Avis d’expert
La E-Cigarette State of the art
Kamel Abdennbi (Chef du service Réadaptation cardiaque, Hôpital Léopold-Bellan, Paris)
Introduction La cigarette électronique (CE) a fait une entrée fracassante en France avec près de 1,5 million de “vapoteurs” déjà au compteur. La place à lui donner fait grand débat à l’heure actuelle, aussi bien dans notre pays que dans toute l’Europe. D’ailleurs, les législateurs européens viennent d’en proroger la vente libre en dehors des pharmacies. Le rapport Dautzenberg sur la CE, remis à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, il y a quelques mois, a voulu avoir une approche excessivement prudente. En effet, dans notre société schizophrène en matière de réglementation sur le tabagisme, on peut accéder aux vraies cigarettes partout, alors que la CE, produit moins toxique, est menacée par une réglementation excessive ; cela permettrait au tabac, produit infiniment plus dangereux, de conserver son monopole. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que le lobby du tabac essaie de s’approprier cette nouvelle industrie florissante pour mieux la contrôler. Faut-il rappeler, enfin, que le tabac est à l’origine chaque année de 73 000 décès en France mais qu’il rapporte également, à Bercy, une manne financière extraordinaire liée aux taxes.
Qu’est-ce que la e-cigarette ?
La CE est un dispositif électronique muni d’une pile et d’un microprocesseur qui diffuse une solution liquide sous forme de vapeur, qui est inhalée par l’utilisateur (Fig. 1). Elle produit une “fumée artificielle” ressemblant visuellement à la fumée produite par la combustion du tabac. Cette vapeur peut être aromatisée (arôme de tabac blond, brun, de fruits, etc.) et contenir ou non de la nicotine. Les variations des concentrations de nicotine dans le mélange varient de 0 à 18 mg/ml. La e-cigarette n’a pas l’odeur du tabac. Deux techniques sont utilisées, soit par utilisation d’ultrasons, mais ce procédé est complexe à industrialiser et coûteux, soit par une résistance chauffante, la plus fréquemment utilisée. La résistance
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Figure 1 – Composition de la cigarette électronique.
appelée “atomiseur” chauffe alors un liquide (dit “e-liquide”) qui a la propriété de s’évaporer à une température proche de 50°C. Pour “vapoter”, l’utilisateur doit enclencher le chauffage de la résistance. Selon certaines études scientifiques, la CE contient des quantités de particules et substances cancérigènes
ou toxiques beaucoup plus faibles que la cigarette. Le propylène glycol, sous forme de brouillard de micro-gouttelettes, constitue un nuage blanc imitant la fumée des véritables cigarettes. Enfin, les nitrosamines, principaux agents cancérigènes contenus dans le tabac, n’ont été détectés dans les
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LA E-CIGARETTE
Figure 2 – La vapeur produite par la CE disparaît rapidement par évaporation sans gêner les voisins du “vapoteur”.
e-liquides qu’à l’état de traces, à des taux équivalents à ceux des substituts nicotiniques tels que les patchs ou gommes à la nicotine et qui sont 500 fois moindres que ceux que l’on retrouve dans le tabac.
Effets sur l’entourage
La CE ne semble pas créer de tabagisme passif comme le fait une vraie cigarette. Selon une étude datant d’avril 2013, la CE n’augmente pas le risque car le e-liquide chauffe et s’évapore, l’utilisateur pouvant alors inhaler cette vapeur qui disparaît rapidement par évaporation sans gêner ses voisins (Fig. 2). La CE et son usage dans les lieux publics sont parfois vécus comme un outil de promotion de la consommation du tabac, en particulier chez les plus jeunes. Selon certains experts, la CE favoriserait notamment l’initiation des jeunes à la consommation du tabac mais aucune étude sérieuse ne peut documenter cet aspect.
