Dia77 complet

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La prise en charge globale du patient diabétique

d www.diabeteetobesite.org

dossier 1

Interprétation de la mesure continue du glucose : la méthode AGP Pr Hélène Hanaire

Telle quelle, la mesure continue du glucose est difficile à interpréter pour un patient diabétique.

Traitement du dumping syndrome : nous avons besoin de compétences diététiques

2

Jocelyne Lijeron, Pr Patrick Ritz

La technique AGP fournit un rapport compilé des données et permet une analyse simple, avec un coup d’œil rapide sur les tendances importantes des glycémies.

ÉDUCATION Thérapeutique

INTERSPÉCIALITÉS

Traitement de l’œdème maculaire diabétique

Le cas particulier des migrants

À SAVOIR

société

Impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels

Cuisine : quels conseils et aménagements recommander à nos patients ?

Caroline Martineau

Dr Véronique Pagot-Mathis

Dr Célia Lloret-Linares, Dr Béatrice Bouhanick

Catherine Clarisse

ÉCHOS DES CONGRÈS

Le top 5 des sessions de la SFD 2014 Le 1er mensuel français en Diabétologie

Dr Charlotte Vaurs

DPC

Développement Professionnel Continu

Mars 2014 • Volume 9 • n° 77 • 9 E


La pris e e n c h ar g e g l o ba l e d u pa t i e n t diab é t i q u e

• Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Directrice du développement : Valérie Belbenoît • Directrice de la Rédaction : Odile Mathieu • Rédactrice : Caroline Sandrez • Secrétaire de rédaction : Fanny Lentz • Directrice de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette et illustrations : Erica Denzler, Élodie Lelong • Directrice de clientèle/projets : Catherine Patary-Colsenet • Service abonnements : Claire Lesaint • Impression : ­ Imprimerie de Compiègne 2, avenue Berthelot – ZAC de Mercières BP 60524 – 60205 Compiègne cedex

Comité de lecture

sommaire n ÉCHOS DES CONGRÈS

Congrès de la Société francophone du Diabète 2014 Le top 5 des sessions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 62 Dr Charlotte Vaurs (Toulouse)

n ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE

Éducation thérapeutique Le cas particulier des migrants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 71 Caroline Martineau (Toulouse)

n Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pr Yves Boirie (Clermont-Ferrand) Pr Régis Coutant (Angers) Pr Jean Doucet (Rouen) Pr Pierre Gourdy (Toulouse) Pr Véronique Kerlan (Brest) Dr Sylvie Picard (Dijon) Dr Helen Mosnier Pudar (Paris) Dr Caroline Sanz (Toulouse) Dr Anne Vambergue (Lille)

p. 73

combiner les compétences

Rédacteur en chef “Obésité” : Pr Patrick Ritz (Toulouse) Rédacteur en chef “Diabète” : Dr Saïd Bekka (Chartres)

Mars 2014 • Vol. 9 • N° 77

www.diabeteetobesite.org

Dossier coordonné par le Pr Patrick Ritz (Toulouse)

1 n Interprétation de la mesure continue du glucose La méthode AGP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 74 Pr Hélène Hanaire (Toulouse) 2 n

Traitement du dumping syndrome Nous avons besoin de compétences diététiques similaires à celles de l’insulinothérapie fonctionnelle. . . . . . . . . . . . p. 80 Jocelyne Lijeron, Pr Patrick Ritz(Toulouse)

Comité Scientifique Pr Bernard Bauduceau (Paris) Pr Rémy Burcelin (Toulouse) Pr Bertrand Cariou (Nantes) Pr François Carré (Rennes) Pr Bernard Charbonnel (Nantes) Dr Xavier Debussche (Saint-Denis, Réunion) Pr Jean Girard (Paris) Pr Alain Golay (Genève) Pr Hélène Hanaire (Toulouse) Dr Michel Krempf (Nantes) Pr Michel Pinget (Strasbourg) Pr Paul Valensi (Bondy) Diabète & Obésité est une publication © Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette Passage du Cheval Blanc • Cour de Mai 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 • Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : diabete@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 ISSN : 1957-5238 N° de Commission paritaire : 1013 T 88454 Prix au numéro : 9 F. Mensuel : 10 numéros par an. Abonnement au prix de 75 € TTC/an Les articles de “Diabète & Obésité” sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction, même partielle, sans le consentement de l’auteur et de la revue, est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

n À savoir

Impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels À partir d’un cas et analyse de la littérature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 84 Dr Célia Lloret-Linares (Paris), Dr Béatrice Bouhanick (Toulouse)

n interspécialités

Œdème maculaire : injection intravitréenne d’anti-VEGF et médicaments apparentés À quoi servent-il ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 92 Dr Véronique Pagot-Mathis (Toulouse)

n société

Au cœur de nos pratiques culinaires et alimentaires L’espace de la cuisine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 97 Catherine Clarisse (Paris)

n Rendez-vous de l’industrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 70 n Bulletin d’abonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 96 n Agenda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 101

Assemblés à cette publication : 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages). Photo de couverture : © DR


Échos des congrès

Congrès de la Société francophone du Diabète 2014 Le top 5 des sessions n Du 11 au 14 mars s’est déroulé à Paris le congrès annuel de la Société francophone du Diabète. Le Dr Charlotte Vaurs a accepté de sélectionner et de résumer pour Diabète & Obésité les sessions qui l’ont le plus marquée. Mercredi 12 mars – 16h15

Symposium SFD Paramédical

Place des soignants comme tuteurs de résilience Intervenant : G. Ribes (Lyon)

Pourquoi parler de résilience dans un contexte de soins ? • Pour penser la maladie comme un élément du développement du patient. • Pour penser le lien patient/soignant. • Pour penser la position soignante. • Car cela interroge la question du traumatisme. Il existe une relation dissymétrique entre le soignant “sachant” et le soigné “souffrant” : entendre pour construire ensemble quelque chose (exemple : 90 % des femmes qui ont eu un cancer du sein sont capables d’en dire la cause, moins de 20 % des praticiens interrogent sur ces représentations profanes). Gérard Ribes rappelle qu’être malade c’est être patient. La relation est non pas en équilibre mais de partenariat. On ne se décrète pas tuteur de résilience. Le tuteur se caractérise par une présence humaine et sensible mais non prescrite. Le tuteur va reconnaître et valoriser le sujet qui pourra faire appel à ses compétences à (se) construire. Mais il ne faut pas oublier que les microcultures familiales et environne62

mentales constituent des contextes favorisant ou non le processus de résilience. La résilience est une manière d’être plutôt qu’une manière de faire (regard, échange, réciprocité, compétence, confiance).

Les bases de la relation

• Le regard : changer le regard sur les individus, travailler sur les potentiels. Le regard que l’on porte sur les sujets blessés passe aussi par le regard que l’on porte sur soi. • La créativité patients/soignants : une des clés de la résilience. Créativité de la relation plus que de l’action. L’action est le support d’échanges relationnels dans un contexte déterminé par la relation de soin. • L’échange : le soignant ne se considère pas comme le tuteur de résilience mais est alors comme un décrypteur de possibilités et accompagne, s’implique avec la personne dans son projet à titre égal. • Les compétences : les compétences ne sont pas des connaissances (disponibilité à l’autre), mais au niveau de l’institution de soins cela

nécessite une mise en évidence et un renforcement des compétences des soignants pour renforcer les compétences des patients. • La réciprocité : noyau de sécurité et de confiance ? C’est la croyance à l’autre qui étaye la confiance. Un soignant en sécurité, en confiance, qui croit en celui qui l’accompagne, est un tuteur de résilience.

Et les mauvais patients ? Les comportements difficiles peuvent se lire comme : • une tentative pour préserver son intégrité ? ; • une gestion ingérable ? ; • une réponse à ses peurs ? ; • une incompréhension ? Il faut donc accepter de ne pas tout contrôler/savoir, accepter les limites proposées par l’autre, accepter d’être une présence attentive.

Conclusion La résilience parle d’une autre posture des praticiens qui regardent plus du côté des compétences et aptitudes du sujet. Le regard de l’autre est important. n

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


Échos des congrès

Mercredi 12 mars – 16h15

Symposium SFD Paramédical

Étude Jubilé ou cinquante années heureuses avec un diabète de type 1 Intervenant : J.-J. Altman (Paris)

Un seul critère d’inclusion dans cette étude : quarante ans ou plus de diabète de type 1 Le questionnaire médical comprenait vingt-quatre items (données cliniques de base, examens complémentaires usuels [équilibre glycémique], complications éventuelles et leur prise en charge). Jean-Jacques Altman rappelle que c’est un questionnaire anonyme. Le questionnaire patient comprenait soixante-deux items (statut marital, recensement, activité physique, socioculturelle, déplacement, niveau d’éducation, profession, retraite, liste des améliorations thérapeutiques, fardeaux, aides, joies et peines). Il y avait des questions fermées et ouvertes comme « Qu’estce qui a été le plus dur ? », « Qui vous a le plus aidé ? », etc. Quatre-vingt-dix-huit centres/ médecins répartis sur vingt et une régions ont participé à cette étude, ce qui était représentatif. À la fin de l’étude, les investigateurs ont obtenu 703 paires de questionnaires. Au niveau méthodologique, cela correspond à la moitié de la population ayant répondu, ce qui est représentatif.

L’objectif principal était de décrire cette population Les patients avaient en moyenne 63 ans (± 10), le sex-ratio était de 1/1. L’âge à la découverte était 15 ans (± 9). Leur diabète évoluait depuis quarante-huit ans (± 7). Le poids moyen était de 64

68 kg pour 1,66 m. Quarantetrois pour cent avaient une durée d’évolution du diabète supérieure à cinquante ans, 57 % une durée supérieure à quarante ans. L’HbA1c moyenne était de 7,5 %. Le nombre moyen d’injections par jour d’insuline était de 4 et 68 % faisaient en moyenne 5 glycémies capillaires ou plus par jour. Soixante-deux pour cent n’ont fait aucune acidocétose après la découverte du diabète. Dix-sept pour cent ont fait un seul épisode d’acidocétose et huit pour cent deux épisodes. Concernant les facteurs de risque cardiovasculaire, sur 673 patients, la PAS moyenne était de 130 mmHg, la PAD de 70 mmHg, le LDLc à 0,93 g/L, le HDLc à 0,62 g/L, les triglycérides à 0,69 g/L, la créatinine à 84 µmol/L, 24 % avaient une micro-albuminurie positive. Soixante-dix pour cent présentaient une rétinopathie proliférante modérée à sévère. Une acuité visuelle basse (inférieure à 3/10) était retrouvée chez 11 % des patients. Dix-neuf pour cent avaient des antécédents d’IDM, angor, stents, pontage ; 6 % d’AVC ; 6 % étaient tabagiques. Concernant les activités socioculturelles, sur 567 patients, 81 % étaient autonomes, 60 % avaient une vie sociale, 34 % ne pratiquaient pas d’activité physique, 37 % faisaient du sport régulièrement, 86 % avaient leur permis de conduire, 63 % voyageaient, et 39 % prenaient l’avion.

Concernant la vie personnelle, sur 567 patients, 72 % étaient en couple. Plus de 80 % des patientes avaient une médiane de 2 enfants (1,6 enfant par femme). Concernant la vie professionnelle, sur 567 patients, 60 % étaient encore en activité. L’âge de la retraite était de 59,6 ± 3,5 ans. Les arrêts de travail liés au diabète étaient évalués à 41 % de patients ou du temps (!). Trentesept pour cent avaient suivi des études supérieures. Plus de 38 % des patients appartenaient à la catégorie professionnelle “cadres et professions intermédiaires supérieures” (contre 16 % dans la population générale). Concernant les dimensions de la personnalité, les traits de personnalité étaient équilibrés.

Conclusion Cette cohorte a été sélectionnée par l’environnement, le statut socioculturel et psychologique, le métabolisme, les gènes, l’énergie des investigateurs. Néanmoins, le message important est que c’est possible : être diabétique de type 1 même très jeune et très longtemps est compatible avec une vie différente et pleine, entière, heureuse. Voilà donc un constat encourageant pour les patients, leurs proches, parents et n les équipes médicales.

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


congrès de la société francophone du diabète 2014

Mercredi 12 mars – 11h00

Atelier

Complications métaboliques des antipsychotiques : épidémiologie, différences pharmacologiques et surveillance clinique Intervenant : A. Scheen (Liège, Belgique)

épidémiologie Indépendamment de tout traitement, cette population de patients est obèse, tabagique, accumule souvent plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire (HTA, dyslipidémie, diabète). La prévalence de base est augmentée par rapport à la population générale : RR de maladie métabolique de 1,5 à 3 en fonction de différentes études (1). Parallèlement, une revue de la littérature (2) montrait une prise pondérale rapide après dix semaines de traitement. Quelles sont les caractéristiques des sujets à risque de prendre du poids ? • Une histoire familiale ou personnelle d’obésité. • Des antécédents de fluctuations pondérales. • Le sexe masculin. • Le jeune âge. • Le faible poids avant traitement. • Une tendance à la gratification orale, une suralimentation orale. • La prise d’autres traitements comme des thymorégulateurs. Le syndrome métabolique est plus intense chez les schizophrènes (3), la prévalence du diabète est multipliée par 5 (facteurs favorisants : histoire familiale [24 %] ou personnelle [18 %] de diabète de type 2, une obésité [57 %], une prise de poids sous traitement [39 %]). Un certain nombre de sujets développent une acidocétose ou un coma diabétique (4), comme si les antipsychotiques (AP) entraînaient

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

une sidération de l’insulinosécrétion. Nous retrouvons donc 2 types de diabètes sous antipsychotiques : • Le diabète de type 2 ou apparenté, le plus fréquent. • Le diabète de type 1 ou apparenté où l’insuline est indispensable, beaucoup plus rare.

Différences pharmacologiques Les neuroleptiques ne sont pas tous équivalents en termes de gain pondéral et maladie métabolique : • Les neuroleptiques de première génération (halopéridone, chlorpromazine, cyamémazine, lévomépromazine…) entraînent principalement des syndromes extrapyramidaux. • Les neuroleptiques de deuxième génération ou atypiques (de plus en plus utilisés) (5) : olanzapine et clozapine sont le plus associés au diabète et à l’obésité, risperidone entraîne une prise de poids modérée, alors que ziprasidone (Geodon), amisulpride (Solian), aripiprazole (Abilify) ont un effet neutre sur le poids (6).

Surveillance clinique

Un consensus publié dans Diabetes Care en 2004 (7) fait le point concernant la prise pondérale et le développement d’un diabète sous antipsychotiques. À noter que 4 % des patients développent un diabète après trois mois de traitement. Et 17,6 % des patients développent les critères de mise sous statines selon SCORE (8).

Le consensus rappelle qu’il est indispensable de monitorer systématiquement les patients sous neuroleptiques de deuxième génération : faire un bilan métabolique avant l’instauration du traitement, et après douze semaines de traitement. Dans l’intervalle, il faut surveiller régulièrement le poids et s’il est constaté une prise de poids : renforcer les règles hygiénodiététiques. En 2009, Saravane et al. (8) proposent de renforcer cette surveillance au long cours et dès la quatrième semaine de traitement peser et prendre le tour de taille du patient, faire un ECG. À douze semaines, il faut faire un bilan complet et, si nous constatons des anomalies, il faut renforcer la surveillance et éventuellement mettre en place un traitement.

Conduite à tenir • Chez les patients à risque de développer un diabète, éviter autant que possible l’introduction des neuroleptiques les plus diabétogènes. • Chez les patients sous traitement : insister sur les règles hygiéno-diététiques afin d’éviter une prise de poids excessive. • Surveillance biologique régulière, surtout le premier mois. • Être attentif à une éventuelle acidocétose. • Intérêt d’une collaboration entre le psychiatre, le médecin traitant ou le diabétologue pour gérer un évenn tuel traitement.

