Réflexions
L’infarctus du myocarde
Une épreuve à haut risque psychologique Jean-Pierre Houppe (Centre cardiologique et vasculaire, Thionville ; jeanpierrehouppe@wanadoo.fr)
Introduction Depuis l’étude Interheart, publiée il y a maintenant dix ans, et les dernières recommandations de la Société européenne de Cardiologie (ESC) sur la prévention coronarienne éditées en 2012, les cardiologues sont beaucoup plus sensibles à la notion du risque psychosocial. L’évaluation et la prise en charge du stress, de l’anxiété, de la dépression commencent à faire partie intégrante de la prévention primaire au même titre que l’abstention tabagique, l’activité physique et l’équilibre alimentaire.
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éanmoins, dans ses recommandations, aussi bien de prévention que de prise en charge de l’infarctus du myocarde, l’ESC n’aborde pas la question de la répercussion psychique de l’infarctus du myocarde. Un article très récent publié dans Circulation par un groupe de psychiatres vient rappeler aux cardiologues que la
gique peut entraîner un syndrome dépressif, mais aussi de l’anxiété, des manifestations de déni, ou encore un tableau de stress post- traumatique. Cette détresse psychologique est toujours un facteur d’évolution péjoratif ; elle a parfois des conséquences dramatiques, notamment en ce qui concerne le risque de suicide.
« Il y a deux maladies : celle soignée par le médecin et celle vécue par le patient. Ces deux maladies sont différentes à bien des égards. » Arthur Kleinman, The Illness Narratives. dépression postinfarctus est un important facteur de risque de récidive d’événements coronariens mortels et non mortels. La question de l’impact psychologique d’un infarctus du myocarde et de ses conséquences pour l’avenir coronarien du patient est cependant loin de se limiter à la seule dépression. La survenue d’un syndrome coronarien aigu chez un patient indemne jusque-là de souffrance psycholo-
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L’infarctus : un temps de bouleversement, d’épreuve et d’adaptation
risque de mort et se traduit par des peurs spécifiques liées à cette réalité : mort, souffrance, déchéance, abandon. D’un point de vue psychique, la maladie est une expérience singulière d’adaptation qui donne lieu dans de nombreux cas à une remise en cause fondamentale des valeurs sur lesquelles reposait la vie du patient. La maladie définit un enjeu psychique essentiel lié à la mobilisation de ressources psychiques qui font appel à de nouvelles valeurs et qui constituent d’autres raisons de vivre ».
Le bouleversement instantané Le vécu de l’infarctus est en luimême extrêmement riche en ressentis physique et émotionnel. La brutalité de l’événement, la douleur intense, l’appel fréquent du Samu, la frayeur possible de l’entourage, l’hospitalisation, la perception de l’urgence, la coronarographie, l’angioplastie : autant d’événements qui peuvent être traumatisants d’un point de vue psychologique.
L’épreuve du deuil
Le syndrome coronarien aigu, s’il est inaugural, marque pour le patient l’entrée inattendue et définitive dans la maladie chronique. Une fois le mot infarctus prononcé, la vie ne sera plus jamais tout à fait la même. « La maladie chronique grave se caractérise par un
L’annonce du diagnostic marque le début d’un temps d’épreuve, la fin d’une illusoire immortalité et la nécessité de faire le deuil d’une santé parfaite. Les étapes de ce deuil symbolique sont plus ou moins marquées et plus ou moins exprimées, mais toujours présentes. Atteint initialement par la
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stupeur ou l’incrédulité, le patient passe ensuite par le déni, la colère, la tristesse, la culpabilité, la résignation. Certains patients développent des stratégies d’évitement évoluant alors de la stupeur au déni, parfois à la culpabilité honteuse et à la résignation dépressive. En revanche, d’autres pourront entamer un processus d’intégration et d’acceptation de la maladie passant de l’incrédulité passagère à la révolte et à la colère, puis à une phase de tristesse momentanée et constructrice permettant ainsi la mise en place de stratégies d’adaptation efficientes.
