiduité d’Europan, avec l’octroi potentiel de subventions dédiées aux études venant du Plan urbanisme construction architecture (PUCA). De cet organisme, qui fut à l’origine (Plan construction architecture à l’époque) de la création du concept de « réalisations expérimentales associées au concours », nous retiendrons également les liens avec d’autres programmes comme POPSU (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines), et notamment POPSU Europe. Bien sûr, il faut activer davantage ces liens à l’heure des difficultés de la construction européenne. Les collectivités qui proposent des sites se retrouvent dans un réseau de villes actif et, nonobstant les difficultés linguistiques, les expériences sont partagées, débattues, valorisées, et ce n’est pas neutre. Ce n’est pas anodin non plus pour les jeunes professionnels. Être sélectionné au concours, c’est avoir accès à la commande­, co-construire cette commande. C’est être soutenu par le prestige d'une manifestation emblématique. C’est faire partie d’une association active comprenant des professionnels, des élus, des partenaires potentiels, à l’échelle européenne. Europan comme label permet une reconnaissance, de développer des concepts, de réaliser des expériences qui enrichissent les parcours professionnels. Le temps est long, ce qui n'est pas simple professionnellement. Mais ce temps est nécessaire pour rendre la démarche exemplaire, comme en témoignent élus et équipes interrogés. Une question revient souvent quant à la particularité d’Europan au regard des nombreux appels à projets qui remplacent petit à petit l’appel d’offres public. Europan est un appel à projets,

un projet à développer par des équipes de jeunes concepteurs anonymes au départ, qui auraient pour la plupart grand mal à être incorporés à des groupes menés par des investisseurs. Un projet mûri au préalable quant à ses interrogations. La réalisation opérationnelle n’est pas le point de départ, mais le quoi faire et comment faire, qui n’est pas défini au préalable. Ensuite, les conditions de la réalisation doivent se discuter. Parce qu’Europan soutient les candidats sélectionnés, ils sont en position de force conceptuelle. Ils sont à égalité face à la construction d’un processus original dont ils ont tous à gagner. Tout cela demande à être développé et amélioré de session en session.

« ALLES IST ARCHITEKTUR » 3 Reste qu’il faut également réinventer les moyens de production de réalisations tant attendues des architectes, urbanistes, paysagistes et toutes disciplines associées, mais aussi de tous les acteurs des collectivités qui sont en recherche de solutions ; restaurer le concept de réalisations expérimentales, d’innovation à tous les stades du projet. Car l’objectif est de faire projet, de façon structurelle et concrète. Aujourd’hui, des réalisations d’espaces publics voient le jour. Le grand absent du concours est l’habitat et son expérimentation, en particulier l’hybridation des programmes. Nous voulons lui redonner une place. Il faut pour cela trouver les bons acteurs institutionnels, publics et privés, les meilleurs, bien sûr ! Les investisseurs et maîtres d’ouvrage doivent rejoindre le process, ils sont les bienvenus. Le temps est long mais fructueux socialement. Isabelle Moulin ! Bob Dylan, 1964. @ Studio Dièse, « Bondy’s Count », lauréat, Europan 13. # Hans Hollein « Tout est architecture », titre d'un texte publié dans les numéros 1 et 2 de la revue autrichienne BAU (construction), en 1968.

©DR

Papeterie sur le site d’Europan 14 à Bègles

32

HORS -SÉ RI E n o  6 0


©Oyapock Architectes

Vue des traversées - Oyapock Architectes (Montreuil - Europan 13)

Pourquoi participer à une session Europan ? Pour de jeunes diplômés ou de jeunes agences en quête de commandes publiques et de notoriété, le concours Europan s’apparente à un rituel initiatique. Quelles sont les motivations des candidats ? Sont-ils porteurs de démarches, de convictions ? Quels sont leurs apports au renouvellement des pratiques professionnelles ? À sa création, le concours Europan fut une chance pour donner libre cours à l’imagination des nouvelles générations. Les autoriser à livrer leurs visions de ville et d’architecture sans trop s’embarrasser de réalités (topographiques, techniques, sociales, juridiques, budgétaires). Si, pour les lauréats, une commande éventuelle ne se concrétisait qu’à partir de fortes accommodations et l’interprétation (ou la réinterprétation) de leurs propositions assurant le passage d’un rêve à un réalisme acceptable par des maîtres d’ouvrage, le dogme d’une très grande liberté faisait l’image du concours. Depuis plusieurs années, un tournant vers un pragmatisme opérationnel s’est effectué, dû en partie à l’émergence dans le champ de l’aménagement de nouvelles préoccupations qui ont provoqué de nouveaux positionnements. Considérer la question environnementale comme élément de projet ; répondre aux attentes de la participation habitante ; traduire spatialement l’attention aux usages et aux pratiques, etc. Il en a résulté des modes de conception et de réflexion dépassant le temps de réalisation du projet, insistant sur des processus évolutifs construits à partir d’analyses historiques, géographiques, sociales voire politiques, d’occupations temporaires de lieux promis à terme à de nouveaux aménagements pérennes, et l’exploration d’un regard caractérisé. Comme si le ferment de l’inventivité naissait en commençant par ouvrir grands les yeux sur le réel.

Pourquoi s’inscrire à une session Europan ? Enquête de Parce que cela donne un cadre à un sujet de recherche ; il s’agit d’une tactique pour accéder Sylvie Groueff à la commande publique ; d’une tentative pour « faire savoir » son inventivité et son audace de concepteur ; d’une opportunité pour s’évader du quotidien d’un travail salarié et faire le point sur son désir de se lancer en son nom propre ; pour s’essayer à concrétiser des connivences professionnelles par un premier projet (et plus si affinités), ou encore, pour des architectes ayant déjà fondé leur atelier, pour trouver un appel d’air. Seul ou en groupe, les raisons pour se lancer dans l’aventure Europan sont diverses. Avec le choix du site, les candidats révèlent déjà leur stratégie et, partant, leur ambition.

CHOISIR SON SITE Une familiarité déjà établie avec une ville, son potentiel, son esthétisme, le sujet posé, un goût pour la complexité : les décisions sont guidées par une évaluation forcément subjective. Les visites in situ, les échanges avec des représentants locaux, le sentiment de l’implication (ou pas) des élus, le constat de dynamiques en cours, comme l’intuition d’une commande à venir à l’issue du concours, sont régulièrement évoqués. Aux coups de cœur s’ajoutent des analyses plus détachées.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

33


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

Florilège de mobiles : « Le sujet était bien cerné, concret, partie sur l’adaptabilité temporelle. Dans les réponses se lisent 5 ha en secteur historique avec un vrai projet contemporain » ; le type des premiers regards portés, la volonté d’anticiper le « on a choisi Saclay parce que c’est complexe. Notre méthode devenir, utilisant le déjà-là pour le dépasser et le revivifier. Il associe espaces et acteurs, il y avait le terreau pour ça » ; « on est frappant de constater la multiplicité des portes d’entrée cherchait un site pour expérimenter la question des montages. activées par les candidats ; leur capacité et agilité à imaginer Montreuil, avec l’arrivée de transports en commun, le besoin des dispositifs mêlant le tangible (spécificités du site) et de logements, nous semblait intéressant. On a hésité entre l’intangible (jeux d’acteurs, outils juridiques) pour faire elle et Saint-Brieuc » ; « parce que c’était Marseille, un plateau aboutir leurs propositions. avec des vues magnifiques, des possibilités. On avait quand À Marseille (E 12), quartier Saint-Antoine Plan d’Aou, sur même regardé Saint-Herblain » ; « on apprécie les territoires un périmètre de 4 ha, l’agence Concorde retrouve une distendus, ceux des villes moyennes, d’où Aurillac » ; « nous lisibilité urbaine « en redonnant du sens au parcellaire ». Le notons les sites avec des plus et des moins selon des paramètres Plan d’Aou est le fruit de trois décennies de constructions, qui nous intéressent. Nous utilisons Europan pour asseoir démolitions et reconstructions ; il se compose de logements notre méthode de travail, nos idées, nos postures pour les sociaux, d’équipements publics, d’activités de zone franche, projets que nous menons avec des opérateurs privés » ; « nous de pavillonnaires fonctionnant en vase clos et d’un bunker, n’avions aucune affinité avec Roubaix. Il faisait beau, nous legs de la dernière guerre, le tout implanté sur un plateau avons aimé les petites maisons en brique, la nature qui prend ouvrant sur la mer et sur le massif de l’Étoile. « Nous avons le dessus, les courées, la richesse du tissu urbain. Cela a été intégré la dimension foncière dans le projet en définissant un un coup de cœur. Nous n’avons pas fait quadrillage 5 x 5 m. Cette grille tenait d’autres visites » ; « nous avions rencontré compte de ce qui préexistait, mail, parc, les élus, les techniciens pendant la bâti. Sur la partie sud, cela a débouché Nous utilisons Europan visite de site. On a senti qu’il y avait une sur un carré. Nous y prévoyions un tissu pour asseoir notre envie. Nous avons essayé de cibler une résidentiel, principalement de la maison méthode de travail maîtrise d’ouvrage » ; « j’avais exploré individuelle sur deux, trois ou quatre plusieurs sites. À Saint-Brieuc, il y avait carrés réunis. » En dissociant la propriété une grande amplitude paysagère à partir sol/bâti, Concorde se distingue sur des de deux situations très différentes : une friche polluée et des programmes de logements en accession. S’inspirant des espaces publics de centre-ville » ; « Fosses est proche de États-Unis et des Community Land Trusts (CLT), l’agence Roissy, entourée des cultures céréalières de Picardie. Nous propose que seule la maison puisse faire l’objet d’une vente ; cherchons des lieux qui parlent de territoire ». Certains, déjà le temps d’acquisition étant limité à 99 ans renouvelable. installés dans la vie professionnelle, candidatent à plusieurs L’acquéreur peut revendre le bien mais n’est pas libre d’en sessions pour se donner ponctuellement les moyens d’une fixer le prix. Celui-ci tient compte de certains paramètres le démarche R & D auprès de maîtres d’ouvrage potentiels en maintenant au bas du marché ; quant au terrain, il appartient attente de propositions différentes. Ces expérimentations, à un organisme à but non lucratif. En 2016, les CLT sont ils chercheront à les (re)mettre en œuvre en les peaufinant apparus dans la loi ALUR sous la forme d’Organisme foncier lors de consultations privées ou publiques ultérieures. solidaire. En 2001 (E 6), candidatant à l’une des premières sessions dans Ville complexe, en morceaux, constituée de fragments, coupée laquelle la ville tenait une place prépondérante par rapport par des infrastructures, Saint-Herblain (E 12) soumet à la à l’architecture, Bathilde Millet et Antoine Motte s’inspirent candidature le quartier de Preux, cité-jardin des années 1980, du tissu serré, minéral et fermé roubaisien. Historiquement, saluée à sa livraison par des récompenses. Intervenir sur les parcelles sont en lanière, étroites, parfois avec un du pavillonnaire, réécrire un quartier très dessiné n’est pas jardin, sur lequel ont poussé des annexes (bureau, chambre chose aisée. Comme l’explique l’équipe Chuck, « finalement, supplémentaire). Pour le concours, il s’agit de reconfigurer nous n’avons pas tellement parlé du pavillonnaire mais fait une un ancien site industriel, enclave en plein centre-ville, pour réponse urbaine, territoriale. Est-ce que Preux, au bord du périf y construire du logement. « Nous avons redécoupé le site et du centre commercial Altantis, l’un des plus gros d’Europe, en créant deux rues perpendiculaires à deux existantes, des peut devenir une centralité ? Nous nous sommes essayés à faire parkings silos paysagers, des venelles. Nous proposions une dialoguer ces éléments, les relier et susciter leur mutation mixité typologique avec des villas urbaines au centre, des en simultané. Pour le rendu, nous avons privilégié l’écrit au maisons familiales en périphérie et, au milieu, les fameuses détriment des plans et des images. Cela nous permettait de pièces en plus, espaces à l’usage non défini, évolutif. » Le mieux véhiculer nos idées sur la ville auxquelles nous tenions. » projet résulte d’un travail très fin pour ajuster la densité à la Fosses (E 12) est une ville mi-urbaine, mi-rurale de 10 000 préservation de l’intimité des habitants ; « trouver la bonne habitants à 40 km du centre de Paris, à côté de l’aéroport distance pour bien vivre ensemble ». En partie modifié, il a et à la limite du département de l’Oise. Elle fait partie été finalement été livré en 2010 (cf. p. 46). de la Communauté d’agglomération de Roissy Pays de France et est située dans le périmètre du PNR Oise-Pays REDONNER DU SENS de France. Avec de petits villages anémiés, cette situation métropolitaine banale est rarement traitée. À Fosses, les En 2012 (E 12) et 2014 (E 13), avec comme thématique « la couches géologiques racontent une histoire économique ville adaptable », Europan met l’accent sur les montages, diverse : l’argile, les mille ans de l’activité liée à la poterie ; les processus, le contexte, etc. Le projet urbain très dessiné, le grès, la fabrication de meules pour des moulins ; le limon relativement immobile tel qu’il se caractérisait souvent qui explique l’agriculture et la céréaliculture, etc. Sous le jusqu’au début des années 2000, a montré ses limites, en prétexte de la volonté de réhabiliter une ancienne ferme

34

HORS -SÉ RI E n o  6 0


pour ouvrir un centre d’interprétation dédié à la poterie, l’agence Ter.a.u (territoire architecture urbanisme) s’empare du périmètre de projet pour revitaliser le village par une série d’interventions fines. Comment produire du logement sans générer une zone résidentielle pavillonnaire ? Comment réinvestir certains secteurs en harmonie avec les typologies existantes ? Comment l’espace muséal peut-il contribuer à déclencher des espaces publics et améliorer les cheminements des habitants, etc. ? Sur Saclay (E 12), l’atelier Georges – trois candidatures (E 11, 12, 13), trois fois retenu, et une en cours (E 14) –, tire profit de la complexité des jeux d’acteurs dus en partie à leur nombre et à des ambitions diverses. Pour l’atelier, le temps de conception est aussi celui de la clarification : usages de l’espace/ maîtrise du temps/activation des actions.

©Iris Chervet

Dispositifs et processus de projet ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

UNE VILLE LISIBLE À Montreuil (E 13) où la pression foncière est forte, l’atelier Georges met l’accent sur le montage. Il s’interroge sur l’enjeu de la gentrification ; celui de la préservation de PME aux portes de Paris. Question d’urbanisme, d’économie ? « Au lieu d’interroger le périmètre de projet, nous nous sommes intéressés au périmètre de compétence d’un nouvel opérateur qui se saisirait des enjeux que nous avons perçus sur le site. » Car te de repérage des points Oyapock Architectes s’est également intéressé de vue à défricher dans la vallée du Couédic - Iris Cher vet (Saintà Montreuil (E 13) pour anticiper l’arrivée de la Brieuc - Europan 13) ligne 11 au nord et du tramway au sud. Sur un site de réflexion de 140 ha dont trois de projet, pour densifier, créer de nouveaux logements à coûts maîtrisés, amener de nouvelles activités, développer la permaculture, retrouver les traces des tracés agricoles, etc., Oyapock propose de faire ville par l’intégration de la nature. Deux cheminements verts apportent une nouvelle paysager par la création de points de vue et amadouer les armature urbaine, redonnent du sens à certaines spécificités 80 m de dénivelé entre le port et la ville… Pour convaincre comme les murs à pêches existants sur ces parcours ou les Briochins que leur ville est belle et agréable, elle suggère mettent en relation la forêt de Romainville avec un parc. une série de petites interventions : élaguer les arbres pour À certains endroits, des dilatations dégagent de l’espace dégager des vues ; valoriser des parcours du centre-ville au public, des emprises foncières pour port par l’installation d’ascenseurs ; des programmes de logements ou aménager une promenade sur une d’équipements, mais le végétal articule ancienne voie ferrée ; implanter un Europan autorise l’ensemble jusqu’au cœur des îlots. système de remonte-pente pour vélos les jeunes architectes À Saint-Brieuc (E 13), Iris Chervet dans les rues très escarpées, etc. Une et urbanistes à regarder adopte une approche territoriale qui gestion urbaine pensée et précise. librement la ville lui a permis de saisir l’enjeu de l’échelle Session après session, le concours géographique et de rechercher la relation d’idées Europan autorise toujours terre/mer. « Il ne s’agissait pas tant les jeunes architectes et urbanistes d’aller vers la mer que d’ouvrir sur le grand paysage et sur les à regarder librement la ville. Il les encourage à traduire ce trois vallées remarquables qui constituent la ville. » Ces trois qu’ils voient, les pousse à expérimenter des processus, des vallées, mal aimées des Briochins, sont niées dans les pratiques démarches, à définir des postures, se glisser dans les jeux urbaines. En partie en friche, polluées à certains endroits ou d’acteurs et apprendre de leurs échanges avec les maîtres occupées par des équipements peu attractifs, c’est pourtant d’ouvrage. Sylvie Groueff sur elles que s’appuie Iris Chervet pour révéler le potentiel

HORS -SÉ RI E n o  6 0

35


Pourquoi proposer un site ? Pour quelles raisons une ville, une métropole, une communauté d’agglomération font-elles le choix d’inscrire un site de leur territoire au concours Europan ? Qu’espèrent trouver les maîtres d’ouvrage dans les réponses qu’une consultation classique n’offrirait pas ? Que se passe-t-il in situ, une fois le concours jugé, les lauréats désignés ?

