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Réflexions

Les recommandations de bonne pratique clinique

Sont-elles une source du savoir ?

François Diévart (Clinique Villette, Dunkerque)

Il peut être tentant de penser que les recommandations de bonne pratique clinique constituent une source du savoir médical : leur rôle est en effet de faire la synthèse des données acquises de la science et de proposer une conduite médicale issue de cette synthèse…

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out incite à penser que les recommandations sont la synthèse de la science : • le conseil d’État a, par exemple, estimé récemment que des recommandations, par leur mode d’élaboration, avaient force de loi ; • leurs conclusions sont intégrées dans les cours faits aux étudiants en médecine, dont certains pensent qu’il est plus utile désormais d’apprendre les recommandations que de lire les études scientifiques ; • elles fixent les définitions des maladies, comme par exemple l’hypertension artérielle, les dyslipidémies… • elles servent de support à de très nombreuses publications destinées à montrer en quoi les pratiques sont en accord ou non avec leurs propositions…

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Alors, si elles sont la quintessence de la science, pourquoi arrive-t-il que leurs propositions soient parfois modifiées de façon importante d’un texte à son suivant ? Certains diront que c’est parce que de nouvelles données ont modifié leur valeur. Dans ce cas, il est raisonnable de conclure, qu’elles ne font qu’une synthèse des données de la science à un moment donné et que l’évolution de la science peut invalider des raisonnements jugés établis. Mais, plus troublant encore, comment comprendre, puisqu’elles travaillent sur un même matériau, les données acquises de la science, que des recommandations issues à une même période puissent avoir des conclusions différentes ? Plusieurs raisons semblent pouvoir expliquer un tel paradoxe : • les données acquises sont des faits, et ces faits ont un niveau de

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« Le névrosé, c’est celui qui construit un château dans les nuages. Le psychotique, c’est celui qui vit dedans. Le psychiatre, c’est celui qui touche le loyer. » Jerome Lawrence

preuve plus ou moins grand. Les recommandations ne sont pas chargées uniquement de faire la synthèse des données de la science, elles sont chargées de les rendre opérationnelles pour le

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praticien. Aussi, des experts différents peuvent avoir des façons différentes d’envisager comment les rendre opérationnelles ; • l’ensemble des données acquises de la science n’est peut-être pas pris en compte par chaque groupe d’experts : il pourrait y avoir un tri sélectif des données prises en compte pour faire une synthèse et pour la rendre opérationnelle ; • les recommandations ne sont qu’une interprétation par un groupe d’experts des données acquises de la science et, en fonction des données prises en compte et de leur interprétation, notamment en termes d’opérabilité, des recommandations différentes peuvent être produites au même moment par différents groupes. Ces éléments ne remettent pas en cause le progrès que constituent les recommandations pour la pratique, ils indiquent seulement que 1) la valeur des recommandations peut être nuancée, voire critiquée ; 2) ces recommandations ne peuvent avoir force de loi ; 3) elles ne sont pas une synthèse objective des données de la science et ne peuvent constituer une source fiable du savoir. Cet article a pour objectif d’argumenter les propositions qui viennent d’être présentées.

Les limites des recommandations comme outil de synthèse de la science

En 2011, E. Thiebaut à la faculté de médecine de Nancy, a soutenu une thèse en médecine générale disponible sur Internet et intitulée « Cible tensionnelle après un accident vasculaire cérébral : une question non-résolue ». Pour ce travail, l’auteur a voulu détermi-

ner quelle est la cible tensionnelle après un AVC d’après les textes de recommandations disponibles et ce, tant en ce qui concerne les recommandations sur l’HTA que celles sur l’AVC. On remarquera donc que les recommandations peuvent être envisagées comme la source des connaissances scientifiques. Une première conclusion de ce travail de thèse a été de constater des divergences entre les 9 textes différents de recommandations sur l’HTA. Une différence notable a été l’importance de la bibliographie citée qui allait de 59 à 742 références selon le texte de recommandations. Ces recommandations utilisentelles les mêmes sources bibliographiques ? La réponse fournie par la thèse est négative. En examinant à partir de leurs bibliographies les études citées en références, il a été mis en évidence : - 2 articles cités en commun par 6 recommandations ; - 8 articles cités en commun par 5 recommandations ; - 16 articles communs à 4 recommandations ; - 37 articles communs à 3 recommandations ; - 144 articles communs à 2 recommandations ; - 1 318 articles cités par une seule des recommandations. Seuls 207 articles sont cités par au moins 2 recommandations, soit 13 % de l’ensemble des articles cités. L’auteur de la thèse a ensuite analysé le type de références citées dans les recommandations en fonction des critères suivants : la langue dans laquelle a été publiée la référence, les journaux, la date de publication et le pays d’affiliation du premier auteur. La