Le temps de l’adaptation La survenue de l’infarctus va aussi avoir des conséquences sur la représentation que le patient se fait du monde et de sa vie personnelle. Chaque être humain cherche à trouver un sens à sa vie en se donnant des buts de vie en fonction de ses propres valeurs. La survenue d’un infarctus peut provoquer une perturbation de l’autorégulation, c’est-à-dire des possibilités pour le patient d’atteindre ses buts de vie en raison d’une réelle limitation (insuffisance cardiaque postinfarctus), d’un risque potentiel (peur de la récidive) ou de croyances sur la maladie coronaire (l’activité sexuelle est contre-indiquée après un infarctus). La perturbation des buts de vie entraîne pour le coronarien une baisse de la qualité de vie, une majoration de l’anxiété et des phénomènes dépressifs. Toute nouvelle situation entraîne pour un individu une demande d’adaptation psychologique. C’est ce que les psychologues nomment le coping. To cope signifie : faire face, affronter. Le coping se définit comme « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer
les exigences internes ou externes qui menacent ou excèdent les ressources d’une personne ». Les capacités de coping sont extrêmement variables selon les individus, les situations à affronter, le moment et le contexte global. Ainsi, la survenue d’un infarctus du myocarde ne sera pas vécue de la même manière si le patient a perdu son épouse quelques semaines auparavant ou si pesait sur lui, avant l’accident, une menace de licenciement économique. Pour s’adapter à l’infarctus, le patient considère dans un premier temps les caractéristiques de la situation ; cette étape est fortement influencée par ses croyances et par ses émotions. Dans un second temps il évalue ses capacités à faire face à la situation ainsi que la façon dont il pourra les mettre en jeu. La mobilisation des ressources d’un individu est influencée par la croyance qu’il a sur ses possibilités de contrôle de la situation (« Je décide de ma vie » ou « La vie décide pour moi »). Le type de personnalité et le profil psychologique préexistant influencent également
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le mode de coping (sens du défi, capacité d’engagement, confiance en soi, estime de soi, anxiété, dépression, hostilité). Il est démontré à l’heure actuelle que les stratégies de coping fondées sur l’évitement (déni, désengagement, dépression) sont des indices de mauvais pronostic en postinfarctus, même si le déni peut avoir à la phase initiale du diagnostic un impact positif sur la qualité de vie. Un coping actif centré à la fois sur une meilleure gestion des émotions et sur la confrontation à la réalité du problème de santé posé au patient améliore le pronostic cardiovasculaire.
Le déni
Le déni est un moyen de protection employé par certains patients, surtout les hommes, lors de la phase initiale de l’infarctus. Le déni est souvent utilisé dans toute situation traumatisante par exemple lors de l’annonce du décès d’un être cher : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible… ». Le déni n’est pas une banale mise à distance de la situation comme
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Réflexions
la minimisation ou la banalisation, il s’agit réellement, au sens strict du mot, d’une dénégation de la réalité. Par cette attitude de déni, le patient qui vient d’être victime d’un infarctus parvient à se protéger d’émotions trop difficiles à gérer (angoisse de mort, colère, peur de l’abandon, de la déchéance, sentiment d’injustice). Le déni peut être efficace à court terme : les patients présentant un déni à la phase initiale de l’infarctus se sentent mieux psychiquement et physiquement, et sont hospitalisés moins longtemps. Paradoxalement, ce déni n’entraîne pas, au moins au départ, de troubles de compliance au traitement. En revanche, à plus long terme, le déni a un impact négatif. Les patients en déni ont une plus forte probabilité de comportements à risque : poursuite de l’intoxication tabagique, absence de règles hygiéno-diététiques, défaut d’observance médicamenteuse et de suivi médical.
