Endocrinologie
Transition dans la prise en charge de l’adolescent obèse Définitions, étapes et réflexion La transition est une délicate période en particulier dans la prise en charge de l’obésité de l’adolescent. Nous vous proposons une réflexion sur les principaux éléments de ce que serait une “bonne” transition dans ses spécificités vis-à-vis de la prise en charge de l’obésité, à la lumière de notre expérience de pédiatre en maison d’adolescent et dans le service d’endocrino-pédiatrie de l’hôpital des enfants à Toulouse, où la transition dans l’obésité est en cours
Dr Emmanuelle Mimoun*, Dr Hervé Lefèvre**, Dr Béatrice Jouret*, Dr Gwenaëlle Diene*, Pr Maïté Tauber* *Service d’endocrino-pédiatrie, hôpital des Enfants, Toulouse **Maison des Adolescents, hôpital Cochin, Paris
d’organisation en collaboration avec le service de nutrition adulte de l’hôpital Larrey.
La transition : concept et définition Depuis une dizaine d’années et au travers de nombreux articles, recommandations et procédures, on a assisté (tout particulièrement en Amérique du nord) à la codification de la transition, c’est-à-dire le « mouvement planifié et orienté des adolescents et jeunes adultes présentant un problème médical chronique, d’un système de prise en charge pédiatrique vers un système de prise en charge adulte » (1, 2). Diabète, déficit en hormone de croissance, transplantation, maladies inflammatoires digestives, rhumatismales, neurologiques, survivants de cancers, hyperplasie congénitale des surrénales, toutes les pathologies ont semblé être passées au crible de l’analyse de cette transition en médecine de l’adolescent (3-7). Au sein de ces pathologies, l’obésité constitue une condition particulière : en premier lieu, contrairement aux pathologies chroniques citées plus haut, elle ne fait pas l’objet d’un traitement médicamenteux spécifique. Les familles ont ainsi des difficultés à considérer le suivi médical comme un passage nécessaire, et nombreux sont les perdus de vue. 14
Ensuite, le traitement de l’obésité nécessite d’emblée une implication familiale forte, tant pour le suivi médical, que pour les changements radicaux de mode de vie qu’il exige. Enfin, les médecins eux mêmes ont toujours l’espoir de guérir rapidement leurs patients avec des règles hygiéno-diététiques ad hoc ; la réalité est toute autre, et il convient d’envisager d’emblée une prise en charge au long cours avec une perspective de passage de relais à terme. On le voit par conséquent, plusieurs caractéristiques de l’obésité en font une pathologie pour laquelle il s’avère nécessaire d’instaurer une transition de soins réussie de l’adolescence à l’âge adulte. On peut penser par exemple qu’une transition bien amenée permettrait aux adolescents de faire au moins connaissance avec la médecine adulte, bien différente, et peutêtre, de poursuivre les soins qu’ils auront été tentés d’abandonner plus d’une fois. Quelles sont donc les clés d’une transition réussie ? Quelles en sont les étapes ? Et que peut-on en déduire dans le cas particulier de la prise en charge de l’obésité ?
La transition : méthode et outils bbQuelle est la meilleure période pour mettre en place une transition ? Certains définissent le processus de transition comme prenant place dès l’âge de 12 ans (8-12, Encadré 1), dans une optique de préparation progressive au passage à la prise en charge adulte. Ces auteurs englobent donc dans la transition toute la médecine de l’adolescent avec ses spécificités. D’autres proposent une transition en trois ou quatre phases, de 11 à 22 ans, avec une emphase sur l’autonomisation du patient et son accompagnement dans la gestion du soin quotidien. Ces auteurs ont à coeur de mettre l’accent sur l’accompagnement constant de l’enfant puis de l’adolescent ainsi que de sa famille dans un processus sans cesse évolutif au niveau relationnel. Les pédiatres doivent en effet se souvenir que l’enfant de la phase de latence qui peut donner l’illusion d’une relative stabilité, finit par grandir et s’autonomiser. Ils se doivent donc d’accompagner ce processus et d’évoluer avec lui dans la relation. Il nous semble pourtant que la phase
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Transition dans la prise en charge de l’adolescent obèse
de transition constitue la partie de la médecine de l’adolescent qui s’intéresse au moment où l’on va progressivement parler à l’adolescent de son passage vers la prise en charge adulte, que ce passage sera codifié, préparé avec l’adolescent, et qu’il formera une sorte de rite de passage dans lequel le pédiatre aura un rôle d’accompagnant, de “passeur”. A ce titre, la transition ne peut durer trop longtemps : 1 à 3 ans en fonction des besoins et du contexte nous paraissent être une période optimale, à mettre en place au mieux entre 14 et 18 ans.
