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La coopérative, remède anti-crise ? Face aux groupements et aux enseignes, la coopérative fait son bonhomme de chemin auprès des pharmaciens désireux de garder leur indépendance sans pour autant être isolés. Décryptage d’un modèle qui a le vent en poupe.
Une dynamique collective
Ex-Cerp Rouen, Astera est la plus ancienne structure coopérative de pharmaciens. Depuis sa création, en 1919, elle a fait siennes les valeurs de partage, de solidarité, d’échange et de savoir-faire. « À la différence des groupements, qui s’apparentent de plus en plus à des franchises, le groupe Astera appartient à ses 6 500 pharmaciens sociétaires, qui s’engagent et participent à l’élaboration des actions et des outils, explique Alain Bertheuil. Leur priorité
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n peu de douceur dans un monde de brutes… C’est clairement le message qu’a voulu faire passer l’Assemblée générale des Nations unies en déclarant l’année 2012 « Année internationale des coopératives ». Avec cette initiative, l’ONU a non seulement voulu reconnaître l’efficacité du modèle coopératif, mais aussi et surtout sa pertinence face aux excès du capitalisme et son apport en termes de pratiques économiques et sociales : gouvernance démocratique, partage des décisions, répartition équitable des bénéfices, innovation… « Après les vilains requins et autres traders du capitalisme sauvage, l’ONU a en quelque sorte signé le retour en grâce d’un capitalisme à visage humain », résume en souriant Philippe Becht, président du directoire de Sogiphar. « Le modèle coopératif a le vent en poupe, acquiesce Alain Bertheuil, président d’Astera. Quatre raisons l’expliquent : une adéquation entre les besoins du terrain et les décisions prises, des intérêts convergents entre les sociétaires et la coopérative, la prise en compte de toutes les sensibilités grâce au principe ‘‘un homme = une voix’’, et l’indépendance financière qui permet d’échapper à toute pression ».
La priorité de nos sociétaires n’est pas de privilégier la recherche de bénéfices au profit du groupe ou d’un actionnaire, mais d’accompagner les patients.
AlainBertheuil,Astera
n’est pas de privilégier la recherche de bénéfices au profit du groupe ou d’un actionnaire, mais d’accompagner les patients. Et ils partagent des objectifs : développer leur activité, mutualiser des moyens et des compétences, rester propriétaires de leur pharmacie et maîtres de leur projet personnel et professionnel, sécuriser leur environnement, mettre en œuvre et transmettre des valeurs de responsabilité, d’équité et de respect du patient. La mutualisation ne se limite pas aux achats. Elle permet avant tout de gagner du temps pour conforter chaque sociétaire dans son rôle d’acteur de santé ». En d’autres termes, le modèle coopératif est une dynamique collective au service du développement individuel du pharmacien. La longévité du groupe Astera illustre en tout cas l’une des spécificités du modèle coopératif : sa résilience. « Le modèle économique et les solutions
proposées font de la coopérative un partenaire durable et indispensable du marché pharmaceutique, confirme Alain Bertheuil. Pour preuve : depuis sa fondation, Astera a su s’adapter aux mutations du marché et développer des services qui répondent régulièrement aux besoins exprimés par les pharmaciens ».