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Échos des congrès

Bibliographie 1. Sheen A. Maladies cardio-vasculaires et diabètes chez les personnes atteintes d’une maladie mentale sévère. Diabetes Metab. 2. Tardieu S. Weight gain profiles of new anti-psychotics: public health consequences. Obes Rev 2003 ; 4 : 129-38. 3. De Hert M. Clin Pract Epidemiol Ment Health 2006 27 ; 2 : 14. 4. Hedenmalm K. Glucose intolerance with atypical antipsychotics. Drug Saf 2002 ; 25 : 1107-16. 5. Russel JM, Mackell JA. Bodyweight gain associated with atypical antipsychotics: epidemiology and therapeutic implications. CNS Drugs 2001 ; 15 : 531-51. 6. Lett TA. Pharmacogenetics of antipsychotic-induced weight gain: review and clinical implication. Mol Psychiatry 2012 ; 17 : 242-66. 7. Boehm G. Consensus development conference on antipsychotic drugs

and obesity and diabetes. Diabetes Care 2004. 8. Saravane D. Drawing up guidelines for the attendance of physical health of patients with severe mental illness. Encéphale 2009 ; 35 : 330-9. 9. Russel JM, Mackell JA Bodyweight gain associated with atypical antipsychotics : epidemiology and therapeutic implications CNS Drugs 2001 ; 15 : 531-51. 10. Lett TA. Pharmacogenetics of antipsychotic-induced weight gain : review and clinical implication Mol Psychiatry 2012 ;17 : 242-66. 11. Boehm G. Consensus development conference on antipsychotic drugs and obesity and diabetes. Diabetes Care 2004 ; 27 : 2088-9. 12. Saravane D. Drawing up guidelines for the attendance of physical health of patients with severe mental illness. Encéphale 2009 ; 35 : 330-9.

Mercredi 12 mars – 11h00

Atelier

Mécanismes physiopathologiques de la prise de poids et des effets diabétogènes, et recommandations thérapeutiques Intervenant : B. Fève (Paris)

Mécanismes physiopathologiques des effets obésiogènes

Multifactoriels : génétiques, environnementaux, maladies sous-jacentes (population marginalisée), autres traitements psychotropes, phénotypes particuliers, aspects pharmacocinétiques (variants du cytochrome CYP2D6…), profil réceptoriel de l’Antipsychotique (AP), effecteurs de l’équilibre énergétique… Bruno Fève a insisté sur le profil réceptoriel des antipsychotiques : • Les neuroleptiques classiques entraînent un blocage des récepteurs dopaminergiques D2. • Les neuroleptiques atypiques entraînent un blocage des récepteurs D2 et d’autres récepteurs : histaminiques H1, muscariniques M3, sérotoninergiques 5-HT 1A, 5-HT 2A, 5-HT 2C, α1 et α2 adrénergiques.

Implications des récepteurs H1 dans la prise pondérale sous neuroleptiques L’affinité plus importante pour les sites H1 et M3 pourrait jouer 66

un rôle dans l’effet obésiogène plus marqué de la clozapine et de l’olanzapine (1). Par ailleurs, la composition corporelle d’animaux K-O pour les récepteurs H1 met en évidence une augmentation du tissu adipeux malgré un poids identique (2). Lorsqu’on administre de la leptine chez ces animaux on note une réduction de l’effet satiétogène de la leptine. De plus, les effets de la clozapine sur l’AMPk sont perdus chez les animaux K-O pour les récepteurs H1. Les effets H1 des antipsychotiques sur la leptine impliqueraient l’AMPk (3).

Implications des récepteurs sérotoninergiques dans la prise pondérale sous neuroleptiques Dans le cerveau, les récepteurs 5-HT 1A et 2C sont impliqués dans les effets de la sérotonine sur la prise alimentaire : les agonistes 5-HT 1A augmentent la prise alimentaire alors que les agonistes 5-HT 2C diminuent la prise alimentaire (4). Néanmoins, il existe un polymorphisme des gènes des récepteurs de 5-HT avec de très nombreuses contradictions (surtout pour 5-HT 2C), selon les

populations, les effectifs, la durée du traitement, les molécules, les traitements antérieurs… (5) Il semble donc difficile de tirer des conséquences pratiques.

Implications du système dopaminergique dans la prise pondérale sous neuroleptiques Le blocage des récepteurs D2 entraîne une prise de poids. L’insuffisance gonadotrope induite par l’hyperprolactinémie de déconnexion pourrait avoir un rôle potentiel. La modification des circuits D2 de la récompense conduit également à la prise d’aliments hyperlipidiques.

Implications des récepteurs adrénergiques dans la prise pondérale sous neuroleptiques Une étude interventionnelle associant olanzapine et reboxetine entraîne une moindre prise de poids (6). Par ailleurs, il existe une action sédative de toutes ces molécules entraînant une diminution de l’activité physique responsable d’une augmentation de l’adiposité.

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


Échos des congrès

Les antipsychotiques auraient également des effets directs sur les adipocytes : accélération de la différenciation adipocytaire sous olanzapine via PPAR-γ (7).

Mécanismes physiopathologiques des effets diabétogènes Ils sont classiques, dépendants de la prise de poids et de l’excès d’adiposité (insulinorésistance, perturbation de l’insulinosécrétion), nécessitant une surveillance précoce car la prise pondérale est rapide. Des effets indépendants de la prise pondérale sont également décrits : • Effet direct des AP sur les hépatocytes entraînant une stéatose hépatique, augmentant ainsi l’insulinorésistance hépatique (8). • Effet direct des AP au niveau de la cellule β : interférence des AP avec les récepteurs muscariniques : olanzapine et clozapine bloquent la sécrétion d’insuline via les récepteurs muscariniques (9).

Recommandations thérapeutiques Les patients atteints de pathologie mentale sévère cumulent les facteurs de risque cardiovasculaire et sont souvent insuffisamment traités pour leur pathologie (10). La prise en charge doit être multidisciplinaire, avec éducation du patient et également de l’entourage. Il est important de prendre en compte les problèmes majeurs d’observance. Il faut proposer au moins 150 minutes par semaine d’activité physique modérée sous la responsabilité des soignants (11). Le traitement pharmacologique des complications devrait être identique à celui de la population générale. Il est primordial de prendre en compte le surrisque cardiovasculaire qui reste la première cause de mortalité dans cette population (12). La metformine a toute sa place comme ADO mais également dans la prévention ou le traitement de la prise en charge de la prise pondérale (hors AMM) (13).

La question se pose d’arrêter ou de changer l’AP. Il existe une réticence forte des médecins, même en cas de mauvaise tolérance métabolique devant la crainte d’une décompensation psychiatrique : il faut initier une discussion avec le psychiatre sur la possibilité de changer avec un AP moins délétère sur le plan métabolique (Solian, Abilify et Geodan étant plus neutres sur le poids).

En conclusion, la documentation clinique est solide • Les effets des AP atypiques sont très marqués chez les patients naïfs et jeunes. • Les mécanismes centraux sont encore mal connus. • C’est un enjeu majeur de la prise en charge. • La sécurité métabolique apparaît comme une condition prérequise pour tout nouvel antipsychotique. n

Bibliographie 1. Volpato AM. Recent evidence and potential mechanisms underlying weight gain and insulin resistance due to atypical antipsychotics. Rev Bras Psiquiatr 2013 ; 35 : 295-304. 2. Masaki T. Central infusion of histamine reduces fat accumulation and upregulates UCP family in leptin-resistant obese mice. Diabetes 2001 ; 50 : 376-84. 3. Kim PNAS 2007. 4. Tecott LH. Eating disorder and epilepsy in mice lacking 5-HT2c serotonin receptors. Nature 1995 ; 374 : 542-6. 5. Reynolds GP. Association of antipsychotic drug-induced weight gain with a 5-HT2C receptor gene polymorphism. Lancet 2002 ; 359 : 2086-7. 6. Poyurovsky M. Attenuation of olanzapine-induced weight gain with reboxetine in patients with schizophrenia: a double-blind, placebo-controlled study. Am J Psychiatry 2003 ; 160 : 297-302. 7. Yang LH. Olanzapine induces SREBP-1-related adipogenesis in 3T3-L1 cells. Pharmacol Res 2007 ; 56 : 202-8. 8. Raeder MB. SREBP activation by antipsychotic- and antidepressant-

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drugs in cultured human liver cells: relevance for metabolic side-effects? Mol Cell Biochem 2006 ; 289 : 167-73. 9. Jonhson DE. Inhibitory effects of antipsychotics on carbachol-enhanced insulin secretion from perifused rat islets: role of muscarinic antagonism in antipsychotic-induced diabetes and hyperglycemia. Diabetes 2005 ; 54 : 1552-8. 10. Narsallah HA. Low rates of treatment for hypertension, dyslipidemia and diabetes in schizophrenia: data from the CATIE schizophrenia trial sample at baseline. Schizophr Res 2006 ; 86 : 15-22. 11. Vancampfort D. International Organization of Physical Therapy in Mental Health consensus on physical activity within multidisciplinary rehabilitation programmes for minimising cardio-metabolic risk in patients with schizophrenia. Disabil Rehabil 2012 ; 34 : 1-12. 12. Brown S. Causes of the excess mortality of schizophrenia. Br J Psychiatry 2000 ; 177 : 212-7. 13. Praharaj SK. Metformin for olanzapine-induced weight gain: a systematic review and meta-analysis. Br J Clin Pharmacol 2011 ; 71 : 377-82.

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congrès de la société francophone du diabète 2014

Mardi 11 mars – 15h45

Plénière

Diabète cétosique non auto-immun Intervenant : J.-F. Gauthier (Paris)

Cas clinique M. E., 47 ans, sénégalais, vit en France depuis 10 ans et est gardien de nuit. En mars 1996 : syndrome cardinal, perte de 5 kg (80 kg pour 1,74 m) puis acidocétose entraînant une hospitalisation. Un mois après la sortie de l’hospitalisation, poids à 84 kg, glycémies entre 4,2 et 6,8 mmol/L, doses d’insuline : 20U0-18U. En juin 1996 : nombreux épisodes hypoglycémiques. Diminution spontanée des doses d’insuline : 6U-0-6U, glycémie à 6 mmol/L, HbA1c à 5,2 %, poids à 85,5 kg. Arrêt de l’insulinothérapie et relais par de la metformine 850 mg trois fois par jour.

Diabète de type 1 idiopathique Caractéristiques cliniques, métaboliques (1-2) • Âge au diagnostic : 40-45 ans. • Prédominance masculine. • Antécédents familiaux de diabète. • Obésité 50 %. • Rémission 50 %. • Durée de rémission jusqu’à 12 ans. • Surtout sulfamides. • Rechutes fréquentes (patients obèses).

deux entités cliniques Soixante-quinze pour cent : arrêt de l’insuline après épisode cétosique initial contre 25 % qui gardent l’insuline. • Âge identique. • Poids identique. Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

• HbA1c élevée chez les deux. • Perte de poids identique. • Besoins en insuline : - 0,36 U/kg/jour dans le premier groupe ; - 0,76 U/kg/jour pour ceux qui restent à l’insuline. Dix-sept pour cent des patients en rémission ont rechuté, 90 % dans les dix ans font une rechute cétosique : 50 % sont alors de nouveau sous insuline (3).

Caractéristiques métaboliques Lors d’un CLAMP hyperglycémique, quelques mois après l’acidocétose initiale : récupération de la phase précoce et de la deuxième phase d’insulinosécrétion (4). Données sur l’action de l’insuline : diminution de l’action de l’insuline, améliorée après la résolution de l’épisode cétosique. Ces patients présentent également une insulinorésistance hépatique et la concentration plasmatique d’AGL est plus élevée : il existe une insulinorésistance au niveau adipositaire et musculaire rappelant le diabète de type 2 (5). L’insulinosécrétion est identique dans le groupe contrôle : les cellules β ne sont pas détruites ; de plus, il existe un défaut de la cellule α : hyperglucagonémie moins bien freinée lors de la perfusion de glucose par paliers. Au total, on constate une diminution de l’action de l’insuline et de la sécrétion d’insuline au moment du diagnostic. Il existe une amélioration de la sécrétion d’insuline en réponse au glucose et au glucagon. Par ailleurs, ces patients présentent une insulinorésistance

multiple résiduelle et une dysfonction résiduelle des cellules β et α. Détérioration progressive de la cellule β : DT2 cétosique.

Étiologies

1. Destruction auto-immune ? Non puisque les ICA sont négatifs (2). 2. Infection ? Devant le début brutal, mais il n’y a pas de symptômes infectieux évidents (notamment absence de fièvre). Le virus HHV8 est endémique en Afrique subsaharienne avec une transmission mère-enfant : 50 % de la population est séropositive. Il a été montré qu’il y avait une association possible (1). Le deuxième argument étant la présence de DNA viral chez 50 % des patients ayant transité par les urgences pour une cétose. Le troisième argument est la présence de cellules β infectées par HHV8 dans des îlots de Langerhans humains (6). La question posée est : le mécanisme d’action du virus est-il direct sur la cellule β ou indirect via les cellules mononuclées entraînant un changement du profil inflammatoire ? 3. Glucotoxicité : probable retard d’accès aux soins avec un diagnostic souvent tardif. 4. Déficit en G6PD (20 % des Africains) (6) : susceptibilité accrue au stress oxydant. Néanmoins, le gène est situé sur le chromosome X, or la prédominance du diabète cétosique est masculine. 5. Facteurs génétiques (4) : pas d’association significative. 69


Échos des congrès

Prise en charge du DT1 idiopathique

• Au moment du diagnostic : - Cétose avec ou sans acidose : insuline. - Hyperglycémie sévère sans cétose : traitement oral par sulfamides. • Quels examens complémentaires ? Dosage des auto-anticorps

+++, du C-peptide. • Éducation : la rémission va entraîner des hypoglycémies (attention à l’utilisation de décoctions de plantes). • Suivi des patients : consultations rapprochées, traitement oral pour les patients en rémission, prolonger la rémission sous sulfamides.

Pour conclure C’est une cause majeure de diabète cétosique. On note une diminution brutale partiellement réversible de l’insulinosécrétion et des anomalies métaboliques habituellement observées au cours du diabète de type 2. n

Bibliographie 1. Sobngwi E. Ketosis-prone type 2 diabetes mellitus and human herpesvirus 8 infection in sub-saharan africans. JAMA 2008 ; 299 : 2770-6. 2. Banerji MA. GAD antibody negative NIDDM in adult black subjects with diabetic ketoacidosis and increased frequency of human leukocyte antigen DR3 and DR4. Diabetes 1994 ; 43 : 741-5. 3. Umpierrez GE. Immunogenetic analysis suggests different pathogenesis for obese and lean African-Americans with diabetic ketoacidosis. Diabetes Care 1999 ; 22 : 1517-23. 4. Mauvais-Jarvis F. Ketosis-prone type 2 diabetes in patients of sub-Saha-

ran African origin: clinical pathophysiology and natural history of beta-cell dysfunction and insulin resistance. Diabetes 2004 ; 53 : 645-53. 5. Choukem SP. β- and α-cell dysfunctions in africans with ketosis-prone atypical diabetes during near-normoglycemic remission. Diabetes Care 2013 ; 36 : 118-23. 6. Sobngwi E. High prevalence of glucose-6-phosphate dehydrogenase deficiency without gene mutation suggests a novel genetic mechanism predisposing to ketosis-prone diabetes. J Clin Endocrinol Metab 2005 ; 90 : 4446-51.

rendez-vous de l’industrie Autosurveillance glycémique

Deux nouveautés viennent enrichir la gamme Accu-Chek® En ce début d’année, deux nouveautés viennent enrichir la gamme Accu-Chek® pour l’autosurveillance glycémique : • Le lecteur de glycémie Accu-Chek® Performa nouvelle version. Au-delà de ce que proposait déjà la version précédente (affichage des résultats en 5 secondes, prise en main facile, mémorisation de 500 données glycémiques…), le nouvel Accu-Chek® Performa propose tout un panel de nouvelles fonctionnalités : - Sans puce, il ne nécessite plus de calibration. La mise en route est immédiate, il ne requiert aucun paramétrage au démarrage. - Il permet de qualifier les résultats glycémiques grâce aux marquages pré et postprandiaux ; il offre également la possibilité de programmer des rappels de glycémie postprandiale. - Il donne les moyennes glycémiques jusqu’à 90 jours (moyenne sur les 7, 14, 30 ou 90 jours). - Il possède un grand écran pour un affichage clair des résultats et des grips antidérapants pour faciliter sa prise en main. • Le logiciel Accu-Chek® Smart Pix Software est un nouvel outil de management des données unique et compatible pour toute la gamme Accu-Chek®. - Facile d’utilisation et intuitif, il ne nécessite pas d’installation préalable.

