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Aggravation des lésions hépatiques chez les personnes obèses Rôle des médicaments Dr Bernard Fromenty*

Introduction L’obésité et l’insulinorésistance favorisent l’installation d’une stéatose hépatique qui se caractérise par l’accumulation dans les hépatocytes de lipides, principalement sous forme de triglycérides. Bien que cette hépatopathie dysmétabolique reste bénigne chez la plupart des patients, elle peut cependant évoluer chez 10 à 20 % des individus en stéatohépatite caractérisée par la présence d’une nécro-inflammation et d’une fibrose plus ou moins extensive. Il est à noter que les Anglosaxons regroupent ces pathologies hépatiques liées à l’obésité sous le terme Nonalcoholic Fatty Liver Disease (NAFLD). La prévalence de ces hépatopathies dysmétaboliques peut atteindre jusqu’à 20 % dans la population générale chez les adultes (1) et 10 % chez les enfants et les adolescents (2).

A

fin de traiter les différentes pathologies dysmétaboliques liées à l’obésité, les patients obèses consomment en moyenne plus de médicaments que les personnes non obèses (3-4). Cette surconsommation de médicaments pose

*INSERM, U991, Université de Rennes 1  bernard.fromenty@inserm.fr

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un autre problème médical, en particulier pour les hépatologues, puisque de nombreux médicaments sont capables d’induire des lésions hépatiques (5-6). De plus, il existe un nombre croissant de données cliniques et expérimentales indiquant que l’obésité et les hépatopathies associées peuvent augmenter le risque de lésions hépatiques d’origine médicamenteuse, au moins pour certaines molécules (7-9). Ainsi, les patients obèses pourraient être plus enclins à développer des lésions hépatiques en conséquence de la surconsommation de médicaments et une susceptibilité intrinsèque de leur foie à une hépatotoxicité médicamenteuse. Il est nécessaire cependant de souligner que la sensibilité accrue du foie des sujets obèses ne se limite pas aux médicaments. En effet, des investigations cliniques et expérimentales suggèrent que d’autres xénobiotiques peuvent aggraver les hépatopathies dysmétaboliques liées à l’obésité. On peut citer l’exemple de l’alcool éthylique (10-12) et de certains produits toxiques issus des industries chimiques (13-15). Ainsi, le foie du sujet obèse semble particulièrement sensible vis-àvis de l’hépatotoxicité de certains xénobiotiques, que cela soit des médicaments, des contaminants de l’environnement ou de l’alcool. En fait, cette hépatotoxicité pourrait se révéler chez les patients

obèses lors de deux situations cliniques distinctes. En effet, certains xénobiotiques semblent aggraver la stéatose hépatique (ou la stéatohépatite) préexistante (Fig. 1A), alors que d’autres pourraient induire plus fréquemment une hépatite aiguë, ou être responsables d’une cytolyse hépatique aiguë plus sévère (Fig. 1B). Avant d’aborder ces différentes situations et les principaux mécanismes impliqués, il est important cependant de faire quelques rappels sur la physiopathologie des hépatopathies liées à l’obésité.

Rappels sur la physiopathologie des maladies du foie liées à l’obésité Au cours de l’obésité, un facteur jouant un rôle majeur dans l’apparition de la stéatose hépatique est la résistance à l’insuline qui apparaît notamment dans les muscles squelettiques et le tissu adipeux (16-17). En effet, cet état dysmétabolique est accompagné d’une hyperinsulinémie compensatrice qui va stimuler dans le foie la lipogenèse de novo, c’est-à-dire la synthèse des acides gras à partir des glucides tels que le glucose et le fructose. Une fois synthétisés, ces acides gras sont principalement estérifiés sous forme de triglycérides qui sont ensuite exportés des hépatocytes sous forme de VLDL (Very-Low-Density Lipoprotein), Diabète & Obésité • Janvier 2014 • vol. 9 • numéro 75


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ou stockés dans le cytoplasme sous forme de gouttelettes lipidiques (16, 18). Cette lipogenèse est contrôlée dans le foie par différents facteurs de transcription tels que SREBP1c (Sterol Regulatory Element-Binding Protein 1c) et PPAR-γ (Peroxisome Proliferator-Activated Receptor-γ). En effet, ces facteurs de transcription contrôlent l’expression de nombreuses enzymes glycolytiques et lipogéniques (1617, 19).

