La prise en charge globale du patient diabétique
d www.diabeteetobesite.org
Diabète :
Médecine personnalisée, maladie chronique Dans la maladie chronique, la coordination des soins, c’està-dire l’intervention de multiples professionnels de santé autour d’un même malade et dans le même temps, et l’éducation thérapeutique sont deux éléments consubstantiels. Entretien avec le Pr Jacques Bringer
ZOOM SUR…
INTERSPÉCIALITÉS
EN PRATIQUE
Quelle place pour le chirurgien bariatrique dans la prise en charge de l’obésité ?
Traitement du diabète de type 2 en périopératoire de la chirurgie de l’obésité
Prise en charge des neuropathies périphériques après chirurgie bariatrique
Dr Philippe Marre
Dr Cécile Ciangura, Dr Timothée Lenglet
Dr Ana Estrade
PSYCHOLOGIE
MISE AU POINT
Les TCA avant et après chirurgie bariatrique
Chirurgie de l’obésité et diabète de type 2 : quoi de neuf ?
Brigitte Quintilla
Pr Patrick Ritz
Février 2014 • Volume 9 • n° 76 • 9 E
La pris e e n c h ar g e g l o ba l e d u pa t i e n t diab é t i q u e
• Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Directrice du développement : Valérie Belbenoît • Directrice de la Rédaction : Odile Mathieu • Rédactrice : Caroline Sandrez • Secrétaire de rédaction : Fanny Lentz • Directrice de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette et illustrations : Erica Denzler, Antoine Orry • Directrice de clientèle/projets : Catherine Patary-Colsenet • Service abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 2, avenue Berthelot – ZAC de Mercières BP 60524 – 60205 Compiègne cedex
sommaire
Février 2014 • Vol. 9 • N° 76
www.diabeteetobesite.org
n zoom sur
La prise en charge pluridisciplinaire de l’obésité De l’incantation réglementaire à la réalité de terrain, quelle place pour le chirurgien bariatrique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 34 Dr Philippe Marre (Le Port-Marly)
n mise au point
Chirurgie de l’obésité et diabète de type 2 Quoi de neuf au cours de ces 3 dernières années ? . . . . . . . . . . . . . . . p. 39 Pr Patrick Ritz (Toulouse)
Comité de lecture Rédacteur en chef “Obésité” : Pr Patrick Ritz (Toulouse) Rédacteur en chef “Diabète” : Dr Saïd Bekka (Chartres) Pr Yves Boirie (Clermont-Ferrand) Pr Régis Coutant (Angers) Pr Jean Doucet (Rouen) Pr Pierre Gourdy (Toulouse) Pr Véronique Kerlan (Brest) Dr Sylvie Picard (Dijon) Dr Helen Mosnier Pudar (Paris) Dr Caroline Sanz (Toulouse) Dr Anne Vambergue (Lille)
n Profession Médecine personnalisée, maladie chronique Quels sont les enjeux ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 43
Pr Jacques Bringer (Montpellier-Nîmes)
n interspécialités
En périopératoire de la chirurgie de l’obésité Traitement du diabète de type 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46
Dr Ana Estrade (Toulouse)
Comité Scientifique Pr Bernard Bauduceau (Paris) Pr Rémy Burcelin (Toulouse) Pr Bertrand Cariou (Nantes) Pr François Carré (Rennes) Pr Bernard Charbonnel (Nantes) Dr Xavier Debussche (Saint-Denis, Réunion) Pr Jean Girard (Paris) Pr Alain Golay (Genève) Pr Hélène Hanaire (Toulouse) Dr Michel Krempf (Nantes) Pr Michel Pinget (Strasbourg) Pr Paul Valensi (Bondy) Diabète & Obésité est une publication © Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai • 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : diabete@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 ISSN : 1957-5238 N° de Commission paritaire : 1013 T 88454 Prix au numéro : 9 F. Mensuel : 10 numéros par an. Les articles de “Diabète & Obésité” sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
n en pratique
Neuropathies périphériques après chirurgie bariatrique Comment les prévenir et les prendre en charge ? . . . . . . . . . . . . . . . . p. 50
Dr Cécile Ciangura, Dr Timothée Lenglet (Paris)
n psychologie Les troubles du comportement alimentaire Avant et après la chirurgie bariatrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 56
Brigitte Quintilla (Toulouse)
n Agenda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 38 n Bulletin d’abonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 42
Assemblés à cette publication : 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages). Cette publication comporte une surcouverture Abbott Diabetes Care (½ page). Photo de couverture : © mathisworks - iStock.
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La prise en charge pluridisciplinaire de l’obésité De l’incantation réglementaire à la réalité de terrain, quelle place pour le chirurgien bariatrique ? Dr Philippe Marre*
Introduction L’obésité est devenue une cause de santé publique majeure mobilisant les professionnels de santé et les pouvoirs publics depuis une dizaine d’années, sa prévalence ayant doublé en seize ans, de 1997 à 2013, et concernant 15 % de la population française adulte (1). Après les équipes pionnières il y a une trentaine d’années, seuls quelques chirurgiens viscéraux isolés s’y intéressaient depuis une quinzaine d’années avec de grandes difficultés à mobiliser les spécialistes des autres disciplines. Depuis une dizaine d’années, l’obèse n’est plus systématiquement stigmatisé par les professionnels de santé dont le regard sur sa maladie évolue, parallèlement à celui de la famille, du monde du travail et de la société dans son ensemble. Le discours administratif et médical s’est structuré autour d’une maladie chronique s’avérant très complexe. Initialement isolé face à cette maladie, le chirurgien viscéral, appelé maintenant chirurgien bariatrique, est devenu un acteur parmi les autres au sein d’une équipe pluridisciplinaire intervenant dans la décision thérapeutique dans le cadre des Réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) dans des centres labellisés locaux et régionaux.
L’obésité a longtemps été vécue comme une tare obligeant le patient à vivre caché pour ne pas subir le mépris des autres et notamment des médecins qui méconnaissaient sa maladie, se bornant à donner des conseils diététiques de bon sens (2). Les difficultés de la prise en charge nutritionnelle et psychologique entraînant de médiocres résultats expliquent cet abandon en raison de la complexité de la maladie, de la lenteur des progrès dans sa compréhension, sa connaissance et son traitement. Ce sont les raisons pour lesquelles les premiers vrais succès ont été obtenus par des équipes chirurgicales pionnières depuis une trentaine d’années, notamment en Amérique *CSO IDF Ouest, Le Port-Marly
34
© diego_cervo – iStock.
Rappel historique
du Nord [HESS, MARCEAU (3)] et en Europe [SCOPINARO (4)], avec des interventions chirurgicales modifiant le comportement alimentaire (restriction) ou ayant des conséquences nutritionnelles importantes (malabsorption).
À la fin du XXe siècle, en Europe et en Amérique du Nord, un plus grand nombre d’équipes chirurgicales se sont intéressées à l’obésité (notamment en France : Dargent à Lyon, Mouiel à Nice, Proye à Lille, Zimmerman à Marseille...) Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
La prise en charge pluridisciplinaire de l’obésité
Initialement isolé face à cette maladie, le chirurgien bariatrique est devenu un acteur parmi les autres au sein d’une équipe pluridisciplinaire intervenant dans la décision thérapeutique. s’entourant progressivement des conseils d’endocrinologues et de psychiatres dans des réseaux informels, peu à peu complétés par les nutritionnistes. Au début du XXIe siècle, l’augmentation de la prévalence de la maladie a conduit de nombreuses équipes chirurgicales viscérales à s’y intéresser, soulevant ainsi la question de l’implication nécessaire à la prise en charge globale de cette maladie chronique par les autres spécialistes médicaux.
L’obésité maladie L’obésité est pour l’essentiel une addiction dont la prévalence grandit à mesure que le niveau de vie s’élève. C’est une maladie de l’abondance. Cette addiction touche essentiellement les catégories les plus démunies de la société pour deux raisons : trop manger n’inquiète pas au début dans la mesure où l’alimentation est un besoin naturel et cette addiction est simple et peu onéreuse à satisfaire. Comme toutes les addictions, l’obésité se développe chez les personnalités fragiles aggravant la mauvaise image de soi, entraînant un sentiment de culpabilité. Ainsi se développe un cercle vicieux que seule une prise en charge efficace peut rompre. Les causes organiques, notamment endocriniennes sont rares (hypercorticisme). Les causes congénitales sont exceptionnelles (syndrome de PraderWilli). Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
La maladie débute à un âge variable, volontiers à la suite d’un événement traumatisant. Elle est souvent liée à des conflits familiaux dans un contexte d’éducation alimentaire inappropriée dès l’enfance. Si l’obésité est bien une maladie comportementale à son début, elle évolue rapidement vers l’organicité par structuration des troubles du comportement et modification du métabolisme lipidique, notamment de la cellule adipeuse (5). Le surpoids retentit progressivement gravement sur la santé du patient (troubles ostéo-articulaires, troubles respiratoires avec syndrome d’apnées du sommeil, diabète de type 2, dyslipidémie, troubles cardiovasculaires) diminuant sensiblement l’espérance de vie (diminution évaluée à une dizaine d’années). Cette dégradation est lente, rendant la maladie particulièrement difficile à prendre en charge au début, le patient n’éprouvant pas le besoin physique de se soigner et n’imaginant pas la dégradation potentielle ultérieure de sa santé, ce d’autant que le trouble comportemental est volontiers familial, donnant le sentiment que la dépendance à la nourriture est naturelle et inévitable. C’est le retentissement social aggravant le mal-être déjà évoqué qui est finalement la raison la plus fréquente de consulter une fois informé. Il est exceptionnel que le patient parvienne à maîtriser seul son addiction. C’est le sens et le rôle de la prise en
charge par l’équipe soignante et au premier chef de l’intervention chirurgicale bariatrique. Celle-ci est un tournant dans l’histoire du patient, vécue comme le début de sa reprise en main personnelle. Cette maladie comportementale au long cours demande à ce que l’intervention soit préparée par une éducation nutritionnelle et suivie par un accompagnement pluridisciplinaire, médical, psychologique et diététique, adapté à chaque patient.
La réglementation Fondée en 2004, la Haute autorité de Santé (HAS) a recommandé en 2009 les modalités souhaitables de prise en charge de l’obésité, modalités reprises par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) qui a précisé la nécessité d’obtenir une entente préalable pour toute intervention chirurgicale bariatrique (6). Cette obligation d’entente préalable est valable en cas de réintervention en dehors de l’urgence (nécessité par exemple d’enlever un anneau modulable pour hernie gastrique tubérositaire au-dessus de celui-ci menaçant de se rompre, occlusion intestinale...). La HAS recommande l’étude des antécédents, l’évaluation de l’obésité et de l’histoire de la maladie, précisant notamment l’Indice de masse corporelle (IMC) et les complications éventuelles par le chirurgien, l’endocrinologue et/ ou le nutritionniste, le gastro-entérologue, le psychiatre, le pneumologue, l’appréciation de l’opérabilité du patient par l’anesthésiste et le cardiologue. Elle insiste sur l’éducation thérapeutique préopératoire de plusieurs semaines destinée à préparer le futur opéré à sa future situation alimentaire et 35
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digestive. La décision thérapeutique finale est prise en RCP, soit réelle en réunissant les différents spécialistes, soit virtuelle en utilisant les moyens modernes de communication et notamment la télémédecine en cours d’expérimentation. Lorsque le patient ne peut être opéré, soit qu’il ne soit pas opérable en raison d’une complication notamment cardiovasculaire, soit qu’il n’entre pas dans les critères d’opérabilité de la HAS (IMC supérieur ou égal à 40 ou à 35 en cas de comorbidités : diabète de type 2, hypertension artérielle, dyslipidémie, syndrome d’apnées du sommeil...), il est essentiel de prévoir une alternative de prise en charge purement médicale. Celle-ci est décevante car moins efficace que l’intervention chirurgicale bariatrique mais néanmoins indispensable, combinant de manière variable pour chaque cas un accompagnement diététique, une formation culinaire, un soutien psychologique et une correction des éventuelles complications. Ces recommandations justifiées mais contraignantes supposent que le chirurgien bariatrique ne soit plus seul pour préparer le patient à l’intervention, l’opérer et le suivre après celle-ci. C’est ce que permet l’implication progressive des autres spécialistes médicaux prenant en charge l’éducation thérapeutique et le suivi. Le chirurgien bariatrique doit conserver une vue d’ensemble de la prise en charge pour proposer à son patient, avec son accord, la meilleure intervention en fonction de son cas afin de se consacrer à l’intervention et à ses suites immédiates. Le suivi médical est clinique et biologique, mais également comportemental. Sur le plan clinique sont 36
suivies les évolutions des complications de l’obésité. Sur le plan biologique sont suivis les marqueurs de la dénutrition très fréquente dès avant la prise en charge du patient en raison de régimes multiples souvent fantaisistes, mais également et surtout après l’intervention chirurgicale bariatrique, la réalimentation pouvant alors être difficile à rééquilibrer. Sur le plan comportemental enfin, les conseils d’un diététicien, le soutien d’une équipe bénévole faisant partie des associations d’obèses, l’organisation de cours de cuisine et d’éducation physique sont très utiles pour accompagner la mutation alimentaire des patients, qu’ils soient opérés ou non. Ce suivi suppose l’investissement du médecin généraliste qui doit recevoir une information précise sur une maladie dont il a peu d’informations, du médecin nutritionniste dont le nombre est insuffisant eu égard à la prévalence de la maladie et dont le statut demande à être revalorisé, du diététicien et du psychologue, dont les honoraires ne sont pas pris en charge par la CNAM.
