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Endocrinologie

Retard pubertaire de l’adolescente Diagnostic étiologique

Dr Natacha Bouhours-Nouet Pr Régis Coutant Service d’Endocrinologie Pédiatrique, CHU d’Angers

Le retard pubertaire est un motif de consultation beaucoup plus rare chez la fille que chez le garçon et doit faire rechercher en priorité une cause organique. Un syndrome de Turner doit être évoqué en premier lieu devant tout retard pubertaire associé à une petite taille. Le retard pubertaire simple est un diagnostic présomptif nécessitant une surveillance clinique.

Définition du retard pubertaire

Démarche clinique

Le retard pubertaire chez la fille se définit par l’absence de développement mammaire après l’âge de 13 ans et concerne 2,5 % des filles. Malgré un sex-ratio équilibré, les filles consultent deux fois moins que les garçons pour ce motif, en raison du moindre retentissement psychologique chez elles du retard staturo-pubertaire. Cependant, si celles qui présentent un retard pubertaire simple (se corrigeant seul) consultent moins, la probabilité d’identifier une cause organique (où le retard ne se corrigera pas seul) à ce retard pubertaire atteint presque 70 % des cas chez la fille, contre 30 % chez le garçon.

bbInterrogatoire

Classification en 4 groupes étiologiques Lors de la démarche clinique, le praticien aura à l’esprit 4 groupes étiologiques principaux : • l’hypogonadisme hypergonadotrope (avec en premier lieu, le syndrome de Turner) (25 % des cas) ; • l’hypogonadisme hypogonadotrope organique (et tout d’abord la tumeur cérébrale) (20 % des cas) ; • l’hypogonadisme hypogonadotrope fonctionnel (pathologie chronique connue ou non, activité physique intensive, anorexie) (20 % des cas) ; • le retard pubertaire simple, diagnostic à évoquer à condition d’avoir éliminé les causes précédentes (30 % des cas). 54

L’interrogatoire recherchera des antécédents (ATCD) familiaux de retard pubertaire, présents dans 80 % des cas de retard pubertaire simple (ménarche tardive de la mère, “poussée de croissance” tardive du père). A l’inverse, des ATCD familiaux d’anosmie ou d’infertilité orienteront vers un hypogonadisme hypogonadotrope organique congénital (avec ou sans syndrome de Kallmann). La connaissance de pathologies chroniques, ou de pratique intensive du sport (au-delà de 15 h par semaine) fera suspecter un déficit gonadotrope fonctionnel. Enfin, des ATCD d’irradiation abdominale, de chimiothérapie, de chirurgie ovarienne seront évocateurs d’un hypogonadisme hypergonadotrope acquis. L’entretien s’attachera à évaluer le retentissement psychologique du retard pubertaire, à identifier des troubles du comportement alimentaire (anorexie), des signes d’hypertension intracrânienne, des troubles visuels, des signes d’atteinte des autres axes hypothalamo-hypophysaires (évoquant une tumeur crânienne), une anosmie (par agénésie des bulbes olfactifs dans le syndrome de Kallmann).

bbCourbe staturo-pondérale La réalisation d’une courbe de croissance staturo-pondérale est obligatoire et peut montrer soit un infléchis-

Figure 1 - Développement mammaire selon Tanner. S1 : Absence de développement mammaire ; S2 : petit bourgeon mammaire avec élargissement de l’aréole ; S3 : la glande mammaire dépasse la surface de l’aréole ; S4 : développement maximum du sein (sillon sous mammaire), saillie de l’aréole sur la glande ; S5 : aspect adulte, disparition de la saillie de l’aréole, saillie du mamelon en avant de l’aréole.

sement statural progressif débutant vers l’âge de 9-10 ans évocateur d’un retard pubertaire simple, soit une cassure brutale de la courbe de croissance staturale alertant vers un processus expansif intracrânien, soit une croissance Adolescence & Médecine


Retard pubertaire de l’adolescente

très en deçà de la taille cible depuis plusieurs années faisant évoquer en premier lieu un syndrome de Turner. Enfin, il est facile d’identifier un amaigrissement récent.

bbExamen clinique L’examen clinique note une absence de développement mammaire (S1 selon Tanner, alors que le développement des glandes mammaires débute en moyenne vers 10-11 ans) (Fig. 1), une vulve encore infantile. Certains éléments dysmorphiques, souvent discrets, peuvent évoquer un syndrome de Turner : cou bref et large, aspect trapu, implantation basse des cheveux sur la nuque, écartement intermamelonnaire, cubitus valgus, brachymétacarpie.

