Patek Philippe Nautilus Un coup de foudre durable page 8
EUROPA STAR PREMIERE LE JOURNAL DE L’ÉCOSYSTÈME HORLOGER SUISSE
NO 2/17 (Vol.19) MARS 2017 | 7.00 CHF € | EUROPASTAR.COM
ISSN 297-4008
ÉDITORIAL
par
Pierre Maillard
DR
Ivre de sa propre montée en gamme et des résultats longtemps enivrants de ses produits les plus luxueux, l’horlogerie suisse est retombée de haut. Aurions-nous systématiquement exagéré, se demande-t-elle? Et tous les regards de se tourner plus «bas», vers ce moyen de gamme regardé jusqu’alors avec quelque condescendance. Toute seule, la pointe de la pyramide ne tient plus debout. Pour culminer à ses hauteurs stratosphériques, elle a besoin d’une solide assise. Et pour que l’assise de la pyramide soit solide, elle doit être la plus large possible. En d’autres termes, il faut du volume pour qu’il y ait de l’exclusivité.
Toute seule, la pointe de la pyramide ne tient plus debout. Pour culminer à ses hauteurs stratosphériques, elle a besoin d’une solide assise. Ce rôle du volume – un volume de qualité qui garantisse la solidité et la permanence de tout l’édifice – est dévolu à ce que l’on nomme, faute de mieux, le «moyen de gamme». Personne n’aime ce vocable et certains le remplacent par «luxe accessible», une expression qui est en-soi un oxymore car si c’est accessible, ce n’est plus vraiment du luxe. Ceci dit, il y a non pas un «moyen de gamme» mais des «moyens de gamme» car l’accessibilité d’un pro-
duit est toute relative, selon que vous viviez ici ou là, dans une société avancée ou dans une économie émergente. De même, il n’y a pas une classe moyenne mais bel et bien des classes moyennes aux destins bien différents. Si les classes moyennes chinoises sont en pleine expansion et représentent déjà le tiers des classes moyennes mondiales, les classes moyennes occidentales sont en plein marasme. Récemment, un article de Bloomberg titrait: «L’angoisse de la classe moyenne déprime les ventes de l’horlogerie suisse» («MiddleClass Angst Is Depressing Swiss Watch Sales»). Mais, en s’y penchant de plus près, on découvrait que les exemples cités pointaient tous du côté des montres de haut de gamme, vendues à plus de 5'000.-CHF, et non pas vers le «moyen de gamme» que l’on peut définir comme s’étageant de 500.-CHF à 3'000.-CHF. La pression fiscale subie par les classes moyennes, le fait que les salaires stagnent, que l’angoisse du futur monte, que les boulots sont remplacés par des robots, qu’en Europe il y a le Brexit, aux USA l’imprévisible Trump, en Chine les campagnes anti-corruption et anti-extravagance, ont changé la donne et les aspirations de la «classe moyenne» qui, comme le dit toujours Bloomberg, «a décidé, après avoir constaté qu’elle n’avait plus reçu d’augmentation depuis bien des années, qu’elle avait mieux à faire que de dépenser son argent pour de la bijouterie suisse de poignet.» («has decided that, after not getting a pay rise from many years, there are better things to spend money on than Swiss wrist jewelry.») C’est précisément là que le «moyen de gamme» a une très sérieuse carte à jouer en répondant aux véritables aspirations des classes moyennes qui, désillusionnées, n’aspirent plus tant à conquérir un statut plus élevé (ce que leur montre dispendieuse se chargeait de démontrer publiquement) mais désirent néanmoins du beau, du solide, du fiable, du pérenne. L’heure est au retour en grâce du «moyen de gamme». Nous y consacrons un important Dossier dans ce numéro, sous le titre évocateur de Ne laissons pas tomber la classe moyenne.
Qilou Old Street in Haikou ©Drawing Architecture Studio | www.d-a-s.cn
Renforcer la base de la pyramide
Ne laissons pas tomber la classe moyenne par
Pierre et Serge Maillard
avec la collaboration de
Fabrice Eschmann
Tout occupée ces dernières décennies à gravir les plus hauts sommets en termes de prix, de sophistication mécanique et de raffinement artistique, l’horlogerie suisse a semblé négliger, voire a peu à peu délaissé (à la notable exception du Swatch Group et des quelques forts indépendants) une part essentielle de sa clientèle que sont les classes moyennes. Dans notre Dossier précédent – The Price Issue, Europa Star Time. Business 1/17 – nous avions mis en lumière l’augmentation considé-
rable de la part des montres de plus de 3'000.- CHF (prix à l’export), passée de 15,5% en 2000 à un pic de 60,2% en 2015, avant de légèrement retomber à 60% en 2016. Objectivement, donc, la part du moyen de gamme suisse a considérablement baissé en 15 ans, et ce d’autant plus que le nombre total de pièces exportées a quasiment stagné, passant de 29 millions d’unités en 2000 à 28 millions en 2015. Ce reflux avéré des montres de moyen de gamme a certainement profité aux concurrents de la Suisse. En 2015, par exemple, alors que le nombre de pièces exportées par la Suisse baissait de -1,6% et s’établissait
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à 28,1 millions de pièces, l’Allemagne augmentait ses exportations de 4,4% et atteignait 21,9 millions de pièces, tandis que la France augmentait de 6,1% à 7,3 millions de pièces. Dans le même temps, le Japon exportait près de 60 millions de montres pour un total de près de 160 milliards de yens (soit 1,3 milliard d’euros). Une large part des exportations allemandes, françaises ou japonaises pouvant être classée dans le moyen de gamme – soit entre 500.- CHF et 3'000.- CHF prix public –, le relatif «vide» laissé par la Suisse a été comblé par ses concurrents. (Lire notre dossier en page 2 à 6)