Adomed5 complet

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Psychiatrie Etats limites

La revue de la médecine pour les adolescents Avril 2013 - vol. 3 - n°5 - 8 e P. 19

société

A la rencontre de la BPM de paris

mieux comprendre cette institution DRPJ : Département Régional de la Police Judiciaire P.04

Dermatologie Psoriasis Tout sur la prise en charge

P.14

Endocrinologie La transition dans le suivi de l’adolescent obèse

P.10

Diabétologie Diabète Quel vécu corporel ?


éditorial

Nemo legem ignorare censetur* Dr Hervé Lefèvre Rédacteur en chef

C

e précepte du droit romain qui date de l’Antiquité et que la pensée juridique et politique moderne admet toujours comme l’un de ses principes les plus incontestables, signifie qu’il ne s’agit pas de connaître la loi, mais que personne ne peut tirer argument de son ignorance pour échapper aux sanctions qu’elle prévoit.

Pédiatre, Paris

« Face à cette réalité nous sommes en première ligne pour évoquer et initier la prise en charge des situations “d’enfance en danger” ».

Au début des années 2000, le nombre annuel de cas d’enfants victimes de maltraitance était estimé à 21 000. De nombreux arguments plaident pour leurs sous signalements, parmi lesquels le nombre dramatiquement élevé de décès (700 par an) par sévices ou à la suite de privation infligés par leurs proches. Les propos des Commissaires de la Brigade de Protection des Mineurs de Paris qui témoignent leur activité dans ce numéro, partagent cette impression de signalement insuffisant. Cependant, cette mission est souvent délicate pour un médecin, a fortiori isolé, pour des motifs parfois contradictoires. Ils fluctuent entre la nécessaire protection du mineur, la peur des conséquences (en cas d’erreur), et/ou d’une rupture de relation de soins. Cette valse hésitation est probablement renforcée par une législation pénale et déontologique qui peut sembler sous certains aspects contradictoires. Face à cette réalité nous, médecins d’enfants et d’adolescents, sommes avec d’autres professionnels de l’éducation, de la protection sociale…, en première ligne pour évoquer et initier la prise en charge des situations “d’enfance en danger”. Ce terme jugé moins restrictif a remplacé depuis la loi 2007 celle “d’enfance maltraitée”. Un effort politique a depuis été réalisé pour tenter d’améliorer cette situation grâce au travail de groupes pluri professionnels compétents. Il informe, propose des conduites à tenir, et insiste sur la possibilité désormais légale de se faire conseiller en cas de situation jugée problématique, grâce à l’aménagement du secret professionnel au niveau des instances compétentes (CRIP). Ainsi deux procédures existent, soit celle du signalement au Procureur de la République de faits graves nécessitant des mesures appropriées dans le seul but est de protéger l’enfant, soit celle de transmettre une information préoccupante à la CRIP en cas de crainte pour l’enfant d’une situation de danger ou à risque de l’être. Enfin, il est impératif de ne dénoncer les faits, rien que les faits, rapportés et non leurs auteurs allégués pour se protéger de toute poursuite… Bonne lecture ! * “Nul n’est censé ignorer la loi”


SOMMAIRE

avril 2013 - vol. 3 - n°5 - 8 e

L a

r e v u e

d e

l a

m e d e c i n e

p o u r

l e s

a d o l e s c e n t

Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Chef du Service Rédaction : Odile Mathieu • Rédacteur : Sébastien Cuvier • Secrétaire de rédaction : Annaïg Bévan • Chef de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette : Elodie Lecomte • Illustration : Antoine Orry • Chef de publicité : Catherine Patary-Colsenet • Service abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 60205 Compiègne Rédacteur en chef Dr Hervé Lefèvre (Paris)

Dermatologie Psoriasis

Quel retentissement à l’adolescence ? Comment le prendre en charge ? Dr Françoise Raynaud

Diabétologie Quels enjeux ?

• Comité scientifique : Dr Sophie Lemerle-Gruson (Créteil), Pr Claude Griscelli (Paris), Pr Régis Coutant (Angers), Pr François Doz (Paris), Pr Jean Wilkins (Montréal)

Endocrinologie

• Comité de rédaction : Dr Emmanuelle Mimoun (Toulouse), Dr Paul Jacquin (Paris), Dr Arnaud Chalvon (Lagny) Dr Chantal Steinhert (Boulogne), Dr François Pinabel (Paris), Dr Claire Bouvattier (Paris) Dr Anne Allemandou (Paris).

Dr Emmanuelle Mimoun, Dr Hervé Lefèvre, Dr Béatrice Jouret, Dr Gwenaëlle Diene, Pr Maïté Tauber

Adolescence & Médecine est une publication © Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : adomed@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 ISSN : en cours 3 numéros par an

P. 10

Image corporelle chez l’adolescent diabétique

• Conseiller scientifique de la rédaction : Dr Thomas Girard (Paris)

• Comité de lecture ; Dr Catherine Naret (Paris) Dr Florence Moulin (Paris), Dr Chantal Deslandre (Paris), Dr Marie Noelle Lebras (Paris), Dr Dominique Cassuto (Paris), Dr Edith Gatbois (Paris), Dr François Bernard (Paris), Dr Chloé Lacoste (Paris), Dr Bertrand Vachey (Paris), Dr Sophie Gaudu (Paris), Dr Françoise Raynaud (Paris), Dr Delphine Martin (Paris).

P. 4

Eloise Hellier, Dr Hervé Lefèvre P. 14

Transition dans la prise en charge de l’adolescent obèse Définitions, étapes et réflexion

Société

P. 19

A la rencontre de la brigade des mineurs de Paris

L’essentiel pour mieux comprendre cette institution Thierry Boulouque, Céline Plumail, Dr Hervé Lefèvre

psychiatrie

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Evolution des états limites à l’adolescence “Au-delà de cette limite, votre ticket est-il encore valable ?” Dr Jean-Pierre Benoit

Abonnement

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Dermatologie

Psoriasis Quel retentissement à l’adolescence ? Comment le prendre en charge ? Le psoriasis est une maladie commune inflammatoire chronique à manifestation essentiellement dermatologique et rhumatologique, qui atteint 2 % de la population mondiale. Le psoriasis est associé à d’autres maladies (comor-

Dr Françoise Raynaud Dermatopédiatre, Maison de Solenn, Paris

bidités) et diminue la qualité de la vie. Le psoriasis représente une des maladies dermatologiques les plus fréquentes.

Introduction La prévalence dans la population mondiale est estimée entre 0,6 et 4,8 %. Les caucasiens sont plus fréquemment atteints que les autres races ou groupes éthniques. La prévalence chez l’enfant et l’adolescent est de l’ordre de 0,5 % à 1,4 %, et est plus élevée chez les filles que chez les garçons. L’âge de début est un peu plus précoce chez le garçon comparé à la fille. Le début pendant les deux premières décades de la vie est de 31 % à 45 % des adultes atteints (1). Selon l’âge de début, on a défini un psoriasis de type 1 s’il débute avant 40 ans, ce type de psoriasis est souvent familial et très associé au groupage HLA-Cw6. Le psoriasis de type 2 est à début tardif, non associé à l’allèle Cw6. Récemment, l’accent a été mis sur l’association du psoriasis, maladie inflammatoire systémique, avec des comorbidités afin de mieux comprendre les difficultés rencontrées dans la génétique du psoriasis et de plus pour améliorer l’ultérieurement les choix thérapeutiques, qui se sont accrus ces dernières années. En effet, les derniers traitements sont issus des recherches fondamentales sur la physiopathogénie du psoriasis.

Clinique On distingue différentes formes cliniques en dermatologie. Le psoriasis 4

Figure 2 - Plaques de psoriasis vulgaire sur la jambe.

cuir chevelu, les coudes, les genoux, la région lombosacrée. Les plaques peuvent prendre l’aspect de courbes linéaires (psoriasis gyrata), ou un aspect d’anneaux avec un centre clair dans un deuxième temps (psoriasis annulaire). Enfin, il peut avoir l’aspect de petites papules desquamantes à l’orifice des follicules pilosébacées (psoriasis folliculaire).

Figure 1 - Plaque de psoriasis vulgaire avec ses squames blanchâtres hyperkératosiques témoin du trouble de différenciation des kératinocytes.

est une dermatose papulosquameuse qui varie dans son aspect, la répartition des lésions, sa sévérité voire dans son évolution.

bbPsoriasis vulgaire La forme la plus fréquente est le psoriasis vulgaire. La particularité des lésions cutanées est leur caractère bien circonscrit, arrondi papules ou plaques érythémateuses surmontées de squames blanches argentées (Fig.1 et 2). La répartition des lésions est typiquement symétrique siégeant sur le

La squame est normalement présente dans les lésions de psoriasis. Elle est blanche argentée et varie en épaisseur. La quantité de squames varie chez les patients et selon les localisations chez un même patient. L’ablation de la squame peut induire des petites gouttes de sang.

bbEn gouttes Le psoriasis en gouttes (Fig. 3) est une forme clinique particulière des enfants et adolescents, qui décrit un début aigu d’une myriade de petites lésions de

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Psoriasis

psoriasis de diamètre de 2 à 10 mm. La distribution est centripète sur le tronc et l’abdomen, mais peut aussi atteindre la tête et les membres. Cette forme fait suite classiquement à une infection streptococcique du groupe B du pharynx ou des amygdales survenue peu de temps avant. Il peut agir d’un mode de début du psoriasis. Le nombre de lésions varie de 5, 10 à plus d’une centaine. Cette forme représente 2 % des cas de psoriasis. Chez l’enfant et l’adolescent, cet épisode s’arrête de lui-même, alors que chez l’adulte, une poussée de psoriasis en gouttes peut compliquer un psoriasis chronique. Une étude de Martin rapporte que uniquement 30 % des enfants ayant eu cette forme clinique de psoriasis pourront éventuellement développer un psoriasis chronique (2).

bbInversé Le psoriasis inversé ou flexural est aussi une forme clinique volontiers rencontrée chez l’adolescent siégeant dans les creux axillaires, plis inguinaux voire sous-mammaire. L’aspect des lésions est différent du fait de l’absence de squames dont le diagnostic différentiel sera les intertrigos à dermatophyte, ou candidosique.

bbUnguéale psoriasique L’atteinte unguéale psoriasique est fréquente siégeant tant aux ongles des mains que des pieds (Fig. 4). Elle réalise le plus communément l’ongle en dés à coudre du fait de la présence de petits puits sur l’ongle. Moins fréquemment, l’ongle peut se détacher sur la partie distale, il s’agit d’une onycholyse parfois associée à des zones jaune-orangées avec une hyperkératose subunguéale.

bbDu cuir chevelu Le psoriasis du cuir chevelu est un mode de début chez l’adolescent. Il se manifeste par des plaques bien limitées recouvertes de larges squames, dont le nombre et la taille sont variables. Les localisations sont volontiers occipitales, ou à la lisière du cuir chevelu, le psoriasis est très érythémateux.

Figure 3 - Psoriasis en gouttes sur le dos des pieds.

bbLe psoriasis palmoplantaire Il se présente sous forme de pustules amicrobiennes, stériles, jaunâtres sur fond érythémateux associées à une desquamation affectant les paumes des mains et/ou la plante des pieds. L’atteinte unguéale y est fréquente. A noter, on ne retrouve pas dans cette forme clinique, l’association génétique au groupage HLA-Cw6.

bbErythrodermie L’érythrodermie est rare chez l’adolescent. Elle peut revêtir deux aspects : • soit le psoriasis chronique en plaques s’étend graduellement ; les plaques deviennent confluentes pour couvrir une grande surface. • soit l’érythrodermie est une manifestation transitoire instable précipitée par une infection, les goudrons, les médicaments, ou l’arrêt de la corticothérapie. L’érythrodermie compromet la thermorégulation cutanée, ce qui occasionne une hypothermie, une décompensation cardiaque, une hypoalbuminémie et une anémie par déficit en fer, vitamine B12 et folates.

bbAtteintes rhumatismales Les atteintes rhumatismales psoriasiques sont rares et de deux types. Il peut s’agir d’un rhumatisme proche de la spondylarthrite ankylosante avec atteinte vertébrale et sacroiliaque.

Figure 4 - Psoriasis unguéal.

L’arthrite juvénile inflammatoire séronégative est rare.

bbPsoriasis associé à l’infection VIH Enfin, dans les formes graves et résistantes au traitement conventionnel, il faudra penser au psoriasis associé à l’infection VIH, qui peut être difficile à différencier de la dermatite séborrhéique.