Figure 1 – A. Aggravation des hépatopathies liées à l’obésité par les médicaments. Certains médicaments peuvent aggraver la stéatose dysmétabolique en inhibant l’oxydation des acides gras, en favorisant la lipogenèse de novo (i.e. la synthèse des lipides à partir des glucides), ou en réduisant la sécrétion des lipoprotéines VLDL (non indiqué). Ces effets métaboliques ont tous pour conséquence d’augmenter les quantités de lipides dans le foie, principalement sous forme de triglycérides. Certains médicaments peuvent de plus accélérer la progression de la stéatose en stéatohépatite non alcoolique (NASH), notamment en favorisant la production d’espèces réactives de l’oxygène (ERO) et ainsi un stress oxydant. Cette surproduction d’ERO par les médicaments peut être la conséquence d’une réduction des stocks intrahépatiques de glutathion (qui sont préalablement diminués dans un contexte d’hépatopathie dysmétabolique), ou d’une inhibition de l’activité de la chaîne respiratoire mitochondriale (CRM). B. Hépatotoxicité aiguë des médicaments dans un contexte d’obésité. Dans un contexte d’obésité et d’hépatopathies associées, certains médicaments peuvent entraîner plus fréquemment une cytolyse hépatique aiguë, ou induire une cytolyse plus sévère. Cela peut être la conséquence d’une augmentation de la production de métabolites réactifs toxiques liée à l’induction de certains cytochromes P450 (CYP) au sein des hépatocytes stéatosiques. De plus, une réduction préalable des stocks de glutathion liée à la stéatose peut diminuer les capacités des hépatocytes à détoxifier ces métabolites réactifs. Produits en plus grande quantité, ces métabolites réactifs cytotoxiques induisent une surproduction d’espèces réactives de l’oxygène (ERO), en particulier en altérant l’activité de la chaîne respiratoire mitochondriale (CRM). Ces événements délétères entraînent un stress oxydant et une réduction des stocks cellulaires d’ATP, favorisant ainsi l’apparition d’une cytolyse hépatique sévère. Diabète & Obésité • Janvier 2014 • vol. 9 • numéro 75

La résistance à l’insuline dans le tissu adipeux a également comme conséquence une stimulation de l’hydrolyse des triglycérides en acides gras libres (i.e. lipolyse) qui se retrouvent en plus forte quantité dans le plasma et pénètrent librement dans le foie (16-17, 19). Dans les hépatocytes, ces acides gras issus de la lipolyse périphérique sont ensuite estérifiés en triglycérides de la même façon que les acides gras synthétisés par l’intermédiaire de la lipogenèse de novo. Il est à noter également que lorsqu’un diabète de type 2 s’installe, l’hyperglycémie est capable d’activer le facteur de transcription ChREBP (Carbohydrate-Responsive Element-Binding Protein), stimulant alors encore plus la lipogenèse de novo (16-17, 19). Comme il a été mentionné précédemment, la stéatose hépatique peut progresser chez environ 10 à 20 % des patients obèses en stéatohépatite non­alcoolique (nonalcoholic steatohepatitis ou NASH pour les Anglo-saxons). Cette lésion hépatique est potentiellement sévère dans la mesure où elle peut évoluer en cirrhose, une pathologie qui favorise la survenue d’un cancer du foie (20). Un facteur jouant un rôle majeur dans cette progression est la surproduction d’espèces réactives de l’oxygène (ERO) telles 3