Des résultats redistribués
Faire progresser le métier et se concentrer sur les axes de développement, c’est aussi la vocation d’Ospharéa, autrefois CIP, une coopérative née il y a trente ans. « Une coopérative de pharmaciens est une entreprise comme une autre… sauf que ses membres sont à la fois actionnaires et usagers, relève Lilia Bulteel, sa directrice générale. La différence est fondamentale, notamment au regard des résultats financiers, qui sont redistribués de façon équitable à tous les adhérents et, pour partie,
Une savante alchimie
Groupements et coopératives ne sont pas toujours très éloignés. Giphar par exemple se compose de deux structures : le groupement stricto sensu dit Mouvement national des pharmaciens Giphar, et la société anonyme coopérative Sogiphar, bras économique et logistique du réseau. En sa double qualité de délégué général du groupement et de président du directoire de Sogiphar, Philippe Becht s’assure avant tout de la cohérence entre les besoins des pharmaciens et les services délivrés par la coopérative. « La vraie valeur ajoutée d’une structure coopérative repose sur le fait que, contrairement aux franchises, elle n’agit que pour le compte de ses adhérents, commente-t-il. Le profit leur est entièrement redistribué. En l’espèce, l’objectif n’est pas de s’enrichir, mais d’inventer, à partir de la mise en commun des forces de terrain, tout ce qui peut augmenter les comptes d’exploitation des officines et valoriser les fonds ». Pour autant, la mutualisation n’est rien sans discipline. « Il faut que mon réseau suive, confie-t-il. Il ne s’agit pas d’un abandon d’indépendance ou d’autonomie mais, pour fonctionner, une adhésion et une confiance absolues sont nécessaires ». L’autre difficulté est que les sociétaires étant tous actionnaires, chacun a un avis et veut le faire savoir. « Un tiers de mon temps est consacré à
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réinvestis pour construire des outils dédiés à la défense de leurs intérêts ». À l’instar d’Alain Bertheuil, Lilia Bulteel considère que le modèle coopératif est le mieux adapté pour faire face aux difficultés économiques que rencontre la profession. « L’organisation coopérative repose sur trois principes : la mutualisation de moyens matériels et humains, la solidarité et le partage des compétences, et la démocratie d’une gouvernance qui consacre l’égalité dans la prise de décision, rappelle-t-elle. Nous ne sommes pas dans une financiarisation de l’officine, mais dans une démarche de partage et d’échange de bonnes pratiques en vue de l’amélioration de l’activité professionnelle. Nos pharmaciens restent les seuls maîtres de leurs projets, mais dans un contexte de crise, je reste persuadée que la mise en commun des moyens permet de les faire avancer plus efficacement et favorise l’émergence d’idées innovantes. À mes yeux, la coopérative est un modèle d’avenir qui vient en complément des autres structures. Il rencontre d’ailleurs de plus en plus de succès ». la relation avec mes adhérents, avouet-il. C’est un peu lent, il faut prendre le temps de faire la synthèse, comme au Parti socialiste, mais une fois lancé, c’est comme un moteur diesel ! La coopérative est une structure complexe, lourde et parfois fatigante. C’est une savante alchimie qui consiste à introduire des méthodes, des techniques et de l’organisation sans casser ce qui lui est constitutif : le relationnel et les valeurs humaines ».
Il ne s’agit pas d’un abandon d’indépendance ou d’autonomie mais, pour Une conviction partagée Si le groupement Giropharm n’a pas le fonctionner, une statut de coopérative, il s’en approche adhésion et de très près au point d’être membre, lui une confiance aussi, de la Fédération du commerce absolues sont associé (FCA). « À mon sens, l’avantage nécessaires. majeur d’une coopérative est la conviction que partagent les sociétaires d’appartenir à une structure puissante dont ils sont les acteurs, commente Franck
Philippe Becht, Giphar/Sogiphar
4 caractéristiques fondamentales 1 Un rapprochement entre le propriétaire de la
coopérative et l’usager (les parts sociales sont la propriété des adhérents) 2 Une gestion démocratique (un homme = une voix) 3 Une distribution des bénéfices au prorata de l’activité exercée (et non des actions détenues) 4 Un modèle de développement économique durable
Vanneste, président du groupement. De ce point de vue, Giropharm peut être assimilé à ce modèle : tous nos adhérents sont actionnaires et bénéficient d’un droit de vote. Ils siègent au conseil d’administration et participent aux commissions. Tout leur appartient. Ils ont leur destin entre leurs mains. C’est ce qui fait le succès du modèle ». La marque de fabrique de Giropharm reste toutefois l’enseigne, à laquelle le groupement croit fortement. « Elle nous donne davantage de poids dans les négociations commerciales, indique Franck Vanneste. Il faut être unis pour mieux acheter, mais aussi pour mieux vendre. Le contenu d’une enseigne doit être riche ; le contenant ne suffit pas ». Même s’il reconnaît ne pas lire dans le marc de café ni savoir de quoi sera faite la pharmacie d’officine demain, Franck Vanneste en est convaincu : la double vision qu’il défend – l’indépendance du pharmacien via le modèle coopératif ou assimilé et l’exercice sous enseigne – devrait prévaloir à terme. « Le pharmacien doit rester indépendant, c’est dans ses gènes, dit-il. Parallèlement, l’enseigne est désormais incontournable. Certes, elle a été lancée trop tôt dans notre profession, et les consommateurs ont eu quelques difficultés à l’identifier. Il nous a fallu du temps pour travailler le contenant et le contenu. Mais aujourd’hui, tous les ingrédients sont réunis ». Anne Fellmann
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