Comorbidités Les comorbidités sont, chez l’adolescent, avant tout les maladies métaboliques, comme le diabète, l’obésité avec l’hyperlipidémie associée au psoriasis (3) et les troubles psychologiques tels que le stress et la dépression sont

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Dermatologie

Lors de psoriasis vulgaire en plaques, on évoque plusieurs diagnostics possibles.

• Lors d’érythrodermie, on évoquera soit une toxidermie, un lymphome ou un eczéma. • Le rhumatisme psoriasique est difficile à différencier de la polyarthrite rhumatoïde ou de la spondylarthrite ankylosante, lors d’absence de signes cutanés.

bbLe pityriasis rosé de Gibert

La physiopathogénie

Le pityriasis rosé de Gibert est une dermatose qui atteint les adolescents ou jeunes adultes, bénigne et résolutive en six semaines. Elle siège sur le thorax, débutant par une lésion claire au centre et érythémateuse en périphérie avec une fine desquamation suivie, quelques jours plus tard, par des petites maculopapules érythémateuses sur le thorax, abdomen, racines des cuisses avec respect du visage. Les lésions sont peu prurigineuses. L’étiologie semble virale.

Le psoriasis est une maladie inflammatoire caractérisée par une hyperprolifération et un trouble de différenciation des kératinocytes. Un rôle central est l’interaction entre l’immunité innée et acquise. Lors de l’initiation du psoriasis et lors des poussées, les cellules dendritiques myéloïdes dans l’épiderme et le derme vont s’activer. Elles produisent TNFα et IL-23, qui va promouvoir le dévelopement de certaines sousclasses de lymphocytes T (Th-1, Th-17). Ces cellules T sécrètent des substances qui induisent les modifications vasculaires et épidermiques du psoriasis. Les signaux des voies de transduction activées vont amplifier la réponse inflammatoire immune. Les peptides antimicrobiens du système immunitaire inné ont un rôle fondamental dans l’homéostasie dans la surface des organes tels que la peau. Ils sont augmentés dans le psoriasis et sont témoin de l’activation de l’immunité innée (5).

accrus (4). De plus, la consommation d’alcool aggrave cette dermatose.

Le diagnostic différentiel

bbLa dermatite séborrhéique La dermatite séborrhéique est en général localisée aux sillons nasogéniens, dans le cuir chevelu, ou à sa lisière. Le diagnostic est plus difficile. Des formes de passage entre les deux dermatoses sont possibles.

bbLa dermatite atopique La dermatite atopique est aussi facile à différencier dans sa forme typique, par la topographie, l’association à d’autres signes d’atopie (asthme, rhinite) et à des IgE élévés. Mais le diagnostic n’est pas toujours aisé : psoriasis eczématiformes, eczéma psoriasiforme, allergies de contact sont retrouvés dans le psoriasis, des eczémas dits intrinséques n’ont pas d’IgE totales élevés. Enfin, des gènes communs aux deux dermatoses sont décrits.

bbAutres possibilités • Lors de psoriasis inversé, on évoque une mycose, ou un intertrigo bactérien. • Les kératodermies palmoplantaires sont à discuter lors de psoriasis palmoplantaire, mais elles sont congénitales et notées en bas âge. 6

Cependant, un certain nombre de questions ne sont pas résolues : la nature primaire de cette maladie estelle épidermique ou immunitaire ? La cause auto-immune du processus inflammatoire, le rôle respectif ainsi que le rôle de l’influence génétique par rapport aux facteurs environnementaux de facteurs cutanés par rapport à des facteurs systémiques sur l’initiation restent à déterminer, ainsi que la progression et la réponse aux traitements (6) .

Le traitement (7) Nous n’aborderons pas le traitement par les biothérapies (anticorps monoclonaux de type anti-TNF…), qui sont peu utilisés en pédiatrie lors d’indica-

tion purement dermatologique. Elles sont réservées au psoriasis très étendu, réfactaire aux traitements conventionels et au psoriasis pustuleux. On peut noter qu’il y a grossièrement deux types de patients : les uns sont gênés par la desquamation et d’autres qui ont un prurit important lors d’hyperkératoses. De plus, chez l’adolescent, le regard de l’autre prend une place importante dans la prise en charge.

bbLes traitements topiques Le traitement local peut être seul suffisant lors de psoriasis léger voire très modéré. Des scores ont été developpés pour évaluer la sévérité. • 1. Les corticoïdes locaux de classe II sont les plus utilisés (Betneval®, Epitopic® crème 0,05, Diprosone®, Locatop®…) chez l’adolescent. Les applications sont une fois par jour pendant 10 à 15 jours puis décroître progressivement pendant 6 semaines et interrompre le traitement transitoirement et en fonction des poussées afin d’éviter l’atrophie cutanée. • 2. Les analogues de la vitamine D3. Le calcipotriène avec des applications d’une à deux fois par jour pendant 8 semaines. Le calcitriol est appliqué une fois à deux fois par jour. Pour éviter les effets systémiques liés à l’absorption cutanée de la vitamine D, on ne dépassera pas 70 mg par semaine pour un adolescent. Ces traitements sont bien tolérés et recommandés pour le traitement du psoriasis de l’enfant étudié dans des essais controlés. Cependant, il est à noter qu’ils sont moins efficaces que les corticoïdes. Les effets secondaires sont l’irritation et la survenue d’un prurit modéré. L’utilisation sur le visage n’est pas recommandée source d’érythème et d’œdème. • 3. L’association corticoïdes de classe II-bétaméthasone et calcipotriol peut être utilisée chez l’adolescent de plus de 18 ans et doit être limitée dans la durée (quatre semaines).

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Psoriasis

• 4. On peut alterner ces traitements locaux. • 5. Des traitements à base d’urée sont fréquemment utilisés pour leur effet kératolytique. • 6. Les goudrons ne sont plus prescrits alors qu’ils permettaient un traitement sans risque alors qu’ils sont utilisés en Angleterre et en Allemagne. On peut le regretter.

bbLes traitements systémiques classiques Nous ne citerons que les rétinoïdes et le méthotrexate.

Rétinoïdes L’acitrétine est précrite lors de psoriasis sévère à la dose de 0,5 à 1 mg/kg du poids du corps. Les effets secondaires sont la sécheresse cutanée et des muqueuses, et induisent une surveillance des lipides et hépatique. Ils sont moins précrits actuellement.

cessaire. Ce traitement est utilisé dans le rhumatisme psoriasique.

Méthotrexate Le méthotrexate est prescrit à 1015 mg/m2 de surface corporelle soit per os ou sous-cutané ou intramusculaire une fois par semaine. Une surveillance hépatique et de la numération est né-

Mots-clés : Psoriasis, Formes cliniques, Traitements, Prise en charge, Epidémiologie

bibliographie 1. Wu JJ, Black MH, Smith N et al. Low prevalence of psoriasis among

4. Misery L. Depression and psoriasis. Ann Dermatol Venereol 2012 ; 139

children and adolescents in a large multiethnic cohort in southern

Suppl 2 : S53-57.

California. J Am Acad Dermatol 2011 ; 65 : 957-64.

5. Jullien D. Pathogenesis of psoriasis. Ann Dermatol Venereol 2012 ; 139

2. Martin BA, Chalmers RJ, Telfer NR. How great is the risk of further

Suppl 2 : S68-72.

psoriasis following a single episode of acute guttate psoriasis? Arch

6. Nestle FO, Kaplan DH, Barker J. Psoriasis. N Engl J Med 2009 ; 361 :

Dermatol 1996 ; 132 : 717-8.

496-509.

3. Augustin M, Glaeske G, Radtke MA et al. Epidemiology and comorbidity

7. CEDEF. Item no 123: psoriasis. Ann Dermatol Venereol 2008 ; 135 :

of psoriasis in children. Br J Dermatol 2010 ; 162 : 633-6.

F113-120.

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Diabétologie

Image corporelle chez l’adolescent diabétique Quels enjeux ? Le diabète insulinodépendant chez l’adolescent, qu’il soit présent depuis l’enfance ou d’apparition plus récente, est une période thérapeutique souvent complexe pour le patient, sa famille et le médecin qui le prend en charge.

Eloise Hellier, psychologue Dr Hervé Lefèvre, pédiatre, Maison des adolescents de Cochin, Maison de Solenn

Cette période correspond à un déséquilibre métabolique plus fréquent, avec une HbA1c moyenne plus élevée à cet âge (1). Cette situation, si elle est liée à une plus forte insulinorésistance en rapport avec la sécrétion des stéroïdes sexuels qu’il faut savoir compenser par une adaptation des doses d’insuline, est aussi liée à la difficulté accrue de gérer sa maladie et son traitement à cet âge.

L

a problématique du diabète de type 1, comme pour d’autres maladies chroniques, réside dans la difficulté à cet âge de s’approprier cette maladie et notamment ce corps malade, dysfonctionnel, qui perturbe souvent l’image corporelle de l’adolescent. L’enjeu sera alors d’aider l’adolescent à pouvoir intégrer ce nouveau corps pubère qui est également source d’insatisfactions du fait de sa maladie dans sa construction psychique.

Que signifie la notion d’image corporelle ? A l’heure où l’image corporelle est au centre des sollicitations médiatiques, surtout à l’intention des jeunes générations plus sensibles à la pression des idéaux physiques, il est utile de s’intéresser à sa signification et de ce que nous pouvons travailler grâce à l’espace de médiation qu’il crée au cours d’un temps de prise en charge (consultation, hôpital de jour, séance d’éducation thérapeutique).

bbLe corps Il faut tout d’abord différencier la notion de corps et d’image corporelle. La notion de corps existe depuis l’Antiquité, mais si Aristote et Platon s’intéressaient déjà au corps, c’était plus 10

en tant qu’objet d’observation et de découverte. Le corps a d’abord été disséqué avant d’être pensé. Les sciences humaines et la phénoménologie ont enrichi les différentes théories autour du corps et différentes conceptualisations existent aujourd’hui : image du corps, schéma corporel, image de soi, image inconsciente du corps, estime corporelle, etc. S’il n’y a pas de discours univoque, c’est parce que l’image corporelle est une notion complexe et multidimensionnelle comme de nombreuses autres en psychologie.

bbCorps réel et idéal Pour Robert Price (1998), psychiatre anglais, il faut distinguer le corps réel, du corps idéal et de l’apparence. Le corps réel est celui qui existe, qui se transforme au fil du temps alors que le corps idéal est l’image mentale du corps rêvé, influencée par la norme socioculturelle dont la perturbation affectera l’équilibre mental, et physique de la personne. Quant à l’apparence, c’est la façon d’apparaître aux autres en essayant de faire correspondre l’image du corps réel à celle du corps idéal.

bbDistinguer image et schéma corporel

nier est le même pour tous, l’image du corps est au contraire propre à chacun, elle est liée au sujet et à son histoire, le plus souvent inconsciente (2). L’image corporelle est également associée au concept de Soi (idéal, estime, identité, rôle etc.). Le Soi étant la façon dont, une personne se sent, se voit, pense être ce qui comprend son image corporelle. Freud disait déjà “le Moi est avant tout un Moi corporel” (3) et Laplanche ajoutera qu’on “peut concevoir la constitution du Moi comme unité psychique corrélativement à la constitution du schéma corporel. On peut aussi penser qu’une telle unité est précipitée par une certaine image que le sujet acquiert de lui-même sur le modèle d’autrui, et qui est le Moi (...)” (4). C’est ensuite Paul Schilder qui dès 1935 définit le concept d’image du corps sur des bases psychanalytiques, c’est pour l’auteur “la façon dont notre corps nous apparaît à nous-même”, “la somme des jugements conscients et inconscients que nous portons à son égard” (5). C’est donc l’image de notre propre corps que nous formons dans notre pensée.

bbQue retenir ?

Il faut également distinguer image corporelle et schéma corporel. Si ce der-

L’image du corps, notion héritée du schéma corporel, signe donc la représentation du corps. Elle est la percep-

Adolescence & Médecine • Avril 2013 • numéro 5


Image corporelle chez l’adolescent diabétique

tion qu’une personne a de son corps, la perception qu’elle croit que les autres en ont, ce qu’elle ressent lorsqu’elle pense à son corps et comment elle se sent dans son propre corps. Notre histoire influence donc la relation à notre propre corps. C’est pourquoi l’image corporelle est fondamentalement subjective et toujours en évolution, elle s’élabore dans l’histoire du sujet, se construit et se remanie tout au long du développement de l’enfant. Nous retenons la définition d’Anne Sanglade pour qui la notion d’image du corps fait le lien entre le schéma corporel et la représentation de soi, le concept d’image du corps évoquant l’aspect somatique par “le corps” et l’aspect psychique par “l’image” (6).