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que l’anion superoxyde et le peroxyde d’hydrogène, responsables de l’apparition d’un stress oxydant dans les hépatocytes stéatosiques. Cette production d’ERO s’effectue par l’intermédiaire de différents mécanismes, en particulier via la stimulation de l’oxydation des acides gras au niveau mitochondrial et peroxysomal, et l’induction du cytochrome P450 2E1 (CYP2E1) (8, 17, 21). Il est à noter que le CYP2E1 est capable de produire des ERO (à l’état basal) et des métabolites réactifs (en présence de certains xénobiotiques), non seulement dans le réticulum endoplasmique mais également au sein des mitochondries, ce qui peut avoir des conséquences délétères majeures pour la production mitochondriale d’énergie et la vie cellulaire (8, 22). De plus, au cours des hépatopathies dysmétaboliques, une moindre détoxication des ERO peut survenir, en particulier du fait d’une diminution des concentrations cytosoliques et mitochondriales de glutathion, une molécule endogène jouant un rôle majeur dans la lutte contre le stress oxydant (17, 23). Cette surproduction d’ERO est responsable secondairement de diverses altérations moléculaires au niveau des hépatocytes telles que des dommages à l’ADN et une peroxydation des lipides qui est à l’origine de la génération de molécules aldéhydiques toxiques telles que le malondialdéhyde et le 4-hydroxynonénal (21, 24). La surproduction des ERO et des aldéhydes toxiques contribue alors à la survenue de la mort cellulaire par nécrose (ou apoptose) d’une fraction plus ou moins importante d’hépatocytes, responsable d’une cytolyse et de la libération des transaminases hépatocytaires dans la circulation générale. Le stress 4

oxydant et la peroxydation lipidique participent également à la survenue de l’inflammation et de la fibrose. Ces lésions hépatiques sont également la conséquence d’une surproduction de diverses cytokines, ayant en particulier des effets pro-inflammatoires (e.g. TNFa et IL1b) et profibrotiques (e.g. TGFb) (17, 19). Enfin, il est à noter que des prédispositions génétiques peuvent favoriser la survenue d’une stéatose chez certains individus, ou bien l’évolution plus fréquente de cette lésion en stéatohépatite non alcoolique. Ces prédispositions génétiques sont liées à la présence de différents polymorphismes dans des gènes jouant un rôle important dans le métabolisme lipidique, le stress oxydant ou la production des cytokines pro-inflammatoires et profibrotiques (25).

Aggravation par les médicaments des maladies du foie liées à l’obésité Les médicaments qui peuvent aggraver la stéatose dysmétabolique chez les patients obèses sont le tamoxifène, le raloxifène, l’irinotécan, le méthotrexate et les analogues nucléosidiques antirétroviraux comme la stavudine et la didanosine (Tab. 1) (7, 9, 26-29). Il est important de noter que ces médicaments sont souvent des molécules administrées pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, favorisant ainsi leur toxicité à long terme. L’aggravation des hépatopathies dysmétaboliques a également été documentée expérimentalement dans différents modèles animaux d’obésité avec d’autres médicaments tels que la rosiglitazone, la tétracycline, le phénobarbital et la pentoxifylline (Tab. 1) (7, 9, 30-31). Il est nécessaire

