aromathérapie
Huiles essentielles chez le nourrisson, pour ou contre ? Le pharmacien est particulièrement vigilant avec les médicaments à administrer au nourrisson, mais l’usage des huiles essentielles chez le tout-petit fait l’objet de divergences. Propos recueillis par Amélie Baumann-Thiriez
> « Pour, mais avec des nuances »
Dominique Baudoux, pharmacien, aromatologue et P-DG du laboratoire Pranarôm « Il faut avant tout dire que si le pharmacien n’a pas le savoir en la matière, il ne doit pas travailler avec les huiles essentielles chez le nourrisson. Certaines molécules aromatiques présentent un risque évident à leur emploi. Il s’agit par exemple des cétones, qui ont une neurotoxicité connue. On les écarte donc d’office chez la femme enceinte et le nourrisson. Il faut toutefois faire la part des choses : ce n’est pas parce qu’il y a 2 ou 3 % de cétones dans une huile essentielle qu’elle est obligatoirement toxique. On parle bien d’huiles essentielles qui contiendraient plus de 10 % de ce genre de molécules dans leur composition biochimique. Certes, les huiles essentielles peuvent être dangereuses, mais
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dans des mains expérimentées, elles le sont certainement moins que d’autres actifs médicamenteux. Plusieurs huiles peuvent être utilisées en toute sécurité et leur emploi par voie cutanée tempère fortement les risques de toxicité. Les pharmaciens et les médecins sont demandeurs d’un savoir leur permettant en connaissance de cause d’aller dans une pratique bien cadrée. La démarche sera donc la suivante : face à une demande d’aromathérapie pour un nourrisson, il faut s’assurer que le bébé n’est pas allergique. S’il est allergique, atopique, a de l’eczéma ou présente de l’asthme lié à l’allergie, c’est une raison suffisante pour éliminer l’emploi des huiles essentielles. En second lieu, s’enquérir des antécédents familiaux de convulsions, d’épilepsie. Dans ce cas, il faut aussi renoncer. Bien sûr, le pharmacien doit rappeler que les huiles essentielles sont une alternative, mais pas la panacée. Elles peuvent être employées en complément d’autres médicaments. Et enfin, on respecte à la lettre les doses et les posologies. On parle en gouttes et pour le consommateur la différence entre deux et cinq gouttes peut sembler insignifiante. Ce n’est pas le cas. Le pharmacien a un rôle primordial, car la meilleure protection est la qualité de son conseil. »
> « La réglementation est claire, c’est non »
Didier Pesoni, pharmacien, formateur, expert auprès de Phytosun’ Arôms (Omega Pharma France) « Pour les nourrissons, il n’y a pas à être contre ou pour. Un document de l’Afssaps/ANSM, paru en 2011 et envoyé à tous les professionnels de santé, contre-indique en effet les huiles essentielles chez l’enfant de 0 à 30 mois. Cette contre-indication est indiscutable quelle que soit la voie d’administration, le texte portant sur les suppositoires mais stipulant bien que l’emploi par voie cutanée ou inhalée présentait déjà cette contre-indication, et quel que soit le statut réglementaire des produits : cosmétique, dispositif médical, produit inhalé, suppositoires. Aussi les débats portent-ils aujourd’hui sur la notion de dérivés terpéniques mentionnée dans ce texte. Cette notion englobe les huiles
essentielles mais aussi certaines molécules extraites des huiles essentielles telles que camphre, eucalyptol, menthol, etc., employées comme principes actifs dans de nombreux produits. La position qui consiste à dire que certaines huiles sont utilisables au vu de ce texte car elles ne contiennent pas de dérivés terpéniques est une aberration. Toutes les huiles essentielles en contiennent. C’est donc très clair : le professionnel de santé doit appliquer cette recommandation, et ce jusqu’à ce que les produits contreindiqués aient fait la preuve qu’ils ne sont pas dangereux. Il y a pourtant des produits d’aromathérapie pour les bébés distribués en pharmacie, mais aussi des formations, des livres, etc., qui préconisent le recours aux huiles essentielles chez les nourrissons. C’est un problème pour les patients et les professionnels de santé qui ont du mal à comprendre ce paradoxe. Face à une demande au comptoir d’aroma pour un nourrisson, et même face à une ordonnance, il faut expliquer qu’à l’heure actuelle c’est contre-indiqué. C’est au pharmacien de choisir de ne pas délivrer. Bien sûr, il y a des huiles utilisables et qui ont été employées chez le nourrisson, mais la réglementation nous l’interdit. Le texte est clair, le professionnel de santé doit être cohérent. »
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