Adolescence et image corporelle Si la maladie vient toujours perturber l’image corporelle, cela est encore plus vrai à l’adolescence, période qui la met à rude épreuve. Françoise Dolto parlait du “complexe du homard” pour représenter la fragilité propre à l’adolescence : “l’enfant se défait de sa carapace, soudain étroite, pour en acquérir une autre. Entre les deux, il est vulnérable, agressif ou replié sur lui-même”. L’adolescence est une phase charnière, de transition et de remaniement psychique considérable. L’adolescent doit s’individuer, c’est-à-dire se construire psychiquement de manière singulière et se dégager d’un lien de dépendance aux parents. Cela passe par un travail de subjectivation, l’adolescent doit en effet devenir le sujet de son corps et de son propre psychisme. Dans l’enfance, le corps n’appartient pas qu’à l’enfant mais aussi un peu aux parents et à tous ceux qui prennent soin de lui. La transformation du corps et l’accès à la sexualité adulte sont également au centre de cette transition entre l’enfance et l’âge adulte. Ce nouveau corps qui est source d’hypersensibi-

lité face aux regards extérieurs peut souvent donner à l’adolescent un sentiment d’étrangeté et d’inadéquation face à cette transformation. L’adolescent va devoir intégrer cette nouvelle image corporelle dans son identité en construction, tâche complexe et périlleuse d’où la fréquente apparition de troubles touchant le corps à cet âge (scarifications, troubles alimentaires…). Par ailleurs, l’adolescence rime avec un nécessaire travail de deuil de l’illusoire toute-puissance infantile qui met le narcissisme à mal. L’adolescent doit aussi renoncer à ses liens infantiles avec ses parents qui lui apportaient une sécurité. Ces réorganisations physiques et psychiques mobilisent particulièrement l’adolescent.

Diabète et adolescence bbUne maladie particulière Le diabète de type 1 est une maladie particulière, “difficile à vivre et à penser” selon B. Cramer et qui complique nettement ce travail d’adolescence. Le diabète, de part son caractère invisible, indolore et mystérieux, favorise le secret ou le non dit autour de la maladie. Le côté invisible de cette pathologie chronique rend souvent difficile sa représentation par le sujet tout comme la perception de l’entourage de sa gravité. Quant à l’absence de douleur liée à la maladie (en l’absence de neuropathie), elle rend la mise en représentation de la maladie difficile. Au cours de cette maladie, la douleur correspond au traitement, via les injections pluriquotidiennes, et aux contrôles glycémiques. A un âge où l’adolescent a besoin de se sentir vivre et de tester ses limites, le recours au malaise hypoglycémique ou à une acidocétose grave, par arrêt d’injection, correspond parfois à une tentative de ressentir physiquement son diabète, sa maladie, la nécessité du traitement et de sa surveillance.

Le pancréas, organe (en partie) défaillant dans le diabète, n’est de plus pas imaginairement pourvu de significations comme le cœur ou les poumons, et ne facilite donc pas la mise en représentation de la maladie. La représentation de l’organe et de la maladie se fonde donc sur une perception extérieure qui repose sur le savoir médical. Enfin, cette maladie auto-immune est mystérieuse, apparaît brutalement, le plus souvent sans antécédent familial, et n’a pas de cause connue, ce qui rend aussi le travail de son appropriation difficile.

bbPerception lors de l’enfance Les premiers temps de la maladie sont pour certains associés à des craintes ou des fantasmes sur leur risque évolutif. Les paroles retenues des premiers échanges lors de la découverte du diabète ont parfois valeur de traumatisme. Parmi les plus répandues, on retrouve la peur de mourir d’hypoglycémie et/ou d’avoir des complications. Certains ont parfois des fantasmes surprenants (ex : “si je mangeais trop de sucre, j’allais perdre mes orteils. Au bout d’un certain temps j’en ai mangé, puis j’ai regardé mes pieds. Pourquoi il a menti ?”). A côté des comportements anxieux, d’autres seront dans la banalisation, voire le défi face au risque évolutif (ex : “si je ne faisais pas bien mon traitement, alors j’aurais des complications plus tard. Donc en attendant j’en profite !”). Enfin, pour d’autres, la pratique des soins est associée d’emblée à un mieux-être et rapidement intégrée (ex : “au début, j’étais inquiet de retourner à l’hôpital, puis j’ai vu qu’en faisant les choses normalement, ça se passait bien”).

bbRessenti à l’adolescence A l’adolescence, il va devenir beaucoup plus difficile que dans l’enfance de négocier cette contrainte sur le corps et cette emprise sur le fonctionnement psychique. Les contraintes corporelles sont multiples (régime, injections, autocontrôle glycémique) et renvoient l’adolescent à un vécu de

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Diabétologie passivité difficilement supportable. Le rapprochement de la relation parent-enfant, imposé par la maladie et par son traitement, notamment au niveau du corps, voire même une certaine dépendance corporelle, peut interférer avec les processus d’individuation de l’adolescent. Pour Daniel Marcelli, “à un âge où l’individu doit affirmer son indépendance pour assurer son individuation, à un âge où il doit se désengager de son lien à l’objet œdipien, sa maladie lui impose en revanche de conserver et de maintenir des habitudes relativement contraignantes qui marquent chaque jour de sa vie et balisent son vécu corporel” (7). L’emprise du fonctionnement psychique et la blessure de l’image du corps génèrent une atteinte narcissique. Certains adolescents, en groupe de parole, ont souvent des mots très péjoratifs pour évoquer leur diabète, comme par exemple “défaut de fabrication”, “handicap”, “honte, tabou, c’est comme d’avoir le SIDA” témoignant de la profonde dévalorisation de soi. A l’extrême, la souffrance est parfois si intense qu’un adolescent exprime qu’il aurait préféré l’ITG si un diagnostic prénatal avait été possible. Cette perception est d’autant plus forte que la répétition à l’infini des injections et des mesures glycémiques renvoit au “rappel incessant de la maladie”, au fait de devoir “y penser tout le temps”.

bbLa notion de “corporation du psychisme” B. Cramer parle ainsi de “corporalisation du psychisme” indiquant par là une sorte d’agglutination et de confusion entre fonctionnement psychique et diabète qui “mine le processus de représentation symbolique”, tout évènement mental étant systématiquement rattaché à un épisode particulier de la maladie et chaque déséquilibre de la maladie ayant des répercussions psychiques. En augmentant la menace identitaire et la fragilisation narcis12

Glycémies

Régime

Poids

Temps

Stylo Pompe

Enfant

Sexe

Soins

Ado

Annonce Diag + Traitement Collège Surveillance ou

Image corporelle

Temps Lycée

Famille

Culture

Lieu

Métier

Ecole Loisirs

Grossesse Hôpital

Complications Aiguës Tardives

Age

Figure 1 - Facteurs pouvant influencer le vécu corporel.

sique déjà propre à l’adolescence, le diabète rend “le travail d’appropriation de son corps par l’adolescent (…) aléatoire” (8). Selon Jeammet (1990), l’adolescent diabétique est de plus confronté à un conflit de savoir : s’il connaît la maladie de par l’information reçue (évolution, risques, traitement), “il ne veut pas savoir car ce savoir objectif, ce savoir médical concret entrave son nécessaire recours au travail de l’imaginaire” et notamment ses idéaux.

Paroles d’adolescents, image corporelle et adolescent diabétique L’image corporelle chez un adolescent diabétique dépend à la fois de l’image corporelle antérieure à la découverte de la maladie (qu’il faudra investiguer) mais aussi d’autres paramètres évolutifs (Fig. 1). Ainsi, elle varie selon : • l’âge du diagnostic et l’apparition des complications aiguës ou tardives, • le lieu (public ou privé), • que l’adolescent se trouve seul, en groupe ou en famille, • son sexe et son poids, • son traitement, • sa culture, ses croyances…

bbLa question des sensations physiques Les sensations physiques liées à la maladie peuvent également modifier l’image que l’adolescent a de son corps. Par exemple, la perception physique des épisodes d’hyper- ou d’hypoglycémie est souvent riche de commentaires une fois sortie de la sacrosainte liste de symptômes apprise au départ. Ainsi, l’hypoglycémie peut être décrite de façon psychédélique “je me vois faire, c’est comme dans Dofus” (jeu vidéo), ou plus souvent de façon très désagréable “sensation de tête vide, de malaise…”. L’hyperglycémie est associée variablement selon les adolescents à “je me sens bien, je plane”, ou à l’inverse “je ressens des choses désagréables”.

bbLa crainte du regard de l’autre Le vécu corporel est aussi fonction du regard de l’autre avec notamment la crainte que ce corps défaillant devienne visible lors d’une hypoglycémie en public par exemple, “ce que je redoute c’est d’être en hypo sévère devant eux” nous raconte une jeune. Ce regard varie selon le lieu, alors que l’extérieur est souvent vécu comme une zone liberté où il est important

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Image corporelle chez l’adolescent diabétique

de ne pas paraître malade, le domicile peut au contraire être considéré comme inquisiteur, parfois de façon quasi persécutrice.

bbUn matériel de soin particulier Le matériel de soins (stylos, pompe, lecteurs) et le choix du schéma thérapeutique influencent aussi le vécu corporel. L’effraction corporelle liée aux injections est d’autant plus compliquée à l’adolescence avec un corps qui se sexualise. Le matériel peut parfois apparaître comme un signe extérieur de maladie, trahissant le secret “je n’aime pas qu’on touche à mon matériel, c’est trop la honte”, “j’ai dû enlever ma pompe, ça se voyait trop que ça parlait dans mon dos”, “j’ai l’impression que ma pompe bloque les garçons qui veulent sortir avec moi”. Lorsqu’au contraire la pompe est bien vécue, elle peut venir modifier positivement l’image corporelle de l’adolescent. En facilitant les soins par exemple (notamment en diminuant le nombre d’injections vécues par certains comme une preuve sans cesse réitérée de leur corps malade), elle favorise une meilleure acceptation de ce corps. Nous pensons notamment à une adolescente très complexée physiquement qui trouvait ses bras “énormes” et qui après avoir été mise sous pompe à sa demande a changé de regard sur elle-même, venant en consultation bras découverts.

bbLe problème de la prise de poids Enfin, l’image corporelle est associée, comme pour un grand nombre d’adolescents, à la prise de poids. Son contrôle par une hyperglycémie chronique est une situation très fréquemment rencontrée surtout chez

l’adolescente, pour compenser une hyperphagie sucrée, “avec ce que je mange, je n’ai pas envie de grossir si je fais toutes mes piqûres”. Les troubles du comportement alimentaire sont deux fois plus fréquents chez l’adolescent diabétique et s’accompagnent d’un risque accru de complications microangiopathiques. Le binge eating, et la boulimie alternant parfois avec des phases de restriction alimentaire dominent le tableau. L’omission d’insuline qui est retrouvée dans 10 à 40 % selon les études (9) est associée à un déséquilibre chronique responsable d’une perte de poids. Le percentile d’IMC, l’intérêt pour sa silhouette, sa propre apparence sont associés au risque de dépression (10).

Conclusion Interroger l’image et le vécu corporel d’un adolescent diabétique nous paraît un point utile à sa prise en charge globale au-delà de sa maladie. Cette question du corps peut être une porte d’entrée pour mieux appréhender le vécu de la maladie par l’adolescent et ainsi mieux adapter sa prise en charge et son traitement. Cette thématique peut être une voie de communication avec l’adolescent diabétique, l’approche corporelle devenant alors un outil relationnel. Nous devons être à l’écoute des perceptions et des sentiments qui pourraient refléter une altération de l’image corporelle de l’adolescent, cette altération permettant ainsi d’appréhender plus généralement son état psychologique. En effet, des troubles psychopathologiques (dépression, anxiété, trouble du comportement) sont présents chez 10 à 20 % des patients. Ils sont plus fréquents chez les filles, en cas de désé-

quilibre chronique, de conflit familial, de dépression maternelle, et sont à investiguer en cas d’hospitalisations répétées ou de complications (11). L’éducation thérapeutique qui est centrée sur le patient, ses besoins et ses ressources pour l’aider à comprendre sa maladie, et favoriser son autonomie, doit prendre en compte cet aspect du vécu corporel. Le vécu de l’adolescent, ses questions, ses peurs, ses attentes restent souvent dans le domaine du “non-dit” et sont parfois oubliés. Souvent, seul le niveau cognitif (les connaissances du patient) est envisagé dans l’éducation thérapeutique, l’approche du vécu corporel est alors l’occasion pour l’adolescent de verbaliser d’autres difficultés. Nous savons que la représentation individuelle du diabète de type 1 et les croyances associées sont un déterminant précoce des comportements et émotions en rapport avec la maladie qui détermine un rôle central pour sa prise en charge. N’oublions pas que la première caractéristique des adolescents qui souffrent d’un diabète, c’est qu’ils sont avant tout des adolescents et c’est donc en tant qu’adolescents qu’il faut les recevoir et les prendre en charge, en prenant en compte les aspects psychosociaux, familiaux et scolaires. Pour l’adolescent diabétique, l’objectif sera de réinvestir libidinalement un corps malade et d’en retrouver la maîtrise sans pour autant oublier les contraintes de la maladie.