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conclusion de cette analyse est la suivante : « Les sociétés à l’origine des recommandations ont visiblement tendance à privilégier, parmi leurs sources, des références dont les auteurs leur sont géographiquement proches. Ceci est particulièrement évident pour les recommandations japonaises : les articles dont le premier auteur est affilié au Japon représentent en moyenne 2 % des citations des cinq autres recommandations, et 37 % des références des recommandations japonaises. On observe un phénomène similaire pour les recommandations canadiennes, où plus de 50 % des références sont d’origine canadienne. Parmi les références des recommandations américaines du JNC, près de 70 % ont un premier auteur affilié aux États-Unis » Les résultats de ce travail sont concordants avec ceux d’autres études publiées comme celle, parue en 2002, dans Diabetes Care et qui comparait les différentes recommandations alors disponibles pour la prise en charge du diabète. Dans ce travail, parmi les 1 446 références citées dans 12 recommandations, 1 033 étaient des citations différentes et seulement 18 % de cellesci (185/1033) étaient communes à 11 de ces recommandations. Ainsi, les recommandations qui ont pour objectif de faire une analyse synthétique des données de la science semblent en faire un tri sélectif, correspondant à l’affinité de leurs experts, pour certaines études, auteurs ou journaux dans lesquels sont publiées ces études. Les recommandations sont-elles donc la synthèse objective des données acquises de la science ? Cet élément constitue un premier problème illustrant les biais

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cognitifs opérant pour le choix des données. Y a-t-il d’autres biais lorsqu’il s’agit de rendre ces données opérationnelles, c’est-à-dire de les synthétiser pour proposer une conduite à tenir en pratique ? Deux exemples vont illustrer les biais possibles, reposant tous les deux sur des choix de critères intermédiaires comme modus operandi.

Le cas du LDL Des cibles absolues…

Faisant la synthèse des données acquises de la science, depuis une quinzaine d’années, les différentes recommandations pour la prise en charge des dyslipidémies proposent une démarche quasi-identique : diminuer le LDL jusqu’à une certaine valeur, fixée en termes absolus, d’autant plus basse que le risque cardiovasculaire est élevé. Ce qui différencie les recommandations sur le sujet n’est pas la démarche adoptée, mais la cible proposée, notamment pour les sujets à plus haut risque : moins de 1 g/L, moins de 0,8 g/L ou moins de 0,7 g/L et le caractère optionnel ou non de cette cible. La démarche proposée consiste donc à évaluer le risque cardiovasculaire, à doser le LDL puis à proposer ou non un traitement en fonction de deux critères (le risque et le LDL), pour atteindre un niveau de LDL inférieur à celui recommandé. Le traitement de première intention proposé depuis plusieurs années est constitué par les statines. Pour simple et opérationnelle que soit cette démarche, est-elle validée par les données acquises de la science ? De fait, seuls les essais effectués avec des statines ont montré qu’il existe un bénéfice à diminuer le

