Cas clinique
Thrombose de la veine rénale et thrombophlébite cérébrale
Deux cas de thrombophilie par excès en facteur VIII
Marouane Belarbi*, Zakaria Chahbi**, Said Kaddouri**, Hassan Qacif**, Nadir Zemraoui*, Mohamed Zyani** (*Service de Néphrologie-hémodialyse, hôpital militaire Avicenne, Marrakech, Maroc ; **Service de Médecine interne, hôpital militaire Avicenne, Marrakech, Maroc ; marouane676@gmail.com)
La thrombose veineuse est d’origine multifactorielle (1). Selon Virchow, il peut s’agir d’une altération de la paroi vasculaire, d’une perturbation du flux sanguin ou de la composition du sang. La balance hémostatique peut être modifiée dans certaines situations acquises ou congénitales et devient ainsi responsable d’un état d’hypercoagulabilité, c’est ce qui définit la thrombophilie. La notion de thrombophilie est ancienne, le premier déficit décrit est celui de l’antithrombine et cela dès 1965. D’autres facteurs ont été étudiés par la suite, parmi lesquels l’excès en facteur VIII qui serait un éventuel coupable. Nous présentons le cas de deux femmes hospitalisées pour thromboses veineuses à localisations rares : au niveau de la veine rénale et au niveau cérébral, et dont la seule anomalie hémostatique retrouvée est un excès isolé du facteur VIII.
Observation 1
Une femme de 43 ans, diabétique de type 2 sous insuline, consulte en mai 2012 pour une hématurie totale, associée à des lombalgies gauches et à un syndrome fébrile. L’examen clinique montre une fièvre à 38°C et une sensibilité du flanc gauche, sans autre anomalie décelable. Ces symptômes, qui évoluaient depuis quarantecinq jours, sont traités au début comme une pyélonéphrite sans succès. Les examens biologiques montrent à l’admission une légère anémie hypochrome microcytaire à 11 g/dL, un taux de plaquettes et un taux de leucocytes normal, une protéine C réactive à 40 mg/L. La fonction rénale est préservée, le reste du bilan sanguin comportant la fonction hépatique, la glycémie
et l’électrophorèse des protéines est normal. L’examen des urines montre une hématurie importante sans leucocyturie. On note une protéinurie à 0,19 g/24 heures. L’uroscanner objective la présence d’une anomalie de perfusion du rein gauche associée à un thrombus de la veine rénale étendu à la veine cave inférieure, concluant ainsi au diagnostic de thrombose de la veine rénale gauche (Fig. 1). L’enquête étiologique recherche notamment une thrombophilie. Tout d’abord, le taux de prothrombine et le temps de céphaline activée sont normaux. Il n’y a pas de maladie de système, pas d’infection à tropisme veineux, pas de syndrome myéloprolifératif, ni de syndrome des antiphospholipides. Les dosages de l’antithrom-
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bine III, de la protéine C, de la protéine S et du facteur V, en dehors de tout traitement anticoagulant, ainsi que le test de résistance à la protéine C activée sont dans les limites de la normale. Le dosage du facteur VIII est augmenté à 230 % (60 %-150 %). La patiente n’a pas d’antécédents familiaux de thrombose veineuse. Elle est traitée par héparine avec en relais un traitement prolongé par antivitamine K. L’évolution sera satisfaisante avec disparition du thrombus, sans récidive cinq mois après le début du traitement.
Observation 2
Une patiente de 39 ans est hospitalisée en mars 2012 pour bilan étiologique d’une thrombophlébite
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Cas clinique
Figure 1 - Thrombose de la veine rénale gauche sur un uroscanner.
Figure 2 - Thrombophlébite cérébrale du sinus latéral gauche sur une angioIRM.
cérébrale survenue en 2009 et restée non explorée. Cette thrombose veineuse cérébrale s’était manifestée initialement par un syndrome d’hypertension intracrânienne fait de céphalées, de vomissements et de strabisme avec diplopie. Une imagerie cérébrale par résonance magnétique avait conclu à une thrombose du sinus latéral gauche (Fig. 2). La patiente a été mise sous traitement anticoagulant pendant douze mois et sous corticoïdes sans qu’aucune étiologie n’ait pu être identifiée. Cliniquement, la patiente (sans antécédents particuliers avant 2009) souffre encore de céphalées intermittentes, son examen clinique est normal. L’hémogramme et le dosage de la protéine C réactive sont normaux. Le TP est à 78 %, le TCA à 35 secondes. Le bilan sanguin rénal, hépatique ainsi que l’électrophorèse des protéines sont normaux. L’IRM cérébrale de contrôle est normale. Un bilan de thrombophilie est réalisé : la recherche d’une maladie de système est négative (en particulier la recherche d’arguments en faveur d’une maladie de Behçet), il n’y a pas de notion d’infection loco-
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régionale concomitante à la thrombophlébite. On ne retrouve pas de tumeur cérébrale ou de syndrome myéloprolifératif. Les anticorps antiphospholipides sont absents. En dehors de tout traitement anticoagulant oral, les dosages de la protéine C, de la protéine S, de l’antithrombine III et du facteur V sont normaux ; seul le dosage du facteur VIII est augmenté à 466 %. La patiente est mise sous traitement anticoagulant prolongé avec bonne évolution.