Mots-clés : Diabète, Psychologie, Vécu corporel, Adolescence

Références 1. Rosilio M, Cotton JB, Wieliczko MC et al. Factors associated with glycemic control: a

7. Marcelli D. Quelle indépendance pour l’adolescent insulino-dépendant ?

cross-sectional nationwide study in 2579 French children with type 1 diabetes. The French

Neuropsychiatrie de l’enfance 1990 ; 38 : 217-22.

Pediatric Diabetes Group. Diabetes Care 1998 ; 21 : 1146-53.

8. Tubiana-Rufi N, Guitard-Munnich C. L’observance thérapeutique à l’adolescence.

2. Dolto F, Dolto C, Percheminier C. Paroles pour adolescents ou le Complexe du homard.

Medecine Clinique, endocrinologie et diabète 2004 ; N°12.

Paris : Hatier, 1989.

9. Jones J, Lawson M. Eating disorders in adolescent females with without type 1 diabetes:

3. Freud S. Le Moi et le ça. Essais de psychanalyse. Paris : Petite Bibliothèque Payot, 1981.

cross sectional study. BMJ 2000 ; 320 : 1563-6.

4. Laplanche J, Pontalis J-B . Vocabulaire de la psychanalyse. 9e édition. Paris : PUF, 1988.

10. Olmsted MP, Cotton PA. Prediction of the onset of disturbed eating behaviour in

5. Sanglade A. Image du corps et image de soi au Rorschach. Psychologie Française

adolescent girls with type 1 diabetes. Diab Care 2008 ; 31 : 1978-82.

1983 ; 28 : 104-11.

11. Sunita M, Uma T. Depressive symptoms predict hospitalization for adolescents with

Adolescence &du Médecine Avril 2013 • numéro 5 13 type 1 diabetes. Pediatrics 2005 ; 115 : 1315-9. 6. Schilder P. L’image corps. Paris : •Gallimard, 1968.


Endocrinologie

Transition dans la prise en charge de l’adolescent obèse Définitions, étapes et réflexion La transition est une délicate période en particulier dans la prise en charge de l’obésité de l’adolescent. Nous vous proposons une réflexion sur les principaux éléments de ce que serait une “bonne” transition dans ses spécificités vis-à-vis de la prise en charge de l’obésité, à la lumière de notre expérience de pédiatre en maison d’adolescent et dans le service d’endocrino-pédiatrie de l’hôpital des enfants à Toulouse, où la transition dans l’obésité est en cours

Dr Emmanuelle Mimoun*, Dr Hervé Lefèvre**, Dr Béatrice Jouret*, Dr Gwenaëlle Diene*, Pr Maïté Tauber* *Service d’endocrino-pédiatrie, hôpital des Enfants, Toulouse **Maison des Adolescents, hôpital Cochin, Paris

d’organisation en collaboration avec le service de nutrition adulte de l’hôpital Larrey.

La transition : concept et définition Depuis une dizaine d’années et au travers de nombreux articles, recommandations et procédures, on a assisté (tout particulièrement en Amérique du nord) à la codification de la transition, c’est-à-dire le « mouvement planifié et orienté des adolescents et jeunes adultes présentant un problème médical chronique, d’un système de prise en charge pédiatrique vers un système de prise en charge adulte » (1, 2). Diabète, déficit en hormone de croissance, transplantation, maladies inflammatoires digestives, rhumatismales, neurologiques, survivants de cancers, hyperplasie congénitale des surrénales, toutes les pathologies ont semblé être passées au crible de l’analyse de cette transition en médecine de l’adolescent (3-7). Au sein de ces pathologies, l’obésité constitue une condition particulière : en premier lieu, contrairement aux pathologies chroniques citées plus haut, elle ne fait pas l’objet d’un traitement médicamenteux spécifique. Les familles ont ainsi des difficultés à considérer le suivi médical comme un passage nécessaire, et nombreux sont les perdus de vue. 14

Ensuite, le traitement de l’obésité nécessite d’emblée une implication familiale forte, tant pour le suivi médical, que pour les changements radicaux de mode de vie qu’il exige. Enfin, les médecins eux mêmes ont toujours l’espoir de guérir rapidement leurs patients avec des règles hygiéno-diététiques ad hoc ; la réalité est toute autre, et il convient d’envisager d’emblée une prise en charge au long cours avec une perspective de passage de relais à terme. On le voit par conséquent, plusieurs caractéristiques de l’obésité en font une pathologie pour laquelle il s’avère nécessaire d’instaurer une transition de soins réussie de l’adolescence à l’âge adulte. On peut penser par exemple qu’une transition bien amenée permettrait aux adolescents de faire au moins connaissance avec la médecine adulte, bien différente, et peutêtre, de poursuivre les soins qu’ils auront été tentés d’abandonner plus d’une fois. Quelles sont donc les clés d’une transition réussie ? Quelles en sont les étapes ? Et que peut-on en déduire dans le cas particulier de la prise en charge de l’obésité ?

La transition : méthode et outils bbQuelle est la meilleure période pour mettre en place une transition ? Certains définissent le processus de transition comme prenant place dès l’âge de 12 ans (8-12, Encadré 1), dans une optique de préparation progressive au passage à la prise en charge adulte. Ces auteurs englobent donc dans la transition toute la médecine de l’adolescent avec ses spécificités. D’autres proposent une transition en trois ou quatre phases, de 11 à 22 ans, avec une emphase sur l’autonomisation du patient et son accompagnement dans la gestion du soin quotidien. Ces auteurs ont à coeur de mettre l’accent sur l’accompagnement constant de l’enfant puis de l’adolescent ainsi que de sa famille dans un processus sans cesse évolutif au niveau relationnel. Les pédiatres doivent en effet se souvenir que l’enfant de la phase de latence qui peut donner l’illusion d’une relative stabilité, finit par grandir et s’autonomiser. Ils se doivent donc d’accompagner ce processus et d’évoluer avec lui dans la relation. Il nous semble pourtant que la phase

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Transition dans la prise en charge de l’adolescent obèse

de transition constitue la partie de la médecine de l’adolescent qui s’intéresse au moment où l’on va progressivement parler à l’adolescent de son passage vers la prise en charge adulte, que ce passage sera codifié, préparé avec l’adolescent, et qu’il formera une sorte de rite de passage dans lequel le pédiatre aura un rôle d’accompagnant, de “passeur”. A ce titre, la transition ne peut durer trop longtemps : 1 à 3 ans en fonction des besoins et du contexte nous paraissent être une période optimale, à mettre en place au mieux entre 14 et 18 ans.

bbQuels sont les principes guidant une “bonne” transition ? Et tout d’abord, qu’est-ce qu’une “bonne” transition ? Pour nous, le pédiatre doit soutenir le processus permettant aux adolescents de prendre progressivement leur vie en main et dans tous ses aspects, y compris celui de la santé. Il doit également soutenir et accompagner la famille de l’adolescent, et lui permettre de “laisser partir” son enfant dans le plus grand sentiment de sécurité possible. Cette réassurance ne peut avoir lieu que dans un processus de soin continu et maîtrisé par le professionnel de santé. La Société de Médecine de l’Adolescent a édité en 2003 un document de synthèse sur la transition et souligne les principes d’une transition réussie (1) : • « mise en oeuvre de soins appropriés à l’âge chronologique et développemental ; • prise en compte des problèmes rencontrés chez les adolescents du même âge  : croissance, développement, sexualité, humeur, santé mentale, utilisation de substances, comportements vis-à-vis des soins… • soutien à l’autonomie, à l’acquisition du sens de responsabilité personnelle et de confiance en soi ; • souplesse suffisante du programme de transition pour s’adapter à tous types de population, circonstances, besoins, états de santé. Chaque prise en charge doit être individualisée pour

Encadré 1 Transition : guide de bonne pratique (1, 2) • Les services de soins pour adolescents doivent être adaptés à leur suivi et à leur développement et doivent inclure les familles des adolescents. • Les adolescents étant atteints de maladies chroniques ont les mêmes problèmes de santé que leurs pairs. Les services de soins doivent donc s’occuper de problèmes tels que la croissance et le développement, la santé mentale, la sexualité, la nutrition, le sport et les comportements à risque tels que l’usage d’alcool et de drogue. • Les services de santé doivent avoir la souplesse nécessaire pour s’adapter à l’âge, la maladie et les circonstances sociales des patients. Le processus de transition doit être adapté à chaque individu. • La transition est optimisée lorsqu’un soignant spécifique est responsable du processus dans son ensemble. • L’implication clinique dans le suivi du patient aide à optimiser un transfert en douceur vers les services de soins adultes, et à favoriser la pérennité du suivi adulte. • Le suivi par un médecin généraliste peut répondre aux besoins de soins holistiques et à réduire ainsi les échecs du transfert vers le suivi adulte. • Une bonne communication entre les services pédiatriques et adultes aide à traverser les différences culturelles et structurelles entre les deux systèmes de soins, et facilite ainsi la transition des adolescents vers les services adultes. • Un des buts ultimes de la transition vers les services de soins adultes est de faciliter le développement d’une prise en charge responsabilisée des adolescents présentant une maladie chronique.

mieux répondre aux besoins des patients et des familles ; • coordination du processus de transition par un seul professionnel, en collaboration avec le patient et sa famille ; ce professionnel leur sert d’intermédiaire afin de faciliter le vécu de la transition. »

bbLes recommandations L’AAP (American Academy of Pediatrics) a édité des guides de bonnes pratiques de la transition au moyen de conférences de consensus. La dernière a eu lieu en 2009 (2) et énonce des recommandations pratiques issues de principes détaillés dans l’encadré : 1. « Tout adolescent doit avoir un professionnel de santé référent. 2. Les professionnels de santé s’occupant des adolescents pendant la transition doivent être formés de façon spécifique. 3. Des résumés de l’histoire médicale des patients doivent être préparés et régulièrement mis à jour, facilement exportables et accessibles.

4. Un planning de transition doit être rédigé avec l’adolescent et sa famille dès l’âge de 14 ans. Ce planning doit inclure au minimum la mention des services à fournir au patient, ainsi que les personnes qui s’en occuperont. Ce planning devra être revu et remis à jour chaque année. 5. Ces recommandations sont applicables aux soins primaires et aux soins préventifs. Elles prennent en compte la nécessité de ressources et de services accrus du fait des besoins de santé spécifiques de certains adolescents. 6. Le professionnel de santé doit veiller à la présence d’une couverture de soins suffisante pour ses patients. »

bbLes outils Comme souvent, ces recommandations semblent relever du plus simple bon sens. Et pourtant, le praticien, pris dans les problèmes de la pathologie chronique, voire simplement dans ceux du développement du patient, se laisse souvent entraîner dans une attitude attentiste vis-à-vis d’un processus

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Endocrinologie actif de transition, ainsi toujours remis à plus tard. Le pédiatre est réticent à voir son patient, son “enfant”, quitter son giron. Il le laisse souvent gérer ses difficultés en famille, et n’intervient que lorsque ces difficultés deviennent symptomatiques. Ainsi en va-t-il souvent des adolescents diabétiques présentant une HbA1c à 12 % avec un carnet de suivi impeccable… Ainsi en va-t-il également de l’obésité galopante de certains enfants malgré des recommandations diététiques scrupuleusement répétées à chaque consultation. Bien sûr, tout le contexte sociofamilial et psychologique du patient vient à l’esprit du praticien lorsqu’il reçoit ces adolescents. Mais le praticien n’a pas les outils pour y répondre, et se sent souvent débordé par la tâche. De nombreuses universités se sont penchées sur la réalisation de questionnaires (8, 11), de livrets d’autoformation, de programmes de formation de soignants, d’aide au praticien…

Trois caractéristiques à prendre en compte Ces outils, dont les références sont présentées dans l’Encadré, regroupent globalement les caractéristiques suivantes. 1. Evaluation régulière de l’aptitude

de l’adolescent à la transition à travers l’évaluation de son autonomie pour un certain nombre de domaines : a. domestiques : faire son repas seul, s’occuper de son linge, participer aux décisions familiales, utiliser les numéros et procédures d’urgence, faire sa toilette, gérer son budget, etc. ; b. domaine de la santé : comprendre sa maladie, répondre aux questions des médecins, connaître ses médicaments et leur utilité, tenir le calendrier de ses propres rendez-vous, savoir quand redemander une ordonnance lorsque la sienne vient à échéance, remplir un imprimé de Sécurité sociale, etc. ; c. domaine social : s’orienter dans la ville, ouvrir un compte en banque, 16

Encadré 2 Adresses et sites pour formation et protocoles sur la transition • w ww.medicalhomeportal.org • www.childrensmn.org/web/healthprof/140552.pdf • www.minnesotamedicine.com • www.hrtw.org/healthcare/trans.html • www.soinsdenosenfants.cps.ca/handouts/move_to_adult_care • www.dh.gov.uk/prod_consum_dh/groups/dh_digitalassets/@dh/@en/documents/ digitalasset/dh_4132149

faire des démarches administratives, s’orienter dans les transports… ; d. domaine des loisirs : participer à des activités sociales, s’inscrire à diverses activités organisées (clubs, événements sociaux…) ; e. domaine éducatif : contacter les centres d’orientation, savoir comment demander une bourse, s’inscrire à la faculté ou à l’école, etc.

puisque diagnostiquées à un jeune âge, voire dès la naissance. A présent, et c’est fort heureux, l’amélioration de leur prise en charge amène les praticiens adultes à s’occuper de ces patients. C’est ainsi que la spécialité de “médecine de transition” a vu le jour. Bien sûr, il reste encore beaucoup de progrès à faire dans son organisation et sa diffusion.