70

- Il présente une vue globale de l’équilibre glycémique sous forme de feux tricolores évaluant 3 paramètres glycémiques clés. - Il permet d’enregistrer l’ensemble des données glycémiques. - Il dispose d’une option permettant de choisir, au cas par cas, la période d’analyse dans le temps. - Il permet d’archiver, d’imprimer, de générer et de transmettre des rapports sous format pdf. - Il offre la vue “journal”, version électronique du classique carnet d’autosurveillance glycémique. Le transfert de données se fait via un câble USB pour le lecteur Accu-Chek® Mobile et via le boîtier Accu-Chek® Smart Pix pour les lecteurs Accu-Chek® Performa, Performa Nano, Performa Combo et les pompes à insuline Accu-Chek®. Avec Accu-Chek® Smart Pix Software, le boîtier Accu-Chek® Smart Pix ne sert plus à produire des rapports sur l’ordinateur. Il sert uniquement à transférer les données entre les lecteurs ou les pompes Accu-Chek®, au même titre que le câble USB pour Accu-Chek® Mobile. n Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


Éducation thérapeutique

Éducation thérapeutique Le cas particulier des migrants n Les modèles d’apprentissage qui fondent aujourd’hui l’éducation thérapeutique reposent sur la prise en compte des représentations, croyances, conceptions... de l’apprenant. Qu’en est-il de la place qu’occupent celles des soignants dans la relation thérapeutique ? Pour l’éducation des patients migrants, il est essentiel que les soignants s’interrogent à ce sujet. Des experts en sciences humaines ont travaillé cette question avec des équipes soignantes pour améliorer la prise en charge de maladies chroniques des populations maghrébines migrantes.

Caroline Martineau*

Pour permettre à l’apprenant de développer des connaissances il faut le confronter à ses conceptions : « faire avec pour aller contre » (1). Dans l’éducation thérapeutique, cela nécessite de la part du soignant de laisser le temps et l’espace au patient de prendre conscience et d’exprimer ses représentations. Or, le soignant exerce avec ses propres conceptions, et parfois attribue aux patients des pratiques de santé en fonction de son origine sociale ou ethnique qui ne sont pas avérées pour ce patient (2). La relation thérapeutique est, dans ce cas, basée sur une incompréhension de part et d’autre, laissant peu de place à un effet bénéfique.

*Cadre de Santé Diététicien, CHU de Toulouse

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

© Anyka – fotolia.

Faire émerger les représentations des patients et s’abstraire des siennes (pour le soignant)...

Gérer l’ambiguïté : une problématique chez les migrants Les personnes migrantes ont à gérer une ambivalence : ne pas rompre avec la culture d’origine et adopter les habitudes du pays d’accueil pour une intégration facilitée. Parfois, les traditions et pratiques des deux pays peuvent être contradictoires.

La morphologie et la gestion du poids en sont le meilleur exemple. Au Maghreb, le surpoids chez la femme est plutôt un signe de bonne santé, en particulier dans les milieux défavorisés et ruraux. Alors que, dans les classes sociales favorisées du Maghreb, en milieu urbain, les femmes sont, comme beaucoup dans le monde, soumises au dictat des photos des 71


Éducation thérapeutique

magazines qui prônent la minceur. En dehors de la problématique migratoire, il existe donc actuellement entre les mères et les filles maghrébines une divergence à ce sujet (3). L’immigration renforce cette ambiguïté que doivent gérer les jeunes filles dans le cercle familial. À celle-ci, s’ajoutent les pratiques culinaires, marqueur fondamental de l’identité. Les mères souhaitent transmettre les traditions du pays d’origine à leurs filles, notamment pour assurer la reproduction du groupe. Les filles, dans le contrôle du poids, se mettent en marge de la table familiale et adoptent, pour nécessité d’intégration, les habitudes alimentaires du pays de migration (3). Dans ce contexte, et dans le cadre d’une prise en charge d’une maladie chronique, les messages des soignants ne pourront être perçus que si le patient a eu l’opportunité d’exprimer ses conceptions, peurs, contraintes, etc. La difficulté pour le soignant est de s’abstraire de ses propres représentations afin de s’ouvrir sans a priori à celles du patient pour le comprendre au mieux et déchiffrer le sens de ses pratiques de santé.

Faire avec l’évolution des pratiques et des représentations... Le lien entre les représentations et les pratiques est très bien établi par les psychosociologues, il a

été très étudié dans les comportements de santé par Moscovici et Jodelet. Ces auteurs ont décrit le caractère évolutif des représentations, particulièrement en lien avec le contexte. L’immigration impose une confrontation des représentations du migrant à celles des habitants du pays hôte, cela a été démontré dans les pratiques d’autosoins (4). De fait, les représentations de la maladie et du soin chez le migrant évoluent. Aussi, une personne d’origine maghrébine vivant en France avec une maladie chronique a une conception de la maladie, de son traitement, des peurs, des croyances très influencée par son parcours de vie et des pratiques de soin qui peuvent être hybrides. La prise en compte des réelles pratiques de soin du patient semble être la plus pertinente pour une démarche d’éducation thérapeutique qui vise à engager la personne soignée dans une modification de son comportement. L’analyse des pratiques peut être une façon pour le soignant de faire exprimer les représentations du patient, voire celles de son entourage. Ce dernier est une composante majeure dans la démarche d’éducation thérapeutique chez le migrant : l’entourage peut être loin, il n’en reste pas moins important pour la personne soignée.

S’appuyer sur l’entourage même éloigné Des études menées auprès de populations migrantes du Maghreb

au Québec montrent que la survenue d’une maladie chronique rapproche le migrant de ses attaches dans le pays d’origine. Le développement des outils de communication et des réseaux sociaux ont permis aux migrants de maintenir un lien fort avec les proches restés au Maghreb. Le lien entretenu avec la famille et le réseau social du pays d’origine permet au migrant vivant avec une maladie chronique le maintien d’une relation sociale, offre un soutien affectif et complète les mesures de soin et les éventuels liens sociaux entrepris dans le pays d’accueil (5). La transposition de pratiques de soin “traditionnelles” dans le pays hôte n’est pas avérée. En revanche, la méconnaissance de l’accès aux soins et le manque de moyens financiers seraient une cause de traitement inadapté ou absent chez les migrants vivant avec une pathologie chronique. En somme, l’écoute et la recherche de la compréhension du comportement de l’autre restent l’une des clés pour l’éducation thérapeutique des personnes migrantes. La connaissance de la culture d’origine peut être un atout pour comprendre mais elle ne doit pas conduire le soignant à des déductions hâtives... n

Mots-clés : Éducation thérapeutique, Migrants

Bibliographie 1. Giordan A. Apprendre ! Paris : Belin, 1998. 2. Crenn C. La « Culture » entre alibi et volonté thérapeutique. Le traitement de la différence dans le choix des malades orientés vers une consultation pour migrants. Face à face 2000 ; 2. http://faceaface.revues.org/549 3. Crenn C. Normes alimentaires et minorisation « ethnique ». Discours et pratiques de femmes originaires du Maroc (vignoble bordelais). Journal des anthropologues 2006 ; 106-107 : 123-43.

72

4. Pizzolati M. (2013). Pratiques d’automédication, Relation thérapeutique et représentations du patient immigré. Dans Pizzolati, M, Migration et service de santé en Italie : le cas du Molise. Représentations et pratiques de soin pp (17-24). Paris : L’Harmattan. 5. Montgomery C et al. Cycle de vie et mobilisation des liens locaux et transnationaux : le cas des familles maghrébines au Québec. Lien social et politique 2010 ; 64 : 79-93.

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


DOSSIER

Combiner les compétences Dossier coordonné par le Pr Patrick Ritz (Toulouse)

C

es deux articles illustrent la combinaison des compétences des spécialistes de la nutrition et des spécialistes du traitement du diabète de type 1. C’est à partir de l’exploration d’hypoglycémies chez une patiente opérée d’un by-pass gastrique, que nous avons choisi de façon fortuite de mettre en place une mesure continue du glucose. Cela nous a révélé que, le plus souvent, les hypoglycémies sont postprandiales, en particulier que les hypoglycémies nocturnes faisaient suite à des repas nocturnes… Nous avons été surpris par la complexité des profils glycémiques avec des élévations glycémiques très anarchiques. Les aspects des pics glycémiques se sont avérés très spécifiques, intenses, précoces et fugaces… En se rapprochant d’une littérature plus ancienne, montrant des élévations glycémiques après gastrectomie pour ulcère, nous avons retravaillé la sémiologie et le traitement du dumping syndrome. Les conseils alimentaires simples, de réduction des sucres à index

glycémique élevé, se sont révélés rapidement insuffisants. C’est en faisant évaluer les patients par des diététiciennes spécialistes de l’insulinothérapie fonctionnelle que nous avons pu affiner les stratégies nutritionnelles, et surtout développer les éléments de langage et de compétences qui permettent de montrer aux patients combien certains aliments, certains modes de cuisson, certains mélanges au cours du repas influent considérablement sur la glycémie des opérés. L’étape suivante était de faire appel aux spécialistes de la mesure continue du glucose pour ordonner la complexité des tracés. Cette complexité est par ailleurs analysée dans le cadre du diabète de type 1 (méthode AGP), de façon à fournir au patient et au médecin une analyse qui permette de prendre des mesures thérapeutiques pour “chaque” moment de la journée. Je vous en souhaite bonne lecture.

Pr Patrick Ritz

1 Interprétation de la mesure continue du glucose La méthode AGP ���������������������������������������������������������������������������������������� p. 74 Pr Hélène Hanaire

2 Traitement du dumping syndrome Nous avons besoin de compétences diététiques similaires à celles de l’insulinothérapie fonctionnelle �������������������������������������������������������������� p. 80 Jocelyne Lijeron, Pr Patrick Ritz


DOSSIER

1 Interprétation de la mesure

continue du glucose La méthode AGP

n La mesure continue du glucose a fait la preuve de son efficacité pour améliorer l’HbA1c de patients diabétiques de type 1 qui portent ce dispositif. Cela a fait l’objet de nombreuses études cliniques et les méta-analyses confirment un bénéfice de l’ordre de 0,4 % sur l’HbA1c.

Pr Hélène Hanaire*

P

lus le port du dispositif est prolongé, meilleurs sont les résultats. Mais, finalement, avoir l’outil ne suffit pas, le plus important est de savoir s’en servir. C’est ce que montre notamment l’étude “Capteur Evadiac”, et que l’on soit traité par la pompe ou en multi-injections, le fait d’avoir une éducation “optimale” à l’utilisation du capteur de glucose permet d’obtenir les meilleurs résultats en termes de diminution de l’HbA1c. Dans ces conditions où les patients savent s’en servir, le gain sur l’HbA1c se situe entre 0,65 et 0,76 %, alors qu’en l’absence d’éducation optimale à l’utilisation du capteur, les bénéfices sont bien moindres.

Est-il facile d’utiliser la mesure continue du glucose ? Ce n’est pas si facile car les informations sont extrêmement nombreuses, en temps réel, fluctuantes et avec des indications de tendances. Les patients se familiarisent assez bien avec la façon

*Service de Diabétologie, Maladies métaboliques et Nutrition, Hôpital Rangueil, CHU de Toulouse

74

Figure 1 - Les informations fournies au patient diabétique de type 1 sont complexes.

de réagir en temps réel aux variations rapides de la concentration du glucose. Cependant, cela peut entraîner des réactions exagérées de correction qui ne portent pas forcément leurs fruits sur l’équilibre glycémique global. L’interprétation avec un peu de recul des données sur le nycthémère est un peu difficile. Dans ces conditions, plusieurs groupes de travail ont réfléchi à l’élaboration d’outils d’aide à l’interprétation de la mesure continue du glucose. Ils ont un intérêt non seulement pour le patient dans la gestion de son traitement, mais aussi pour les médecins qui sont parfois un peu déconcertés par l’avalanche de données fournies par cette technique.

La figure 1 illustre la complexité des informations fournies chez un patient diabétique de type 1, où les profils journaliers sont cumulés sur un seul schéma.

Qu’est ce que la technique AGP ?

L’AGP, pour Ambulatory Glucose Profile, est un système d’analyses de la mesure continue du glucose compilées sur 15 jours (Fig. 2). La mesure continue du glucose est souvent difficile à interpréter, en particulier dans le diabète de type 1, car il y a beaucoup de variabilité et la superposition des profils journaliers peut laisser dans l’embarras le patient et le médecin pour interpréter ce qui se Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


L’AGP permet de compiler plusieurs données. Tout d’abord, la médiane des concentrations de glucose (Fig. 2, tracé orange) qui donne une idée de l’exposition globale au glucose. La variabilité des concentrations de glucose autour de cette médiane est exprimée sous forme d’intervalle interquartile, c’est-à-dire le range des valeurs dans l’intervalle 25‑75 % autour de la médiane, ainsi que l’intervalle plus large entre le 10e et le 90e percentile. Enfin, la présentation des résultats permet de repérer aisément le risque d’hypoglycémie en fonction des moments de la journée. La figure 3 montre que pour des médianes similaires, c’est-à-dire un équilibre glycémique relativement correct, et une HbA1c à l’objectif, on peut être soit dans une situation de variabilité relativement contenue et assez régulière (Fig. 2), soit dans une variabilité plus intense avec une exposition au risque d’hypoglycémie (Fig. 3). Bien sûr, les choix stratégiques ne seront pas les mêmes pour l’ajustement du traitement. Deux cas cliniques vont illustrer ces aspects. Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

DOSSIER

passe. L’intention de l’AGP est de fournir un rapport compilé des données qui permet une analyse simple, avec un coup d’œil rapide sur les tendances importantes des glycémies. L’analyse est présentée sous une forme standardisée dans la figure. L’interprétation devient plus facile pour les médecins et les patients. Dans ces conditions, on imagine qu’il sera plus facile d’optimiser l’ajustement du traitement. Un point très important est la capacité à prendre du recul par rapport aux données réelles et l’aptitude à analyser de façon rétrospective les tracés pour prendre des décisions de fond sur l’ajustement du traitement.

Figure 2 - La méthode AGP. La variabilité est relativement contenue et assez régulière.

Figure 3 - Variabilité plus intense avec exposition au risque d’hypoglycémie.

Deux cas cliniques Mme V., 35 ans, est diabétique de type 1 (durée : vingt-sept ans), sous un schéma basal-bolus tout analogue. L’analyse du carnet de glycémie montre uniquement des valeurs préprandiales, en général dans la cible. L’HbA1c est à 6,8 %. Elle perçoit mal les hypoglycémies et a présenté des hypoglycémies sévères. Cependant, cela ne l’inquiète pas beaucoup.

notamment dans les périodes nocturnes et avec un risque d’hypoglycémie qui était méconnu par cette patiente. Pour limiter la variabilité de la première période de la soirée, nous avons décidé de réévaluer et de rediscuter la quantité de glucides contenus dans les repas, pour ajuster au mieux le bolus d’insuline rapide du soir. Nous sommes également convenus de réduire la quantité d’analogue lent du soir pour limiter le risque d’hypoglycémies nocturnes.

