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3 Plainte gestuelle ou visuelle,

témoignant de difficultés d’intégration visuo-spatiale

Comment conduire l’entretien neurologique et le bilan de débrouillage ? Dr Catherine Thomas-Antérion*, Dr Aurélie Richard-Mornas**, Sandrine Basaglia-Pappas** et Dr Michèle Puel***

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ême si les plaintes concernant les praxies ou les gnosies sont des motifs plus rares de consultation, il est impératif de savoir les repérer pour leur propre compte ou dans l’environnement d’une autre plainte (mémoire, langage, etc.).

Cortex pariétal

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Il convient de rappeler qu’il faut toujours réaliser parallèlement un examen clinique moteur et sensitif des 4 membres, ainsi qu’un examen de débrouillage du champ visuel. Le neurologue doit extraire du discours les symptômes qui le conduisent à évoquer un diagnostic et orienter le bilan paraclinique : • si l’hypothèse clinique d’une pathologie neurodégénérative est compatible, au risque d’être caricatural, l’apraxie associée à un syndrome extrapyramidal unilatéral évoque en priorité un syndrome cortico-basal ; • les tableaux progressifs d’agnosie visuelle peuvent faire évoquer des formes focalisées postérieures de la MA : syndrome de Benson ; ceux-ci touchent préférentiellement ou majoritairement la voie dorsale (Fig. 1) ; • enfin, rappelons que l’apraxie rapidement progressive (comme * Neurologue, Lyon et EA3082, Laboratoire EMC, Université Lyon 2 **CM2R-Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne ***CM2R-Neurologie Midi-Pyrénées, CHU Purpan, Toulouse

Cortex intero-temporal

Figure 1 - La voie occipito-temporale (voie ventrale) permet la vision des objets (forme, couleur, détails, etc.) (la voie du “Quoi”), et la voie occipito-pariétale (voie dorsale) sous-tend la vision spatiale (localisation, coordination visuomotrice, perception du mouvement, etc.) (la voie du “Où” et du “Comment”) (1).

d’ailleurs l’aphasie) est un mode de révélation classique de la maladie de Creutzfeld-Jakob. L’entretien est fondamental car il va s’attacher à repérer des situations suggérant une agnosie visuelle. Il repose sur l’organisation cérébrale de deux voies visuelles (Fig. 1).

ENTRETIEN DEVANT UNE PLAINTE VISUELLE (GNOSIQUE) L’entretien permet le plus souvent de suspecter ces symptômes dont il faut arriver à faire préciser s’ils

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sont insidieux et progressifs. Souvent, les personnes ont déjà vu un ophtalmologiste ou un orthoptiste avant le neurologue. Un retard diagnostique est très fréquent. Des plaintes peuvent suffire à prescrire un bilan neuropsychologique, il faut juste savoir les écouter. L’entretien peut être libre, en encourageant le sujet à donner des exemples de la vraie vie, ou l’on peut utiliser le Q-ACP (2). Exemples de plaintes évocatrices d’une agnosie visuelle : • J’ai accroché ma voiture plu169


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sieurs fois, c’est comme si je ne voyais pas la largeur. • Je ne respecte plus les distances : je me stationne très loin du trottoir, ou je m’arrête trop loin du passage pour piétons, ou carrément dessus. • Je ne peux plus regarder un match de foot, je n’arrive plus à suivre les joueurs quand ils courent sur le terrain. • Il y avait l’autre jour un avion, j’entendais son bruit, je l’ai vu dans le ciel et puis j’ai continué à l’entendre mais je n’arrivais pas à suivre sa trace des yeux. • Je n’arrive pas à voir sur le toit de l’entrepôt voisin tous les panneaux solaires à la fois. • Parfois, je me sers à boire à côté ou je me sers à côté de mon assiette. • Parfois, j’ai du mal à mettre la table. • J’ai du mal à lire, je dois suivre depuis quelque temps avec une règle, je prends des livres écrits plus gros. • S’il y a beaucoup de monde dans une pièce, cela m’arrive de ne pas dire bonjour à tout le monde, il y en a que je ne vois pas… • J’ai du mal à trouver des objets dans mon placard (toujours rangé de la même façon) : l’autre jour, « je ne voyais » vraiment pas les bols. • Il y a des visages que je ne reconnais plus. L’examen des gnosies doit viser à explorer rapidement les fonctions sous-tendues par les voies dorsale et ventrale. Il est clairement assez difficile en un temps court de le faire, et sa normalité devant une plainte suspecte ne doit néanmoins pas différer un bilan spécialisé. ❚❚Concernant la voie dorsale Le plus simple est sûrement la description d’une scène visuelle complexe (si on en a l’habitude, par exemple la scène des cookies de la BDAE) pour analyser la vision 170

