Réflexions
L’infarctus du myocarde
Une épreuve à haut risque psychologique Jean-Pierre Houppe (Centre cardiologique et vasculaire, Thionville ; jeanpierrehouppe@wanadoo.fr)
Introduction Depuis l’étude Interheart, publiée il y a maintenant dix ans, et les dernières recommandations de la Société européenne de Cardiologie (ESC) sur la prévention coronarienne éditées en 2012, les cardiologues sont beaucoup plus sensibles à la notion du risque psychosocial. L’évaluation et la prise en charge du stress, de l’anxiété, de la dépression commencent à faire partie intégrante de la prévention primaire au même titre que l’abstention tabagique, l’activité physique et l’équilibre alimentaire.
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éanmoins, dans ses recommandations, aussi bien de prévention que de prise en charge de l’infarctus du myocarde, l’ESC n’aborde pas la question de la répercussion psychique de l’infarctus du myocarde. Un article très récent publié dans Circulation par un groupe de psychiatres vient rappeler aux cardiologues que la
gique peut entraîner un syndrome dépressif, mais aussi de l’anxiété, des manifestations de déni, ou encore un tableau de stress post- traumatique. Cette détresse psychologique est toujours un facteur d’évolution péjoratif ; elle a parfois des conséquences dramatiques, notamment en ce qui concerne le risque de suicide.
« Il y a deux maladies : celle soignée par le médecin et celle vécue par le patient. Ces deux maladies sont différentes à bien des égards. » Arthur Kleinman, The Illness Narratives. dépression postinfarctus est un important facteur de risque de récidive d’événements coronariens mortels et non mortels. La question de l’impact psychologique d’un infarctus du myocarde et de ses conséquences pour l’avenir coronarien du patient est cependant loin de se limiter à la seule dépression. La survenue d’un syndrome coronarien aigu chez un patient indemne jusque-là de souffrance psycholo-
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L’infarctus : un temps de bouleversement, d’épreuve et d’adaptation
risque de mort et se traduit par des peurs spécifiques liées à cette réalité : mort, souffrance, déchéance, abandon. D’un point de vue psychique, la maladie est une expérience singulière d’adaptation qui donne lieu dans de nombreux cas à une remise en cause fondamentale des valeurs sur lesquelles reposait la vie du patient. La maladie définit un enjeu psychique essentiel lié à la mobilisation de ressources psychiques qui font appel à de nouvelles valeurs et qui constituent d’autres raisons de vivre ».
Le bouleversement instantané Le vécu de l’infarctus est en luimême extrêmement riche en ressentis physique et émotionnel. La brutalité de l’événement, la douleur intense, l’appel fréquent du Samu, la frayeur possible de l’entourage, l’hospitalisation, la perception de l’urgence, la coronarographie, l’angioplastie : autant d’événements qui peuvent être traumatisants d’un point de vue psychologique.
L’épreuve du deuil
Le syndrome coronarien aigu, s’il est inaugural, marque pour le patient l’entrée inattendue et définitive dans la maladie chronique. Une fois le mot infarctus prononcé, la vie ne sera plus jamais tout à fait la même. « La maladie chronique grave se caractérise par un
L’annonce du diagnostic marque le début d’un temps d’épreuve, la fin d’une illusoire immortalité et la nécessité de faire le deuil d’une santé parfaite. Les étapes de ce deuil symbolique sont plus ou moins marquées et plus ou moins exprimées, mais toujours présentes. Atteint initialement par la
Cardiologie - Cardinale • Mars 2014 • vol. 8 • numéro 62