La figure 4 représente le tracé de mesure continue du glucose de Mme V. Sur cet enregistrement, la médiane du glucose est excellente. Cependant, il y a une très grande variabilité (c’est l’épaisseur du ruban bleu foncé autour du ruban)

La figure 5 représente le second enregistrement réalisé 15 jours plus tard. La médiane est à peu près similaire mais la variabilité est considérablement réduite, ce qui est tout à fait intéressant. Un bien meilleur contrôle de la glycémie

Cas clinique n°1

75


DOSSIER Figure 4 - Tracé de mesure continue du glucose de Mme V.

peu haute, mais le risque d’hypoglycémie est considérablement réduit. On pourra donc envisager éventuellement dans un second temps de réajuster la dose d’insuline lente du soir. Ce qui est particulièrement rassurant pour le médecin, c’est l’impression que le risque d’hypoglycémie a reculé alors que la patiente n’en avait pas une conscience très aiguisée.

Cas clinique n°2

Figure 5 - Second enregistrement de Mme V. réalisé 15 jours plus tard.

Figure 6 - Premier enregistrement de M. D.

Figure 7 - Second enregistrement de M. D. réalisé 15 jours plus tard. On observe moins d’hyperglycémies postprandiales dans la matinée et moins d’hypoglycémies l’après-midi.

postprandiale dans la soirée est obtenu, traduisant l’efficacité du 76

recalibrage du repas du soir. Dans le courant de la nuit, la médiane est un

M. D., 37 ans, diabétique de type 1 (durée : douze ans), est traité par pompe à insuline depuis six ans. L’HbA1c reste voisine de 8 % malgré ses efforts : il contrôle 4 glycémies/j (trois avant les repas et une le soir au coucher), il n’y a pas de tendance bien nette à la lecture du carnet. Il a peur des hypoglycémies, surtout la nuit, car il n’est pas sûr de les ressentir. La figure 6 représente le premier enregistrement de M. D. Il ne montre pas d’hypoglycémie mais au contraire une hyperglycémie postprandiale dans la matinée, totalement méconnue du patient puisqu’il ne s’agit pas d’un horaire de surveillance habituel pour lui. Cette hyperglycémie est démasquée et intervient certainement dans le niveau suboptimal d’HbA1c. Le patient est rassuré parce qu’il n’y a pas d’hypoglycémie nocturne. On remarque cependant une tendance à la baisse des glycémies en fin d’après-midi. Cela nous a conduit à prendre la décision ensemble d’augmenter le bolus du petit déjeuner, pour mieux maîtriser la postprandiale, tout en veillant à ne pas induire trop d’hypoglycémies en fin de matinée. Nous sommes également convenus de réduire le débit de base en fin d’après-midi pour limiter le risque d’hypoglycémie à ce moment-là. Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


DOSSIER

La figure 7 représente le second enregistrement 15 jours plus tard. Il est curieux : on constate une nette amélioration de l’hyperglycémie postprandiale dans la matinée, il y a moins d’hypoglycémies dans l’après-midi, mais il y a une énorme variabilité dans le milieu de l’après-midi qui est difficile à expliquer (tracé bleu clair, entre le 10e et le 90e percentile ; cela traduit des événements rares puisque le tracé bleu foncé est moins variable au même moment). Cela nous a conduit à retourner à l’enregistrement journalier des mesures de glucose (Fig. 8).

Figure 8 - Enregistrement journalier des mesures de glucose.

On constate deux pics hyperglycémiques extrêmement intenses en postprandial dans l’après-midi correspondant à des bolus oubliés. C’est la superposition des grands pics hyperglycémiques et des valeurs glycémiques mieux maîtrisées qui expliquait la variabilité. Les tracés montrent également des bolus oubliés en fin de journée, sujet qui a été retravaillé avec le patient.

Que peut apporter de plus la mesure continue de glucose et l’AGP en particulier ? Comme nous l’avons vu, cette technique apporte aujourd’hui une représentation graphique avec la médiane, la variabilité et le risque d’hypoglycémie. Un rapport plus complet sera bientôt disponible, il fournira deux autres éléments : • Le profil journalier, qui permettra de superposer très rapidement au profil complet les évolutions au jour le jour. • Un tableau statistique, qui donnera une moyenne de glycémies sur 15 jours, avec une estimation Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

Figure 9 - Système du feu tricolore.

d’HbA1c, et d’autres critères de variabilité, en particulier le temps passé dans certaines zones de glycémies pour un ajustement plus précis du traitement. La validité de cette technique sur 15 jours repose sur le caractère prédictif d’une mesure pour une échelle de temps plus longue, de l’ordre de 30 jours. La corrélation entre l’estimation de l’HbA1c et la mesure du glucose est juste, comme cela a été démontré par Nathan dans une corrélation combinant des mesures de glycémies capillaires et des mesures continues du glucose. La question de la représentativité de ces 15 jours par rapport aux trois derniers

mois mérite d’être posée, mais il s’agit d’une estimation utile pour les patients. En effet, cette estimation représente l’ensemble des événements sur les 15 jours passés, desquels les patients ont gardé la mémoire, ce qui les aidera sans doute à se caler pour ce qu’ils feront ensuite. On attend également de cet outil des éléments d’interprétation qui aideront les patients à la prise de décision dans l’ajustement de leur traitement. Cela fonctionnera sur un système de feu tricolore – orange, vert et rouge –, qui indiquera pour trois paramètres : la médiane du glucose, le risque 77


DOSSIER

d’hypoglycémie et la variabilité en dessous de la médiane, si le tracé s’en écarte un peu, beaucoup, ou s’il est dans les objectifs (Fig. 9). Ces feux tricolores correspondront aux différentes périodes de la journée, ce qui aidera à la prise des décisions dans ces périodes précises où il y a des anomalies, et où le patient est sûr de devoir faire un ajustement.

78

Cet outil aidera également les personnes à se questionner sur les raisons du déséquilibre en repérant, en fonction des différents moments de la journée, s’il y a des facteurs de causalité comme une alimentation irrégulière, des omissions de traitement, une variabilité de l’activité physique, ou d’autres paramètres. Cela signifie qu’au-delà de l’outil

d’interprétation des résultats, nous allons avancer vers un véritable outil d’aide à la prise de décision et à l’éducation des patients. n

Mots-clés : Diabète, Mesure continue du glucose, AGP

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77



DOSSIER

2 Traitement du dumping

syndrome

Nous avons besoin de compétences diététiques similaires à celles de l’insulinothérapie fonctionnelle n Le dumping syndrome est une complication classique des chirurgies de réduction de volume de l’estomac, dont le by-pass gastrique. Il est décrit depuis 1913, à une époque où les gastrectomies étaient réalisées pour cancer ou ulcère de l’estomac. Dumping signifie “se vider”, “une chasse”, ici dans le contexte de l’estomac.

Sémiologie du dumping syndrome Le dumping syndrome comporte deux phases bien distinctes : • Une phase précoce après le repas, dans la demi-heure, qui associe des signes vasomoteurs (flush, palpitations, sueurs, tachycardie, hypotension, besoin de s’asseoir ou de se coucher, syncope), et des signes digestifs (douleurs, nausées, borborygmes, flatulences, diarrhée). • Une phase tardive après le repas, de l’ordre de une à trois heures plus tard, et qui correspond à une hypoglycémie réactionnelle, avec sa sémiologie classique, parfois sévère. Le diagnostic peut être facilité par le score de Sigstat (Tab. 1). Les symptômes vasomoteurs sont les plus fréquents, parmi lesquels la fatigue et le besoin de se coucher. Attention aux autres étiologies : lithiase, lâchage de suture, ulcère sur l’anastomose gastro-jéjunale qui imposent un avis chirurgical. *CHU de Toulouse

80

Jocelyne Lijeron*, Pr Patrick Ritz*

Tableau 1 - Score du dumping syndrome selon Sigstad. Choc

5

Syncope, coma

4

Besoin de se coucher ou de s’asseoir

4

Dyspnée

3

Faiblesse, grande fatigue

3

Palpitation

3

Agitation

2

Vertiges

2

Céphalées

1

Nausées

1

Plénitude gastrique, météorisme

1

Borborygmes

1

Éructations

-1

Vomissements

-4

Si le score est supérieur à 7 : diagnostic possible Si le score est inférieur à 4 : chercher un autre diagnostic

Mécanismes La sémiologie est expliquée par l’irruption rapide d’aliments hyperosmolaires dans l’intestin grêle. C’est donc plus particulièrement les aliments sucrés, à index glycémique élevé, mais il

peut s’agir aussi d’aliments lipidiques. Le dumping syndrome survient le plus souvent dans les suites d’un by-pass gastrique, mais peut également survenir après une sleeve Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


La figure 1 montre bien les conséquences sur la glycémie. La mesure continue du glucose représentée sur la partie haute de cette figure correspond à un patient diabétique de type 2 non opéré. Les tracés journaliers superposés montrent bien l’élévation importante des glycémies jusqu’à des valeurs voisines de 3 g/L. Mais les tracés postprandiaux sont étalés, atteignent leur sommet relativement tardivement après le début du repas (flèche rouge pour le petit déjeuner), et la descente glycémique est lente. La mesure continue du glucose représentée sur la partie basse de cette figure correspond à une patiente non diabétique, opérée d’un by-pass gastrique. Les tracés superposés montrent très bien les élévations aussi importantes des glycémies. Cependant, la montée est très rapide, le pic est atteint rapidement après le début du repas (flèche rouge), et la descente glycémique est très rapide. Un passage en hypoglycémie est observé 2h30 après la flèche rouge. Cette patiente avait un score de Sigstat à 19.

Traitement du dumping syndrome À partir du cas clinique figuré Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

DOSSIER

gastrectomy, car la vidange gastrique peut être accélérée, surtout s’il y a eu une pyloroplastie préalable (par exemple pour une sténose du pylore néonatale). La vidange rapide de l’estomac entraîne une absorption accélérée des glucides, surtout ceux à index glycémique élevé, et un pic d’hyperglycémie. Les aliments arrivant dans l’intestin grêle stimulent la sécrétion d’hormones vasomotrices (VIP).

Figure 1 - Conséquences du dumping syndrome sur la glycémie.

Figure 2 - Exemple d’un holter glycémique sur une semaine : enregistrement en continu du glucose interstitiel qui aboutit à des courbes de glycémie.

sur la figure 2, nous allons analyser la relation entre l’alimentation, l’index glycémique, la charge glycémique, et les fluctuations de la glycémie. Ce tracé obtenu chez une patiente opérée d’un by-pass gastrique, avec une sémiologie de dumping syndrome est beaucoup moins régulier que le précédent (Fig. 1). Cela traduit l’irrégularité de la prise des repas. La moyenne glycémique est relativement satisfaisante (102 mg/dl), au prix d’une valeur maximale élevée (257 mg/dl) et de passages en

hypoglycémie (valeur minimale : 45 mg/dl). Considérons maintenant un tracé journalier assez représentatif chez cette patiente (Fig. 3). Le petit déjeuner (Fig. 4) comporte des aliments à index glycémique élevé et des glucides simples : pain blanc, confiture, jus de fruits. Il est riche en glucides et la charge glycémique est élevée (cf. encadré). L’analyse du déjeuner retrouve les mêmes caractéristiques, avec de plus un repas pauvre en fibres (Fig. 4). Les aliments sont à index 81


DOSSIER

glycémique élevé avec des glucides simples : fruit, dessert sucré, pâtes raffinées. Il en était de même des collations et du repas du soir.

Figure 3 - Holter glycémique sur une journée.

Figure 4 - Analyse des repas.

Qu’est-ce que la charge glycémique ? C’est le produit de l’Index glycémique (IG) par la quantité de glucides d’une portion d’aliments. Plus l’index glycémique est élevé, plus la relative quantité de glucides dans une portion est importante, et plus la Charge glycémique (CG) est élevée. Par exemple, pour un même index glycémique (environ 55) une barre chocolatée a une charge glycémique 4 fois supérieure à 100 g de carottes.

82

Des conseils diététiques précis ont été donnés : • Faire trois repas et deux à trois collations, à heures régulières, de façon à réduire le volume alimentaire et mieux répartir les glucides sur la journée. • Réduire la quantité de glucides par repas et introduire des protéines au moment des collations. Par exemple, 1 fromage blanc nature et une demi pomme (soit 15 g de glucides) au lieu du verre de jus d’oranges (soit 20 g de glucides). • Réduire l’index glycémique des repas en réduisant les sucres simples et en préférant les aliments complets, par exemple du pain complet au lieu du pain blanc, des légumes secs au lieu des pâtes raffinées. Les sucres simples ne sont plus consommés de façon isolée et le sont éventuellement à la fin du repas. L’ajout de légumes (fibres), de protéines et de lipides au moment du repas réduit l’index glycémique. On peut conseiller de moins cuire les aliments. De ce fait la charge glycémique est réduite. • Ne pas boire en même temps que le repas, de façon à ne pas accélérer la vidange gastrique. De même, prendre le temps du repas et bien mastiquer réduit la vidange gastrique. • Pour le resucrage des hypoglycémies, une petite quantité de glucides (de l’ordre de 10 g) est souhaitable pour ne pas provoquer de nouveau une hypoglycémie réactionnelle. Le tracé sur la figure 5 montre bien la réduction des pics hyperglycémiques, un tracé dans la zone Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


Place des médicaments

Figure 5 - Holter glycémique sur une journée après modifications diététiques.

Quand les mesures diététiques ne suffisent pas, l’acarbose peut être utilisé. C’est un inhibiteur de la digestion des glucides, ralentissant leur absorption. La dose de 50 mg est le plus souvent suffisante et limite les effets secondaires digestifs. Il faut bien éduquer le patient à prendre ce médicament avant chacun des repas, c’est-à-dire parfois six fois par jour. Les inhibiteurs calciques sont parfois utilisés quant à leur potentiel de réduction de sécrétion d’insuline, surtout quand il y a des hypoglycémies. Nous sommes prudents quant à l’utilisation des analogues de la somatostatine, à cause de leur potentiel hyperglycémiant sur le nycthémère, voire leur caractère diabétogène. S’ils sont capables

de réduire les hypoglycémies, ils provoquent une hyperglycémie chronique par réduction de la sécrétion d’insuline, ce qui s’ajoute aux pics hyperglycémiques dus au by-pass gastrique. Dans notre expérience, la plus grande part des symptômes a disparu avec les modifications diététiques, éventuellement en utilisant de l’acarbose. Parfois, nous avons dû hospitaliser les patients pour une éducation thérapeutique alimentaire renforcée.

Conclusion Le traitement du dumping syndrome est un exemple de l’utilisation de compétences croisées de nutrition, et de l’alimentation

DOSSIER

cible (zone verte entre 60 et 140 milligrammes par décilitre) et l’absence d’hypoglycémie. Les symptômes ont disparu.

spécifique du diabète de type 1 avec une insulinothérapie fonctionnelle. En effet, la très bonne connaissance des glucides, du contenu en glucides des repas, des index glycémiques et des charges glycémiques aide à prendre en charge ces patients. L’expérience acquise dans ce domaine permet aussi de cibler l’enquête alimentaire et de savoir reconnaître chez les patients les circonstances qui les conduisent à consommer des n sucres simples.

Mots-clés : Dumping syndrome, Chirurgie de l’obésité, Index glycémique, Charge glycémique, Diététique

L’abonnement à la revue Diabète & Obésité vous permet de bénéficier d’un accès illimité et gratuit à l’intégralité des sites d’Expressions Santé

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol./ 9neurologies.fr • numéro 77 83 geriatries.org / cardinale.fr / diabeteetobesite.org / onko.fr / rhumatos.fr / ophtalmologies.org

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à savoir

Impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels À partir d’un cas et analyse de la littérature Dr Célia Lloret-Linares*, Dr Béatrice Bouhanick**

Introduction L’obésité se définit par un IMC supérieur à 30 kg/m2 et s’accompagne de complications pour la santé telles que les stratégies visant à la réduction pondérale se sont multipliées ces dernières années, notamment en vue d’une perte de poids importante et durable. Au fil de la prise en charge d’une patiente souffrant d’Hypertension artérielle (HTA), nous allons discuter les bénéfices d’une prise en charge chirurgicale de l’obésité dans l’approche thérapeutique de son HTA.