2. Tenue à jour du dossier médical

en vue de la transition, et donc de la transmission d’informations pour le suivi adulte. 3. Coordination d’un soutien régulier à

l’adolescent et à sa famille vis-à-vis des différents domaines cités, pour une progression constante dans le processus global de transition. En particulier, le praticien doit aborder les mesures d’aide à la famille et au patient s’il demeure dans l’incapacité d’assurer certains aspects de son autonomie du fait de sa maladie (dossier MDPH, demande de curatelle etc.).

“Médecine de transition” Les articles et les programmes se consacrant à la transition des soins des adolescents vers l’âge adulte s’intéressent souvent à une pathologie particulière, telle que le diabète, le déficit en hormone de croissance, la mucoviscidose, les pathologies neurologiques, les syndromes génétiques, la drépanocytose, etc. En effet, beaucoup de ces pathologies étaient prises en charge exclusivement par les pédiatres

Education thérapeutique Pour cela, l’éducation thérapeutique, qui s’organise dans de nombreux services et pour toutes sortes de pathologies y compris l’obésité, est centrée sur l’adolescent et prend en compte différentes dimensions (environnementale, cognitive, psychoaffective, biologique et projective). Grâce à un diagnostic éducatif révisé régulièrement, elle permet à l’adolescent d’évoluer avec un projet de soin individualisé qui autorise la mise en place de changements.

Les particularités de l’obésité De son côté, l’obésité présente des particularités au sein de cette transition : nous l’avons détaillé plus haut, les familles doivent s’impliquer en changeant leur mode de vie de façon particulière (30 % des obésités sont familiales et nécessitent donc un travail global sur les compétences familiales) ; les complications, qui étaient auparavant présentes surtout chez les adultes, le sont maintenant chez les enfants (syndrome d’apnées du sommeil, hypertension, diabète de

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Transition dans la prise en charge de l’adolescent obèse

type 2, etc.) et fait même envisager la chirurgie bariatrique chez certains adolescents sévèrement atteints. Les perdus de vue sont enfin d’autant plus fréquents que l’obésité n’est pas encore considérée comme une pathologie chronique au même titre que le diabète, et médecins comme patients n’envisagent pas d’emblée un suivi au long cours. Enfin, le profil particulier socio-économique des patients les plus touchés par l’obésité fait de la transition un moment encore plus délicat, dans le caractère global (social, économique, psychologique, familial, éducatif…) que peut revêtir la prise en charge à l’âge de la transition, ainsi que dans les difficultés particulières de suivi à cette période de la vie.

Application de la transition dans le domaine de l’obésité bbAspect socio-démographique Si l’on se penche donc sur le profil socio-démographique des adolescents obèses, on peut regarder utilement les premiers résultats de la gigantesque étude nord-américaine, National Longitudinal Study of Adolescent Health, ou Add Health (13-17), qui a suivi en trois vagues successives (de 1994-95 à 2001-2002, la quatrième vague à partir de 2008 est en cours de réalisation) 14 322 adolescents dans 132 écoles différentes. Par exemple, selon Scharoun-Lee et al. (14), on remarque que les adolescents issus des populations minoritaires et ayant les trajectoires de vie les plus défavorables socio-économiquement ont la plus grande prévalence d’obésité (ce que l’on savait déjà), mais également que les jeunes se mariant tôt et prenant précocement des emplois moins avantageux, ainsi que les jeunes femmes ayant des grossesses précoces étaient plus à risque d’incidence, de persistance, voire d’aggravation de leur obésité. Les auteurs en concluent entre autres à une nécessité de soutenir ces populations au moment épineux de la transition aussi bien que de renforcer les interventions précoces pour limiter les effets défavo-

Soins pédiatriques spécialisés

Aptitude croissante à la transition

Vérification régulière de l’aptitude à la transition (maturité, adhésion aux soins, gestion de soi…)

Soins adultes spécialisés

Planification et soutien du coordinateur de la transition

Figure 1 - Le processus de transition. Adapté de Tuchman et al. (7).

rables du statut socio-économique sur l’obésité des jeunes adultes.

bbImpact de la période de transition sur l’obésité Sur la même population, GordonLarsen et al. (15) insistent sur le caractère particulièrement risqué de la période de transition sur l’incidence d’obésité, ainsi que sur son caractère hautement prédictif sur la persistance d’obésité à l’âge adulte.Les auteurs ajoutent que l’augmentation de l’obésité à l’âge de la transition est plus importante que ce à quoi l’on pourrait s’attendre si l’on prenait simplement en considération l’avancée en âge de cette population. Ils insistent donc sur le risque particulier de cette période de transition pour l’obésité, indépendamment du risque (60 %) de persistance à l’âge adulte d’une obésité à l’adolescence.

bbPathologie chronique et adolescence Pour notre part, nous avons tous constaté la difficulté du suivi au long cours des populations d’adolescents obèses, qui échappent aux soins à tout âge et en particulier à l’âge de la transition. On remarque de façon croissante que le découragement survient chez ces adolescents, qui, en plus des problèmes de projet scolaire, professionnel, et des soucis familiaux, doivent se mettre à prendre en charge leur alimentation (qui a depuis longtemps échappé aux efforts parentaux, s’ils étaient encore présents…) et assumer

leur silhouette alors que leur estime de soi est déjà mise à mal par le seul contexte de l’adolescence. Par ailleurs, l’adolescence rend elle-même impossible l’acceptation de tout caractère chronique d’une condition quelle qu’elle soit. L’adolescent est dans l’instantanéité, la pathologie chronique le force à envisager un futur lointain qui lui est étranger et angoissant.

bbUn accompagnement dynamique vers l’autonomisation Les pédiatres ne peuvent répondre seuls à ces questions ; la solution ne serait-elle pas justement dans une transition vers la médecine d’adulte ? Ne réside-t-elle pas dans un processus d’autonomisation et de responsabilisation accompagné et soutenu ? La transition serait alors un processus étayant qui aiderait l’adolescent à envisager le futur de façon positive, par opposition à la perspective angoissante de la maladie chronique. Nous retranscrivons un schéma extrait d’un article sur la transition dans le cas de la mucoviscidose, mais qui nous paraît synthétiser utilement le processus de transition (7) (Fig. 1). Nous proposons également une trame pour la consultation de transition que nous essayons de mettre en place conjointement à l’hôpital des Enfants et dans le service de nutrition de l’hôpital Larrey à Toulouse depuis 2001 (Encadré).

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Endocrinologie Conclusion : vers un “espace transitionnel ” ? En Europe (3, 8, 18, 19), il semblerait que la transition soit laissée à la discrétion des équipes de soins, et soit moins formalisée qu’en Amérique du nord, où de nombreux sites proposent des protocoles, feuilles de suivi et plans de formation médicale fort utiles (Encadré). Il nous semble qu’à l’instar des protocoles mis en place à Lyon (19), Toulouse et à l’hôpital Robert Debré pour l’adolescent diabétique (20) entre autres, il serait intéressant de développer des protocoles de référence qui pourraient aider les spécialistes à soutenir les adolescents obèses et leurs familles au cours de cette délicate période qu’est la transition. Il est intéressant de constater, dans un suivi de jeunes adultes vivant avec le VIH (21), que 45 % d’entre eux trouvaient le passage (non préparé) vers les soins adultes plus compliqué que ce à quoi ils s’attendaient et que 32 % ne trouvaient pas le support émotionnel qu’ils souhaitaient. A l’exemple d’un rite de passage, ces protocoles pourraient aider l’adolescent à se forger son identité sans abandonner la démarche de soins, vitale et fondamentale. « Le temps du rite est un temps de transition où l’enfant accumule les forces psychiques nécessaires pour assumer la rupture avec le milieu originel où il se sentait à sa place et l’entrée dans le nouveau milieu où il doit conquérir sa place » (J Abecassis, 22). L’adolescent obèse a une identité, une place dans sa famille et dans l’équipe de soins dans laquelle il évolue. Il lui est compliqué de quitter cette appartenance pour aller dans un monde nouveau, plein de responsabilités et de défis qu’il ne se sent souvent pas capable de relever seul. Une transition instaurée rituellement (Encadré) peut permettre à l’adolescent de se sentir assez soutenu pour franchir toutes les étapes de l’autonomisation avec l’assurance d’une continuité de prise en charge qui aplanit les points 18

Encadré 3 La consultation de transition à l’hôpital des enfants de Toulouse. Elle survient donc entre 14 et 18 ans, et inclut idéalement le pédiatre et le médecin qui va prendre en charge l’obésité en médecine adulte. Elle implique plusieurs éléments. • Un résumé de l’histoire médicale du patient, avec ses antécédents, ses prises en charge, ainsi qu’un état des lieux actuel (examen clinique, examens biologiques, aspects socio-éducatifs et familiaux de la situation actuelle…). Ce résumé s’assortira d’une nouvelle “annonce diagnostique”, avec les explications renouvelées sur la pathologie, ainsi que d’un bilan des compétences de l’adolescent et de ses parents vis-à-vis de sa maladie. • Un livret spécifique de sa pathologie (en cours de réalisation), qui est donné à l’adolescent qui pourra alors reprendre à son compte sa condition, et demander des précisions sur les aspects qu’il n’aura pas compris jusque-là. • Une lecture orale du résumé clinique devant le patient, ses parents et le médecin qui prendra la relève. Cette lecture se conclura sur les perspectives envisagées pour le suivi médical et le projet de vie de l’adolescent, après en avoir parlé en consultation individuelle avec lui. • Un examen clinique conjoint de l’adolescent par le pédiatre et le médecin d’adulte, avec des conclusions clairement exprimées. • Un entretien à trois avec l’adolescent, en l’absence de ses parents qui sont invités à sortir, afin qu’il puisse s’exprimer sur ses inquiétudes, son futur et ses projets. On reprendra alors les questions sur la sexualité, la procréation, la vie de couple, l’autonomie, la vie psychique. • Enfin, on conclura avec les parents et l’adolescent sur les points principaux de la nouvelle prise en charge, en mettant en place un planning précis des étapes qui conduiront à la prise en charge adulte exclusive, en laissant toujours la porte ouverte à une consultation pédiatrique de “réassurance”.

ddA RETENIR • La transition doit débuter entre 14 et 18 ans et durer de 1 à 3 ans en fonction des besoins et du contexte. • Elle doit être ritualisée et comporter au mieux une consultation en présence du pédiatre et du médecin d’adulte avec un résumé de l’histoire clinique, une deuxième “annonce diagnostique”, et un entretien avec l’adolescent sans la présence des parents. • Elle doit passer en revue avec l’adolescent tous les aspects de sa vie d’adulte en devenir : sa santé mais également son éducation/sa formation, sa socialisation, sa sexualité, ses projets, sa vie psychique, ses relations intra-familiales, etc.

d’achoppement et qui valorise le franchissement de chaque échelon. Pour nous, ce temps de la transition devrait donc être un espace transitionnel ainsi que défini par Winnicott : ni trop bon, ni pas assez bon, il devrait ainsi être “suffisamment bon”, rassurant, étayant, présent, sans remplir tous les besoins mais en assurant une sécurité affective au sein d’un processus ritua-

lisé qui permettrait à l’adolescent et à sa famille de “passer”, sans heurts, à un suivi adulte pleinement assumé. Mots-clés : Transition, Obésité, Adolescent Retrouvez la bibliographie à l’adresse suivante : www.expressions-groupe. fr/telechargement/ADOmed_biblio. pdf

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A la rencontre de la brigade des mineurs de Paris L’essentiel pour mieux comprendre cette institution Je me suis rendu au 12, Quai de Gesvres dans les locaux de la Brigade des Mineurs de Paris (BPM) pour interroger (une fois n’est pas coutume) les fonctionnaires de Police qui dirigent ce service si particulier, le Commissaire Céline Plumail et le Commissaire divisionnaire Thierry Boulouque. L’idée était de comprendre comment fonctionne cette institution si souvent évoquée ou sollicitée par les médecins d’enfant et d’adolescent.

