Le point sur
Pollution par l’ozone et risque d’accident vasculaire cérébral
Un risque, même avec un faible niveau de pollution Yannick Béjot, Jean-Bernard Henrotin, Maurice Giroud (Université Paris Descartes, Rhumatologie A & INSERM U1016, Hôpital Cochin, Paris)
fortes concentrations d’ozone peuvent être retrouvées bien à distance de leur source, y compris au sein de régions rurales.
Introduction À côté des facteurs de risque vasculaire classiques, de nombreuses études ont cherché à identifier d’autres contributeurs favorisant la survenue d’Accidents vasculaires cérébraux (AVC). L’effet néfaste de la pollution atmosphérique a ainsi été suggéré, en parallèle de ce qui a été observé dans la pathologie coronarienne ou respiratoire. Cet article présente les données concernant l’impact de l’ozone, un polluant atmosphérique particulièrement répandu, sur le risque d’AVC.
L’ozone (O3) est une molécule formée de trois atomes d’oxygène, instable et hautement réactive. Elle est retrouvée de manière naturelle à faibles concentrations dans la stratosphère, la couche supérieure de l’atmosphère, où elle exerce un rôle de protection de la surface terrestre contre les rayonnements ultraviolets. En revanche, sa présence au sein de la troposphère, couche inférieure de l’atmosphère, est anormale et résulte de la pollution liée à l’activité humaine, sous certaines conditions (Fig. 1). L’ozone est un polluant secondaire dont la formation dépend de réactions complexes impliquant le rayonnement ultraviolet et divers polluants dont les oxydes d’azotes et les composés organiques volatiles (hydrocarbures).
L’ozone peut être transporté par le vent sur des distances considérables, parfois jusqu’à 400 à 500 km, expliquant le fait que des
Rayonnement UV
Vent PM2.5 Altitude
La pollution par l’ozone
Du fait de l’implication du rayonnement solaire, la production d’ozone est variable dans le temps : elle est particulièrement élevée la journée, avec un pic l’après-midi, et lors des mois d’été dans les régions à fortes émissions polluantes liées au trafic routier ou aux industries.
SOx PM10 CO
NO2 = NO + O O2
NOx composés organiques volatiles
NO
O3
NO2 Accumulation O3
NO
NO2 + O2 Pas d’accumulation O3
Distance
Figure 1 - Réactions atmosphériques à l’origine de la production d’ozone. En période d’ensoleillement, le rayonnement ultraviolet (UV) est à l’origine de la cassure des molécules de dioxyde d’azote (NO2) en monoxyde d’azote encore appelé oxyde nitrique (NO) et atome d’oxygène (O). Ce dernier peut se combiner à une molécule d’oxygène (O2) pour former l’ozone (O3). En condition normale, l’ozone ne s’accumule pas lorsque le NO est présent car les deux molécules réagissent ensemble pour reformer NO2 and O2. Cependant, en situation de concentrations importantes de gaz d’échappement des automobiles et des industries, les composés organiques volatiles relâchés forment dans l’atmosphère des aldéhydes riches en atomes d’oxygène qui réagissent avec le NO pour former du NO2, empêchant ainsi la dégradation de l’ozone qui s’accumule alors.
