Mise au point
Évaluation des fuites mitrales primaires Les pièges à éviter
Marie-Christine Malergue (Institut Mutualiste Montsouris, Paris ; Institut Cœur effort Santé, Paris)
Introduction L’analyse échographique est la pierre angulaire de la prise en charge des fuites mitrales primaires. Les différentes étapes diagnostiques comportent l’analyse de la morphologie de la valve et du mécanisme de la fuite, sa quantification et le retentissement ventriculaire, bilan dont va dépendre sa prise en charge : surveillance clinique et échographique, plastie mitrale ou, en cas d’aspect anatomique non favorable, remplacement valvulaire par une prothèse, en sachant que la chirurgie conservatrice reste l’option privilégiée. L’échographie est la seule méthode disponible pour quantifier une insuffisance mitrale en routine ; cette quantification est fondamentale et a fait l’objet de recommandations récentes (1-2). De nombreux paramètres sont accessibles mais il n’y a pas de critère infaillible, l’approche doit donc être multiparamétrique et les différentes mesures doivent être confrontées entre elles, ainsi qu’aux indices de retentissement ventriculaire gauche. La cohérence prime et en cas de discordance il est important de remettre en cause ses mesures en connaissant les pièges et les limites.
Les indices de sévérité
Les indices de sévérité des fuites mitrales sont rappelés dans le tableau 1.
Ils sont : • qualitatifs (aspect morphologique de la valve, intensité et forme du flux en Doppler continu, présence d’une zone de convergence, petit jet central, large jet excentrique) ; • semi quantitatifs (largeur de la vena contracta [VC], reflux dans les veines pulmonaires, rapport des ITV mitrale/aortique) ; • quantitatifs (surface de l’orifice régurgitant, volume régurgité,
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ventriculaire gauche, taille de l’oreillette gauche, pression artérielle pulmonaire). Chacun de ces critères a ses limites et ne peut être utilisé seul. La confrontation des paramètres entre eux est un objectif essentiel ainsi que le degré de retentissement sur les cavités gauches et les pressions pulmonaires.
L’extension du jet
C’est un critère apparemment facile et “tentant” : on aurait envie de penser que, plus un jet va loin, plus il est important. Mais l’extension du jet n’est pas recommandée pour quantifier une fuite.
Tableau 1 - Les paramètres de quantification des régurgitations mitrales, d’aprèshémodynamique (2). retentissement Paramètres Qualitatifs : • Morphologie valvulaire • Jet en Doppler couleur • Zone de convergence • Signal Doppler
Modérée Normal Petit central 0 ou petite parabolique
Moyenne Normal Intermédiaire Intermédiaire Dense/parabolique
Sévère Rupture de cordages, prolapsus Large central ou excentrée Importante Dense triangulaire > 7 ou > 8 biplan Onde systolique négative
Semi quantitatifs : <3 Intermédiaire • VC largeur mm S prédominante Effacement de • Flux veineux pulmonaire l’onde S • Profil mitral A prédominante Variable E prédominante (1,5 m/s) • IVTmit/ITV ao <1 intermédiaire > 1,4 Quantitatifs : • SOR mm² < 20 20-29 ≥ 40 • VR (ml) < 30 30-44, 45-59 ≥ 60 • + dilatation VG, OG et PAPS SOR : surface de l’orifice régurgitant, VR : volume régurgité, OG : oreillette gauche, VG : ventricule gauche, VTI : intégrale temps vitesse, VC : vena contracta
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En effet, la relation entre la taille du jet et la sévérité de la fuite présente de nombreuses causes de variabilité, dépendant non seulement des réglages de la machine (intensité du gain) mais également des conditions hémodynamiques. Pour un degré de sévérité similaire, les patients avec une augmentation de la pression auriculaire gauche ou un jet excentré qui “tape” contre la paroi auriculaire, ou chez lesquels l’oreillette gauche est très dilatée, peuvent avoir des jets plus petits que ceux ayant une pression auriculaire gauche normale ou un avec un jet central. Étant donné le nombre important de sources d’erreurs, il n’est pas recommandé d’utiliser le Doppler couleur pour quantifier la sévérité d’une fuite mitrale. Le Doppler couleur permet de faire le diagnostic positif de la fuite mitrale ; seul les jets très petits centraux ou à l’inverse les jets excentriques, allant jusqu’au fond de l’oreillette gauche, peuvent être estimés par leur degré d’extension, mais hormis ces cas extrêmes, les méthodes de quantification sont nécessaires.