avoir l’équipement nécessaire à la chirurgie bariatrique et une équipe de chirurgiens et d’anesthésistes répondant aux recommandations de certification de la Société française et francophone de Chirurgie de l’obésité et des Maladies métaboliques (SOFFCO-MM). Il est souhaitable que les représentants des autres disciplines soient présents dans le centre (gastro-entérologue, endocrinologue, nutritionniste, diététicien, psychologue, cardiologue, pneumologue) mais ceuxci peuvent exercer en dehors du centre auquel ils sont reliés en permanence, éventuellement par télémédecine notamment pour les RCP, l’éducation thérapeutique et le suivi. Les centres spécialisés ont une organisation comparable mais enrichie de compétences locorégionales (accueil des urgences bariatriques, accueil des complications bariatriques en réanimation, prise en charge des patients complexes ou superobèses) et de
Les recommandations de la HAS, justifiées mais contraignantes, supposent que le chirurgien bariatrique ne soit plus seul pour préparer le patient à l’intervention, l’opérer et le suivre après celle-ci. L’organisation en réseau Cette prise en charge très complexe est structurée par les Agences régionales de santé (ARS) en organisant des centres labellisés et des centres spécialisés, les centres spécialisés hospitalo-universitaires étant en outre chargés d’enseignement. Le réseau est la base de fonctionnement de ces centres, qu’ils soient publics ou privés (7). Les centres labellisés doivent
relations avec les Établissements de santé (EDS) relevant de leur influence géographique [Soins de suite et de réadaptation (SSR), collectivités locales...]. Ils ont une responsabilité de prévention (éducation des adolescents) et de formation de base (médecins généralistes, diététiciens, psychologues, collectivités locales), l’enseignement universitaire relevant naturellement de certains centres spécialisés hospitalo-universitaires. Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
La prise en charge pluridisciplinaire de l’obésité
La prise en charge pluridisciplinaire Opérer des patients obèses pour les faire maigrir a pu paraître et peut paraître encore une idée saugrenue en dehors des corrections cosmétiques par la chirurgie réparatrice des conséquences cutanéograisseuses d’un amaigrissement. Certes les prises en charge psychologique et nutritionnelle de la maladie sont utiles, mais leur efficacité est limitée, ce qui démotive les patients et les incite à recourir à l’intervention chirurgicale bariatrique. Le chirurgien bariatrique apporte une réponse concrète, repérable dans le temps, avec un résultat appréciable rapide. Mais ce résultat immédiat très encourageant, obtenu en six à dix-huit mois, va se détériorer progressivement passé le cap des deux ans postopératoires en raison de la réapparition de l’addiction alimentaire. Celle-ci est plus difficile à maîtriser lorsque s’est faite l’adaptation à la nouvelle situation digestive dont les effets s’estompent à mesure de l’assouplissement des contraintes cicatricielles. Cela est observé après toutes les interventions chirurgicales bariatriques actuellement utilisées (gastroplastie par anneau modulable, gastrectomie de réduction longitudinale, court-circuit gastrique, dérivation bilio-pancréatique). Si l’intervention chirurgicale bariatrique reste le pivot du traitement, dans les indications reconnues par la communauté médico-chirurgicale et précisées par la HAS, elle est bien encadrée maintenant sur le plan médical. Le chirurgien n’est plus seul en première ligne face à cette maladie métabolique multifactorielle. Avant l’intervention, la démarche est triple : Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
1. Apprécier la gravité de l’obésité, son histoire, son retentissement psychique, somatique et social. 2. Faire l’évaluation préopératoire habituelle sachant que le surpoids est en soi un facteur aggravant nécessitant une équipe anesthésique rodée à ce type de pathologie. 3. Proposer en RCP, en accord avec le patient, un protocole thérapeutique étalé dans le temps, soit purement médical lorsque les critères de prise en charge chirurgicale ne sont pas remplis, soit médico-chirurgical. C’est dans ce cadre qu’un premier choix d’intervention est fait qui pourra être revu après la préparation nutritionnelle. Autrefois seul décisionnaire, le chirurgien bariatrique est maintenant un membre parmi les autres de l’équipe pluridisciplinaire.
Le rôle de l’éducation thérapeutique L’intervention est précédée de l’éducation thérapeutique adaptée à chaque cas et nécessite une durée suffisante de plusieurs semaines pour obtenir un résultat. Son objectif est d’apprendre au patient à se nourrir correctement en acquérant des habitudes nouvelles qui vont lui permettre de s’adapter aux conséquences de son intervention et surtout de faire face aux risques de rechute lorsque les contraintes postopératoires s’estompent après deux ans d’évolution par assouplissement cicatriciel et adaptation biologique. C’est le rôle de l’infirmier spécialisé, du diététicien et du psychologue. L’expérience montre l’importance de cette préparation sur la qualité du résultat à moyen et long termes. Mais il convient ni d’en surestimer l’efficacité car elle est nécessairement courte dans une longue histoire de dérive comportementale alimentaire, ni de
la prolonger indûment au risque de décourager un patient très vite enclin à se faire soigner ailleurs. Au terme de l’éducation thérapeutique, deux options sont possibles. Soit le patient n’est pas opérable, et il est alors instauré un suivi personnalisé par l’équipe bariatrique et par le médecin traitant pouvant faire rediscuter une intervention bariatrique en cas d’échec, soit le patient est opérable et le choix définitif du type d’intervention est alors fait, l’avis du chirurgien bariatrique étant essentiel. Celleci effectuée, le patient reste exposé au risque de rechute et nécessite la surveillance des complications éventuelles de son obésité. Il n’a plus besoin d’une surveillance chirurgicale, sauf en cas de complications évolutives tardives (occlusion intestinale notamment) ou en cas de corrections cosmétiques. Il a besoin d’une surveillance médicale à organiser conjointement par le médecin nutritionniste, le médecin généraliste et les médecins spécialistes éventuels (cardiologue, endocrinologue, rhumatologue, psychiatre...). Cette surveillance est théoriquement prévue à vie sur un rythme variable selon les cas mais pouvant se faire de la manière suivante, à partir de la date de l’intervention bariatrique : trois mois, six mois, douze mois, deux ans, puis tous les cinq ans. Elle nécessite, de manière adaptée à chaque cas, une évaluation clinique, une évaluation biologique plus ou moins complète, et une éventuelle évaluation morphologique, endoscopique et iconographique.
Les difficultés de la surveillance Elles rendent compte des imperfections actuelles dans le suivi des patients obèses. 37
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Difficultés matérielles Très satisfaisante dans son principe, la surveillance des patients obèses rencontre beaucoup de difficultés dans cette population particulière, fort peu compliante. Les consultations de diététiciens et de psychologues ne sont pas remboursées par les organismes de Sécurité sociale. Certains examens biologiques coûteux comme les dosages vitaminiques ne sont également pas remboursés.
Difficultés organisationnelles Les médecins nutritionnistes ne sont pas encore assez nombreux et leur statut de médecin généraliste limite leur rémunération pour des consultations nécessairement longues.
le besoin d’une formation adaptée pour bien prendre en charge leurs patients obèses.
Difficultés psychologiques Ces patients psychologiquement fragiles et de conditions sociales souvent précaires, renoncent volontiers à se faire suivre.
Difficultés sociales Les patients échappent facilement à la surveillance médicale à l’occasion d’un déménagement, d’un changement de téléphone ou tout simplement du refus de conserver le contact avec le médecin généraliste ou l’équipe bariatrique. D’une manière générale, ce suivi d’une population croissante est très chronophage pour le personnel de santé et de grands espoirs sont mis dans la télémédecine.
Difficultés professionnelles Nombre de médecins généralistes s’estiment peu compétents en matière d’obésité et manifestent
une sous-spécialité de la chirurgie digestive, élargissant progressivement son domaine à la chirurgie métabolique (du diabète notamment), comme en témoigne la création de la SOFFCO-MM. Parvenue à une certaine maturité, elle s’est structurée sous la houlette de la HAS (recommandations de bonnes pratiques) et des ARS (organisation en réseau autour de centres labellisés et spécialisés). Elle doit trouver sa vraie place dans l’ensemble de la prise en charge d’une maladie chronique, multifactorielle, à la fois fonctionnelle dans son origine et organique dans ses conséquences, pour la santé du patient. C’est un véritable enjeu de société, certes économique mais surtout n humain.
Mots-clés : Obésité, Pluridisciplinaire,
Conclusion La chirurgie bariatrique devient
Chirurgien bariatrique
Bibliographie 1. ObEpi – Roche 2012 : enquête nationale sur l’obésité et le surpoids. 2. Vigarello G.Les métamorphoses du gras.Collection Points.Éditions du Seuil.2010. 3. Marceau P. Traitement chirurgical de l’obésité. 2e édition 2012. 4. Scopinaro N, Gianetta E, Civalleri D et al. Bilio-pancreatic bypass for obesity : II. Initial experience in man. Br J Surg 1979 ; 66 : 618-20.
5. Bastard JP, Fève B. Physiologie et physiopathologie du tissu adipeux. Paris : Springer, 2013. 6. Recommandations pour la chirurgie bariatrique des obésités morbides. HAS. 2009. 7. Basdevant A. Plan d’action : obésité-établissements de soins. 2009.
agenda Congrès de la Société Francophone du diabète
American Diabetes Association 74rd Scientific Sessions
11-14 mars 2014 – Paris
13-17 juin 2014 – San Francisco
• Renseignements et inscriptions Site : www.congres-sfd.com
• Renseignements et inscriptions Site : scientificsessions.diabetes.org
Dietecom
16e Entretiens de nutrition
27-28 mars 2014 – Paris
12-13 juin 2014 – Lille
• Renseignements et inscriptions Site : www.dietecom.com/inscription.asp
• Renseignements et inscriptions Marie-Françoise Tahon : marie-francoise.tahon@pasteur-lille.fr
Congrès annuel de la société francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques (SOFFCO)
50th EASD Annual Meeting
22-24 mai 2014 – Versailles
European Association for the Study of Diabetes
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• Renseignements et inscriptions Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76 Site : www.easd.org
• Renseignements et inscriptions Site : www.soffco2014.com
15-19 septembre 2014 – Vienne
Mise au point
Chirurgie de l’obésité et diabète de type 2 Quoi de neuf au cours de ces 3 dernières années ? Pr Patrick Ritz*
Introduction Il y a presque 20 ans, un chirurgien américain publiait un article intitulé : « Qui l’aurait pensé ? Une opération s’avère être le traitement le plus efficace du diabète » (1). Dans cette étude avec un suivi de 14 ans, plus de 80 % des patients avaient un contrôle glycémique satisfaisant. Ce même auteur, de façon polémique lors d’un congrès en 2014 aux ÉtatsUnis, considérait que la communauté médicale et les endocrinologues avaient du mal à être convaincus de l’efficacité et d’un rapport bénéfice-risque favorable de la chirurgie de l’obésité chez les patients diabétiques. Après toute une période de discussions au sujet des rémissions et des “guérisons” du diabète, vient un temps où des essais cliniques de très haute qualité montrent l’efficacité de la chirurgie de l’obésité sur la charge thérapeutique et l’efficacité du contrôle glycémique.
Rémission ou guérison En 2009, une méta-analyse indiquait le pourcentage de rémission du diabète de type 2 après les chirurgies les plus fréquemment pratiquées (2) (Tab. 1). Ces chiffres ne sont pas remis en cause par les essais randomisés publiés entre 2008 et 2012.
*CHU de Toulouse
Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Dans un essai randomisé au tout début du diabète de type 2, chez des patients peu déséquilibrés (HbA1c 7,8 %) et pour la plupart non insulinés, l’anneau gastrique entraîne une rémission chez 76 % des cas, vs 15 % des cas dans le groupe contrôle à 2 ans de la randomisation (3).
caractère randomisé, souffrent de la non-harmonisation des critères de rémission. Ce qui explique en partie la variabilité des résultats.
Comment définir la rémission ? De plus en plus, une définition simple de la rémission apparaît (6) : • Elle est totale si au bout d’1 an le patient est strictement normoglycémique (glycémie < 100 mg/ dL, HbA1c < 6 %) sans aucun traitement. • Elle est partielle si au bout d’1 an, le patient est entre la normo-glycémie et le diagnostic du diabète (100 < glycémie < 126 mg/dL, HbA1c < 6,5 %) sans aucun traitement.
Chez des patients dont le diabète est plus ancien (9 ans), moins bien équilibré (HbA1c 9,6 %) et le plus souvent insuliné (50 % des patients), à 1 an le taux de rémission est de 12 % dans le groupe contrôle, de 42 % chez les patients ayant reçu un bypass gastrique, et de 37 % chez ceux ayant eu une sleeve gastrectomy (4). Chez des patients un peu différents (HbA1c 8,5 %, IMC à 45, 6 ans de durée de diabète) à 2 ans, le taux de rémission est de 95 % après une diversion biliopancréatique et de 75 % après un bypass. Il n’y avait aucune rémission dans le bras contrôle (5).
