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Mise au point

Actualités thérapeutiques de l’année 2013

Que doit-on retenir ?

François Diévart (Clinique Villette, Dunkerque)

Introduction L’année 2013 a été riche en données nouvelles en termes de thérapeutique cardiovasculaire et, vu l’espace imparti pour une mise au point sur un tel sujet, un choix, obligatoirement partiel et partial, doit être fait. Les données ici présentées, même si elles comportent plusieurs déconvenues, ont pour objectif de montrer qu’une recherche clinique de qualité perdure et que ses résultats suscitent de nombreuses questions justifiant la poursuite de l’évaluation d’hypothèses par des méthodes fiables allant au-delà de suppositions, aussi intuitives et logiques paraissent-elles.

Remises en cause publiques et retombées potentielles

Début 2013, deux médecins ont fait parler d’eux sur les plateaux télévisés, les antennes de radio et dans les journaux et magazines grand public. À l’origine, c’est parce qu’ils avaient chacun écrit un livre grand public, l’un pour dénigrer le rôle du cholestérol dans la genèse des maladies ischémiques et donc nier l’utilité des statines, l’autre pour affirmer, parce qu’il l’avait « constaté dans sa clientèle », que les génériques sont moins efficaces et moins bien tolérés que les princeps. Leurs allégations ne reposent pas sur des méthodes scientifiques fiables. L’un des deux a même écrit qu’il avait jugé que des don-

nées publiées par une équipe de méthodologistes de renom étaient fausses parce que, selon lui, trafiquées, sans aucune preuve de cette allégation, et il a produit dans son livre les données telles qu’elles devaient être selon lui, sans disposer d’aucun document source autre que son “intuition”. Le problème avec ce battage médiatique est que les patients qui entendent ces allégations ont des difficultés à juger de leur véracité et certains sont alors tentés de ne pas prendre la statine qui leur a été prescrite, avec des conséquences dommageables.

Le traitement a l’effet que l’on croit qu’il a Une étude a montré qu’en prescrivant un placebo il était pos-

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sible d’obtenir les effets attribués au traitement qu’il est censé remplacer. Dans cette étude, l’investigateur a en effet proposé à des étudiants, en ouvert, un traitement bêtabloquant afin de réduire leur anxiété en leur indiquant que ce traitement est efficace et qu’il peut avoir des effets secondaires telle une baisse de pression artérielle et avoir aussi quelques effets indésirables. Le principe de l’étude a été de proposer à toutes les personnes incluses le bêtabloquant sous la forme d’une marque connue, et ce pendant une semaine, puis au terme de la semaine, de diviser aléatoirement la population enrôlée en trois groupes : l’un recevait le même traitement sous la même forme, un autre recevait le même traitement sous la forme d’une autre marque co-commercialisée (le princeps en “comarketing”), et le troisième groupe recevait le même traitement sous forme de générique. Lorsque les critères prédéfinis ont été évalués, l’étude a montré que, dans le groupe ayant gardé le traitement sous la forme du princeps de marque réputée, par rapport aux deux autres groupes, le score d’anxiété a été significativement

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moins élevé, la pression artérielle a été significativement plus basse et les effets indésirables moins fréquents.

suelles ont rapporté certains effets secondaires potentiels de ce traitement après que sa formulation a été changée.

Le “problème” dans cette étude est que toutes les personnes incluses et à tout moment de l’étude n’ont reçu que du placebo, seule la forme externe du “traitement” différait. Ainsi donc, le simple fait de croire qu’un médicament est un générique, voire une marque co-commercialisée, par rapport au princeps de référence, modifie des effets cliniques mesurables.

Ce travail a montré que, dès les premiers jours suivants chacune des trois campagnes télévisuelles rapportant certains effets secondaires potentiels de ce traitement, l’incidence de survenue de ces effets était considérablement augmentée. L’élément intéressant est que, parmi les effets secondaires potentiels de ce traitement, ceux dont l’incidence a été nettement augmentée après les campagnes de presse, ont été uniquement ceux décrits dans ces campagnes de presse et que leur incidence a décru progressivement après ces campagnes.