Discussion Thrombose de la veine rénale La thrombose de la veine rénale se manifeste cliniquement par une douleur lombaire ou abdominale aiguë, avec hématurie macroscopique. L’examen clinique peut trouver un rein palpable. Elle peut être également insidieuse, ou révélée par une protéinurie avec ou sans hématurie. Le scanner et l’imagerie par résonance magnétique confirment le diagnostic (2-
3). Chez notre patiente, le tableau clinique était typique et associait des lombalgies fébriles à une hématurie macroscopique. L’uroscanner avait posé le diagnostic avec certitude et avait permis d’éliminer une pyélonéphrite aiguë.
Thrombose veineuse cérébrale Les thromboses veineuses cérébrales (TVC) sont rares, elles surviennent surtout chez le sujet jeune. L’expression clinique des thrombophlébites cérébrales est très polymorphe, associant des signes d’hypertension intracrânienne et des signes focaux lorsque la thrombose se complique d’un infarctus veineux. Le mode d’installation est variable, de quelques jours à plusieurs semaines. Les TVC peuvent simuler un accident vasculaire artériel, un abcès ou une tumeur cérébrale, et parfois une méningite (4-6). Dans notre observation, les signes d’hypertension intracrânienne dominaient le tableau clinique. L’angioIRM était d’un apport décisif dans le diagnostic positif de thrombophlébite cérébrale.
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Thrombophilie Il est rapporté que 30 % des patients ayant eu un premier épisode thrombotique veineux déclarent avoir un parent de premier degré ayant déjà eu une thrombose (7). C’est ainsi que la recherche d’une cause de thrombophilie constitutionnelle s’est imposée chez nos deux patientes, malgré l’absence d’antécédents familiaux particuliers. Les étiologies de thrombophilie héréditaire, dont la première à avoir été décrite est le déficit en antithrombine, les plus fréquentes sont : les anomalies du système de la protéine C avec les déficits en protéine C ou en protéine S, et la résistance à la protéine C activée (8). L’excès en facteur antihémophilique A ou facteur VIII est retrouvé chez 11 % de la population générale. Ces taux varient également selon l’âge (augmentation de 6 UI/dL par décade), le sexe (femmes > hommes), le groupe sanguin (AB > A = B > O) ou l’origine ethnique (Noirs > Blancs) (9-10). Ils augmentent aussi lors de situations telles que l’inflammation, la
grossesse, l’hyperthyroïdie, l’atteinte hépatique ou l’artériopathie. Dans la Leiden Thrombophilia Study, 25 % des patients avaient des taux élevés de facteur VIII (> 150 %) avec un risque relatif de thrombose significativement accru (9-10). Dans la première et la seconde observation, le facteur VIII était augmenté respectivement de 230 % et de 466 %. Aucune situation physiopathologique justifiant ces valeurs n’a été identifiée. Il apparaît aussi que chaque augmentation de 10 UI/dL du facteur VIII plasmatique accroît le risque d’épisode thrombotique de 10 %. Ainsi, des taux supérieurs à 150 UI/dL sont retrouvés chez près de 60 % des patients ayant des récidives thrombotiques. Le mécanisme responsable de l’augmentation du risque vasculaire est encore inconnu : l’élévation des taux plasmatiques de facteur VIII pourrait accroître la génération de thrombine ou induire une résistance acquise à l’activité anticoagulante de la protéine C activée (910). Cet excès isolé en facteur VIII a été retenu comme seule étiologie
à ces deux thromboses rares. Après le traitement de la thrombose à la phase aiguë, la mise en évidence de cette anomalie constitutionnelle de l’hémostase a justifié la mise des deux patientes sous traitement anticoagulant prolongé.
Conclusion
Les étiologies inhabituelles de thrombophilie héréditaire, parmi lesquelles l’excès en facteur VIII, devraient être mieux connues et étudiées dans leurs aspects physiopathologiques et génétiques. Le bilan d’une thrombose veineuse est de plus en plus enrichi par les différents dosages de facteurs prothrombotiques. La découverte de l’une de ces étiologies doit poser l’indication d’un traitement anticoagulant prolongé, afin d’éviter les récidives. n
Mots-clés : Thrombose de la veine rénale, Thrombophlébite cérébrale, Excès en facteur VIII, Anticoagulants
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