Thierry Boulouque Commissaire divisionnaire, Chef de service de la Brigade des mineurs de Paris

Céline Plumail Commissaire, Chef de service adjoint de la Brigade des mineurs de Paris

Dr Hervé Lefèvre Pédiatre, Paris

Adolescence & Médecine : Quelle est l’origine de la BPM de Paris ? Elle date de 1934. Au départ, 2 postes d’assistantes de police sont créés sur délibération du Conseil de Paris, pour identifier par des maraudes les orphelins, les jeunes errants dans Paris et les prendre en charge. A cette époque, leur mission de protection des mineurs était dévolue aux mineurs isolés, errants, vagabonds. L’esprit de la brigade était là, à savoir la protection de l’enfance en danger. La BPM de Paris est singulière car elle dépend de la Police Judiciaire alors que partout ailleurs en France, les brigades spécialisées pour mineurs dépendent des Sûretés départementales ou territoriales et donc de la Sécurité Publique. La BPM ne s’occupe que des mineurs victimes. Partout ailleurs, les brigades des mineurs s’occupent des mineurs victimes mais aussi des mineurs auteurs. Elle a une compétence exclusive dans certains domaines sur Paris intra-muros et la petite couronne. A&M : Quelles sont ses missions ? C. P. et T. B. : L’organisation de notre service est calquée sur ses principales missions et se compose de 2 sections : l’une traite des affaires relatives à l’intra-familial, l’autre à l’extra-familial. Ces 2 sections sont composées chacune de

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Céline Plumail et Thierry Boulouque :

3 groupes, sectorisés Nord, Ouest et Sud, ayant en charge 6 à 7 arrondissements parisiens. La sectorisation permet une meilleure connaissance du terrain et des familles facilitant ainsi notre travail. Chaque groupe est composé de 8 à 9 enquêteurs. • La section intra-familiale traite 3 grands types d’affaires. - La maltraitance, au sens très large, de la petite réprimande, la fessée appuyée, aux coups de ceinture, aux bras cassés, aux bébés secoués, à l’infanticide, dès lors que la famille habite à Paris ou que les faits sont commis à Paris, au domicile ou à l’extérieur. Deux tiers de

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l’activité de cette section concerne les maltraitances, soit environ 200 dossiers par an. D’autres maltraitances graves peuvent être prises en charge telles que l’excision, ou celles infligées dans le cadre de syndrome de Munchhausen par procuration. - L’inceste est au cœur du métier de la BPM et concerne les agressions sexuelles au sens large (de l’attouchement léger, la corruption de mineur jusqu’au viol caractérisé). Il représente 1/3 des dossiers de la section. - Les dossiers liés à l’autorité parentale tels que les enlèvements parentaux, les soustractions de mineurs à l’autorité parentale, les mariages forcés… 19


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Cette cellule fugue/disparition a aussi pour rôle d’éclaircir les circonstances de la fugue, les signes d’alerte associés éventuels. Ainsi, les enquêteurs reçoivent certains mineurs à leur retour de fugue, pour en comprendre les raisons et les mettre en garde sur les risques encourus pendant leur fugue. Les cas les plus préoccupants sont, également, adressés à la psychologue du service pour un entretien avec le mineur et sa famille, lorsqu’ils le désirent. Son travail consiste à les orienter en vue d’un éventuel suivi, sans se substituer au travail des équipes sociales et/ ou soignantes en charge de situations connues.

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Deux entités ont été créées en octobre 2011 au gré des évolutions et des besoins qui en découlent : la cellule fugue au sein de la section intra-familiale, et la cellule de recherche et d’initiative dans la section extra-familiale. Concernant la cellule fugue/disparition, la BPM est en charge à Paris de toutes les disparitions inquiétantes de mineurs quelles qu’elles soient. Ces fugues représentent un volume extrêmement important  : on traite 1 700 à 1 800 fugues/an sans compter celles des foyers qui comptent jusqu’à 3 000 cas/an. Parmi ces fugues, certaines sont qualifiées de disparitions inquiétantes et nécessitent la réalisation d’investigations dans un cadre d’enquête spécifique régi par l’article 74-1 du code de procédure pénale. Toutes les recherches utiles et auditions nécessaires sont alors réalisées, des réquisitions aux fins d’obtention de renseignements peuvent aussi être adressées à des organismes publics ou privés. Ces démarches seront réalisées à partir des témoignages de la personne signalant cette disparition et des premières informations données par les parents, les proches, l’école, les voisins etc. pour déterminer les pistes de recherche, les habitudes du mineur… La question principale est d’évaluer si la fugue présente ou non un caractère inquiétant, voire très inquiétant. S’agit-il d’un mécontentement passager ? D’un adolescent qui présente des idées suicidaires ? Une difficulté particulière ? Un suivi psychiatrique ? Un handicap ?… Ces facteurs augmentent le niveau d’urgence et de danger potentiel. En leur présence (âge de moins de 13 ans, autistes, handicap, risque suicidaire, mineures enceintes…) le dossier est traité par notre permanence opérationnelle 24 h sur 24. Outre la diffusion d’une circulaire de recherche, une fiche de disparition, présentant la photographie du mineur, son signalement précis, ses lieux possibles de fréquentation, est transmise à tous les effectifs de police parisiens, y compris la brigade des réseaux ferrés, ainsi qu’à certains partenaires (RATP, SNCF).

• La section extra-familiale, traite les enquêtes relatives aux agressions sexuelles en dehors du cercle familial des mineurs à Paris. Elles concernent

des atteintes allant de l’exhibition sexuelle au viol caractérisé, ces faits pouvant être accompagnés de violences, d’actes de torture et de barbarie, de corruption de mineurs ou être commis en réunion. La plupart du temps, il n’y a pas de lien entre l’auteur et la victime. La dynamique de l’enquête est alors très différente, car elle a pour objet d’identifier des auteurs inconnus, pouvant avoir un profil de prédateur sexuel. • Le groupe Internet est composé de 8 enquêteurs de la PJ spécialisés en matière de mineurs victimes et possèdent des qualifications très poussées en informatique (cyber enquêteurs). Il est organisé en 2 pôles, l’un traitant la lutte contre la pédopornographie et innovation, l’autre étant chargé de la cyberinfiltration. - Le pôle pédopornographie assure la gestion des enquêtes, le plus souvent à la demande du parquet, qui concernent la production, la détention, la diffusion d’images à caractère pédopornographique, via, principalement, le réseau Internet. Pour constater ces infractions, les enquêteurs saisissent tout le matériel informatique de l’auteur supposé puis l’analysent

grâce à un matériel très performant et spécifique, conçu par les enquêteurs, destiné aux contenus de plus en plus volumineux (plusieurs téraoctets) saisis chez des collectionneurs (PC, Clés USB, disques externes, CD, DVD…). Un premier tri est réalisé entre les images/vidéos déjà connues et les autres. Ensuite, il faut réaliser un travail particulièrement fastidieux et pénible pour déterminer s’il s’agit bien de mises en scène de mineurs (moins de 18 ans), à caractère pornographique (sexe apparent), et s’il s’agit d’images de “collectionneurs” récoltées sur Internet, échangées à travers le monde entier, ou d’“images maison” avec des victimes proches de l’auteur. L’appréciation de la minorité de la victime sur photo ou vidéo se fait de façon très restrictive (pré-pubère) afin d’éviter toute interprétation. - Le pôle “Cyber infiltration” met en œuvre des compétences très spécifiques, qui nécessitent une habilitation particulière. Depuis une loi de 2007 et en vertu d’un arrêté de 2009, policiers et gendarmes peuvent pratiquer la cyber infiltration en utilisant des profils fictifs, pour confondre les pédophiles en

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A la rencontre de la brigade des mineurs de Paris

action sur Internet. Ce travail de longue haleine permet d’aboutir à l’identification de majeurs, effectuant des propositions à caractère sexuel à des mineurs ou commettant des faits de corruption de mineurs, en toute connaissance de cause. Notre but est d’attendre la proposition de rencontre avec le mineur pour interpeller l’auteur. • Le groupe nuit appartient à la section extra-familiale et assure la permanence de 20 h à 8 h. Il est composé de 8 enquêteurs, dont 3 sont présents chaque nuit. Sa mission, comme pour la permanence de jour, est d’assurer l’accueil à la BPM de toute personne, victime ou témoin, signalant un cas préoccupant ou une infraction, et d’effectuer les premières vérifications et actes d’enquête (plainte, recueil de témoignage, constatations, demande d’examens médicaux ou d’actes techniques, placement en foyer…). La prise en charge est double en protégeant un mineur en situation de danger et en diligentant l’enquête si nécessaire, en liaison avec le Parquet des mineurs. La permanence gère, comme nous l’avons vu, les cas de disparitions les plus inquiétantes (on parle des “spéciaux”, en jargon BPM) mais aussi assure la prise en charge des fugueurs de passage, c’est-à-dire ceux retrouvés à Paris quelle que soit leur origine (province, banlieue, parfois de l’étranger). Ils sont contrôlés en pleine nuit dans la rue ou dans un train sans titre de transport, puis conduits à la brigade car ils ne peuvent être immédiatement repris en charge par leurs responsables légaux. Ils sont alors entendus sur les conditions de leur fugue, pour déterminer s’ils ont été victimes de quelque chose, et sur la suite de leur prise en charge. En attendant la venue de leurs parents ou éducateurs (parfois au bout de 24 ou 48 h…), les mineurs restent à la brigade, dans des conditions totalement inadaptées, faute de possible prise en charge à Paris par les structures de l’aide sociale à l’enfance, généralement saturées, surtout les week-end. Un travail de parte-

nariat est actuellement en cours, sous l’égide du parquet des mineurs, en lien avec les responsables de l’aide sociale à l’enfance, pour améliorer la capacité d’accueil des foyers d’urgence. • La Cellule d’Analyse et de Recherche (CAR) est intégrée à la section extrafamiliale et a pour mission d’effectuer des recoupements et rapprochements d’affaires selon le mode opératoire et les profils d’auteurs d’agressions sexuelles sur Paris et la petite couronne. Les deux enquêteurs de cette unité sont attentifs aux affaires concernant les victimes mineures et majeures, les prédateurs agissant parfois sans tenir compte de l’âge réel de leur proie. • La Cellule de Recherche et d’Initiative (CRI) est une entité de 5 enquê-

teurs, “préservée” de la mission de permanence de jour, pour augmenter ses capacités opérationnelles. Elle a en charge la lutte contre l’exploitation des mineurs que ce soit au travers de la prostitution, ou l’incitation à la commission de délits. Le travail des enquêteurs les conduit à adapter leurs horaires aux besoins des enquêtes (surveillances de nuit, suivi d’écoutes téléphoniques…). A&M : En dehors de Paris comment cela se passe-t-il ? C. P. et T. B. : Tout ce que nous faisons ici à la BPM est découpé entre plusieurs services ailleurs. Selon la zone rurale ou urbaine, les types d’enquête à gérer… Ce sera la gendarmerie, les commissariats, la sûreté territoriale ou la PJ locale qui seront concernés. A&M : De quel personnel disposezvous à la BPM de Paris ? C. P. et T. B. : La BPM est constituée de 85 personnes dont 70 à 75 enquêteurs, abstraction faite du personnel de direction et administratif conséquent pour la mission d’archivage qui constitue la mémoire de la BPM. La proportion de femmes est de 45 à 50 %, soit le double de la moyenne dans la police. Les motivations pour intégrer la bri-

gade sont diverses, mais nécessaires tant l’exercice est difficile. Il faut une certaine sensibilité, une empathie pour favoriser le contact, un dialogue avec la victime ou l’auteur, mais aussi savoir maintenir une certaine distance pour ne pas être submergé par des situations compliquées. L’âge moyen est d’environ 35/40 ans, pour la plupart de jeunes parents. La durée moyenne d’exercice est de 5 ans mais une durée minimale de 3 ans est requise dans la brigade compte tenu des programmes de formation spécifique (techniques d’audition du mineur victime, de l’auteur, et de témoignage en Cour d’Assise). Ils ont quasiment tous la qualification d’OPJ (officier de police judiciaire), pour entreprendre les actes nécessaires à une enquête de police selon le code de procédure pénale (garde à vue, perquisitions, auditions, saisies…) sous le contrôle du parquet ou du magistrat instructeur. A&M : Quels sont vos partenaires ? C. P. et T. B. : Il y en a beaucoup. Contrairement à d’autres services de police judiciaire, nous sommes confrontés à deux types de situations : celles qui relèvent du pénal donc d’une enquête, et celles qui relèvent de l’infra-pénal. L’enjeu est de protéger l’enfant quand un danger est suspecté, et de pratiquer toutes les vérifications utiles si besoin. Selon le cas, nos partenaires varient. Dans une affaire sur deux, nous sommes sollicités par le parquet des mineurs pour diligenter une enquête, après signalement de la CRIP (Cellule de Renseignement et d’Information Préoccupante). L’autre moitié de nos missions concerne la prise en charge de personnes qui se présentent à la BPM, ou qui nous ont été adressées par des commissariats auprès desquels ils se sont manifestés. Les juges des enfants nous sollicitent parfois aussi pour des compléments d’enquête, ou nous font part de faits révélés par un mineur qui est à leur charge. Ils peuvent également, par l’intermédiaire du