Madame A.-R., 41 ans, est adressée pour une prise en charge de son obésité. Elle rapporte la notion d’une HTA et d’un Diabète de type 2 (DT2) chez sa mère, décédée par ailleurs à 62 ans d’un infarctus du myocarde. Ses antécédents personnels se limitent à un syndrome dépressif et à un asthme à dyspnée paroxystique. Vous proposez de faire le bilan de ses facteurs de risque cardiovasculaire. Son poids est actuellement de 97 kg pour 1,46 m (IMC à 44,6 kg/m²). Elle se plaint d’une dyspnée d’effort. À l’examen, l’obésité est principalement androïde. L’auscultation cardiovasculaire est normale. Les PA avec un brassard large sont à 170/100 mmHg et la MAPA confirme l’HTA avec une PA moyenne des 24h à 138/87 mmHg (le jour : 141/92 mmHg ; la nuit : 133/82 mmHg).

*APHP-Hôpital Lariboisière, Service de Médecine interne A, Unité de Recherche thérapeutique, Paris **CHU Rangueil, Service d’Hypertension artérielle, Toulouse duly-bouhanick.b@chu-toulouse.fr

84

© tsalko – iStock.

Présentation du cas

Vous diagnostiquez un DT2 sur la base d’une glycémie à jeun à 1,30 g/L en ville confirmée à 1,35 g/L. L’HbA1c est à 6,5 %. Le bilan lipidique est correct. La recherche d’une HTA d’origine secondaire est négative (bandelette urinaire normale, écho-Doppler des artères rénales et angio-scanner normaux en défaveur d’une HTA rénovasculaire par athérome ou liée à une dysplasie ; absence d’hyperaldostéronisme, d’hypercortisolisme ou d’arguments hormonaux en

faveur d’un phéochromocytome). Une polygraphie ventilatoire nocturne objective un Syndrome d’apnées du sommeil (SAS) relevant d’un appareillage (index d’apnées hypopnées à 33/H et 20 microéveils par nuit). Le fond d’œil montre une rétinopathie hypertensive stade 2 sans rétinopathie diabétique, la fonction rénale est préservée sans microalbuminurie. Les explorations cardiologiques (ECG, échocardiographie) sont normales. Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels

Prévalence de l’HTA en France Actuellement dans le monde, la majorité des patients atteints d’HTA sont en surpoids. L’HTA est environ 6 fois plus fréquente chez les sujets obèses que chez les hommes et femmes de poids normal (1). Un poids corporel de 10 kg plus élevé est associé à une élévation des Pressions artérielles (PA) systolique et diastolique de 3,0 mmHg et 2,3 mmHg, respectivement. Ces augmentations se traduisent par une augmentation de 12 % du risque de maladie coronarienne et de 24 % du risque d’accident vasculaire cérébral (1). Ainsi, chez les hommes, la prévalence de l’HTA augmente progressivement avec celle de l’IMC ; elle est de 15 % chez les sujets avec un IMC inférieur à 25 kg/m2 et de 42 % audelà de 30 kg/m2 (2). Cette tendance est comparable chez les femmes puisque la prévalence de l’hypertension est de 15 % à un IMC inférieur à 25 kg/m2 et à 38 % à un IMC supérieur à 30 kg/ m2 (2). Cette association est observée quelle que soit l’origine ethnique mais les prévalences sont plus élevées pour les sujets d’origine africaine quel que soit l’IMC. L’augmentation de prévalence de l’HTA est d’autant plus élevée que l’obésité est à distribution abdominale. Différents facteurs expliquent l’augmentation de la PA chez les sujets obèses. Le débit cardiaque est augmenté du fait des modifications de la composition corporelle et de demandes d’oxygène accrues par les organes et le tissu adipeux. L’élévation des résistances vasculaires périphériques est favorisée par différentes altérations biologiques affectant la fonction endothéliale, la résistance à l’insuline et le système Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

nerveux sympathique, de même que par les effets directs de différents facteurs produits par les adipocytes (IL- 6, TNF-a). Malgré cette association connue des cliniciens depuis de nombreuses années, il convient de ne pas oublier d’exclure les causes d’HTA secondaires lors de notre prise en charge des sujets souffrant d’obésité, particulièrement le SAS fréquemment diagnostiqué chez les sujets obèses comme en témoigne la prévalence de 30 % environ chez les sujets candidats à une chirurgie de l’obésité. Le SAS est associé à une augmentation de l’activité sympathique diurne et nocturne et participe à l’augmentation de la prévalence de l’HTA chez les sujets obèses. Il a été montré dans des études d’intervention l’effet bénéfique de la correction du SAS dans la baisse de la PA, l’amélioration de la qualité de vie et une amélioration du pronostic cardiovasculaire (3).

Dans le cas de notre patiente L’enquête alimentaire révèle une alimentation salée (> 10 g de sel/ jour), hypercalorique à 3 300 kilocalories par jour réparties sur 3 repas et majoritairement lipidique. L’activité physique est réduite du fait de l’essoufflement à l’effort et d’un complexe physique important. Vous convenez avec elle d’une prise en charge du SAS, d’une amélioration de l’hygiène de vie portant sur la réduction calorique et la pratique régulière de la marche, avec parallèlement une prise en charge médicamenteuse de son HTA. Le traitement antihypertenseur est initialement composé de verapamil, valsartan, hydrochlorothiazide. Vous espérez que les Mesures hygiéno-diététiques (MHD) permettront de

surseoir au traitement antidiabétique et de réduire à terme le traitement antihypertenseur.

Effet des apports sodés et de la perte de poids sur la pression artérielle (PA) chez l’hypertendu L’application des MHD, incluant la réduction des apports sodés, reste l’arme prioritaire et principale dont dispose le patient hypertendu en surpoids.

Le sel Une réduction modeste de la consommation de sel induit des chutes importantes de la PA chez les individus hypertendus et normotendus, quels que soient le sexe et le groupe ethnique (4). Une moindre consommation de sodium est associée à un risque réduit d’accident vasculaire cérébral et de maladie coronarienne chez les adultes (5). Elle est associée à une légère augmentation de l’activité physiologique de la rénine plasmatique, de l’aldostérone et de la noradrénaline. La corrélation significative entre la réduction de l’excrétion urinaire du sodium des 24h et la baisse de la Pression artérielle systolique (PAS) suggère une relation dose-réponse, des réductions plus importantes des apports sodés se traduisant par de plus importantes baisses de la PAS. Les recommandations actuelles conseillant de réduire la consommation de sel à 5-6 g/jour auront certainement un effet majeur sur la PA, mais une réduction supplémentaire de la consommation de sel de 3 g/jour devrait devenir la cible à long terme pour la population (4). 85


à savoir

Le poids Dans une méta-analyse récente incluant des études de 6 à 36 mois, la PA était diminuée chez les patients observant un régime alimentaire par rapport aux témoins : la PAS était réduite de 4,5 mmHg (IC à 95 %, -7,2 à -1,8 mmHg), et la Pression artérielle diastolique (PAD) de 3,2 mmHg (IC à 95 %, -4,8 à -1,5 mmHg) sachant que les patients des groupes avec intervention perdaient en moyenne 4,0 kg (IC 95 % : -4,8 à -3,2), tandis que cette intervention permettait de réduire le recours aux antihypertenseurs (6-7). Néanmoins, la multiplicité des systèmes de régulation impliqués dans l’élévation de la PA du patient en surpoids explique qu’elle soit fréquemment résistante (8). Aussi, le traitement de l’hypertension des sujets obèses nécessite généralement une combinaison d’antihypertenseurs.

Dans le cas de notre patiente Elle bénéficie au cours des années suivantes d’un suivi régulier. Son poids est stable à 97 kg pour 1,46 m (IMC à 44,6 kg/m²). Malgré l’escalade thérapeutique, l’équilibre tensionnel et glycémique se détériore. Toutes les thérapeutiques antihypertensives sont prescrites à doses maximales et malgré l’ajout d’une antialdostérone prudemment associée à un inhibiteur de l’enzyme de conversion, un diurétique thiazidique et inhibiteur calcique dihydropyridine, les PA restent à 190/100 mmHg. Une bithérapie antidiabétique orale inefficace et l’HBA1c élevée (HbA1c = 9 % sous sulfamides et biguanides) font discuter une mise à l’insuline. Elle reconnaît une difficulté à maintenir ses efforts alimentaires et la pratique d’une activité physique. 86

Le traitement chirurgical de l’obésité pourrait-il aider au contrôle de l’hypertension artérielle ?

Quels sont les différents actes chirurgicaux possibles ? Trois techniques restrictives ont été couramment pratiquées. La gastroplastie verticale calibrée réalise une partition de l’estomac avec une petite poche gastrique se vidant dans le reste de l’estomac par l’intermédiaire d’une zone calibrée. Elle est rarement réalisée aujourd’hui. La gastroplastie ajustable consiste à encercler la partie supérieure de l’estomac par un anneau délimitant ainsi une petite poche de 20 ml qui se déverse dans le reste de l’estomac à travers un chenal étroit réglable. La sleeve gastrectomy est une pratique très en vogue ces dernières années et consiste en l’exérèse des deux tiers de la partie gauche de l’estomac, transformant la partie résiduelle en un tube d’une capacité d’environ 200 cc. Les techniques de malabsorption pures ont été abandonnées et elles s’associent de nos jours à une restriction gastrique. Le by-pass gastrique avec anse en Y (Roux-en-Y gastric bypass, RYGB) comporte une partition de l’estomac en une petite poche supérieure de 30 à 60 ml et le reste de l’estomac est exclu du circuit alimentaire. La petite poche gastrique est ensuite raccordée au tube digestif par l’intermédiaire d’une anse digestive prélevée au niveau du jéjunum, réalisant une anse en Y de longueur variable. L’absorption des aliments n’est possible qu’au-delà de l’anastomose du pied de l’anse lorsque les sécrétions gastrique, biliaire et pancréatique arrivent au

contact du bol alimentaire. Cette technique chirurgicale représente 85 % des chirurgies de l’obésité aux États-Unis actuellement. La diversion biliopancréatique associe une gastrectomie et un by-pass intestinal distal ; elle s’adresse aux superobèses, et est peu pratiquée en France. Ainsi, en France, trois interventions sont couramment pratiquées : la gastroplastie par anneau ajustable, la sleeve gastrectomy et le RYGB. Le choix de la technique repose sur l’analyse des avantages, risques, inconvénients et résultats des différentes interventions, qui doivent être abordés avec le patient au cours de différentes consultations. Ce choix doit être validé au cours d’une réunion pluridisciplinaire.

Bénéfices de la chirurgie de l’obésité sur le poids et la mortalité cardiovasculaire Les traitements classiques de l’obésité (activité physique, régime alimentaire) s’adressent davantage aux obésités modérées qu’aux formes sévères où seule la chirurgie a montré une réelle efficacité sur le long terme. L’étude SOS a comparé la perte de poids observée sur dix ans chez des patients traités de façon conventionnelle et des patients opérés, tous types de chirurgie confondus (9). Au terme de dix ans, le poids a augmenté de +1,6 % dans le groupe contrôle et il a chuté dans tous les groupes chirurgicaux : -25 % dans le groupe de sujets opérés d’un bypass gastrique (RYGB) et -13,2 % dans le groupe opéré d’un anneau gastrique. Les succès de la chirurgie sont tels que leur nombre a considérablement augmenté au fil Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels

des dernières années. La chirurgie de l’obésité, qui concerne plus de 30 000 patients en 2011, est actuellement en plein essor : le nombre d’interventions a ainsi doublé entre 2006 et 2011 (données de la Caisse nationale d’Assurance maladie, février 2013). Le suivi de dix ans en moyenne des patients après chirurgie montre un excès de mortalité chez les sujets du groupe contrôle (129 décès/2 037 sujets) en comparaison aux patients opérés (101 décès/2 010), avec respectivement 25 et 13 décès d’origine cardiovasculaire (10). L’amélioration de différents facteurs de risque cardiovasculaire associés à l’obésité explique la réduction des événements.

Impact de la chirurgie bariatrique sur le diabète Différents travaux ont confirmé l’intérêt de la chirurgie dans l’amélioration des complications métaboliques associées à l’obésité et dans la réduction des événements cardiovasculaires (10). L’amélioration, la rémission, voire l’absence de survenue du diabète, a été décrite suivant la réalisation de différentes techniques chirurgicales voire endoscopiques très récemment, techniques dont nous entendrons davantage parler dans les années à venir, notamment pour la prise en charge du diabète chez les sujets en surpoids (11-17). Une publication récente montrait qu’en comparaison à une prise en charge rigoureuse et intensifiée, la chirurgie de type RYGB augmente la proportion de patients obtenant une HbA1c inférieure à 7 % à un an (49 versus 19 %) associée à une réduction majeure du nombre de prescriptions thérapeutiques (18). Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

Impact de la chirurgie bariatrique sur les PA La diminution des chiffres de PA et de la prévalence des sujets hypertendus grâce à la chirurgie a également été documentée, mais de façon moins exhaustive que pour le diabète. Notons que les bénéfices de la chirurgie sur le risque cardiovasculaire et sur le contrôle du diabète sont tels que des travaux cliniques récents portent sur une population élargie aux sujets dont l’IMC est inférieur à 35 kg/m2 (18-19). L’évolution de la prévalence de l’HTA et des prescriptions après perte de poids est davantage décrite que les chiffres de PA. Les techniques chirurgicales n’ont jamais fait l’objet d’une comparaison directe en dehors de travaux rétrospectifs. Dans le tableau 1, certaines études illustrent les bénéfices de la perte de poids sur des chiffres de PA. Les travaux concernant l’anneau ajustable sont plus anciens que ceux concernant le RYGB et la sleeve gastrectomy, qui tendent à être préférés ces dernières années. La prévalence de sujets avec une PA supérieure ou égale à 160/90 mmHg ou en cours de traitement antihypertenseur était améliorée avec un anneau ajustable (20). Une résolution de l’HTA était observée chez 66 % des patients et les patients ne recevant pas de traitement antihypertenseur avaient une amélioration de leurs chiffres de PA supérieure aux patients sous traitement avant chirurgie. Les patients dont l’HTA était résolue avaient une perte d’excès de poids plus importante que ceux dont l’HTA ne l’était pas (89,3 versus 66,0 % respectivement), suggérant que l’obtention d’un poids proche du poids idéal garantisse une résolution de l’HTA (20). Des données

légèrement contradictoires montraient un bénéfice très supérieur de la chirurgie sur la PA chez les patients hypertendus avant chirurgie par rapport aux sujets ne l’étant pas (21). Les données à quatre ans montraient que malgré une efficacité modérée de l’anneau ajustable sur l’excès de poids chez des patients hypertendus, les chiffres de PA sont inférieurs à ceux des patients n’ayant pas été opérés (22). Le suivi des patients non hypertendus de cette étude montrait la survenue d’une HTA dans 25,6 % des cas à quatre années, tandis que seuls 1,4 % de sujets non hypertendus et opérés développaient une HTA. À l’inverse, dans le groupe de patients hypertendus, 20,5 % des patients opérés avaient une résolution de leur HTA contre 2,3 % dans le groupe de patients non opérés (22). Ces résultats rappellent l’évolution naturelle des chiffres de PA chez le patient obèse et leur évolution en l’absence d’intervention d’une part et le bénéfice d’une perte de poids sur la prévention de la survenue ou de l’aggravation de l’HTA d’autre part. L’étude récente d’Ikramudin dont l’objectif principal était de comparer l’intervention intensive (MHD et traitement) versus la chirurgie de type RYGB sur le contrôle du diabète, a inclus 120 patients avec un IMC de 30 à 39 kg/m2 (18). L’HTA était une comorbidité fréquente avec une prévalence de 70 %. Une diminution significative de la PAS de 9 mmHg et de la PAD de 6 mmHg, par rapport au groupe contrôle, était rapportée tandis que le nombre de prescriptions à visée cardiovasculaire était moindre que celles des patients contrôles avec trois médicaments de moins après un an de suivi. Dans une population avec des IMC très élevés avant 87


à savoir

Tableau 1 - Évolution des chiffres de PA en fonction de différents types de chirurgies bariatriques. Évolution de l’indice de masse corporelle

