En pratique
Le strain en pratique Évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique
Dania Mohty (Service de Cardiologie et Centre de référence national des maladies rares par dépôts d’immunoglobulines, CHU Limoges, dania.mohty@chu-limoges.fr)
Cet article présente le strain myocardique, outil d’évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique. Les applications et potentielles indications cliniques sont également envisagées.
Définitions et terminologie
Le strain (S) myocardique est un outil de quantification de la fonction et de la contractilité myocardique intrinsèque. Le mot “strain” signifie une déformation. Le strain segmentaire indique le raccourcissement d’un segment myocardique par rapport à son état initial : S = (L-L0)/L0=Δl/L0. Le strain rate (SR) est la dérivée du strain en fonction du temps, donc une vitesse de déformation : SR = ΔS/Δt. Exemple : deux objets peuvent avoir un même strain de 25 % mais avoir deux strain rate différents si le premier se déforme en une seconde et l’autre en deux secondes. Le SR de l’un sera 0,25 s-1 et l’autre 0,125 s-1. Le 2D speckle tracking imaging est une modalité d’analyse du déplacement ou du strain myocardique tissulaire local par le tracking des speckles au sein de l’image ultrasonique bidimensionnelle. Les speckles sont des marqueurs acoustiques naturels présents au
122
sein de l’image échographique 2D du tissu myocardique. Le tracking des speckles est le suivi du déplacement spatial de ces marqueurs, qui peut se faire dans les différents plans de l’espace : longitudinal, radial et circonférentiel. En effet, les logiciels actuels mis à disposition par les constructeurs permettent le traitement spatial et temporel de l’image obtenue en 2D mais également plus récemment en 3D, avec une bonne reconnaissance de ces éléments sur l’image ultrasonique.
Rappel anatomique
Les fibres myocardiques sont disposées de manière hélicoïdale autour de la cavité ventriculaire gauche (1). Les fibres les plus internes (endocarde) sont orientées de façon longitudinale parallèlement à l’axe apex/base. Les fibres à mi-parois ont une orientation circonférentielle. Cette répartition hélicoïdale des fibres myocardiques permet de mieux comprendre les mouvements du myocarde qui se décomposent en raccourcissement
longitudinal (fonction longitudinale) et circonférentiel (fonction circonférentielle), épaississement radial des parois (fonction radiale) et torsion-rotation (twist-untwist) (sens antihoraire à l’apex, et horaire à la base). On retiendra que le raccourcissement longitudinal assuré par la couche sous-endocardique est probablement l’une des composantes principales de la fonction pompe du corps humain. Son altération semble être la plus précoce dans l’insuffisance cardiaque et dans d’autres pathologies myocardiques. L’épaississement radial est assuré par la couche médiane et la torsion-rotation par les fibres épicardiques. Habituellement, le raccourcissement des fibres en systole est indiqué par un S négatif et l’élongation en diastole par un S positif.
DTI-Strain
C’est dans les années 1990 que le strain myocardique a émergé et s’est révélé être un bon paramètre objectif pour l’analyse de la performance myocardique et l’analyse de la contractilité intrinsèque globale
Cardiologie - Cardinale • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 57
Le strain en pratique
A
B Figure 1 – Exemple d’acquisition par DTI de courbes normales de vélocité (A),
Figure 2 – A : Exemple d’acquisition du
déplacement (B), strain rate (C) et strain (D) du strain et strain rate au niveau d’un segment de
VG en 2D speckle tracking imaging en
la paroi septale du VG.
4 cavités. À noter que la courbe de volume
et régionale des segments myocardiques dont on connaît la difficulté de l’analyse et la subjectivité d’évaluation (2). Tout a débuté initialement par la méthode du doppler tissulaire (DTI) qui permet, en effet, de mesurer des vélocités, des déplacements de parois mais aussi des déformations ainsi que le taux de déformation des fibres myocardiques (Fig. 1). Mais, rapidement, cette méthode va connaître des limites : • le problème de l’angle-dépendance et de l’alignement au faisceau ultrasonore, l’analyse exclusive de la contraction longitudinale sans tenir compte de la fonction radiale et circonférentielle ; • la nécessité d’une cadenceimages très élevée (> 100 images/ secondes pour le DTI) ; • le signal DTI était associé à beaucoup de signaux parasites, rendant son analyse difficile et peu fiable en pratique clinique routinière. D’où les efforts des constructeurs pour pallier ces défauts et trouver le moyen d’analyser les déformations myocardiques en bidimensionnel. Ainsi, le DTI-strain n’est plus utilisé en pratique clinique routinière,
sauf pour la mesure des vélocités myocardiques.
