À savoir
La boucle fermée en 2013 Où en sommes-nous ? n Pour améliorer la qualité de vie des patients diabétiques, la boucle fermée (ou pancréas artificiel) est en cours de développement. Le Pr Eric Renard (CHU de Montpellier) nous aide à y voir plus clair sur cette nouvelle révolution.
Diabète & Obésité : Quels sont les objectifs, définitions et composantes de la boucle fermée ? Pr Eric Renard : L’objectif général est de maintenir la
glycémie la plus proche de la norme, le plus longtemps possible, au quotidien. Pour l’instant, les objectifs des traitements du diabète sont fondés essentiellement sur l’hémoglobine glyquée, ce qui est une approche un peu simpliste puisque l’un des problèmes des diabétiques de type 1, c’est la variabilité glycémique. C’est-à-dire qu’un patient peut avoir une bonne hémoglobine glyquée mais être souvent en hyper et en hypoglycémie. Le but de la boucle fermée est donc, non seulement d’avoir une bonne hémoglobine glyquée, mais surtout de passer le plus de temps possible dans une fourchette proche de la norme, c’est-à-dire entre au moins 0,70 et 1,80 g/L et si possible entre 0,80 et 1,40 g/L. Les moyens utilisés sont le couplage d’un système d’administration de l’insuline en continu (une pompe) avec un système de mesure du glucose en continu (capteurs sous-cutanés) et l’automatisation de l’ensemble. Le but est que la mesure du glucose en continu puisse régler le débit de la pompe non seulement en fonction de la glycémie du moment mais aussi en prévoyant l’évolution de la glycémie au vu de l’insuline administrée et de diverses informations qui vont être fournies par le patient (prise d’un repas, exercice physique, etc.). C’est ce que l’on appelle l’algorithme, une formule mathématique qui calcule la quantité d’insuline nécessaire en fonction de la glycémie actuelle et des prévisions concernant l’évolution de cette dernière.
D&O : Quelle est la différence par rapport à la boucle ouverte ? Pr E.R. : Le patient ne modifie pas directement la perfusion d’insuline. Dans la boucle ouverte c’est le patient qui a l’information et qui, au vu de l’information,
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prend la décision concernant le réglage de sa pompe. C’est-à-dire que la pompe n’est pas réglée automatiquement, c’est le patient qui doit prendre la décision finale, ce n’est pas un rétrocontrôle direct. Dans les boucles fermées, les patients sont quand même présents puisqu’ils doivent être capables de vérifier que le système fonctionne correctement. Il peut éventuellement y avoir des alertes indiquant que, malgré l’automatisation, il y a un risque important de sortie de la zone normale et, à ce moment-là, les patients peuvent être amenés à intervenir. Ils n’interviennent donc qu’à la marge, c’est-à-dire quand le système automatisé ne fonctionne pas comme il faut ou alors pour aider à la prédiction parce que, par exemple, il est très difficile de prédire l’évolution glycémique dans les suites d’un repas. Le patient va alors intervenir pour enrichir l’information du système en indiquant qu’il va manger tant de glucides et, dans ce cas là, va permettre à l’algorithme d’améliorer sa prédiction. Donc “boucle fermée” ne veut pas dire que le patient n’intervient pas. Simplement, il n’intervient que dans certaines circonstances, soit quand il y a une alerte car la glycémie va sortir de la norme, soit parce qu’il y a un événement que le système ne peut pas prédire lui-même, comme la prise d’un repas ou une activité physique.
D&O : Quels sont les niveaux de preuve de l’efficacité par rapport à la boucle ouverte ? Pr E.R. : Pour l’instant, le niveau de preuve est tou-
jours limité à quelques jours puisqu’il n’y a pas eu de preuves de longue durée avec la boucle fermée. Les preuves ont d’abord été apportées dans un environnement particulier, hospitalier puisque la plupart des essais boucle fermée vs boucle ouverte ont été réalisés à l’hôpital, pour des durées toujours assez courtes (moins de 48 h). Les essais en question ont montré qu’il Diabète & Obésité • Juin 2013 • vol. 8 • numéro 70
La boucle fermée en 2013
y avait moins d’hypoglycémies, en particulier la nuit, et que le temps passé dans la zone proche de la norme était plus long avec la boucle fermée. Les derniers essais réalisés l’an dernier ont montré en plus, toujours en milieu hospitalier, que l’on pouvait améliorer la moyenne glycémique en boucle fermée par rapport à la boucle ouverte. C’est une information importante car la glycémie moyenne va définir l’hémoglobine glyquée. Donc, si l’on transpose ce que l’on peut faire sur 1 ou 2 jours à une durée de 8 semaines, la boucle fermée permettrait d’améliorer l’hémoglobine glyquée, par rapport à la boucle ouverte. On n’a jamais pu le faire jusqu’à maintenant puisqu’il n’y a jamais eu d’essais au long cours qui permettaient de juger l’effet sur l’hémoglobine glyquée, mais le fait d’améliorer la glycémie moyenne, c’est une étape importante. Pour les boucles fermées ambulatoires, c’est-à-dire en dehors de l’hôpital, pour l’instant il y a très peu d’expériences mais on a retrouvé, de la même façon, la réduction des hypoglycémies nocturnes et l’augmentation du temps passé proche de la norme. Les résultats des premiers essais en dehors de l’hôpital, en boucle fermée versus boucle ouverte, devraient arriver l’année prochaine dans les congrès et les publications.