Explorations paracliniques Les explorations paracliniques sont exposées en figure 2.

bbAge osseux L’âge osseux est évalué par une radiographie de la main et du poignet gauche selon l’atlas de Greulich et Pyle. L’apparition du sésamoïde du pouce à l’âge osseux de 11 ans chez la fille est contemporaine du démarrage pubertaire. En cas de retard pubertaire, l’âge osseux est souvent en rapport avec le retard de maturation physique, et donc souvent inférieur à 11 ans sans préjuger de sa cause. A l’inverse, un âge osseux supérieur à 11 ans chez une fille impubère est généralement anormal et oriente davantage vers un hypogonadisme.

bbL’échographie pelvienne L’échographie pelvienne est peu utile à ce stade du diagnostic, car elle témoignera du défaut d’imprégnation oestrogénique déjà cliniquement visible par l’absence ou le faible développement mammaire : la hauteur utérine est prépubertaire et inférieure à 35 mm, le col utérin est plus développé que le corps, les ovaires sont de petite taille. Les échographistes les plus entraînés pourront évoquer la présence de bandelettes à la place des ovaires. Adolescence & Médecine

bbLe dosage des gonadotrophines hypophysaires FSH et LH

non vers un déficit hypophysaire multiple acquis (souvent tumoral).

La mesure de l’œstradiol plasmatique est inutile : elle traduira simplement la faible production œstrogénique. Le dosage des gonadotrophines hypophysaires FSH et LH permet de différencier une origine gonadique (hypogonadisme hypergonadotrope, FSH et LH élevées) d’une origine haute (FSH et LH basses). Des valeurs basses de FSH et de LH ne permettent pas de distinguer un retard pubertaire simple (l’axe gonadotrope n’est pas encore sorti de la quiescence de l’enfance) d’un hypogonadisme hypogonadotrope (une pathologie empêche l’activation de l’axe). Le test au LHRH est inutile en première intention, ne permettant souvent pas de différencier un déficit gonadotrope d’un retard pubertaire simple.

bbRecherche d’une maladie chronique peu bruyante

bbEvaluation des autres axes hypophysaires

L’IRM hypothalamo-hypophysaire doit être effectuée facilement si les gonadotrophines sont basses, sauf si le tableau clinique est très évocateur de retard simple, et ne retrouve aucun élément en faveur

L’évaluation des autres axes hypophysaires (IGF-1, T4 libre, TSH, prolactine, ACTH cortisol) permet d’orienter ou

La recherche d’une maladie chronique peu bruyante est utile : comme une maladie cœliaque (anticorps antitransglutaminase) ou une insuffisance rénale (ionogramme sanguin et créatininémie).

bbCaryotype Un caryotype est nécessaire dans le cadre d’un hypogonadisme hypergonadotrope en l’absence d’antécédents pouvant expliquer une pathologie gonadique, qu’il existe ou non une dysmorphie évocatrice, pour porter le diagnostic de syndrome de Turner.

bbIRM hypothalamohypophysaire

Retard pubertaire

- Antécédents familiaux de retard pubertaire ? - Antécédents familiaux d’anosmie, d’infertilité ? - Antécédents familiaux de maladie chronique ? - Signes d’HTIC, troubles visuels, autres déficits hypophysaires ? Hypogonadisme hypogonadotrope FSH, LH basses AO < 11 ans Tableau typique de retard pubertaire simple ATCD = 0 Examen normal

AO < 11 ans Pas d’élément typique de retard pubertaire simple - FSH, LH - Iono sg, anti-transglutaminase - IGF-1, IGFBP3, T4L, TSH, PRL, SDHEA

AO > 11 ans = Hypogonadisme

Diagnostic présomptif de retard simple

Surveillance simple

Maladies chroniques FSH, LH basses Déficit gonadotrope fonctionnel

Insuffisance hypophysaire : FSH, LH basses + autres déficits

IRM crânienne

Retard simple ou déficit gonadotrope isolé : FSH, LH basses Seul le suivi permettra le diagnostic

Insuffisance ovarienne : FSH, LH élevées

Caryotype

Figure 2 - Démarche diagnostique devant un retard pubertaire. AO : âge osseux (D’après Edouard T, Pienkowski C, Tauber M. Retard pubertaire chez la fille. In : Chanson P, Young J. Ed. Traité d’Endocrinologie. Paris : Médecine-Sciences Flammarion, 2007 : 720)

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Endocrinologie d’une cause organique (voir ci-dessous). Il est en effet important d’éliminer en premier lieu une tumeur cérébrale. En présence d’une anosmie, et en cas de suspicion d’hypogonadisme hypogonadotrope aux premiers examens, une IRM cérébrale centrée sur les bulbes olfactifs sera effectuée à la recherche d’une agénésie des bulbes olfactifs, en faveur d’un syndrome de Kallmann.