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Société Parquet, demander l’intervention des services de police, et en dernier lieu de la BPM pour les cas les plus complexes et sensibles, qui prendront en charge, aux fins d’exécution d’une OPP le plus souvent à domicile, des enfants qui sont en situation de danger. Dans l’action de l’enquête, nous sollicitons au quotidien les UMJ et experts psychiatres. Ces derniers effectuent systématiquement des examens à la demande du Parquet pour les auteurs de faits à caractère sexuel pour évaluer l’opportunité d’une injonction de soins. D’autres liens professionnels existent avec l’Aide Sociale à l’Enfance, diverses associations qui viennent en aide aux mineurs, qu’ils soient adolescents en difficulté, prostitués, ou aux victimes, notamment d’inceste, devenues majeures… Nous sommes également en relation avec les structures de soin et d’aide aux victimes tels les services de victimologie, les Maisons des Adolescents, ou d’autres unités qui prennent en charge les victimes ou leurs familles. Notre psychologue adresse ainsi des parents, des enfants à différents partenaires pour la prise en charge. De façon globale, la protection de l’enfance au cours de notre exercice professionnel, fait l’objet d’échange, d’information, de réflexion avec les associations de protection de l’enfance, et de parents …

tions qui ont été à gérer et quelle en est la tendance évolutive ? C. P. et T. B. : L’activité habituelle de la brigade tourne autour des affaires de violences intra-familiales, d’inceste, d’agressions sexuelles sur mineurs par des prédateurs pédophiles, pouvant également être détenteurs d’images “pédoporno”, le tout sur fond de déclarations de fugue en continu et de passages de fugueurs retrouvés. Le nombre d’affaires annuel traitées évolue peu. On observe le caractère assez stable de l’âge de révélation des faits d’inceste, avec un décalage de 8 à 10 ans en moyenne quand les faits ne sont pas révélés tout de suite. On observe aussi une précocité sexuelle des adolescents que nous prenons en charge avec des relations sexuelles à partenaires multiples, une banalisation de certains actes sexuels (fellation). En parallèle, nous observons un décalage complet entre l’image qu’ont les parents de leur enfant et ce que nous observons, notamment sur le volet de la sexualité. Parfois même, nous débutons des procédures de viol sur la base des premières déclarations des mineurs, qui s’avèrent être en réalité des expériences sexuelles non assumées face aux parents… A&M : Existe-t-il des groupes à risque parmi les victimes que vous rencontrez ? C. P. et T. B.  : Les cas d’agressions sexuelles, les comportements sexuels

préoccupants et les cas d’inceste que nous traitons sont observés quel que soit le niveau social. Certains types de violences sont plus fréquents en milieu social défavorisé ou chez certaines familles originaires d’Afrique. Nous constatons ainsi des pratiques qui ne sont pas acceptées par notre législation mais sont courantes dans le pays d’origine : il s’agit principalement des punitions associées à des châtiments corporels (coup de ceinture, coup de bâton, application de piment sur les muqueuses…). Mais globalement, le milieu social, la nationalité, ou l’origine ethnique ne sont pas des critères déterminants. La violence est partout. La prostitution de mineur est un problème qui concerne deux types de population : soit des enfants issus de l’immigration, principalement des pays de l’Est, soit des adolescentes au parcours difficile, faisant l’objet de suivis multiples, de conflits familiaux sévères, de passage de foyers en foyers, de fugue et de moments d’errance. La prostitution des mineurs a énormément baissé par rapport au début des années 2000 où un pic de prostitution, d’origine bulgare et roumaine principalement, concernait en proportion non négligeable des mineurs. Cependant, la prostitution de mineurs existe encore mais reste dans des proportions très faibles. Le travail de prévention des associations et les contrôles réguliers effectués par les ser-

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A&M : Quelle est la proportion des adolescents dans les affaires que vous traitez ? C. P. et T. B. : Elle concerne 75 % des dossiers traités par l’extra-familiale et 60 % en intra-familiale. Il y a peu de victimes d’inceste qui ne soient pas dans l’adolescence au moment des faits. La majorité des victimes sont âgées de 10 à 15 ans bien qu’il en existe des plus jeunes. Concernant les violences, on les retrouve le plus souvent dans un contexte lié à l’école ou à l’adolescence (mauvaises notes, absences injustifiées, sorties tardives…). A&M : Au cours de la dernière année, quelles sont les principales situa-

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vices de police permettent de déceler rapidement les nouveaux cas. A&M : Comment se déroule en pratique une action type, est-ce qu’il y a un protocole d’intervention ? C. P. et T. B. : En cas de suspicion de violences par exemple, on cherche à recouper les informations sur les problématiques individuelles, familiales, scolaires et sociales en interrogeant le médecin de famille, de PMI pour les plus petits, l’assistante sociale qui a pu s’adresser à nous… L’enquête va aussi concerner la famille, les amis, le voisinage, les témoins éventuels. En règle générale, notre première mission est de recueillir la parole de l’enfant et d’évaluer très rapidement s’il est en danger et s’il doit ou non être mis à l’abri. Ensuite, il faut évaluer les possibilités de prise en charge par le cercle familial ou amical. Avec ces éléments, l’enquêteur contacte le Parquet des mineurs pour évoquer la situation et la question d’un éventuel placement. Si cette décision est prise, le parquet des mineurs délivre une OPP pour placement en urgence, et saisit un juge des enfants. Ce dernier sera en charge de l’affaire et de la poursuite du placement. A&M : Dans quelle situation l’entretien est-il filmé ? C. P. et T. B. : Pour toute situation à caractère sexuel. Cela permet d’éviter les répétitions de propos douloureux, et de revisualiser certains comportements de l’enfant en complément à sa parole pour valider certaines de ses réponses. L’utilisation de la vidéo permet également de réaliser des confrontations avec l’auteur hors la présence de l’enfant, notamment dans le cas d’inceste avec enfants très jeunes. La vidéo est alors montrée au gardé à vue et la parole de l’enfant prend une autre réalité. A&M : Quand faites-vous appel aux entretiens psychologiques ? C. P. et T. B. : Une psychologue est présente à la BPM depuis octobre 2003.

Elle intervient en marge de l’enquête, le plus souvent après une audition. Sa mission principale est d’orienter les victimes et leurs familles vers un suivi adapté en cas de demande de leur part. Cette mission est d’autant plus importante qu’il n’existe pas de suivi psychologique préalable. Parfois, elle intervient avant l’audition en cas de blocage ou de mutisme de la victime, plus fréquemment pour des majeurs, dénonçant des faits d’inceste très anciens. Elle peut aussi soutenir la victime dans le cadre de la procédure, comme dans le cas de victime de viols en réunion devant être confrontée successivement à chacun de ses agresseurs… A&M : Existe-t-il une supervision dans l’exercice de votre travail avec une psychologue ? C. P. et T. B. : Non, notre “supervision” se fait au quotidien au sein du groupe où nous échangeons énormément. C’est une autre particularité de la BPM, on ne joue pas les gros bras, les blasés… quand un enquêteur est touché par une situation, il en parle avec les autres. Le café le matin à la brigade dans les groupes est un moment important. Après une audition difficile, les enquêteurs en parlent avec leur chef de groupe, avec leur voisin de bureau… l’entité groupe est capitale. Cependant, pour certaines affaires vraiment difficiles, il nous arrive de solliciter le SSPO (Service de Soutien Psychologique Opérationnel) composé de psychologues de police. A&M : Comment qualifieriez-vous vos relations avec les services de soins, les médecins ? C. P. et T. B. : C’est très variable selon les interlocuteurs. Ça va de la discussion constructive à l’absence totale de communication. On est amené souvent à solliciter les psychiatres qui suivent des mineurs et qui font partie des confidents auxquels ils ont pu révéler des faits. Certains vont se retrancher derrière le secret médical absolu en ne nous disant rien, d’autres vont nous expliquer ce qu’ils peuvent.

A&M : Quel est votre avis sur cette position médicale ? C. P. et T. B. : On a en tout cas un peu de mal à comprendre. L’idée étant que, le mineur est en danger, et que notre rôle est qu’il soit protégé au plus vite et d’identifier l’auteur des violences ou de l’agression subie parce qu’il est hors de question que ça se reproduise. C’est vrai, on a parfois l’impression d’être freiné dans nos démarches et/ ou que certains signalements auraient pu être faits, ou auraient pu être faits plus tôt mais que certains ont eu des réticences. Ça concerne surtout les cas des maltraitances où les signalements sont parfois tardifs, ralentis par un questionnement médical qui tergiverse plusieurs jours sur son intérêt. Cela occasionne une perte de temps mais aussi un certain niveau de “pollution” car plusieurs interlocuteurs ont posé des questions aux parents et à l’entourage avant le début de notre enquête. Le partenariat engagé avec beaucoup d’établissements hospitaliers parisiens va dans le sens d’une démarche de signalement plus systématique, effectué à bon escient en liaison avec la CRIP et le Parquet des mineurs. En participant à de nombreuses réunions sur la prévention et la maltraitance, on apprend à démystifier nos missions respectives afin de mieux se comprendre et inciter à une meilleure communication. A&M : La crainte est de se tromper, de signaler par excès… C. P. et T. B. : C’est extrêmement rare. Le signalement signifie qu’il y a question. Lorsque nous intervenons dans le cadre d’une enquête, nous le faisons avec tout le discernement possible. Nous effectuons de nombreuses vérifications avant d’incriminer qui que ce soit, et ce en liaison constante avec le Procureur de la République qui lui, prendra la décision. Notre priorité est de protéger l’enfant en danger, l’implication d’auteurs éventuels vient après. Le problème s’il s’avère être de nature sociale ou relationnelle sera orienté vers le service compétent. Il manque

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Société

A&M : Quel a été le sentiment de la brigade des mineurs lors de la projection du film Polisse ? C. P. et T. B. : Il a été que le public découvrait ce qui se passe dans la vie que nous voyons tous les jours, cet univers d’enfants violés, violentés, qui existe et peut concerner tout le monde. Certains nous ont dit avoir été soufflés de découvrir la réalité de nos affaires. Pourtant, globalement, les choses sont plus suggérées que montrées, il y a beaucoup de non-dits, à part la scène de l’avortement, qui est pour moi la plus difficile. Ce film a aussi permis de montrer le comportement sexuel à risque de certains mineurs, leur mise en danger via la sexualité non-maîtrisée. Un autre motif de satisfaction pour nous fût celle rendue à l’image de la police, différente de l’image habituelle. Mais il y a aussi beaucoup de clichés du côté des enquêteurs névrosés ou trop impulsifs dans ce film…. Mais il en ressort une forte dose d’humanité qui nous a plu. Ce qui manque, c’est la complexité de l’enquête, sa profondeur, sa technicité. Les scènes d’enquête, du coup, manquaient parfois de substance comparées au quotidien de la brigade pour des raisons évidentes de réalisation d’un film et non d’un documentaire.

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des signalements. Dans de nombreux cas, la suspicion de violence est confirmée par le caractère traumatique des lésions. Identifier le coupable est parfois plus difficile mais non indispensable à la confirmation d’acte de violence.