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LDL. De très nombreux autres essais n’ont pas montré un tel bénéfice : le LDL est-il un critère de substitution ? Ainsi, en cas d’intolérance aux statines, avons-nous la quelconque garantie qu’utiliser un autre moyen pharmacologique pour diminuer le LDL apportera un bénéfice clinique ? L’atteinte des cibles proposées estelle garante d’un bénéfice cliniquement pertinent ? Dans l’hypothèse où une statine est utilisée à la dose maximale tolérée, et que le patient ne soit pas à la cible recommandée, y a-t-il un bénéfice validé à ajouter un traitement pour atteindre la cible. Aucune donnée acquise de la science ne l’a démontré et plusieurs études (ACCORD lipids, AIM HIGH) ont montré qu’il n’y a pas de bénéfice à associer un autre traitement agissant sur les lipides à une statine. Peut-il être recommandé de ne pas proposer de traitement si le LDL est spontanément à la cible alors que le risque cardiovasculaire est élevé ? Là encore, par exemple en prenant les données de l’étude JUPITER, les données acquises de la science ont montré qu’en cas de LDL proche de 1 g/L, même avec un risque cardiovasculaire intermédiaire, abaisser de moitié cette valeur par une statine apporte un bénéfice clinique. Dès lors, proposer une cible absolue alors qu’elle ne peut être atteinte, par une statine encourage à utiliser des traitements dont le rapport bénéfice-risque n’est pas connu : une telle recommandation peut-elle être considérée comme une synthèse objective et opérationnelle des données de la science garante d’une amélioration de la santé publique ? Ne pas proposer de traitement parce que le LDL

cholestérol est à la cible proposée arbitrairement alors que le risque est élevé, ne constitue-t-il pas une perte de chance pour le patient ? Enfin, sachant que le bénéfice du traitement est proportionnel à la diminution du LDL et donc à la dose de statine utilisée, pourquoi ne réduire que modérément le LDL ?

… ou des cibles relatives ?

Ces recommandations sont donc critiquables et d’ailleurs, depuis 2009, le paradoxe de l’attitude qu’elles proposaient jusque-là de façon unanime a commencé à apparaître. En effet au Canada, en 2009, les recommandations pour la prise en charge des dyslipidémies offrent deux modes opératoires : • si le risque est élevé (maladie cardiovasculaire, la plupart des diabétiques, ou risque cardiovasculaire absolu supérieur à 20 % à 10 ans) : envisager le traitement chez tous les patients et obtenir un LDL inférieur à 2 mmol/L (0,80 g/L) OU une diminution d’au moins 50 % du LDL (classe 1, niveau A) ; • si le risque est intermédiaire (risque cardiovasculaire absolu compris entre 10 et 19 %) et si le LDL est supérieur à 1,4 g/L, ou le rapport cholestérol total sur HDL est supérieur à 5, ou la hsCRP est supérieure à 2 mg/L ou s’il s’agit d’un homme de plus de 50 ans ou d’une femme de plus 60 ans, ou s’il y a des antécédents familiaux : il faut obtenir un LDL inférieur à 2 mmol/L (0,80 g/L) OU une diminution d’au moins 50 % du LDL (classe 2a, niveau A) ; • enfin, en cas de risque faible (risque cardiovasculaire inférieur à 10 % à 10 ans), si le LDL est supérieur ou égal à 2 g/L : il faut abaisser le LDL de 50 % (classe 2a, niveau A). Il est toujours possible de critiquer cette recommandation, mais qu’y

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observe-t-on ? Deux choses importantes : • les cibles absolues ne sont qu’une option thérapeutique et ont disparu chez le sujet à faible risque. Par ailleurs, que le risque soit élevé ou intermédiaire, ces cibles absolues sont très basses ; • il est apparu des cibles relatives, qui constituent d’ailleurs l’unique option pour les patients à faible risque. De telles recommandations sont donc une avancée importante en ce sens qu’elles proposent implicitement et explicitement d’utiliser une statine puissante et à pleine dose, c’est-à-dire permettant de diminuer de 50 % le LDL cholestérol, indépendamment de la valeur du LDL atteinte, voire initiale, en cas de risque élevé. En 2011, les recommandations européennes pour la prise en charge des dylipidémies ont, elles aussi, évolué dans ce sens. Ainsi, chez les patients à très haut risque cardiovasculaire (maladie cardiovasculaire, diabète de type 2, diabète de type 1 avec retentissement viscéral, insuffisance rénale modérée à sévère, risque cardiovasculaire absolu selon la grille SCORE au moins égal à 10 %), l’objectif est d’atteindre un LDL inférieur à 1,8 mmol/L (moins de 0,70 g/L de LDL) et/ou une réduction d’au moins 50 % du LDL quand la cible absolue de LDL ne peut pas être atteinte. L’évolution engagée par ces propositions nouvelles mais encore utilisable en alternative, se fera-t-elle vers l’utilisation exclusive d’une forte dose de statine en fonction du niveau de risque et indépendamment des paramètres lipidiques comme le suggère une autre analyse possible des données acquises de la science ? Et ce, jusqu’à ce qu’il

soit démontré que d’autres traitements de ce qui est dénommé « dyslipidémie » apportent un bénéfice clinique ?

