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Cancer du sein : nouvelles thérapies ciblées anti-HER2 Pertuzumab et trastuzumab-emtansine (T-DM1) Dr Nawale Hajjaji*

Résumé Les thérapies ciblées anti-HER2, avec pour chef de file l’anticorps monoclonal trastuzumab, ont modifié significativement l’histoire naturelle des cancers du sein avec surexpression de l’oncoprotéine HER2. Pour éviter l’apparition de résistances, le développement de méthodes plus efficaces de ciblage du récepteur HER2 se poursuit avec deux approches : • se focaliser sur le processus de dimérisation du récepteur HER2 ; • utiliser le concept d’anticorps conjugué. La dimérisation est une étape nécessaire pour l’activation du récepteur HER2. Elle requiert l’exposition du domaine 2 situé sur la partie extracellulaire du récepteur HER2. L’anticorps monoclonal pertuzumab assure un blocage de la dimérisation en ciblant le domaine 2 du récepteur. Associé au trastuzumab, le pertuzumab permet une inhibition plus complète des voies de signalisation stimulées par HER2. Il recrute également les cellules effectrices du système immunitaire capables de détruire les cellules cancéreuses. Les anticorps conjugués sont une classe émergente de biothérapies. Sur ces anticorps sont fixées de façon covalente une ou plusieurs molécules de chimiothérapie grâce à un agent de liaison. Cela permet de délivrer la chimiothérapie de façon sélective aux cellules tumorales qui surexpriment un antigène particulier. L’anticorps conjugué trastuzumab-emtansine (T-DM1) a été conçu pour délivrer de façon sélective de l’emtansine, un inhibiteur de l’assemblage des microtubules, aux cellules tumorales surexprimant HER2. Ces deux approches, inhibition de la dimérisation et anticorps conjugués, ont toutes les deux montré un intérêt clinique.

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es cancers du sein surexprimant l’oncoprotéine HER2 sont les tumeurs du sein qui ont le plus bénéficié des avancées des thérapies ciblées. Le ciblage de HER2, récepteur transmembranaire appartenant à la famille des récepteurs à l’EGF, par l’anticorps

* Hôpital de jour de Cancérologie, CHRU de Tours

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monoclonal trastuzumab ou par l’inhibiteur de tyrosine-kinase lapatinib, a considérablement amélioré le pronostic des patientes présentant ce type de tumeur. Bien que ces thérapies ciblées anti-HER2 aient modifié significativement l’histoire naturelle de cette catégorie de cancer du sein, des résistances

primaires ou acquises existent. En situation adjuvante, 15 % des cancers du sein HER2 positifs récidivent (1), et en situation métastatique, ces phénomènes de résistance limitent les réponses prolongées. Pour ces raisons, le développement d’approches plus efficaces de ciblage de HER2 se poursuit. L’approche de blocage de la dimérisation du récepteur HER2 par le pertuzumab et la vectorisation de la chimiothérapie par l’anticorps conjugué trastuzumab-emtansine, ont montré un intérêt clinique.

Inhibition de la dimérisation du récepteur HER2 Structure des récepteurs HER Les récepteurs HER sont au nombre de quatre : HER1 (ou EGFR), HER2, HER3 et HER4 (Fig. 1). Ce sont des protéines transmembranaires dont la partie extracellulaire peut recevoir des ligands, et dont la partie intracytoplasmique porte une activité enzymatique de type tyrosine-kinase. HER2 et HER3 sont des exceptions car HER2 n’a pas de ligand connu et HER3 ne porte pas d’activité tyrosinekinase. La partie extracellulaire onko + • Mars 2014 • vol. 6 • numéro 43


Cancer du sein : Nouvelles thérapies ciblées anti-HER2

Figure 1 - Les récepteurs HER (D’après Yarden et al, 2001).

des récepteurs HER est constituée de quatre domaines. Les domaines 1 et 3 accueillent les ligands, alors que le domaine 2 permet l’interaction du récepteur avec les autres membres de la famille, par dimérisation.