On commence à parler de guérison, ou de rémission prolongée, au bout de 5 ans, par analogie avec le cancer. Le débat est byzantin et ne devrait pas focaliser l’attention. Des arguments plus forts dans la pratique clinique méritent d’être
Toutes ces études, malgré leur
Tableau 1 - Rémission du diabète de type 2. Revue systématique de Henry Buchwald (2). % d’excès de l’IMC (> 25 %) perdu
% de rémission du diabète
Diversion biliopancréatique
73
95
Bypass avec Roux-en-Y
63
80
Anneau gastrique
49
57
39
Mise au point
considérés. En effet, pour parler de rémission prolongée, il faut disposer de données à 5 ans et au-delà, analysant la durabilité de la rémission, et la récidive du diabète. Elles existent. L’analyse d’une cohorte de 4 434 diabétiques opérés aux États-Unis montre qu’à 5 ans, le taux de rémission partielle reste supérieur à 75 %, et le taux de rémission totale est à 68 %. Les patients avaient une durée de diabète de plus de 9 ans, 28 % avaient une HbA1c au-delà de 8 %, 20 % recevaient de l’insuline (7). Une rémission totale était obtenue chez 62 % des patients analysés à 6 ans dans une plus petite cohorte (8). Enfin, l’étude SOS montre un taux de rémission de 72 % à 2 ans, qui tombe à 36 % à 10 ans de suivi (9) (Tab. 2).
Récidive du diabète Il y a donc une proportion significative de patients en rémission durable ; il y a également des cas de récidive du diabète. En effet, la moitié des patients en rémission dans l’étude SOS récidivent à 10 ans (9). La meilleure analyse disponible à l’heure actuelle est la cohorte rétrospective de Cleveland (10). Après une médiane de suivi de 6 ans, la récidive intervient pour 17 % des patients après un bypass gastrique, pour 38 % après une sleeve gastrectomy, et pour 33 % après un anneau gastrique (en moyenne 19 % pour l’ensemble des patients).
Les facteurs de récidive L’analyse des facteurs de récidive confirme ce que l’on savait : • La durée du diabète, quand elle 40
Tableau 2 - Rémission du diabète à long terme dans l’étude SOS (9). Bras chirurgical
Bras contrôle
OR
Rémission à 2 ans
72 %
21 %
8,4
Rémission à 10 ans
36 %
13 %
3,4
est supérieure à 5 ans, facilite les récidives (OR 1,3). • L’intensité de la perte de poids protège un peu contre la récidive (OR 0,93). • La reprise de poids (ici définie comme une augmentation de 5 unités d’indice de masse corporelle au-dessus du nadir obtenu) a une influence considérable (OR 12,9). • Enfin, le type de chirurgie est déterminant, l’anneau gastrique ayant 93 % de chances en moins d’entraîner une rémission que le bypass (OR 0,07).
diabète suppose de contrôler à la fois la glycémie, la tension artérielle et le LDL-cholestérol. Seulement 18 % des patients atteignent ce triple objectif. Un autre regard sur l’efficacité de la chirurgie est donc de considérer si, au-delà de la problématique des rémissions, elle est capable d’améliorer l’équilibre métabolique, d’atteindre la triple cible et de réduire la charge de traitement. Un pas considérable a été franchi
Des essais de grande qualité positionnent la chirurgie de l’obésité comme l’un des outils thérapeutiques du diabète de type 2. Comment se situe la sleeve gastrectomy ? Dans une étude de cohorte sur 1 an, dans les centres d’excellence de chirurgie de l’obésité aux ÉtatsUnis, portant sur 28 000 patients, le taux de rémission avec la sleeve est de 55 %, intermédiaire entre l’anneau gastrique (44 %) et le bypass gastrique (83 %) (11).
Au-delà des rémissions et des récidives, le triple objectif thérapeutique Aujourd’hui, aux États-Unis, seuls 52 % des patients diabétiques de type 2 atteignent l’objectif glycémique (HbA1c < 7 %). Cependant, le traitement du
lors d’un essai randomisé pour lequel les patients bénéficiaient des modifications comportementales de l’étude LOOK AHEAD, puis étaient randomisés en deux bras l’un avec bypass gastrique, l’autre par poursuite du traitement médical. Les patients avaient une durée d’évolution de 9 ans, leur HbA1c moyenne était à 9,6 % et la moitié d’entre eux étaient insulinés (12). Au bout d’1 an, 49 % des patients du bras chirurgical ont atteint la triple cible, alors qu’ils n’étaient que 19 % dans le bras contrôle (notez que ce bras contrôle a tout de même perdu 8 % de poids). Il y a donc presque 5 fois plus de patients (OR 4,8) traités efficacement. Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Chirurgie de l’obésité et diabète de type 2
Soixante-quinze pour cent des patients du groupe bypass atteignent l’objectif glycémique (HbA1c < 7 %), ils ne sont que 32 % dans le bras contrôle. Enfin, notons que 44 % des patients opérés sont en dessous de 6 %, ils ne sont que 9 % dans le bras contrôle. À 1 an, l’HbA1c moyenne est de 6,3 % dans le groupe chirurgical et de 7,8 % dans le bras contrôle. Pour espérer atteindre ce triple objectif, il fallait 4,8 médicaments différents par jour dans le groupe contrôle, et 1,7 médicament différent dans le groupe chirurgie (ces nombres étaient de 4,4 et 4,1 au début de l’étude). Cette étude montre donc clairement que la chirurgie permet non seulement d’obtenir plus facilement un triple objectif thérapeutique, mais que celui-ci est obtenu au prix d’une charge thérapeutique moins forte.
en ne considérant que l’HbA1c... Une amélioration significative de l’équilibre glycémique est également obtenue après anneau gastrique. Une revue systématique de toutes les études publiées montre une baisse d’HbA1c (13) : • Entre 0,8 et 1,9 % à 1 an. • Entre 1,4 et 1,8 % entre 24 et 36 mois. • Environ 1 % entre 60 et 96 mois. Les deux essais randomisés de 2012 montrent des résultats équivalents sur l’HbA1c : • À 1 an après bypass 6,4 %, et 6,6 % avec la sleeve (4). • À 2 ans après bypass 6,4 % et 4,9 % après diversion bilio-pancréatique (5). Une revue systématique sur plus de 600 patients, à 13 mois d’une Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
sleeve gastrectomy montrait une réduction de 1,7 % d’HbA1c (14).
Cela se traduit-il par une réduction des complications ? La réduction de la mortalité après chirurgie de l’obésité a été très bien décrite, elle serait encore plus importante chez les patients diabétiques (1). La réduction du nombre d’événements cardiovasculaires est impressionnante. Dans l’étude SOS à 15 ans, la réduction du nombre d’accidents vasculaires cérébraux ou d’infarctus du myocarde est de 53 % par rapport au bras contrôle (15). Il faut traiter 16 patients par la chirurgie pour éviter un infarctus du myocarde. L’analyse d’un registre de Caroline du Sud, à partir des données des compagnies d’assurance, sur plus de 2 500 patients diabétiques opérés et plus de 13 000 contrôles et après 5 ans de suivi montre (16) : • une réduction de 61 % des événements macrovasculaires (infarctus du myocarde, décès ou accident vasculaire cérébral) ; • une réduction de 78 % des événements microvasculaires (traitement par laser, cécité d’un œil, amputation non traumatique, fistule artérioveineuse pour dialyse). Bien qu’obtenue sur de petits effectifs, la réduction de l’incidence d’une nouvelle atteinte rénale, ou la réduction de l’intensité de celle-ci (protéinurie ou micro-albuminurie) commence à être établie. Il y a très peu de données sur l’atteinte oculaire, le risque d’aggravation de la rétinopathie induite par
la rapidité de l’équilibre glycémique ne semble pas être un souci majeur. Cependant, les séries sont trop petites pour être tout à fait rassurés et il est probablement sage de contrôler le fond d’œil avant et précocement après la chirurgie.
Conclusion Progressivement, les effets favorables de la chirurgie sur le traitement du diabète type 2 sortent de la confidentialité. Après une phase de débat provocateur : « Les chirurgiens guérissent le diabète, les médecins traitent les complications », une phase plus sereine apparaît. Des essais de grande qualité, incluant des patients tels que nous les connaissons (avec une durée, un déséquilibre glycémique et une charge thérapeutique importants) sont publiés dans de très grandes revues. Ces résultats sont donc sérieux. Ils positionnent la chirurgie de l’obésité comme l’un des outils thérapeutiques du diabète de type 2. Il nous appartient maintenant de reprendre la main sur ces indications : il faut savoir convaincre nos collègues chirurgiens de la plus-value qu’apporte le diabétologue ; il faut savoir convaincre les patients, éventuellement en prenant beaucoup de temps, que la chirurgie peut être un outil, avec des bénéfices, mais aussi des contraintes et des risques. La personnalisation de la décision, bien au-delà des recommandations par des sociétés savantes ou des agences gouvernementales, nous appartient. n
Mots-clés : Obésité, Chirurgie, Diabète de type 2, Rémission, Récidive
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Mise au point
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Profession
Médecine personnalisée, maladie chronique Quels sont les enjeux ? n À travers cet entretien, le Pr Jacques Bringer, doyen de la Faculté de Médecine de Montpellier-Nîmes, revient sur le concept de médecine personnalisée et nous en explique les enjeux.
Diabète & Obésité : Que vous évoque le thème de cet article « Médecine personnalisée, maladie chronique » ? Pr Jacques Bringer : Pour moi, cela revient à répondre à la question : « Comment concilier, dans la prise en charge des maladies chroniques, une médecine des maladies avec une médecine de la personne ? ». Aujourd’hui, les maladies chroniques, dont certaines connaissent une progression exponentielle – c’est le cas de l’obésité, du diabète, des maladies cardiovasculaires, du cancer, des maladies respiratoires et des maladies neurodégénératives –, nécessitent un changement profond de la manière de soigner. Ces dernières années, les grands progrès de la médecine ont concerné la connaissance et l’exploration des maladies et le développement des traitements spécifiques à celles-ci. Aujourd’hui, on voit que l’approche centrée sur la maladie est pour une part cloisonnée et aboutit à des stratégies spécialisées avec des recommandations de soins et de traitements spécifiques et à une Éducation thérapeutique des patients (ETP) qui est ellemême cloisonnée. Cela conduit à de multiples examens et à de multiples thérapeutiques qui parfois se retrouvent empilés chez un même patient qui peut avoir plusieurs maladies. En effet, parallèlement à l’épidémie environnementale de certaines maladies chroniques, on observe l’émergence de plus en plus de polypathologies chez une même personne, et ce n’est pas forcément lié au phénomène de l’âge. On peut citer l’exemple d’un patient obèse diabétique, qui a des problèmes cardiaques, respiratoires et rénaux, ce qui est très fréquent. Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Les maladies chroniques doivent donc induire aujourd’hui une réflexion et une organisation vers une stratégie centrée sur le malade que l’on pourrait appeler « la médecine de la personne », par opposition à la « médecine des maladies ». Concrètement, cela veut dire qu’il faut personnaliser les démarches de prise en charge, les éducations, et qu’il faut le faire en conciliant à la fois la compétence sur les maladies mais aussi la coordination nécessaire des soins de l’ETP. Dans notre pays, les lacunes dans la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques sont évidentes. On pourrait dire qu’il y a de très bons professionnels de santé, d’un bon niveau de formation, malheureusement inégalement répartis sur le territoire, mais qu’il y a un amateurisme de la coordination des multiples acteurs de santé qui interviennent autour d’un malade souvent atteint de plusieurs maladies chroniques. La coordination des soins et, dans le même temps, la mise en place d’une ETP accessible et adaptée aux besoins des patients, sont deux éléments synergiques. Un patient qui n’est pas éduqué ne respecte pas la coordination des soins et le fait de bénéficier d’un juste soin à un juste coût. Sans un minimum d’éducation thérapeutique, on favorise l’errance des malades et l’inflation des actes de soins parfois inappropriés ou insuffisamment coordonnés. Le prérequis de l’acceptation de soins coordonnés est l’ETP, facilitant la participation volontaire et comprise des malades à la gestion coordonnée de leurs soins. Cela conditionne l’efficacité des soins en ciblant une meilleure adhésion au traitement et en réduisant le risque de décompensation de la 43
Profession
maladie chronique. L’ETP représente aussi un levier sur l’objectif de réduction du nombre d’hospitalisations en urgence. La coordination des soins réussie, comme dans certains pays nordiques par exemple, passe d’abord par une ETP des patients qui deviennent partenaires de leurs soins et qui prennent conscience de leur responsabilité partagée à se prendre en charge. Ainsi, dans la maladie chronique, la coordination des soins, c’est-à-dire l’intervention de multiples professionnels de santé autour d’un même malade et dans le même temps, et l’éducation thérapeutique sont deux éléments consubstantiels. L’un ne pouvant pas être efficace sans l’autre, et notamment la coordination ne pouvant pas être efficace sans l’ETP.