Et donc, dire que les génériques sont moins efficaces et/ou ont plus d’effets indésirables que les princeps « parce que je l’ai constaté dans ma clientèle » n’a aucune valeur scientifique. Il n’est pas possible d’attribuer spécifiquement un effet constaté à un traitement prescrit. Ce qui est éventuellement constaté, pour peu qu’un effet soit réellement mesuré, peut ne pas être dû au “traitement” mais à la façon dont le patient pense que le traitement doit ou peut agir.

Les campagnes médiatiques influent sur les effets des traitements Une étude parue en 2013 a montré qu’une campagne télévisée faisant état d’effets secondaires d’un traitement particulier induit, dès les jours qui suivent, une augmentation de fréquence de ces effets secondaires. Cette étude a utilisé une base de données dans laquelle des médecins reportent, entre autres, tous les motifs de consultation et traitements de leurs patients consécutifs. L’auteur de l’étude a évalué l’incidence des effets secondaires rapportés par des patients recevant de la levothyroxine, avant et après que des campagnes télévi-

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la campagne de presse dénigrante pourraient être responsables de 4 992 événements cardiovasculaires majeurs et 1 159 décès par an.

La catastrophe intellectuelle de l’année : l’étude Look Ahead

Il est possible de modéliser le risque induit par de telles campagnes

L’étude Look Ahead constitue la plus importante étude ayant évalué les effets d’une modification du mode de vie (alimentation et exercice physique) sur le risque d’événements cardiovasculaires : 5 145 patients ayant un diabète et un excès pondéral (IMC moyen : 36 kg/m2) ont été randomisés et suivis dix ans et l’étude a totalisé 821 événements du critère primaire (décès cardiovasculaires, IDM non fatals, AVC non fatals, hospitalisation pour syndrome coronaire aigu).

À partir des effets démontrés des statines, et de l’estimation du taux d’arrêt des statines tel qu’apprécié par les données d’une consultation, une équipe française a évalué les conséquences potentielles d’une campagne dénigrante. À partir des indications fournies par leurs patients vus en consultation, des cardiologues parisiens ont pris en compte les taux d’arrêt de statines allégués par leurs patients, après la publication d’un ouvrage grand public ayant dénigré les statines. En modélisant les données, les auteurs de ce travail ont indiqué que les arrêts de traitement attribuables à

Un groupe avait une prise en charge standard et l’autre groupe avait des conseils et un encouragement pour réduire sa consommation calorique, modifier sa diététique et augmenter sa pratique d’exercice physique (groupe intervention). Dans le groupe intervention, par rapport au groupe contrôle, la quantité d’exercice a significativement augmenté, le poids, le tour de taille, la Pression artérielle systolique (PAS) et l’hémoglobine glyquée ont significativement diminué et le HDL cholestérol a significativement augmenté.

À retenir n Dans toute prescription, il y a une part d’effet placebo et d’effet nocebo et ces effets sont très dépendants de la représentation qu’un patient a d’un traitement. n Dénigrer un traitement peut induire un effet nocebo et conduire à son arrêt. nL ’arrêt d’un traitement bénéfique et justifié peut avoir des conséquences significatives en termes de santé publique.

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actualités thérapeutiques de l’année 2013

À retenir n Dans une étude de forte puissance (821 événements cardiovasculaires, suivi de dix ans), une prise en charge intensive à base d’exercice physique et de modification diététique permettant une perte de poids et une diminution significative du tour de taille ne modifie pas le pronostic cardiovasculaire de diabétiques de type 2 en excès pondéral.

Au terme des dix ans de suivi, il n’y a eu aucune différence significative entre les groupes concernant l’incidence des événements cardiovasculaires du critère primaire, qu’ils soient pris dans leur globalité (RR : 0,95 ; IC 95 % : 0,83-1,09) ou qu’ils soient pris individuellement.