bbQuels sont les principes guidant une “bonne” transition ? Et tout d’abord, qu’est-ce qu’une “bonne” transition ? Pour nous, le pédiatre doit soutenir le processus permettant aux adolescents de prendre progressivement leur vie en main et dans tous ses aspects, y compris celui de la santé. Il doit également soutenir et accompagner la famille de l’adolescent, et lui permettre de “laisser partir” son enfant dans le plus grand sentiment de sécurité possible. Cette réassurance ne peut avoir lieu que dans un processus de soin continu et maîtrisé par le professionnel de santé. La Société de Médecine de l’Adolescent a édité en 2003 un document de synthèse sur la transition et souligne les principes d’une transition réussie (1) : • « mise en oeuvre de soins appropriés à l’âge chronologique et développemental ; • prise en compte des problèmes rencontrés chez les adolescents du même âge : croissance, développement, sexualité, humeur, santé mentale, utilisation de substances, comportements vis-à-vis des soins… • soutien à l’autonomie, à l’acquisition du sens de responsabilité personnelle et de confiance en soi ; • souplesse suffisante du programme de transition pour s’adapter à tous types de population, circonstances, besoins, états de santé. Chaque prise en charge doit être individualisée pour
Encadré 1 Transition : guide de bonne pratique (1, 2) • Les services de soins pour adolescents doivent être adaptés à leur suivi et à leur développement et doivent inclure les familles des adolescents. • Les adolescents étant atteints de maladies chroniques ont les mêmes problèmes de santé que leurs pairs. Les services de soins doivent donc s’occuper de problèmes tels que la croissance et le développement, la santé mentale, la sexualité, la nutrition, le sport et les comportements à risque tels que l’usage d’alcool et de drogue. • Les services de santé doivent avoir la souplesse nécessaire pour s’adapter à l’âge, la maladie et les circonstances sociales des patients. Le processus de transition doit être adapté à chaque individu. • La transition est optimisée lorsqu’un soignant spécifique est responsable du processus dans son ensemble. • L’implication clinique dans le suivi du patient aide à optimiser un transfert en douceur vers les services de soins adultes, et à favoriser la pérennité du suivi adulte. • Le suivi par un médecin généraliste peut répondre aux besoins de soins holistiques et à réduire ainsi les échecs du transfert vers le suivi adulte. • Une bonne communication entre les services pédiatriques et adultes aide à traverser les différences culturelles et structurelles entre les deux systèmes de soins, et facilite ainsi la transition des adolescents vers les services adultes. • Un des buts ultimes de la transition vers les services de soins adultes est de faciliter le développement d’une prise en charge responsabilisée des adolescents présentant une maladie chronique.
mieux répondre aux besoins des patients et des familles ; • coordination du processus de transition par un seul professionnel, en collaboration avec le patient et sa famille ; ce professionnel leur sert d’intermédiaire afin de faciliter le vécu de la transition. »
bbLes recommandations L’AAP (American Academy of Pediatrics) a édité des guides de bonnes pratiques de la transition au moyen de conférences de consensus. La dernière a eu lieu en 2009 (2) et énonce des recommandations pratiques issues de principes détaillés dans l’encadré : 1. « Tout adolescent doit avoir un professionnel de santé référent. 2. Les professionnels de santé s’occupant des adolescents pendant la transition doivent être formés de façon spécifique. 3. Des résumés de l’histoire médicale des patients doivent être préparés et régulièrement mis à jour, facilement exportables et accessibles.