de souligner que la liste des médicaments présentés dans le tableau 1 est vraisemblablement temporaire, et ainsi cette liste devrait s’étoffer dans les années à venir. En effet, l’hépatotoxicité des médicaments dans le contexte de l’obésité suscite une inquiétude croissante, mais qui est somme toute assez récente (7, 9). Les travaux expérimentaux suggèrent que l’aggravation de la stéatose dysmétabolique par les médicaments pourrait s’expliquer par différents mécanismes (Fig. 1A). 1. Premièrement, ils peuvent altérer des voies métaboliques intrahépatocytaires liées au métabolisme des lipides, et en particulier : a) activer la lipogenèse (e.g. rosiglitazone, pentoxifylline, tamoxifène) ; b) inhiber la b-oxydation mitochondriale des acides gras (e.g. analogues nucléosidiques antirétroviraux, tamoxifène, raloxifène) ; c) perturber la sécrétion des lipoprotéines VLDL (e.g. tétracycline) (7, 9, 32). Concernant l’activation de la lipogenèse par les médicaments, il est à noter que plusieurs facteurs de transcription peuvent être impliqués tels que SREBP1c, ChREBP, PPAR-γ et PXR (Pregnane X Receptor) (7, 9, 31). En ce qui concerne l’inhibition de la b-oxydation mitochondriale des acides gras, elle peut être la conséquence d’un effet direct (inhibition d’enzymes de la b-oxydation), ou indirect (inhibition de la chaîne respiratoire mitochondriale) (7, 33). Étant donné que la stimulation de l’oxydation des acides gras est une adaptation métabolique essentielle au cours des stéatoses liées à l’obésité afin de limiter l’accumulation des graisses hépatiques (17, 34), toute entrave à cette adaptation peut considérablement aggraver Diabète & Obésité • Janvier 2014 • vol. 9 • numéro 75


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Tableau 1 - Médicaments susceptibles d’aggraver les hépatopathies dysmétaboliques, ou d’induire plus fréquemment une hépatite cytolytique aiguë dans un contexte d’obésité. Médicaments

Classes thérapeutiques

Susceptibles d’aggraver une hépatopathie dysmétabolique préexistante Analogues nucléosidiques (e.g. stavudine, didanosine) Corticoïdes* Inhibiteurs de protéase antirétroviraux (e.g. ritonavir) Irinotécan Méthotrexate Pentoxifylline Phénobarbital Raloxifène Rosiglitazone Tamoxifène Tétracycline

Antirétroviraux Anti-inflammatoires Antirétroviraux Anticancéreux Immunosuppresseur, antimétabolite Anti-ischémique, anti-TNFa Antiépileptique Anti-ostéoporotique Antidiabétique (agoniste PPARg) Anticancéreux Antibiotique

Susceptibles d’induire plus fréquemment une hépatite aiguë dans un contexte d’obésité Fosinopril Halothane Halopéridol Isoflurane Losartan Oméprazole Paracétamol Pipéracillin-Tazobactam Télithromycine Ticlopidine

Antihypertenseur Anesthésique volatil Neuroleptique Anesthésique volatil Antihypertenseur Antiulcéreux Analgésique Antibiotiques Antibiotique Antiagrégant plaquettaire

*Les médicaments indiqués en italique ont été étudiés lors d’investigations expérimentales sur différents modèles animaux d’obésité et de stéatose hépatique.

la stéatose hépatique dysmétabolique. Enfin, il est à noter que l’inhibition de la sécrétion des VLDL par les xénobiotiques est également susceptible d’empêcher une deuxième adaptation métabolique majeure (17, 35). La réduction de la sécrétion hépatique des VLDL par les médicaments peut être la conséquence d’une inhibition de l’enzyme MTP (Microsomal Triglyceride Transfer Protein), ou d’une altération de la synthèse de l’apolipoprotéine B100 (17, 36). 2. Deuxièmement, certaines molécules sont susceptibles d’aggraver la stéatose hépatique dysmétabolique en majorant la résistance à l’insuline liée à l’obésité. En effet, Diabète & Obésité • Janvier 2014 • vol. 9 • numéro 75

l’aggravation de l’insulinorésistance est associée à une majoration de l’hyperinsulinémie et des taux circulants d’acides gras libres (cf. ci-dessus), ce qui exacerbe l’accumulation des graisses hépatiques (9). Ainsi, des effets métaboliques délétères au niveau extrahépatique peuvent se répercuter secondairement sur le foie. Les médicaments connus pour déclencher (ou majorer) une insulinorésistance sont par exemple les corticoïdes, des neuroleptiques (e.g. clozapine, olanzapine), certains antirétroviraux de la famille des analogues nucléosidiques (e.g. stavudine, didanosine) ou des inhibiteurs de protéases (e.g. ritonavir), et des diurétiques thiazi-