Sylvie

Quel que soit le thème du concours, les sessions Europan présentent une panoplie Groueff assez complète des contextes urbains1 contemporains. « Situations construites » , pression immobilière difficile à maîtriser, urbanisme devenu comme un habit trop ample dans une ville à la courbe démographique descendante, friches ou délaissés en plein centre à réinvestir, quartiers où des interventions successives et ponctuelles ont gommé la cohérence d’ensemble, vastes zones commerciales dévolues à l’automobile jouxtant jadis la campagne sur laquelle elles ont empiété qu’il s’agit de raccorder, villes moyennes qui ont perdu leur relation au territoire à force d’extensions désarticulées, etc. Parfois, les sites sont une partie d’un projet urbain d’envergure ; d’autres au contraire posent question par leur manque d’accroche à une colonne vertébrale. Les périmètres proposés s’inscrivent dans un espace-temps éloigné d’une urgence à aménager, ce qui autorise des expérimentations d’ordre partenarial, d’occupations temporaires de lieux, d’animations qui favorisent l’observation d’usages et de pratiques qui pourront à terme nourrir le programme. Le temps Europan constitue une sorte de pause active pour penser la transformation urbaine. Il laisse une place à l’imagination discursive en termes de processus, de montage juridique, financier ou encore à l’invention d’une organisation horizontale des modes décisionnels initiant des participations habitantes, du tissu associatif, etc. Une sorte d’éloge de la lenteur des procédures au service d’une intelligence collective.

Enquête de

« QU’EST-CE QUE J’PEUX FAIRE ? J’SAIS PAS QUOI FAIRE » Parmi les raisons qui poussent une collectivité à soumettre un morceau de ville à la sagacité de jeunes agences, il y a « quoi faire ici, pourquoi, comment, quand ? ». La priorité n’étant pas tant de faire que prendre le temps d’un diagnostic fouillé. Agir en amont et attendre pour faire. En 2008, l’État décide de fermer des sites militaires. À Metz, en 2015, cela se traduit par le départ de 5 000 familles de militaires et la libération d’un foncier de 400 ha (dont 250 ha d’espaces verts) situés sur trois communes et en dehors de la stratégie de développement de la métropole dont la démographie est stagnante. « Nous avons commencé à penser la reconversion de cet espace fermé et dont les bâtiments

36

HORS -SÉ RI E n o  6 0

étaient réutilisables. Des projets plus ou moins farfelus nous ont été proposés, ce qui nous a dirigés vers Europan (E 13). Nous avions besoin de temps, d’idées », explique David Richard, responsable Pôle projets urbains à la métropole messine. Un groupe de partenaires (conseil départemental, chambre d’agriculture, direction départementale des territoires) a débattu à partir des réponses sur la manière d’envisager le devenir de ce secteur, longtemps interdit aux habitants. Au printemps 2016, quatre marchés ont été lancés auprès des trois équipes ainsi remises en concurrence. Le premier, attribué à l’atelier Lætitia Lafont, concerne la programmation de la ZAC Frescaty (25 ha dont 5 de forêt) ; le second doit définir le périmètre d’une autre ZAC d’une soixantaine d’hectares ; le troisième traite des entrées principales du site. Enfin, le quatrième, mené en partenariat avec l’EPF Lorraine, « porte sur l’élaboration d’un plan guide du domaine. Nous avons choisi de les faire travailler sur de l’opérationnel et avec un plan guide pour conserver l’échelle globale. Plutôt qu’urbaniser les 400 ha sur dix ans, nous privilégions des aménagements transitoires (agriculture bio, utilisations temporaires) qui seront peut-être construits à plus long terme. Nous avons repris les espaces de l’ex base de vie (20 ha et 25 bâtiments) qui vont devenir publics et nous vendons les bâtiments à des investisseurs (entreprises télécommunication, BTP) en quête de mètres carrés. Les repreneurs doivent présenter leur projet et respecter un niveau de performances énergétiques préétabli ». Pour David Richard, Europan a permis d’expérimenter des façons de « faire la ville » plus légères, moins définitives, d’anticiper des possibilités d’évolution, de prévoir une densification progressive selon les besoins. « À partir de ce site, on pense toute la porte sud de la métropole, laquelle englobe 200 ha d’une grande zone commerciale. Il sera ainsi plus facile d’y revenir plus tard ». À Montreuil (E 13), pour trois sites proposés, trois sujets à traiter : arrivée du tram au sud, métro dans le Haut Montreuil et activités à faire muter. Comment maintenir de l’activité ? Quelle forme urbaine retenir pour des programmes résidentiels ? Comment maîtriser les mutations par l’action sur le foncier ? Les trois réponses choisies sont complémentaires. L’atelier Georges se centre sur le processus foncier ; Oyapock Architectes définit un grand plan d’aménagement, de paysage et de programmation et Marion Rhein, Louise Maurice et Carole Chevalier développent une série de petites interventions ponctuelles pour révéler le potentiel des lieux et de l’espace


Dispositifs et processus de projet ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

public. À l’issue du concours, les trois équipes sont chargées de missions distinctes par la Ville. « J’ai vraiment été très heureuse des réponses, de leur recherche pour faire évoluer les outils du renouvellement urbain. La richesse du concours se poursuit dans les missions que nous leur confions », relate Marie Fourtané, architecte-urbaniste de la Ville de Montreuil. Pour Pascal Dayre, directeur général adjoint de l’EPF Ile-deFrance, « le temps d’élaboration du projet Europan est celui des établissements publics fonciers (EPF). Nous venons très en amont créer les conditions d’un projet. Parfois, sur des sites où des mutations sont imminentes, même s’il existe un début de programmation il reste à décider du pourquoi et du comment ». Nouvellement élu, adjoint en charge de l’urbanisme de SaintBrieuc, Jacky Desdoigts souhaite déterminer une méthode de travail avant de lancer tout projet. Les services lui parlent d’Europan (E 13). « L’idée de faire appel à des créatifs extérieurs ou pas, de participer à un concours à l’échelle européenne m’a séduit. Cela nous a permis d’imaginer un avenir et le sujet de la ville adaptable n’avait jamais été abordé ici. Durant un an, nous avons été confrontés à des regards, des équipes qui avaient travaillé sur de grandes métropoles. Elles nous parlaient d’une ville que nous redécouvrions à travers leurs visions. » Et ces agences d’architectes disent aux Briochins que la topographie caractérisée par trois vallées est fantastique. « Elles étaient souvent perçues comme des boulets, obligeaient à des tracés de routes considérés comme difficiles. L’une traverse la ville jusqu’à la mer. Depuis vingt ans, elle est quasiment à l’abandon, mal entretenue, reprise par la nature. Notre singularité était niée. Europan nous a permis de redire des choses sur notre territoire. Et même si cela n’était pas allé plus loin, c’était déjà très intéressant. » Une consultation restreinte aux trois équipes retenues a été lancée pour un plan guide qui prioriserait des actions pour une fabrique de la ville lisible sur un espace-temps donné. C’est avec Iris Chervet, désignée lauréate, dorénavant associée à Pierre Chastel, que la Ville de Saint-Brieuc travaille sur ce sujet depuis plusieurs mois ainsi qu’à la requalification de l’une des vallées. Des réunions publiques, des ateliers, des débats associent la population et les acteurs au processus en cours.

QUELLE ÉCHELLE POUR LA VILLE ADAPTABLE ? Le choix de la localisation d’un futur équipement induit des questions d’urbanisme. Jusqu’où aller ? Faut-il élargir jusqu’aux limites d’une communauté d’agglomération pour que le

sens puisse ressortir ? Inversons la focale et partons d’un petit point présent dans un territoire plus vaste. Comment penser l’aménagement d’une commune de taille moyenne inscrite dans le périmètre d’un SCOT approchant le million d’habitants ? Ou, dans un département peu peuplé, comment imaginer l’aménagement contemporain ? Au nord-ouest de Nantes, Savenay (8 000 habitants) est une commune du périmètre du SCOT Nantes-Saint-Nazaire (840 000 habitants) conçu par l’établissement public le Pôle Métropolitain. Pour stopper la consommation de terres agricoles par des lotissements et rapprocher lieux de vie et activités, le document identifie des poches de renouvellement urbain sur de petites communes. « À Savenay, il y avait la volonté d’aller chercher des idées novatrices et que les décideurs aient le temps de s’approprier procédure et projets d’où l’inscription à E 11, “Territoires et modes de vie”. Les élus se sont impliqués et ont été agréablement surpris par les réponses », constate Stéphane Bois, directeur général du Pôle Métropolitain. Une consultation pour un accord-cadre de maîtrise d’œuvre urbaine de six ans est rapidement lancée auprès des trois équipes sélectionnées. À partir d’un cahier des charges rédigé par les collectivités, il était demandé de creuser les propositions du concours et d’en décrire projets et étapes. « L’Atelier Lætitia Lafont associé à Thibault Barbier (Atelier Georges) a remporté facilement l’adhésion du jury. Savenay est une commune édifiée sur du granit en surplomb de la mer et sur des terrains plats de l’estuaire de la Loire. Le projet est un travail très fin sur les îles. Ils amènent de la densité en prenant bien en compte le substrat géographique et l’architecture locale comme la réinterprétation du bâti agricole typique de la Longère. » La première phase de l’étude est d’ores et déjà rendue. « Les équipes ont organisé des ateliers sur différents thèmes : présence de l’eau, agriculture, formes urbaines, biodiversité. Elles ont su associer élus, agriculteurs, chambres consulaires, associations, services de l’État. Assez vite, nous les avons vu tenir un stand sur le marché, recenser des éléments de compréhension : Savenay le haut, Savenay le bas, perception du quartier de la gare. C’était la première fois que je voyais ce genre de pratiques autant en amont. Cela facilitait les échanges avec les élus », précise Virginie Vial, directrice adjointe de la SAMOA et AMO auprès du Pôle pour le suivi Europan. Des fouilles archéologiques en cours depuis la fin des années 1980 sur la ville de Fosses (10 000 habitants) ont révélé une histoire potière longue d’un millénaire avec un apogée aux xii e et xiii e siècles en termes de production. Naît

©Pers & Polis

Vue depuis les logements - Atelier Lætitia Lafont et Atelier Georges (Savenay - Europan 13)

HORS -SÉ RI E n o  6 0

37


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

alors un projet de centre d’interprétation qui mettrait en exergue la singularité de cette commune appartenant à la Communauté d’agglomération Roissy Porte de France, devenue Pays de France. Il abriterait les découvertes des scientifiques, des films spécialement réalisés y seraient diffusés, etc. Une ancienne ferme entourée de foncier située dans le centre du village est retenue pour sa création. Le maire Pierre Barros, architecte de son état, se rapproche du secrétariat d’Europan pour la première session de « ville adaptable » (E 12). Pour un périmètre cohérent, « il fallait intervenir sur les alentours, poser la question de leurs mutations. Pour nous, la ville adaptable, c’est comment réinvestir du foncier sans abîmer les typologies, la qualité des bâtiments. Comment faire pour produire autre chose que du pavillonnaire. Il fallait que ce centre suscite des espaces publics, des possibilités de logements et améliore le quotidien, notamment par les cheminements. En revendiquant un projet ambitieux, nous donnons du sens à notre idée muséale ». Si les fouilles ont été l’élément déclencheur, ce projet dans un cadre mi-urbain/mi-rural, proche de Paris et de l’aéroport, intéresse l’agglomération dans ce que Fosses pourrait avoir de démonstratif pour d’autres communes qui, comme elle, sont riches d’histoire, avec notamment un patrimoine classé, des zones de maraîchage. Europan a été un dispositif intéressant pour réfléchir à ce projet de musée qui pourrait devenir un cas d’école et aider d’autres municipalités de même taille à se projeter dans un avenir métropolitain avec des horizons en complémentarité de celui des grandes villes. À la suite d’une consultation entre les équipes retenues, l’une d’entre elles, Ter.a.u (Morvan Rabin et Alline Corréa Bouric) a récolté une étude urbaine pour préciser le projet et ses étapes. Pour réaliser son diagnostic, l’agence a animé différentes réunions avec la Commission des sites, le syndicat intercommunal de l’eau, les maires des communes proches. Elle a organisé des restitutions sur différentes thématiques, fourni des explications et reçu les remarques des habitants. Tout cela a alimenté le projet et abouti à un premier plan d’aménagement avec un début de modélisation financière et une question sur l’outil à mobiliser (ZAC ou pas) ? « D’un musée, nous en sommes venus à un projet de renouvellement urbain. C’est plus ambitieux, plus complexe mais cela parle de l’avenir de Fosses et permet d’y adjoindre d’autres projets. » En Corrèze (E 13), trois communes éloignées d’une centaine de kilomètres marquent un écart de 500 m d’altitude entre Basse et Haute Corrèze. Ussel (10 000 habitants, au nord-est du département) se demande comment intervenir sur l’ancien champ de foire et sur une friche industrielle en continuité avec le centre ; au sud, proche du Lot, Turenne (1 000 habitants, site classé) s’interroge sur le développement autour de la gare désaffectée bien que quelques trains s’y arrêtent soir et matin, et Argentat (3 000 habitants) se questionne sur l’îlot de la Françonnie comportant la plus ancienne maison de la commune (xvi e siècle) qui jouxte un supermarché désaffecté et un parking en centre-ville. Comment penser la ruralité du xxi e siècle ? Quel regard contemporain poser sur ces territoires ? Savons-nous les voir et apprendre d’eux avant d’y faire projet ? Ces questions sont sans doute les plus difficiles parmi celles posées dans le cadre Europan. Jean-Pierre Guitard, adjoint à l’urbanisme à Ussel, raconte : « Lors de la première réunion à Paris, nous avons été surpris de constater que beaucoup d’architectes nous montraient de l’intérêt. Mais notre but n’est pas d’amener le monde urbain

38

HORS -SÉ RI E n o  6 0

chez nous. Nous avons quelques projets ponctuels comme rénover une ancienne usine de salaison que nous pourrions confier à l’une des équipes. Notre participation à Europan dit que le monde rural a envie de changer mais, pour nous lancer dans des projets plus ambitieux, nous avons encore besoin de temps, de continuer à discuter avec les architectes ».

EUROPAN COMME POINT (PRESQUE) FINAL Depuis trente ans, le quartier populaire de Plan d’Aou Saint-Antoine la Viste bénéficie des dispositifs successifs de la politique de la Ville. Marseille Rénovation Urbaine (MRU) en assure depuis 2005 la maîtrise d’ouvrage. En inscrivant un site de projet au concours (E 12), le MRU et la Ville de Marseille étaient en attente d’idées pour prolonger la dynamique initiée dans le cadre de l’ANRU. Alors que le sujet est complexe, que des projets sur le périmètre d’étude sont en cours, « Europan nous a apporté beaucoup de matière d’un coup. Le concours a permis de valoriser le travail effectué, d’établir une feuille de route et nous a mis en situation de désigner un porteur de projet à partir de ce qui était enclenché », constate Laure Portale Manachevitch, cheffe de projet GIP Marseille Rénovation Urbaine. En 2015, une mission complémentaire est donnée à deux des équipes retenues avec la volonté d’explorer le passage du concours d’idées au pré-opérationnel. Les équipes, Concorde (FR) et Arkilab (DK), ont monté un workshop avec des habitants, des acteurs locaux et mobilisé les bailleurs, la ville, les services de l’État. « Cela a duré huit mois et a redonné du souffle, dans un esprit très partenarial, ludique. Nous avons validé un nouveau plan guide qui énonçait l’ambition, la vocation des secteurs encore à urbaniser ». Parmi les aménagements à réaliser figure un espace public (budget de 2,5 millions d’euros) dont la maîtrise d’ouvrage a été attribuée à la SPL SOLEAM. En 2016, une nouvelle consultation est lancée auprès des trois équipes. C’est l’agence Concorde qui, en mai 2017, s’est vu attribuée une « mission de maîtrise d’œuvre pour l’aménagement du mail et belvédère Canovas ». Au moment du concours, cette équipe avait fourni « un plan guide très documenté, méditerranéen, audacieux et qui pourrait avoir une dimension patrimoniale exemplaire. Leurs préconisations sur le foncier nous intéressaient particulièrement. Sur leur plan guide, ces jeunes nous encourageaient à conserver un bunker datant de la guerre, arguant qu’il était possible de l’utiliser ainsi que ses abords. Nous avons encore sur site un gisement de 120-130 logements susceptible de reposer la question du foncier solidaire. Pour le moment, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé avec les bailleurs Logirem et Erilia ». Selon Laure Portale Manachevitch, il reste encore une grosse année de travail pour mener cette opération de logements en accession. À partir de situations urbaines très diverses, les résultats Europan se distinguent par l’énergie des candidats à renouveler les outils de l’aménagement, répondant en cela aux attentes des collectivités. L’implication des représentants des sites est garante de l’intérêt des réponses. La méthode Europan les amène à l’expérimentation processuelle et, d’une façon générale, à se réinterroger sur leurs manières de travailler en considérant les partenariats, le juridique et la programmation, comme des éléments de projets. Sylvie Groueff ! Expression d’Alexandre Chemetoff.