Le cas du diabète

L’objectif du traitement du diabète est de diminuer les complications qui lui sont associées et le moyen principal proposé pour cela dans les recommandations est la diminution de l’HbA1c en dessous d’une valeur absolue. Cette valeur varie selon les recommandations, les patients et les époques (allant de moins de 6,5 % à moins de 8 %) mais force est de reconnaître que le rapport bénéfice-risque d’une telle démarche n’est pas connu.

PROActive vs UKPDS

En 2005, un essai thérapeutique contrôlé, conduit en double aveugle contre placebo a montré que la diminution de 0,5 % de l’HbA1c avec un hypoglycémiant, la pioglitazone, ne modifie pas le pronostic cardiaque global de patients ayant une maladie cardiovasculaire. Le nombre de patients inclus dans cette étude a été de 5 238. Pour mémoire, la différence moyenne d’HbA1c (extrapolée à partir des glycémies) entre les groupes comparés était de 0,9 % dans l’étude principale UKPDS 33 et de 0,6 % dans l’étude UKPDS 33 évaluant la metformine, le nombre de patients ayant reçu la metformine dans cette étude étant de 342. En 2006, paraissaient les recommandations françaises pour la prise en charge du diabète. Ces dernières indiquaient : « L’objectif général chez les patients dont l’espérance de vie justifie une prévention des complications de micro- et de macroangiopathie grâce à un bon équilibre glycémique, est l’obtention d’une

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HbA1c inférieure à 6,5 %. » Elles s’appuient essentiellement sur les données de l’étude UKPDS, étude conduite en ouvert et ayant de nombreux biais méthodologiques. L’étude PROactive, méthodologiquement plus fiable, n’est pas citée comme remettant potentiellement en cause le résultat de l’étude UKPDS mais comme une étude ne validant pas le bénéfice d’une molécule : « PROactive ne permet pas de conclure à un bénéfice de la pioglitazone en matière de morbimortalité cardiovasculaire ischémique dans la mesure où il n’y a pas de différence significative pour le critère principal de jugement prenant en compte la mortalité toutes causes confondues et l’ensemble des évènements cardiovasculaires majeurs et les gestes de revascularisation ». Ces recommandations indiquent aussi que la metformine doit être le traitement de première intention, quel que soit le niveau d’IMC car « Les résultats de l’étude UKPDS ont montré que, chez des patients diabétiques de type 2 en surpoids ou obèses, la metformine est capable de réduire le risque des complications micro- et macroangiopathiques (niveau de preuve I) ». En préambule, ces recommandations rappelaient que le niveau de preuve 1 doit être accordé si l’évaluation de l’effet d’un traitement provient d’essais comparatifs randomisés de forte puissance, d’une méta-analyse d’essais comparatifs randomisés ou d’une analyse de décision basée sur des études bien menées. Rappelons que si l’étude PROactive peut répondre au critère d’une étude bien menée, l’évaluation de la metformine ne résulte que d’une seule étude, l’étude UKPDS 34 (le niveau de preuve 1 ne peut donc avoir été donné du fait de plu-

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sieurs essais comparatifs), dans lequel la metformine a été administrée à seulement 342 patients (il ne s’agit donc pas non plus d’une étude de forte puissance). Comme il n’y a eu qu’une étude, il n’y a pas de méta-analyses d’essais comparatifs randomisés, et enfin, l’étude UKPDS ayant de nombreux biais, elle ne peut être qualifiée d’étude bien menée. Et ainsi, évaluer ce que peut être l’effet d’un traitement à partir de la lecture de recommandations thérapeutiques ne peut être considéré comme une source fiable de connaissance. Ces recommandations proposaient ensuite, qu’en cas d’échec des monothérapies, c’est-à-dire si l’HbA1c reste supérieure à 6,5 % après 6 mois d’une monothérapie, il faut avoir recours à une bithérapie et parmi les bithérapies proposées figurait l’association de metformine et d’un insulinosécréteur c’est-à-dire d’un sulfamide hypoglycémiant. En supposant, comme il est postulé, que l’étude UKPDS 34 soit une étude bien menée, ses résultats devraient être fiables et à prendre en considération. Or cette étude nous renseigne sur l’effet d’une association d’un sulfamide et de metformine, par rapport à une absence de traitement (après qu’une nouvelle modification supplémentaire du protocole ait permis cette association). L’effet de cette association est décrit à la page 861 de la publication de cet essai dans le Lancet du 12 septembre 1998 : « L’addition de metformine à un sulfamide a été associée à une augmentation de 96 % (p = 0,039) du risque de décès en rapport avec le diabète ». Or, les recommandations de 2006 indiquaient : « Une insulinopénie prédominante et l’élévation progressive de l’HbA1c