Controverse
La revue 60 millions de consommateurs a évoqué, récemment, l’existence dans la dizaine de produits analysés en France de molécules, “potentiellement cancérogènes”, en quantité significative ou toxique dans la vapeur (formol, acroléine,
acétaldéhyde, nickel, chrome, antimoine...). Cela a suscité naturellement une controverse, d’autant que la e-cigarette a été rangée par le rapport Dautzenberg comme procédé similaire au tabac alors que certains experts la présentent comme une alternative moins nocive au tabac ou comme un substitut pour l’arrêt du tabagisme. Les CE peuvent fournir de la nicotine et atténuer les effets du sevrage tabagique. Elles sont utilisées par de nombreux fumeurs pour les aider dans leurs tentatives d’arrêt. En réalité, les connaissances actuelles issues de la littérature scientifique, ne nous permettent pas d’estimer les effets sur la santé de la CE, avec ou sans nicotine. Selon les études recensées, les CE pourraient être utilisées pour faire face aux symptômes de sevrage. Les CE avec nicotine auraient la capacité d’augmenter le taux de nicotine dans le sang. Cependant, la multitude de produits et les limites des études actuelles ne nous permettent pas de conclure sur leur efficacité. En 2010-2011, était publiée dans le Journal of Public Health Policy de la Boston University School of Public Health (BUSPH), un rapport qui conclut que : • la CE contient peu ou pas de produits chimiques pouvant présenter des risques sérieux pour la santé ; • les données actuelles indiquent que les CE sont moins nocives que
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les cigarettes ordinaires et comparables, en termes de toxicité, aux spécialités pharmaceutiques contenant de la nicotine (timbres, gommes, inhalateurs) ; • les CE pourraient être efficaces contre l’envie de fumer, surtout parce qu’elles simulent l’acte de fumer une véritable cigarette ; • ce dispositif pourrait se révéler supérieur en efficacité aux autres méthodes d’autoadministration de la nicotine parce que les stimuli associés à l’acte de fumer ont un effet durable contre les symptômes du sevrage. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) souligne dans un avis datant du mois de mai 2011, outre la toxicité de la nicotine : « concernant le risque de toxicité des solvants utilisés dans les CE, en particulier le propylène glycol, il est difficile de se prononcer en raison de l’absence de données qualitatives et quantitatives suffisantes. À ce jour, aucun effet indésirable ou cas d’intoxication en lien avec la présence de ces solvants dans les CE n’a été rapporté ». De nombreuses études scientifiques ont été publiées à partir de 20122013 et confirment progressivement que l’utilisation de la CE n’est pas totalement inoffensive pour l’organisme humain, mais aussi que la vapeur de e-cigarette est « infiniment moins dangereuse » pour l’organisme que la fumée du tabac. Plus récemment, une équipe d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, a publié une étude pragmatique, randomisée sur plus de 500 fumeurs adultes (≥ 18 ans) souhaitant arrêter le tabac, afin de recevoir des CE contenant 16 mg de nicotine, des patchs à la nicotine (un patch de 21 mg par jour) ou des CE placebo (sans nicotine). Le principal critère d’évaluation était le maintien de l’abstinence à six mois, vérifié par
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Probabilité d’abstinence continue (%)
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en particulier la préconisation d’interdire la CE dans les lieux publics. Jacques Le Houezec, un autre expert français qui a participé à la relecture du rapport, malgré ses demandes répétées de ne rien formuler qui ne soit pas soutenu par des faits scientifiques, n’a pas été également entendu.
CE avec nicotine Patchs CE sans nicotine (placebo)
80
60
40
20
0
0
50
100
150
200
Durée entre la date d’arrêt et la date de rechute (jours) Nombre à risque CE avec nicotine 289 Patchs 295 CE sans nicotine 73 (placebo)
108 68 21
77 51 16
64 43 13
5 5 2
Figure 3 – Analyse Kaplan-Meier du délai de rechute.