L’attitude de déni en postinfarctus a généralement été précédée de déni avant l’hospitalisation : refus d’entendre les symptômes douloureux, retard d’hospitalisation. Le déni massif est souvent l’expression d’un type de personnalité qui refuse ses émotions négatives et s’en protège. Le déni est pour ces patients une protection contre la souffrance et le risque d’abandon des autres. Ces patients dénient leur maladie pour correspondre aux normes et aux attentes supposées des autres. Ils veulent paraître forts, solides et invulnérables. Le déni est un comportement difficile à gérer à la fois pour le médecin et pour l’entourage. Face au déni, l’entourage est fréquemment anxieux et exprime souvent ce sentiment par un discours infantilisant ou agressif vis-à-vis du patient. Le médecin, quant à lui, a tendance soit à rationaliser en tenant des raisonnements et en donnant des explications scientifiques, soit à utiliser des arguments
censés provoquer assez de peur pour générer un comportement prudent et raisonnable du patient. Cette attitude médicale est totalement inefficace, car d’une part le patient a très bien compris la situation d’un point de vue cognitif et d’autre part le déni est un refus de ressenti émotionnel. Le patient est donc insensible à la peur. La prise en charge d’un patient en déni repose pour le médecin et l’entourage dans un premier temps sur l’acceptation qu’une phase de déni partiel et adaptatif peut être nécessaire et souvent bénéfique à court terme pour le patient. Dans un second temps, si le déni est massif et persistant, il est indispensable de mettre en place un soutien psychologique afin de permettre au patient de faire face à ses émotions “négatives” (angoisse, colère, tristesse) et une aide éducative afin de mobiliser ses ressources intérieures de changement et d’adaptation. Il ne
Tableau 1 - Le PHQ2. Mode d’emploi : le PHQ2 comprend les questions 1 et 2 et une troisième question : « Souhaitez-vous une aide en ce moment ? ». Le PHQ9 est consultable sur le site : www.medhyg.ch. Au cours de ces 2 dernières semaines, avez-vous été ennuyé(e) par l’un ou l’autre des problèmes suivants ? 1. Vous avez peu d’intérêt ou plaisir à faire des choses
❑ Oui
❑ Non
2. Vous vous êtes senti abattu, déprimé ou sans espoir
❑ Oui
❑ Non
3. Vous avez de la peine à vous endormir ou à dormir, ou vous dormez trop
❑ Oui
❑ Non
4. Vous vous sentez fatigué ou sans énergie
❑ Oui
❑ Non
5. Vous avez peu d’appétit ou mangez trop
❑ Oui
❑ Non
6. Vous vous sentez mal vis-à-vis de vous, vous vous ressentez comme un échec ou sentez que vous vous laissez aller, vous ou votre famille
❑ Oui
❑ Non
7. Vous avez de la peine à vous concentrer en lisant le journal ou en regardant la télévision
❑ Oui
❑ Non
8. Vous bougez ou parlez si lentement que les autres l’ont remarqué Ou vous êtes si agité que vous bougez plus que d’habitude
❑ Oui
❑ Non
9. Vous pensez qu’il vaudrait mieux mourir ou vous voulez vous faire du mal d’une certaine façon
❑ Oui
❑ Non
Interprétation (oui = 1pt / non = 0 pt)
TOTAL : ___________
Dépression majeure si 5 réponses ≥ 2 dont, nécessairement, réponse 1 ou 2 ≥ 2
Autre forme de dépression si 2 à 4 réponses ≥ 2 (ou ≥ 1 pour question 9), dont, nécessairement, réponse 1 ou 2
Selon le total, évaluation de la sévérité de la dépression Sévérité de l’état dépressif
Pas de dépression
Si vous avez coché l’un ou l’autre des problèmes de ce questionnaire, quel degré de difficulté cela a-t-il créé pour vous pour travailler, s’occuper de choses à la maison ou interagir avec autrui ?
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s’agit pas à ce moment de la prise en charge de convaincre mais de mobiliser la motivation intérieure du patient. C’est tout l’intérêt de l’éducation thérapeutique sous ces différents aspects biopsychosociaux en centre de réadaptation cardiaque.