La dimérisation : étape nécessaire pour l’activation des récepteurs HER Dans leur forme inactive, les récepteurs HER sont repliés, le domaine 2 n’est pas exposé. Aucune dimérisation n’est possible. La fixation d’un ligand sur les domaines 1 et 3 va induire un changement de conformation, exposer le domaine 2, ce qui va autoriser la dimérisation des récepteurs avec un autre membre de la famille et leur activation (2). Le récepteur HER2 n’a pas de ligand connu. Il a la particularité d’être actif de façon constitutive sans nécessiter la fixation d’un ligand. Son domaine 2 est toujours exposé, il peut ainsi former des homodimères HER2-HER2 d’emblée actifs. Leur activation est dite ligand-indépendante. Au contraire, les autres récepteurs HER1, HER3 et HER4 nécessitent la fixation d’un ligand pour exposer le domaine 2. Leur activation est dite ligand-dépendante. onko + • Mars 2014 • vol. 6 • numéro 43

Du fait de son activation constitutive, le récepteur HER2 est le partenaire privilégié pour la formation des dimères. Les hétérodimères qui contiennent HER2 sont aussi les plus actifs. Paradoxalement, c’est le dimère HER2-HER3 qui est le plus mitogène alors que HER3 ne porte pas d’activité tyrosine-kinase. Une fois activés, les homo- et hétérodimères vont transmettre à la cellule cancéreuse, par leur partie tyrosine-kinase, un signal de prolifération et de survie, via la stimulation des cascades de signalisation. Les principales voies de signalisation mises en jeu sont les voies PI3K/AKT/mTOR, Ras et la voie des MAPK.

Pertuzumab : Inhibiteur de la dimérisation Le pertuzumab est un anticorps monoclonal humanisé de type IgG1. Il se fixe sur le domaine 2 de la partie extracellulaire du récepteur HER2, et empêche sa dimérisation avec les autres récepteurs (Fig. 2). Il inhibe ainsi l’activation ligand-dépendante des dimères (3).

son effet antitumoral en se fixant sur le domaine 4 du récepteur HER2. L’action du pertuzumab et du trastuzumab n’est pas antagoniste, au contraire, ils se potentialisent. Leur synergie a été démontrée par l’essai clinique de phase III randomisé CLEOPATRA (4). Sur la base de cet essai, le pertuzumab a obtenu un accord de mise sur le marché en association avec le trastuzumab et le docétaxel, en traitement de première ligne métastatique pour les cancers du sein HER2 positifs. Les mécanismes moléculaires qui sous-tendent cette efficacité sont multiples et mettent probablement en jeu un blocage plus complet des voies de signalisation et le recrutement de cellules immunitaires (ADCC) capables de détruire les cellules cancéreuses.

Vectorisation de la chimiothérapie avec le trastuzumab

pertuzumab et Trastuzumab : une combinaison synergique

Les anticorps conjugués : biothérapies innovantes pour améliorer la sélectivité de la chimiothérapie

Pertuzumab et trastuzumab se fixent sur des épitopes différents (Fig. 2). Le trastuzumab exerce

Les anticorps conjugués sont une classe émergente de biothérapie. Sur cette nouvelle génération 7


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d’anticorps sont fixées de façon covalente une ou plusieurs molécules de chimiothérapie. Cela permet de délivrer la chimiothérapie de façon sélective aux cellules tumorales qui surexpriment un antigène particulier. C’est une façon innovante de contourner un des problèmes majeurs de la chimiothérapie : son manque de sélectivité, responsable des effets toxiques sur les tissus normaux. Un anticorps conjugué comporte trois parties : un anticorps monoclonal reconnaissant un antigène spécifique, un agent de liaison ou linker, et une ou plusieurs molécules de chimiothérapie. L’antigène reconnu par l’anticorps doit être le plus spécifique possible de la tumeur, être exprimé en quantité suffisante à la surface des cellules cancéreuses, et être internalisable. Le linker doit être stable pour éviter la libération prématurée de la chimiothérapie dans la circulation sanguine. La nature chimique du linker détermine la biodistribution de l’anticorps conjugué. Il peut y avoir une à huit molécules cytotoxiques fixées de façon covalente sur un anticorps, sans que cette conjugaison modifie les propriétés de l’anticorps (5). Lorsque l’anticorps conjugué reconnaît sa cible antigénique à la surface de la cellule cancéreuse, le complexe anticorps conjuguéantigène est internalisé dans une vésicule intracytoplasmique. Des protéases lysosomales, libérées dans la vésicule d’internalisation, vont détruire l’anticorps, cliver le linker, et ainsi libérer les molécules de chimiothérapie qui vont pouvoir