Dans la maladie chronique, la coordination des soins et l’éducation thérapeutique sont deux éléments consubstantiels.
D&O : Quelle serait pour vous la solution ? Pr J.B. : Aujourd’hui, la stratégie de santé relayée par la HAS définit et structure les parcours coordonnés de soins. En revanche, s’il est certain que le médecin traitant est le pilier de la continuité des soins, il ne peut pas, dans les conditions actuelles de tarification et de temps dont il dispose, être à lui seul l’organisateur de toute la logistique permettant de coordonner les soins et d’assurer l’ETP. Donc, l’idée que je défends consiste à faire émerger, par une tarification appropriée, des structures et des équipes logistiques activées à la carte, de façon individualisée, en fonction : • de la fragilité des patients ; • de la lourdeur plus ou moins grande des pathologies qu’ils présentent ; • du niveau requis des interventions médicales, paramédicales et sociales nécessaires. Il s’agirait d’un socle commun de coordination avec des déclinaisons spécifiques pour chaque maladie et pour chaque patient. On imagine des équipes professionnelles formées à la coordination, à l’éducation thérapeutique et à l’accompagnement qui vont associer un coordonnateur médecin ou paramédical, des infirmiers, 44
des pharmaciens, des psychologues, des diététiciens, certains professionnels de l’éducation physique, des assistantes sociales et même des patients experts qui ont une formation, une expérience pour accompagner d’autres patients. Ces équipes de soins coordonnés, d’ETP et d’accompagnement seraient mobilisées de façon plus ou moins allégée. • Ponctuellement pour les patients à faible risque. • Avec un soutien plus régulier, appuyé et prolongé pour les patients dont le risque de complications de la maladie est plus élevé (patients plus sévères qui ont des risques de complications et de décompensations, patients mal observants ou rejetant leur maladie). • Avec un appui intensif, très coordonné et prolongé pour les patients complexes en raison de la gravité de leur maladie, de multiples pathologies associées, de leur fragilité liée à l’âge mais aussi en raison du profil psychologique (personnalités totalement non observantes, addictives, très difficiles) ou du niveau social (précarité, migrants…). La tarification serait bien sûr adaptée en fonction du niveau d’intervention requis. Tout cela a pour but de réduire l’hospitalo-centrisme et le nombre d’hospitalisations par des équipes et une tarification qui inciteraient les établissements de santé eux-mêmes (hôpitaux, cliniques, mutualités, centres de santé pluriprofessionnels) à déployer une logistique hors les murs qui devrait être appuyée par la télémédecine. Cela permettrait un maillage régional et une véritable alternative à l’hospitalisation. La coordination des soins et l’ETP activées conjointement sont des leviers synergiques qui permettraient d’autonomiser et de responsabiliser les patients et de réduire les complications et les décompensations parfois sévères et précoces des maladies chroniques.
D&O : L’idée de personnaliser le traitement est-elle une idée nouvelle ? Pr J.B. : C’est quelque chose que je présente un peu partout parce que, premièrement, j’y crois ! Deuxièmement, parce qu’on est en échec sur la coordination des soins et que d’autres pays l’ont réussie. On peut citer comme exemple la Finlande qui a connu une augmentation des maladies respiratoires de 70 % et qui a réduit dans le même temps ses hospitalisations de 60 à 70 % (décompensations, formes sévères et compliDiabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Médecine personnalisée, maladie chronique
quées des maladies respiratoires) par la coordination des soins et l’ETP. Cela veut donc dire qu’une forte action de soins coordonnés et d’ETP est capable d’endiguer l’impact humain et le coût des dépenses (puisque celui-ci n’a pas augmenté en dix ans). Si l’on continue à dépenser uniquement à l’acte, on subira fortement l’impact humain et financier des formes sévères des maladies chroniques.
D&O : Le concept de médecine personnalisée est-il déjà mis en place ? Pr J.B. : La HAS souhaite mettre en place le parcours de soins. De même, l’Assurance maladie et les ARS, dans certains endroits, souhaitent privilégier un développement des parcours de soins et de l’ETP. Cependant, aujourd’hui, entre la volonté et la mise en action effective, il y a une hétérogénéité territoriale considérable et on est loin du financement et de la réalisation concrète de cette ETP et de cette coordination des soins. Donc, la volonté y est mais les moyens n’y sont pas. L’ARS Île-de-France va tenter des expérimentations supplémentaires sur des soins coordonnés avec des appels d’offres et des forfaitisations. C’est une expérience intéressante mais, pour le moment, cela diffuse lentement.
D&O : Avons-nous la preuve que la médecine personnalisée est plus efficace ? Pr J.B. : Je pense qu’il y a deux dimensions. Il y a la dimension médecine des preuves et la dimension éthique. Au niveau éthique, autonomiser un patient, le rendre responsable de sa maladie et lui donner les moyens de ses cibles n’est pas discutable : c’est déjà un intérêt majeur. Ensuite, il y a la démonstration par la médecine des preuves. Je pense qu’il sera extrêmement difficile de démontrer l’apport de la personnalisation. La médecine des preuves est parfaitement adaptée à une thérapeutique donnée dans une maladie donnée. Lorsqu’on est en polypathologie, multithérapie, avec des profils de patients dont la typologie psycho-socio-éducative est extrêmement diverse, la médecine des preuves est en difficulté. Seule la personnalisation permet de savoir où mettre les forces d’intervention et de quelle manière.
Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
D&O : Les patients sont-ils en demande de soins coordonnés ? Pr J.B. : Oui, les malades désirent ne pas être ballotés de plate-forme en plate-forme, d’examen en examen, de spécialiste en spécialiste. Ils souhaitent un chef d’orchestre qui leur permet de ne pas être en errance. C’est une demande forte, y compris au sein des grands établissements. C’est pour cela que dans les stratégies nouvelles, on va vers des coordinations de platesformes. Parce que si on prend l’exemple de patients obèses, diabétiques, avec des problèmes respiratoires et rénaux, 80 % d’entre eux nécessitent les mêmes examens. Cela veut donc dire que la coordination des soins demande de repenser même l’organisation des grands hôpitaux à travers des plates-formes d’exploration où ce n’est plus le malade qui bouge mais les spécialistes qui se déplacent. Il s’agit donc d’une démarche centrée sur le malade. En revanche, il ne s’agit pas, et c’est important de le dire, de remettre en question les progrès des cinquante dernières glorieuses liés à la médecine des maladies, à toute l’innovation technologique autour des maladies. Cela doit être concilié avec l’approche d’une médecine de la personne et il ne peut pas y avoir de médecine de la personne sans coordination des soins et ETP, tout est lié. Donc, si l’on rembourse de l’ETP mais que, dans le même temps, on ne coordonne pas les soins, cela n’est pas efficace. De même, si l’on ne fait pas d’éducation thérapeutique et que l’on impose simplement un parcours de soins, cela ne fonctionne pas. Pour conclure, je dirais que la médecine personnalisée doit intégrer trois dimensions : • L’indication thérapeutique ciblée en fonction de marqueurs prédictifs de la réponse individuelle. • La personnalisation de l’ETP, des parcours de soins et des traitements selon le profil psycho-socio-éducatif. • La qualité humaine relationnelle individualisée visant l’autonomie responsable du patient. n Propos recueillis par Caroline Sandrez
Mots-clés : Maladie chronique, Médecine personnalisée, Éducation thérapeutique, Coordination des soins
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Interspécialités
En périopératoire de la chirurgie de l’obésité Traitement du diabète de type 2 Dr Ana Estrade*
Introduction La chirurgie bariatrique fait désormais partie de l’arsenal thérapeutique du diabète de type 2 : la perte de poids qu’elle induit permet une amélioration voire une rémission du diabète. D’autres facteurs que nous évoquerons sont, indépendamment de la perte de poids, également impliqués dans l’amélioration de la glycorégulation. Malgré tout, la rémission du diabète en postchirurgie n’est pas systématique et les récidives peuvent être fréquentes.
E
n préopératoire, chez un patient diabétique, il paraît indispensable d’équilibrer au mieux le diabète en vue d’une chirurgie bariatrique. En postopératoire, la prise en charge du diabète persistant est encore actuellement mal codifiée et il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandations françaises sur le sujet. Les études concernant les traitements antidiabétiques en postchirurgie font l’objet de quelques publications récentes.
*CHU de Toulouse
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Enfin, les antidiabétiques sont aussi étudiés pour leurs potentiels effets sur les hypoglycémies qui peuvent être rencontrées en postchirurgical.
Impact de la chirurgie bariatrique sur le diabète de type 2 La chirurgie de l’obésité permet des taux de rémission du diabète d’environ 57 % chez les patients bénéficiant d’une chirurgie par anneau gastrique, de 66 % pour les patients opérés de sleeve gastrectomy, de 80 % chez les patients opérés d’un by-pass et de 95 % dans les cas de dérivation biliopancréatique (1). Plus la chirurgie est malabsorptive, plus ce taux de rémission est important. Les mécanismes d’action de la chirurgie impliqués dans la rémission du diabète de type 2 sont multiples et encore imparfaitement connus (2). • En premier lieu, la restriction calorique, par la perte de poids qu’elle entraîne, permet une amélioration de l’équilibre glycémique. Cette restriction est liée à des phénomènes mécaniques (taille de la poche gastrique) mais également à l’augmentation de signaux satiétogènes (augmentation du peptide YY, de l’oxyntomoduline) et à
la possible diminution de peptides orexigènes (ghréline). Par ailleurs, l’éviction sélective d’aliments sucrés pour éviter le dumping syndrome peut participer, dans une moindre mesure, à l’amélioration glycémique. La perte de poids diminue ainsi l’insulinorésistance et il existe une plus grande efficacité de l’insuline dans le muscle. • Il existerait, parallèlement à cette diminution de l’insulinorésistance, une amélioration de la sécrétion d’insuline, notamment dans les chirurgies malabsorptives. Ce phénomène survient avant même la perte de poids et serait induit par l’augmentation, entre autres, du GLP1. Enfin, l’augmentation de la sécrétion d’insuline pourrait également être attribuée à une augmentation de la masse des cellules bêta, comme en témoignent les quelques cas discutés de nésidioblastoses après la pose d’un by-pass. Pour autant, la chirurgie ne permet pas la rémission de tous les diabètes et les taux de récidive de diabète postchirurgie ne sont pas anecdotiques. Ils sont évalués à environ 17 à 45 % à 5 ans. Dans l’étude SOS (Swedish Obesity Study) (3), si les taux de rémission à 2 ans s’élèvent à 72 %, ils ne sont plus qu’à 36 % à 10 ans soit une récidive dans 1 cas sur 2. Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
En périopératoire de la chirurgie de l’obésité
Plusieurs facteurs ont été identifiés comme prédictifs d’une non-rémission du diabète en postchirurgie (1) : - Le sexe masculin. - Un IMC préopératoire plus bas. - Une durée du diabète > 5 ou 10 ans. - L’insulinothérapie préalable. - Des pertes et reprises de poids multiples. - Le type de chirurgie avec un taux de non-rémission plus important pour les anneaux gastriques vs la sleeve gastrectomy vs le by-pass et vs la dérivation bilio-pancréatique. - La sévérité du dysfontionnement préopératoire de la cellule bêta.
Prise en charge préopératoire du diabète de type 2 Des recommandations américaines (4) sur la prise en charge préopératoire du diabète de type 2 avant la chirurgie bariatrique ont été publiées en 2013. Il est ainsi recommandé d’optimiser le contrôle glycémique en préopératoire. Les objectifs à viser sont stricts avec une HbA1c < 6,5 à 7 % voire moins, une glycémie à jeun < 110 mg/L et une glycémie postprandiale à 2h < 1,40 g/L. Chez les patients présentant des complications micro et/ou macroangiopathiques, ou avec des comorbidités, ou avec un diabète ancien difficile à équilibrer, les objectifs sont élargis avec une HbA1c préopératoire entre 7 et 8 %. Le jour de la chirurgie, les traitements par ADO sont suspendus et un relais par insuline peut être effectué en cas de déséquilibre.
Prise en charge postopératoire du diabète de type 2 De manière générale, la chirurgie Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
bariatrique diminue significativement l’utilisation des médicaments à court et long termes (5) et leurs coûts (6). Il existe peu de données de pharmacocinétique après chirurgie bariatrique dans la littérature. Elles concernent surtout les chirurgies malabsorptives. L’adaptation des posologies est liée à la perte de poids mais aussi aux modifications des volumes de distribution et à la malabsorption. En ce qui concerne les traitements antidiabétiques, il n’y a pas de recommandations relatives à l’adaptation, d’où l’intérêt des contrôles glycémiques fréquents pour réévaluer l’équilibre glycémique au quotidien.