Principales étiologies Nous ne détaillerons que les diagnostics le plus fréquemment rencontrés en pratique clinique.

bbLes pathologies gonadiques (hypogonadisme hypergonadotrope) L’impubérisme contraste avec des valeurs élevées de FSH et LH. Les hypogonadismes hypergonadotropes représentent 25 % des cas de retard pubertaire chez la fille.

Syndrome de Turner Dans cette situation, le syndrome de Turner est l’étiologie la plus fréquente (25 %) (Fig. 3). Il touche 1/2 500 filles à la naissance. Le caryotype le plus fréquent est 45X, plus rarement une mosaïque 45X/46XX ou 45X/46XY, ou une anomalie de structure de l’X. Le retard statural doit permettre d’en faire le diagnostic avant l’âge pubertaire. Les éléments dysmorphiques décrits plus hauts peuvent être plus ou moins marqués. Il existe des atteintes cardiaques dans 30 % des cas (coarctation de l’aorte, bicuspidie aortique, autre cardiopathie congénitale), des atteintes rénales (reins en fer à cheval, uropathie obstructive), et une fragilité vasculaire (avec risque de dissection aortique ou d’anévrysme aortique chez l’adolescente ou l’adulte jeune). La taille adulte spontanée moyenne est de 142 cm, elle peut être améliorée de 7 à 10 cm en moyenne par un traitement par hormone de croissance débuté suffisamment tôt. Près de 90 % des filles atteintes ont une dysgénésie gonadique et 70 à 80 % n’ont pas de puberté spontanée. Les grossesses spontanées chez les femmes atteintes sont très rares. L’in56

Figure 3 - Courbe de croissance d’une patiente ayant un syndrome de Turner. Il fut diagnostiqué à l’âge de 15 ans devant une aménorrhée primaire. Il existait un impubérisme, un retard statural majeur, des antécédents uro-néphrologiques et des éléments dysmorphiques évocateurs. Le traitement par hormone de croissance puis l’œstrogénisation, bien que débutés tardivement, ont permis d’obtenir une taille finale correcte.

duction pubertaire par les œstrogènes doit débuter vers 12 ans. La féminisation trop tardive serait un élément favorisant une moindre qualité de vie à l’âge adulte.

Antécédents de chimiothérapie Des antécédents personnels de chimiothérapie par agents alkylants, antimétabolites, alcaloïdes, d’irradiation abdominale ou pelvienne, peuvent également entraîner un hypogonadisme hypergonadotrope. Les mesures prophylactiques peuvent

comporter la transposition d’ovaires avant irradiation, une mise au repos ovarienne par les analogues de la LHRH ou par pilule œstro-progestative (d’efficacité incertaine), et s’orientent actuellement vers la cryoconservation de cortex ovarien, sans consensus concernant les indications.

Insuffisances ovariennes primitives Enfin, les insuffisances ovariennes primitives (IOP) peuvent être en rapport avec une mutation du récepteur de la FSH, Adolescence & Médecine


Retard pubertaire de l’adolescente

une galactosémie, une ovarite auto-immune, ou ne pas recevoir d’explication.

bbLes hypogonadismes hypogonadotropes fonctionnels C’est une cause fréquente de retard pubertaire chez la fille (20 % des cas). Toute pathologie chronique sévère peut être responsable d’un retard pubertaire (mucoviscidose, cardiopathie, maladie cœliaque, insuffisance rénale). L’hypogonadisme hypogonadotrope (FSH et LH basses) fonctionnel est alors réversible avec l’amélioration de la symptomatologie causale.

Figure 4 - IRM hypothalamo-hypophysaire mettant en évidence un crâniopharyngiome chez une fille de 11 ans, ayant entraîné des troubles visuels et des céphalées.

L’anorexie mentale entraîne rarement un impubérisme, sauf si les troubles ont eu un début prépubertaire. Lorsque les troubles du comportement alimentaire débutent en cours de processus pubertaire, sa progression peut être considérablement ralentie voire interrompue et le pic de croissance pubertaire altéré. Les sports intensifs alliant restriction calorique, contrôle excessif du poids et dépense énergétique élevée empêchent l’activation de l’axe gonadotrope à l’âge normal de démarrage de la puberté et retardent le démarrage pubertaire et la ménarche. Les sports concernés sont essentiellement la gymnastique et la danse à haut niveau (> 15 h/semaine).

bbLes hypogonadismes hypogonadotropes organiques (anomalie empêchant l’activation de l’axe : LH et FSH basses) Tumeur de la région hypothalamo-hypophysaire Ils représentent 20 % des retards pubertaires chez la fille. L’association d’un impubérisme ou bien d’une puberté traînante à une cassure staturale évoque en premier lieu une tumeur de la région hypothalamo-hypophysaire. Elle peut être responsable d’un panhypopituitarisme acquis, associé à un retentissement sur les voies optiques et à des signes d’hypertension intracrânienne. Adolescence & Médecine