Europan, espace et politique Des expériences plutôt qu’une condition. Avec Hannah Arendt, nous avons appris que la politique « prend naissance dans l’espace qui est entre les hommes » 1 . Europan est donc un sujet politique, et ce depuis sa naissance qui coïncide, est-il utile de le rappeler, avec la chute d’un Mur, celui de Berlin. Au fil d’une conférence donnée par Rem Koolhaas à Houston en janvier 1991 auprès des étudiants américains de la Rice University et récemment rééditée chez Parenthèses, on retrouve la trace de ce fol espoir sur lequel naquit (entre autres) ce concours Europan : « Ce qui est passionnant dans l’Europe d’aujourd’hui est le mythe de cette Europe 92 dont on parle beaucoup. Il a suscité une énorme quantité de spéculations, d’ordre plus politique que commercial. Parce qu’il est de nature politique, on a imaginé d’importants nouveaux programmes et identifié de nouveaux besoins » 2 . Qu’en est-il au juste près de trente ans plus tard ? Si l’on poursuit la lecture de cette conférence de Koolhaas donnant en exemple l’Europe aux jeunes étudiants américains au tout début des années 1990, on y croise ce fol espoir : « Pour une fois, l’architecte n’est pas dans la position humiliante dans laquelle il se trouvait il y a quelques années, celle de l’amoureux qui doit défendre ses charmes auprès de quelqu’un qui ne s’y intéresse fondamentalement pas. La situation est maintenant radicalement différente, dans le sens où il y a une série de projets en cours, auxquels seuls les architectes peuvent apporter quelque chose ». Qu’en est-il alors de l’accompagnement que les villes, en plein dynamisme ou au contraire à la recherche d’un nouveau souffle, auront su offrir aux jeunes architectes lauréats d’Europan ? Comment les thématiques qui ont successivement coloré ce concours (la ville-paysage, entrevilles, le projet négocié, la ville partagée, la ville adaptable…) ont-elles pu accompagner, endiguer ou encore stimuler des dynamiques déjà à l’œuvre dans les paysages urbains divers et variés qu’auront offert les villes ayant accueilli les réflexions des jeunes architectes et urbanistes ? Du reste, par la simple formulation de ces thèmes successifs issue de la mise en réseau d’experts provenant de toutes les scènes européennes majeures et par l’interaction qu’elle implique

avec le devenir concret de territoires urbanisés, le concours Europan est en effet devenu l’un des « laboratoires » de la ville-européenne-contemporaine.

Par Jean-Louis Violeau, sociologue

UNE FORME DE RECONNAISSANCE D’une manière générale, la communauté éthique des valeurs, la sphère de la reconnaissance culturelle dont parle le sociologue Axel Honneth 3 , est le troisième milieu relationnel de reconnaissance après le milieu des relations primaires (la famille notamment) et celui des relations juridiques. Mais cette communauté existe-t-elle au sein de l’univers des architectes lauréats du concours Europan ? Les cercles de la reconnaissance y sont à géométries (très) variables. Quelles sont donc les formes de reconnaissance dont ont pu bénéficier les lauréats des sessions successives du concours Europan ? Celles-ci pouvant aller de l’incorporation au sein d’une « famille » élargie jusqu’à l’accession à la première commande, la « première chance » si cruciale dans les univers artistiques. S’il n’y a pas à proprement parler de « condition » de lauréat d’Europan, il s’en dessine en revanche des expériences, des vies ou plutôt des trajectoires avec leurs lignes de forces et de continuité et leurs points de fracture et leurs bifurcations. C’est précisément ce que ce numéro se propose de mettre en lumière : à la fois ce qui unifie et ce qui dissocie des architectes, leurs projets lauréats du concours et les réalisations (mais aussi les suites) qui en sont issues. Pour en faire une histoire de familles, une famille issue d’un concours et non une famille biologique, où se croisent et se fécondent mutuellement plusieurs générations d’architectes, empilées désormais au gré d’une succession de projets impressionnante. Jean-Louis Violeau ! Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? Seuil, 1995, p. 42. @ Rem Koolhaas, Vers une architecture extrême (conférence, Rice University, Houston, 1991), repris chez Parenthèses, 2016, p. 49. # Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000 (première édition allemande 1992).

HORS -SÉ RI E n o  6 0

39


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

Ilot Boissière par Oyapock Architectes

Ilot Signac par l’Atelier Georges

EUROPAN 13 (2015)

Le Haut Montreuil en quête d’identité Trois projets pour répondre à la question « comment habiter et travailler sur le plateau ? » Équipes • « La clé des champs », projet mentionné Oyapock Architectes • « Du ponctuel à l’usuel », projet cité Marion Rhein, Louise Maurice et Carole Chevalier • « L’OUvroir de LIeux POtentiels », projet cité Atelier Georges Maîtrise d’ouvrage • Ville de Montreuil avec la participation de l’Établissement public foncier d’Ile-de-France

Le site articule le tissu hétérogène du Haut Montreuil le long de deux axes reliant les futures stations de métro (11) et de tramway (T1). Trois secteurs opérationnels sont identifiés : Boissière au nord, en attente de programmes innovants au pied du métro, Les Roches à l’est, dont les activités d’entreposage manquent d’urbanité, Signac au sud, imbriquant un tissu pavillonnaire avec des grandes parcelles d’activités. La Ville souhaite créer un quartier vivant et actif. Le projet mentionné « La clé des champs » (Oyapock Architectes) propose une approche fondée sur l’intégration de la nature dans la ville à travers deux cheminements verts, l’un reliant Boissière à Signac en cœur d’îlots et l’autre la ZAC Boissière-Acacias et les murs à pêches, dans l’emprise de l’autoroute. Le projet cité « Du ponctuel à l’usuel » (Marion Rhein, Louise Maurice et Carole Chevalier) s’appuie sur des micro-interventions qui connectent le déjà-là et l’à-venir, à travers l’identification de neuf types d’espace (délaissés, croisements, abords, débords, places, franges, clairières, lisières, fragments). Le projet cité « L'OUvroir de LIeux POtentiels » (Atelier Georges) propose un outil pour accompagner les démarches en cours, faciliter les interfaces et stimuler l’éclosion de nouvelles dynamiques. La Ville de Montreuil, avec l’EPFif1 , a confié à chaque équipe une mission de faisabilité sur des secteurs de projet. Des partenariats en ont résulté. Oyapock s’est vu confier une deuxième étude de faisabilité, et Nexity l’a missionnée pour un permis de construire d’un immeuble de logements dans la ZAC Boissière-Acacias. Atelier Georges devrait continuer une mission avec la Ville et un organisme de foncier solidaire en cours de constitution. ! Établissement public foncier d’Ile-de-France.

40

HORS -SÉ RI E n o  6 0


Dispositifs et processus de projet ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

Structure d’espaces publics projetée Cœur historique Plateau piéton cœur historique Plateau piéton – cohabitation voiture Centre-ville Boulevard circulaire de petit contournement Seuils du centre-ville Centre d’agglomération/centre géographique Boulevard circulaire de grand contournement Belvédères sur les vallées aux franges du plateau Entrées dans les vallées Radiales « de terre » Radiales « de mer » Porosités des limites d’îlots Parcs publics créés Arbres d’alignement plantés Hypothèses de projets architecturaux Construction neuve Réhabilitation de bâtiment existant Structure urbaine existante Projets d’espaces publics réalisés ou en cours Projets architecturaux réalisés ou en cours Tissu urbain (parcelles et bâti) Bâtiments repères Voirie existante Arbres isolés existants Arbres d’alignement existants Parcs publics existants Vallées Boisements de coteaux Réseau hydrographique Courbes topographiques 4 m Ligne d’altitude +80 m - niveau repère ESPACES PUBLICS MAJEURS Bâtiments repères Noms des rues

©Iris Chervet

Directions

EUROPAN 13 (2015)

Saint-Brieuc repense son centre L’élaboration en cours d’un plan guide vise à replacer le centre-ville dans le panorama terre-mer. Maîtrise d’œuvre • Atelier Chervet Chastel, architecture urbanisme paysage • Quarta, ingénierie vrd environnement • Maïos, communication et concertation Maîtrise d’ouvrage • Ville de Saint-Brieuc, avec la participation de l’Établissement public foncier de Bretagne

En participant au concours Europan, la Ville de Saint-Brieuc cherchait une vision d’ensemble pour dépasser une identité divisée entre ville haute et ville basse, minéral et végétal, terrestre et maritime. En tout cas, les projets des trois équipes primées ont été mis en valeur : réunion publique de présentation, exposition au CAUE des Côtes d’Armor, ateliers, affichage sur des panneaux publicitaires dans le cadre de la communication sur la stratégie urbaine de Saint-Brieuc… En outre, comme un des projets lauréats « Landscape Focus » (Iris Chervet) proposait la mise en valeur de certains sites en belvédère sur la vallée du Gouédic, l’équipe est mise en contact avec le service Espaces Verts afin de repérer les points de vue et d’organiser le défrichage. En septembre 2016, les trois équipes primées sont consultées pour l’élaboration d’un Plan guide des espaces publics du centre-ville. Cette consultation est remportée par Iris Chervet et son équipe. Le Plan guide est un document de référence évolutif, répondant à trois principaux objectifs : à l’échelle du territoire, replacer le récit du centre-ville dans l’axe terre-mer et proposer une approche des interfaces avec le grand paysage ; à l’échelle du centre, préciser les orientations à long terme sur l’espace public et le programme d’actions à court et moyen terme (définir les limites, identifier des familles d’espaces publics, proposer des actions par thématique) ; à l’échelle de sites pilotes, proposer des scénarios d’évolution. Cette étude est en cours.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

41


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

Carles Enrich Giménez

EUROPAN 12 (2013)

Carles Enrich Giménez

Maîtrise d’œuvre • Rec Comtal/La Sagrera Carles Enrich Giménez, architecte Anna de Castro Català, Adriana Campmany Serna, Àngel Rosales Garcia, Rafel Capó Quetglas. Paysage : Ana Irigoyen Biconda, ingénieur agronome. • Torrent Estadella/La Sagrera The New Urban Fabrik Eduard Balcells et Honorata Grzesikowska, architectes urbanistes Maîtrise d’ouvrage • Ville de Barcelone

42

HORS -SÉ RI E n o  6 0

Préserver un aqueduc romain à Barcelone Une étude pour sauvegarder un site archéologique en l’inscrivant dans une perspective métropolitaine. Dans les suites du concours Europan 12 et des négociations conduites avec les collectivités voisines, la municipalité de Barcelone a décidé de confier des études aux deux équipes primées sur deux nouveaux emplacements autour de la Sagrera, leur permettant de réutiliser les idées du concours. L’objectif principal de l’étude préliminaire confiée à Carles Enrich Giménez est une rénovation urbaine fondée sur la préservation et la protection de l’une des plus importantes infrastructures hydrauliques de l’histoire de Barcelone : les vestiges archéologiques du Rec Comtal, un aqueduc romain. Ces vestiges sont actuellement en péril car aucune action de sauvegarde n’a été entreprise et le pavage récent d’une partie du terrain, utilisé comme parking temporaire, a généré un afflux accru de personnes et de déchets. L’étude propose de travailler simultanément au niveau métropolitain et du futur parc archéologique afin de favoriser une cohérence dans les éléments d’intervention ; l’eau, la végétation et les sols (dans une approche topographique et dans l’utilisation de matériaux). Il est ainsi envisagé de revaloriser l’infrastructure hydraulique à travers des opérations de restauration environnementale et historique, avec l’éventualité d’une reconquête du cours d’eau sur la plus grande section possible, en intégrant le pré-existant archéologique et les arbres actuels en tant qu’éléments structurants.


©DR

©DR

Dispositifs et processus de projet ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

©DR

Vallée de l’Ysieux, lien fédérateur, site classé et terroir à réinterpréter

EUROPAN 12 (2013)

Fosses veut revivifier son cœur de village Valoriser un patrimoine historique et naturel pour redynamiser une petite ville voisine du Grand Paris. Équipe Ter.a.u (territoire, architecture, urbanisme) • Alline Corréa Bouric, architecte et Morvan Rabin, urbaniste, mandataire • LaLu paysagistes • Transversal, conseil en montage • Polymorphe, concertation • Nunc, patrimoine et muséographie • Terre de Liens, association Maîtrise d’ouvrage • Ville de Fosses • Communauté d’agglomération Roissy Pays de France (CARPF) Étude urbaine en cours (2016-20147)

Petite ville à la fois rurale et urbaine de 10 000 habitants, Fosses est inscrite dans la zone d’influence de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. La Ville souhaite s’appuyer sur le patrimoine historique et naturel du village pour développer un projet de requalification urbaine et de revitalisation économique. À l’issue d’une période d’élections municipales et de réorganisation territoriale, la Ville et la Communauté d’agglomération Roissy Pays de France (CARPF) ont décidé de reconsulter les trois équipes du concours Europan 12 et ont attribué une étude urbaine à Ter.a.u (« Entrecroisements », projet mentionné) et à leurs partenaires co-traitants en 2016. Cette étude doit se faire le reflet de la volonté portée par la CARPF et la Ville : l’émergence d’un projet global, partagé, ambitieux mais faisable pour le centre-village de Fosses, dans son empreinte et sa structure territoriales comme dans ses usages. Le projet « Entrecroisements » mettait en avant trois axes de recherche autour de l’agriculture urbaine de proximité, du renforcement du cœur de village et de la stimulation des initiatives individuelles. La complexité spatiale du projet (onze profils d’espaces publics et cinq typologies de logements dont plusieurs atypiques – maisons serres ou patio ou extension de type bimby) correspondait à l’envie d’entrecroiser progressivement des systèmes urbain et naturel. La programmation était recherchée, explicitée, et rayonnait au-delà du site de projet et comprenait également le développement économique autour d’un maraîchage bio-intensif. L’équipe Ter.a.u s’était notamment attachée à faire émerger la géologie du territoire accompagnant la réalisation d’un centre d’interprétation du patrimoine de Fosses et de la vallée de l’Ysieux.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

43


©DR

ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

Jeu de concer tation « Arki_nopoly » (©Arki_lab) Concorde

EUROPAN 12 (2013)

Équipes • « Concomitance », projet mentionné Concorde, architecture & urbanisme (Adrien Zlatic, Simon Moisière, Jean Rodet architectes et Nicolas Persyn géographe) • « Un nouveau village urbain », projet mentionné Arkilab (Jeanette W. Frisk et Rasmus W. Frisk, architectes urbanistes) Maîtrise d’ouvrage • Ville de Marseille • GIP Marseille Rénovation urbaine • ESH (Entreprise sociale de l’habitat) Erilia • Soleam (Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise)

44

HORS -SÉ RI E n o  6 0

Plan d’Aou en préfiguration La réalisation d’un espace public participe à la régénération urbaine de ce quartier de Marseille. À Plan d’Aou, dans les quartiers Nord de Marseille, après plus de vingt ans de métamorphose urbaine profonde, il s’agit avec la session Europan 12 de dépasser la seule logique de rénovation. Le GIP Marseille rénovation urbaine et la Ville de Marseille souhaitent stimuler réflexion et créativité. Orientations programmatiques : créer un lieu d’habitat et de sociabilité inter­ générationnelle ; proposer une architecture pérenne et durable, mais évolutive et adaptable ; valoriser des espaces publics supports d’usages partagés. Le GIP, en partenariat avec les bailleurs sociaux et la Ville de Marseille, a confié aux deux équipes mentionnées, Arkilab (Danemark) et Concorde (France), une étude de faisabilité de la mise en place d’un projet d’ensemble, rythmée d’ateliers de concertation avec les acteurs locaux, dont les associations d’habitants. Les deux équipes ont produit des parties de diagnostic en commun puis développé des scénarios complémentaires, Arkilab se concentrant sur des outils de concertation alors que Concorde a développé le projet à travers une méthodologie proposée au concours. Cette première commande a permis d’installer une confiance réciproque et de motiver les acteurs. À la suite d’une nouvelle consultation des trois équipes, Concorde a obtenu une mission de maîtrise d’œuvre de préfiguration d’espaces publics de la part de la société Erilia (propriétaire du foncier), en cours, qui sera suivie d’une nouvelle mission de maîtrise d’œuvre, toujours d’espaces publics, commandée cette fois par la Soléam agissant pour le compte de la Ville de Marseille.


Dispositifs et processus de projet ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

©Atelier Chuck

Extrait des fiches action proposées par l’atelier Chuck : démolition par tielle et hangars en lanières

EUROPAN 12 (2013)

Équipes • « Métacentre », projet lauréat telier Chuck (Jean-Rémy Dostes, Nicolas Beyret, Claire Jeanson, Gabriel Mauchamp, Paul Jacquet, Antoine Pinon) • « Permaculture », projet mentionné Anne-Lise Gruet (mandataire), Amélie Allioux, François Hamon, Maud Nÿs, Anne Petit • « Ponctuation », projet cité Mélaine Ferré (mandataire), Pierre-Yves Arcile, Benoit Moreira, Miguel Gonzalez Maîtrise d’ouvrage • Ville de Saint-Herblain Nantes Métropole

Saint-Herblain rêve d’un territoire jardin Le quartier de Preux peut transformer ses liens avec Saint-Herblain, ville en mutation de la métropole nantaise. « Afin de faire émerger des stratégies innovantes pour un projet de réaménagement de quartier », la Ville de Saint-Herblain a inscrit le site de Preux au concours Europan 12. Ce quartier mixte conçu comme une cité-jardin dans les années 1980 a été rattrapé par la métropolisation, le bouleversement des modes de vie, la paupérisation d’une partie de ses habitants. En 2013, trois équipes ont été sélectionnées parmi 46 projets rendus. La municipalité a décidé de poursuivre la démarche pour aboutir à une mise en œuvre rapide du projet, en lien avec un agenda d’actions à entreprendre par les bailleurs sociaux sur le bâti. La Ville de Saint-Herblain a donc confié une étude de faisabilité urbaine aux trois équipes, qui comprenait des parties de travail en commun (diagnostic et ateliers de concertation) et un développement de leurs propositions du concours dans un contexte réactualisé. Ce temps d’exploration a permis à la Ville de construire un cahier des charges pour une étude de fond, comprenant un plan guide et différentes missions, y compris de maîtrise d’œuvre d’espaces publics. À l’issue de ce travail, les trois équipes ont été consultées pour l’attribution d’un marché important pour les quatre années à venir. L’atelier Chuck a été retenu. Son projet lauréat « Métacentre : l’émergence d’un territoire jardin » visait une ambition, celle de créer une centralité linéaire parallèle aux grands axes qui relierait le cœur des différents quartiers de Cremetterie à Atlantis (zone commerciale) en passant par Preux promu ainsi au rang de centralité.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

45


©Fernardo Alda

ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

EUROPAN 9 (2008)

©Fernando Alda

Revitaliser Selb, ville en décroissance Une crèche, une auberge, un club des jeunes, puis des logements sociaux sont partie prenante d’une stratégie d’acupuncture.