ainsi que celle de déformation longitudinale de chaque segment du VG s’affichent également, la FEVG est estimée à 51 %. B : Autre exemple d’acquisition en 4, 3
2D Speckle tracking imaging
De ce fait, le 2D Speckle tracking imaging (2D-STI) ou 2D-strain a donc été introduit rapidement par les constructeurs sur la plupart des machines. Le 2D-STI paraît en effet, simple, angle-indépendant. Il mesure la déformation myocardique théoriquement dans toutes les directions des fibres myocardiques (3). Il nécessite trois acquisitions (quatre puis trois puis deux cavités) sur un seul cycle cardiaque. Cependant, le traitement et l’interprétation des images peuvent être réalisés après l’acquisition des images (off-line) (Fig. 2). La qualité de l’imagerie doit être, comme toujours en échographie, excellente ainsi que l’échogénicité du patient, si on veut des résultats fiables. La cadence-images nécessaire à l’acquisition doit être > 4045 images/secondes ; ce qui reste inférieur à la cadence nécessaire pour le DTI-strain. Le 2D-strain radial (Fig. 3) et circonférentiel et le
Cardiologie - Cardinale • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 57
et 2 cavités, le 2D speckle tracking imaging d’un ventricule gauche ayant une fraction d’éjection préservée mais un 2D speckle tracking longitudinal global altéré.
twist-untwist sont plus difficiles à réaliser et ne sont disponibles que sur certaines machines. De plus, la variabilité des ces paramètres ainsi que le manque de validation de ces dernières formes de déformations contre des événements cardiovasculaires durs expliquent pourquoi ces paramètres ne sont pas encore répandus en pratique clinique routinière contrairement au 2D-strain longitudinal qui semble être plus robuste (4). En effet, les valeurs normales du 2D-strain longitudinal global publiées dans la littérature et reconnues dans les recommandations des sociétés savantes publiées en 2011, sont de l’ordre de -18 ± 3 % selon le constructeur (-16 % à -21 %), selon la paroi analysée, le site (l’apex vs. la base du VG), selon l’âge des sujets et probablement les conditions hémodynamiques
123
En pratique
(5). Cependant, une valeur absolue < -12 % signe une dysfonction systolique intrinsèque significative quelle que soit la machine utilisée.
3D-Speckle tracking imaging
Le concept du 3D-strain est apparu récemment, en partant du principe que les mouvements de déformation cardiaque se font dans les trois directions de l’espace. Par conséquent, il est possible théoriquement, qu’avec le 2D-strain, il y ait une perte d’informations en raison de la perte de certains speckles ou marqueurs acoustiques en dehors du plan de coupe 2D. Le 3D temps réel en assurant une acquisition full volume permet théoriquement de suivre le myocarde et les speckles dans toutes les directions de l’espace. De plus, les mouvements de torsion et détorsion sont théoriquement mieux suivis et de façon plus précise en 3D qu’en 2D. Ainsi, certains constructeurs de matériels d’échocardiographie ont conçu et mis à notre disposition des appareils d’échocardiographie avec des logiciels, en principe faciles d’utilisation, permettant une acquisition 3D, en apnée, sur 4 à 6 battements cardiaques, des volumes des cavités cardiaques et des différentes déformations myocardiques de façon simultanée (Fig. 4). Le 3D-STI permettrait ainsi de mieux caractériser la contraction myocardique couche par couche sur l’ensemble du myocarde. La fonction radiale, circonférentielle et de torsion-rotation est ainsi obtenue lors de cette même acquisition. Enfin, les taux de déformation correspondant à chaque type de strains sont également obtenus simultanément ainsi que les courbes de déplacement et de vélocités. Il est possible de transférer toutes ces informations de
124
Figure 3 – Exemple d’acquisition d’un VG en 2D speckle tracking imaging du strain radial global et régional d’un ventricule gauche.
Figure 4 – Exemple d’acquisition d’un VG en 3D speckle tracking imaging (strain longitudinal global d’un ventricule gauche) : notons que la FEVG et les volumes ventriculaires sont obtenus en même temps que les différentes déformations myocardiques.
Figure 5 – Exemple d’aquisition du volume de l’oreillette gauche en 3D speckle tracking imaging (strain longitudinal global) : notons que la courbe du volume et déformation 3D de l’OG en fonction du temps sont affichés simultanément.