Insuline Il n’existe pas de recommandations mais plutôt des conseils issus de la pratique clinique et des expériences d’équipes (2). En pratique, la dose d’insuline lente peut être divisée par deux de façon précoce après by-pass puis la posologie est adaptée selon la glycémie à jeun. La dose est maintenue lorsque la glycémie à jeun est supérieure à 1 g/L et peut être diminuée de 4 UI pour des valeurs plus basses de glycémies à jeun. Lors de la reprise des repas, la dose d’insuline rapide n’est pas réalisée si la glycémie préprandiale est < 2,5 g/L et est divisée par quatre ou par six si la glycémie préprandiale est > 2,5 g/L. Il est nécessaire d’instaurer un suivi rapproché pour réévaluer le patient à 1 mois et 3 mois. Une étude (7) menée chez 50 patients avec une insulinothérapie monitorée étroitement et des objectifs de normoglycémie, comparativement à une prise en charge classique du diabète en post-
opératoire d’un by-pass, permettait à 1 an un meilleur contrôle glycémique chez ceux qui avaient eu un traitement plus intensif sans augmentation des hypoglycémies et surtout un taux de rémission de diabète significativement plus important (50 % vs 6,1 % ; p < 0,001) par rapport au groupe contrôle. Ces données témoignent de la nécessité d’un suivi diabétologique rapproché la première année pour optimiser les résultats chirurgicaux.
Metformine Il est préconisé par certains d’éviter la metformine les 3 premiers mois (douleurs abdominales d’interprétation difficile en contexte postopératoire). En pratique, elle est parfois poursuivie, notamment chez ceux qui la toléraient bien avant la chirurgie. Une étude a noté l’augmentation de la biodisponibilité de 50 % et de l’absorption intestinale après by-pass (> 3 mois) (8). Ces données peuvent avoir, si elles se confirment, des implications sur le dosage et sur le risque de toxicité. La prudence incite donc à débuter par de faibles doses de metformine.
Sulfamides Nous n’avons pas retrouvé dans la littérature de données spécifiques de l’utilisation des sulfamides en postopératoire. Le risque est surtout hypoglycémique et il paraît logique d’en abaisser les doses en postopératoire immédiat (posologie divisée par deux voire arrêt).
Analogues du GLP1 Il y a peu de données sur cette récente classe pharmacologique. Rothkopf, en 2009 (9), a eu l’idée d’associer chez un patient diabétique ayant bénéficié d’un anneau gastrique avec une persistance du diabète en postopératoire, un 47
Interspécialités
analogue du GLP1 pour “mimer” l’effet métabolique d’un by-pass. L’ajout de l’analogue du GLP1 a permis non seulement d’augmenter la perte de poids mais également d’atteindre une rémission du diabète. Après l’arrêt du traitement, l’HbA1c s’est maintenue < 6 %. On peut se poser la question de la tolérance du traitement qui n’est pas mentionnée dans l’étude. Une étude brésilienne (10) rétrospective a porté sur l’effet d’un traitement par liraglutide chez 15 patients ayant repris du poids après chirurgie bariatrique ou dont la perte d’excès de poids était infé-
peuvent être proposés au patient. L’arbre décisionnel présenté en figure 1, proposé par Kashyap et al. (1), est basé sur les effets physiopathologiques des différentes chirurgies et sur leur expérience clinique.
rieure à 50 % à 2 ans. L’étude ne précise pas si les patients étaient diabétiques ou non. Le liraglutide a permis une nouvelle perte de poids significative (avec cependant des nausées chez 6 d’entre eux).
Les inhibiteurs de la DPP4
Des antidiabétiques… pour traiter les hypoglycémies !
Il n’existe pas à l’heure actuelle de données concernant leur utilisation en postchirurgie bariatrique.
Les hypoglycémies postchirurgie bariatrique peuvent être très invalidantes pour les patients. Elles surviennent surtout après un by-pass mais peuvent se voir également chez des patients opérés de sleeve gastrectomy.
Comment orienter son choix thérapeutique en cas de non-rémission d’un diabète postchirurgie ? En cas de persistance d’un diabète en postchirurgie, plusieurs choix
Évaluation du diabète préopératoire
• DT1 vs DT2 ? Peptide C, statut auto-immun • Durée du diabète et contrôle glycémique • Présence de complications microvasculaires • Insuline vs antidiabétiques oraux vs mesures hygiéno-diététiques (MHD)
TYPE DE CHIRURGIE BARIATRIQUE (Anneau gastrique/Sleeve gastrectomy) Pas de rémission du diabète HbA1c > 7 % (53 mmol/mol)
(+) gain de poids ou IMC > 30 kg/m2
(-) gain de poids ou IMC < 27 kg/m2
- MHD, Éval. Psy. + - Metformine - Sulfamides
MHD + Sulfamides si HbA1c < 8 %
HbA1c > 8 % Insuline Deuxième intention Glitazones - Analogues du GLP1 ? - Inhibiteurs de la DPP4 - Acarbose ?
Insuline
Agonistes du GLP1 ?
(By-pass avec Roux-en-Y/Diversion bilio-pancréatique) Pas de rémission du diabète HbA1c > 7 % (53 mmol/mol)
(+) gain de poids
(-) gain de poids
- MHD, Éval. Psy. + - Metformine < 8 %
- MHD, Éval. Psy. + - Sulfamides/Insuline
HbA1c > 8 % Insuline Deuxième intention Glitazones - Analogues du GLP1 ? - Inhibiteurs de la DPP4 - Acarbose ?
Sulfamides/Insuline
Agonistes du GLP1 ?
CIBLER LA PERTE DE POIDS CIBLER LA DÉFAILLANCE DES CELLULES BÊTA
CIBLER LA PERTE DE POIDS
CIBLER LA DÉFAILLANCE DES CELLULES BÊTA
sensibilité à l’insuline sécrétion d’insuline poids neutre/perte des agents diabétiques
sécrétion d’insuline
sécrétion d’insuline
sécrétion d’insuline
Figure 1 - Arbre décisionnel permettant d’orienter le choix thérapeutique en cas de non-rémision d’un diabète postchirurgie. Adapté de (1).
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Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
En périopératoire de la chirurgie de l’obésité
Les mécanismes sont encore mal connus et plusieurs hypothèses sont avancées : l’accélération du transit gastro-intestinal après bypass, l’augmentation de l’absorption du glucose par augmentation des transporteurs intestinaux du glucose, une réponse inadaptée de la sécrétion d’insuline par les cellules β, une pullulation microbienne plus fréquente après bypass sont autant de phénomènes qui pourraient rendre compte des hypoglycémies après pose d’un bypass. Outre les règles diététiques qui s’imposent (éviter les produits sucrés, privilégier les aliments à index glycémique bas et respecter le fractionnement) mais qui sont parfois difficiles à mettre en œuvre, certains traitements antidiabétiques peuvent paradoxalement trouver leur place dans la prise en charge.
Cas de l’acarbose Une étude (11) ouverte, non randomisée, portant sur 8 patients présentant des malaises postprandiaux après by-pass, a analysé des profils de Mesure continue de glucose (MCG) réalisés avant et après traitement par acarbose dans les circonstances de vraie vie (Fig. 2). Associé à des conseils diététiques, l’acarbose supprime les symptômes et améliore le profil glycémique (MCG) chez des patients souffrant d’hypoglycémies après by-pass. Le traitement a permis de retarder des pics de glucose interstitiel, d’en diminuer la hauteur des excursions, a réduit l’intensité et le temps passé en hypoglycémie et a réduit la vitesse de montée et de descente du glucose. Dans cette étude, l’acarbose a été bien toléré.
Les analogues du GLP1 3 2,5
2,0 2 1,5 1 0,5
0,18
0 Pourcentage temps < 60 mg/dL Avant traitement
Après traitement
Figure 2 - Évaluation d’un traitement par acarbose.
Un essai non contrôlé ouvert (12) a testé un traitement par analogues du GLP1 chez 5 patients ayant eu un by-pass gastrique et présentant des hypoglycémies postprandiales tardives. Il est rapporté une amélioration clinique et une récidive des symptômes à l’arrêt ou à la diminution du traitement. Cette petite étude
mérite d’être confirmée par des essais, notamment randomisés.
Conclusion L’efficacité de la chirurgie bariatrique sur la rémission du diabète de type 2 n’est plus à démontrer, mais elle n’est pas constante (diabètes persistants après chirurgie) et pas toujours durable (récidive de diabète à distance). La préparation du patient à la chirurgie doit inclure la prise en charge de son diabète pour améliorer l’équilibre glycémique préopératoire. La prise en charge du diabète postopératoire doit être adaptée, sans doute plus codifiée qu’elle ne l’est à l’heure actuelle, en tenant compte notamment des facteurs pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des traitements utilisés. Ces données doivent inciter les diabétologues à une vigilance dans la surveillance de leurs patients diabétiques opérés n de chirurgie bariatrique.
Mots-clés : Chirurgie bariatrique, Obésité, Diabète de type 2, Périopératoire
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Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
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En pratique
Neuropathies périphériques après chirurgie bariatrique Comment les prévenir et les prendre en charge ? Dr Cécile Ciangura*, Dr Timothée Lenglet**
Introduction Les neuropathies périphériques sont des complications dont la fréquence est estimée entre 0,08 et 16 % des interventions de chirurgie bariatrique. Leur délai de survenue est compris entre 4 mois et 14 ans. Les tableaux cliniques décrits sont le plus souvent une polyneuropathie sensitive subaiguë par carence vitaminique (en particulier vitamines B1 et B12, cuivre et polycarentielle), et une mononeuropathie par compression canalaire consécutive à l’amaigrissement rapide, en particulier chez les sujets diabétiques. Des mécanismes inflammatoires et immunologiques pourraient également participer à cette complication. Si elles restent rares, leur pronostic peut être gravissime et la récupération axonale semble liée à la rapidité de la prise en charge. Les facteurs favorisants sont les troubles digestifs et l’absence de prise en charge nutritionnelle. Même si les interventions avec malabsorption sont plus exposées, aucune chirurgie, même purement restrictive, ne semble épargnée. La prévention comprend bien sûr la supplémentation vitaminique, mais aussi l’éducation des patients à reconnaître les signes d’alerte tels que les paresthésies, les douleurs neurogènes et les troubles de l’équilibre.
Introduction
Le système nerveux périphérique comprend les nerfs crâniens, les racines spinales, les ganglions rachidiens postérieurs moteurs ou sensitifs, les troncs nerveux périphériques et leurs ramifications *Praticien hospitalier, Service de Nutrition, Groupe hospitalier La Pitié Salpêtrière–Charles-Foix, Paris cecile.ciangura@psl.aphp.fr **Praticien hospitalier, Département de Neurophysiologie clinique, Groupe hospitalier La Pitié Salpêtrière–Charles-Foix, Paris
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© Juan Herrera – iStockphoto
Nous aborderons dans cet article les atteintes des nerfs périphériques observées après chirurgie bariatrique. Par choix, nous ne détaillerons pas les atteintes neurologiques centrales qui peuvent être également observées après chirurgie bariatrique, au premier rang desquelles la redoutable encéphalopathie de Gayet-Wernicke due à la carence en vitamine B1 et la sclérose combinée de la moelle liée à la carence en vitamine B12.
terminales, et le système nerveux autonome. Parmi les atteintes Neurologiques périphériques (NP), on distingue : • Les mononeuropathies, qui consistent en l’atteinte d’un seul tronc nerveux, par un mécanisme souvent compressif et dont les
manifestations sont motrices et/ ou sensitives dans le territoire nerveux correspondant. • Les mononeuropathies multiples, également appelées multinévrites, qui associent plusieurs mononeuropathies. L’étiologie en est souvent une vascularite. Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Neuropathies périphériques après chirurgie bariatrique
• Les polyneuropathies, qui sont des atteintes diffuses et plutôt distales, touchant les fibres sensitives superficielles (sensibilité épicritique, thermique et algique) ou profondes (équilibre), les fibres motrices, ou encore celles du système nerveux autonome. Il est important de préciser si l’atteinte est aiguë (de quelques jours à 1 mois), subaiguë (1 à 2 mois) ou chronique (au-delà de 2 mois).
et dérivation biliopancréatique) paraissent plus fréquemment associées aux NP, il n’est en réalité pas possible d’identifier quelle procédure est associée à une moindre fréquence de NP. En particulier, plusieurs publications rapportent ce type de complication après chirurgie purement restrictive (gastrectomie, gastroplastie verticale calibrée, anneau gastrique et même un cas après un ballon intragastrique) (3).
Prévalence
Si l’encéphalopathie est une complication qui survient précocement après l’intervention, le délai des NP est plus variable et tardif : le délai de survenue est de 4 mois jusqu’à 14 ans après l’intervention chirurgicale (4) !
Les neuropathies périphériques sont des complications rares de la chirurgie bariatrique. Leur prévalence varie de 0,08 à 16 % selon les séries, en moyenne à 1,3 % dans une revue exhaustive publiée en 2006 (1). Cette revue reprend toutes les publications de 1974 à 2006, soit 60 cas (96 patients) et 118 séries (9 996 patients). Les atteintes neurologiques périphériques correspondent pour 67 % à des polyneuropathies, et pour 30 % à des mononeuropathies. La cohorte de la Mayo Clinic est particulièrement intéressante (2). Cette série rétrospective porte sur les 435 patients suivis dans ce centre entre 1985 et 2001, opérés d’une chirurgie bariatrique, et comparés à une série contemporaine de patients obèses ayant été opérés d’une cholécystectomie, et appariés pour l’âge et le sexe. Le diagnostic de neuropathie était retenu devant des signes cliniques évocateurs confirmés par un électromyogramme. La prévalence de NP était de 16 % après chirurgie bariatrique contre 3 % après cholécystectomie. Parmi ces NP, 38 % étaient des polyneuropathies à prédominance sensitive, 55 % des mononeuropathies et 7 % des neuropathies radiculaires. Même si les chirurgies avec une composante malabsorptive (by-pass gastrique Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Physiopathologie Les facteurs prédictifs d’une NP identifiés sont (2) : - une valeur absolue de perte de poids importante ; - un délai de perte de poids court ; - une symptomatologie gastro-intestinale supérieure à 3 mois ; - la survenue de complications chirurgicales ; - une réhospitalisation ; - l’absence de suivi nutritionnel postopératoire ; - l’absence de supplémentation vitaminique.