Maîtrise d’œuvre • Gutiérrez-Delafuente (Julio de la Fuente + Natalia Gutiérrez) • tallerDE2 (Alvaro Martín Fidalgo + Arantza Ozaeta) Maîtrise d’ouvrage • Ville de Selb • Selbwerk (pour le programme de logements)

46

HORS -SÉ RI E n o  6 0

Après le concours Europan 9 qui portait plutôt sur la réponse aux besoins des personnes âgées à Selb (Allemagne), l’équipe lauréate (Espagne) s’est engagée dans un processus de réalisation de deux équipements destinés aux jeunes enfants et aux adolescents : une crèche, une auberge de jeunesse et un club de jeunes. Ces équipements seront réalisés au centre de cette petite ville de Bavière. La crèche complète le dernier vide d’une façade urbaine hétérogène. Elle est située sur un sol en pente et connecte un bâtiment de quatre étages avec un autre d’un seul niveau. Elle ouvre également le jardin intérieur de l’îlot à la ville. L’auberge et le club de jeunes sont situés entre deux petits jardins publics. Les architectes les intègrent au projet en identifiant l’accès principal de chacun des bâtiments à un des deux parcs qu’ils étendent jusqu’à la cour intérieure de l’îlot. Cette cour devient un espace semi-public. Parallèlement à la réalisation de ces équipements terminée en 2013, la même équipe s’est engagée au printemps 2011 – hors Europan – dans une démarche de réalisation de logements expérimentaux (IQ) pilotée par une société municipale (Selbwerk) : un programme de 25 appartements pour de jeunes familles, avec parkings et caves ainsi qu’une salle communale et une centrale biomasse permettant d’alimenter en énergie le centre-ville. Ce dernier projet vient renforcer la proposition d’acupuncture préventive formulée par l’équipe pour réactiver la ville de Selb en décroissance par l’apport de jeunes populations mais aussi pour reconnecter certaines parties de la ville qui étaient isolées depuis des années.


©Alias

Dispositifs et processus de projet ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS

EUROPAN 6 (2001)

©Luc Boegly

Les Villas Sarrail à Roubaix Le projet « Parabole du hérisson » a débouché sur la réalisation de 78 logements.

Maîtrise d’œuvre • Bathilde Millet Architectes, architecte mandataire • Julien Rousseau, architecte associé (phases esquisse et APS) • Mélanie Quetscher & Nissim Haguenauer, architectes assistants • Caroline Bigot, paysagiste B & R Ingénierie, Bet technique Maîtrise d’ouvrage • Pierres & Territoires de France Nord (directeur : Pierre Oudin)

Proposé en 2001 par la Ville de Roubaix dans le cadre d’Europan 6 sur le thème « l’entre-ville, dynamiques architecturales et urbanités nouvelles », l’îlot Sarrail-Fabricants fera d’abord l’objet de différentes études et même de consultations pour des « Villas en Ville ». Sans aboutir. En 2006, Pierre Oudin, directeur de Pierres et Territoires de France Nord, un des promoteurs impliqués, souhaite réaliser un programme de logements privés à proximité du centre-ville. Les négociations avec la Ville, favorable à une opération dans le cadre de son engagement dans la démarche Europan, aboutissent au choix de l’équipe Bathilde Millet Architectes, déjà sélectionnée par Europan. L’ouverture d’une voie redivisant l’îlot, idée présente dans le projet Europan, est retenue. Bathilde Millet – associée dans un premier temps à Julien Rousseau – va faire évoluer le concept d’origine en proposant une multiplication des typologies d’habitat, afin de « favoriser la diversité, multiplier les entrées pour faciliter la sociabilité de proximité » qui se trouve intensifiée par la création d’une cour commune en cœur d’îlot. Ces villas urbaines fragmentées s’élèvent sur quatre niveaux composés de blocs de logements aux volumétries diverses et colorées. Quant aux espaces extérieurs, ils ont été traités avec soin : balcons, passerelles, petites terrasses sont conçus pour susciter rencontres et liens entre habitants. Pari gagné, autant en termes de convivialité que d’esthétique pour une opération de 78 logements au total, livrés fin 2010, qui s’intègre sans heurt dans le tissu roubaisien traditionnel. (d’après L’éloge de l’entre-deux : les Villas Sarail à Roubaix, Olivier Namias, éditions Europan Implementations, n° 27)

HORS -SÉ RI E n o  6 0

47


ABSTRACT

“The times they are a-changin’”1 For several sessions now, the main aim of the Europan competition has no longer been to build homes or even develop new turnkey districts. The competition now provides an opportunity for young professionals and local authorities to work together in a different way and for new partners in the public and private sectors to be involved, as Isabelle Moulin, the Secretary General of Europan France, explains. he issues expressed by the sites that are proposed for the Europan competition are becoming increasingly associated with a changing world which demands a shift in urban thinking and ways of doing things. As a result, the issues that were raised when the competition was created are still current: calling models into question by creating platforms for discussion between local authorities and their partners, architectural and urban researchers and young professionals, and experimenting by giving them access to orders. The method used by Europan has proved to be highly regarded by cities and local authorities precisely because it makes it possible to get the necessary perspective on questions of urban transformation, and the difficulties too. If carrying out a project in a metropolis is complicated even though regional engineering exists, then it is virtually impossible in smaller communities, medium-sized towns (as they are commonly known, and hence devalued) or small towns, or suburbs which could often be described as “zones”. Europan takes a gamble by asking the young generations this question above all: what is important? What can be done? How can it be done? The advantage in the way the competition is organised lies in the constant presence of Europan, with the possibility of subsidies being granted to studies from the Plan urbanisme construction architecture (PUCA). This body also has

T

links with other programmes such as POPSU (Platform for the Observation of Projects and Urban Strategies), including POPSU Europe. Of course, greater use needs to be made of these links at a time of difficulties in the European construction sector. The local authorities that propose sites form part of an active network of cities, and despite the language difficulties, experiences are shared, discussed and turned to good account, and this is not without benefits. It is not insignificant for young professionals either. Being selected in the competition means having access to the order and jointly implementing this order. It means being helped by the prestige of an iconic event. It means being part of an active association of professionals, elected representatives and potential partners at a European level. Europan as a label brings recognition and makes it possible to develop concepts and carry out experiments which enrich careers. “ALLES IST ARCHITEKTUR” 2 There is often a question about the distinguishing feature of Europan that is the numerous calls for projects which are gradually replacing public calls for tenders. Europan is a call for projects, a project to be developed by teams of young designers who are initially unknown and who, for the most part, would find it very difficult to join groups led by investors. It is a project which is developed in advance in terms of its questions. Operational implementation

is not the starting point; it is all about what to do and how to do it, which is not decided in advance. Then the basis of implementation needs to be discussed. Because Europan supports the selected candidates, they are in a position of strength from a design point of view. They are equal in the task of creating an original process from which they all stand to gain. All this has to be developed and improved upon from one session to the next. In the end, it is also essential to reinvent methods of realising the much-anticipated creations of architects, town planners, landscape architects and members of all associated fields, and also all local authority actors who are seeking solutions, and to restore the concept of experimental implementation and innovation at every stage of the project. After all, the objective is to create a plan in a structured and concrete way. Public spaces are now being created. The big thing that is missing from the competition is housing and experimentation with housing, especially programme hybridisation. We want to bring it back. To do that, we need to find the right institutional actors in the public and private sectors – the best ones, of course! Investors and clients need to re-enter the process, they are welcome. Time is long, but it is socially fruitful. ! Bob Dylan, 1964. @ Hans Hollein, “Everything is Architecture”, the title of a text which was published in issues 1 and 2 of the Austrian magazine BAU (Building) in 1968.


ABSTRACT

Team and city surveys For students who are at the end of their degree course or young agencies which are seeking public procurement contracts and looking to make a name for themselves, the Europan competition is like a rite of initiation. What motivates the candidates? Do they contribute approaches, convictions? What contributions do they make to the renewal of professional practices? Sylvie Groueff, a journalist, tries to answer these questions in an initial survey in which she gathers opinions from many teams that have taken part in the Europan competition in France. hy enter a Europan session? Because it provides a framework for a dissertation topic; it is a tactic for winning public procurement contracts; an attempt to advertise one’s inventiveness and audacity as a designer; an opportunity to get away from daily life as an employee and take stock of one’s desire to go it alone; an attempt to forge professional alliances (and possibly more) through a first project, or, for architects who have already set up their own workshop, to find a draught of air. Whether people enter on their own or in a group, the reasons why they embark upon the Europan adventure are varied. Through their choice of site, the candidates are already revealing their strategy and hence their ambition. Existing familiarity with a city, its potential, its aesthetics, the question that has been asked, a liking for complexity: decisions are guided by an assessment which is necessarily subjective. In situ visits, discussions with local representatives, the feeling of involvement (or non-involvement) of elected representatives, the observation of current processes, and the intuitive feeling that an order will materialise at the end of the competition are regularly mentioned. As well as impulses, there are also some more detached analyses. Some designers who are already established in their career apply for several sessions in order to occasionally give themselves a means of taking an R&D approach towards potential clients who are looking for different proposals. They seek to (re-)implement these experiments

W

by refining them during subsequent private or public consultations. From one session to the next, the Europan ideas competition always gives young architects and town planners an opportunity to look at cities from a completely free perspective. It encourages them to translate what they see and spurs them to experiment with processes and approaches, establish positions, work their way into the interplay between actors and learn from their interactions with clients. What are the reasons why a city, a metropolis or an urban community decides to enter its territory as a site for the Europan competition? What do clients hope to find in the responses that an ordinary consultation would not yield? What happens in situ, once the competition has been judged and the winners have been chosen? In a second survey, Sylvie Groueff speaks to elected representatives and officials in charge of cities which have proposed sites to Europan. Regardless of the theme of the competition, Europan sessions present a fairly full range of contemporary urban contexts: property pressure which is difficult to control, town planning which is like an excessively baggy item of clothing in a city with a falling demographic curve, areas of waste or neglected land in the centre which need to be reinvested in, districts where successive and isolated interventions have taken away the overall consistency, vast commercial areas allotted to the automotive sector which used to border the countryside

that they have encroached upon and which need to be joined up, mid-sized cities that have lost their relationship with the region due to uncoordinated expansions, and so on. Sometimes, the sites form part of a large-scale urban project; others, however, raise a question because of their lack of attachment to a backbone. The proposed areas form part of an area of space-time which is far from an emergency in development terms, which allows for experiments with temporary occupation of places, activities which encourage adherence to conventions, and practices which can eventually drive the programme along. Time spent on Europan is a kind of activity break which provides an opportunity to think urban transformation through. Several completed or ongoing projects associated with different sessions of the Europan competition are then presented in the form of summary sheets: the heart of the village of Fosses (E12), Villas Sarrail in Roubaix ((E6), Haut-Montreuil ((E13), the small town of Selb in Germany (E9), the northern districts of Marseilles (E12), a district of Saint-Herblain (E12), a Roman aqueduct in Barcelona (E12) and the centre of Saint-Brieuc (E12). In his contribution “Europan, space and politics” which brings this section to a close, Jean-Louis Violeau, a sociologist who has written a reference book about the 20 years of the Europan competition, takes a look at its political significance. He reminds that its creation coincided with the fall of the Berlin Wall.


ENQUÊTE ET DÉMONSTRATIONS Dispositifs et processus de projet

ANALYSES A VENIR ET POINTS DE VUE

NOUVEAUX ENJEUX, NOUVELLES PERSPECTIVES

50

HORS -SÉ RI E n o  6 0


L’émergence du travail collaboratif Bernard Roth est président d’honneur d’AMO (Architecture et maîtrise d’ouvrage). projet ». Ce qui n’empêche pas d’avoir un patron, ENTRETIEN un capitaine du navire qui donne le cap, bien entendu, mais qui fait travailler autrement. Le point de départ n’est plus : « je sais tout » et « refaites ce qui a bien marché ». Il y a donc à la fois de nouveaux outils et une nouvelle commande différente du côté des maîtrises d’ouvrage. L’enjeu n’est-il pas de forger une nouvelle culture professionnelle ? B. R. : Tout à fait. Il ne s’agit plus seulement d’intégrer dans les pratiques le droit, la finance, le commerce, l’environnement… D’ailleurs, la question de l’environnement devrait être transverse, car elle touche à l’anthropologie, aux sciences humaines et sociales. L’idée actuelle de mettre l’usage avant la propriété en est une illustration concrète. Ou, dit autrement, les flux avant les stocks. Le métabolisme de la ville plutôt que sa morphologie. Je suis un farouche partisan de ces nouvelles perspectives mais je ne suis pas sûr qu’elles se traduisent déjà suffisamment dans le processus de fabrication de la ville. Car raisonner à partir de ces éléments – comment ça va fonctionner, input/output, qui veut-on accueillir ? – n’est pas encore dans les mœurs. Mais les lignes culturelles bougent, et c’est fondamental car c’est par là que ça commence. Dans le cadre des associations régionales Architecture et maîtrise d’ouvrage (AMO), à Strasbourg ou Toulouse par exemple, je me souviens d’avoir visité des ZAC en devenir et où l’aménageur imposait aux promoteurs des listes de jeunes architectes – souvent des NAJA 3 , totalement inconnus – en leur disant : « Vous en prenez un dans le lot ». Sous entendu : « Pas un des vôtres ». Les opérateurs ont besoin de terrains, ils ont essayé. Et ils ont découvert que, finalement, la théorie TF1 – je fais ce que mon public demande, et comme le public veut du traditionnel, je fais du traditionnel – n’était pas vraie. Quand on fait de l’architecture de qualité, ça marche, quand on fait de l’architecture médiocre, ça ne marche pas. Évidemment, il faut cadrer la conception avec l’usage, le fonctionnement. Mais il n’y a pas de raison de brider la créativité. Et les promoteurs ont découvert qu’ils     ©DR

Comment percevez-vous les évolutions de la maîtrise d’ouvrage, notamment les relations entre secteurs public et privé ? Bernard ROTH : Je crois que l’époque où les acteurs privés disaient qu’ils n’étaient pas responsables du devenir de la ville, qu’ils se contentaient de respecter le POS ou le PLU, est révolue. Nous sommes un certain nombre à avoir montré qu’avec une réglementation donnée, la maîtrise d’ouvrage privée avait elle aussi une forte responsabilité dans la fabrique urbaine. Il me paraît donc clair que l’on va de plus en plus vers une coproduction public/privé du développement de la ville. À la puissance publique de fixer le cap et de grandes règles, et au secteur privé d’apporter le financement et l’agilité nécessaire par rapport au marché. Or ce n’est pas évident parce que les cultures professionnelles n’y sont pas préparées. Bien que les acteurs eux-mêmes disent le contraire, ils sont encore dans des cultures de méfiance, dans des relations de bloc à bloc, avec des logiciels très différents, etc. Mais les choses bougent, indiscutablement. La Fondation Palladio1 a commandé il y a un an à EY (ex Ernst & Young) une étude sur les métiers de l’immobilier, qui confirme que ces métiers sont partie intégrante d’une chaîne. Il est donc important de faire prendre conscience aux jeunes qui débutent qu’ils ne vont pas être promoteur, bailleur social, expert foncier ou gestionnaire immobilier toute leur vie, mais qu’ils vont probablement se balader d’un métier à l’autre, les polliniser et s’enrichir culturellement. Beaucoup de professionnels s’imaginent encore au centre du système de fabrication de la ville. Par exemple, le notaire décrira l’ensemble du dispositif à partir et autour de droit et de son rôle. Mais c’est vrai pour tous : les architectes, les promoteurs, les aménageurs, les financiers… Or les nouveaux outils comme le BIM 2 obligent à travailler en équipe projet, comme pour un prototype automobile. C’est une première évolution notable. Deuxième évolution, les nouveaux modes de consultation comme les appels à manifestation d’intérêt (AMI) du type « Réinventer Paris » vont dans le même sens. Et on voit se développer une génération de promoteurs, dont les majors et quelques jeunes pousses très intéressantes, qui sont dans la « logique

HORS -SÉ RI E n o  6 0

51


ANALYSES ET POINTS DE VUE Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives

pouvaient vendre des constructions originales. La numéro un, c’est la porosité. À la question « qu’est-ce qui découverte d’un marché différent a eu lieu il y a une vingtaine a marché ? », l’exemple qui revient souvent est celui de La d’années et a fait tache d’huile. Elle a changé les mentalités. Duchère à Lyon. Quand on échange avec les responsables Nous assistons aujourd’hui à la même prise de conscience du projet, beaucoup de facteurs ont joué un rôle. L’un est à l’échelle du quartier, peut-être de l’îlot, sous le choc de d’avoir interrogé les gens qui connaissaient le quartier, nouveaux modes de consultation. notamment les personnes plus âgées qui l’avaient connu Pour l’instant, nous sommes au milieu du gué. Nous avons avant, pour en tirer des leçons sur les cheminements, les quitté l’ancienne rive. Mais nous n’avons pas accosté de flux. Un autre facteur est d’y apporter une grande qualité de l’autre côté parce que la réponse à ces réalisation : les matériaux de bordure de consultations, c’est encore un peu le trottoir à La Duchère sont les mêmes catalogue de La Redoute ou des Trois qu’au centre-ville de Lyon. Ensuite, quand Se donner comme Suisses. C’est-à-dire qu’on y met à peu le quartier a changé, l’idée a été d’y faire objectif de vouloir près tout ce qui est à la mode : start-up, venir des gens habitant ailleurs. Comme rendre les habitants co-working, agriculture urbaine, végétation les quartiers difficiles sont victimes heureux exubérante, construction bois… Mais d’images négatives très fortes, quand c’est une étape, c’est normal. L’autre rive, ils commencent à bouger réellement, c’est d’avoir un parti d’urbanisme clair c’est très important d’y proposer des avec une ambition déterminée. Se donner comme objectif manifestations sportives, culturelles qui attirent des gens de vouloir rendre les habitants heureux. Nous sommes là d’ailleurs qui découvrent, se disent que ce n’est pas si mal sur un registre que les architectes et les urbanistes peuvent et vont contribuer à améliorer l’image. Mais la question comprendre, pour peu qu’ils sachent travailler dans une essentielle pour ces quartiers est : « Comment y remettre équipe de projet, avec des sociologues, des géographes, etc. du travail ? ». Dans cette perspective, comme voyez-vous l’intervention urbaine dans les quartiers dits sensibles ? B. R. : D’abord, il existe maintenant une agence de coinvestissement entre l’ANRU4 et la Caisse des Dépôts qui a pour mission d’initier des opérations structurantes avec des partenaires privés. Sachant que là où des privés sont d’accord pour investir, un cercle vertueux peut s’enclencher. L’investissement doit être au maximum de 49 % ANRU/ Caisse des Dépôts et au minimum de 51 % privé. Quelques opérations sont en cours. C’est assez emblématique. On constate bien évidemment une diversité considérable de situations. Dans des sites très éloignés d’un marché tendu, dans une petite ville qui périclite avec des quartiers très difficiles, une démarche que j’ai vu appliquer avec succès, mais qui n’est pas forcément transposable partout, c’est un « zoom arrière » pour voir ce qu’il y a autour. Et, à quinze kilomètres, on peut trouver quelque chose. Le changement d’échelle est une idée très intéressante, assez familière à l’architecte mais qui n’est pas encore beaucoup pratiquée par la programmation urbaine. Quand on est proche de zones à marché tendu, le sujet

BERNARD ROTH, expert en projets urbains, président fondateur de Périclès développement, a participé au jury d’Europan 13 en 2015. Membre du comité exécutif de la Fondation Palladio et du comité de programmation de l’Institut Palladio, il enseigne à l’École nationale supérieure d’architecture Paris Val-de-Seine et à l’université Paris XNanterre. Comme maître d’ouvrage, il a exercé les fonctions de directeur général ou de président de filiales de promotion de grands groupes immobiliers : Foncière des Champs Élysées Promotion, Cogedim-Paris, George V Promotion, Promaffine. Il a co-fondé en 2006, avec la Cité de l’architecture et du patrimoine, le Cycle Architecture et maîtrise d’ouvrage (CAMO). Il est président d’honneur de l’association AMO (Architecture et maîtrise d’ouvrage).