4. Un planning de transition doit être rédigé avec l’adolescent et sa famille dès l’âge de 14 ans. Ce planning doit inclure au minimum la mention des services à fournir au patient, ainsi que les personnes qui s’en occuperont. Ce planning devra être revu et remis à jour chaque année. 5. Ces recommandations sont applicables aux soins primaires et aux soins préventifs. Elles prennent en compte la nécessité de ressources et de services accrus du fait des besoins de santé spécifiques de certains adolescents. 6. Le professionnel de santé doit veiller à la présence d’une couverture de soins suffisante pour ses patients. »
bbLes outils Comme souvent, ces recommandations semblent relever du plus simple bon sens. Et pourtant, le praticien, pris dans les problèmes de la pathologie chronique, voire simplement dans ceux du développement du patient, se laisse souvent entraîner dans une attitude attentiste vis-à-vis d’un processus
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Endocrinologie actif de transition, ainsi toujours remis à plus tard. Le pédiatre est réticent à voir son patient, son “enfant”, quitter son giron. Il le laisse souvent gérer ses difficultés en famille, et n’intervient que lorsque ces difficultés deviennent symptomatiques. Ainsi en va-t-il souvent des adolescents diabétiques présentant une HbA1c à 12 % avec un carnet de suivi impeccable… Ainsi en va-t-il également de l’obésité galopante de certains enfants malgré des recommandations diététiques scrupuleusement répétées à chaque consultation. Bien sûr, tout le contexte sociofamilial et psychologique du patient vient à l’esprit du praticien lorsqu’il reçoit ces adolescents. Mais le praticien n’a pas les outils pour y répondre, et se sent souvent débordé par la tâche. De nombreuses universités se sont penchées sur la réalisation de questionnaires (8, 11), de livrets d’autoformation, de programmes de formation de soignants, d’aide au praticien…
Trois caractéristiques à prendre en compte Ces outils, dont les références sont présentées dans l’Encadré, regroupent globalement les caractéristiques suivantes. 1. Evaluation régulière de l’aptitude
de l’adolescent à la transition à travers l’évaluation de son autonomie pour un certain nombre de domaines : a. domestiques : faire son repas seul, s’occuper de son linge, participer aux décisions familiales, utiliser les numéros et procédures d’urgence, faire sa toilette, gérer son budget, etc. ; b. domaine de la santé : comprendre sa maladie, répondre aux questions des médecins, connaître ses médicaments et leur utilité, tenir le calendrier de ses propres rendez-vous, savoir quand redemander une ordonnance lorsque la sienne vient à échéance, remplir un imprimé de Sécurité sociale, etc. ; c. domaine social : s’orienter dans la ville, ouvrir un compte en banque, 16
Encadré 2 Adresses et sites pour formation et protocoles sur la transition • w ww.medicalhomeportal.org • www.childrensmn.org/web/healthprof/140552.pdf • www.minnesotamedicine.com • www.hrtw.org/healthcare/trans.html • www.soinsdenosenfants.cps.ca/handouts/move_to_adult_care • www.dh.gov.uk/prod_consum_dh/groups/dh_digitalassets/@dh/@en/documents/ digitalasset/dh_4132149
faire des démarches administratives, s’orienter dans les transports… ; d. domaine des loisirs : participer à des activités sociales, s’inscrire à diverses activités organisées (clubs, événements sociaux…) ; e. domaine éducatif : contacter les centres d’orientation, savoir comment demander une bourse, s’inscrire à la faculté ou à l’école, etc.
puisque diagnostiquées à un jeune âge, voire dès la naissance. A présent, et c’est fort heureux, l’amélioration de leur prise en charge amène les praticiens adultes à s’occuper de ces patients. C’est ainsi que la spécialité de “médecine de transition” a vu le jour. Bien sûr, il reste encore beaucoup de progrès à faire dans son organisation et sa diffusion.