Tableau 1 - Retard pubertaire simple versus déficit gonadotrope. (D’après Coutant R, Bouhours-Nouet N. Puberté normale et pathologique. Rev Prat 2010 ; 60 : 721-7). Retard simple de croissance Déficit gonadotrope isolé et de puberté ou combiné • ATCD familiaux de puberté tardive • ATCD familiaux d’infertilité ou • Pas d’ATCD familial d’infertilité • d’anosmie • ou d’anosmie • Pas d’infléchissement statural • Infléchissement statural progressif • (évoque un déficit gonadotrope • et modéré de moins de 1 DS • congénital) • Pas de cassure de la courbe de taille • Cassure de la taille (évoque une • Age osseux retardé < 11 ans • tumeur de la région hypothalamo• Pas d’obésité • hypophysaire) • Pas d’anosmie • Impubérisme avec âge osseux > 11 ans • Pas d’élément évocateur d’un • Obésité • syndrome • Anosmie ou autres éléments • Pas de signes d’HTIC ou de déficit visuel • cliniques du syndrome de Kallmann • Pas de signe de déficits • (syncinésie…) • hypophysaires combinés • Signes d’HTIC ou déficit visuel • Signes d’autres déficits hypophysaires

Le crâniopharyngiome, tumeur bénigne développée sur les reliquats de la poche de Rathke, est la cause la plus fréquente (Fig. 4). D’autres tumeurs de cette région sont parfois en cause, comme le germinome, l’astrocytome, et le gliome.

Les déficits gonadotropes Les déficits gonadotropes isolés congénitaux, avec anosmie (syndrome de Kallmann) ou sans anosmie, sont plus rares.

Autres déficits hypophysaires congénitaux Le déficit gonadotrope associé à d’autres déficits hypophysaires

congénitaux, dans le cadre de malformations de la région hypothalamohypophysaire (interruption de tige pituitaire) ou d’anomalies de développement anté-hypophysaire d’origine génétique sont diagnostiqués devant le retard statural lié au déficit somatotrope avant la période de la puberté (PROP1).

bbLe retard pubertaire simple (LH et FSH basses) Le retard pubertaire simple représente 30 % des retards pubertaires chez la fille. C’est un extrême du développement pubertaire normal. Il correspond 57


Endocrinologie aux 2,5 % des filles qui déclenchent leur puberté après 13 ans. L’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique n’est pas encore sorti de la quiescence de l’enfance. L’âge osseux est en retard par rapport à l’âge chronologique, inférieur à 11 ans, concordant avec le retard pubertaire. Il est alors très difficile de distinguer un retard pubertaire simple d’un hypogonadisme hypogonadotrope. Il s’agit alors d’un diagnostic présomptif reposant sur les éléments décrits dans le tableau 1. En présence des éléments positifs du

diagnostic, et en l’absence d’éléments de déficit gonadotrope, le diagnostic de retard simple est probable : il sera confirmé par le suivi jusqu’au démarrage de la puberté. Le pronostic du retard pubertaire simple est bon : la puberté survient en règle spontanément vers 13-14 ans. Le pic pubertaire est retardé et moins ample, mais la croissance se poursuit plus longtemps : la taille finale est en accord avec la taille cible génétique. Un autre critère d’évolution important du pronostic est l’aspect psychologique. Si

certaines études retrouvent chez les adultes ayant présenté un retard de puberté le sentiment que ce retard a affecté leur vie sociale, professionnelle et affective, aucune différence significative n’a été trouvée en termes de catégories socio-professionnelles, d’estime de soi ou de statut marital. n

Mots-clés : Retard pubertaire, Fille, Etiologies, Syndrome de Turner, Hypogonadisme hypogonadotrope

Pour en savoir plus • Edouard T, Pienkowski C, Tauber M. Puberté normale chez la fille.

Sciences Flammarion, 2007 : 720-5.

In: Chanson P, Young J. Ed. Traité d’Endocrinologie. Paris : Médecine-

• Coutant R, Bouhours-Nouet N. Puberté normale et pathologique. Rev

Sciences Flammarion, 2007 : 714-9.

Prat 2010 ; 60 : 721-7.

• Edouard T, Pienkowski C, Tauber M. Retard pubertaire chez la fille.

• Sedlmeyer IL, Palmert MR. Delayed puberty: analysis of a large case series

In: Chanson P; Young J. Ed. Traité d’Endocrinologie. Paris : Médecine-

from an academic center. J Clin Endocrinol Metab 2002 ; 87 : 1613-20.

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