A&M : Qu’aimeriez-vous rajouter pour conclure ? C. P. et T. B. : Qu’il ne faut pas hésiter à nous interpeller en cas de questions, d’hésitations à signaler une situation. Il est aussi possible de les poser au parquet, aux juges pour enfants. Si certains travailleurs sociaux avec qui nous sommes en lien direct ont parfois tendance à signaler un peu vite, les médecins qui adressent leur signalement au parquet via la CRIP le font parfois trop lentement. C’est en ce sens que nous (Commissaire Divisionnaire Boulouque) avons participé à la rédaction des recommandations du signalement en situation d’inceste avec l’HAS (1). Ce travail très constructif, réalisé à partir d’échanges pluriprofessionnels, a permis de réaliser une grille de lecture pour envisager cette démarche et déterminer

quelles vérifications faire au préalable. Ce travail de prévention et d’échange avec nos partenaires nous intéresse énormément pour progresser sur une meilleure compréhension réciproque. Pour conclure, j’aimerais transmettre le conseil de signaler avec discernement en utilisant la règle qui consiste à dire que dès qu’on pense qu’un mineur est en danger, il faut le signaler. Dans le cas inverse, le médecin peut engager sa responsabilité pénale et déontologique.

Mots-clés : Brigade des mineurs, Rôle, Fonctionnement, Institution, Relation médecin, Enfants, Adolescent, Crime

Références 1. HAS. Repérage et signalement de l’inceste par les médecins :

et-signalement-de-l-inceste-par-les-medecins-reconnaitre-les-

reconnaître les maltraitances sexuelles intrafamiliales chez le mineur.

maltraitances-sexuelles-intrafamiliales-chez-le-mineur.

2010. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1067136/reperage-

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Psychiatrie

Evolution des états limites à l’adolescence “Au-delà de cette limite, votre ticket est-il encore valable ?” La frontière qui délimite la notion d’état limite est bien difficile à définir et plus encore à l’adolescence alors que le psychisme est en constante évolution. Pourtant, l’usage courant de cette acception laisse supposer qu’il repose sur

Dr Jean-Pierre Benoit Psychiatre, Maison de Solenn, Maison des Adolescents, Paris

une certaine pertinence clinique. Le diagnostic d’état limite s’accompagne souvent de l’idée d’un pronostic péjoratif, mais celui-ci ne procède-t-il pas plus des difficultés de prise en charge que de la réalité de l’évolution clinique ?

Genèse du concept Historiquement, deux grandes catégories ont dominé la nosologie psychiatrique du début du XXe : les névroses d’un côté qualifiant les patients qui conservaient une bonne adaptation à la réalité, et les psychoses de l’autre rassemblant les grandes inadaptations délirantes. Mais, dès 1936, Stern repère un groupe de patients qu’il qualifie de “borderline”, littéralement sur une “ligne de frontière” entre névrose et psychose et qui se caractérisent par une hyperesthésie affective, une défaillance de l’estime de soi, et une carence narcissique fondamentale. Knight en 1950 observe que certains patients non psychotiques posent de très grandes difficultés aux équipes soignantes et souffrent en institution en se laissant aller à des mouvements régressifs. C’est Otto Kernberg qui fera date en les authentifiant et en décrivant des psychothérapies spécifiques. Il s’agit donc de fonctionnements psychiques intermédiaires pouvant emprunter à la névrose ou à la psychose.

Etat limite ou personnalité borderline ? Ces deux concepts sont utilisés parfois indifféremment, l’un comme la traduction anglo-saxonne de l’autre,

Encadré 1 Trouble de le personnalité borderline selon le DSM IV. Mode général d’instabilité des relations interpersonnelles, de l’image de soi et des affects avec une impulsivité marquée, qui apparaît au début de l’âge adulte, comme en témoignent au moins 5 des manifestations suivantes : 1. Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés. 2. Mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l’alternance entre des positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation. 3. Perturbation de l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion de soi. 4. Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet : dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie. 5. Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires ou d’automutilations. 6. Instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur. 7. Sentiment chronique de vide. 8. Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère. 9. Survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères (dépersonnalisation).

alors qu’ils qualifient des niveaux différents du fonctionnement du sujet. Si le concept d’“état limite” se réfère à un fonctionnement intra-psychique, à une psychopathologie singulière, le diagnostic de “personnalité borderline” appartient aux groupe des troubles de la personnalité, ensemble de comportements et d’émotions spé-

cifiques directement observables par le clinicien. On pourrait dire qu’“état limite” qualifie l’interne du sujet quand “personnalité borderline” décrit le fonctionnement externe apparent. Les critères cliniques de la personnalité borderline sont précisés dans la classification du DSM IV (Encadré 1) :

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Psychiatrie “impulsivité dans deux domaines, efforts pour éviter l’abandon, colères inappropriées…”, autant d’items diagnostiques que possèdent un grand nombre d’adolescents rencontrés en clinique, ce qui explique l’emploi déplacé du terme borderline pour les qualifier. Emploi déplacé car, en effet, l’adolescence étant par essence une période de remaniements psychiques, les diagnostics de trouble de la personnalité ne peuvent être posés qu’au delà de 18 ans. Il est donc incorrect de parler de trouble de la personnalité borderline pour un adolescent. Dans le meilleur des cas, ces manifestations d’impulsivité et de colère ne correspondront qu’à l’expression d’une “crise d’adolescence” et s’effaceront à l’âge adulte. Au contraire, leur persistance au-delà de 18 ans autorisera alors à parler de personnalité borderline. L’évolutivité propre à l’adolescence fait préférer aux auteurs français le concept de “fonctionnement limite” à l’adolescence, état renvoyant à une situation stable.

Expressions cliniques des fonctionnements limites de l’adolescence Les personnalités borderline adulte seront toujours la traduction externe comportementale et émotionnelle d’un fonctionnement psychique limite, alors qu’inversement, une organisation psychopathologique limite pourra donner lieux à de multiples tableaux cliniques (Fig. 1).

Psychopathologie des états limites Le fonctionnement limite est une organisation psychique qui ne permet pas d’acquérir une autonomie satisfaisante, rendant nécessaire la présence d’une personne infaillible sur laquelle s’appuyer. En cas de séparation, les sujets sont soumis à des angoisses d’abandon très difficilement supportables. Certains symptômes, l’anorexie par exemple, permettent d’éviter de s’y confronter. A contrario, le sujet peut se sentir envahi par celui ou celle 26

Figure 1 - Expressions symptomatiques des états limites.

dont il a besoin et se retrouver alors confronté à des angoisses inverses dites d’intrusion. On retrouve là le paradoxe de l’adolescence décrit par Philippe Jeammet dans les relations des adolescents à leurs parents : “ce dont j’ai besoin est ce qui me menace.” Les angoisses sont telles qu’elles peuvent s’exprimer de façon paroxystique au travers d’expériences de déréalisation, de sensation de perte du sens de la vie. Le sujet évolue alors dans une appréhension manichéenne du monde, en tout ou rien, sans nuances possibles, entraînant une instabilité émotionnelle où l’idéalisation est toujours immédiatement suivie de déception, où la personne aimée peut devenir haïe. Les actes se succèdent en lieu et place de pensées, sous forme de réactions immédiates, sans filtrage, sans élaboration, entraînant l’impulsivité caractéristique. L’adolescence est un facteur de déstabilisation du fonctionnement limite. Devant la tâche d’individuation, l’adolescent limite se retrouve face à une séparation indépassable qu’il refuse de franchir en supportant les affects dépressifs. L’aire transitionnelle au

sens de Winnicott, permettant d’affronter l’absence par le support de l’imaginaire, n’est pas fonctionnelle. L’absence n’est pas vécue comme le retour possible de la présence mais comme une disparition définitive. Les séparations sont des arrachements vécus comme des déchirures dans la réalité du corps, le psychisme ne pouvant pas prendre le relais.

Etiologie, Causalité Les défauts précoces des fonctions d’étayage du nourrisson et du très jeune enfant, les distorsions des relations précoces de contenance et de pare-excitation sont les facteurs favorisant la constitution des états limites. Les antécédents périnataux ont une place prépondérante. S’ils sont apparents en cas de dislocation familiale, de placement ou de maltraitance, ils peuvent être parfois plus subtils. Le rôle des dépressions de l’entourage est également reconnu. Mais les auteurs s’écartent aujourd’hui d’un déterminisme univoque au bénéfice d’influences s’exerçant à différents niveaux, sous forme circulaire, agissant toujours contre le processus de séparation individuation. Les facteurs s’additionnent : environnement, ter-

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Evolution des états limites à l’adolescence

rain génétique, évènements de vie, comorbidités…

Des potentialités évolutives préservées L’évolution et le pronostic d’un état limite n’est pas toujours péjoratif, mais ces patients sont redoutés au sein des institutions pour leur difficulté de prise en charge. Ils ne s’adaptent pas au cadre hospitalier et le transgressent en poussant les soignants au-delà des limites habituelles. L’évolution se fait dans le sens d’une névrotisation. Le fonctionnement devient moins projectif (attribution à l’autre) et une dynamique réflexive avec des affects de culpabilité se précise. L’évolution tend vers un apaisement progressif des angoisses, un moindre recours aux mécanismes de défense entraînant une diminution de l’impulsivité et des mises en acte, un apaisement des modalités de relation. C’est le cas de nombre d’adolescents dont la symptomatologie va s’amender progressivement.

s’estompent, la dépendance vis-à-vis d’autrui, et les réponses émotionnelles à la solitude seraient les signes les plus persistants. L’évolution s’étalerait sur environ 20 ans. Le pronostic serait bon dans 2/3 des cas avec 20 % de sujets asymptomatiques et normalement insérés sur le plan affectif et professionnel. Il serait comparable au pronostic des autres troubles de la personnalité en l’absence de tentative de suicide. Le suicide est la complication principale, évaluée à 8,5 % après 16 ans d’évolution.

Traitement

Certaines situations externes ou évènements de vie peuvent cependant entraîner une régression vers des fonctionnements plus psychotiques ou simplement accentués : les deuils, séparation, changements brusques de l’environnement, emploi-migration, hospitalisations…

C’est probablement de la grande difficulté que représente le soin des états limites que ceux-ci tirent leur mauvaise réputation auprès des soignants en institution. Dans les services hospitaliers, les patients sont rencontrés en situation critique, à l’acmé de leurs angoisses et de leur impulsivité. Les limites du fonctionnement du service les déstabilisent, comme si l’on mettait “de l’huile sur le feu” de leur émotionalité. Leurs angoisses d’abandon et d’intrusion font le lit de relations complexes avec les soignants qui sont idéalisés dans une demande d’aide massive puis jugés insatisfaisants et aussitôt rejetés. Seule la gravité du symptôme devrait décider d’une hospitalisation et non celle de la psychopathologie qui ne sera jamais amendée par une simple hospitalisation.

C’est ce que confirment les études pronostiques. Moins de la moitié des patients maintiennent dans le temps un diagnostic d’état limite. Les manifestations comportementales

L’état limite justifie en premier lieu d’une relation thérapeutique de type psychothérapeutique inscrite dans la continuité et capable de s’adapter aux fluctuations relationnelles. Différentes

modalités peuvent être utilisées : thérapies individuelles, de groupe, artthérapie, et bien sûr psychodrame à l’adolescence. Dans les cas les plus graves, les thérapies bi-focales associant un médecin référent et un psychothérapeute sont particulièrement indiquées. Les psychotropes sont utilisés à titre symptomatique, même si les métaanalyses ne concluent pas à leur efficacité. Les antidépresseurs pourraient agir sur la colère, la labilité émotionnelle, et la susceptibilité. Les antipsychotiques sont prescrits contre l’impulsivité, la colère et les symptômes psychotiques transitoires. Les thymorégulateurs atténueraient les fluctuations de l’humeur et l’impulsivité.

Pour conclure Le concept d’état limite à l’adolescence est pertinent pour qualifier le fonctionnement psychique sousjacent d’un grand nombre de tableaux cliniques à cet âge. Mais il mérite d’être apprécié comme un état provisoire de déséquilibre, susceptible d’évolution et de guérison. Ce diagnostic, lorsqu’il est retenu doit conduire à l’instauration d’une prise en charge dans la continuité. L’évolution de ces troubles peut être de bonne qualité, malgré des présentations symptomatiques bruyantes lors des moments de décompensation.

Mots-clés : Psychologie, Etats limites, Clinique, Evolution, Prise en charge

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• Guelfi JD, Rouillon F. Manuel de psychiatrie, 2e édition. Paris : Elsevier

Paris : Dunod, 2009.

Masson, 2012 : 394-401.


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