2. Tenue à jour du dossier médical
en vue de la transition, et donc de la transmission d’informations pour le suivi adulte. 3. Coordination d’un soutien régulier à
l’adolescent et à sa famille vis-à-vis des différents domaines cités, pour une progression constante dans le processus global de transition. En particulier, le praticien doit aborder les mesures d’aide à la famille et au patient s’il demeure dans l’incapacité d’assurer certains aspects de son autonomie du fait de sa maladie (dossier MDPH, demande de curatelle etc.).
“Médecine de transition” Les articles et les programmes se consacrant à la transition des soins des adolescents vers l’âge adulte s’intéressent souvent à une pathologie particulière, telle que le diabète, le déficit en hormone de croissance, la mucoviscidose, les pathologies neurologiques, les syndromes génétiques, la drépanocytose, etc. En effet, beaucoup de ces pathologies étaient prises en charge exclusivement par les pédiatres
Education thérapeutique Pour cela, l’éducation thérapeutique, qui s’organise dans de nombreux services et pour toutes sortes de pathologies y compris l’obésité, est centrée sur l’adolescent et prend en compte différentes dimensions (environnementale, cognitive, psychoaffective, biologique et projective). Grâce à un diagnostic éducatif révisé régulièrement, elle permet à l’adolescent d’évoluer avec un projet de soin individualisé qui autorise la mise en place de changements.
Les particularités de l’obésité De son côté, l’obésité présente des particularités au sein de cette transition : nous l’avons détaillé plus haut, les familles doivent s’impliquer en changeant leur mode de vie de façon particulière (30 % des obésités sont familiales et nécessitent donc un travail global sur les compétences familiales) ; les complications, qui étaient auparavant présentes surtout chez les adultes, le sont maintenant chez les enfants (syndrome d’apnées du sommeil, hypertension, diabète de
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type 2, etc.) et fait même envisager la chirurgie bariatrique chez certains adolescents sévèrement atteints. Les perdus de vue sont enfin d’autant plus fréquents que l’obésité n’est pas encore considérée comme une pathologie chronique au même titre que le diabète, et médecins comme patients n’envisagent pas d’emblée un suivi au long cours. Enfin, le profil particulier socio-économique des patients les plus touchés par l’obésité fait de la transition un moment encore plus délicat, dans le caractère global (social, économique, psychologique, familial, éducatif…) que peut revêtir la prise en charge à l’âge de la transition, ainsi que dans les difficultés particulières de suivi à cette période de la vie.
Application de la transition dans le domaine de l’obésité bbAspect socio-démographique Si l’on se penche donc sur le profil socio-démographique des adolescents obèses, on peut regarder utilement les premiers résultats de la gigantesque étude nord-américaine, National Longitudinal Study of Adolescent Health, ou Add Health (13-17), qui a suivi en trois vagues successives (de 1994-95 à 2001-2002, la quatrième vague à partir de 2008 est en cours de réalisation) 14 322 adolescents dans 132 écoles différentes. Par exemple, selon Scharoun-Lee et al. (14), on remarque que les adolescents issus des populations minoritaires et ayant les trajectoires de vie les plus défavorables socio-économiquement ont la plus grande prévalence d’obésité (ce que l’on savait déjà), mais également que les jeunes se mariant tôt et prenant précocement des emplois moins avantageux, ainsi que les jeunes femmes ayant des grossesses précoces étaient plus à risque d’incidence, de persistance, voire d’aggravation de leur obésité. Les auteurs en concluent entre autres à une nécessité de soutenir ces populations au moment épineux de la transition aussi bien que de renforcer les interventions précoces pour limiter les effets défavo-
Soins pédiatriques spécialisés
Aptitude croissante à la transition
Vérification régulière de l’aptitude à la transition (maturité, adhésion aux soins, gestion de soi…)
Soins adultes spécialisés
Planification et soutien du coordinateur de la transition
Figure 1 - Le processus de transition. Adapté de Tuchman et al. (7).