Évolution de la pression artérielle

Avant

Avant

Après

RYGB (18)

Après

Avant

Après

Pression artérielle systolique

Pression artérielle diastolique

25,8 ± 3,5

127 ± 15

115 ± 14

78 ± 12

68 ± 9

31,6 ± 3,7

132 ± 14

124 ± 12

79 ± 10

74 ± 9

Sujets opérés

Suivi = 12 mois, n = 120

34,9 ± 3,0 Sujets contrôles 34,3 ± 3,1 Anneau gastrique ajustable (21)

Pression artérielle diastolique

125 ± 1

125 ± 1

78 ± 1

79 ± 1

144 ± 2

134 ± 2

90 ± 1

84 ± 2

Sujets opérés

Suivi = 12 mois, n = 95 Prévention primaire Prévention secondaire

F : 44,0 ± 1,0

35,8 ± 0,9

H : 46,0 ± 2,1

37,1 ± 1,3

F : 44,7 ± 1,1

38,4 ± 1,0

H : 49,8 ± 2,4

38,9 ± 1,6

Anneau gastrique ajustable (22) Suivi = 4 ans, n = 56/29

Pression artérielle systolique

Prévention primaire

Pression artérielle systolique

Pression artérielle diastolique

36,5 ± 0,7

132 ± 2

128 ± 2

84 ± 1

82 ± 1

46,5 ± 2,3

137 ± 3

149 ± 4

85 ± 1

92 ± 2

42,1 ± 1,7

143 ± 4

128 ± 3

88 ± 3

80 ± 3

46,4 ± 1,2

149 ± 4

151 ± 3

87 ± 2

90 ± 1

Sujets opérés 45,2 ± 1,1 Sujets contrôles 45,2 ± 1,6

Prévention secondaire

Sujets opérés 48,3 ± 1,5 Sujets contrôles 45,2 ± 1,1

Sleeve gastrectomy (34) Suivi = 6 et 12 mois

43,6 ± 11,9

6 mois : 32,1 ± 7,4 12 mois : 28,9 ± 5,8

Pression artérielle systolique

Pression artérielle diastolique

137 ± 26

88 ± 17

6 mois : 65 ± 8 12 mois : 64 ± 8

Prévalence de l’HTA : 35,3 %

à 6 mois : 8,6 % à 12 mois : 2,9 %

6 mois : 112 ± 11 12 mois : 109 ± 12

Résolution de l’HTA 29 % des patients dans le groupe chirurgie versus 0 % dans le groupe intervention médicale intensive Sleeve gastrectomy (35) Suivi = une année, n = 14/17

Prévalence de sujets hypertendus (%)

Nombre d’antihypertenseurs

29,1 ± 4,0

82

82

2 (0-5)

1 (0-3)

32,5 ± 5,8

86

57

2 (0-4)

2 (0-4)

Sujets opérés 40,5 ± 4,6 Sujets contrôles 35,8 ± 5,0

HTA : hypertension artérielle ; RYGB : Roux-en-Y-gastric Bypass ; H : hommes ; F : femmes.

88

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels

chirurgie (47 kg/m2, n = 95 sujets) dont l’HTA évoluait depuis environ 6 ans, la PAS diminuait de façon significative de 140 ± 17 mmHg à 120 ± 18 mmHg à 12 mois, et la PAD de 80 ± 11 mmHg à 71 ± 8 mmHg (p < 0,01). À 12 mois, 44 patients (46 %) présentaient une résolution complète de leur HTA et 18 patients (19 %) l’amélioraient (23). Cette étude soulignait que les patients dont l’HTA se corrige avaient une durée d’évolution de l’HTA plus courte que celle des autres patients (53 vs 95 mois, respectivement, p = 0,01). Une étude médico-économique américaine suggérait par ailleurs que la réalisation d’une chirurgie de type RYGB était susceptible de réduire les coûts de santé liés au diabète et à l’HTA dès la première année de suivi (24). Une analyse rétrospective de 31 patients dont l’IMC variait de 38 à 57 kg/m2, montrait que 55 % des patients opérés d’une sleeve gastrectomy pouvaient suspendre leur traitement antihypertenseur, et ce chiffre s’élevait à 89 % pour les sujets opérés d’un RYGB (15). Notons que cet effet bénéfique fut rapporté chez des patients plus âgés (analyse de 76 patients âgés de plus de 60 ans) (25). Bien que le pourcentage de perte de poids corporel en excès soit moindre, le DT2 et l’HTA dont la fréquence est plus importante dans ce groupe d’âge, tendaient à s’améliorer de façon plus satisfaisante encore que chez des sujets plus jeunes. Même si l’étude rétrospective de Cutolo allait dans le sens d’un bénéfice supérieur du RYGB par rapport à la sleeve gastrectomy, une revue récente de la littérature montrait un bénéfice important de cette technique chirurgicale sur la PA : chez des patients dont l’IMC évoluait de 49,1 ± 7,5 kg/m2 à 36 ± 7,0 kg/m2 après un suivi moyen de 17 mois (12 à 48) (26), une Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

résolution de l’HTA dans 58 % des cas et son amélioration dans 75 % des cas étaient observées, soit des chiffres encore supérieurs à ceux rapportés après chirurgie de type RYGB dans une population d’IMC comparable. Ainsi, l’ensemble des travaux est en faveur d’un meilleur contrôle de la PA chez les patients ayant perdu du poids après chirurgie de l’obésité, quelle que soit la méthode utilisée. Le bénéfice semble d’autant plus important que la perte de poids l’est et que le poids se rapproche du poids idéal du patient. La perte de poids aide à la prévention et la maîtrise de l’HTA chez les sujets obèses par rapport aux sujets non opérés.

Autres facteurs impliqués dans la réduction du risque cardiovasculaire Des mécanismes associés à l’amélioration du diabète, de l’HTA, de la dyslipidémie pourraient être impliqués dans la diminution du risque cardiovasculaire, tels que la réduction de l’épaisseur intima-média, une réduction de l’inflammation de bas grade, de la production de différentes cytokines et une amélioration de la dysfonction endothéliale (27). La perte de poids après gastroplastie est accompagnée d’une augmentation de la concentration sérique de l’oxyde nitrique, ayant potentiellement des effets cardioprotecteurs (1, 27). Enfin, des marqueurs de thrombose, de coagulation et de fibrinolyse ont un profil plus favorable en postopératoire (1, 27). On peut ainsi imaginer, malgré l’absence de niveau de preuve suffisant, qu’une amélioration des comorbidités et des douleurs articulaires influence positivement la qualité de vie et l’état fonctionnel

et qu’elle contribue indirectement à l’amélioration du risque cardiovasculaire par leurs effets bénéfiques sur l’activité des patients opérés.

Dans le cas de notre patiente

À 98 kg, elle bénéficie d’une sleeve gastrectomy. L’impact sur l’évolution pondérale est spectaculaire avec une perte de poids de 20 kg en six mois et une stabilisation du poids à 75 kg pendant les quatre années suivantes. L’équilibre glycémique est satisfaisant sous metformine seule (HbA1c = 6,7 %). Le contrôle tensionnel, en revanche, s’est amélioré de façon moins spectaculaire. Le traitement prescrit est alors valsartan-hydrochlorothiazide 160/25 : 1 cp le matin, vérapamil 240 LP : 1 cp matin et soir, amiloride : 1 cp le matin, uradipil 60 mg matin et soir. Les PA restent à 150/86, 156/105 au mieux 145/92 mmHg après plusieurs minutes de repos, la MAPA qui n’a été tolérée que durant la période diurne confirme la persistance d’un déséquilibre tensionnel avec 148/91 mmHg le jour. Elle vous apprend qu’elle a décidé de suspendre l’appareillage du SAS, convaincue de sa disparition avec la perte de poids.

Évolution des chiffres de PA à distance de la chirurgie Le maintien du bénéfice de la chirurgie à très long terme est peu décrit. Le suivi des chiffres de PA à quatre années de la pose d’un anneau ajustable était en faveur d’un maintien du contrôle, mais l’étude SOS montrait un rebond de l’HTA après six à huit ans de suivi (9-10, 22). Dans la cohorte de patients de l’étude SOS, la chirurgie de type RYGB était peu représentée, au 89


à savoir

regard des autres méthodes (9). Or, la perte d’excès de poids était supérieure chez les patients ayant bénéficié de cette chirurgie et maintenue jusque quinze années après, faisant espérer un meilleur contrôle de la PA chez des patients ayant bénéficié d’un RYGB par rapport aux autres méthodes réalisées dans cette étude (gastroplastie verticale calibrée et anneau ajustable). Les bénéfices de la sleeve gastrectomy au-delà de douze mois ne sont pas connus. Notons que malgré le rebond de l’HTA à six à huit années de suivi, les patients opérés bénéficiaient d’une réduction de la survenue d’accidents cardiovasculaires (10).

Absorption des médicaments après chirurgie de l’obésité On peut s’interroger sur l’absorption des médicaments antihypertenseurs après chirurgie de l’obésité. Aucune donnée concernant l’évolution de la pharmacocinétique ou de la biodisponibilité de ces médicaments n’a été publiée à ce jour. Les études sur les prescriptions postchirurgicales ont davantage concerné l’effet des médicaments, c’est-à-dire la mesure de la PA, dont l’amélioration est rassurante et incite à la réduction des médicaments.

La modification de l’anatomie gastrointestinale La modification de l’anatomie gastro-intestinale résultant du RYGB peut induire des changements importants de l’absorption des médicaments administrés par voie orale. Certaines enzymes du métabolisme et des transporteurs de médicaments sont présentes dans l’intestin grêle proximal contourné après 90

RYGB, de telle sorte que les médicaments qui subissent un important effet de premier passage dans l’intestin peuvent avoir une biodisponibilité orale augmentée après RYGB. À l’inverse, les médicaments nécessitant un temps de contact privilégié avec la muqueuse intestinale proximale (duodénum et début du jéjunum proximal) désormais “shuntée” après RYGB, peuvent avoir une absorption réduite. L’exposition orale de médicaments est parfois augmentée (atorvastatine, moxifloxacine, metformine) ou réduite (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) après RYGB (28-32). La résultante de la chirurgie sur l’absorption de nombreux médicaments reste à déterminer et cette recherche est sans doute à privilégier pour les médicaments à marge thérapeutique étroite ou ne disposant pas de marqueur pharmacodynamique simple tel que la mesure de la PA.

La restriction de la poche gastrique La restriction de la poche gastrique après RYGB, sleeve gastrectomy ou anneau ajustable peut également modifier les processus biopharmaceutiques dans le tractus gastro-intestinal (taux de vidange gastrique, dissolution de formes pharmaceutiques) (28). Ainsi, même si la sleeve gastrectomy est une chirurgie restrictive pure, la réduction de la poche gastrique peut induire une diminution du temps de dissolution gastrique de médicaments ayant une forme galénique solide (33). L’anneau ajustable, quant à lui, peut augmenter le temps de vidange gastrique, favoriser la dissolution, mais retarder la vidange gastrique et donc le contact du principe actif avec la muqueuse intestinale (28, 33).

Les propriétés pharmacocinétiques de médicaments antihypertenseurs Les propriétés pharmacocinétiques de médicaments antihypertenseurs suggèrent que l’absorption soit progressive le long de la muqueuse de l’intestin grêle et de nombreuses formes à libération prolongée sont disponibles. Un retard de dissolution ou de vidange de la forme galénique solide a probablement peu de répercussions sur l’absorption d’un médicament habituellement correctement absorbé le long de l’intestin. L’adaptation des traitements antihypertenseurs doit toujours être réalisée sur le marqueur d’effet des médicaments, à savoir la PA mesurée de façon correcte avec un brassard adapté, et il n’y a pas d’indication à une augmentation de la dose en cas de doute sur l’absorption des médicaments antihypertenseurs.

Autres facteurs impliqués dans le contrôle de la PA après chirurgie Les apnées du sommeil régressent fréquemment après chirurgie de l’obésité. Une métaanalyse montre une résolution des apnées dans 80 à 86 % des cas et leur amélioration dans 95 % des cas (3). Malgré ces données très rassurantes sur l’évolution de cette comorbidité, il convient de s’assurer de leur disparition au cours du suivi, surtout dans un contexte d’HTA sévère persistante. Par ailleurs, il convient de rappeler aux patients que les MHD expliquées plus précocement dans la prise en charge de la maladie, comme la réduction des apports sodés, doivent être Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


impact de la chirurgie bariatrique sur les chiffres tensionnels

maintenues malgré la chirurgie de l’obésité.

Conclusion L’ensemble des données sur HTA et chirurgie bariatrique suggère que la perte de poids importante, quelle que soit la technique chirur-

gicale utilisée, améliore les chiffres tensionnels des patients, et même si certains travaux montrent une perte du bénéfice à distance des premières années, la chirurgie permet sans doute de limiter ou retarder l’aggravation de l’HTA, assez inéluctable chez les patients obèses. L’amélioration des autres

comorbidités, notamment métaboliques, contribue à la diminution du risque cardiovasculaire. n

Mots-clés : Chirurgie bariatrique, Obésité, Hypertension artérielle

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Interspécialités

Œdème maculaire : injection intravitréenne d’anti-VEGF et médicaments apparentés À quoi servent-il ? Dr Véronique Pagot-Mathis*

Introduction L’Œdème maculaire diabétique (OMD) représente un problème de santé publique majeur car il constitue la première cause de malvoyance chez le patient diabétique (acuité visuelle inférieure à 3/10) avec une prévalence atteignant 10 % (1). Sa prévalence augmente avec la durée du diabète, atteignant jusqu’à 30 % après vingt ans d’évolution de la maladie quel que soit le type de diabète. Il est établi aujourd’hui que sa prévalence augmente aussi avec la qualité du contrôle glycémique, la sévérité de la rétinopathie diabétique, le niveau de la pression artérielle, l’équilibre glycémique et le syndrome d’apnées du sommeil. La photocoagulation au laser a longtemps été le seul traitement proposé. De nouvelles thérapeutiques en injections intravitréennes, corticoïdes et anti-VEGF ont récemment amélioré son pronostic à moyen terme, en sachant que leur efficacité n’est possible que si le déséquilibre chronique des facteurs systémiques est traité.

Définition et physiopathologie de l’OMD La maculopathie diabétique regroupe l’œdème maculaire, la maculopathie ischémique sur laquelle nous n’avons pas de thérapeutique, et l’œdème maculaire avec participation tractionnelle, pathologie de l’interface vitréorétinienne qui relève d’un traitement chirurgical par vitrectomie. L’OMD est une accumulation de liquide extracellulaire dans la rétine maculaire, entraînant son épaississement. CHU de Toulouse, Service d’Ophtalmologie de l’Hôpital Paulede-Viguier pagot-mathis.v@chu-toulouse.fr

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Examens de référence Outre la baisse de l’acuité visuelle, qui doit être chiffrée en échelle reproductible à progression logarithmique ETDRS, l’examen actuel de référence est l’OCT ou tomographie à cohérence optique. Il s’agit d’une méthode d’examen non invasive et reproductible qui permet d’obtenir des “coupes” de la rétine (40 000 scans par seconde) d’une précision de l’ordre du micron pour les OCT dernière génération dit Spectral Domain. Il existe par ailleurs un système de Eye-tracking qui permet un suivi actif de l’œil. L’OCT permet de suivre l’évolution d’un œdème maculaire par la réalisation de carto-

graphies ou mapping de l’épaisseur maculaire (Fig. 1 et 2). L’angiographie du fond d’œil est toujours utile, non pas au diagnostic de l’OMD, beaucoup mieux visualisé par l’OCT, mais pour typer un œdème maculaire afin de déterminer l’origine des diffusions et surtout pour éliminer une ischémie maculaire. Elle n’est pas indiquée pour le suivi. Examen de réalisation simple, mais invasif, il ne présente que peu d’effets secondaires et complications, et peut être réalisé chez la femme enceinte. Il existe cependant un risque très faible mais réel de choc anaphylactique chez les patients présentant des antécédents allergiques, chez lesquels une préparation antiallergique est nécessaire. Après injection intraveineuse de fluorescéine, des clichés photographiques sont réalisés et permettent une étude dynamique de la vascularisation rétinienne (Fig. 3).