Les déconvenues L’étude HPS 2 Les résultats de l’étude HPS 2 n’ont pas été publiés mais présentés en mars 2013, lors du congrès de l’American College of Cardiology. Cet essai a évalué, contre placebo, l’effet de l’acide nicotinique (associé au laropiprant) chez 25 673 patients à risque cardiovasculaire élevé, les patients recevant par ailleurs une statine. Sous traitement par acide nicotinique, le LDL a diminué de 16 %, le HDL a augmenté de 14 % et les triglycérides ont diminué de 26 %. L’étude a été arrêtée avant son terme prévu pour futilité, du fait d’une absence de bénéfice mis en évidence (RR : 0,96 ; IC95 % : 0,901,03) et de la faible probabilité de mettre en évidence un bénéfice alors que le nombre d’effets indésirables était significativement augmenté (augmentation du risque de diabète, des complications du diabète, des infections et des hémorragies notamment) avec une tendance à l’augmentation de mortalité totale (RR : 1,09 ; IC95 % : 0,99-1,21). Concernant les événements CV du critère primaire, il n’y a pas eu d’effet

significatif (et/ou d’hétérogénéité) que le HDL ait été bas (< 0,35 g/L) ou élevé (> 0,45 g/L) à l’inclusion ou que la triglycéridémie ait été élevée (> 1,51 g/L) ou basse (< 0,89 g/L) à l’inclusion.

L’étude SAVOR Paradoxe, dans le traitement du diabète, il n’est pas demandé qu’un traitement prouve qu’il réduit les événements cardiovasculaires, mais plutôt qu’il ne les augmente pas. C’est ainsi que des essais cliniques évaluant la sécurité cardiovasculaire des nouveaux traitements hypoglycémiants sont conduits dans des populations à risque cardiovasculaire élevé afin d’obtenir une certaine puissance. La saxagliptine, une incrétine, a donc été évaluée contre placebo chez 16 492 diabétiques de type 2 à risque cardiovasculaire élevé, notamment parce qu’ils avaient une maladie coronaire. Au terme de deux ans de suivi, il n’y a eu aucune différence dans l’incidence des événements du critère primaire (décès CV, IDM et AVC) entre les groupes comparés alors que 613 événements étaient survenus

(RR : 1,00 ; IC 95 % : 0,89-1,12 ; p < 0,01 pour la non-infériorité, p = 0,99 pour la supériorité). Sous traitement, il a été mis en évidence une augmentation significative des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (RR : 1,27 ; IC 95 % : 1,07-1,51 : p = 0,007) et une tendance à l’augmentation de la mortalité non cardiovasculaire (RR : 1,27 ; IC 95 % : 1,00-1,62 ; p = 0,51).

Un nouvel anticoagulant

L’edoxaban est un nouvel anticoagulant, actif par voie orale, qui a été évalué contre la warfarine en double aveugle chez des patients ayant une fibrillation atriale non valvulaire dans l’étude ENGAGE AF. Les traitements comparés étaient : 1. Dans le groupe contrôle, la warfarine (avec un INR cible entre 2 et 3). 2. L’edoxaban à 30 mg, 1 fois par jour. 3. L’edoxaban à 60 mg, 1 fois par jour. C’est un total de 21 105 patients, dont l’âge moyen était de 72 ans et le score CHADS2 était en moyenne à 2,8, qui ont été enrôlés dans cet essai. Le résultat de la dose de 30 mg/j, comparativement à la warfarine, a montré que l’edoxaban : • ne lui est pas inférieur (RR : 1,07 ; IC 95 % : 0,87-1,31 ; p = 0,005), ne lui est pas supérieur (RR : 1,13 ; IC 95 % : 0,96-1,34 ; p = 0,10), réduit significativement les hémorragies majeures

À retenir n Diminuer la triglycéridémie et augmenter le HDL cholestérol avec de l’acide nicotinique n’apporte pas de bénéfice clinique et augmente le risque d’effets secondaires. n Dans le plus grand essai mené en double aveugle contre placebo dans le diabète, un traitement par incrétine ne modifie pas le pronostic cardiovasculaire mais augmente significativement le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque.

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À retenir n Comparativement à la warfarine, l’edoxaban à la dose de 30 mg/j ou de 60 mg/j apporte un bénéfice clinique net chez les patients ayant une fibrillation atriale non valvulaire.