La vena contracta
La “vena contracta” est la zone juste après l’orifice et est bien corrélée à la surface du jet régurgitant (3). C’est la partie la plus étroite du jet, zone de haute vitesse, laminaire, située entre la zone d’accélération du flux (PISA) et le jet divergent distal (un peu plus loin que l’orifice régurgitant). Elle est stable au cours de la systole et ne varie pas avec la vitesse du jet (avec les conditions de charge). À côté de ces avantages certains, elle comprend d’assez nombreux inconvénients. Elle est difficile à mesurer car de petite taille. Il est nécessaire d’agrandir au maximum l’image puis de zoomer pour
Figure 1 - A : zone de convergence obtenue en incidence apicale ; B : zone de convergence obtenue en parasternale grand axe, toutes deux mesurées à 1 cm.
minimiser les erreurs de mesure. Il faut bien exiger la présence des trois composantes (zone de convergence, vena contracta et divergence). Son concept repose sur une assomption circulaire ; c’est le cas pour une fuite mitrale primaire qui est le plus souvent circulaire ; ce n’est pas le cas lors d’une fuite mitrale secondaire fonctionnelle, où l’orifice est plus ovalaire. Ce point pourrait être amélioré par une approche 3D, encore du domaine de la recherche clinique. Ainsi, l’analyse de la vena contracta est recommandée quand elle est accessible ; elle témoigne d’une fuite petite lorsque < 3 mm, d’une fuite importante lorsque > 7 mm. Une valeur moyenne > 8 mm en 2D a été rapportée pour définir une fuite mitrale sévère pour toutes causes d’IM, même les fuites mitrales fonctionnelles (4). Si elle est comprise entre 3 et 7 mm, il est nécessaire d’avoir recours à d’autres paramètres. Elle peut être obtenue en cas de jets multiples mais les valeurs respectives ne peuvent être ajoutées.
en cas de jet central. En cas de fuite mitrale directionnelle, telle que le prolapsus de la valve antérieure mitrale, une vue parasternale grand axe ou petit axe donne une bonne incidence pour son calcul (Fig. 1). La limite de Nyquist doit être comprise entre 15 et 40 cm/s afin d’atteindre une forme la plus hémisphérique possible. Le rayon de la PISA est mesuré en mésosystole en utilisant le premier aliasing. La surface de l’orifice régurgitant (SOR) et le volume régurgité (VR) sont obtenus par les formules désormais bien connues (SOR = 2R² x Vitesse d’aliasing/Pic vélocité IM, VR = SOR x VTI mitrale). Le degré de sévérité des fuites primaires permet de classer les fuites en modérée, modérée à moyenne (SOR de 20 à 29 mm² ou un VR de 30 à 44 ml), et moyenne à sévère (SOR de 30-39 mm² et VR de 45 à 59 ml). La fuite est considérée comme sévère lorsque la SOR est supérieure à 40 mm² et le VR > 60 ml. La SOR est un paramètre robuste et de première intention dans la quantification des fuites.
La SOR et le prolapsus mitral
Elle présente cependant de nombreux pièges (5). C’est le cas des fuites qui ne sont pas holosystoliques comme dans le prolapsus mitral (Fig. 2). C’est une erreur fréquente. La PISA est mesurée là où on la voit
La surface de l’orifice régurgitant et le volume régurgité dont elle dépend est la méthode de quantification la plus recommandée. La vue apicale 4 cavités est adaptée
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pulsé > 1,5 m/s. Ces deux éléments sont des paramètres additionnels puissants en faveur d’une IM importante. La PISA est un paramètre dont la reproductibilité est médiocre ; celle-ci est améliorée en cas de jet central, et par le caractère constant de la PISA au cours de la systole. Ce n’est donc qu’un élément parmi d’autres, s’inscrivant dans une approche multi paramétrique et dont il faut se méfier en cas de prolapsus mitral.
La valeur de la V max de l’IM Figure 2 - A : la fuite n’est pas holosystolique. Le TM couleur précise la chronologie du flux avec une PISA qui ne survient qu’en méso-télé systole de même que le Doppler continu. B : la fuite est holosystolique avec une PISA constante au cours de la systole en TM couleur et en Doppler continu.
le mieux, en omettant de contrôler qu’il s’agit bien d’une fuite holosystolique. Cette erreur va entraîner une surestimation de la fuite et souvent une incohérence entre une fuite estimée comme importante mais n’entrainant pas de surcharge ventriculaire gauche. En cas d’IM sur prolapsus méso-télé, le souffle n’intéresse pas toute la systole, le Doppler pulsé confirme le timing de la fuite de même que le Doppler continu ; le TM couleur est utile pour confirmer cette chronologie souvent visible pour un œil entraîné (Fig. 2). Appliquer le calcul de la SOR a une fuite non holosystolique expose au risque de surestimation franche de la fuite.
quantification autre que la PISA. Ces fuites méso-télé restent bien tolérées, font rarement l’objet de fuite significative et n’entraînent que peu ou pas de retentissement sur les cavités gauches. De même, les événements au cours du suivi sont moins fréquents qu’en cas de fuite holosystolique (6).