diques (e.g. hydrochlorothiazide) (7, 9, 26-28, 37-38). Il est important de noter que certains médicaments seraient non seulement capables de majorer la stéatose dysmétabolique mais également d’accélérer la progression de la stéatose en NASH, ou d’aggraver la NASH préexistante (Fig. 1A). C’est par exemple le cas des analogues nucléosidiques antirétroviraux, de l’irinotécan, du tamoxifène et du méthotrexate (9, 26-28, 39). L’intoxication alcoolique est également connue pour aggraver les hépatopathies dysmétaboliques (10-12). Il est vraisemblable que cette accélération de la progression de la stéatose en 5


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NASH par les médicaments soit liée, au moins en partie, à la surproduction d’ERO dans différents compartiments cellulaires et en particulier au niveau mitochondrial. Par exemple, les analogues nucléosidiques antirétroviraux et le tamoxifène sont capables d’altérer la chaîne respiratoire mitochondriale, ce qui a pour conséquence d’augmenter la production des ERO et d’induire un stress oxydant (7, 33, 40-41). Des investigations seraient nécessaires afin de savoir si, à l’instar de l’intoxication alcoolique (11-12), certains médicaments sont capables d’accélérer la progression de la stéatose en NASH en aggravant l’inflammation et en stimulant la production de cytokines pro-inflammatoires telles que le TNFa.

Hépatites aiguës induites par les médicaments dans un contexte d’obésité Les médicaments actuellement connus pour induire des hépatites aiguës plus sévères (et plus fréquemment) chez les personnes obèses sont l’halothane, l’isoflurane et le paracétamol (8-9, 42). Parmi ces trois médicaments, seul le paracétamol a fait l’objet de différentes études expérimentales in vitro et in vivo afin de mieux connaître les mécanismes impliqués (43-46). Une étude clinique a également rapporté des hépatites aiguës plus fréquentes dans un contexte de stéatose dysmétabolique avec d’autres médicaments tels que le losartan, la ticlopidine et l’oméprazole (Tab. 1) (47). Cependant, aucune investigation expérimentale n’a été réalisée avec ces différentes molécules. Au moins deux mécanismes pourraient expliquer la fréquence et 6

la sévérité plus importantes des hépatites aiguës chez les individus obèses exposés à certains xénobiotiques (Fig. 1B). 1. Un premier mécanisme semble être l’augmentation de l’activité de plusieurs CYP, ce qui peut favoriser la production de métabolites toxiques dérivés de certains médicaments. En effet, une activité plus forte de CYP1A2, CYP2C9, CYP2D6 et CYP2E1 a été documentée chez les personnes obèses (8, 48). Une plus grande activité du CYP2E1 pourrait expliquer pourquoi les médicaments tels que l’halothane et le paracétamol sont plus hépatotoxiques dans le cadre de l’obésité et des hépatopathies dysmétaboliques. En effet, le CYP2E1 transforme l’halothane et le paracétamol respectivement en chlorure de trichloroacétyle et en N-acétyl-p-benzoquinone imine (NAPQI), des métabolites réactifs extrêmement toxiques pour l’hépatocyte. Lorsque ces métabolites réactifs sont produits en excès, ils peuvent en effet induire une déplétion profonde en glutathion (qui est “séquestré” par les métabolites), un stress oxydant majeur, des dysfonctions mitochondriales et une cytolyse hépatique (8, 44). Il est à noter cependant que le risque accru d’hépatite cytolytique sévère induite par le paracétamol chez les sujets présentant une hépatopathie dysmétabolique semble plus important dans le cadre d’un surdosage (4950). Toutefois, il est important de souligner que des doses thérapeutiques de cet antalgique peuvent entraîner des hépatites cytolytiques (51), et notamment chez des sujets obèses (52). 2. Un second mécanisme pourrait être la diminution des concentrations hépatiques du glutathion (en