Les carences en micronutriments Le premier facteur physiopathologique expliquant la survenue de NP après chirurgie bariatrique est la carence vitaminique, liée à la carence d’apport à laquelle s’ajoute la malabsorption éventuelle. L’expression phénotypique classique des NP carentielles est la polyneuropathie sensitive subaiguë, liée à une dégénérescence axonale. Elle peut être également sensitivomo-
trice, et plus rarement aiguë. Les manifestations cliniques ne sont pas spécifiques d’un micronutriment, et sont souvent d’origine pluricarentielle. Nous le détaillerons plus tard, mais il faut se souvenir que les marqueurs biologiques manquent de sensibilité. Le taux de résolution est variable selon les études, et serait de l’ordre de 50 %. La régénération axonale est lente et prend plusieurs mois. Il semble que l’ancienneté de la carence soit un facteur pronostic négatif. Les facteurs aggravants sont les vomissements, la mauvaise observance des suppléments vitaminiques et la consommation d’alcool. Quand des carences précises en micronutriments sont rapportées, il s’agit de la carence en vitamine B1, vitamine B12 et en cuivre (4). ❚❚La vitamine B1 Elle est un cofacteur du métabolisme du glucose dans les systèmes nerveux, musculaire et cardiaque, ce qui explique le retentissement d’une carence sur le fonctionnement neurologique (5). Elle est également impliquée dans la synthèse de l’acétylcholine et donc dans la transmission nerveuse. Il faut se souvenir que sa demi-vie est de l’ordre de 15 jours, et que son stock très faible peut être effondré en 3 à 6 semaines. Le besoin en vitamine B1 augmente avec l’apport calorique et en glucides, et une carence en B1 peut être démasquée par une charge en glucose. Son absorption intestinale a lieu dans le jéjunum proximal, et il existe une compétition avec l’alcool. La neuropathie périphérique liée à la carence en B1 est appelée béribéri neurologique (par distinction du béribéri cardiaque avec insuffisance cardiaque). Il s’agit 51
En pratique
Les neuropathies périphériques sont des complications dont la fréquence est estimée en moyenne à 1,3 % des interventions de chirurgie bariatrique. d’une polyneuropathie sensitive, motrice, douloureuse, distale, symétrique (comme la neuropathie liée à l’alcool). Elle peut être associée à l’atteinte neurologique centrale aiguë qu’est l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke (confusion, troubles oculomoteurs et syndrome cérébelleux) ou isolée. Le diagnostic est confirmé par la diminution du dosage de thiamine sérique et érythrocytaire ou de l’activité transcétolase érythrocytaire. Cependant, il ne faut pas attendre le résultat biologique et traiter dès la suspicion par de fortes doses de vitamine B1 (cf. infra). ❚❚La vitamine B12 (cobalamine) Elle est impliquée dans toute une série de réactions enzymatiques du métabolisme de la vitamine B9 (folates) et de l’homocystéine, et dans la synthèse de la myéline et de l’ADN. La carence en vitamine B12 survient souvent à distance de l’intervention car le stock hépatique est suffisant pour 6 à 12 mois (cela peut être plus court en cas de deuxième intervention chirurgicale). La vitamine B12 est couplée aux protéines animales et l’acidité gastrique est nécessaire pour l’en séparer. La vitamine B12 se lie au facteur intrinsèque dans l’estomac et l’ensemble vitamine B12-facteur intrinsèque est absorbé au niveau iléal. Il existe une interférence de la vitamine B12 avec la metformine et le protoxyde d’azote utilisé en anesthésie qui peuvent donc précipiter une carence en B12. Les signes neurologiques ne sont pas systématiquement associés aux autres manifestations de la carence en vitamine B12, et il n’est pas rare d’avoir des signes 52
neurologiques sans anémie mégaloblastique par exemple. On connaît bien la sclérose combinée de la moelle par carence en vitamine B12 caractérisée par l’installation progressive d’une atteinte médullaire postérieure puis latérale responsable d’un trouble proprioceptif et d’un déficit moteur pyramidal, avec des hypersignaux T2 des cordons postérieurs sur l’IRM. Le dosage de la vitamine B12 fait partie du bilan de démence systématique car elle peut donner des atteintes psychiatriques ou cérébrales (confusion, modification du goût, de l’odorat, de la vision). La NP liée à la carence en B12 peut survenir isolément ou en association avec l’atteinte médullaire. Elle consiste en une atteinte sensitive superficielle et/ou profonde, et possiblement une neuropathie optique. L’EMG conclut le plus souvent à une polyneuropathie axonale sensitivomotrice distale et symétrique. Le diagnostic de la carence en B12 est fait par le dosage sérique de vitamine B12 qui est abaissé. Parfois il est normal, et il faut doser les précurseurs des réactions métaboliques qu’elle contrôle : leur augmentation signe l’accumulation par défaut de vitamine B12 et permet de faire le diagnostic de la carence (acide L methylmalonyl CoA et homocystéine) (6). Dans tous les cas, il n’y a aucun risque à instaurer un traitement empirique par vitamine B12 sans attendre le résultat de ces dosages (cf. infra). ❚❚La carence en cuivre Elle donne des tableaux similaires à ceux de la carence en vitamine B12 : atteinte médullaire,
neuropathie sensitive périphérique et neuropathie optique. La carence en cuivre est confirmée par un dosage de cuivre et de céruloplasmine diminué (4, 7). Les carences en vitamines B9, B6, B2, B3 et E sont plus rarement associées à des manifestations neurologiques périphériques dans la littérature (7).
Fragilité neurologique sous-jacente Les patients qui bénéficient d’une chirurgie bariatrique présentent souvent des pathologies métaboliques, elles-mêmes sources de neuropathies, indépendamment de la chirurgie. Il faut donc avoir à l’esprit que ces patients ont potentiellement une fragilité sur le plan neurologique qui va les exposer à plus de complications. On sait que la prévalence des neuropathies périphériques est de 20 % dans le diabète de type 2, et qu’elle peut être indépendante de l’équilibre glycémique. L’intolérance au glucose pourrait expliquer un tiers des neuropathies sensitives “idiopathiques”. Dans une étude observationnelle, la prévalence des NP périphériques était de 11 % pour les personnes intolérantes au glucose, contre 26 % pour les personnes diabétiques et 4 % pour les normoglycémiques. Le syndrome métabolique, en particulier l’obésité et l’hypertriglycéridémie, sont également des facteurs de NP (9). Cette association est discutée pour le syndrome d’apnées du sommeil. Même si la dépendance à l’alcool reste une contre-indication à la chirurgie bariatrique, un antécédent d’alcoolisme est un fort pourvoyeur de NP, avec une prévalence de 10 % (9 à 30 % selon les séries), du fait de sa toxicité nerveuse directe, de sa compétition avec l’absorption intestinale de vitamine B1, Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Neuropathies périphériques après chirurgie bariatrique
et de la malabsorption vitaminique en cas de troubles gastropancréatiques associés. Cette fragilité neurologique peut expliquer que ces patients présentent plus de complications neurologiques quand les facteurs impliqués dans la chirurgie bariatrique s’ajoutent.
Atteintes nerveuses compressives Les atteintes monotronculaires par compression canalaire sont fréquentes en cas d’amaigrissement important : le tissu graisseux protecteur est perdu et le nerf se retrouve en contact plus direct avec les reliefs osseux périphériques. Ces manifestations sont dues à l’amaigrissement important et rapide, et ne sont pas spécifiques de la chirurgie. La symptomatologie est spécifique du niveau de compression, et peut être bilatérale : les compressions du nerf médian au canal carpien, du nerf sciatique poplité externe au col du péroné, et du nerf ulnaire au coude sont les plus fréquentes. Le traitement est mécanique : orthèse, kinésithérapie, voire chirurgie décompressive. Les patientes diabétiques semblent plus exposées à ce type de pathologies (2, 10).
Phénomène immunologique et inflammatoire Plusieurs cas de syndrome de Guillain-Barré ont été rapportés après chirurgie bariatrique. L’explication physiologique n’est pas évidente et des traitements spécifiques par immunoglobulines ont été associés à des vitaminothérapies probabilistes pour ces polyneuropathies périphériques aiguës et subaiguës (11). Thaisettawatkul et al. ont rapporté un infiltrat inflammatoire de cellules mononuclées associé à la dégénérescence axonale sur quelques biopsies de nerf sural chez des Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Même si les interventions avec malabsorption sont plus exposées, aucune chirurgie, même purement restrictive, ne semble épargnée. patients présentant des polyneuropathies subaiguës (2). La présentation clinique des patients n’est pas précisée dans l’article, mais on peut imaginer que pour les 4 patients (sur 71) ayant dû subir une biopsie, les données cliniques et/ou l’EMG et l’étude du liquide céphalorachidien n’étaient pas seulement évocateurs d’un problème carentiel. Bien que les mécanismes physiopathologiques ne soient pas connus, cette association entre chirurgie et manifestations infectieuses et/ou inflammatoires, peut être rapprochée des données observées dans l’étude SOS avec une mortalité liée aux infections à 12 % des patients opérés contre 3 % dans le groupe des patients suivis médicalement (12).
En pratique En pratique, il faut bien sûr penser avant tout à la neuropathie carentielle devant des manifestations de polyneuropathies périphériques, prélever les vitamines mais ne pas attendre les résultats pour commencer à traiter car il n’y a pas de corrélation systématique entre les résultats biologiques et les symptômes. D’autre part, il n’y a pas d’association systématique avec les atteintes extraneurologiques liées à cette carence. L’exemple le plus parlant de ces situations est la polyneuropathie par carence en vitamine B12 sans diminution du dosage sérique (un tiers des cas) et sans anémie macrocytaire (un tiers des cas). Un avis neurologique doit être requis car les tableaux ne sont pas forcément caractéristiques et il ne faut pas méconnaître une neuropathie d’autre origine qui reste possible dans tous les cas.