52

HORS -SÉ RI E n o  6 0

Les relations entre le monde HLM et le secteur privé ont-elles aussi évolué ? B. R. : C’était deux mondes différents. Maintenant, une part non négligeable du logement social est réalisée en maîtrise d’ouvrage déléguée ou en vente en état futur d’achèvement (VEFA) par le secteur privé. C’est une tendance lourde. Je me souviens d’une époque où l’architecture semblait réservée au monde HLM et souvent ignorée du secteur privé. Nous n’en sommes plus là. Sur le plan de la qualité architecturale, des matériaux, des prestations, les deux secteurs sont tout à fait comparables. Comment pensez-vous que le concours Europan peut contribuer aux évolutions actuelles de la maîtrise d’ouvrage ? B. R. : Je rêve de la fin du travail séquentiel, de l’ambition et de la programmation urbaines jusqu’au chantier inclus. J’observe l’émergence dans nos pratiques du travail collaboratif où chacun apprend de l’autre. Dans les futures sessions du concours Europan, il faut peut-être pousser le curseur dans ce sens, réfléchir aux processus futurs de coproduction public-privé, aux évolutions de la maîtrise d’ouvrage. Il faut parvenir à questionner le politique pour le faire exprimer une volonté, une vision de l’avenir et une ambition pour le développement des quartiers. Propos recueillis par Antoine Loubière ! La fondation Palladio, dont Bernard Roth est un des administrateurs, réunit des sociétés immobilières et financières et des acteurs intéressés par une réflexion sur leurs pratiques professionnelles de construction de la ville. Elle soutient notamment la recherche et se préoccupe de la formation des jeunes professionnels. http://fondationpalladio.fr @ Building Information Modeling : en français, modélisation des informations de construction. # Nouveaux albums de la jeune architecture. $ Agence nationale pour la rénovation urbaine.


©Jean-Dominique Billaud/Nautilus-Samoa

Parcours Green Island. Ecosphère, Quai Hoche, Ile de Nantes

Une mutation profonde de l’aménagement Une analyse des nouveaux métiers de l’aménagement et des évolutions du projet urbain à la française. D’un point de vue d’aménageur, on assiste à une transformation sensible de nos métiers, liée à une évolution très significative de l’économie, au sens large, des projets urbains, de leurs modes de réalisation et de leur gouvernance. Ce n’est ni une évolution ni une révolution mais un processus de mutation profonde dont on a pu observer l’accélération ces deux dernières années. Cela est en partie lié au contexte économique et sociétal qui, un peu partout en France et en Europe, remet en question une certaine vision du projet urbain tel qu’il a pu être pratiqué depuis le début des années 1990, qui renvoie à l’idéal du maire aménageur, porteur d’une vision, et de sa rencontre avec un « grand » concepteur, qui va donner forme à cette vision et proposer un « récit » permettant d’emporter l’adhésion du plus grand nombre. Non pas que ce modèle soit critiquable, mais force est de constater qu’il se heurte aujourd’hui à plusieurs problématiques : celle de son économie d’abord, puis celle de son acceptabilité. Par ailleurs, le désengagement de l’État dans le financement des collectivités locales (2013-2014) et la crise des finances publiques ont mis à mal une certaine vision linéaire des investissements. Le premier réflexe des collectivités est alors d’étaler dans le temps les investissements. Le temps long de l’aménagement ne cesse de s’allonger, suscitant

l’invention de nouvelles stratégies d’attente ou amenant à remettre en Par Alain Bertrand cause des objectifs trop ambitieux, ou (Samoa - Nantes) encore obligeant les décideurs à mieux définir leurs priorités. D’où l’émergence de tous ces tiers acteurs qui nous invitent à expérimenter d’autres modes de faire la ville, mais aussi de la « vivre ». Ces nouveaux acteurs nous interpellent également sur le caractère générique de la ville qu’on a pu produire, lié précisément à la standardisation des modes de fabrication : uniformisation des consultations, choix des mêmes architectes, effets de mode qui produisent les mêmes espaces en perte d’identité. Ce constat devient commun, de la bouche même de ceux qui produisent la ville.

LA « MISE EN USAGE » DE LA VILLE Peut-être qu’une des conséquences les plus évidentes de ces nouvelles façons de penser et de fabriquer la ville est, pour l’aménageur, qu’elles remettent en cause le séquençage classique des phases de programmation/conception/réalisation/gestion. La question du temps, ou plutôt des temps, se trouve ici réinterrogée, avec l’idée qu’un aménagement    puisse être éphémère, provisoire, transitoire, etc.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

53


ANALYSES ET POINTS DE VUE Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives

C’est l’objet même de la mission de l’aménageur qui a toujours été alimenté par des réflexions des pères fondateurs évolue, puisque d’une posture de fabricant de la ville, on lui du projet urbain. Cette génération, dont le palmarès des demande déjà, et on lui demandera sans doute de plus en plus, Grands Prix de l’urbanisme est le reflet, n’a pas attendu les d’en être également l’animateur, de s’occuper de la « mise en évolutions pour les assimiler voire les anticiper. La notion usage » de la ville. Ces nouveaux métiers relèvent à la fois même de projet-processus a été très vite adoptée. S’il existe du développement économique, du développement culturel une différence, elle est plutôt générationnelle, trouvant sa et de la médiation sociale. Ces missions sont évidemment traduction dans l’idée de faire plutôt que de dire. L’urbanisme pleines d’embûches. La première des préoccupations sera tactique (par opposition à la stratégie du projet urbain ?) pour l’aménageur de rester positionné dans une logique est l’invention de la nouvelle génération. d’amorçage et de veiller en permanence à ce que les projets soutenus, encouragés et accompagnés le soient dans une UN POINT CRITIQUE logique d’auto-portage. Par ailleurs, il est important de ne pas perdre de vue que ces Et, là encore, le Palmarès des jeunes urbanistes, qui a l’énorme évolutions, qui sont à l’œuvre à un stade encore embryonnaire mérite de faire émerger les nouveaux talents, est le reflet et le plus souvent de manière expérimentale, constituent des changements d’attitude d’une génération née avec la une mutation mais pas une alternative. crise et qui n’aura pas eu d’autre choix que de s’inventer C’est d’ailleurs le rôle même (et sans doute la survie) des de nouveaux métiers, en phase avec une demande qui aménageurs que de concilier l’approche long terme classique1 émerge, tant en termes de conception que de médiation, et ces nouvelles démarches « courtermistes » qui permettent et qui s’intéresse de ce fait à tous les territoires, y compris de gérer l’attente, d’installer des usages, de ré-enchanter un les territoires oubliés. site et, de ce fait, de lui redonner une valeur. C’est donc bien Mais nous sommes arrivés à un point critique qui met en dans le mélange des échelles de temps que se situe l’agilité. évidence les contradictions actuelles. D’un côté, on observe Mais si cette agilité se justifie d’abord par l’impérieuse l’émergence de ces nouvelles demandes et de ces nouveaux nécessité économique, par l’injonction de faire plus avec métiers, de ces collectifs qui sont à mi-chemin entre militantisme moins, elle correspond aussi à une évolution de la demande et professionnalisation, partagés entre une vision critique sociétale qui renvoie à un contexte politique beaucoup plus et un pragmatisme tactique. On constate, avec l’apparition général. À la planification des besoins des très récente de la question des usages, Trente Glorieuses 2 – mais aussi face aux qu’ils deviennent les partenaires obligés limites évidentes d’une concertation qui de toutes les consultations immobilières, L’injonction se borne le plus souvent à informer les notamment à l’occasion des mille et un participative riverains – succède une nouvelle ère où les AMI de type « Réinventer Paris ». est incontournable citoyens souhaitent mettre en avant leur De l’autre, dans un contexte de raréfacet nécessaire maîtrise d’usage et, pour certains d’entre tion de l’argent public, les décideurs se eux, peser sur le devenir de leur cadre de tournent de plus en plus vers le privé, vie et être acteur (et non spectateur) de notamment en lançant des consultations son évolution. Le niveau local étant sans doute aujourd’hui sur des lots de plus en plus gigantesques 4 . Pas sûr que ces le dernier qui peut donner de la visibilité et de la noblesse à méga-architectures concédées au privé soient une réponse l’action politique, cette tendance se transforme en injonction pertinente pour produire une ville durable, une ville aimable, politique. L’injonction participative fait parfois sourire mais une ville adaptable et mutable ! Mais surtout, la taille de ces elle est, de mon point de vue, incontournable et nécessaire. opérations renvoie à la question de l’équilibre nécessaire à Face à la ville générique dont le dernier avatar s’appelle sans trouver entre prérogative publique, porteuse d’une vision doute la smart city, l’installation de « têtes de réseaux » 3 et de valeurs, et initiative privée, qui est bien sûr nécessaire est autant de chances d’instiller de l’animation et de la vie et incontournable mais qui n’a de valeur ajoutée que si elle urbaine, et de donner ainsi une identité aux opérations est efficacement et justement encadrée. immobilières et faire quartier. Une manière de privilégier Difficile, pour cette nouvelle génération de professionnels les réseaux humains, le numérique fera le reste ! Cette formés la plupart du temps à l’école d’Europan, de trouver leur épaisseur programmatique est sans doute le meilleur antidote place dans ce contexte paradoxal sans perdre les convictions au risque de la ville générique, celle faite de l’addition de qui font leur plus-value. Alain Bertrand programmes immobiliers. Elle est aussi la condition d’une ! Comme la mise en œuvre d’une vision, qui concerne par exemple ville plus incluante. Ces nouvelles approchent interpellent fortement l’aménageur, des projets structurants tels qu’un projet de tramway dont on sait mais également le travail des concepteurs et leur périmètre qu’il faut dix ans pour le réaliser. @ On se souvient par exemple des grilles d’équipements de la Société d’action. De ce point de vue, Europan a été et reste un centrale d’équipement du territoire (SCET), filiale de la Caisse des formidable laboratoire de ces mutations dans les modes dépôts, de l’époque. de faire et les modes de concevoir. Il s’agit d’abord d’une # Ici un collectif d’entreprises constitué en association de maîtrise plateforme de réflexion, qui a très tôt dépassé la seule d’usages tertiaire, là une association d’habitat participatif qui vient question architecturale pour s’intéresser aux mutations animer un programme plus vaste, ou encore un acteur privé qui gère urbaines avec l’introduction de la fameuse échelle urbano- horizontalement un ensemble de cellules commerciales, etc. $ On est passé en moins de deux ans du macro-lot de 10/20 000 m2 architecturale inventée par Bernard Reichen, très présent au lot XXL de plus de 70 000 m2 ! dans le dispositif Europan. Par ailleurs, nous l’avons vu, il ne s’agit pas d’opposer deux visions puisque ce fabuleux laboratoire d’idées qu’est Europan

54

HORS -SÉ RI E n o  6 0


©TVK

« Réinventer Paris » Site Triangle Éole Évangile - projet T VK (Trévelo & Viger-Kohler)

Changement de rôles entre acteurs publics et privés Un regard sur les nouveaux enjeux de l’aménagement et la recomposition des rôles entre collectivités publiques et opérateurs privés. Accompagnant collectivités et opérateurs privés dans la mise en œuvre des projets d’aménagement urbain, nous tentons d’appréhender l’évolution des besoins et des attentes de la maîtrise d’ouvrage. De nouveaux outils apparaissent qui disent beaucoup des modes de faire la ville : montages juridiques et financiers, gestion du foncier, temporalités, appels à projets, etc.

NOUVELLES FORMES DE CONSULTATION Dans le cadre d’une cession foncière, une collectivité peut vendre un terrain ou des droits à construire de gré à gré. Elle peut aussi lancer un appel à projets formalisé. C’est ce qui caractérise « Réinventer Paris », « Réinventer la Seine » ou « Inventons la métropole du grand Paris », consultations que nous accompagnons ou avons accompagnées avec Algoe (mandataire), Ernst & Young et TRIBU (expertise environnementale). Ces démarches créent des dynamiques et repositionnent les collectivités au cœur de la définition des projets immobiliers, des processus opérationnels tout

en questionnant les aménageurs sur Par Guillaume l’inventivité de leurs procédures. À la fin des années 1990, les consultations Hébert (Une Fabrique promoteurs/architectes cherchaient à de la Ville) dépasser l’approche financière par l’ajout de critères sur la qualité architecturale et urbaine. Depuis une quinzaine d’années, les exigences environnementales se sont imposées produisant une plus grande qualité d’ensemble. Tout récemment, l’innovation est apparue comme une ambition nouvelle. Elle permet de mobiliser de nouveaux acteurs autour du traditionnel trio promoteurs/architectes/bureaux d’études développement durable. Si l’innovation ouvre de nouvelles perspectives, elle n’est possible que sur des territoires où le marché immobilier est porteur. Quatre cent vingt candidatures pour « Inventons la métropole du Grand Paris » ; davantage encore pour « Réinventer Paris ». Pour accompagner de nombreuses consultations d’opérateurs, nous savons combien il est déjà difficile d’exiger l’excellence sur les critères architecturaux et environnementaux sur des territoires moins attractifs    comme à Liévin ou à Lens.

HORS -SÉ RI E n o  6 0

55


©Michel Desvigne Paysagistes

ANALYSES ET POINTS DE VUE Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives

Euralens : espaces publics (plan directeur Desvigne-Por tzamparc)

Les moyens étant plus limités, nous privilégions la structuration de stratégies territoriales se fondant sur une bonne compréhension des temporalités. Ainsi, à l’arrivée du Louvre Lens, les territoires s’interrogeaient sur l’apport local de ce projet. L’association Euralens est née, à l’image des dernières IBA allemandes. Il s’agit d’accompagner les porteurs de projet en matière d’ingénierie et de labellisation de projets pour les faire monter en gamme, communiquer sur l’excellence de leur proposition. Peu répandu en France, c’est un mode de faire pertinent sur des territoires complexes. Les consultations d’opérateurs ne doivent toutefois pas conduire la puissance publique à abandonner certaines de ses prérogatives. À Marseille, l’attribution du macrolot XXL à un acteur privé (près de 200 000 m2 SDP) pose question alors qu’il existe un établissement public d’aménagement puissant, Euroméditerranée.