particulier au niveau mitochondrial) qui peut être parfois observée au cours des hépatopathies liées à l’obésité (17, 23, 45, 53). En effet, la réduction préexistante des stocks de glutathion pourrait amoindrir les capacités de détoxication des métabolites réactifs générés par les CYP (9). Il est cependant important de préciser que cette sensibilité accrue à l’hépatotoxicité n’est pas généralisable à tous les médicaments (9, 54). En particulier, il faut souligner que les hépatopathies dysmétaboliques sont caractérisées par une activité réduite de certains CYPs, et en particulier du CYP3A4 qui métabolise de nombreux médicaments (48, 55). De plus, certaines études expérimentales et cliniques ont montré que l’obésité était associée à une augmentation de l’activité de l’UDP-glucuronosyltransférase, ce qui peut favoriser la détoxication de certains médicaments (44, 48). Enfin, il est à noter qu’un sous-dosage est attendu avec des médicaments dont le dosage n’est pas adapté à l’indice de masse corporelle plus élevé chez le sujet obèse.

Conclusions et perspectives L’hépatotoxicité des médicaments dans un contexte d’hépatopathies dysmétaboliques est un sujet d’étude qui est assez récent et qui devrait se développer dans l’avenir étant donné la prévalence importante de l’obésité dans de nombreux pays. Il sera important de mieux identifier à l’avenir les molécules présentant des effets particulièrement nocifs chez des individus obèses, en particulier grâce aux réseaux de pharmacovigilance et à des études cliniques prospectives. Diabète & Obésité • Janvier 2014 • vol. 9 • numéro 75


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Il sera également nécessaire de sensibiliser les praticiens de ville à cette question afin qu’ils surveillent étroitement la fonction hépatique (transaminases en particulier) chez des patients obèses traités avec certains médicaments. Cela devrait permettre de détecter une éventuelle détérioration d’une hépatopathie dysmétabolique préexistante, et d’orienter le patient vers un service d’hépatologie pour effectuer des investigations complémentaires. Enfin, étant donné le rôle des susceptibilités génétiques dans la physiopathologie des hépatopathies dysmétaboliques d’une part (25) et des hépatites médicamenteuses d’autre part (56), il serait intéressant de déterminer si des polymorphismes génétiques pourraient favoriser l’aggravation des stéatopathies dysmétaboliques par certains médicaments.

D’un point de vue expérimental, il sera important d’effectuer des recherches grâce à différents modèles in vivo et in vitro afin de tester les effets délétères des molécules suspectées comme particulièrement hépatotoxiques chez les sujets obèses. Les travaux sur les modèles animaux d’obésité et d’hépatopathies associées sont importants car ils peuvent permettre de découvrir des effets métaboliques “extrahépatiques” qui n’auraient pas pu être observés sur des modèles cellulaires in vitro (31). Cependant, les investigations in vitro sont plus adaptées pour l’étude par screening des effets potentiellement délétères d’un grand nombre de molécules (6, 57). De plus, ces travaux in vitro permettent de mieux comprendre les mécanismes moléculaires par lesquels certaines molécules peuvent plus particulièrement altérer les fonctions et la viabilité

des hépatocytes stéatosiques. Par exemple, nous avons récemment montré que des médicaments comme le diclofenac et l’ibuprofène pouvaient inhiber la b-oxydation mitochondriale des acides gras de façon plus intense lorsque les mitochondries étaient isolées à partir de foies stéatosiques (58). Ainsi, cliniciens et chercheurs doivent travailler de concert afin d’identifier les médicaments capables d’aggraver les hépatopathies dysmétaboliques chez les patients obèses et de déterminer les mécanismes impliqués grâce à des modèles expérimentaux pertinents. n Conflits d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts direct en rapport avec ce texte.

Mots-clés : Obésité, Foie, Stéatose, Médicaments, Hépatotoxicité, Stress oxydant

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Clinique

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