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7 Programme d’éducation
thérapeutique et précarité S’adapter à la culture des patientes Dr Marie-Françoise Jannot-Lamotte*, Sabrina Lopez**, Sarah Beaujour**, Antoine Coignard***
Introduction Dans notre expérience, les patientes précaires représentent environ 30 % de la population suivie à la maternité de la Conception de Marseille. Le critère utilisé est celui de la couverture sociale. Le caractère “précaire” est retenu chez les femmes sans couverture sociale, ou bénéficiaires d’AMU, AME ou CMU. Selon la même définition, le pourcentage s’élève à 52 % chez les patientes atteintes de diabète gestationnel (DG) (dépistage systématique en un temps). La précarité est fréquemment associée à une origine étrangère et un bas niveau scolaire. Dans notre série non-publiée, 50 % des patientes avec DG sont originaires d’Afrique du Nord et 25 % des Comores ; 58,3 % de niveau scolaire inférieur ou égal au collège. Il a été montré au Canada (1) qu’une popula-
Quels critères d’efficacité d’un programme adapté à la culture des patients ?
Une revue récente (2) complète une première méta-analyse datant de 2008 (3) qui concluait qu’une éducation « adaptée à la culture » était plus efficace dans le diabète qu’une éducation « standard ». Il faut entendre par « adaptée à la culture », centrée sur les croyances culturelles ou religieuses, la langue parlée et le degré d’alpha*Service de Nutrition-Endocrinologie-Maladies métaboliques, Unité d’Éducation thérapeutique, Hôpital Sainte Marguerite, Marseille AP-HM **Diététicienne, Maternité de la Conception, Marseille AP-HM ***Éducateur médico-sportif, Unité d’Éducation thérapeutique, Service de Nutrition-Endocrinologie-Maladies métaboliques, Hôpital Sainte Marguerite, Marseille AP-HM
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tion immigrée originaire d’Asie du Sud, d’Amérique latine ou d’Afrique présentait un risque 2 à 4 fois plus élevé de développer un diabète de type 2 que la population native du pays. Cette constatation souligne l’importance des programmes de prévention, a fortiori dans une population avec antécédent de DG. Cependant, barrière de la langue, traditions, coutumes, difficultés financières, problèmes de logement ou d’isolement compliquent l’éducation thérapeutique. Afin d’illustrer cette problématique, nous tenterons de comprendre les critères d’efficacité d’un programme d’éducation adapté à la culture d’une population, puis présenterons un outil d’éducation diététique créé pour les patientes comoriennes atteintes de DG et un cycle d’activité physique adaptée, intégré dans un programme de prévention du DT2 post DG.
bétisation. Onze études randomisées et contrôlées (1 603 patients) sont analysées pour en dégager les points forts en faveur de la réussite d’un programme, ou au contraire les points faibles semblant réduire son efficacité (Tab. 1 et 2).
ments traditionnels et abordables financièrement. Nous allons développer ce dernier point à partir de pratiques quotidiennes.
Les meilleurs résultats en termes d’adhésion des patients et d’efficacité métabolique sont constatés chez des minorités avec barrière de la langue et accès spontanément limités aux programmes d’éducation thérapeutique. Ceci sous réserve d’un intervenant de même origine ethnique (patient ressource ?) et de messages “culturellement acceptables”. L’éducation diététique doit privilégier les ali-
Spécificités chez les patientes précaires
Éducation diététique
La pierre angulaire du traitement du DG est la diététique. Les dernières recommandations (4) confirment la nécessité d’apporter au moins 1 500 kcal/j au 1er trimestre, 1 800 kcal/j aux 2e et 3e trimestres pour répondre aux besoins énergétiques de la grossesse. Fractionner les repas et les enrichir en fibres permet de 197