NOUVEAUX MODES D’INTERVENTION À Boulogne-Billancourt, après la vente de son foncier par Renault à un groupement de promoteurs, un système de participation-constructeurs a été imaginé pour permettre la sortie de l’opération sans remettre en cause le montage. Les promoteurs avaient acquis un nombre de mètres carrés en ignorant où ils se situaient. La définition du projet, la trame urbaine, les orientations, les enjeux ont été le fait de la collectivité ; quant aux promoteurs, ils ont versé une participation destinée à la réalisation d’équipements publics. Ce montage singulier délimitait le rôle de chacun et conservait à la collectivité la coordination générale. À Bordeaux, nous accompagnons depuis sa création La Fab (Société publique locale de la Métropole) dans la mise en œuvre de l’opération 50 000 logements. Sur le site commercial Mérignac Soleil (OMA, architecte coordinateur), la mutation va s’opérer sur un temps long. Engager une maîtrise foncière complète n’aurait pas de sens. La Fab a identifié les terrains stratégiques à acquérir. Le montage proposé prend en considération le rythme de mutation des grandes enseignes, leur contribution au financement des équipements (à travers la mise en place d’une taxe d’aménagement majorée). Des consultations-promoteurs sont organisées conjointement avec les propriétaires de

56

HORS -SÉ RI E n o  6 0

fonciers privés (projet avec Castorama, 30 000 m2). Des nouveaux montages naissent de ces dynamiques de projet. La gestion des temporalités est un thème majeur pour constituer la ville contemporaine. Sur l’Ile de Nantes, en initiant une démarche programmatique s’étalant sur plusieurs années, la SAMOA s’est montrée un précurseur. Il s’agit d’aménagements souvent liés à une gestion du transitoire et permettant l’association des habitants. Ils sont parfois devenus une solution de facilité, une création esthétique. À Lens, avec Michel Desvigne, au démarrage du projet d’aménagement autour du Louvre, nous avons conçu un réseau d’espaces publics et engagé la première phase d’un schéma à grande échelle. L’image du territoire a ainsi commencé à se modifier, impulsant une action progressive qui prend en compte le temps long de l’aménagement. Dans l’espace public, il faut du sur-mesure, être force de proposition, agir rapidement sans entrer dans des procédures longues et complexes. À Paris, la transformation de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul avec, d’une part, une action sociale portée par l’association Aurore et, d’autre part, une dynamique créative portée par Plateau Urbain et YesWeCamp, additionnent dans un même lieu des usages qui autrement n’auraient jamais cohabité. Dans la relation acteurs publics/acteurs privés, nous avons souvent un rôle de facilitateur et de médiateur. Des opérateurs privés comme Immochan, propriétaire d’importantes superficies autour de ses centres commerciaux, nous contactent pour définir des projets plus urbains en lien avec les collectivités. Parfois, les collectivités sont à l’initiative pour susciter des dynamiques de projet sur du foncier appartenant à des privés. Même si sa mise en œuvre tarde à s’engager, une culture urbaine naît chez les grands opérateurs privés propriétaires fonciers.

NOUVEAUX SERVICES, NOUVEAUX USAGES Dans ces dynamiques en cours, les opérateurs immobiliers s’adjoignent de nouvelles compétences. Aux côtés d’architectes, d’urbanistes, de bureaux d’études apparaissent des partenaires futurs gestionnaires de lieux en mutation. Cela pose la question du temps long de la ville, de ses services et de sa gestion. Les opérateurs privés de services urbains ont construit des modèles économiques adaptés et inventifs. Avec le développement des mobilités, des conciergeries, d’applications spécifiques, il y a une réflexion prospective à mener. Le dynamisme des marchés immobiliers détermine souvent la viabilité de ces services. Ces diverses expériences nous confortent dans l’idée que le processus de fabrication de la ville est en constante évolution. Opposer les procédures réglementaires comme les ZAC, les PUP aux processus plus légers et informels tel que les appels à projets ou à l’urbanisme transitoire n’a pas de sens ! L’un et l’autre sont complémentaires et doivent être mobilisés conjointement. Une fois le projet urbain achevé, le processus qui aura permis sa mise en œuvre aura été oublié. Toutefois, la manière de produire la ville aura marqué sa qualité. Plus que jamais, la manière de produire le projet urbain est partie intégrante de ce projet. À ce titre, la maîtrise d’ouvrage urbaine doit, elle aussi, être en mesure d’innover, d’apporter un savoir-faire technique tout en mobilisant une capacité créative pour s’adapter à la singularité de chaque site. Guillaume Hébert


Vers une biopolitique des villes Une synthèse de la pensée contemporaine des villes productives et une analyse critique des effets du déploiement d’un capitalisme cognitif dans les espaces urbains. La notion de ville productive émerge avec le développement du capitalisme industriel. Ainsi le modèle productif imposet-il sa logique aux villes, qui sont pensées comme autant de réceptacles passifs « d’accueil anonyme des activités économiques »1. Les villes se doivent de fournir aux entreprises des ressources génériques comme des infrastructures de transports, un foncier peu onéreux, une main-d’œuvre abordable, ou des espaces sectorisés et monofonctionnels. La ville reste encore à cette époque largement absente de la pensée économique, du moins marginalisée et éclipsée par l’intérêt porté au cadre national et régional de l’économie.

utilisateurs sont invités à agir sur la fabrique des villes ellePar Raphaël Besson, même et à participer au test, à chercheur (Villes Innovations, l’évaluation et à la coproduction Madrid-Grenoble) des innovations, des services et des données urbaines. C’est l’une des intentions du projet Fab City à Barcelone, dont l’objectif est que les Barcelonais produisent par eux-mêmes « de l’énergie, des aliments, des biens et des connaissances, dans des quartiers autosuffisants », selon Tomás Diez, directeur du fab lab de Barcelone. Ce projet porté par le fab lab, la IAAC 4 et la ville de Barcelone, prévoit la création d’une quinzaine POUR UNE INTELLIGENCE COLLECTIVE de micro-usines de proximité, autogérées par des collectifs d’habitants. D’autres dispositifs comme le kit Smart Citizen de Il faut attendre l’avènement d’une économie dite de la Barcelone ou les projets Airwaves et Noisetube de Shanghai connaissance pour voir les économistes se pencher de plus visent à doter chaque citoyen de capteurs afin que ceux-ci près sur les questions urbaines. Dans cette nouvelle économie, mesurent en temps réel une série de données : pollution, la connaissance tend à remplacer les ressources naturelles et humidité, température, trafic, luminosité, ondes. À travers le travail physique comme outils du développement. Mais la ces expérimentations, le citoyen devient lui-même capteur connaissance qui crée de la valeur n’est pas la connaissance de son environnement, il joue un rôle proactif. codifiée ou informatisable, mais celle qui est vivante, tacite Les lieux culturels et de savoir n’échappent pas à cette et « en train de se faire ». Dans ces dynamique. Historiquement pensés conditions, les modes de production comme des espaces « de retraite et des changent. Il ne s’agit plus de produire ce abris protecteurs »5 , ils sont appelés à Le citoyen devient que l’on sait faire mais bien d’organiser s’ouvrir et à agir sur la ville. Ainsi les lui-même capteur les conditions d’épanouissement de bibliothèques, les musées, les théâtres, de son environnement l’intelligence collective. Ces mutations les universités et les centres de culture ont notamment pour effet d’accroître scientifique se transforment-ils en l’importance des externalités et de sortir Troisième lieu 6 . Ces tiers-lieux intègrent la production des entreprises. Le capitalisme cognitif a un progressivement des fonctions de loisir, de divertissement, besoin fondamental « de multiplier les points de contact avec de service public ou d’entrepreneuriat. Ils deviennent la société, avec l’activité vivante »2 . des espaces relationnels ouverts, en mesure de stimuler Le territoire métropolitain, avec ses sites de production et les rencontres informelles entre une diversité d’acteurs de recherche, sa densité, ses aménités, sa diversité sociale et (artistes, scientifiques, habitants), pour in fine valoriser les fonctionnelle, devient un lieu central de la production. Ainsi connaissances alors produites. l’ensemble des ressources matérielles et immatérielles des Les infrastructures elles-mêmes sont rendues productives. Les villes est-il activé. Les collectivités aménagent des quartiers- smart grids, les mobiliers urbains intelligents, les stratégies laboratoires dédiés à la production et à l’expérimentation de chronotopie, de réversibilité des infrastructures ou de d’innovations en grandeur réelle : quartiers de la création et gestion temporaire des espaces vacants participent d’une de l’innovation, districts technologiques, Systèmes Urbains même politique d’optimisation et d’activation de l’ensemble Cognitifs 3 . Progressivement, la production se diffuse dans des ressources des villes. Évoquons l’expérience des Grands l’ensemble de la société urbaine. Les co-working spaces, Voisins à Paris, qui incarne actuellement les possibilités les hackers spaces, les fab labs, les city labs et autres living offertes par l’urbanisme temporaire. Dans l’attente de la labs (laboratoires vivants) ont pour effet de rendre le social reconversion de l’hôpital de Saint-Vincent-de-Paul en un futur productif. Les habitants, les touristes, les entrepreneurs, les écoquartier, les associations Aurore, Yes We Camp et

HORS -SÉ RI E n o  6 0

57


©Luc Legay

ANALYSES ET POINTS DE VUE Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives

Site des Grands Voisins à Paris

Plateau Urbain se sont regroupées pour assurer l’animation et la gestion temporaire de cet espace. Désormais, le site est occupé par 600 personnes en réinsertion (250 foyers de travailleurs migrants et 350 hébergements d’urgence opérés par Aurore) et 180 structures (associations, artistes, artisans et entrepreneurs sociaux). Ce qui ne représente pas moins d’un millier de travailleurs quotidiens sur le site !

OPTIMISATION VERSUS SATURATION Cette dynamique va jusqu’à concerner la nature en ville. Les projets de « paysage productif » ou de « biodiversité positive » valorisent les ressources naturelles des villes dans une perspective d’autosuffisance alimentaire et énergétique. C’est le cas par exemple du Valldaura Self Sufficient Labs, situé à Barcelone dans le parc Collserola. Ce centre vert de 130 ha bénéficie d’un patrimoine naturel préservé, avec une faune et une flore remarquables. Valldaura a été acquis par la IAAC en 2010, avec pour objectif de s’appuyer sur ce potentiel naturel pour coproduire des prototypes liés à la ville autosuffisante. Son action se structure autour de trois labs : l’Energy Lab (production d’énergie), le Green Fab Lab (production de biens) et le Food Lab (production de nourriture). Soutenu par les ministères espagnols, l’Université polytechnique de Catalogne et le Massachusetts Institut of Technology (MIT), Valldaura développe actuellement une série de prototypes (bio batteries, micro bio architectures, panneaux bio photovoltaïques, fours solaires, ruches connectées, etc.) qui auront vocation à être testés au cœur de Barcelone. Cette courte analyse de la pensée contemporaine des villes productives nous incite à faire l’hypothèse d’une biopolitique des villes 7. La production investit – bien au-delà des institutions économiques – non seulement la morphologie et les infrastructures urbaines mais aussi l’organisation sociale et culturelle, les lieux de savoir, les espaces naturels et vacants. Elle se diffuse dans l’ensemble de la société urbaine, la totalité des acteurs et des spécificités propres à la ville étant rendus productifs 8 . Dans cet urbanisme intégré, les friches, les interstices, les tiers-lieux ou les plateformes numériques collaboratives deviennent les nouveaux lieux de la production. Ces espaces intermédiaires, par essence instables et propices aux frottements, s’affirment comme des espaces d’expérimentation, de création et d’invention

58

HORS -SÉ RI E n o  6 0

des nouveaux modes de vie, de nouvelles formes organisationnelles et manières de faire. Ils ne sont pas sans rappeler les espaces à « épaisseurs biologiques » tels que décrits par Gilles Clément : « Les limites – interfaces, canopées, lisières, orées, bordures – constituent en soi des épaisseurs biologiques. Leur richesse est souvent supérieure à celle des milieux qu’elles séparent » 9 . C’est par conséquent toute la vitalité urbaine qui est mobilisée dans la production10 . Les écueils de la ville productive, en tant qu’elle produit, transforme et valorise le vivant, sont donc potentiellement nombreux. Comment valoriser économiquement des productions issues d’espaces intermédiaires ou de plateformes collaboratives développées sur le mode du libre et du partage ? Ces productions de la multitude semblent irréductibles au statut de marchandises. Elles sont semblables aux biens communs, et l’écueil consisterait en la mise en place de dispositifs de captation et de privatisation de ces ressources cognitives gratuites. Un autre danger réside dans la tendance à sur-stimuler les contacts entre les citadins. Aucun espace vacant, aucune friche ou interstice ne semble résister à ce mouvement de création d’espaces hyper-relationnels. Or ces lieux intermédiaires ne sont-ils pas les derniers abris protecteurs d’une société urbaine en constante accélération ? Ne constituent-ils pas des biens communs à préserver des velléités de les transformer en tiers-lieux ou autres « espaces numériques 3.0 » ? Un dernier écueil repose sur le déploiement de capteurs à grande échelle, permettant la collecte et l’analyse d’une quantité considérable de données produites par les citoyens. Ce fonctionnement, censé optimiser la gestion et le fonctionnement des villes, ne va pas sans induire des questionnements, notamment quant aux menaces faites aux libertés individuelles. On comprend ici la nécessité de réguler les dérives potentielles des villes productives à travers la définition d’une politique urbaine liée à la vie elle-même, qu’elle soit sociale, culturelle, végétale ou propre aux espaces à « épaisseurs biologiques ». L’enjeu réside dans la mobilisation de l’ensemble des forces productives et créatives, au service de l’organisation démocratique et écologique de la Cité, et moins d’une logique productiviste ou techniciste. Raphaël Besson ! B. Pecqueur, « De la ville qui consomme à la ville qui produit. La reterritorialisation des fonctions économiques de l’urbain », Annales de la Recherche Urbaine, n° 101, 2006, pp. 7-14. @ Y.-M. Boutang, Le Capitalisme Cognitif. La Nouvelle Grande Transformation, Éditions Amsterdam, coll. Multitude/Idées, 2008, p. 245. # R. Besson, « Capitalisme cognitif et modèles urbains en mutation. L’hypothèse des Systèmes Urbains Cognitifs », in A. Le Blanc, J.-L. Piermay, S. Daviet, Villes et industries. Lille : Territoire en mouvement, n° 23-24, 2014. $ Institute for Advanced Architecture of Catalonia. % F. Perroux, « Note sur la ville considérée comme pôle de développement et comme foyer du progrès », Tiers-Monde, vol. 8, n° 32, 1967, pp. 1147-1158. ^ R. Oldenburg, The Great Good Place. Cafes, Coffee Shops, Community Centers, Beauty Parlors, General Stores, Bars, Hangouts, and How They Get You Through the Day, New York, Paragon House, 1989 ; A. Jacquet, Bibliothèques troisième lieu, Association des Bibliothécaires de France, coll. Médiathèmes, 2015. & T. Baudouin, « Ville productive et territoire commun », Ville productive et mobilisation des territoires, L’Harmattan, 2006, pp. 13-48. * M. Collin, « De la ville productive post-fordiste », Ville productive et mobilisation des territoires, L’Harmattan, 2006, pp. 201-222. ( G. Clément, Manifeste du Tiers paysage, Sujet/Objet, 2004. ) P. Petrescu, A. Querrien, C. Petcou, « Agir urbain », Multitudes, n° 31, 2008, pp. 11-16.


Un regard européen sur des villes en mouvement Retour sur le programme de recherche POPSU Europe (2009-2015) et l’impact des échanges entre villes et chercheurs. Par leur diversité, les six thèmes choisis par le programme POPSU Europe (cf. encadré p. 60), en étroite collaboration avec les collectivités qui s’y sont associées, permettent de tirer un certain nombre de conclusions sur l’évolution récente des villes européennes face aux mutations actuelles de l’aménagement urbain. Un premier constat peut être fait sur le choix même de ces thèmes. Quatre d’entre eux concernent directement ou indirectement la mobilité et la qualité de vie dans l’espace public urbain. Ils ont permis de brosser un paysage, voire une géographie des territoires urbains qui se transforment en rapprochant les impacts de la grande vitesse, notamment ferroviaire, les enjeux de la lenteur révélés par le rôle accru de la marche et des jardins, et la place des créateurs et de la culture dans l’aménagement urbain. Deux autres programmes se sont penchés sur le thème de la résilience en abordant le risque – mais aussi les opportunités – lié aux inondations et à la lutte contre les îlots de chaleur. S’ils ont été sélectionnés indépendamment les uns des autres, ces choix ne doivent rien au hasard ; ils se situent au cœur des préoccupations des villes européennes. Si certaines de ces villes se sont affirmées plus expertes que d’autres – les villes néerlandaises sur le thème des inondations, par exemple –, le programme dans son ensemble a fait la démonstration qu’une forte acculturation s’est opérée ces dernières décennies en Europe – et sans doute grâce à l’Europe – entre des villes pourtant diverses, que ce soit par leur taille, leurs activités économiques ou leur situation géopolitique.

UNE VILLE ADAPTABLE De façon transversale aux thématiques développées, le programme a révélé des orientations ou des exigences partagées. La plus récurrente touche sans doute à la nécessité de faire évoluer les pratiques de conception et de gouvernance pour faciliter la gestion de la ville par projets, le travail simultané à plusieurs échelles et la mobilisation des acteurs de la société civile et des habitants, le plus souvent au travers de milieux associatifs et de réseaux sociaux ou alternatifs. De cet ensemble polymorphe, qui transforme actuellement les processus de coproduction, émergent de nouveaux modes d’action sollicitant la mise en œuvre d’une conception multi-acteurs transdisciplinaire, une plus grande synergie entre public et privé et une participation citoyenne plus active, imposant par là-même de nouveaux types de

représentation et de négociation des projets. Le programme a Par Jean-Jacques Terrin, aussi permis d’observer que responsable scientifique les villes étaient confrontées de la plateforme POPSU Europe à certaines contradictions, entre nécessité pour elles d’améliorer leur attractivité pour rester compétitives à un niveau national et international, et leurs stratégies de durabilité et de résilience aux vulnérabilités, que celles-ci soient environnementales, sociales ou économiques. Une certaine unanimité se manifeste pour considérer que la ville doit évoluer pour répondre aux nombreuses exigences que lui impose la société contemporaine, que celles-ci aient un caractère exogène tel que l’amélioration de la santé publique, de la sécurité ou de la qualité alimentaire, ou qu’elles soient plus directement liées aux enjeux de l’urbanisme tels que l’accessibilité, la mobilité, la transition énergétique ou la lutte contre les gaz à effet de serre. Cependant, cet ensemble d’objectifs, par sa nature interactive, s’avère particulièrement ambitieux et constitue un défi difficile à relever à court terme dans des villes déjà bâties pour l’essentiel et plus rhizomiques que jamais. Chacun reconnaît aussi l’inertie naturelle du corps social face au changement, les difficultés techniques du renouvellement urbain, les temporalités multiples qui s’affrontent dans les processus de décision, et le poids économique que représente cette mutation à grande échelle. Une telle tâche impose donc une agilité, une adaptabilité programmatique et une certaine audace gestionnaire s’adossant à une volonté politique sans faille à long terme. En conclusion de ces observations, on peut faire l’hypothèse que c’est dans l’espace public que cette évolution est la plus significative et la plus efficace, la plus pédagogique aussi, cet espace étant plus facilement adaptable que le bâti existant, et même que les constructions neuves.