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en particulier associée à un IMC < 27 kg/m² orientent vers une association metformine + insulinosécréteur : sulfamide (recommandation de grade B) ». Le grade B dans une recommandation signifie qu’elle repose sur une présomption scientifique…

Le patient diabétique ayant une maladie cardiaque

En 2007, la Société européenne de cardiologie, conjointement avec la Société européenne d’athérosclérose, proposait des recommandations pour la prise en charge du diabète chez les patients ayant une maladie cardiovasculaire. Dans celles-ci, la cible d’HbA1c chez les patients ayant une maladie cardiaque a été fixée comme devant être inférieure à 6,5 %. Pour justifier le bénéfice du traitement du diabète de type 2, dans ces recommandations, il est fait un large recours à une étude conduite dans le diabète de type 1, l’étude DCCT, et à l’analyse épidémiologique issue de l’étude UKPDS. Dans l’étude UKPDS, dans la branche intervention, il n’y a pas eu de réduction du risque d’AVC avec le traitement hypoglycémiant (et même une légère augmentation du risque : risque relatif : 1,11 ; IC 95 % : 0,81-1,51). L’analyse épidémiologique conduite à partir de la base de données de l’étude a évalué la corrélation entre le niveau de glycémie initiale (converti en niveau d’HbA1c par équivalence) et le risque de survenue d’AVC. Dans cette analyse, il a été mis en évidence une augmentation du risque d’AVC de 12 % pour toute élévation supplémentaire de l’HbA1c de 1 % (en valeur absolue). Comment sont exprimés les résultats de cette étude d’observation ? Est-il indiqué « pour chaque

élévation de l’HbA1c de 1 %, le risque d’AVC est augmenté de 12 % » ? Non, il est écrit, « il y a une réduction de 12 % du risque d’AVC pour chaque réduction de 12 % de l’HbA1c », et cela alors que l’étude d’intervention n’a pas permis de le démontrer. Que reprend comme expression des résultats de cette analyse le texte de recommandations de 2007 ? La deuxième formulation, qui est pour le moins ambiguë, sinon fausse.

UKPDS vs ACCORDADVANCE-VADT

Puis en 2008, sont parus les résultats de trois essais thérapeutiques contrôlés évaluant pour l’un, une molécule hypoglycémiante (étude ADVANCE), pour un autre une cible basse et absolue d’HbA1c (étude ACCORD), et pour le dernier une diminution absolue d’HbA1c de 1,5 % (étude VADT). Aucune de ces études n’a montré de bénéfice clinique des traitements, c’està-dire de réduction significative des évènements cliniques, l’étude ACCORD ayant même montré une augmentation de mortalité totale et cardiovasculaire. Donc en 2008, il n’y a pas de données validant l’obtention d’une cible quelconque d’HbA1c dans le traitement du diabète. Et l’étude ACCORD étant méthodologiquement plus fiable que l’étude UKPDS qui comporte de très nombreux biais, il serait logique qu’une recommandation basée sur les données acquises de la science souligne qu’il n’y a pas de bénéfice clairement démontré, notamment en termes de prévention cardiovasculaire, de la réduction de l’HbA1c et qu’il peut même exister un risque. En 2010, de nouvelles recommandations sont proposées par l’Ame-