La dépression
En ce qui concerne les complications psychiques de l’infarctus du myocarde, c’est sans aucun doute la dépression qui a été l’objet du plus grand nombre de publications. La dépression est une maladie fréquente : 8 % des Français de 15 à 75 ans ont connu un épisode dépressif au cours de l’année écoulée. Environ 20 % des patients hospitalisés pour infarctus du myocarde souffrent d’un syndrome dépressif caractérisé et près du double présentent des traits dépressifs. La particularité physiopathologique de la dépression du postinfarctus réside peutêtre dans le déclenchement de mécanismes apoptotiques communs au myocarde et à l’hippocampe du cerveau limbique. Il faut rappeler que la dépression est une véritable maladie qui se caractérise par une grande tristesse, un sentiment de désespoir, une perte de motivation et l’impression de n’avoir pas de valeur en tant qu’individu. Le diagnostic de syndrome dépressif majeur repose, selon le DSM 5, sur un questionnaire en neuf questions. Pour affirmer le diagnostic de dépression majeure il est nécessaire et suffisant de présenter cinq signes présents sur neuf (Tab. 1). Un questionnaire plus court en trois questions, tel qu’il a été utilisé par l’ESC, est très utile en cardiologie pour screener les patients au moment de leur infarctus et dans
la phase précoce postinfarctus, par exemple en réadaptation. De multiples études et méta- analyses ont prouvé que la dépression est un facteur de risque majeur de survenue et d’aggravation d’une insuffisance coronaire. Le syndrome dépressif n’est cependant pas encore assez évalué et insuffisamment pris en charge dans les suites immédiates de l’infarctus du myocarde. La méta-analyse de 53 études qui vient d’être publiée dans Circulation nous montre que la dépression postinfarctus est un facteur de risque de mortalité globale (risque multiplié par 2,3), de mortalité cardiovasculaire (risque multiplié par 2,7) et d’événements cardiovasculaires non mortels (risque multiplié par 1,6). Par ailleurs, le risque aigu de cette dépression postinfarctus ne doit pas être minimisé. Un travail récent a montré que le risque de suicide dans le mois qui suit un infarctus est multiplié par 3 pour des sujets sans antécédent psychiatrique et par plus de 50 pour des patients aux antécédents dépressifs.
L’anxiété
L’anxiété a été moins étudiée que la dépression dans les suites d’infarctus du myocarde. Les publications montrent cependant qu’il s’agit d’une situation très fréquente et à haut risque pour l’avenir coronarien des patients. Selon la classification du DSM 5, l’anxiété regroupe plusieurs tableaux psychologiques distincts et très variés allant du stress aigu au trouble obsessionnel compulsif, en passant par l’anxiété généralisée, l’agoraphobie et les troubles paniques. L’anxiété
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généralisée se définit par une sensation de danger imminent et d’origine indéterminée, qui allie des symptômes émotionnels, somatiques, cognitifs et comportementaux. Elle est en général évaluée par le questionnaire HAD-anxiété qui regroupe sept questions dont les réponses sont cotées de 0 à 3 (Tab. 2). En phase aiguë d’un infarctus du myocarde, l’anxiété généralisée est observée chez plus de 30 % des patients. Il est intéressant de mentionner certains travaux qui ont montré que la prescription d’anxiolytiques lors de l’hospitalisation pour infarctus ne modifie ni les scores d’anxiété ni la mortalité cardiaque ou la survenue de complications aiguës. Après la phase aiguë, l’anxiété persiste chez environ 15 à 20 % des patients. Le maintien d’une anxiété généralisée après infarctus augmente le risque de récidive d’événements coronariens et de mortalité de 25 à 40 % selon les séries. Une méta-analyse récente sur 5 750 patients retrouve une augmentation du risque de 36 %. Paradoxalement, certains travaux ont montré que l’anxiété était un facteur protecteur après infarctus en arguant du fait que les patients anxieux étaient plus observants et plus soucieux de leur suivi médical. Ces publications sont cependant assez discutables (patients perdus de vue et résultats contradictoires).