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contrôler au mieux la glycémie postprandiale. La proportion de glucides dans l’apport calorique total se situerait entre 40 et 50 %, en privilégiant la consommation de glucides à index glycémique (IG) bas et en excluant les glucides à IG très élevé (sodas, sucre, sucreries). La pratique de l’autosurveillance glycémique guide le choix des aliments glucidiques. Ces notions théoriques sont impossibles à appliquer dans une population précaire. Concrètement, comme suggéré dans la première partie, la prise en charge diététique débute par une enquête alimentaire qui évalue les habitudes, les goûts, les coutumes et les apports caloriques afin d’adapter les conseils personnalisés. Il faut savoir créer un climat de confiance qui permettra d’évaluer les moyens financiers et leur impact sur la façon de se nourrir. Le statut socio-économique (5) et le niveau d’éducation (6) sont en effet des déterminants majeurs de consommation de fruits et légumes. Une récente enquête en Languedoc constate que l’alimentation des patientes diabétiques précaires est trop grasse et riche en calories (7). Les aliments gras et sucrés sont moins onéreux que les poissons ou viandes maigres, ou encore les fruits et légumes. De plus les repas sont souvent irréguliers, leur nombre quotidien varie en fonction de l’échéance des apports financiers. Les équivalences glucidiques ne sont pas respectées. La composition des repas dépend des aliments “présents dans les placards”, les réserves pouvant se limiter “à un paquet de pâtes pour finir le mois”… Les croyances en termes de prise de poids pendant la grossesse ou de poids de naissance de l’enfant 198
Tableau 1 – Critères d’efficacité d’un programme d’éducation thérapeutique adapté à la culture des patientes. Preuves les plus évidentes
L’usage de la langue maternelle et des interventions adaptées à la culture crée un environnement d’apprentissage positif Les travailleurs sociaux de communautés immigrées contribuent plus à faire le lien avec les personnes défavorisées ou les minorités ethniques difficiles à toucher qu’à dispenser des connaissances ou de l’éducation Les séances moins formelles et individuelles sont une meilleure approche pédagogique que les séances formelles ou collectives standardisées Les interventions sont plus efficaces dans les communautés ethniques où les besoins en soins diabétologiques ne sont pas satisfaits
Preuves moins évidentes
La promotion d’aliments adaptés à la culture, en utilisant des ingrédients locaux renforce l’intérêt pour le programme L’intervention éducative à court terme ne peut prétendre avoir un impact sur les comportements de santé à long terme Les incitations financières ou autres (par exemple don d’un podomètre) aident à fidéliser les participants au programme
Possibles voies de recherche susceptibles d’être testées
Est-ce que les programmes de modifications de comportements adaptés culturellement et menés sur le long terme peuvent réduire les inégalités en termes de santé dans le diabète ? Quelles caractéristiques des participants sont associées aux succès des résultats ? Comment intégrer les programmes spécifiques à l’existant en termes de ressources locales de prise en charge du diabète ?
Tableau 2 – Critères qui semblent réduire l’efficacité d’un programme d’éducation thérapeutique adapté à la culture des patientes. L’existence d’autres programmes d’intervention “standard” sur le diabète perturbe l’adhésion au programme “culturellement” adapté et réduit son efficacité L’absence de randomisation dans la sélection des patients peut réduire l’efficacité des interventions d’éducation (biais de sélection) Une recommandation de régimes alimentaires “inabordables” ou d’activité physique inappropriée peut nuire à l’acceptation et à l’appropriation du programme
sont à prendre en compte pour définir des objectifs partagés. Selon le contexte socioculturel, les notions de “régime”, de prise ou de perte de poids, ne sont pas perçues de la même façon. La prise de poids est, pour certaines, associée à la réussite sociale, et peut
traduire pendant la grossesse une certaine “plénitude”. Pour les patientes comoriennes, par exemple, qui représentent 10 % de la population marseillaise, les 40 jours après l’accouchement seront consacrés “à remplir le vide”. La famille et l’entourage Diabète & Obésité • Juin 2013 • vol. 8 • numéro 70
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Figure 2 – Livret d’éducation. Fiche “équivalences glucidiques”.
Figure 1 – Livret d’éducation. Fiche “équilibre alimentaire”.
doivent s’occuper du nouveau-né et apporter une alimentation riche et abondante à la jeune maman qui se repose et se nourrit. Ainsi, une perte de poids peut être mal vécue, renvoyant l’image de la maladie ou de vie sociale “négative”. Fort de “cette connaissance de l’autre”, le soignant doit, malgré le contexte, transférer des connaissances et tenter de modifier les comportements alimentaires dans la mesure du possible.