Cardiologie - Cardinale • Octobre 2013 • vol. 7 • numéro 57
Le strain en pratique
façon systématique dans une base de données pour une exploitation ultérieure dans le cadre de protocoles de recherche clinique (6). Des efforts de validation rigoureuse de ces nouveaux paramètres et de larges études sur des éléments pronostiques solides, tels que la morbi-mortalité, restent nécessaires avant qu’ils ne soient utilisables en pratique clinique. Parallèlement, l’optimisation de la qualité des images (résolution spatiale et temporelle) et des logiciels de traitement d’image doit faire l’objet de progrès de la part des constructeurs. Cette analyse des déformations est possible à appliquer théoriquement sur n’importe quelle cavité car aucune supposition géométrique n’est faite, permettant ainsi de faire une acquisition full volume du VG mais également de l’oreillette gauche (Fig. 5), de l’oreillette droite et du ventricule droit.
Applications et potentielles indications cliniques
Les applications du strain myocardique sont nombreuses. 1) Impossibilité d’évaluer de façon fiable la fonction systolique du VG par les méthodes classiques. 2) Discordances entre les mesures des différents paramètres classiques. 3) Pa r a mèt r e s de fonc t ion
systolique ou de FEVG se trouvant dans la zone grise. 4) Détection d’une atteinte cardiaque précoce, ou latente, au décours de l’utilisation de chimiothérapie cardiotoxique par exemple. 5) Recherche d’une réserve contractile/viabilité ventriculaire gauche dans la cardiopathie ischémique, ou valvulaire. 6) Analyse de la fonction systolique intrinsèque dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. 7) Dans le cadre des cardiopathies ischémiques, recherche d’un retentissement d’une atteinte coronaire gauche ou du tronc commun sans anomalie macroscopique visible de la cinétique segmentaire. 8) Cardiopathies hypertrophiques et/ou hypertensives avec FEVG apparemment préservée. 10) Cardiopathies infiltratives ou de surcharge avec possibilité de mieux caractériser le site de l’atteinte myocardique selon la cardiopathie (avec des corrélations entre fibrose à l’IRM et altération du strain, intérêt diagnostique étiologique et pronostique). 11) Utilisation possible dans l’étude de l’asynchronisme intra-VG. 12) Atteinte précoce du VD dans la sclérodermie avant l’HTAP ou d’autres pathologies du cœur droit. 13) Analyse de la fonction atriale : déformation longitudinale de l’oreillette gauche de façon globale et segmentaire (corrélation avec la fibrose atriale retrouvée à l’IRM par exemple
avant et au décours de procédures d’ablation de fibrillation atriale).
Conclusion
L’évaluation de la fonction et de la contractilité myocardique par STI a été bien validée contre les autres méthodes de référence invasives et non invasives (par sonomicrométrie et par résonance magnétique). Le 2D-STI, et de plus en plus le 3D-STI, permettent d’analyser les différents types de contractions longitudinale, radiale, circonférentielle ainsi que la torsionrotation en une seule acquisition et de manière relativement rapide et reproductible (faible variabilité inter- et intra-observateur : 7-10 %). Enfin, le strain s’avère utile pour l’étude et la localisation précise des anomalies systoliques latentes. Grâce à l’absence de supposition géométrique en 3D, il peut être appliqué sur toutes les cavités cardiaques (VG, VD, OG, OD). Enfin, la courbe d’apprentissage est relativement rapide. Cependant, de larges études cliniques sont encore nécessaires afin d’évaluer la valeur pronostique de ces nouveaux paramètres. n
Mots-clés : Contractilité, Myocarde, Strain, Speckle tracking
Bibliographie 1. Torrent-Guasp F, Ballester M, Buckberg GD et al. Spatial orientation of the ventricular muscle band: physiologic contribution and surgical implications. J Thorac Cardiovasc Surg 2001 ; 122 : 389-92. 2. Marwick TH. Measurement of strain and strain rate by echocardiography: ready for prime time? J Am Coll Cardiol 2006 ; 47 : 1313-27. 3. Leitman M, Lysyansky P, Sidenko S et al. Two-dimensional strain-a novel software for real-time quantitative echocardiographic assessment of myocardial function. Journal of the American Society of Echocardiography: official publication of the American Society of Echocardiography 2004 ; 17 : 1021-9. 4. Nahum J, Bensaid A, Dussault C et al. Impact of longitudinal myocardial deformation on the prognosis of chronic heart failure patients. Circ
Cardiovasc Imaging 2010 ; 3 : 249-56. 5. Mor-Avi V, Lang RM, Badano LP et al. Current and evolving echocardiographic techniques for the quantitative evaluation of cardiac mechanics: ASE/EAE consensus statement on methodology and indications endorsed by the Japanese Society of Echocardiography. European journal of echocardiography: the journal of the Working Group on Echocardiography of the European Society of Cardiology 2011 ; 12 : 167-205. 6. Maffessanti F, Nesser HJ, Weinert L et al. Quantitative evaluation of regional left ventricular function using three-dimensional speckle tracking echocardiography in patients with and without heart disease. Am J Cardiol 2009 ; 104 : 1755-62.