simultanée d’objets multiples (recherche d’une simultagnosie), les stratégies d’exploration, la compréhension des rapports spatiaux, etc. Si on suspecte une négligence, un test de barrage de croix (ou des cloches) peut être utile. Enfin, l’examen clinique recherche toujours une ataxie optique (atteinte bilatérale) : le patient ne peut se saisir d’un objet qui est placé dans son champ visuel. ❚❚Concernant la voie ventrale Les épreuves de dénomination d’objets et/ou de dessin spontané et copié peuvent démasquer une agnosie ; le test des 15 objets mêlés de Pillon permet d’évaluer aisément l’identification d’objets. Il peut s’agir : • d’une agnosie aperceptive (incapacité à reconnaître les objets ou images présentés à la vue) : le sujet présente alors un comportement d’aveugle et des circonlocutions descriptives des objets ; • ou d’une agnosie associative (atteinte des associations visuosémantiques) : le dessin d’objet est correct mais l’appariement catégoriel mauvais.

ENTRETIEN DEVANT UNE PLAINTE GESTUELLE (PRAXIQUE)

Lorsqu’un sujet rapporte des difficultés à manipuler des objets, le plus souvent nouveaux (téléphone, appareil photographique, microonde, etc.), voire totalement inconnus, il convient d’être sûr qu’il s’agit bien d’un trouble des praxies pour distinguer : • ce qui relève de la manipulation ; • ou de la séquence d’actions en termes de programmation, planification, prise de décision, etc. ; • ou de la compréhension de la notice, voire de la mémorisation des différentes étapes décrites sur celle-ci.

Les plaintes concernent le plus souvent la manipulation d’objets, mais peuvent aussi concerner des comportements étranges d’une main  : lévitation, agrippement, aimantation, etc. Exemples de plaintes évocatrices d’une apraxie : • Je suis maladroit. • Lorsque je tape sur un clavier, ma main droite traîne et frappe de façon décalée sur les touches. • J’ai du mal pour les gestes avec les deux mains : balayer, plier le linge. • Je n’arrive plus à mettre certains vêtements : accrocher mon soutien-gorge dans le dos, enfiler les manches, un pantalon. • Je me suis aperçu en trayant les vaches que mes mains ne se mettaient plus correctement et automatiquement sous les trayons. • Je n’arrive pas à apprendre de nouveaux pas à mon cours de danse. • Au cours de gymnastique, maintenant, je suis toujours en retard sur les autres, je n’arrive plus à imiter les postures du professeur. • J’écris mal, mon écriture remonte sur la feuille ; je fais des fautes, etc. L’apraxie peut être bilatérale ou unilatérale (le plus souvent sur l’hémicorps gauche). Elle peut n’apparaître que sur commande verbale ou sur imitation. L’examen sommaire se centre sur les membres supérieurs mais en théorie doit être global. Dans certaines situations, les sujets signalent une maladresse du pied, constatée en descendant l’escalier (en dehors d’un déficit moteur) l’examen comprendra des mouvements de rotation du pied - ou une gêne pour s’asseoir en positionnant mal le tronc et les fesses. Le Groupe de réflexion sur les praxies du Centre Mémoire de Ressources et de Recherche

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PLAINTES COGNITIVES

Ile-de-France Sud a proposé un outil de débrouillage (3). Les auteurs ont sélectionné un certain nombre de gestes avec des prérequis : gestes le moins ambigus possible, pas de gestes séquentiels ou requérant des consignes longues (biais éventuel verbal ou attentionnel), gestes d’utilisation d’objets familiers, propices aux imprécisions ou assimilation, gestes trop simples, trop culturels, etc. Le bilan prend 4 minutes. Trois dimensions sont explorées : • les gestes symboliques ; • les mimes d’actions ; • les gestes abstraits. Il convient, de plus, de toujours rechercher une apraxie mélo-

kinétique  : apposer les doigts sur le pouce l’un après l’autre ou pianoter. Cette maladresse peut conduire le sujet à avoir des difficultés à manipuler des objets, elle doit alors être distinguée d’une apraxie idéatoire. Elle est volontiers unilatérale ou très asymétrique. Elle est liée à une atteinte des aires prémotrices (aire 6). La maladie dégénérative dans laquelle peut s’observer une apraxie motrice inaugurale est la dégénérescence corticobasale (DCB), plus volontiers dénommée syndrome corticobasal (SCB) du fait de la variété de ses étiologies histologiques. Elle s’accompagne souvent

d’une main capricieuse ou étrangère. Elle s’observe aussi dans la paralysie supranucléaire progressive (PSP), les deux pathologies pouvant se confondre cliniquement. n

BIBLIOGRAPHIE 1. Purves D, Augustine GJ, Filzpatrick D et al. Neuroscience. Editions De Boeck, 2005. 2. Croisile B, Mollion H. Q-ACP : un questionnaire d’évaluation des plaintes visuelles et gestuelles des patients ayant une atrophie corticale postérieure. Rev Neurol (Paris) 2011 ; 167 : 485-94. 3. Mahieux-Laurent F, Fabre C, Galbrun E et al, et le Groupe de réflexion sur les praxies du CMRR I’île-de-France Sud. Validation d’une batterie brève d’évaluation des praxies gestuelles pour consultation Mémoire. Rev Neurol (Paris) 2009 ; 165 : 560-7.