Le syndrome de stress posttraumatique (SSPT)
Les premières publications évoquant les liens entre le SSPT et la cardiologie datent de la fin des années 1980. Il s’agissait alors de cas sporadiques. Depuis, une abondante littérature a
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Réflexions
Tableau 2 - Questionnaire d’anxiété HAD (Hospital Anxiety Depression Scale). Auteurs : AS Zygmond et RP Snaith. Traduction française de JP Lépine. 1. Je me sens tendu(e) ou énervé(e) a. La plupart du temps : 3 b. Souvent : 2 c. De temps en temps : 1 d. Jamais : 0 2. J’ai une sensation de peur comme si quelque chose d’horrible allait m’arriver a. Oui, très nettement : 3 b. Oui, mais ce n’est pas trop grave : 2 c. Un peu, mais cela ne m’inquiète pas : 1 d. Pas du tout : 0 3. Je me fais du souci a. Très souvent : 3 b. Assez souvent : 2 c. Occasionnellement : 1 d. Très occasionnellement : 0 4. Je peux rester tranquillement assis(e) à ne rien faire et me sentir décontracté(e) a. Oui, quoi qu’il arrive : 0 b. Oui, en général : 1 c. Rarement : 2 d. Jamais : 3 5. J’éprouve des sentiments de peur et j’ai l’estomac noué a. Jamais : 0 b. Parfois : 1 c. Assez souvent : 2 d. Très souvent : 3 6. J’ai la bougeotte et je n’arrive pas à tenir en place a. Oui, c’est tout à fait le cas : 3 b. Un peu : 2 c. Pas tellement : 1 d. Pas du tout : 0 7. J’éprouve des sensations soudaines de panique a. Vraiment très souvent : 3 b. Assez souvent : 2 c. Pas très souvent : 1 d. Jamais : 0 Le score d’anxiété est obtenu en additionnant les réponses. L’anxiété est considérée comme significative pour un score supérieur à 8.
permis de mieux cerner ce trouble psychologique qui se situe à la fois en amont et en aval de la maladie coronaire. Un SSPT est un facteur de risque d’infarctus, un infarctus est un facteur de risque de SSPT. On parle d’événement traumatisant selon le DSM 5 quand un sujet a été l’objet ou le témoin direct d’une menace de mort, d’une menace ou d’une atteinte à son intégrité physique et qu’il a éprouvé dans
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cette situation un vécu de peur, d’impuissance, d’effroi. Il peut s’agir d’une menace réelle ou fantasmée. L’infarctus du myocarde est un événement à haut risque traumatisant réel ou imaginaire : douleur, malaise vagal, mort subite récupérée, annonce du diagnostic, coronarographie, angioplastie. Dans les traumatismes majeurs, la phase initiale est marquée par un temps de prostration puis d’agita-
tion. Bien souvent le tableau n’est pas aussi typique : le patient décrit simplement, a posteriori, une sensation d’étrangeté, d’irréalité, l’impression d’un rêve éveillé. À la suite du traumatisme, un certain nombre de patients évoluent vers un tableau de stress post-traumatique qui associe un syndrome de répétition (l’événement traumatisant est constamment revécu par le sujet sous forme de flash-back ou de cauchemars), un syndrome d’évitement (le sujet fait des efforts importants pour éviter toute pensée, toute conversation ou toute situation associée au traumatisme), et un syndrome d’hypervigilance anxieuse (le sujet reste en état d’alerte permanente). Ces symptômes sont la conséquence du mode de fonctionnement du cerveau au moment du traumatisme. Face à l’intensité de la menace de mort imminente, réelle ou fantasmée, le patient, dans un espoir de survie, se dissocie de son vécu traumatisant. Son cerveau se met en mode de “déni émotionnel massif”. Cependant, cette menace externe est intégrée, à son insu, dans sa mémoire émotionnelle devenant ainsi une menace interne susceptible de refaire surface à la moindre excitation psychique ou même de façon inopinée. L’événement traumatisant est constamment vécu de façon douloureuse dans un présent émotionnel permanent et ne peut pas se transformer en souvenir cognitif délesté de son poids émotionnel. Cette hyperactivation du cerveau limbique émotionnel provoque une excitation de l’axe hypothalamohypophysaire et une activation du système sympathique. Dans les suites d’un infarctus du myocarde, environ 15 % des