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Les recommandations de bonne pratique clinique

rican Diabetes Association pour la prise en charge du diabète de type 2. Les principales recommandations sont les suivantes : • le contrôle glycémique est fondamental pour la prise en charge du diabète ; • pour prévenir les complications microvasculaires, il faut diminuer l’HbA1c en dessous de 7 % ; • dans les diabètes de type 1 et 2, les essais thérapeutiques randomisés comparant un contrôle strict de la glycémie contre un contrôle standard, n’ont pas mis en évidence de réduction significative des évènements cardiovasculaires pendant la phase randomisée de l’étude. Les suivis à long terme des cohortes des études DCCT et UKPDS suggèrent que l’abaissement de l’HbA1c en dessous ou proche de 7 % dans les années qui suivent le diagnostic du diabète est associé à une réduction à long terme du risque de maladie macrovasculaire. Jusqu’à ce que plus de preuves soient disponibles, l’objectif global d’une HbA1c apparaît raisonnable pour la plupart des adultes afin de prévenir les complications macrovasculaires ; • les analyses en sous-groupes d’essais cliniques comme DCCT et UKPDS et la preuve d’une réduction de la protéinurie, obtenue dans l’étude ADVANCE, suggèrent un faible mais additionnel bénéfice lors de l’abaissement de l’HbA1c proche de la normale. Aussi, chez des patients sélectionnés, les fournisseurs de soins peuvent raisonnablement atteindre des niveaux d’HbA1c plus bas que l’objectif général de 7 %, si cela peut être atteint sans hypoglycémie ou effet indésirable du traitement… • a contrario, des cibles moins contraignantes d’HbA1c que l’ob-

jectif global de 7 % peuvent être appropriées pour les patients ayant des antécédents d’hypoglycémie sévère, une espérance de vie limitée, des complications microou macrovasculaires avancées, et ayant des comorbidités importantes et ceux ayant un diabète ancien chez lesquels l’objectif global est difficile à atteindre malgré une éducation adaptée à la prise en charge personnelle du diabète, une surveillance adaptée des glycémies, et des doses efficaces de multiples agents hypoglycémiants incluant l’insuline. Les résultats de l’étude ACCORD ne sont pas utilisés comme pouvant remettre en cause ceux de l’étude UKPDS, ils sont utilisés comme ne permettant pas d’envisager des cibles d’HbA1c plus basses que 7 %, sauf chez certains patients : ceux ayant peu de comorbidités et une longue espérance de vie.

aux soins intensifs

Enfin, les recommandations pour la prise en charge du diabète chez les patients ayant une maladie cardiovasculaire émises en 2007 par la Société européenne de cardiologie et la Société européenne d’athérosclérose, indiquaient au chapitre de la prise en charge aux soins intensifs : « Le contrôle strict de la glycémie avec un traitement intensif par l’insuline diminue la mortalité et la morbidité chez les patients hospitalisés en état grave, recommandation de classe 1, niveau de preuve A ». Toutefois, en 2009, un essai thérapeutique contrôlé d’une puissance supérieure à ceux déjà disponibles sur ce thème, montrait qu’un contrôle strict de la glycémie chez des pa-

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tients hospitalisés en soins intensifs augmente significativement la mortalité totale.

Les mécanismes à l’œuvre

Le cas des paradoxes entre les recommandations pour la prise en charge du diabète et les données acquises de la science concernant cette prise en charge semble relever de deux des caractéristiques de la connaissance scientifique : - l’inscription dans un paradigme : celui de la diminution de la glycémie conduisant à critiquer ou faire peu de cas des données remettant en cause ce paradigme ; - le biais cognitif de confirmation d’hypothèse conduisant à favoriser, retenir et promouvoir les données favorisant le paradigme et critiquer ou omettre les données paradoxales.

En synthèse

Les recommandations pour la pratique clinique sont un progrès en ce sens qu’elles peuvent permettre d’unifier des pratiques et de limiter l’utilisation de stratégies inadaptées. Elles ne constituent toutefois pas une source fiable des connaissances scientifiques, ni une synthèse de celles-ci. Leurs principales limites sont qu’elles sont une interprétation des données de la science par un groupe d’experts constitué à un moment donné et que ce groupe agit dans le cadre d’un paradigme. De ce fait, il peut opérer un tri sélectif des données qu’il va utiliser pour mettre en conformité une pratique et ce paran digme.

Mots-clés : Recommandations, Savoir, Science

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