L’électromyogramme permet de confirmer le diagnostic de neuropathie périphérique. Il précise en outre la topographie, le type de fibres atteintes et le processus axonal et/ou démyélinisant. D’autres explorations peuvent être nécessaires telles que l’IRM médullaire et cérébrale, la ponction lombaire, voire la biopsie neuromusculaire selon l’orientation clinique. Il n’y a pas de recommandation spécifique pour la prise en charge de ces situations. Pour préciser l’origine carentielle, et indépendamment de la recherche des autres causes de NP, on peut proposer de réaliser un dosage de vitamine B12, d’acide méthylmalonyl CoA et homocystéine, de vitamine B9 sérique et érythrocytaire, de vitamine B1, B6, E, cuivre et céruloplasmine, à compléter éventuellement par un dosage de vitamine B2, A, zinc et sélénium. Le traitement vitaminique doit être “empirique et large”, car même si les micronutriments identifiés à l’origine de ces manifestations neurologiques sont souvent les vitamines B1, B12 et le cuivre, l’origine en est souvent multicarentielle et le patient est dans une situation nutritionnelle globalement défavorable. La toxicité d’un surdosage en micronutriments est exceptionnelle. Elle concerne la vitamine A pour des doses de l’ordre de 25 000 UI/j (10 000 UI/j pour la femme enceinte), et associe une hypertension intracrânienne, des nausées, des vomissements, des douleurs osseuses dans sa forme aiguë, et une atteinte hépatique dans sa présentation chronique. Cette 53
En pratique
situation est rarissime. L’autre risque de surdosage concerne la vitamine B6 qui occasionne en lui-même des neuropathies périphériques. Les cas rapportés dans la littérature semblent historiques pour des doses massives en aigu et atteignant 2 à 5 g/j pendant plusieurs mois ou 100 à 200 mg/j pendant plusieurs années en chronique (5). La prise en charge urgente des polyneuropathies périphériques ne met pas le patient dans une telle situation à risque. Il faut bien se souvenir qu’il n’a pas été rapporté de surdosage en vitamines B1 et B12. En corollaire, la recharge vitaminique doit être réalisée à « bonnes » doses. Par exemple, une proposition de traitement curatif d’une carence en vitamine B12 correspond à 1 000 µg par jour en intramusculaire pendant 1 semaine, puis 1 000 µg par semaine pendant 1 mois, puis 1 000 µg par mois. Cela est très différent des multivitamines qui n’apportent que 1 à 4 µg par jour de vitamine B12. Il en est de même pour la vitamine B1 dont le traitement curatif nécessite 100 à 1 000 mg IV par jour alors que la multivitamine n’en apporte que 1,4 mg. Il n’y a pas de consensus en termes de traitement. L’usage des réanimations neurologiques devant un tableau aigu est de donner en urgence : - 1 g IV de vitamine B1 ;
- 500 mg IV de vitamine B6 ; - 250 mg IV de vitamine PP ; - 1 000 µg IM de vitamine B12 ; - 1 flacon IV de Nonan® ; - 1 flacon IV de Cernevit®. Quand la voie parentérale est utilisée, le soluté doit être du sérum physiologique, et en aucun cas du glucosé qui précipiterait une carence en vitamine B1. L’ancienneté de la carence semble associée à l’irréversibilité des atteintes et il est donc primordial de supplémenter dès que le diagnostic est suspecté. Il est important d’évoquer une neuropathie périphérique carentielle même devant des tableaux cliniques “bizarres”, et de se souvenir que les sujets opérés ont un terrain à risque de neuropathie, indépendamment de la chirurgie (syndrome métabolique, diabète…). L’évaluation attentive préopératoire de ces patients devrait permettre de les repérer, et éventuellement de documenter l’atteinte préopératoire par un EMG de référence. Les cas publiés dans la littérature concernent majoritairement des patients avec des troubles digestifs et sans suppléments vitaminiques. Même si les chirurgies malabsorptives sont plus exposées, aucune procédure ne semble épargnée par ce type de complication. La
prévention doit être réalisée quelle que soit la procédure chirurgicale. Elle comprend la recherche et la correction des carences en préopératoire et au long cours, car le délai de survenue des neuropathies périphériques atteint jusqu’à 14 ans ; la prescription des multivitamines systématiques ; mais aussi l’information des patients sur les signes d’alerte tels que les fourmillements, les douleurs à type de décharges électriques et brûlures, les troubles de la sensibilité, de l’équilibre, de la marche, de la vision (et aussi confusion, faiblesse…) en postopératoire. La prudence devrait être de mise pour les interventions par sleeve pour lesquelles le peu de recul actuel ne paraît pas suffisant pour rassurer quant au risque de complications neurologiques tardives (3). Pour le soignant, il est important de savoir repérer les patients à risque de complications neurologiques en postopératoire : vomissements, complications chirurgicales, amaigrissement rapide, maladies intercurrentes. Dans ces cas, il est important d’ajouter en systématique des multivitamines et de la vitamine B1 par voie IV ou IM. n
Mots-clés : Neuropathie périphérique, Polyneuropathie, Mononeuropathie, Carence vitaminique, Chirurgie bariatrique
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Les troubles du comportement alimentaire Avant et après la chirurgie bariatrique Brigitte Quintilla*
Introduction Pour expliquer le possible devenir des Troubles du comportement alimentaire (TCA) après la chirurgie, il me paraît important de comprendre leurs origines. La clinique des sujets souffrant de ces troubles et plus particulièrement les patients atteints de boulimie, hyperphagie, c’est-à-dire, d’une alimentation par excès, nous a souvent montré le rôle des TCA dans l’économie psychique. « La dimension la plus urgente de l’économie psychique qui sous-tend ce type de trouble est le besoin de se débarrasser aussi rapidement que possible des sentiments d’angoisse, de colère, de culpabilité ou de tristesse qui font souffrir voire, dans certains cas, des sentiments agréables ou excitants mais qui sont vécus inconsciemment comme défendus ou dangereux. » J. Mc Dougall
Trauma ou conflit psychique Les TCA représentent une solution comportementale à ce que la subjectivité et l’appareil psychique ne peuvent gérer, comme le trauma ou le conflit non symbolisé qui sont alors, soit refoulés, soit déniés, ou encore barrés. L’acte de manger devient alors le symptôme
*Psychologue clinicienne, CHU de Toulouse
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élaboré à l’insu de la conscience, qui revient sous une forme inconsciente, indiquant bien une inhibition psychique qui ne peut activer autre chose que la répétition. “Manger” serait une sorte de solution somato-psychique permettant au sujet d’échapper au stress mental généré par le trauma et son souvenir ou le conflit psychique non élaboré et son souvenir. L’appel psychique est ici transformé en un besoin somatique et le corps utilisé pour calmer une angoisse identitaire. De ce fait, nous pouvons considérer que le trouble du comportement alimentaire est davantage une solution psychosomatique que psychologique à la souffrance psychique. Il est un compromis de symptôme, une réponse élaborée de façon inconsciente pour faire face à une impasse à laquelle se heurte le psychisme, impasse qui conduit au saut dans le corporel. Pour résumer, nous pourrions dire qu’en mangeant le sujet se défend de penser ou d’éprouver “un impossible à symboliser”. Les représentations et les affects, que le patient essaie d’éviter, sont bien ceux résultant d’événements traumatiques ayant eu lieu dans sa vie, de façon plus ou moins précoce ; ou ceux résultant d’événements internes ou externes qui, sans être traumatiques, ont tou-
tefois dépassé les capacités habituelles de contenir et d’élaborer les conflits. Cette économie psychique, “Manger”, devient problématique quand elle apparaît comme la “seule” solution dont le sujet dispose pour supporter la douleur psychique. Le trouble du comportement alimentaire devient alors le mécanisme de défense privilégié auquel le sujet a principalement recours pour se protéger contre l’angoisse, les représentations et les affects inélaborables ; c’est bien cela qui pose problème.
“Manger” serait une sorte de solution somato-psychique permettant au sujet d’échapper au stress mental. Processus des TCA Dans les deux cas, trauma ou conflit psychique, le processus se déroule de la façon ci-après. La prise alimentaire crée en quelque sorte un court-circuit biochimique de l’activité psychique. Ce processus permet de rejeter (forclusion) des représentations et des affects inélaborables. Ainsi, les représentations, les affects, les souvenirs ne pouvant être investis, sont refoulés, déniés ou barrés et s’expriment à travers une mise en acte Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Les troubles du comportement alimentaire
“Manger !”. Cet acte a pour fonction de barrer l’accès à toute mentalisation et de se substituer ainsi à toute sensation de déplaisir ou d’angoisse. Mais pour continuer d’éviter le déplaisir lié à des idées et des affects anxiogènes, pour les empêcher de se manifester à nouveau à la conscience, le sujet devra réitérer son comportement chaque fois que ces pensées, ces affects, menaceront de réapparaître. La répétition de cet agir, de cet acte symptôme, se manifestera alors sous la forme d’une compulsion de répétition. Cette compulsion peut présenter des cycles de manifestation plus ou moins sévères. Ainsi, nous nous apercevrons qu’il peut exister, dans la vie de ces sujets, des périodes d’accalmie de ces troubles. Il est important d’avoir à l’esprit que l’apaisement des TCA ne signifie pas de façon systématique la résolution de la problématique psychique les ayant générés. En effet, la clinique nous montre qu’ils peuvent s’atténuer sous l’effet d’une amélioration plus ou moins transitoire des conditions de vie (moins stressantes), d’un projet de vie stimulant (mais plus ou moins adapté à la réalité), d’un environnement plus étayant, plus sécurisant, du moins perçu comme tel par le sujet, etc. Cette amélioration contextuelle peut être une voie de sortie du trouble mais pas forcément. La diminution des troubles n’est donc pas systématiquement le signe que la problématique psychique les ayant générés est résolue ou, dit autrement, que la problématique est symbolisée. De ce fait, elle risque de réapparaître quand les facteurs contextuels d’amélioration n’y seront plus et que le sujet traversera une Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
période de vie plus délicate. La prudence quant à l’évaluation de ces troubles dans le cadre d’une demande de chirurgie est donc de rigueur. Ce que nous venons de dire nous montre bien que l’évaluation des TCA ne peut se limiter à une simple prise en compte de l’intensité (la sévérité) et de la fréquence des troubles. La sémiologie de ces troubles est avant tout une sémiologie de la signification, une sémiologie complexe, qui repose essentiellement sur l’entretien clinique.
Que peut apporter la chirurgie dans les TCA ? La demande de chirurgie bariatrique chez les patients atteints de TCA est souvent une demande de limite. « Mettez à l’intérieur de moi une limite, que je ne peux pas mettre moi-même malgré toutes mes tentatives, tous mes efforts, pour y arriver ! » Elle porte aussi sur une demande de sortie “d’une répétition”, répétition d’échecs : échecs de tentatives d’amaigrissement et échecs de contrôle de la prise alimentaire. Ces répétitions ont conduit sur le long terme à une aggravation de la problématique plutôt qu’à son amélioration. La lecture de ces échecs répétés nous conduit à nous poser la question de leurs rôles et de leurs fonctions pour le psychisme.
La demande de chirurgie bariatrique chez les patients atteints de TCA est souvent une demande de limite.
Une façon pour le sujet de permuter un ressenti Nous pouvons voir dans la compulsion de répétition des TCA – en plus de tout ce que nous avons évoqué auparavant – une façon pour le sujet de permuter un ressenti, un peu comme l’enfant qui répète dans ses jeux des situations, cherchant ainsi à changer un éprouvé déplaisant en une sensation plus plaisante. L’exemple du jeu du “Fort-da”, cité par Freud, est un bon exemple du but recherché par la compulsion de répétition. Ici, Freud nous montre comment l’enfant, à travers la compulsion de répétition du jeu de la bobine, cherche à se représenter les allers et retours de sa mère. L’activité ludique de l’enfant consistait à lancer plusieurs fois la bobine au loin, pour la ramener vers lui. Freud nous explique qu’en répétant ce jeu, l’enfant cherchait à dépasser le ressenti désagréable de l’expérience liée à l’éloignement maternel. Par la répétition du jeu, l’enfant devenait ainsi actif dans ce qui lui arrivait, il en prenait la maîtrise. De plus, en accédant à la symbolisation de l’absence de sa mère, son ressenti de la situation finissait de perdre son caractère déplaisant, l’enfant pouvait, à partir de là, arrêter de répéter ce jeu et passer à autre chose. De la même façon, le patient en surpoids, en répétant ses régimes pour maigrir, cherche à changer le ressenti de sa prise de poids. Il tente bien ici de redevenir maître de son corps, de son image et de ce qu’il mange. Il passe ainsi d’une position passive, où il subissait sa prise de poids, à une position active, où il agit sur son corps. Il change ainsi son éprouvé corporel et son ressenti psychique, de passif il devient actif. Mais contrairement à l’enfant avec le 57
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jeu de la bobine, les tentatives répétées d’amaigrissement et de contrôle alimentaire vont le plus souvent aboutir à une succession d’échecs. La répétition ici, à l’opposé de l’exemple du jeu du “Fort-da” cité plus haut, va aggraver la problématique et non permettre d’accéder à un autre stade. Le sentiment d’impuissance, de découragement ainsi que la blessure narcissique vont s’accroître (comme le poids d’ailleurs) au lieu de diminuer. Ces exemples nous montrent que le besoin de ressentir quelque chose de différent peut activer la compulsion de répétition, mais que les effets de cette dernière ne mènent pas toujours vers une progression psychique. La compulsion de répétition peut échouer à transformer un ressenti déplaisant en un ressenti plaisant et, dans le cas des obèses, elle l’aggrave le plus souvent. C’est d’ailleurs à partir de cette aggravation que la demande de chirurgie va émerger.
Le patient en surpoids, en répétant ses régimes pour maigrir, cherche à changer le ressenti de sa prise de poids. Une nouvelle tentative pour le sujet de sortir du processus de répétition Nous voyons dans cette demande de chirurgie une nouvelle tentative pour le sujet de sortir du processus de répétition, en essayant une nouvelle fois de reprendre la maîtrise de sa prise de poids. Il redevient ainsi à nouveau actif dans ce qui lui arrive, il ne subit plus. Mais à la différence de ses essais précédents, il demande à un tiers 58
d’intervenir directement sur son corps pour y trancher quelque chose. Cet acte aura pour conséquence de changer les messages sensoriels qui traitent l’information venant de l’intérieur du corps et plus particulièrement les messages proprioceptifs et intéroceptifs. C’est à partir de tous ces changements perceptivo-sensoriels que va commencer l’amaigrissement du patient. De toutes les modifications sensorielles (gustatives, olfactives, digestives) va aussi naître un nouveau rapport à la nourriture. Mais ces transformations de ressentis peuvent être ambivalentes dans leurs effets. Certaines seront perçues comme très plaisantes, d’autres beaucoup moins, elles peuvent même être parfois vécues comme très déplaisantes. Le but est cependant atteint, il y a un changement de ressenti. C’est bien par les modifications que la chirurgie provoque dans le corps, son image, ses sensations, son ressenti, que s’offre au patient une nouvelle possibilité de sortir de la répétition. Et ce, notamment, parce qu’à l’intérieur de ces transformations, s’introduit ou se réintroduit une sensation importante qui est “la sensation de satiété”, sensation essentielle à la reprise d’un contrôle sur l’absorption de nourriture. Il est utile de préciser ici que les restrictions alimentaires que le sujet s’imposait dans le passé, lors de ses régimes successifs ne lui avaient pas permis d’accéder à la sensation de satiété, bien au contraire. Ils avaient engendré de la frustration. Essayant d’échapper à ce nouveau stress mental dû à ces trop fortes restrictions alimentaires, le patient perdait à nouveau le contrôle de
sa prise alimentaire, ce qui avait pour conséquence d’éveiller en lui des sentiments d’échec, d’impuissance et de culpabilité. Nous pouvons résumer le phénomène ainsi : la restriction fait naître la frustration, la frustration mène à l’échec de la restriction, l’échec conduit au sentiment de culpabilité et d’impuissance qui générera plus tard une nouvelle phase de restriction. Ainsi s’active la répétition pourtant née du désir initial de maîtriser la prise alimentaire et le poids par un “effort psychique”.
