Pharmacologie
L’industrie pharmaceutique face à sa mutation Qu’en est-il aujourd’hui ? n
Depuis au moins une décennie, de nombreux facteurs environnementaux conduisent les
grandes firmes pharmaceutiques à reconsidérer leur stratégie.
Dr Jean-Pierre Lehner*
Les facteurs environnementaux Ils sont nombreux et de différentes origines.
Contraintes réglementaires
Prise en charge des nouveaux médicaments par les organismes de remboursement Elle est devenue plus difficile, en raison de l’augmentation exponentielle des coûts de santé dans les pays occidentaux. La démonstration de la valeur médicale ajoutée du nouveau produit est un élément indispensable à l’obtention du remboursement. Le plan de développement doit comporter des études spécifiques pour satisfaire ce besoin. Cela vient s’ajouter aux contraintes réglementaires mentionnées précédemment. *Médecin, cardiologue, consultant pour l’Industrie pharmaceutique, Paris
Diabète & Obésité • Octobre 2013 • vol. 8 • numéro 72
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Elles se sont fortement alourdies tant au niveau de l’Union européenne que des États-Unis mais aussi dans les pays émergents. Les Agences réglementaires exigent aujourd’hui des preuves très robustes d’efficacité et de tolérance qui ont considérablement augmenté le coût du développement clinique des produits innovants.
Après la mise sur le marché Le paysage est très différent de ce qu’il était dans le passé : - la nécessité de produire aux Autorités de santé des données de tolérance à intervalles réguliers est maintenant élargie à une analyse de la balance bénéfice-risque en condition réelle d’utilisation du produit ; - la prise en charge, quand elle a été acceptée, est remise en question au moins tous les 5 ans en France, les données d’utilisation sont alors étudiées, en particulier le respect de l’indication ayant donné lieu au remboursement par la collectivité ; - le développement des molécules génériques qui a augmenté de façon considérable, conduisant à de ra-
pides pertes de revenus notamment sur le territoire nord-américain (90 % en quelques semaines), en Europe occidentale la baisse atteint 60 à 70 % en quelques mois. Voilà quelques exemples, donnés sans esprit polémique, qui conduisent les firmes pharmaceutiques ayant une forte activité de recherche et de développement à revoir leur modèle.
Des molécules innovantes Les dernières décennies ont été caractérisées par la recherche, le développement, la commercialisation de 259
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molécules innovantes s’adressant à de larges populations de malades. Cela correspond au modèle du blockbuster. Aujourd’hui on peut penser que ce modèle a atteint ses limites.
Des cibles plus restreintes En matière de médicaments les firmes s’orientent de plus en plus vers des molécules ayant des cibles plus restreintes, voire des maladies rares (maladies orphelines). Cette orientation est facilitée par les progrès des sciences fondamentales qui permettent de disséquer les grandes pathologies en montrant par exemple que tel récepteur est fortement exprimé dans un sous-groupe de malades, montrant que, bien que l’expression clinique de la maladie soit la même, les mécanismes responsables peuvent être différents. Un exemple ancien est la mise en évidence des récepteurs œstrogène et progestérone en pratique courante dans les tumeurs du sein. Cela a conduit à la mise au point de molécules spécifiques adaptées au profil de récepteurs retrouvés dans la tumeur. Cette approche personnalisée du traitement est celle qui prévaut actuellement. Cette approche modifie naturellement la cible potentielle de tout nouveau médicament.
Valeur médicale ajoutée Autre point de changement : la démonstration de la valeur médicale ajoutée qui se développe dans toutes les grandes firmes. Cela implique une modification de l’état d’esprit tant au niveau de la recherche qu’au niveau commercial. Cela nécessite de pouvoir disposer de données épidémiologiques solides afin de pouvoir identifier la population de malades qui bénéficiera au mieux du nouveau traitement.
Solutions thérapeutiques Ainsi, de nombreuses firmes phar260
maceutiques vont-elles chercher en dehors du champ de la pharmacologie classique des voies thérapeutiques pouvant bénéficier aux patients. L’objectif est de pouvoir proposer aux malades non seulement un traitement pharmacologiquement actif mais plus largement des solutions thérapeutiques, prenant en compte l’environnement de la maladie. Différentes approches sont considérées. ❚❚Produits non remboursés Le développement des produits non remboursés (Over the Counter) qui permettent de soulager de nombreux symptômes. ❚❚Information-santé Le développement de l’information-santé afin d’alerter le public pour pouvoir mettre en place des politiques de prévention, utilisant des moyens non médicamenteux. Les messages insistent sur le respect de règles d’hygiène de vie et sur les meilleurs moyens de dépistage. Cela est déjà développé dans la prévention de la pathologie cardiovasculaire ainsi que des cancers. ❚❚Nouveaux outils La mise à disposition de nouveaux outils permettant un meilleur suivi de pathologie chronique nécessitant une adaptation du traitement, par exemple dans le suivi du diabète. ❚❚Approche nutritionnelle La diversification dans des domaines jusqu’alors ignorés par les industriels de la pharmacie, en particulier l’approche nutritionnelle. On sait, notamment, l’importance des régimes alimentaires bien équilibrés pour faciliter la prise en charge des troubles métaboliques. La mise au point de compléments alimentaires médicalement validés est une piste considérée comme prometteuse par les industriels et doit être dévelop-
pée dans le futur. Il y a une évidente synergie entre les médicaments et cette approche. Bien que de grandes sociétés pharmaceutiques aient pris la décision de se séparer de cette activité, d’autres grandes firmes sont très impliquées dans l’approche nutritionnelle (citons par exemple G.S.K, Abbott). Récemment, les laboratoires Bayer ont acquis pour plus d’un milliard de dollars la société Schiff Nutrition International spécialisée dans les suppléments nutritionnels. On voit bien au plan stratégique l’intérêt que pourrait avoir une démonstration d’un meilleur bénéfice pour le patient de l’utilisation d’un médicament innovant en association avec un régime alimentaire plus adapté, en particulier dans le domaine du cancer. Malgré la forte concurrence de groupes spécialisés dans l’alimentaire (Danone® ou Nestlé®, par exemple), l’industrie pharmaceutique, qui met le patient au centre de ses préoccupations, ne peut être qu’un puissant acteur dans le futur.
Conclusion L’industrie pharmaceutique doit s’adapter au nouveau contexte auquel elle fait face. La diversification dans le domaine de la prise en charge des pathologies chroniques est évidemment en tête de liste de ces nouvelles approches. L’industrie considère de plus en plus des offres pour les patients qui ne se limitent aux seuls traitements médicamenteux, mais considère des solutions adaptées aux différentes pathologies. L’approche nutritionnelle représente, bien entendu, une des voies possibles, en particulier dans le cadre de la prévention des maladies cardiovasculaires liées aux troubles métaboliques et de la surcharge pondérale. L’approche diététique ne n peut être ignorée. Diabète & Obésité • Octobre 2013 • vol. 8 • numéro 72