rables du statut socio-économique sur l’obésité des jeunes adultes.
bbImpact de la période de transition sur l’obésité Sur la même population, GordonLarsen et al. (15) insistent sur le caractère particulièrement risqué de la période de transition sur l’incidence d’obésité, ainsi que sur son caractère hautement prédictif sur la persistance d’obésité à l’âge adulte.Les auteurs ajoutent que l’augmentation de l’obésité à l’âge de la transition est plus importante que ce à quoi l’on pourrait s’attendre si l’on prenait simplement en considération l’avancée en âge de cette population. Ils insistent donc sur le risque particulier de cette période de transition pour l’obésité, indépendamment du risque (60 %) de persistance à l’âge adulte d’une obésité à l’adolescence.
bbPathologie chronique et adolescence Pour notre part, nous avons tous constaté la difficulté du suivi au long cours des populations d’adolescents obèses, qui échappent aux soins à tout âge et en particulier à l’âge de la transition. On remarque de façon croissante que le découragement survient chez ces adolescents, qui, en plus des problèmes de projet scolaire, professionnel, et des soucis familiaux, doivent se mettre à prendre en charge leur alimentation (qui a depuis longtemps échappé aux efforts parentaux, s’ils étaient encore présents…) et assumer
leur silhouette alors que leur estime de soi est déjà mise à mal par le seul contexte de l’adolescence. Par ailleurs, l’adolescence rend elle-même impossible l’acceptation de tout caractère chronique d’une condition quelle qu’elle soit. L’adolescent est dans l’instantanéité, la pathologie chronique le force à envisager un futur lointain qui lui est étranger et angoissant.
bbUn accompagnement dynamique vers l’autonomisation Les pédiatres ne peuvent répondre seuls à ces questions ; la solution ne serait-elle pas justement dans une transition vers la médecine d’adulte ? Ne réside-t-elle pas dans un processus d’autonomisation et de responsabilisation accompagné et soutenu ? La transition serait alors un processus étayant qui aiderait l’adolescent à envisager le futur de façon positive, par opposition à la perspective angoissante de la maladie chronique. Nous retranscrivons un schéma extrait d’un article sur la transition dans le cas de la mucoviscidose, mais qui nous paraît synthétiser utilement le processus de transition (7) (Fig. 1). Nous proposons également une trame pour la consultation de transition que nous essayons de mettre en place conjointement à l’hôpital des Enfants et dans le service de nutrition de l’hôpital Larrey à Toulouse depuis 2001 (Encadré).
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Endocrinologie Conclusion : vers un “espace transitionnel ” ? En Europe (3, 8, 18, 19), il semblerait que la transition soit laissée à la discrétion des équipes de soins, et soit moins formalisée qu’en Amérique du nord, où de nombreux sites proposent des protocoles, feuilles de suivi et plans de formation médicale fort utiles (Encadré). Il nous semble qu’à l’instar des protocoles mis en place à Lyon (19), Toulouse et à l’hôpital Robert Debré pour l’adolescent diabétique (20) entre autres, il serait intéressant de développer des protocoles de référence qui pourraient aider les spécialistes à soutenir les adolescents obèses et leurs familles au cours de cette délicate période qu’est la transition. Il est intéressant de constater, dans un suivi de jeunes adultes vivant avec le VIH (21), que 45 % d’entre eux trouvaient le passage (non préparé) vers les soins adultes plus compliqué que ce à quoi ils s’attendaient et que 32 % ne trouvaient pas le support émotionnel qu’ils souhaitaient. A l’exemple d’un rite de passage, ces protocoles pourraient aider l’adolescent à se forger son identité sans abandonner la démarche de soins, vitale et fondamentale. « Le temps du rite est un temps de transition où l’enfant accumule les forces psychiques nécessaires pour