Classifications de l’OMD La terminologie des classifications de l’OMD est importante à connaître pour les correspondants non ophtalmologistes de manière à évaluer le risque fonctionnel mis en jeu. Schématiquement, deux classifications sont mixées, la classification selon l’ALFEDIAM (1996) (2) et la classification internationale de Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


Œdème maculaire, injection intravitréenne d’anti-VEGF et médicaments apparentés

la Société américaine d’Ophtalmologie (AAO) (2003) (3). On distingue l’œdème focal, accompagné le plus souvent d’exsudats circinés (Fig. 4), l’œdème diffus central, cystoïde ou non, et l’œdème mixte, focal et diffus. La classification de l’AAO ajoute la notion de sévérité de l’OMD en fonction de sa distance par rapport au centre de la fovéa (centre de la macula permettant la vision fine). On parle ainsi d’OMD minime, modéré et sévère, selon que l’épaississement rétinien et/ou les exsudats sont à distance, se rapprochent ou atteignent le centre de la macula.

Figure 1 - Image OCT d’un œdème maculaire mixte (diffus et focal).

Mécanismes physiopathologiques Les mécanismes physiopathologiques de la rétinopathie diabétique et notamment de l’œdème maculaire sont complexes, non encore élucidés. Il s’agit à la fois d’une maladie du tissu vasculaire et nerveux rétinien. Il est admis que l’hyperglycémie chronique entraîne une cascade de réactions biochimiques et un stress oxydatif qui génèrent des altérations tissulaires (apoptose cellulaire, réactivité gliale, leucostase, perméabilité capillaire, occlusion capillaire), une inflammation chronique et une surexpression de facteurs proangiogéniques dont le VEGF ainsi que d’agents pro-inflammatoires (TNF, IL-10...). Ces combinaisons sont à l’origine de la rupture de la barrière hématorétinienne interne, principale cause de l’œdème maculaire. En cas d’OMD avéré, le rôle aggravant de l’hypertension artérielle est d’un point de vue physiopathologique influencé par la loi de Starling, qui entraîne une hyperpression hydrostatique intravasculaire, augmentant la perméabilité vasculaire vers les tissus interstitiels. Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

Figure 2 - Mapping d’un œdème maculaire avec épaisseur rétinienne majeure qui apparaît en blanc.

Figure 3 - Aspect angiographique avec

Figure 4 - Rétinographie d’un OMD focal

diffusion vasculaire d’un OMD.

sévère avec exsudats.

Le VEGF qui est surexprimé dans le vitré et la rétine des patients atteints de rétinopathie diabétique, même aux stades précoces, joue un rôle important dans l’apparition et l’entretien de l’OMD. Les anti-VEGF ont donc une place dans le traitement de l’OMD. Plusieurs études prospectives ont montré l’intérêt du ranibizumab en injections intravitréennes dans le traitement de l’OMD (4-6). Seul le ranibizumab a l’AMM et le remboursement. Les corticoïdes en injection intravitréenne ont égale-

ment leur place, du fait du rôle de la réaction inflammatoire chronique dans l’OMD. Cependant, la triamcinolone, longtemps injectée en intravitréen, n’a jamais eu l’AMM, mais continue à être utilisée.

Traitement de l’œdème maculaire Traitement médical Le traitement ophtalmologique de l’OMD ne se conçoit qu’après une équilibration des facteurs 93


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systémiques. De grandes études outre-Atlantique ont montré clairement le rôle de l’équilibre glycémique sur l’incidence et la progression de l’OMD, le DCCT pour les diabétiques de type 1 et l’UKPDS pour les diabétiques de type 2 (7-8). Plus récemment, l’étude ADVANCE (9) a souligné le risque élevé de mortalité par accidents cardiovasculaires chez les sujets âgés de plus de 60 ans lors d’un équilibre trop strict de l’HbA1c à 6,3 %. Aucun chiffre cible d’HbA1c n’est recommandé par les ophtalmologistes. Très souvent, une dynamique d’équilibration semble bénéfique. L’UKPDS a montré le rôle de l’HTA sur l’incidence de l’OMD (10). Les objectifs cibles des ophtalmologistes sont des chiffres inférieurs à 130 /80 mmHg. La pression pulsée élevée chez les diabétiques est montrée comme un facteur d’aggravation de la rétinopathie diabétique et donc de l’OMD. Récemment, il a été montré également que 62,5 % des diabétiques qui n’abaissent pas les chiffres de leur tension artérielle pendant la nuit (baisse physiologique de 10 %) avec une tension artérielle supérieure à 120 /75 mmHg ont un OMD. Le rôle des dyslipidémies dans l’OMD est diversement apprécié dans la littérature. Cependant, les dyslipidémies au sens large (hypercholestérolémie et hypertriglycéridémie) semblent être un facteur aggravant concernant la présence d’exsudats lipidiques maculaires (11). Certains ont montré que l’utilisation de statines chez les patients diabétiques avec hypercholestérolémie et OMD réduisait le nombre d’exsudats maculaires (12). Récemment, a été mis en évidence une prévalence plus élevée du 94

Syndrome d’apnées du sommeil (SAS) chez les diabétiques de type 2. Le SAS pourrait jouer un rôle dans l’entretien d’un OMD par l’hypoxémie et les modifications métaboliques engendrées (13).

- Ne jamais traiter un OMD en cas de grossesse car il régresse souvent en post-partum. - Attendre quatre à six mois après un OMD post-panphotocoagulation rétinienne car il peut se résorber spontanément.

Avant donc d’envisager un traitement ophtalmologique de l’OMD, il est essentiel d’analyser le terrain pour dégager les facteurs pronostiques : - Durée d’évolution de l’OMD. - Type de diabète. - Traitement par insuline ou hypoglycémiants oraux. - Équilibre glycémique-HbA1c. - HTA ou non. - Dyslipidémie. - SAS.

Traitement ophtalmologique

Il faut connaître également les facteurs d’aggravation de la rétinopathie diabétique et de l’OMD : - Une grossesse. - Une rééquilibration rapide de la glycémie, car elle aggrave la rétinopathie diabétique non proliférante sévère et proliférante. - Un passage à l’insuline, pour les mêmes raisons. - Une chirurgie de la cataracte. Il faudra donc équilibrer les facteurs systémiques par une collaboration entre le médecin traitant, l’ophtalmologiste et le diabétologue : - Optimiser l’équilibre glycémique, pressionnel et lipidique. - Ne pas hésiter à demander un holter pressionnel des 24 heures. - Appareiller un SAS. Il faudra également dépister les cas particuliers : - Le jeune diabétique de type 1 avec OMD présente souvent une régression de l’OMD avec la photocoagulation panrétinienne, surtout dans les rétinopathies diabétiques florides.

Trois options thérapeutiques s’offrent aux ophtalmologistes : la photocoagulation au laser, les corticoïdes intravitréens et les antiVEGF intravitréens. ❚❚Photocoagulation au laser Longtemps unique moyen thérapeutique dans le traitement de l’OMD, la photocoagulation au laser est réservée presque exclusivement aujourd’hui au traitement de l’OMD focal ou mixte, c’est-à-dire lorsque l’OMD provient majoritairement de fuites de microanévrysmes et qu’il existe un épaississement rétinien sur l’OCT. On traitera alors par une photocoagulation en quinconce l’OM focal (microanévrysmes entourés d’exsudats) quelle que soit l’acuité visuelle du patient, lorsque les exsudats menacent le centre de vision. ❚❚Anti-VEGF intravitréens Les anti-VEGF administrés par voie intravitréenne, développés en 2006, ont révolutionné le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge néovascularisée. Le ranibizumab est un fragment d’anticorps monoclonal humanisé recombinant dirigé contre le facteur de croissance de l’endothélium vasculaire humain de type A. Il se lie avec une haute affinité aux isoformes du VEGF-A empêchant la liaison du VEGFA à ses récepteurs VEGFR-1 et VEGFR-2, inhibant la prolifération des cellules endothéliales, la Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


Œdème maculaire, injection intravitréenne d’anti-VEGF et médicaments apparentés

néovascularisation choroïdienne et la perméabilité vasculaire. Depuis 2010, le ranibizumab a l’AMM et le remboursement dans le traitement de l’OMD. Trois études prospectives – RESOLVE, RESTORE, DRCR net –, ont montré l’efficacité du ranibizumab avec un gain moyen de 7 lettres en échelle logarithmique ETDRS, acquis rapidement dans l’année suivant les 3 injections intravitréennes pratiquées à un mois d’intervalle. Il faut cependant comprendre qu’un gain de 10 lettres représente environ une progression d’acuité visuelle de 1/10. Les gains d’acuité visuelle obtenus dans l’OMD par injections intravitréennes de ranibizumab ne sont pas comparables aux gains d’acuité visuelle obtenus avec le même traitement dans la dégénérescence liée à l’âge. Il n’y a en revanche pas plus de complications infectieuses type endophtalmies chez le patient diabétique. L’injection intravitréenne d’antiVEGF n’est pas recommandée en cas d’accident vasculaire cérébral et infarctus du myocarde de moins de trois mois, ainsi qu’en cas d’artériopathie aiguë des membres inférieurs. ❚❚Corticoïdes intravitréens Les injections intravitréennes de corticoïdes de triamcinolone sont encore proposées dans certains cas, mais sont toujours injectées hors AMM, avec comme principales complications, si elles sont répétées, la cataracte et l’hypertonie oculaire, voire un glaucome.

Stratégie thérapeutique Il n’y a aucune urgence à traiter un OMD et on peut attendre quatre mois avant de réévaluer la situation. Il faudra s’acharner à rééquilibrer les facteurs systémiques, à optimiser l’équilibre glycémique, pressionnel et lipidique, Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

et à appareiller un syndrome d’apnées du sommeil. Il faudra dépister les cas particuliers : • Le jeune diabétique de type 1 présente souvent un OMD très VEGF-dépendant qui va régresser après la panphotocoagulation rétinienne au laser surtout dans les cas de rétinopathie floride, par suppression du facteur hypoxie. • On ne traitera pas non plus l’OMD découvert en cours de grossesse, d’une part car les anti-VEGF sont contre-indiqués et l’OMD régresse souvent spontanément en post-partum. • Un OMD survenant après une panphotocoagulation rétinienne bien conduite peut régresser spontanément en quatre à six mois. En dehors de ces cas, une photocoagulation au laser sera proposée, quelle que soit l’acuité visuelle devant un OMD focal modéré ou sévère. En cas d’OMD diffus avec baisse d’acuité visuelle inférieure à 6/10 (le patient peut lire 5/10, soit 73 lettres ETDRS), des injections intravitréennes seront proposées en première intention, uniquement si le patient est en mesure de s’astreindre à un suivi mensuel pendant au moins un an. Trois Injections intravitréennes (IVT) consécutives à un mois d’intervalle sont effectuées. Si l’acuité visuelle ne s’améliore pas d’au moins 5 lettres, ce qui en fait est très peu, moins de 1/10 d’amélioration, les IVT sont continuées jusqu’à stabilisation de l’acuité visuelle sur trois examens consécutifs et le traitement peut être arrêté. En cas de rechute, une nouvelle série est répétée selon le même protocole. L’absence d’amélioration de l’acuité visuelle doit conduire à un arrêt du traitement. Si le patient ne peut ou ne veut pas subir les IVT, nous pouvons encore avoir recours aux IVT de triamci-

nolone, surtout si le patient est déjà opéré de la cataracte. Les implants de corticoïdes à libération prolongée de dexaméthasone n’ont pas l’AMM dans le traitement de l’OMD.

Conclusion L’œdème maculaire diabétique reste un problème difficile en pratique courante car il s’agit d’une pathologie multifactorielle. Il n’y a jamais d’urgence à traiter un OMD. La collaboration entre l’ophtalmologiste, le diabétologue, le médecin généraliste, le cardiologue, voire le néphrologue et le pneumologue, est indispensable, autant que la motivation du patient qui paraît toujours encouragé par cette collaboration à une meilleure prise en charge personnelle. Les traitements ophtalmologiques actuels par injections intravitréennes d’anti-VEGF ont permis une amélioration de l’acuité visuelle modeste, mais est un traitement lourd et parfois difficile à réaliser. Les effets à long terme des injections d’anti-VEGF itératives ne sont pas à ce jour évalués, car si le VEGF est un agent proangiogénique, il a également une action neuroprotectrice, en particulier rétinienne. n

Mots-clés : Œdème maculaire, Diabète, Traitements anti-VEGF

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Société

Au cœur de nos pratiques culinaires et alimentaires L’espace de la cuisine Catherine Clarisse*

Introduction

N

os comportements alimentaires se lisent dans les lieux où nous cuisinons, préparons et dégustons nos repas. Réciproquement, l’espace peut aussi conditionner nos gestes quotidiens : dans une petite cuisine, par exemple, les gestes sont contraints et l’encombrement d’un plan de travail peut se révéler problématique pour certains gestes ou préparations culinaires. Dans l’histoire de la médecine et de l’architecture, au cours de certaines périodes, des médecins et des architectes ont œuvré ensemble pour concevoir des habitats sains, bien aérés, ensoleillés et fonctionnels pouvant contribuer à la santé des habitants. Il s’agissait, notamment à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle en France, d’éradiquer des maladies telles que la tuberculose ou le choléra. *Architecte DPLG et diplômée de l’ENSAD, enseignante à l’ENSAPM, chercheuse au LACTH, laboratoire de recherche de l’ENSAPL, mène au sein du LACTH la recherche OSCAH

Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

© Publicité, revue Arts ménagers, mars 1952, DR

L’espace de la cuisine a considérablement évolué depuis le début du 20e siècle, cette transformation se poursuit de nos jours et accompagne les changements dans notre façon de nous alimenter.

Figure 1 - Les années 1950 sont considé-

d’aujourd’hui afin de mieux penser celles de demain, il est important de prendre en compte les étapes successives de transformation dont héritent les cuisines d’aujourd’hui, à la fois dans la disposition de l’espace, l’équipement et l’évolution des mentalités accompagnant ces transformations. Pour résumer cette évolution à grands traits depuis le début du 20e siècle, on observe que la cuisine fait l’objet de plusieurs transformations successives, liées aux progrès techniques et à l’évolution des modes de vie.

rées comme un “âge d’or” de la femme au foyer.

Disparition de la table et des chaises de la cuisine

L’évolution préoccupante de l’obésité au cours des dernières décennies nous incite à observer de plus près les changements alimentaires et les changements de modes de vie. Aujourd’hui, on parle d’épidémie d’obésité ayant un impact sur la santé et la qualité de vie des personnes concernées (2). Il semble intéressant de renouer avec cette tradition de travail pluridisciplinaire associant la médecine et l’architecture pour accompagner un mode de vie plus sain.

Dans un premier temps, au cours des années 1920-1930, avec l’arrivée des réseaux de confort dans l’habitation, la cuisine bénéficie de grands progrès concernant l’hygiène et la mécanisation des tâches domestiques. Les architectes innovent, créent des dispositifs très variés et intéressants pour intégrer les nouveaux éléments de confort. Ils conçoivent généralement des cuisines où l’espace est “optimisé” pour une plus grande efficacité dans la réalisation des gestes quotidiens. À la cuisine comme à l’usine, la taylorisation de ces gestes est étudiée et prise en compte pour l’organisation de l’espace. Importés des États-Unis, de nombreux schémas étudiant les gestes et déplacements dans la cuisine sont

Évolution de la pièce cuisine depuis le début du 20e siècle en France Pour bien comprendre les cuisines

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Société

utilisés pour la conception des lieux. Les États-Unis ont connu avant l’Europe la “crise de la domesticité” et la mécanisation des tâches domestiques. Pour les architectes et théoriciens de l’habitation, l’objectif du gain de temps pour l’exécution des gestes quotidiens dans la cuisine s’accompagne d’une réduction de l’espace. Cette réduction de la surface en plan implique le plus souvent la disparition de la table et des chaises qui l’entourent. Le modèle de la “cuisine paysanne”, pièce à vivre où l’on prépare les repas, mange autour de la table et qui peut accueillir diverses activités telles que les devoirs scolaires des enfants, est écarté et peu valorisé en France pour la construction de nouvelles habitations. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au cours de la période dite de “reconstruction”, le modèle de la petite cuisine “efficace” est retenu pour équiper les milliers de logements sociaux construits rapidement et en masse pour faire face à l’urgence de “loger le plus grand nombre”. En taille et en surface la cuisine s’uniformise, dans les logements sociaux comme dans ceux des classes plus aisées.