D&O : Est-ce utilisable en ambulatoire ? Pr E.R. : Oui, maintenant on en a fait la preuve. On a
été les premiers à Montpellier et à Padoue (Italie) à montrer qu’un patient pouvait sortir de l’hôpital avec un système de boucle fermée, que c’était sûr et efficace et qu’il n’y avait pas de panne technique. Ou que, s’il y avait des pannes, elles étaient très rapidement résolutives et que ça n’entraînait pas de déviation glycémique dangereuse. On l’avait déjà publié pour les deux premiers patients mais ça va être publié dans Diabetes Care très prochainement : chez une vingtaine de malades qui ont fait ces essais en dehors de l’hôpital, en France, en Italie et aux États-Unis, la boucle fermée fonctionne sans problème technique 97 % du temps. Parfois il y a des ruptures de transmission, mais le malade peut la rétablir sans qu’il n’y ait de dommages. Donc, aujourd’hui, il n’y a plus d’obstacles à une utilisation ambulatoire de la boucle fermée. La question qui demeure est celle de la durée.
fonctionner avec des injections. Il faut avoir une capacité de gestion de l’information, notamment fournie par les capteurs de glucose, puisque la mesure continue, bien qu’elle s’améliore, reste encore imparfaite. Comme le patient a cette information en continu, il doit être capable de repérer les variations qui lui paraissent inadéquates ou inhabituelles. Si les capteurs fonctionnent mal, la glycémie va sembler brusquement baisser ou monter. Un patient qui se connaît et qui connaît les capteurs doit être capable d’intervenir pour recalibrer ou pour prévenir le système qu’il se passe quelque chose. Il faut aussi une certaine capacité de gestion de la plate-forme qui porte l’algorithme, qui se présente comme un smartphone. Il faut que le malade soit entraîné à l’hôpital (mais cela ressemble un peu à l’entraînement à l’utilisation d’une pompe), qu’il puisse comprendre ce qui est marqué à l’écran, que veulent dire les signaux d’alerte et ce qu’il peut et doit faire luimême, quand il doit demander l’assistance à l’hôpital. Donc il faut des patients qui acceptent bien leur maladie, qui ont une volonté d’améliorer leur contrôle, qui ont été formés et qui souhaitent être formés sur le plan technique. Le patient ne doit pas se dire : « C’est très bien, je n’aurai plus à gérer mon diabète et tout va se faire tout seul », car c’est faux. Il faut, au contraire, un patient très impliqué qui veut gérer les choses, ou les surveiller en tout cas, parce que le système, bien qu’en boucle fermée, a besoin de la vigilance du patient et parfois de sa participation, comme pour les repas par exemple. Pour conclure, la qualité de vie et le confort s’améliorent beaucoup, les patients ont enfin l’impression d’être soulagés de beaucoup des contraintes liées au diabète. Mine de rien, même des patients très performants disent que pour avoir de très bons résultats sans automatisation, cela nécessite de leur part beaucoup d’efforts donc de préoccupations, de soucis permanents. Là, ils sont contents de pouvoir se détendre parce que le système gère une grande part de leurs contraintes au quotidien. C’est donc un message plutôt positif. Au-delà de l’amélioration des résultats (moins d’hypoglycémies, plus de glycémies dans la norme), il y a aussi moins de charge thérapeutique sur le malade. n Propos recueillis par Caroline Sandrez
D&O : Est-ce pour tous les patients qui le demandent, ou y a-t-il des critères d’éligibilité ? Pr E.R. : Oui, il y a des critères d’éligibilité dont certains sont obligatoires. Premièrement, il faut utiliser une pompe à insuline puisque le système ne peut pas
Diabète & Obésité • Juin 2013 • vol. 8 • numéro 70
Mots-clés : Boucle fermée, Boucle ouverte, Automatisation, Ambulatoire
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