analyses biochimiques (mesure du monoxyde de carbone dans l’air expiré < 10 ppm). L’analyse primaire effectuée était en intention de traiter (Fig. 3). À six mois, l’abstinence vérifiée était de 7,3 % (21 sur 289) dans le groupe recevant des CE contenant de la nicotine, de 5,8 % (17 sur 295) dans le groupe recevant des patchs et de 4,1 % (3 sur 73) dans le groupe recevant des CE placebo (différence de risque entre les CE contenant de la nicotine et les patchs de 1,51 [IC 95 % : 2,49 à 5,51] ; entre les CE contenant de la nicotine et les CE placebo de 3,16 [IC 95 % : 2,29 à 8,61]). L’étude n’a pas eu de puissance statistique suffisante pour permettre de conclure à la supériorité des CE contenant de la nicotine par rapport aux patchs ou aux CE placebo. Aucune différence significative en termes d’événements indésirables n’a été notée, avec 137 événements dans le groupe recevant des cigarettes contenant de la nicotine, 119 événements dans le groupe recevant des patchs et 36 événements dans le groupe recevant des CE placebo. Cette équipe néozélandaise a conclu que l’efficacité des CE, avec ou sans nicotine, était modérée pour aider les fumeurs à
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arrêter, avec une atteinte des objectifs d’abstinence similaire à celle des patchs à la nicotine et peu d’événements indésirables. Des incertitudes persistent quant au rôle des CE dans le contrôle anti-tabac et il est urgent d’effectuer davantage de recherches afin d’établir clairement leurs effets bénéfiques et néfastes globaux à la fois à l’échelle individuelle et en santé publique.
Des experts convaincus
En Europe, de nombreux experts tabacologues soutiennent l’usage de la CE. Ainsi, le Comité contre les maladies respiratoires (CCMR) et la Fondation du souffle se prononcent de façon « provisoire » en faveur de la e-cigarette, estimant sa toxicité moindre comparativement à celle de la cigarette classique. Jean-François Etter de Genève, bien connu dans le milieu des tabacologues pour ses recherches portant sur le tabagisme et les traitements de substitution nicotinique, a participé activement au rapport de l’Office français de Prévention du Tabac (OFT) mais a refusé de signer les recommandations qu’il juge trop restrictives et dénuées de preuves scientifiques,
Ces experts soutiennent que, pour que le plus grand nombre possible de fumeurs passent au “vapotage”, les e-cigarettes ne doivent pas être réglementées plus strictement que les cigarettes classiques ni être présentées comme des médicaments. La réglementation des e-cigarettes ne devrait couvrir que le contrôle de qualité (pour s’assurer qu’elles ne délivrent pas de substances inattendues), ainsi que la commercialisation et la vente aux mineurs, afin d’assurer que les e-cigarettes ne sont pas proposées ou vendues à ceux qui n’utilisent pas déjà du tabac. La CE est une vraie révolution dans le domaine de la dépendance au tabac et le vaporisateur peut représenter une chance pour lutter contre le tabagisme et offrir un moyen de sevrage aux fumeurs invétérés qui pourraient passer par une phase de vapotage transitoire ouvrant la voie à l’arrêt total et définitif. Face à ces avis, les prohibitionnistes affirment que les CE sont une porte d’entrée au tabagisme chez les jeunes non-fumeurs et soutiennent l’interdiction de vapoter dans les lieux publics au nom de l’exemplarité. Au Canada, la vente de e-cigarettes avec nicotine est considérée illégale. Alors que, sans nicotine, elle est permise, à condition qu’on ne les présente pas comme une aide à la cessation tabagique. Aux ÉtatsUnis, en avril 2011, la FDA a annoncé son intention de réglementer les CE avec nicotine comme des produits du tabac, cela après avoir échoué dans sa tentative de considérer ces dernières comme des dispositifs d’administration de médicaments.
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Conclusion
L’état actuel des connaissances issues de la littérature scientifique ne permet pas d’estimer les effets sur la santé associés à la consommation de CE, avec ou sans nicotine. Davantage de recherches seront nécessaires pour évaluer les effets de la CE sur la santé, afin de mieux cerner les effets physiologiques en lien avec
les éléments contenus dans les CE et leur mode d’administration (diffusion dans les poumons par exemple). Il faut arrêter de diaboliser cette nouvelle façon de fumer, infiniment moins toxique que les cigarettes et qui permet de réduire leur risque à moindre frais. Pour beaucoup de fumeurs, cela peut représenter une étape avant d’entamer l’arrêt total et
définitif. Enfin, il ne me paraît pas légitime d’autoriser partout l’usage de la CE, même dans les espaces clos et couverts, ce qui banaliserait largement le réflexe de fumer. n
Mots-clés : Cigarette électronique, Santé, Nicotine
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