Disparition de la porte et de la fenêtre de la cuisine L’évolution des règlements de construction joue aussi un rôle dans l’organisation de la cuisine : jusque dans l’immédiat après-guerre, les règlements de construction imposent que toutes les pièces de l’habitation soient éclairées et ventilées naturellement : chaque pièce, y compris les cuisines et les salles de bains, disposaient donc d’une fenêtre. Lorsque l’architecte Le Corbusier 98

construit la “Cité radieuse” de Marseille en 1947, il s’agit d’une commande d’État et l’architecte va s’affranchir de cette règle. Cet immeuble est composé de “cellules d’habitation” de 22 mètres de profondeur. Les chambres et le séjour disposent de vastes baies vitrées mais les cuisines et salles de bains, au centre de la “cellule”, ne disposent pas de fenêtres : le bâtiment est équipé de la Ventilation mécanique contrôlée (VMC), utilisée alors couramment aux États-Unis. La cuisine, très petite, est conçue pour une femme qui va y œuvrer seule et debout (les historiens considèrent qu’en France cette période correspond à un “âge d’or” de la femme au foyer), un meuble bar permet l’articulation avec le séjour, et l’architecte considère que la cuisine donnant sur le séjour, elle bénéficie des ouvertures de celui-ci. Par cette disposition, la cuisine perd donc sa porte et sa fenêtre.

En Suède, la cuisine conserve table, chaises, porte(s) et fenêtre(s) Tandis qu’en France, autour des années 1950, le modèle de la petite cuisine, conçue pour une femme y travaillant debout et seule se généralise, en Suède les architectes et théoriciens de l’habitation considèrent qu’une cuisine – pièce à part entière – disposant d’une table pour les repas quotidiens simplifie le travail domestique et permet une meilleure répartition des tâches, ce lieu permettant d’y œuvrer à plusieurs. Il s’agit aussi d’un projet social : le temps que les femmes gagnent grâce à une meilleure répartition du temps de travail domestique leur permet de se consacrer à d’autres activités : études, travail rémunéré, loisirs... Aujourd’hui, les cuisines suédoises ont conservé leur table.

Évolution en France des normes de construction pour l’habitation L’“innovation” de l’architecte Le Corbusier à Marseille qui, hors règlements, remplace les fenêtres par la VMC constitue une sorte de “jurisprudence” : les réglementations de construction vont “s’assouplir” afin de permettre l’“ouverture” de la cuisine sur le séjour, et généralement la suppression de la fenêtre par la même occasion. À partir des années 1950, les cuisines s’uniformisent en taille, en forme, et en équipements ; elles sont équipées en plan d’éléments de 60 x 60 cm correspondant aux dimensions standard des éléments de cuisine et équipements électroménager. Cependant, l’équipement s’améliore tandis que subsistent encore des cuisines de type “couloir”, peu adaptées par exemple à l’ouverture d’un lave-vaisselle ou à la mobilité d’une personne handicapée. En 1992, la réglementation de construction concernant l’accessibilité pour les personnes handicapées va permettre l’agrandissement de la cuisine, afin de pouvoir y accueillir la rotation d’un fauteuil roulant. Cette disposition agrandissant l’espace vide dans la cuisine permet aussi d’y disposer une table.

Cuisine ouverte sur le séjour, “cuisine américaine” Le dispositif de la cuisine ouverte sur le séjour, dite “cuisine américaine” (que les Américains euxmêmes nomment french kitchen), lorsqu’il apparaît en France dans les années 1950, plaît beaucoup aux architectes (belles perspectives), aux promotteurs (belles Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


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économies d’espace), moins aux habitants, selon une enquête publiée notamment dans la revue Science et Vie (3). Aujourd’hui, le modèle dominant proposé par les cuisinistes dans les showrooms, magasins spécialisés, émissions de télévision, au fil des pages des revues de décoration, semble être celui de la cuisine ouverte sur le séjour, qui plaît à la fois aux architectes et aux promoteurs comme dans les années 1950, et aussi aux cuisinistes (l’émergence de cette profession date des années 1960-70) et aux scénaristes de feuilletons de télévision et d’émissions culinaires (belles profondeurs de champ). Généralement, dans ces cuisines ouvertes, un meuble bar ou un îlot central permet l’articulation entre l’espace de préparation et celui du séjour.

Les lieux où nous vivons peuvent-ils nous aider à mieux nous nourrir et à protéger notre santé ? Les médecins spécialistes de l’obésité soulignent les effets néfastes pour la santé de la “destructuration” des repas, du grignotage, des repas pris trop rapidement, de l’excès de consommation d’aliments gras et sucrés, de nourriture industrielle et de sodas sucrés.

Les lieux où nous vivons peuventils nous aider à mieux nous nourrir et à protéger notre santé ? Effectuons une petite visite des lieux de l’habitation liés à notre alimentation, pour l’approvisionnement, la préparation et la prise des repas.

Les machines Le stockage et l’approvisionnement Dans certaines régions, les implantations de supermarchés et d’hypermarchés, généralement en périphérie des villes, ont fait disparaître la plupart des commerces de proximité. Il devient donc difficile, pour tous ceux qui ne conduisent pas, de s’approvisionner au quotidien. Le rythme des courses hebdomadaires en voiture se généralise. Aux énormes caddies hebdomadaires correspond un stockage important au sein de l’habitation. Placards pour l’épicerie, les boissons, les conserves, énormes réfrigérateurs pour les produits frais... Ces volumes de stockage occupent une place importante dans la cuisine et peuvent devenir encombrants lorsque l’espace est restreint. D’autre part, il se peut que l’on ait tendance à remplir un grand réfrigérateur parfois exagérément de produits qu’il faudra ensuite consommer avant la date de péremption. Avons-nous tous besoin de ces très grands réfrigérateurs/congé-

La recherche OSCAH La recherche OSCAH, Obésité sévère Comportement alimentaire Habitation, est menée dans le cadre du programme “Chercheurs citoyens” du conseil régional Nord-Pas-de-Calais. Cette recherche transdisciplinaire associe l’équipe du Professeur François Pattou au CHRU de Lille (UMR 859), le LACTH, laboratoire de recherche de l’ENSAP Lille, l’association CNAO Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77

lateurs encombrants, sachant que les œufs, la plupart des fruits et légumes se conservent très bien sans être réfrigérés (pour les tomates par exemple, il est même préférable de ne pas les conserver au réfrigérateur) ?

(Collectif national des associations d’obèses), et la contribution de la MESHS. Il est question dans cet article des enquêtes menées au domicile de personnes obèses volontaires pour participer à cette étude. Ces enquêtes sont menées en binôme médecin/ architecte : Docteur Hélène Verkindt, médecin nutritionniste (CHRU Lille), et Catherine Clarisse, architecte (LACTH).

Aides culinaires, machines à café, machines à sodas, robots multiples, nombreux appareils de cuisson spécifique (cuit-vapeur, cuit-riz, friteuse...) et diverses machines (pour faire le pain, les pâtes, les chips, les crêpes, les gaufres, les raclettes, les glaces...), chaque saison apporte son lot de nouveautés... Dans la cuisine, les placards et plans de travail sont souvent encombrés d’une multitude d’objets... qui paradoxalement peuvent empêcher, faute de place, de poser une corbeille de fruits, un bouquet de persil, d’exécuter quelques simples gestes culinaires voire même de prendre ses repas dans l’espace encombré.

L’espace indifférencié cuisine/ séjour On peut se demander si le fait que la cuisine se trouve en continuité de l’espace du séjour ne favoriserait pas le “grignotage” (le fait que les aliments soient visibles en permanence pouvant inciter à les consommer, la proximité du réfrigérateur et du stockage étant aussi susceptible de favoriser la prise d’aliments hors des repas). Le temps que les Français passent devant les écrans augmente chaque année : selon la dernière enquête INSEE (4), ce temps est évalué en moyenne à 3h50 devant la télévision chaque jour, et la principale activité effectuée devant la télévision est la prise des repas (avec un pic de temps passé au moment du repas du soir, tous les jours de la semaine). 99


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La continuité cuisine/séjour constitue une disposition cohérente avec le fait que les repas se prennent souvent devant la télévision. La prise en compte du mobilier revêt une importance particulière concernant la prise des repas. Il semblerait par exemple qu’au Royaume-Uni, où la prévalence de l’obésité est forte, un certain nombre d’habitations ne disposent plus de la traditionnelle table pour prendre le thé.

Les recommandations des médecins et les lieux quotidiens Écoutons les recommandations des médecins concernant la santé et l’obésité et imaginons des lieux, concernant la question de l’alimentation et du mode de vie, qui pourraient nous aider simplement à les suivre. Les conseils donnés à l’occasion des enquêtes au domicile de personnes obèses menées dans le cadre de la recherche OSCAH dans le Nord-Pas-de-Calais peuvent nous guider pour questionner les lieux dans lesquels nous vivons.

Mener une activité physique régulière Bénéficier de commerces de proximité semble idéal pour faire ses courses à pied et permet également à toutes les générations de participer à l’approvisionnement (enfants, personnes âgées ou ne conduisant pas) et ainsi de marcher régulièrement.

Consommer chaque jour des fruits et des légumes Devant l’offre actuelle d’aliments transformés et de plats industriels, il est possible que l’on oublie combien il peut être simple et savoureux de déguster un pamplemousse, de préparer une soupe de 100

Figure 1 - Préparation intergénérationnelle d’une tarte aux pommes.

légumes avec des produits frais en quantité suffisante pour plusieurs repas économiques et savoureux. À condition toutefois que les fruits et légumes aient gardé leurs saveurs et n’aient pas été trop maltraités1. Des fruits et légumes de proximité, voire du potager si on a la chance de disposer d’un jardin..., semblent un atout pour la santé selon plusieurs études menées outre-Atlantique2. Pour ce qui concerne l’espace de la cuisine, on peut imaginer par exemple de cultiver quelques plantes aromatiques sur un bord de fenêtre, de disposer d’une sorte de garde-manger frais et ventilé pour y stocker des fruits et légumes. Pour préparer les légumes, un évier à deux bacs est idéal (pour laver une salade, égoutter, nettoyer les ustensiles). 1

Ne pas grignoter Prendre ses repas dans une assiette, avec des couverts, en mangeant lentement, assis à une table, dans une ambiance sereine, est essentiel. Déguster les mets calmement et sereinement à des horaires réguliers procurerait une sensation de satiété permettant de manger moins à chaque repas. Les repas pris quotidiennement autour d’une table semblent être tout simplement une merveilleuse habitude pour la santé... et la convivialité.

Ne pas manger devant la télévision ou les écrans Lorsque la cuisine est ouverte sur le séjour où se trouve l’écran de télévision, il est difficile d’échapper au phénomène de la prise des repas devant le téléviseur. Et si la prise des repas dans la

À propos des légumes de qualité, l’étude nutrinet-santé menée entre 2009 et 2013 (www.etude-nutri-

net-sante.fr) met en évidence que les consommateurs de produits bio mangent plus de légumes, moins de viande, charcuterie et boissons sucrées, et ont une probabilité beaucoup plus faible d’être obèses que les consommateurs de produits non bio (-62 % pour les hommes, -48 % pour les femmes). 2

Une étude menée par les chercheurs américains de l’université de l’Utah suggère que les personnes

cultivant un jardin communautaire bénéficient d’une baisse de leur IMC par rapport à ceux qui ne jardinent pas (health.utah.gov). Diabète & Obésité • Mars 2014 • vol. 9 • numéro 77


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cuisine nous permettait un peu de nous “déconnecter” des écrans, de contempler une belle assiette appétissante dans le calme, de discuter, de retrouver le contact avec ses proches ? De plus, une table dans une cuisine permet d’y œuvrer à plusieurs, enfants comme adultes, à la fois pour la préparation et pour le service.

Ne pas faire de régime, retrouver le plaisir de savourer les mets, lentement Cuisiner redevient à la mode... après des heures passées devant un écran d’ordinateur, la préparation d’une recette de cuisine peut être vécue comme une activité délassante, bienfaisante (5) et gratifiante. Et si le plaisir de déguster passait aussi par celui de cuisiner ? C’est-à-dire expérimenter, exercer sa créativité, choisir des produits savoureux pour réussir simplement, selon les saisons, de petites réjouissances quotidiennes.

Plaidoyer pour le retour de la table dans la cuisine Le repas gastronomique des Français est inscrit depuis 2010 par l’UNESCO sur la liste représenta-

tive du patrimoine immatériel de l’humanité. Ce patrimoine comprend à la fois les recettes culinaires et la façon de les déguster, à table, avec un certain cérémonial. Mais qu’en est-il de nos repas quotidiens ? N’est-il pas important de valoriser et de transmettre aussi aux générations futures des recettes culinaires simples et savoureuses au travers des gestes quotidiens ? La pièce cuisine n’est-elle pas tout simplement le cadre idéal pour ces apprentissages ? Une simple table dans la cuisine, une table traditionnelle de 70 cm de hauteur environ, que l’on peut déplacer, comporte de multiples avantages : - Elle permet une harmonie intergénérationnelle : sa hauteur correspond à celle du plateau d’une chaise pour bébé, elle permet à une personne âgée en fauteuil roulant d’être assise également à la même hauteur que les autres convives (de ce point de vue les “meubles bars” et “îlots centraux” ne permettent pas la même convivialité). - On peut y œuvrer à plusieurs pour éplucher des légumes, préparer un gâteau... cette hauteur correspond à celle d’un plan de travail pour un jeune enfant.

- La table permet en outre d’accueillir d’autres activités : devoirs des enfants, discussions, confection d’un bouquet de fleurs... - Mobile, on peut la déplacer pour faire de la place dans la cuisine pour une autre activité (jardinage, bricolage, peinture...). Prendre ses repas quotidiens dans la cuisine n’empêche pas de dresser une table ailleurs lorsque les convives sont plus nombreux, la cuisine faisant alors office de coulisses. Et sur la table de la cuisine, une jolie nappe, un bouquet de fleurs fraîches et une belle vaisselle peuvent aussi contribuer à enchanter l’ambiance du repas. n

Mots-clés : Cuisine, Comportements alimentaires, Obésité, Architecture

Bibliographie 1. Clarisse C. Cuisine, recettes d’architecture. Paris : Éditions de l’Imprimeur, 2004. 2. ObéPi, enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité, INSERM/KANTAR HEALTH/ROCHE, 1997-2012. 3. Lestang L. Science et Vie, numéro hors-série “L’Habitation”,1951. 4. Enquête INSEE/conditions de vie/société, 2012. 5. Crawford MB. Les Bénéfices psychiques du travail manuel. In: Éloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail. Paris : Éditions La Découverte, 2009.

agenda Congrès annuel de la société francophone de chirurgie de l’obésité et des maladies métaboliques (SOFFCO) 22-24 mai 2014 – Versailles • Renseignements et inscriptions Site : www.soffco2014.com

16e Entretiens de nutrition 12-13 juin 2014 – Lille • Renseignements et inscriptions Marie-Françoise Tahon : marie-francoise.tahon@pasteur-lille.fr

American Diabetes Association 74rd Scientific Sessions

50th EASD Annual Meeting

13-17 juin 2014 – San Francisco

European Association for the Study of Diabetes

• Renseignements et inscriptions Site : scientificsessions.diabetes.org

• Renseignements et inscriptions Site : www.easd.org

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15-19 septembre 2014 – Vienne

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