UN ESPACE PUBLIC PLUS MALLÉABLE L’espace public joue donc un rôle majeur dans les politiques qui amènent ces villes à mettre en œuvre des stratégies à la fois résilientes et ambitieuses en termes de qualité de vie. Initialement programmé pour assurer une meilleure efficacité à la mobilité, l’espace public héberge des activités et des services diversifiés, accueille des populations hétérogènes, facilite les appropriations de lieux de vie sensibles à toutes les évolutions. Sa qualité provient autant de ses équipements

HORS -SÉ RI E n o  6 0

59


ANALYSES ET POINTS DE VUE Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives

que de sa capacité à s’adapter à des modes de vie nouveaux, à accueillir des activités diverses, pérennes ou éphémères, physiques ou virtuelles, et à en faciliter les usages. Il représente par nature un ensemble hétéroclite, indéterminé, changeant, mais évolutif et propre à favoriser le « bouger ensemble ». Le piéton, cellule-souche de l’espace public selon Georges Amar1, y est à la fois usager des différents modes de déplacement et dépendant de leur accessibilité. Il est tour à tour flâneur, consommateur, travailleur pressé, voire stressé, touriste, révolté… Jeune ou vieux, sportif ou handicapé, homme, femme ou enfant, il use différemment de l’espace public. Lors d’un séminaire à Vienne en 2010, la capacité de transformation de l’espace public avait été décrite en considérant que celui-ci puisait son identité contextuelle dans le fait d’être un espace par essence politique accueillant des lieux polygames – pour reprendre l’expression d’Ulrich Beck 2 – et devenant progressivement cet espace hypertexte décrit par François Ascher3 . Il constitue un système de relations globales « fondé sur un certain sentiment de solidarité », comme l’écrivait déjà Jane Jacobs en 19614 . Il peut également participer de l’émergence d’une économie cognitive et partagée chère à Jeremy Rifkin5 , facilitée par le développement de réseaux d’information et de communication que Manuel Castells 6 a révélé. Pour prendre en compte cette perspective, il ressort des débats qu’il faut bouleverser les procédures actuelles de conception urbaine en favorisant la réalisation de diagnostics transdisciplinaires fondés sur les données géographiques, paysagères, sociologiques, économiques et écologiques des territoires urbains comme le fait l’Agence d’écologie urbaine de Barcelone dirigée par Salvador Rueda 7. Une telle démarche impose par exemple de savoir comment un aménagement urbain impacte les quartiers qui l’environnent, comment il peut avoir des effets positifs au-delà de ses propres limites. Placer en amont du projet des observations révélatrices de connaissances scientifiques mais aussi de savoirs plus tacites permet d’intégrer et de croiser en amont

les multiples facteurs qui vont transformer ce qu’Alberto Magnaghi 8 intitule une biorégion en lui assurant une plus grande flexibilité dans le temps. Comme l’ont bien compris certains programmes européens tel le concours Europan qui le met en avant depuis plusieurs années, le principe d’adaptabilité constitue donc le maître mot d’une dynamique urbaine tendant vers une meilleure durabilité. Indispensable bien que difficile à obtenir dans la ville existante, cette recherche d’adaptabilité est essentielle pour la conception de l’espace public. Pour la prendre en considération, il est de la responsabilité des décideurs politiques, des maîtres d’ouvrage, de leurs urbanistes, paysagistes et architectes, mais aussi des citadins, de se projeter dans leur futur bien que celui-ci s’avère incertain, mouvant et versatile. Ils doivent pour cela élaborer ensemble une vision collective de cet avenir urbain ; une vision construite à la fois « depuis le haut » et « à partir du bas », qui ne se réalisera sans doute pas comme ils l’ont imaginée mais dont ils pourront pronostiquer la grande évolutivité. Il s’agit certes d’un exercice difficile, qui consiste à se demander ce que deviendra l’espace public dans une trentaine d’années. Mais, bien qu’il ne soit pas possible de répondre correctement à cette question, le fait même de se la poser dès sa programmation oblige à interroger ses conditions d’adaptabilité, de flexibilité, et donc de résilience. Jean-Jacques Terrin ! G. Amar, Mobilités urbaines. Éloge de la diversité et devoir d’invention, L’Aube, 2004. @ U. Beck, Qu’est-ce que le cosmopolitisme ? Aubier, 2006. # F. Ascher, Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine, L’Aube, 2000. $ J. Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Mardaga, 1961. % J. Rifkin, Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie, Les liens qui libèrent, 2011. ^ M. Castells, La société en réseaux, Fayard, 1998. & S. Rueda et al., Ecological Urbanism, its application to the design of an eco-neiborhood, Agence d’écologie urbaine de Barcelone, 2014. * A. Magnaghi, La biorégion. Petit traité du territoire bien commun, Eterotopia, 2014.

POPSU EUROPE Le programme POPSU Europe (20092015) a été soutenu par l’AIGP (Atelier international du Grand Paris) et le PUCA (Plan urbanisme construction architecture), et coproduit par les villes qui y ont participé. Il a été impulsé par Danièle Valabrègue, alors directrice de POPSU (Plateforme d’observation des projets et des stratégies urbaines), et mis en œuvre sous la responsabilité scientifique de Jean-Jacques Terrin. Comme le rappelle la publication du PUCA, Premier Plan1 : « Convaincue de l’importance tant de la recherche que de l’expérimentation en architecture et en urbanisme et du rôle incitatif revenant aux pouvoirs publics en la matière, Danièle Valabrègue a été durant trois décennies, à partir de 1971

60

HORS -SÉ RI E n o  6 0

jusqu’à sa disparition en août 2015, l’initiatrice de nombreux programmes au sein du Plan Construction, puis de ses entités successives, notamment le PAN, Europan et POPSU ». POPSU Europe a mobilisé pendant six ans une trentaine de villes européennes2 et autant de chercheurs autour de six séquences thématiques questionnant l’aménagement urbain contemporain. Les échanges et regards croisés issus d’une douzaine de séminaires – deux par an et par thème – ont fait régulièrement l’objet de publications et de conférences. Publications récentes sous la direction de Jean-Jacques Terrin • Jardins en milieu urbain, usages,

échelles et partage. Gardens in the City, bilingue français-anglais, Parenthèses, 2013. • Villes inondables. Flooding Cities, bilingue français-anglais, Parenthèses, 2014. • Les villes face au changement climatique, les îlots de chaleur. Cities facing climate changes, Heat Islands, bilingue français-anglais, Parenthèses, 2015. ! n° 35, dossier « L’innovation architecturale à travers la recherche et l’expérimentation », octobre 2016-janvier 2017. @ Amsterdam, Barcelone, Berlin, Birmingham, Bruxelles, Copenhague, Dordrecht, Hambourg, Lausanne, Londres, Lyon, Mayence, Malaga, Montpellier, Montréal, Nantes, Nîmes, Paris, Rome, Rotterdam, Strasbourg, Stuttgart, Turin, Toulouse, Vienne.


Une lueur d’espoir en Allemagne et en Europe Kaye Geipel est rédacteur en chef adjoint des magazines allemands Bauwelt et Stadtbauwelt

©Erik-Jan Ouwerkerk

Quel rôle joue le concours Europan pour les jeunes concepteurs allemands ? Kaye GEIPEL : Il y a un peu plus de dix ans, en 2006, un architecte sur deux avait peu de chance de trouver un travail dans sa branche après ses études. Les jeunes diplômés qui obtenaient un poste ne touchaient le plus souvent qu’un salaire proche des seuils minimums. Entre 2000 et 2006, 700 000 postes ont été supprimés dans le secteur de la construction. Il n’y avait alors quasiment plus d’immeubles de logements de taille et de qualité notables. En 2017, la situation a complètement changé. Le boom de la construction dans les grandes villes est manifeste. L’offre de logements abordables est cependant loin de répondre à la demande et les acteurs urbains qui, entretemps, avaient adopté le principe judicieux de réduire les réserves foncières, ont dû revoir leurs ambitions. Ce qui nous mène à ce constat inquiétant : la quantité, la quantité et encore la quantité. Voilà le maître mot aujourd’hui en Allemagne, comme dans les années 1960, alors que l’approche globale qui consiste à interroger le lien entre la densification et la programmation urbaine est quasi inexistante. Dans ce contexte, le concours Europan, malgré l’impact limité de ses interventions, représente une lueur d’espoir. Il offre au moins aux jeunes architectes et urbanistes un indicateur permettant de comprendre comment des projets exemplaires peuvent répondre aux sérieux manques de développement urbain actuel. Peut-on caractériser les villes qui proposent des sites Europan ? K. G. : Cinq villes allemandes ont participé à Europan 14. Cette participation reste néanmoins décevante après que, pour Europan 13, huit sites et, pour Europan 12, onze sites aient été retenus. C’est d’ailleurs trop peu pour sécuriser durablement le financement d’un tel processus. Une raison peut être avancée pour expliquer ces défections : pour beaucoup de villes s’intéressant au thème de la ville productive, le concours dure trop longtemps. Si l’on regarde les cinq sites allemands d’Europan, on voit

qu’ils présentent différents visages de la densité et de nouvelles formes hybrides d’habiter. À ENTRETIEN Aschaffenburg, il s’agit de réhabiliter et d’agrandir des logements des années 1970 situés le long d’une artère principale et de travailler à la mixité des activités. À HamburgWilhelmsburg, l’IBA locale avance vers la définition d’une « Metrozone ». Sous la thématique « Vivre et travailler entre les canaux », ce sont de nouveaux programmes spatiaux et des typologies hybrides sur la base d’un milieu urbain mixte. À Neu-Ulm dans la Souabe, les bâtiments désaffectés d’une ancienne caserne américaine où le bailleur NUWOG souhaite ériger non seulement des logements mais aussi élaborer une nouvelle articulation urbaine entre différents quartiers. À Zwickau dans la Saxe, le projet est de modifier un grand bâtiment de logements de onze étages, une sorte de barrière urbaine qu’il s’agit d’ouvrir par la restructuration des rez-de-chaussée et l’introduction de nouvelles fonctions. Enfin, dans deux sites en périphérie de Munich, le bailleur a choisi quatre parkings de grands ensembles pour tester quatre propositions expérimentales concernant l’intégration du commerce et du logement. Quelles sont les problématiques fortes qui émergent en Allemagne dans la conception de projets urbains ? K. G. : Au-delà de la satisfaction de voir des logements abordables se construire, se pose une question très complexe : quelle stratégie de densification permet d’atteindre une qualité urbaine qu’urbanistes et architectes peuvent associer au modèle de « la ville européenne » ? Cette référence est beaucoup plus ouverte et diversifiée que beaucoup d’urbanistes conservateurs veulent le faire croire. Le problème de savoir à quel modèle urbain correspond tel espace reste en Allemagne tout aussi controversé que de se demander si la ville actuelle peu intégrer le « modernisme » et en quelle quantité. Il y a deux ans, nous avons organisé un grand débat pour exposer ce conflit 2 . Il reste toujours virulent et génère beaucoup de discussions, tant sur les approches stratégiques

HORS -SÉ RI E n o  6 0

61


ANALYSES ET POINTS DE VUE Nouveaux enjeux, nouvelles perspectives

de densification et de développement des villes que sur les questions de conception de nouveaux quartiers et de mixité sociale. À mon avis, le défi des prochaines années est le paysage des périphéries des villes en développement. C’est là que se reflètent les changements fondamentaux, que l’ancienne image de la ville se confronte aux nouveaux modèles et, plus important encore, ce paysage devient le révélateur d’un débat constructif entre expériences menées dans des pays voisins.

rapidement une mezzanine dans nos appartements. Mais quid des surfaces et locaux nécessaires à la production ? Un rez-de-chaussée, même généreux, mis à disposition ne suffit pas. À l’inverse : qui voudra déménager vers une zone d’activités en périphérie si les quartiers d’habitation nouvellement construits n’offrent pas toutes les qualités urbaines requises ? Pour répondre à ces questions, plusieurs objectifs ont été fixés. Parmi eux, le code de l’urbanisme relativement figé pendant plusieurs décennies a désormais intégré la notion de « site Comment percevez-vous le thème des « villes productives » urbain ». Une autre mesure concerne l’obligation d’accepter alors que l’Allemagne semble plutôt préoccupée par le la cohabitation d’activités et d’habitations, notamment à la manque de logements ? petite échelle. Reste à savoir si elle sera mise en œuvre et K. G. : La question est bien posée. Elle prend en compte si elle aura un impact sur les typologies. Dans ce contexte, l’incertitude actuelle sur l’idée de ville mixte que nous les résultats d’Europan suscitent un grand intérêt. devons mettre en œuvre. Sur le site italien d’Europan 14, La crise en Europe a eu aussi des effets significatifs sur le dilemme a été formulé de la sorte : « Ma qual è il mix di Europan. Le manque de moyens financiers a entraîné une queste città miste ? » (à quoi ressemble le « mix » urbain diminution du nombre de propositions. Prenons quelques que nous essayons de mettre en place partout ?). Est-il exemples. fait seulement des petits cafés que les architectes et les Le Portugal, toujours précurseur en termes de projets urbanistes dessinent volontiers dans leurs plans ? Une chose exemplaires développés dans des sites suburbains, est absent. me semble certaine : en Allemagne, la ville mixte restera Deux sites britanniques souhaitant participer au concours une illusion si on ne questionne pas – comme c’est le cas ont dû renoncer à la dernière minute, faute de financement. depuis des décennies – la séparation des fonctions et si la vie Bruxelles ne financera aucun site. urbaine ne s’ouvre pas de nouveau à la production. Mais, là Davantage de possibilités aux Pays-Bas. Grâce à un nouveau où la ville change, des droits considérés groupe de jeunes architectes organisant comme acquis se voient perturbés. La Europan 14, la Ville d’Amsterdam est proximité entre les lieux de travail et de entrée en lice avec cinq sites, mais elle Un outil contre résidence génère des peurs profondes chez est la seule représentante du pays. L’Italie, la crise européenne les habitants dans les quartiers amenés après une longue pause, est de nouveau actuelle à se densifier. Pour éviter tout conflit, il dans la course avec le site piémontais faut clarifier les droits de propriété. Par de Cunéo. Quant aux pays de l’est de ailleurs, l’économie locale se voit limitée l’Europe, ils sont absents à l’exception dans ses possibilités de développement et les entrepreneurs de la Pologne avec Varsovie et de la Croatie avec Sibenik. se plaignent d’une concurrence accrue pour le foncier sur Cette évolution lors des dernières années le démontre : un un territoire de plus en plus réduit – problème qui concerne réseau de coopérations comme Europan est extrêmement également les bailleurs sociaux. L’année dernière, ce dilemme fragile. Il tient pour l’essentiel à la convergence d’intérêts a fait l’objet d’un cahier de Stadtbauwelt 3 , et la question autour d’une idée commune. Toutefois, ce type de structure a également été débattue lors d’un congrès organisé par n’a jamais été aussi nécessaire qu’aujourd’hui. Face à la crise Bauwelt4 . du projet européen, due entre autres à l’obligation de chaque Face à certaines de ces impasses, la compétition Europan 14 pays et de ses collectivités de se conformer aux décisions interroge : de quelle manière les conflits entre la production de Bruxelles et d’en supporter les conséquences, Europan et l’habiter peuvent-ils être surmontés dans le contexte des teste un processus décisionnaire exactement inverse : une nouvelles formes numériques du travail, et peut-on sur cette thématique urbaine brûlante d’actualité est proposée au débat, base développer de nouveaux concepts urbains ? accompagnée d’un dispositif de discussion prêt à l’emploi. Sur les sites allemands d’Europan de Munich et de Zwickau, Les villes et collectivités peuvent s’en saisir et évaluer dans il y aura sans doute débat lors de la mise en œuvre, qui quelle mesure ce concours d’idées leur est utile, tant dans mélangera plus fortement les fonctions habiter, travailler son apport coopératif que sur le plan des connaissances et produire. La controverse est ici légitime, et de plusieurs apportées. Vu sous cet angle, le concours Europan est une natures : chaque magazine consacré au life style vante les démarche exemplaire et un outil contre la crise européenne produits de l’agriculture urbaine, la production d’énergie actuelle. Mais quand le processus devient pesant, il est locale, la bière maison et la menuiserie du coin qui construit nécessaire d’inverser la tendance. Propos recueillis par Antoine Loubière (traduit de l’allemand par Claire Karsenty)

KAYE GEIPEL a été membre de plusieurs jurys Europan (E8, 2006, en Allemagne ; E9, 2008 en Espagne ; E10, 2010, en France ; E12, 2014 en Autriche ; E14, 2017 en Norvège). Depuis 1999, il est également membre du comité scientifique d’Europan Allemagne.

62

HORS -SÉ RI E n o  6 0

! @ # $

Information sur les sites Europan en Allemagne : www.europan.de Stadtbauwelt 12, « La ville européenne. Un mirage ? » 2015. Stadtbauwelt 35, « La ville productive », 2016. Site Internet : www.bauwelt.de


Europan : des acquis tangibles pour le monde de l’architecture Notre monde est un monde de villes, notre paysage un archipel d’aires urbaines. L’urbanisation du monde s’accompagne, partout, de l’expansion des espaces informels, où les acteurs sociaux s’affranchissent intentionnellement des régimes de propriété, des règles foncières et des normes de construction. Est-ce à dire que l’urbanisme est révolu, qu’il n’aura été qu’un simple moment dans l’histoire des hommes ? Nous avons, certes, des raisons d’être critiques vis-à-vis d’un certain urbanisme, conçu comme théorie et pratique de la puissance et de la maîtrise. Nous préférerons au territoire vu « d’en haut » des planificateurs urbains, celui, plus terreà-terre, du regard des habitants. Une évidence s’impose pourtant : les sociétés humaines ne sont pas spontanément capables de produire l’intérêt général.