(RR : 0,47 ; IC 95 % : 0,41-0,55 ; p < 0,001) ; • réduit les AVC hémorragiques (RR : 0,33 ; IC 95 % : 0,22-0,50 ; p < 0,001), augmente les AVC ischémiques (RR : 1,41 ; IC 95 % : 1,19-1,67 ; p < 0,001), réduit les hémorragies fatales (RR : 0,35 ; IC 95 % : 0,210,57 ; p < 0,001), réduit la mortalité totale (RR : 0,87 ; IC 95 % : 0,79-0,96 ; p = 0,006) et apporte un bénéfice clinique net (RR : 0,83 ; IC 95 % : 0,770,90 ; p < 0,001). Le résultat de la dose de 60 mg/j, comparativement à la warfarine a montré que l’edoxaban : • ne lui est pas inférieur (RR : 0,79 ; IC 95 % : 0,63-0,99 ; p < 0,001), ne lui est pas supérieur (RR : 0,87 ; IC 95 % : 0,73-1,04 ; p = 0,08), réduit significativement les hémorragies majeures (RR : 0,80 ; IC 95 % : 0,71-0,91 ; p < 0,001) ; • réduit les AVC hémorragiques (RR : 0,54 ; IC 95 % : 0,38-0,77 ; p < 0,001), ne réduit pas les AVC ischémiques (RR : 1,00 ; IC 95 % : 0,831,19 ; p = 0,97), réduit les hémorragies fatales (RR : 0,55 ; IC 95 % : 0,36-0,84 ; p = 0,006), ne réduit pas la mortalité totale (RR : 0,92 ; IC 95 % : 0,83-1,01 ; p = 0,08) et apporte un bénéfice clinique net (RR : 0,89 ; IC 95 % : 0,83-0,96 ; p = 0,003).

De nouvelles recommandations

En fin d’année 2013, de nouvelles recommandations nord-américaines ont été publiées pour la prise en charge du cholestérol plasmatique (terme proposé en place de ceux de dyslipidémie et/ou d’hypercholestérolémie) et

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pour celle de la pression artérielle. Ces recommandations font des propositions assez nouvelles et ce, essentiellement parce que le mode d’élaboration a été modifié par rapport aux recommandations précédentes. Les principaux éléments nouveaux dans l’élaboration des recommandations sont notamment les suivants : - Éviter les experts ayant des conflits d’intérêts. - Élargir les groupes de travail en incorporant des experts en méthodologie indépendants et des représentants de patients. - Poser des questions claires préalablement à l’élaboration des recommandations, questions auxquelles il existe des réponses valides. - Éviter les interprétations faites à partir de données non concluantes. - Prendre en compte la totalité des données disponibles et non des données parcellaires. - Prendre en compte les méta-analyses et en leur absence, en faire de nouvelles. - Qualifier différemment la valeur des recommandations (recommandation forte, faible, avis d’expert…), etc. Et ainsi, ces recommandations n’ont envisagé de répondre qu’à

quelques questions et ont apporté quelques réponses comme les suivantes notamment : - Il n’y a pas de cible de LDL validée. - En matière de prise en charge du cholestérol, seules les statines doivent être utilisées. - La dose de statine à utiliser dépend du risque cardiovasculaire : en cas de risque élevé, il faut utiliser une dose élevée, c’est-à-dire une dose dont l’effet connu est de réduire en moyenne d’au moins 50 % le LDL cholestérol ; en cas de risque intermédiaire, il faut utiliser une dose intermédiaire, c’està-dire une dose dont l’effet connu est de réduire en moyenne de 30 à 50 % le LDL cholestérol. - Chez les patients âgés d’au moins 60 ans, un traitement antihypertenseur doit être débuté en cas de PAS supérieure ou égale à 150 mmHg et/ou de Pression artérielle diastolique (PAD) supérieure ou égale à 90 mmHg dans l’objectif de diminuer la PAS en dessous de 150 mmHg et la PAD en dessous de 90 mmHg (recommandation forte). - Chez les patients âgés de moins de 60 ans, un traitement antihypertenseur doit être débuté en cas de PAD supérieure ou égale à 90 mmHg dans l’objectif de diminuer la PAD en dessous de 90 mmHg (opinion d’expert). n

Mots-clés : Traitement, Campagne médiatique, Diabète, Anticoagulant, Recommandation

À retenir n Aux États-Unis, le mode d’élaboration des recommandations de pratique a changé pour mieux prendre en compte les données validées de la science et éviter les interprétations de données de faible niveau de preuve. nP our la prise en charge du cholestérol plasmatique, les cibles de LDL sont abandonnées car jugées non validées et seules les statines justifient d’être utilisées. nP our la prise en charge de la pression artérielle chez les sujets d’au moins 60 ans, la cible de pression systolique est inférieure à 150 mmHg.

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