La chirurgie pour agir sur le corps lui-même Le sujet voyant ses tentatives d’action sur le corps échouer les unes après les autres et son psychisme impuissant à y changer quelque chose, c’est sur le corps lui-même qu’il décide maintenant d’agir, en faisant sa demande de chirurgie. Cela n’est pas neutre sur le plan symbolique, car il y a déplacement de l’action, changement dans la stratégie de résolution de la problématique. En réclamant à un tiers cet acte sur son corps, le sujet déplace du même coup ses tentatives psychiques d’action sur le corps par une action sur le corps lui-même qui aura des effets sur le psychisme. Ce n’est plus au psychisme d’agir sur le corps mais au corps d’agir sur le psychisme. À partir de l’acte chirurgical, la transgression de certaines règles alimentaires va devenir difficile voire impossible, le prix à payer pour chaque transgression étant une réaction organique douloureuse ou inconfortable. Le corps ainsi mis dans l’incapacité future de “manger trop” est “hors-jeu”. Il ne pourra alors que signifier, dans les mois qui suivent l’acte chirurDiabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Les troubles du comportement alimentaire
gical, un refus au Moi, chaque fois que celui-ci tentera d’activer la compulsion de répétition par les voies régressives habituelles “Manger” pour pallier ses défaillances.
Comprendre est différent de ressentir Il semblerait donc que la limite physique, demandée par le patient et introduite par la chirurgie, vienne suppléer une incapacité du Moi à sortir de la compulsion de répétition “Manger” pour accéder à un autre stade. Les connaissances que le sujet avait acquises en matière alimentaire, les régimes qu’il s’était imposés, ne lui avaient pas permis de trouver cette limite et avaient entretenu la répétition. Le sujet a beau savoir ce qu’il faudrait qu’il fasse pour maigrir, connaître par cœur toutes les règles alimentaires, cela ne met pas fin pour autant à sa compulsion de répétition. Comprendre et ressentir sont deux choses de nature psychologique tout à fait différentes. L’expérience clinique nous montre clairement que le “verbal”, la connaissance, ne peuvent suffire à elles seules à changer l’état psychique des patients, il faut qu’il y ait quelque chose de plus qui se passe. Le thérapeute l’observe bien quand il voit qu’il a beau expliquer au patient ce qui dysfonctionne, lui donner des conseils, sans obtenir les résultats thérapeutiques escomptés, ou alors de façon transitoire. Force est alors de constater qu’écouter ou éprouver ne mobilise pas les mêmes contenus latents dans le psychisme. Pour se libérer de la compulsion de répétition “Manger” et de ses effets pathogènes, il est important que le sujet, en plus de comprendre, Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
puisse établir les connexions associatives nécessaires entre son conscient et son inconscient. En sachant que les traces mnésiques inconscientes ne sont pas constituées seulement de sémantique, de cognitif, mais aussi de sensations, de perceptions, de sentiments, d’affects, etc., bref, de tout un vécu somato-psychique. Il semblerait donc que, pour obtenir une modification durable sur le plan psychique et somatique, il faille solliciter de façon simultanée les perceptions somatiques et l’appareil psychique. Ce serait à cette condition que “l’insight nécessaire” (gestalt) à une réorganisation somato-psychique mieux organisée aurait le plus de chances de se réaliser. L’insight est ici envisagé comme la voie à privilégier pour mettre un terme à la répétition. De l’acte chirurgical est susceptible de naître ce changement de ressenti. Il va permettre une restructuration perceptivo-sensorielle porteuse du pouvoir de créer de nouvelles connexions de signification modifiant les impressions de vie, et pouvant aller jusqu’à transformer la notion que le sujet a de lui-même. Il va le faire, notamment, en introduisant une limite organique à l’acte de “Manger”.
La chirurgie permettrait-elle de mettre un terme à la compulsion de répétition ? Il semblerait bien, et elle le ferait en fermant certaines voies d’accès aux tendances régressives du Moi. L’une des conséquences majeures de l’acte chirurgical est bien de couper l’accès des différents frayages physiologiques, or-
ganiques et corporels qui s’étaient formés ou plutôt déformés suite aux TCA ; avec le temps ces frayages ainsi créés avaient permis le maintien des TCA, faisant ainsi entrer le sujet dans le cercle infernal cité plus haut, dont il ne parvenait plus à sortir. En barrant l’accès vers ces frayages physiologiques, la chirurgie ferme du même coup les voies d’accès habituelles aux mouvements régressifs du Moi exprimés par l’acte symptôme “Manger”. On pourrait même dire que la défaillance du Surmoi et du Moi en tant qu’instances psychiques à enrayer le processus mortifère de la répétition “Manger” est ici relayée par la mise en place de ce que nous pourrions nommer : “Surmoi corporel” ou “Limite corporelle du Moi”. Il ne reste plus maintenant au Moi que deux alternatives, soit trouver d’autres voies d’accès aux tendances pulsionnelles régressives, soit pouvoir permettre au conscient de créer un lien avec les traces mnésiques inconscientes du trauma ou des conflits internes et/ou externes non résolus. Il est donc important que la chirurgie soit étayée par d’autres prises en charge thérapeutiques permettant au sujet d’effectuer un travail d’élaboration pour éradiquer l’acte symptôme. Les tendances régressives pulsionnelles se voyant désormais, les voies d’accès habituelles vers l’acte symptôme “Manger”, en grande partie barrées par “la chirurgie”, peuvent chercher d’autres voies d’accès si le Moi ne parvient pas à atteindre une organisation plus évoluée. Il s’agit bien ici de considérer le corps comme le lieu d’où peut émerger une possibilité de réa59
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ménagement psychique permettant l’accès à une organisation plus adaptée, plus mature. Dans ce parcours, le travail de symbolisation aura, comme on l’a dit, un rôle important à jouer. Il ne faut pas perdre de vue qu’à l’origine de la problématique, le recours à l’acte de manger a témoigné d’un impossible à élaborer sur le plan psychique. La compulsion de répétition était le reflet renouvelé d’un passé désagréable que le patient essayait d’oublier sans toutefois y parvenir complètement. Le somatique, le corps, l’acte, s’étaient donc exprimés faute de mentalisation. L’acte symptôme “Manger” nommait une défaillance symbolique d’un refoulé inconscient et/ou d’un trauma non abréagi qui ne cessaient de revenir, finissant pas s’inscrire dans le corps par le biais de la répétition. Nous pensons, de ce fait, qu’il est nécessaire d’accompagner le patient avant et après la chirurgie, vers un réaménagement psychique plus mature, en favorisant un travail de symbolisation. Le but de ce travail étant de permettre, dans l’avenir, la décharge des surplus d’excitations internes et externes, passés ou présents, autrement que par l’acte de manger. Cela est d’autant plus essentiel que, comme on l’a vu, la chirurgie a coupé les anciennes voies d’accès physiologiques vers la régression. Le Moi, à partir de maintenant, aura beaucoup plus de difficultés à emprunter ces voies pour se débarrasser des sentiments d’angoisse, de colère, de culpabilité ou de tristesse qui le font souffrir, par l’acte de “Manger”.
que la solution “Manger” ne demeure plus, dans l’avenir, la solution principale pour le patient de contenir sa douleur psychique.
Toute l’activité de symbolisation, d’élaboration en psychothérapie, visera donc à compléter le travail amorcé par la chirurgie afin
Est-ce que le déplacement du symptôme, son renversement ou son retour à l’identique est le signe d’une décompensation
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Si les expériences traumatiques ne sont pas abréagies et les conflits psychiques élaborés avant et après la chirurgie, il ne restera plus au Moi que l’alternative de se défendre des sensations désagréables émergeant de l’inconscient par un nouvel acte symptôme, qui sera soit déplacé (compulsions d’achat, prise d’alcool), soit renversé en son contraire (anorexie), ou apparaîtra sous la forme d’une décompensation somatique ou d’une décompensation psychique ou encore le trouble reviendra à sa forme initiale : boulimie, manger la nuit, grignotage, besoin de sucre, etc. Nous trouvons aussi le cas où le patient garde pendant de nombreux mois, voire des années après la chirurgie, la maîtrise de ses compulsions alimentaires, il les a toujours mais elles ont perdu de leur force, les compulsions sont devenues maîtrisables mais toujours présentes, la fragilité psychique reste quasi entière ; il suffira alors d’un contexte de vie plus déstabilisant pour qu’elles reprennent de la puissance. Ces constats se doivent d’attirer l’attention du thérapeute sur l’importance de repérer ces manifestations dans un premier temps, et dans un second sur la nécessité de saisir ce qu’elles signifient pour le psychisme du patient.
Analyser les symptômes
psychique ? D’une régression désorganisatrice ? Ou bien, le signe d’une régression réorganisatrice signant une étape vers un réaménagement psychique plus adapté ? Dans les premiers cas, le symptôme signale une difficulté de l’appareil psychique à accéder à une nouvelle organisation plus adaptée. Ce qui risque fort de l’amener à rester fixé à la nouvelle compulsion de répétition. Dans les deux derniers cas, le symptôme ne sera sûrement que transitoire, signant une étape nécessaire au psychisme pour accéder à une organisation plus évoluée. La reconnaissance de ces mouvements psychiques va permettre au thérapeute de mieux accompagner tous les réaménagements provoqués par l’intervention chirurgicale. Pour cela, il faudra du temps ainsi qu’un concept thérapeutique englobant plusieurs méthodes de travail psychothérapeutique. La chirurgie, en permettant au patient de faire une rupture avec un état d’être au monde, à soi, à son corps, à la vie, lui donne une possibilité supplémentaire d’accéder à autre chose, à un autre stade de maturité psychique, à sortir d’une position de passivité. Cependant, nous insisterons ici sur la nécessité d’accompagner ces patients, sur du long terme, pour les soutenir dans les réaménagements corporels, fonctionnels, sensoriels, toniques, psychiques qui ne manqueront pas de se manifester dans l’après-chirurgie.
Conclusion Tout ce que nous venons de dire rend compte de la difficulté à Diabète & Obésité • Février 2014 • vol. 9 • numéro 76
Les troubles du comportement alimentaire
prévoir ce que les TCA peuvent devenir après une chirurgie, d’anticiper leur évolution. La question de ce qu’en fera le sujet reste entière. Ce que nous retiendrons toutefois, c’est que ce type d’intervention offre au patient une voie particulièrement efficace pour sortir de la répétition et atteindre des lieux, des états, des ressentis qui ne peuvent être atteints autrement. Après la chirurgie, le corps n’est plus le même et le ressenti de ce corps non plus. Le corps, ses sensations, son image, deviennent quelque chose d’étrange et d’étranger pour certains ou une réconciliation, des retrouvailles, avec un Moi-corps perdu depuis des années, pour d’autres. Il est essentiel que la chirurgie soit étayée par une prise en charge pluridisciplinaire, durable, afin qu’elle ne soit pas un nouvel échec dans la vie du sujet. Pour cela, il est préférable qu’elle s’accompagne d’un cadre thérapeutique structuré et sécurisant où l’inhibition psychique ayant généré l’acte symptôme
“Manger” puisse devenir un début de questionnement. Initier ce travail d’élaboration facilitera pour le sujet l’accès à la mise en place de nouvelles défenses psychiques plus économiques et mieux adaptées. Ce cadre semble offrir plusieurs possibilités de prise en charge, afin qu’il puisse s’adapter à la singularité de chaque sujet et accompagner au mieux le parcours de chacun.
Il est essentiel que la chirurgie soit étayée par une prise en charge pluridisciplinaire, durable, afin qu’elle ne soit pas un nouvel échec dans la vie du sujet. La difficulté à laquelle nous nous heurterons souvent est la résistance du sujet atteint de TCA à entamer un tel travail psychothérapeutique. À l’origine, comme nous l’avons évoqué plusieurs fois, la mise en place de l’acte symptôme “Manger” s’est faite autour du désir de ne pas
penser, autour de l’évitement du déplaisir que pourrait provoquer la libération de l’inconscient refoulé, dénié. Or, la psychothérapie peut l’amener justement à penser l’impensable, à faire émerger les expériences déplaisantes du passé dont le patient évitait la manifestation en mangeant. Toutefois, la psychothérapie est nécessaire pour permettre au sujet de reconnaître dans ce qu’il vit aujourd’hui, ce qui peut apparaître comme le reflet d’un passé qui vient encore parasiter son présent malgré la chirurgie. Ce travail thérapeutique aura essentiellement pour but d’éviter que la compulsion de répétition perdure ou ne revienne sous sa forme initiale ou sous une autre, et de faciliter une réorganisation psychique plus adaptée dont l’acte chirurgical pourra être le précurseur. n
Mots-clés : Troubles du comportement alimentaire, Chirurgie bariatrique, Manger
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