Le volume régurgité (SOR x VTI de l’IM), même s’il ne prend en compte que la VTI méso-télé en réduisant l’erreur effectuée, reste non applicable car basé en partie sur la SOR. Il est donc nécessaire d’avoir recours à un mode de
Plus simple est le rapport des VTI mitral sur aortique qui, s’il est > 1,4, est un élément robuste pour conclure à une fuite sévère, de même qu’un reflux systolique dans les veines pulmonaires et une V max de l’IM en Doppler
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Il faut alors privilégier d’autres modes de quantification comme la méthode des volumes. Le volume d’éjection est obtenu par le Simpson biplan ; le volume effectivement éjecté dans la voie aortique est obtenu par la VTI sous aortique. La différence entre les deux est donc le volume régurgitant dans l’oreillette gauche.
Le calcul de la SOR, lorsqu’elle peut être utilisée, nécessite l’obtention de la vitesse maximale de l’IM, obtenue au Doppler continu. Cette V max peut varier en fonction des conditions de charge et donner une valeur arbitraire à 5 m/s, peut-être à l’origine d’erreurs ; sous-estimer la V max aura comme conséquence une surestimation du degré de sévérité. Cette V max est parfois d’obtention difficile car la fuite est directionnelle et l’intégralité du flux en Doppler continu n’est pas obtenue en incidence apicale. Il faudra savoir changer d’incidence et obtenir un flux optimal en parasternal gauche (grand axe et petit axe).
La PISA est-elle circulaire ?
Le concept de la PISA repose sur une assimilation géométrique de la zone de convergence qui est hémisphérique. Si les PISA des fuites organiques primaires sont souvent hémisphériques avec un diamètre constant quelle que soit l’incidence, en cas de fuite secondaire, celle-ci est loin d’être circulaire, elle s’étend souvent sur la surface de l’anneau mitral
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et change donc de diamètre d’un plan à l’autre. Se contenter d’un diamètre va avoir tendance à sous-estimer les fuites secondaires (Fig. 3). Examiner la PISA en biplan permet assez simplement de vérifier le caractère circulaire ou non de la zone de convergence. L’estimation en 3D de la PISA n’est pas encore de pratique courante et reste du domaine de la recherche clinique. Si l’orifice apparaît non circulaire, une autre méthode de quantification est nécessaire.
En conclusion
Les dernières recommandations insistent sur la nécessité légitime de
quantifier les fuites. Mais aucun des paramètres n’est un paramètre “miracle”. S’il est indis-
Figure 3 - À gauche : la démonstration en 3D que la PISA peut être circulaire ou de
La base de la PISA n’est pas plane
En théorie, l’orifice régurgitant se trouve sur un plan, mais la coaptation des feuillets peut se situer audelà du plan de l’anneau. Le phénomène de convergence se trouve alors modifié. Selon l’angle, le calcul de l’orifice régurgitant va être surestimé (angle < 90°) ou sous-estimé (angle > 180°). Il faudrait en théorie réaliser une correction d’angle qui permettrait de rectifier l’erreur (SOR corrigée = SOR x angle/180). En pratique, cette correction n’est pas réalisée. Ce problème est rencontré également dans la fuite aortique et la fuite tricuspide.
forme plus ovalaire, c’est surtout le cas des fuites secondaires. D’après (2). À droite : biplan démontrant le caractère inégal du diamètre de la PISA.
Figure 4 - La définition du jet contraint. Le jet est dit contraint lorsque la distance d est inférieure au rayon r de la PISA (mitral leaflet : feuillets mitraux, first alias : premier aliasing, LA : oreillette gauche, LV : ventricule gauche). D’après (7).
Le jet est confiné
Le confinement correspond à un orifice se situant sur une surface non plane, butant contre une paroi. Le jet est considéré comme contraint si la distance “d” est inférieure au diamètre de la PISA. C’est une situation fréquemment rencontrée dans les fuites commissurales (Fig. 4 et 5). Là également, une correction d’angle a été proposée (7). Le calcul de la SOR doit donc rester prudent.
Figure 5 - Fuite commissurale postérieure associée à un 2nd jet central.
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pensable de réaliser cette quantification, il faut garder à l’esprit les pièges liés à ces mesures, savoir les mettre en perspective, reconsidérer ses calculs s’ils ne sont pas cohérents entre eux. Cela passe par l’évaluation du retentissement de la fuite sur les cavités gauches et les pressions
pulmonaires. Si la fuite est importante, ce sont les paramètres ventriculaires qui sont décisionnels pour l’indication opératoire. Une IM jugée comme importante est peu probable en cas d’absence de dilatation ventriculaire ; à l’inverse, une fuite estimée modérée avec une dilatation ventri-
culaire gauche et une HTAP doit faire reconsidérer les résultats ou rechercher une autre cause au tableau clin nique et échographique.
Mots-clés : Fuites mitrales primaires, Pièges, Échographie
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Dessin du mois
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