Société
Entretien avec Iris Litt et Dale Garell A l’origine de la médecine de l’adolescent américaine Nous avons eu l’occasion de recevoir à la Maison de Solenn (Hôpital Cochin) les professeurs Iris Litt et Dale Garell, pédiatres américains de la Côte Ouest. Ils ont retracé avec simplicité leurs carrières respectives et nous ont transmis,
Dr Hervé Lefèvre, Pédiatre, Maison de Solenn, Hôpital Cochin, Paris
grâce à l’éclairage du passé, des éléments pour méditer sur notre pratique actuelle et future. Cette rencontre a été possible grâce au Pr Jean Wilkins, pédiatre à Montréal, que je remercie une nouvelle fois. Voici résumés quelques éléments biographiques et éléments de réponse sur le sens et la réalité de leur activité.
I
l y a 40 ans environ, Iris Litt a travaillé au Children Hospital Montefiore, un des deux grands hôpitaux de New York. Son activité professionnelle était répartie entre le service de pédiatrie et le grand pénitencier de Rikers Island pour jeunes délinquants. Sa première observation fut que les adolescents en prison et à l’hôpital étaient à la fois semblables et différents selon le contexte, l’origine socioculturelle vis-à-vis de toutes sortes de comportements dont celui de la santé en particulier. Son intérêt s’est alors porté sur l’étude du comportement des adolescents et l’origine de leurs différences. Par exemple, à l’hôpital, elle s’occupait de diabétiques qui sautaient leurs injections, tandis qu’en prison, elle s’adressait à des adolescents qui s’intoxiquaient avec toutes sortes de substances... A New York, l’organisation de la faculté de médecine ne lui permettait pas de travailler avec d’autres partenaires que des médecins. C’est pour cette raison qu’elle est partie à Stanford où l’université lui offrait la possibilité de collaborer avec des membres des facultés de sociologie, de psychologie, d’anthropologie et de droit. Dès 6
l’origine, son travail de recherche était de construire des passerelles, des échanges, puis des séances d’enseignement entre ces professionnels autour de la question des comportements de santé de l’adolescent. Ensuite, elle a dirigé la division de médecine pour l’adolescent à Stanford, où elle a constitué son équipe et enseigné deux programmes de recherche principaux : l’un sur la compliance des adolescents et l’autre sur les effets à long terme de l’anorexie et de la boulimie de l’adolescente. Ses principaux sujets de travail et de recherche ont concerné : • l ’addiction et ses conséquences sur le développement des adolescents ; • l es troubles du comportement alimentaire en créant deux unités de prise en charge (ambulatoire et en hospitalisation), et en étudiant les retentissements osseux et endocriniens au cours de l’anorexie mentale. Ce travail correspond à la période où les premières densités osseuses ont été réalisées chez ces patientes mais aussi chez les sujets contrôles pour en définir les normes ; • l es conséquences biologiques de la puberté sur la physiologie et la
Pr Iris Litt à la Maison de Solenn (Paris).
physiopathologie (insulinorésistance et équilibre du diabète de type 1) ; • le développement d’un programme de prévention de la grossesse chez les adolescentes. Iris Litt a également participé, à Los Angeles, avec Dale Garell et une cinquantaine de médecins, à la création de la Société pour la Médecine de l’Adolescent qui est devenue, ensuite, la Société pour la Médecine et la Santé
Adolescence & Médecine • Novembre 2013 • numéro 6
Entretien avec Iris Litt et Dale Garell
de l’adolescent (The Society for Adolescent Health and Medicine). Un des principaux succès de cette association est d’avoir créé un diplôme certifiant la spécialité de Médecine de l’Adolescent. Elle a été rédactrice en chef pendant 14 ans du Journal of Adolescent Health dont Charles Irwin est actuellement rédacteur en chef. Elle a aussi dirigé l’Institut de recherche sur les femmes pendant 7 ans et s’est beaucoup intéressée au rôle de l’adolescence sur leurs trajectoires de vie, les répercussions sociale et comportementale. Aujourd’hui les principaux problèmes adolescents aux Etats-Unis concernent la toxicomanie, les troubles des conduites alimentaires et l’obésité dont elle souligne le début très précoce. D’autres problèmes ont émergé parmi lesquels le bullying qui associe harcèlement, intimidations physiques et humiliations en collectivité.
Pr Dale Garell et Pr Iris Litt reçus par le Pr Marie-Rose Moso (chef de service de la Maison de Solenn).
est d’obtenir le respect mutuel et de favoriser l’éducation réciproque entre spécialistes. Avant l’ouverture d’unités pour adolescents, ceux-ci étaient pris en charge selon le type de pathologie et l’âge. Il y a 50 ans, la première unité de médecine pour adolescents aux EtatsUnis était construite par Dale Garell en Californie. Les règles ont pu progres-
« Certains États organisent la mise à disposition des pilules contraceptives, d’autres, ont légiféré pour interdire d’en parler. » Dr Hervé Lefèvre : Qu’est ce qu’un adolescent ? Pr Iris Litt : Pendant très longtemps, l’adolescence était considérée comme une étape du développement dont la charnière était la puberté, c’était l’époque des teenagers. Le problème est qu’à la fois la puberté est plus précoce et que la phase d’autonomie économique est plus tardive. Désormais, la tranche d’âge concernée par l’adolescence va du début de la puberté (1112 ans) jusqu’à 21 ans. H. L. : L’articulation entre médecins d’adolescents et d’autres spécialités est-elle plus facile aux Etats-Unis ? I. L. : Les “tiraillements” sont fréquents, le défi à l’intérieur du champ médical
sivement changer en mobilisant les différentes spécialités autour d’un lieu de soins commun aux adolescents. Cependant, pour des raisons financières et techniques, le service de médecine pour adolescents s’est transformé progressivement en service de médecine ambulatoire, les lits étant dédiés aux soins intensifs. H. L. : Qui s’occupe de la prévention auprès des adolescents aux EtatsUnis ? I. L. : Là-bas la prévention est la responsabilité de chacun. Il y a peu de campagnes publiques. Quand elles sont ciblées, elles sont majoritairement financées par des organismes privés comme la Fondation Robert-Wood-
Johnson pour la prévention de l’obésité. H. L. : Avez-vous un système de santé scolaire aux États-Unis ? I. L. : Il existe peu de responsabilité fédérale en la matière et la santé scolaire est très variable d’un Etat à l’autre. Au sein de chaque Etat, les conseils d’administration (boards) et d’éducation déterminent les priorités et le type d’information à délivrer. Certains Etats organisent la mise à disposition des pilules contraceptives, d’autres ont légiféré pour interdire d’en parler. (Retrouvez l’intégralité de la conférence sur le site www.maisondesolenn.fr) Pour conclure, notre conception de la prise en charge est d’éviter de rendre ces adolescents dépendants du système de soins et de développer les programmes de recherche pour étudier leur devenir au décours de cette prise en charge. Enfin, le champ de la médecine de l’adolescent doit poursuivre son effort de recherche et d’enseignement pour le partager avec d’autres spécialistes et professionnels qui s’occupent des adolescents.
Mots-clés : Médecine de l’adolescence, Prise en charge
Adolescence & Médecine • Novembre 2013 • numéro 6 7