assumer la rupture avec le milieu originel où il se sentait à sa place et l’entrée dans le nouveau milieu où il doit conquérir sa place » (J Abecassis, 22). L’adolescent obèse a une identité, une place dans sa famille et dans l’équipe de soins dans laquelle il évolue. Il lui est compliqué de quitter cette appartenance pour aller dans un monde nouveau, plein de responsabilités et de défis qu’il ne se sent souvent pas capable de relever seul. Une transition instaurée rituellement (Encadré) peut permettre à l’adolescent de se sentir assez soutenu pour franchir toutes les étapes de l’autonomisation avec l’assurance d’une continuité de prise en charge qui aplanit les points 18
Encadré 3 La consultation de transition à l’hôpital des enfants de Toulouse. Elle survient donc entre 14 et 18 ans, et inclut idéalement le pédiatre et le médecin qui va prendre en charge l’obésité en médecine adulte. Elle implique plusieurs éléments. • Un résumé de l’histoire médicale du patient, avec ses antécédents, ses prises en charge, ainsi qu’un état des lieux actuel (examen clinique, examens biologiques, aspects socio-éducatifs et familiaux de la situation actuelle…). Ce résumé s’assortira d’une nouvelle “annonce diagnostique”, avec les explications renouvelées sur la pathologie, ainsi que d’un bilan des compétences de l’adolescent et de ses parents vis-à-vis de sa maladie. • Un livret spécifique de sa pathologie (en cours de réalisation), qui est donné à l’adolescent qui pourra alors reprendre à son compte sa condition, et demander des précisions sur les aspects qu’il n’aura pas compris jusque-là. • Une lecture orale du résumé clinique devant le patient, ses parents et le médecin qui prendra la relève. Cette lecture se conclura sur les perspectives envisagées pour le suivi médical et le projet de vie de l’adolescent, après en avoir parlé en consultation individuelle avec lui. • Un examen clinique conjoint de l’adolescent par le pédiatre et le médecin d’adulte, avec des conclusions clairement exprimées. • Un entretien à trois avec l’adolescent, en l’absence de ses parents qui sont invités à sortir, afin qu’il puisse s’exprimer sur ses inquiétudes, son futur et ses projets. On reprendra alors les questions sur la sexualité, la procréation, la vie de couple, l’autonomie, la vie psychique. • Enfin, on conclura avec les parents et l’adolescent sur les points principaux de la nouvelle prise en charge, en mettant en place un planning précis des étapes qui conduiront à la prise en charge adulte exclusive, en laissant toujours la porte ouverte à une consultation pédiatrique de “réassurance”.
ddA RETENIR • La transition doit débuter entre 14 et 18 ans et durer de 1 à 3 ans en fonction des besoins et du contexte. • Elle doit être ritualisée et comporter au mieux une consultation en présence du pédiatre et du médecin d’adulte avec un résumé de l’histoire clinique, une deuxième “annonce diagnostique”, et un entretien avec l’adolescent sans la présence des parents. • Elle doit passer en revue avec l’adolescent tous les aspects de sa vie d’adulte en devenir : sa santé mais également son éducation/sa formation, sa socialisation, sa sexualité, ses projets, sa vie psychique, ses relations intra-familiales, etc.
d’achoppement et qui valorise le franchissement de chaque échelon. Pour nous, ce temps de la transition devrait donc être un espace transitionnel ainsi que défini par Winnicott : ni trop bon, ni pas assez bon, il devrait ainsi être “suffisamment bon”, rassurant, étayant, présent, sans remplir tous les besoins mais en assurant une sécurité affective au sein d’un processus ritua-
lisé qui permettrait à l’adolescent et à sa famille de “passer”, sans heurts, à un suivi adulte pleinement assumé. Mots-clés : Transition, Obésité, Adolescent Retrouvez la bibliographie à l’adresse suivante : www.expressions-groupe. fr/telechargement/ADOmed_biblio. pdf
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