E NTRETIEN
Denis de Kergorlay,
l’homme qui relie les hommes
Denis de Kergorlay, lors de la visite du chantier de restauration du Parthénon à Athènes organisée par Elliniki Etairia, principale association membre d’Europa Nostra en Grèce (octobre 2009) - © D.R.
«
Ayde
toi
K e r g o r l a y,
Dieu
t’aydera
»,
la
devise
des
Kergorlay
était-elle
prémonitoire ? Dès ses années de jeunesse, Denis de Kergorlay rêve sa vie en idéaliste engagé auquel le destin sourira… De « Médecins sans frontières » aux levées de fonds aux États-Unis, c’est toujours et partout cette volonté de faire avancer des projets en tissant des liens entre les hommes qui assure aujourd’hui cette cohérence dans ses nombreuses activités. P R O P O S R E C U E I L L I S PA R S O P H I E D E L A B I G N E , J O U R N A L I S T E
DEMEURE HISTORIQUE
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Le château de Canisy (Manche) permet de créer des liens entre les hommes par et pour le patrimoine © Sandrine Pien
Sophie de La Bigne : Denis de Kergorlay, vous présidez French Heritage Society, Europa Nostra et le cercle Interallié. Ces
d’ambassadeurs de pays étrangers auxquels nous accordons une voie d’accès privilégiée.
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différentes associations ont des qualités en commun. Comment se complètent-elles et comment entendez-vous le rôle d’un cercle
S.L.B. : Europa Nostra fédère des associations locales
aussi parisien que l’Interallié ?
disséminées à travers l’Europe. Comment faire reconnaître par
Denis de Kergorlay : French Heritage Society est tournée les pouvoirs publics une telle organisation ? vers les États-Unis et les Américains francophiles qui D.K. : Europa Nostra est en effet une fédération qui s’intéressent au patrimoine de notre pays en représente plusieurs centaines d’associations qui souhaitant s’impliquer dans sa sauvegarde. C’est une œuvrent en faveur de la sauvegarde et de la mise en démarche plus économique que celle d’Europa valeur du patrimoine culturel au travers de l’Europe, Nostra. Cette dernière est avant Le patrimoine est un bien au-delà des frontières de tout, dans le domaine de l’art et l’Union Européenne. Nous formidable atout de la culture, le porte-parole de avons vocation à être la « voix » économique de notre du patrimoine culturel de plus de 500 associations eurol’Europe, c’est-à-dire faire péennes du patrimoine culturel vieille Europe. qui, jusque-là, agissaient en ordre dispersé sans comprendre à l’opinion et aux autorités publiques qu’il est aberrant de laisser le patrimoine être détruit, beaucoup de visibilité. La présidence de l’Interallié est une autre histoire qui négligé ou abandonné : c’est un formidable atout est loin d’être antinomique : le Cercle de l’Union économique de notre vieille Europe et c’est aussi Interalliée a été créé en 1917, entre autres par le l’âme, l’identité, la mémoire et même la fierté de la maréchal Foch, pour être un lieu d’accueil, à Paris, mosaïque des peuples qui la composent. des officiers de l’Entente. De par ses origines, le Je reviens d’Istanbul où, à l’occasion de notre Congrès Cercle Interallié, certes parisien, a une vocation annuel, j’ai remis, à plusieurs dizaines de lauréats internationale : beaucoup d’Américains et d’Anglais venus de toute l’Europe, les prix du patrimoine en particulier en sont membres, ainsi que beaucoup culturel européen, programme cogéré par la
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Le 6 juin 2009, lors du 65 e anniversaire du débarquement, Denis de Kergorlay, accueillant à Canisy Martin O’Malley, gouverneur du Mar yland, un vétéran de la dernière guerre et le général James Adkins - © D.R.
Lors de la soirée annuelle du Cercle de l’Union Interalliée, le 23 juin, consacrée au thème de la Russie, S.E. Alexandre Orlov, ambassadeur de Russie, et son épouse (au centre) ont été accueillis par Denis de Kergorlay, accompagné de son fils et de sa femme (à droite) © D.R.
Commission européenne et Europa Nostra. Cette cérémonie, que je coprésidais avec la commissaire européenne de la Culture en présence de parlementaires européens, rassemblait dans le splendide cadre culturel d’Aya Irini, situé au sein du palais de Topkapi, des centaines de membres et représentants de notre organisation. Notre rôle est d’appuyer les organisations locales et nationales du patrimoine dans leur combat pour faire mieux connaître et apprécier ce patrimoine culturel, l’adapter aux besoins du monde d’aujourd’hui : encourager les innovations dans les musées, aider à la reconversion de bâtiments industriels désaffectés en lieux culturels attractifs… Aujourd’hui nous venons d’élire à l’unanimité notre nouveau président (je suis le président exécutif), une icône mondiale de la vie culturelle, le ténor Placido Domingo, qui voit en Europa Nostra un formidable outil pour transmettre aux jeunes générations la passion de la culture.