LA GRANDE ÉCHELLE À L’ORDRE DU JOUR Croire à la régulation publique, c’est chercher à donner une consistance au « droit à la ville » dont parlait Henri Lefebvre. Le défi n’est pas mince, dans le contexte du retrait de l’action publique. Pour Europan, qui s’était appuyé, depuis sa création, sur le rôle moteur des villes dans la dynamique du projet urbain, il s’agit là d’un profond bouleversement, qui a de multiples conséquences : sur la maîtrise d’ouvrage d’abord, qui ne repose plus sur les seules initiatives publiques et doit donc se diversifier ; sur l’architecte ensuite, à qui il revient, de plus en plus, de faire émerger une commande qui n’est pas formulée ; sur la notion même de programme, enfin, désormais ouverte à de nombreux possibles, en fonction de l’évolution des usages. Les acquis du concours Europan pour le monde de l’architecture sont tangibles. Il a contribué à mettre la grande échelle à l’ordre du jour du débat architectural. Il y avait, dans ce domaine, un retard français, tant l’approche des territoires, dans notre pays, était restée longtemps tributaire de l’héritage culturel du paysagisme français, qui est celui de l’art des jardins. La pensée des territoires ne s’y inscrivait pas, au contraire de l’Italie par exemple, dans une tradition critique de la production de la ville. Nonobstant l’interdisciplinarité, indispensable pour penser l’entrelacement des échelles, Europan aura permis d’affirmer la capacité et la vocation de l’architecture à prendre part au débat contemporain sur les grandes transitions, écologiques et énergétiques, auxquelles doivent faire face les villes. Vivre dans un monde anthropique impose de penser de nouvelles manières de faire société, de réinventer le partage, sachant qu’une certaine frugalité est désormais nécessaire

dans le rapport qu’entretiennent les humains avec des écosystèmes qu’ils Par Guy Amsellem, ont largement mis à mal. président de la Cité Si le site, sa topographie, son hydrographie, de l’architecture sa mémoire sont devenus des paramètres et du patrimoine incontournables du projet architectural, c’est aussi grâce à l’action d’Europan. En mettant en évidence le rôle de l’architecte, il a montré combien l’architecture n’est pas seulement un service, mais aussi un savoir, à l’articulation de la pensée et du faire. Face aux maux qui la menacent – étalement, éclatement, accélération, tentation de l’entre-soi – la ville contemporaine, pour rester partagée et répondre aux défis économiques, démographiques, écologiques, doit s’adapter aux transformations de son environnement, intégrer l’évolution des usages dans le temps.

UNE RÉVOLUTION SILENCIEUSE Le thème de la ville productive, retenu pour cette 14 e session du concours, invite à remettre en cause la tendance lourde, issue du fonctionnalisme d’État, d’une ville dépourvue d’activités productives, tendance que n’ont pu enrayer les politiques de renouvellement urbain. Réfléchir à la ville productive, c’est aussi s’interroger sur les modes de vie urbains et les mutations économiques, sur cette nouvelle économie mêlant circuits courts, échanges circulaires, proximité, mais aussi sur les moyens de favoriser une nouvelle urbanité, façonnant une ville moins standardisée, plus ouverte, plus stimulante. La vie urbaine n’est pas un simple cadre : elle se déploie à travers une expérience de l’espace et du temps, à la fois singulière et collective. Sur tous ces enjeux, Europan apporte aux villes une riche approche conceptuelle et un précieux appui méthodologique, qui leur permettent, en articulant les échelles spatiales et temporelles, d’organiser la mutation de leurs territoires tout en gardant la maîtrise de leurs évolutions. Les équipes sélectionnées ces dernières années par Europan sont résolument multidisciplinaires et plurinationales. Elles sont le fruit d’une révolution silencieuse, qui porte le nom d’un philosophe hollandais qui fit jadis l’éloge de la folie. Les jeunes architectes qui en sont issus n’hésitent pas à décentrer leurs points de vue, à s’ouvrir à l’altérité, parfois même à fonder des familles binationales, dont les enfants seront bilingues. C’est à cette génération Erasmus, mise à l’honneur dans les palmarès du concours, que revient désormais la charge de transformer le monde que nous avons en partage. Guy Amsellem

HORS -SÉ RI E n o  6 0

63


ABSTRACT

New issues, new perspectives In this section, professionals, researchers, a German journalist and the President of Cité de l’architecture et du patrimoine offer their analyses and points of view on the current changes in the way cities are created in France and Europe. ernard Roth, the honorary president of Architecture et Maîtrise d’ouvrage (AMO), who was formerly a property developer himself, believes that things are definitely moving along. The Palladio Foundation commissioned EY to carry out a study of professions in the property business which confirms that these professions form an integral part of a chain. So it is important to make young people who are starting out aware that they will not be developers, social housing landlords, property experts or property managers their whole lives long, but will probably go from one profession to another and become culturally enriched. Many professionals still see themselves at the centre of the city production system. For example, a notary will describe the whole system in terms of the law and his role. But everyone else will do the same thing: architects, developers, planners, financiers and so on. New tools, such as BIM, make us work in project teams, as happens with a prototype car. This is the first notable change. The second change is the new consultation methods, like calls for expressions of interest (CEIs) such as “Reinventing Paris”, along similar lines. So we have both new tools and a new and different kind of order from clients.

B

Alain Bertrand, the deputy CEO of Samoa (Société d’aménagement de la métropole atlantique), believes that we are witnessing a noticeable transformation in his profession of planning due to a very significant change in the economics, in the broadest sense, of urban projects and their implementation and governance. One of the most obvious consequences

of these new ways of thinking through and producing cities is that the traditional order of the phases of programming, design, execution and management is called into question. The issue of time, or rather times, is being called back into question, with the idea that planning can be transient, provisional, transitional, and so on. It is the very purpose of a planner’s role that is changing, because from the position of being a producer of cities, he is already being asked, and he will probably be asked more and more, to also be their leader, to “put them into operation”. These new professions relate to economic development, cultural development and social mediation all at the same time. These new approaches are a big challenge for planners, but also for the work of designers and their remit. From this perspective, Europan has been and still is a terrific testing ground for these changes in ways of doing things and ways of designing. Guillaume Hébert, whose business (Une Fabrique de la ville) helps authorities and private-sector operators to implement urban planning projects, says that new tools are emerging: legal and financial arrangements, land management, temporal frameworks, calls for projects, and so on. In these new processes, property operators are acquiring new skills. Alongside architects, town planners and engineering firms, future partners who are managers of changing places are emerging. This raises the issue of the long term of a city, its services and its management. Private-sector urban

service providers have created adapted and inventive economic models. With the development of forms of mobility, concierge services and specific applications, there needs to be forward thinking. The dynamism of property markets is often crucial to the viability of these services. Once a town planning project has been completed, the process that enabled it to be implemented will have been forgotten. However, the way in which the town is produced is an indicator of its quality. More than ever before, the way in which urban projects are produced is an integral part of this project. As such, urban clients also need to be able to innovate and contribute technical know-how while also implementing a creative ability to adapt to the characteristics of each site. Raphaël Besson, a researcher who founded the engineering firm Villes Innovations (Madrid-Grenoble), suggests that biopolitics exists in cities. He thinks that production spreads throughout urban society, with all actors and aspects of towns becoming productive. As a result, there are potentially many stumbling-blocks for the productive city, as it produces, transforms and enhances the living. How can we take economic advantage of production from intermediate spaces or collaborative platforms developed for the cooperative and sharing method? The stumbling-block would be creating systems to capture and privatise these free cognitive resources. Another danger is the tendency to over-stimulate contact between city-dwellers. No unoccupied space, no waste land or crack seems to resist this trend of creating hyper-relational spaces.


ABSTRACT

Aren’t these intermediate places the last protective shelters in an urban society which is constantly accelerating? A final stumbling-block is the deployment of large-scale sensors which can collect and analyse a considerable quantity of data produced by citizens. This function, which is supposed to optimise the management and functioning of cities, inevitably leads to things being questioned, especially in terms of threats to personal freedoms. Raphaël Besson believes that the potential excesses of productive cities need to be controlled by setting an urban policy which is linked to life itself. Jean-Jacques Terrin, the scientific officer of the POPSU Europe platform, suggests that we look back at the POPSU Europe research programme (2009-2015) and the impact of exchange between cities and researchers. By virtue of their diversity, the six themes chosen by this programme allow us to draw a number of conclusions with regard to the recent development of European cities in the face of the current changes in urban planning. An initial observation can be made with regard to the choice of these themes. Four of them directly or indirectly relate to mobility and quality of life in urban public space. They have made it possible to paint a landscape, or even a geography of urban territories which are being transformed by bringing together the impacts of high speed, including high speed rail, the issues surrounding slowness which are highlighted by the expanded role of walking and gardens, and the role of creators and culture in urban development. Two other programmes focused on the theme of resilience when addressing the risk – but also the opportunities – of flooding and efforts to combat heat islands. As has been understood by some European programmes such as the Europan competition, which has promoted it for

several years, the principle of adaptability is therefore the key word in an urban trend towards better sustainability. Kaye Geipel, the deputy editor-in-chief of the German magazines Bauwelt and Stadtbauwelt, believes that the problem of knowing which space corresponds to which urban model is just as controversial in Germany as wondering whether current cities can incorporate “modernism” and to what extent. Two years ago, Bauwelt organised a big debate to shed light on this conflict. It is still heated and sparks many discussions about both the strategic approaches to the densification and development of cities and also the issues of the design of new districts and social diversity. In his opinion, the challenge of the coming years is the landscape of the outskirts of developing cities. This is where fundamental changes are reflected, the old image of the city is confronted with new models, and even more importantly, this landscape reveals a constructive discussion between experiments conducted in neighbouring countries. In addition, the changes of the last few years show that cooperation networks such as Europan are extremely fragile. Essentially, they are a convergence of interests around a common idea. However, this type of entity has never been as necessary as it is now. In the face of the crisis in the European project, which is due, among other things, to the obligation of each country and its authorities to comply with decisions taken by Brussels and bear the consequences of them, Europan tests a decision-making process which is the exact opposite: a burning urban issue of the day is proposed for discussion, together with a discussion mechanism which is ready for use. Cities and authorities can take advantage of it and assess the extent to which this competition of ideas is useful to them, in terms of both its cooperative contribution and the knowledge that

is contributed. When viewed in this light, the Europan competition is an exemplary approach and a tool that can tackle the current European crisis. Guy Amsellem, the president of Cité de l’architecture et du patrimoine, believes that thinking about productive cities also means looking at urban lifestyles and economic changes, this new economy which combines short channels, circular exchanges, proximity, and also ways of encouraging a new kind of urbanisation, forming a less standardised, more open and more stimulating city. For all of these issues, Europan gives cities a rich conceptual approach and valuable methodological support which enable them, by coordinating the spatial and temporal dimensions, to organise the transformation of their territories while retaining control over their development. The teams that were selected by Europan this year are strongly multi-disciplinary and multinational. They are the fruit of a silent revolution which bears the name of a Dutch philosopher who praised folly in bygone days. The young architects whom it brought forth do not hesitate to move their points of view off-centre, open themselves up to otherness, and sometimes even start binational families with children who will be bilingual. It is this Erasmus generation which is brought into the spotlight in the list of winners of the competition that now has responsibility for transforming the world that we share.


PANTONE ROUGE : 1805 C GRIS : COOL GRAY 9 C


RÉFÉRENCES EUROPAN est un concours d’idées d’architecture et d’urbanisme suivi de réalisations, lancé simultanément tous les deux ans dans une vingtaine de pays européens autour d’un thème commun et à partir de situations urbaines concrètes proposées par des collectivités. EUROPAN s’adresse aux jeunes architectes, urbanistes, paysagistes, artistes, géographes, écologues… et toute discipline en lien avec la conception des territoires, de toute l’Europe géographique.

Quelques publications… Notre histoire. Europan à 20 ans Jean-Louis Violeau et Juliette Pommier, Archibooks + Sautereau Éditeur, 2007

Europan Generation The reinterpreted city/La ville réinterprétée édité par la Cité de l’architecture et du Patrimoine / Europan, 2007

Idées en mutation Réalisations Europan 2008-2012 édité par Europan Europe, 2012 (catalogue en vente sur www.europan-europe.eu)

Réalisations Europan 1 à 6 Projets négociés édité par Europan Europe, 2004 (catalogue en vente sur www.europan-europe.eu)

Europan 2/3/4. Des idées aux réalisations, 1993-1999 38 Projets urbano-architecturaux édité par Europan / Untimely books, 1999 (épuisé)

Europan 1 Réalisations / Implémentations Pandora Éditions, 1991 (épuisé)

Programme Architecture Nouvelle 20 ans de réalisations édité par le Plan Construction Architecture + Techniques & Architecture, 1992

Sites Internet Europan France www.europanfrance.org Europan Europe www.europan-europe.eu Plan urbanisme construction architecture (PUCA)

www.urbanisme-puca.gouv.fr

Plateforme d’observatoire des Projets et Stratégies urbaines (POPSU) www.popsu.archi.fr Atelier international du Grand Paris (AIGP) www.ateliergrandparis.fr Cité de l’architecture et du patrimoine www.citedelarchitecture.fr

Ce numéro a été réalisé en par tenariat avec Europan France. Il a été conçu conjointement par l’équipe d’Europan France (Oriane Couturier, Vincent Milla, Isabelle Moulin, Hélène Soubeyrand et Louis Vitalis) et la revue Urbanisme. Antoine Loubière, son rédacteur en chef, en a coordonné la réalisation. Sylvie Groueff, rédactrice et consultante (architecture, urbanisme, paysage) a rédigé les deux enquêtes réalisées auprès des équipes et des villes. Nous tenons à remercier également pour leur collaboration l’équipe d’Europan Europe (Françoise Bonnat et Frédéric Bourgeois), toutes les équipes sélectionnées au concours sans lesquelles ce numéro n’aurait pu voir le jour, les élus et les ser vices techniques des collectivités dont la par ticipation dès le concours est aussi primordiale qu’enrichissante, ainsi que les exper ts qui accompagnent ces processus complexes de projets et de réalisations.

©DR

Remerciements


uropan est un concours d’idées d’architec ture et d’ur banisme s’adressant à des équipes de jeunes concepteurs européens (de moins de 40 ans). Il a été lancé avec le soutien de la Communauté européenne en 1988. Tous les deux ans, une nouvelle session est organisée sur un thème déterminé. Concours européen (13 pays pour Europan 14), Euro pa n s’a ppuie sur le s pro p ositio ns d e site s faite s pa r le s ville s , où s’e xe rce r a l a capacité imaginative et inventive des jeunes concepteurs. Depuis la première session (1989 -199 0), le bilan est impressionnant : 23 388 équipes d’architectes européens ont par ticipé au concours avec plus de 784 sites dans 558 villes impliquées dans 30 pays. Pour s’en tenir à la France, ce sont 85 sites dans 67 villes, 4 172 projets rendus, 170 projet s sélectionnés… Ce numéro hors-série réalisé avec Europan France présente la démarche, en s’appuyant en par ticulier sur la prochaine session Europan 14 organisée sur le thème « Villes produc tives ». Ainsi Alain Maugard, président d’Europan France, et Pier re Velt z, Grand Prix de l’urbanisme 2017, président du jur y d’Europan 14, dialoguent autour des nouvelles ar ticulations du territoire et de la production. Brigitte Fouré, maire d’Amiens, et Dominique Schauss, vice-président du Grand Besançon – qui proposent des sites pour Europan 14 – exposent leurs attentes à l’égard des équipes. Deux enquêtes permettent aux équipes et aux villes de s’expliquer sur les suites données au concours, le travail des équipes après leur sélection. Sous forme de fiches, huit exemples en France et en Europe donnent une vision des suites, qu’il s’agisse de projets en cours ou de réalisations. Au f il du numéro, des ex per t s, professionnel s et chercheurs, donnent des clés pour comprendre à la fois les évolutions du concours Europan et les mutations de la fabrique de la ville.

E

Hors-série www.urbanisme.fr

Europan, une aventure à suivre Europan, an ongoing adventure uropan is a competition of architectural and town planning ideas which is aimed at teams of young European designers (under the age of 40). It was launched with the suppor t of the European Community in 1988. Ever y two years, a new session is held on a set theme. A Europe-wide competition (13 countries took part in Europan 14), Europan is based on site proposals made by cities and gives young designers a chance to exercise their imaginative and inventive abilities. Since the f irst session in 1989-1990, it has had an impressive track record: 23,388 teams of European architects have taken part in the competition with more than 784 sites in 558 cities involved across 30 countries. As far as France is concerned, there have been 85 sites in 67 towns, with 4,172 projects submitted and 170 projects selected. This special issue produced with Europan France gives an insight into the initiative with particular focus on the forthcoming session, Europan 14, for which the theme is “Productive Cities”. Alain Maugard, the President of Europan France, and Pierre Veltz, the winner of the Grand Prix de l’Urbanisme 2017 and chairman of the jur y for Europan 14, discuss new ways of coordinating land and production. Brigitte Fouré, the mayor of Amiens, and Dominique Schauss, the Vice-President of Grand Besançon – which are proposing sites for Europan 14 – explain what they are expecting from the teams. Two sur veys gave teams and towns an oppor tunit y to talk about their involvement in the competition. In the form of briefs, eight examples in France and Europe give an illustration of projects and achievements. In this issue, experts, professionals and researchers explain both the changes in the Europan competition and the changes in the way cities are created.

E


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.