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patients développent un SSPT. Ces taux dépassent 20 % en cas de mort subite récupérée ou après une réanimation cardiaque difficile. Les facteurs prédictifs d’un syndrome de stress post-traumatique après infarctus sont un antécédent de traumatisme psychique antérieur, le sexe féminin, l’intensité du vécu émotionnel, et surtout la peur d’une menace vitale. La survenue d’un SSPT multiplie le risque de mortalité et de récidive d’infarctus par 2. La peur de mourir au moment de la survenue de l’infarctus est un élément prédictif de mort subite dans le mois qui suit le syndrome coronarien aigu. Le SSPT post-infarctus provoque également une altération sensible de la qualité de vie du patient et une moindre observance médicamenteuse. Le SSPT ne doit pas être confondu avec un tableau dépressif. Il nécessite une prise en charge urgente par une thérapie de type cognitivo-comportementale ou plutôt par une thérapie de type EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) qui semble être, à l’heure actuelle, la technique de référence. L’avenir est certainement, comme le font déjà certaines équipes, dans la mise en place d’unités de débriefing émotionnel dans les suites immédiates de l’infarctus à l’instar des unités d’aide psychologique proposées aux victimes de traumatisme après un attentat ou une agression.
Pourquoi un tel impact sur l’évolution coronarienne ?
D’une part, la détresse psychologique postinfarctus favorise une augmentation des comportements à risque : reprise de l’intoxication
À retenir n Après un infarctus du myocarde, plus de 50 % des patients souffrent de détresse psychologique : 20 % de dépression, 30 % d’anxiété et 15 % de stress post-traumatique. nL e déni est un mécanisme de protection fréquent, efficace à court terme et néfaste s’il est massif et durable. nL a détresse psychologique postinfarctus multiple la mortalité et les complications coronariennes par 2. nL ’effet néfaste de la détresse psychologique s’explique par des modifications comportementales, par une activation sympathique et hypothalamohypophysaire et par des mécanismes proinflammatoires et procoagulants. nL a souffrance psychologique doit être systématiquement évaluée en postinfarctus. nL a prise en charge doit être assurée par une équipe multidisciplinaire : cardiologues, psychologues, psychiatres et médecins de réadaptation. nL es traitements médicamenteux peuvent être utiles mais ils ne modifient pas le pronostic coronarien. En revanche, l’activité physique et les méthodes psychothérapiques améliorent la qualité de vie et diminuent la mortalité coronarienne.
tabagique, absence d’activités physiques, absence de modification alimentaire, mauvaise observance médicamenteuse, refus de la réadaptation cardiaque, absence de suivi cardiologique. D’autre part, l’anxiété, la dépression et le SSPT postinfarctus entraînent également un dysfonctionnement du système nerveux autonome (activation du système sympathique, inhibition du système parasympathique), une baisse de la variabilité sinusale, une stimulation de l’axe hypothalamohypophysaire. Les complications psychiques postinfarctus, par le biais de secrétions de neurohormones et de neurotransmetteurs, favorisent enfin des phénomènes inflammatoires, des troubles de la coagulation, et une dysfonction endothéliale.
Quelles conséquences pratiques pour le cardiologue ?
La survenue d’un infarctus est un événement majeur dans la vie d’un
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patient et les conséquences psychologiques doivent toujours être analysées et prises en charge le cas échéant.