Un exemple d’outil d’éducation diététique adapté aux patientes comoriennes
Pour une prise en charge thérapeutique adaptée et plus performante, un outil a été créé afin de permettre aux femmes comoriennes présentant un diabète gestationnel de mieux comprendre et de s’approprier les recommanDiabète & Obésité • Juin 2013 • vol. 8 • numéro 70
dations médicales et diététiques pour la meilleure observance possible, tout en respectant les traditions et les impératifs financiers. Il s’agit d’un livret éducatif bilingue français-comorien, imagé et élaboré sous forme de fiches indépendantes (8) (Fig. 1). Elles abordent les notions à connaître sur le diabète gestationnel, la technique d’autosurveillance glycémique et d’injection d’insuline et les conduites à tenir en cas d’hypoglycémie lors d’une insulinothérapie. Les fiches diététiques illustrent l’équilibre alimentaire et les équivalences glucidiques des aliments les plus consommés (manioc, bananes vertes, fruits, etc.) (Fig. 2 et 3). Cet outil facilite la communication entre les patientes et les soignants mais ne peut se substituer au soutien psychosocial… Lorsque l’équilibre alimentaire ne peut
Figure 3 – Livret d’éducation. Fiche “équivalences en fruits”.
être atteint, l’insulinothérapie, “en fonction des besoins” devient parfois la solution pour limiter les excursions glycémiques de repas irréguliers, souvent hyperglucidiques et lipidiques, sous réserve d’une éducation de qualité concernant l’insulinothérapie, malgré les difficultés liées au contexte. Paradoxalement, pour les plus démunies, l’insulinothérapie est quel199
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quefois moins compliquée que l’équilibre alimentaire.
Activité physique adaptée
L’activité physique (AP) associée à la diététique a montré son efficacité pour la prévention du diabète de type 2 après DG (9). Les patientes précaires sont très souvent sédentaires. Elles n’ont pas accès aux salles de sport, ce n’est ni dans leur culture, ni dans leurs moyens. Seules les AP quotidiennes de la vie courante (domestiques, de transport) sont pratiquées. Ces femmes se trouvent souvent isolées, sortent peu de chez elles, coupées des relations sociales par la barrière de la langue. Pour envisager un programme de prévention de DT2 après DG, dans les 3 mois post-partum, il fallait intégrer les problèmes de garde d’enfants, en particulier la garde du dernier né. Pour répondre à cet impératif, nous avons mis en place le concept de “gym-poussette”, intégré à un programme d’éducation thérapeutique autorisé et financé par l’ARS au sein de l’Assistance publique de Marseille. Des groupes de jeunes mamans peuvent assister à ces séances d’Activités physiques adaptées (APA) en compagnie de
leurs bébés, après la période de rééducation périnéale. Une relation a pu s’établir durant la grossesse, permettant d’espérer poursuivre les actions dans le post-partum pour faire découvrir les bienfaits de l’AP, en ayant cependant conscience des difficultés d’adhésion des patientes (10). Les objectifs de ce programme sont basés sur les principales attentes des jeunes mamans : - retrouver une condition physique (raffermir la sangle abdominale, la poitrine et les bras, éviter les lombalgies, etc.) ; - augmenter la résistance et la capacité de récupération ; - évacuer l’anxiété ; - prendre du temps pour soi et sortir d’un isolement quotidien. En prenant en compte les principales modifications corporelles dues à la grossesse : - prise de poids ; - modifications morphologiques et ostéoligamentaires (antéversion du bassin/hyperlordose lombaire) ; - modifications cardiovasculaires (augmentation du débit et de la fréquence cardiaque) ; - modifications respiratoires (augmentation de la fréquence respiratoire/diminution des capacités). Ainsi, est recherché un renforcement musculaire [muscles pos-
turaux et stabilisateurs (dorsaux profonds ou spinaux), abdominaux profonds (transverses), obliques et grand droit, muscles de la poitrine, fessiers, adducteurs, ischio-jambiers]. Un travail respiratoire et de concentration est complémentaire des exercices précédents pour tenter d’évacuer stress et tensions. De même que des exercices cardiovasculaires de type aérobie. Ces séances d’APA permettent aux patientes de recommencer à bouger, de retrouver une bonne condition physique, tout en tissant des liens sociaux avec leur enfant, mais aussi avec d’autres mamans, pour sortir de l’isolement.
Conclusion
La spécificité de l’éducation durant la grossesse est que l’atteinte de l’objectif d’équilibre glycémique optimal doit être rapide, malgré les difficultés liées au contexte de précarité, pour espérer réduire la morbidité fœto-maternelle. Une adaptation des programmes, et en particulier des outils, est indispensable pour les rendre “culturellement appropriés”. n
Mots-clés : Précarité, Migrants, Grossesse, Diabète gestationnel, Éducation, Diététique, Activité physique
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