4 Plainte exécutive et d’attention Comment conduire l’entretien neurologique et le bilan de débrouillage ? Dr Catherine Thomas-Antérion*, Dr Aurélie Richard-Mornas**, Sandrine Basaglia-Pappas** et Dr Michèle Puel***

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l convient de distinguer ce qui relève : • d’un ralentissement général (bradypsychie) ; • d’un trouble de l’attention (et de la mémoire de travail) ; • et de troubles de l’exécution proprement dits (1) ; pour ces derniers, il n’est pas toujours aisé de distinguer, par exemple, un trouble de la planification de difficultés instrumentales (langage, praxie, gnosie) ou de mémoire. L’entretien et l’examen neurologique vont être particulièrement attentifs au contexte somatique et psychique dans lequel le trouble est rapporté. L’examen neurologique peut notamment * Neurologue, Lyon ; et EA3082, Laboratoire EMC, Université Lyon 2 **CM2R-Neurologie, CHU Nord, Saint-Etienne ***CM2R-Neurologie Midi-Pyrénées, CHU Purpan, Toulouse

orienter l’entretien dans le champ des maladies vasculaires ou des syndromes parkinsoniens. Des questions ciblées sur les situations ayant inquiété le sujet sont autant importantes pour comprendre le trouble neurologique que pour évoquer des hypothèses psychopathologiques : • les troubles de mémoire (hormis des difficultés à récupérer des informations spontanément) = exceptionnels ; • les troubles instrumentaux ; • les difficultés attentionnelles et exécutives = très fréquentes.

LA RECHERCHE DE PATHOLOGIES PSYCHIQUES ASSOCIÉES • Il est assez aisé pour le neuro-

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logue de repérer un sujet anxieux. Il reste à déterminer si ce trait de caractère est constitutionnel et, si oui, quel évènement récent a pu le décompenser. • Il peut être payant de rechercher des phobies (notamment sociales), une tendance à la vérification (le sujet s’intoxiquant à force de tout noter), des attaques de panique, voire des TOC (le sujet saturant ses ressources attentionnelles). • Il convient aussi de chercher une autre pathologie psychique associée décompensant l’anxiété généralisée ancienne, telle qu’une dépression ou un état de stress posttraumatique. Il est rare, par contre, de poser un diagnostic de novo de maladie bipolaire, de schizophrénie, de PHC, etc., devant une plainte 171


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cognitive, sachant que toutes ces pathologies peuvent s’accompagner d’un syndrome dysexécutif. • Il est très fréquent qu’un sujet dit dépressif soit adressé chez le neurologue, qui retient ce diagnostic ou le corrige en trouble apathique dans le cadre d’une pathologie neurologique vasculaire ou neurodégénérative. De façon systématique, ces plaintes doivent conduire à rechercher d’autres difficultés, notamment mnésiques ou phasiques (plutôt une aphasie non fluente).

L’EXAMEN DE DÉBROUILLAGE Il comprend les séquences motrices et graphiques de Luria. Le plus rentable est probablement la réalisation de la BREF comprenant au moins les subtests suivants :

IL EST FRÉQUENT D’ENTENDRE LES PHRASES SUIVANTES : • Je n’arrive plus à faire deux choses à la fois. • J’ai du mal à m’organiser (et je dois tout vérifier). • Je ne peux m’empêcher de faire des choses routinières (prendre ma voiture le dimanche et rouler jusqu’à mon travail). • Je répète souvent, car je ne contrôle pas ce que j’ai déjà dit. • J’ai acheté deux fois des courses. • Je laisse brûler les casseroles quand on me dérange parce que cela me distrait, et je ne sais plus que je les ai mises à chauffer. • Je n’arrive plus à lire, je mélange les personnages ou je ne sais plus où j’en suis. • Je ne me rappelle jamais la liste des choses à faire. • Je suis très lent. …

• fluence formelle (mots en “r” en 1 minute) ; • les séquences motrices (le poing/ le côté/ à plat) ; • et les épreuves d’alternance et de Go-No-Go. n

BIBLIOGRAPHIE 1. Godefroy O, et le Groupe de réflexion sur l’évaluation des fonctions exécutives. Fonctions exécutives et pathologies neurologiques et psychiatriques. Marseille : Solal, 2008. 2. Dubois B, Slachevsky A, Litvan I, Pillon B. The FAB: a frontal assessment battery at bedside. Neurology 2000 ; 55 : 1621-6.

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