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Lors de la remise du prix French Heritage Society le 15 mai 2009, Denis de Kergorlay en compagnie de Monseigneur EmmanuelMarie dans le cloître de l’abbaye de Lagrasse (Aude) © Isabelle de CharnacéBaulme
Denis de Kergorlay et le père Sava Janjic au monastère de Deˇc ani (site inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco) au Kosovo en 2005 - © D.R.
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S.L.B. : De façon concrète, que peuvent attendre les adhérents de Denis de Kergorlay, au cours de la remise du prix French Heritage Society, le 27 mai 2009, au château des Ormes (Vienne), entouré de Dominique Flahaut de la Billarderie, Long Long et Sydney Abbou et Astrid Stanfield © D.R.
la Demeure Historique de l’association French Heritage Society et peuvent-ils espérer une aide financière éventuelle ?
French Heritage Society est un pont francoaméricain entre les mécènes et les propriétaires de demeures privées. Ces derniers peuvent monter un dossier sur leurs projets de restauration de monument ou de jardin en concertation avec l’un ou l’autre de nos trois partenaires : la Demeure Historique, les Vieilles Maisons Françaises, et le Comité des Parcs et Jardins de France. De par sa fonction de représentation des propriétaires privés de monuments historiques, la Demeure Historique a le plus de dossiers à nous présenter. Malgré la crise, nos principaux donateurs nous sont restés très fidèles. Mais pour mieux les « fixer », nous leur proposons de financer aussi la restauration d’édifices historiques sur le sol américain qui ont un lien avec la France : il y a 3 ans, 100 000 $ ont été levés en un dîner de fund raising 1 pour restaurer le Consulat de France à New York ; en avril dernier, 60 000 $ ont été récoltés également en un dîner pour l’église Saint-Vincent de Paul à New York. Par principe, French Heritage Society finance une partie du projet et les propriétaires doivent trouver un financement complémentaire équivalent (fonds associés ou matching funds). D.K. :
S.L.B. : À tout moment dans vos propos, Canisy entre en jeu, c’est votre carte maîtresse, pouvez-vous partager avec nous un souvenir qui vous aurait particulièrement ému ?
J’ai repris, bien contre mon gré, le château de Canisy en 1978 à la suite du décès subit de mon père et de la décision de mon frère cadet – il avait été convenu qu’il succéderait un jour à mon père – de devenir moine… une décision inattendue de la part d’un X-Ponts ! Mon leitmotiv fut : il faut faire vivre ce château, en l’ouvrant, non pas forcément à la visite, mais à des hôtes qui y séjournent et ont ainsi accès à « la vie de château ». Ce furent, dans les premières années, les amis et les amis de mes amis qui sont mes amis, version avant l’heure de Facebook ! Succès foudroyant mais équilibre financier acrobatique… Puis vint le Cercle de Canisy à partir du début des années 1990, version plus classique de la chambre d’hôtes et de la réception de petits groupes. Canisy est aujourd’hui une « machine » rôdée, et le château
D.K. :
remplit bien ses fonctions en donnant du bonheur à beaucoup de monde. Un témoignage des plus symboliques de ce lieu d’échange amical fut un week-end organisé avec Europa Nostra, au printemps 2006, rassemblant serbes orthodoxes et kosovars musulmans sur le thème de la conservation du patrimoine culturel du Kosovo qui avait été ravagé pendant les années de guerre. J’avais intitulé cette rencontre : Patrimoine culturel du Kosovo, de la pomme de discorde au ferment de la réconciliation. Le résultat a été au-delà de toutes les espérances ! L’esprit de Canisy (et son bon calvados) était vraiment devenu le ferment de la réconciliation. À cette occasion sont nées des amitiés « transfrontières » qui durent encore. S.L.B. : Que représente un Cercle comme l’Interallié aujourd’hui ; 3 300 membres, n’est-ce pas un peu trop pour un lieu qui se veut convivial ?
L’Interallié est en effet le plus important des cercles parisiens en nombre d’adhérents. C’est un lieu unique à Paris par sa situation, son architecture ; il est très apprécié des étrangers qui représentent 20 % des membres. Beaucoup de ces derniers viennent d’horizons très différents : grands patrons, personnalités politiques, diplomates, avocats, financiers, industriels, médecins etc… L’Interallié, de par sa localisation et la qualité de ses services (et de ses membres !) a gardé sa vocation d’origine d’un lieu d’accueil très ouvert à celles et ceux qui veulent y organiser des rencontres à titre professionnel et/ou privé. Il faut trouver un équilibre pour les membres entre « l’ouverture » et « l’entre-soi ». C’est vrai que l’Interallié est parfois un peu victime de son succès et que les membres se plaignent de ne plus y trouver assez d’intimité pour goûter « l’entre-soi ». Je pense que nous pouvons surmonter ce type de contradictions en fédérant les énergies autour de projets culturels qui pourront enthousiasmer tout le monde.
D.K. :
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Pour en savoir plus www.canisy.com www.europanostra.org www.frenchheritagesociety.org www.union-interalliee.fr
(1) levée de fonds
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