Figure 2 - Site de fixation des anticorps monoclonaux trastuzumab, pertuzumab et TDM-1.

diffuser dans le cytoplasme. Très peu vont diffuser en dehors de la cellule cancéreuse, la majorité des molécules vont se fixer sur leur cible moléculaire pour induire la mort cellulaire. L’anticorps conjugué complexé à l’antigène de surface peut également induire le recrutement de cellules immunitaires (ADCC) pour détruire les cellules cancéreuses (6).

La vectorisation de l’emtansine en utilisant le trastuzumab permet de contourner ce problème. Le développement clinique de T-DM1 est bien avancé. Plusieurs essais cliniques évaluent sa tolérance et son efficacité chez des patientes présentant des métastases de cancer du sein HER2 positif.

Trastuzumab-emtansine (T-DM1) : un anticorps conjugué anti-HER2

Le pertuzumab est un inhibiteur de la dimérisation de HER2 dont l’action est synergique avec celle du trastuzumab. L’anticorps conjugué T-DM1 permet de délivrer de façon sélective la chimiothérapie aux cellules tumorales surexprimant HER2. Le positionnement de ces nouvelles approches dans la stratégie de traitement des cancers du sein métastatiques HER2 positifs n est en cours.

L’anticorps conjugué trastuzumabemtansine (T-DM1) a été conçu pour délivrer de façon sélective de l’emtansine aux cellules tumorales surexprimant HER2 (antigène cible) (Fig. 2). L’emtansine est un inhibiteur de l’assemblage des microtubules. Cette molécule dérive de la maytansine 1. L’intérêt clinique de la classe des maytansinoïdes a été évalué dans les années 1970-1980. À l’époque, les essais de phases II ont montré des résultats décevants, en partie du fait de toxicités dosedépendantes sur les tissus normaux.

conclusion

Mots-clés : Cancer du sein, Pertuzumab, Trastuzumab, Emtansine, T-DM1, Thérapie ciblée, Récepteur HER2

Bibliographie 1. Perez EA, Romond EH, Suman VJ et al. Four-year follow-up of trastuzumab plus adjuvant chemotherapy for operable human epidermal growth factor receptor 2-positive breast cancer: joint analysis of data from NCCTG N9831 and NSABP B-31. J Clin Oncol 2011 ; 29 : 3366-73. 2. Burgess AW, Cho HS, Eigenbrot C et al. An open-and-shut case? Recent insights into the activation of EGF/ErbB receptors. Mol Cell 2003 ; 12 : 541-52. 3. Baselga J. A new anti-ErbB2 strategy in the treatment of cancer: prevention of ligand-dependent ErbB2 receptor heterodimerization. Cancer Cell 2002 ; 2 : 93-5.

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4. Baselga J, Cortés J, Kim SB et al. Pertuzumab plus trastuzumab plus docetaxel for metastatic breast cancer. N Engl J Med 2012 ; 366 : 109-19. 5. Thudium K, Bilic S, Leipold D et al. American Association of Pharmaceutical Scientists National Biotechnology Conference Short Course: Translational Challenges in Developing Antibody-Drug Conjugates: May 24, 2012, San Diego, CA. MAbs 2013 ; 5 : 5-12. 6. Barok M, Tanner M, Köninki K, Isola J. Trastuzumab-DM1 causes tumour growth inhibition by mitotic catastrophe in trastuzumab-resistant breast cancer cells in vivo. Breast Cancer Res 2011 ; 13 : R46. onko + • Mars 2014 • vol. 6 • numéro 43


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