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Le point sur
Tableau 1 - Principales études ayant analysé les liens entre pollution par l’ozone et AVC. Auteurs, année
Lieu d’étude
Période d’étude
Niveau d’ozone
Corea et al. 2012 (2)
Mantua, Italie
2006-2008
Henrotin et al. 2010 (3)
Dijon, France
2001-2007
Oudin et al. 2010 (4)
Scania, Suède 2001-2005
Lisabeth et al. Nueces 2008 (5) County, Texas, USA
Critère de jugement
Nombre de patients
Résultat
Non disponible Admission pour AVC
781
Pas d’association
Moyenne : 38 µg/m3
Total événements neuro-cardiovasculaires ischémiques (AVC, AIT et infarctus du myocarde, hospitalisés ou non)
2 487
Association positive dose-dépendante entre survenue d’événements neuro-cardio-vasculaires et niveau élevé d’ozone la veille chez les patients porteurs de facteurs de risque vasculaire
Médiane de la moyenne journalière : 61 µg/m3
Admission pour AVC
12 948
Pas d’association
2001-2005
Moyenne : 51 µg/m3
Admission pour AVC ou AIT
3 508
Association positive à la limite de la significativité entre admission pour AVC et niveau élevé d’ozone le même jour et les jours précédents
Henrotin et al. 2007 (6)
Dijon, France
1994-2004
Moyenne : 30 µg/m3
Total AVC et AIT (hospitalisés ou non), âge > 40 ans
1 707
Association positive entre survenue AVC ischémique/AIT et niveau élevé d’ozone la veille
Low et al. 2006 (7)
New York, USA
1995-2005
Moyenne : 58 µg/m3
Admission pour AVC ischémique
16 906
Pas d’association
Chan et al. 2006 (8)
Taipei, Taïwan
1997-2002
Moyenne : 100 µg/m3
Admission pour AVC, âge > 50 ans
7 341
Association positive entre admission pour AVC et niveau élevé d’ozone le même jour
Poloniecki et al. 1997 (9)
London, GB
1987-1994
Moyenne : 26 µg/m3
Admission pour AVC et cardiopathie ischémique
373 556
Pas d’association
Kettunen et al. 2007 (10)
Helsinki, Finlande
1998-2005
Médiane de la moyenne/8 h : 72 µg/m3 (été)
Décès par AVC
3 265
Pas d’association
Hong et al. 2002 (11)
Séoul, Corée
1995-1998
Moyenne : 45 µg/m3
Décès par AVC (certificats de décès)
15,3/jour en moyenne
Association positive entre décès par AVC et niveau élevé d’ozone le même jour
Wong et al. 2002 (12)
Hong Kong, Chine
1995-1998
Moyenne : 34 µg/m3
Décès par maladies cardiovasculaires (dont AVC)
19 à 26/jour en moyenne selon la saison
Pas d’association
Afin de lutter contre la pollution par l’ozone, la Commission Européenne a publié une directive en 2002, visant à établir des objectifs à long terme, des valeurs cibles, un seuil d’alerte et un seuil
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d’information pour les concentrations d’ozone dans l’air ambiant au sein de la Communauté, conçus pour éviter, prévenir ou réduire les effets nocifs sur la santé humaine et sur l’environ-
nement dans son ensemble (1). Ainsi, chaque année, l’Agence Européenne pour l’Environnement publie un rapport relatif à la pollution de l’air ambiant par l’ozone.
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Pollution par l’ozone et risque d’accident vasculaire cérébral
Effet de la pollution par l’ozone sur le risque d’AVC
Plusieurs études, conduites dans différentes régions du monde, ont analysé l’influence des pics de pollution par l’ozone sur le risque d’AVC (Tab. 1) (2-12). Force est de constater que les résultats obtenus divergent d’une étude à l’autre.
L’étude de Taïwan Une étude menée à Taipei, Taïwan, où les niveaux moyens d’ozone étaient particulièrement élevés, a mis en évidence le fait que les jours durant lesquels les taux d’ozone étaient les plus forts s’associaient à une augmentation des admissions pour AVC chez les sujets de plus de 50 ans (8). Cette augmentation, statistiquement significative, restait cependant faible en valeur absolue.
Une étude américaine Des résultats similaires furent retrouvés à Nueces County, Texas, USA, quel que soit l’âge (5). Néanmoins, les autres études ayant pris pour critère de jugement les admissions hospitalières pour AVC ont conclu à des résultats négatifs (2, 4, 7, 9). Une des raisons pouvant expliquer ces divergences est le caractère hospitalier du recrutement des patients, pouvant conduire à un biais de sélection des malades.