L’évaluation psychique Dans les suites immédiates de l’infarctus, l’évaluation psychique est très simple. Elle repose sur un interrogatoire libre et sur quelques questions plus systématiques. Un simple « Comment vous sentez-vous psychiquement ? » permet d’engager un échange qui ne se limite pas aux signes physiques (douleur, palpitations, dyspnée). Cet échange peut permettre au patient d’exprimer sa peur, sa colère, son incompréhension, sa tristesse, son désarroi. Il est important que ce soit le cardiologue qui initie ce temps de parole afin que le patient prenne bien conscience de la prise en charge globale qui lui est proposée, même si bien entendu les professionnels de la psychologie prennent ensuite le relais. Il est important de questionner le patient sur ses valeurs et ses buts
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Réflexions
Tableau 3 - Questionnaire d’évaluation du stress psychosocial adapté du modèle de l’ESC. Statut socio-économique
1. Quel est votre niveau d’études ? 2. Êtes-vous travailleur manuel ?
Stress familial et professionnel
1. Avez-vous une possibilité de contrôler votre demande de travail ? 2. Estimez-vous être normalement récompensé pour votre investissement au travail ? 3. Avez-vous des problèmes sérieux dans votre relation de couple ?
Isolement social
1. Vivez-vous seul ? 2. Avez-vous une personne à qui vous confier ?
Dépression
1. Vous sentez-vous triste, déprimé ou sans espoir ? 2. Avez-vous perdu de l’intérêt et du plaisir à vivre ?
Anxiété
1. Vous sentez-vous souvent nerveux, anxieux ou “à cran” 2. Êtes-vous souvent incapable de mettre fin ou de contrôler une préoccupation ?
Hostilité
1. Vous mettez-vous souvent en colère pour des choses banales ? 2. Êtes-vous souvent irrité par le comportement des autres ?
Personnalité de type D
1. Êtes-vous généralement anxieux, dépressif ou irritable ? 2. Évitez-vous de partager vos idées et vos émotions avec les autres ?
de vie et de lui demander en quoi cet épisode d’infarctus contrarie ou risque de perturber à distance ses buts de vie personnels, familiaux et professionnels. La recherche d’une dépression et d’une anxiété ainsi que des autres facteurs psychosociaux est facilitée pour le cardiologue par l’utilisation du questionnaire de l’ESC (Tab. 3). Enfin, la recherche d’un SSPT doit être systématique (le patient a-t-il eu peur de mourir ? Souffre-t-il de flash-back, de cauchemars, a-t-il une conduite d’évitement, se sent-il en état d’alerte permanente ?). Enfin, il est également très important de tenir compte des réactions et de la détresse psychologique de l’entourage, en particulier du conjoint qui parfois souffre beaucoup plus que le patient lui-même.
La prise en charge psychique Elle ne relève pas du domaine strict du cardiologue. Pour orienter son attitude thérapeutique, le cardio-
logue doit cependant savoir que : • les anxiolytiques n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité en cardiologie ; • les antidépresseurs n’ont aucune utilité en cas de dépression mineure ; • les antidépresseurs ne sont indiqués qu’en cas de dépression majeure et pour une durée qui ne doit pas dépasser six mois sauf sur avis psychiatrique ; • les antidépresseurs améliorent l’humeur des patients déprimés en postinfarctus mais ne réduisent pas la surmortalité liée à la dépression ; • l’activité physique est un des piliers majeurs de la prise en charge des troubles psychiques postinfarctus. Elle permet de réduire la mortalité de 25 à 30 % ; • la prise en charge psychologique est efficace et réduit les complications de façon significative (réduction de mortalité d’environ 40 % à cinq ans).
fique concernant le screening et la prise en charge de la détresse psychologique à la phase aiguë et dans les suites d’un syndrome coronarien aigu. Les centres de réadaptation ont cependant devancé ces recommandations et pratiquent maintenant de façon systématique cette prise en charge. La brièveté de nombreuses hospitalisations et le faible taux de patients bénéficiant d’une réadaptation favorisent un déni médical sur l’importance de cet aspect fondamental du pronostic du patient. Sachons prendre quelques instants pour parler humainement avec nos patients. Ce bref moment d’écoute empathique épargnera bien des complications et bien des n dépenses inutiles.
Mots-clés : Infarctus du myocarde, Psychologie,
Conclusion
Bouleversement, Deuil, Adaptation,
Il n’y a à l’heure actuelle aucune recommandation spéci-
Déni, Dépression, Anxiété, Stress post-traumatique
retrouvez la bibliographie complète sur cardinale.fr
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