Les observations du Registre dijonnais Pour contourner ce problème, nous avons analysé le lien entre ozone et survenue des AVC/AIT au sein du registre de population de Dijon. L’avantage de cette approche est que ce registre identi-
Figure 2 - Relation dose-dépendante entre le niveau d’ozone atmosphérique (exprimé en quintiles) un jour donné et le risque de survenue d’infarctus cérébraux chez les hommes le lendemain. Données issues du Registre Dijonnais des AVC (6). Q1 : < 9 µg/m3 - Q2 : 9-20 µg/m3 - Q3 : 21-32 µg/m3 - Q4 : 33-48 µg/m3 - Q5 : > 48 µg/m3.
fie tous les cas d’AVC/AIT survenus dans la population dijonnaise (152 000 habitants), qu’ils soient hospitalisés ou non (13). Malgré des taux moyens modérés à Dijon comparativement à d’autres régions du monde, nous avons montré, dans une première étude, qu’un niveau élevé d’ozone s’accompagnait le lendemain d’une augmentation de l’incidence des AVC ischémiques et AIT chez les plus de 40 ans, indépendamment des autres polluants et conditions climatiques (6). Un argument fort en faveur de la réalité de l’association était le caractère dose-dépendant de cette dernière (Fig. 2). En analyse stratifiée, cette association était retrouvée chez les hommes, pour les infarctus par athérome des gros troncs et les AIT, et en présence d’au moins un facteur de risque vasculaire. Dans une seconde étude, en partenariat avec l’Observatoire des infarctus du myocarde de Côte
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d’Or (RICO), nous avons mis en évidence un lien entre pollution par l’ozone et augmentation le lendemain de l’incidence des événements neuro-cardio-vasculaires (AVC ischémiques, AIT, infarctus du myocarde) chez les patients porteurs d’au moins un facteur de risque vasculaire parmi l’hypertension artérielle, le diabète, le tabagisme, et l’hypercholestérolémie (3). De manière intéressante, l’association était à nouveau dose-dépendante et d’autant plus importante que le nombre de facteurs de risque augmentait. D’autres études ont utilisé comme critère de jugement la mortalité par AVC issue des données de certificats de décès (10-12). L’interprétation des résultats obtenus reste néanmoins sujette à caution. En effet, ce critère ne permet pas de conclure si les pics d’ozone sont associés à la survenue d’un AVC ou s’ils précipitent les décès chez les patients ayant un antécédent récent d’AVC.
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Le point sur
Quel est le support physiopathologique du lien entre ozone et avc ?
Les mécanismes physiopathologiques pouvant expliquer le lien entre ozone et survenue des AVC, et plus particulièrement des infarctus cérébraux, sont complexes et pas encore totalement élucidés. Des études observationnelles conduites chez l’Homme, ainsi que des études animales, suggèrent que la pollution par l’ozone contribue aux réactions de stress oxydant et augmentent la réponse inflammatoire systémique (14-16). Ainsi, des travaux ont montré une élévation des taux sanguins de protéine C réactive (CRP), d’interleukine-6, et de TNF alpha. Ceci favorise l’instabilité des plaques athéromateuses, les altérations de la fonction endothéliale, les arythmies cardiaques dont la fibrillation auriculaire, ou encore l’hypercoagulabilité sanguine (Fig. 3). L’ensemble de ces phénomènes pourrait expliquer l’excès de risque d’infarctus cérébral dans le sillage des pics atmosphériques
Pollution O3
Instabilité plaque athérome
Stress oxydant
Réponse inflammatoire systémique
Altération fonction endothéliale
Troubles du rythme cardiaque
CRP IL-6 TNF-α
Hypercoagulabilité
Infarctus cérébral Figure 3 - Cascade physiopathologique pouvant expliquer le lien entre pollution par l’ozone et survenue d’infarctus cérébraux.
d’ozone, en particulier chez les sujets les plus vulnérables, porteurs de facteurs de risque vasculaire.
Conclusion
Même à des faibles niveaux, la pollution atmosphérique par l’ozone pourrait contribuer à augmenter le risque d’infarctus cérébral, en particulier chez les sujets à risque. La relation dose-dépendante observée incite fortement à des mesures visant à réduire la production d’ozone notamment dans les zones urbaines. n
Correspondance : Dr Yannick Béjot Registre Dijonnais des AVC (EA4184), Service de Neurologie, CHU et Faculté de Médecine de Dijon 3, rue du Faubourg Raines - 21000 Dijon Tél. : 03 80 29 37 53 Fax : 03 80 29 36 72 E-mail : ybejot@yahoo.fr
Mots-clés : Accident vasculaire cérébral, Facteurs de risque, Pollution, Ozone, AVC ischémique, AIT, Infarctus du myocarde, Stress oxydant
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