La prise en charge globale du patient diabétique
d www.diabeteetobesite.org Technologie Diabète et nouvelles technologies : autonomie réelle ou illusoire ? Yannis Constantinidès
p. 210
Mise au point Obésité et fonction ventilatoire : quels liens ? Marion Dupuis, Dr Sandrine Pontier-Marchandise
p. 218
Interspécialités Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ? Pr Étienne Larger, Dr Amal Y. Lemoine, Pr Christian Boitard
p. 239
À savoir Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne Dr Nicolas Chevalier
p. 245
Trouble bipolaire : l’ETP fait partie intégrante de la prise en charge des patients.
dossier
Éducation thérapeutique du patient Un outil fondamental dans les stratégies thérapeutiques
Éducation thérapeutique ambulatoire : quelles modalités ?
Programme d’ETP de proximité : cahier des charges
Pr Hélène Hanaire, Dr Monelle Bertrand
Dr Ana Estrade
Trouble bipolaire : qu’apporte un programme d’ETP sur la gestion de l’alimentation ? Dr Laurianne Schreck-Del Bello, Dr Rémy Klein
Septembre 2013 • Volume 8 • n° 71 • 9 E
sommaire
La prise en charge globale du patient diabétique
• Directeur de la publication : Dr Antoine Lolivier • Directrice du développement : Valérie Belbenoît • Chef du Service Rédaction : Odile Mathieu • Rédactrice : Caroline Sandrez • Secrétaire de rédaction : Fanny Lentz • Chef de Fabrication et de Production : Gracia Bejjani • Assistante de Production : Cécile Jeannin • Maquette et illustrations : Erika Denzler, Antoine Orry • Directrice de clientèle/projets : Catherine Patary-Colsenet • Service abonnements : Claire Lesaint • Impression : Imprimerie de Compiègne 60205 Compiègne
Comité de lecture
www.diabeteetobesite.org
Septembre 2013 • Vol. 8 • N° 71
n Technologie
Diabète et nouvelles technologies Autonomie réelle ou illusoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 210 Yannis Constantinidès (Paris)
n Mise au point
Obésité et fonction ventilatoire Quels liens ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 218
Marion Dupuis, Dr Sandrine Pontier-Marchandise (Toulouse)
n Dossier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
p. 221
Rédacteur en chef “Obésité” : Pr Patrick Ritz (Toulouse)
ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT Un outil fondamental dans les stratégies thérapeutiques
Rédacteur en chef “Diabète” : Dr Saïd Bekka (Chartres)
Dossier coordonné par le Dr Saïd Bekka (Chartres) et le Pr Patrick Ritz (Toulouse)
Pr Yves Boirie (Clermont-Ferrand) Pr Régis Coutant (Angers) Pr Jean Doucet (Rouen) Pr Pierre Gourdy (Toulouse) Pr Véronique Kerlan (Brest) Dr Sylvie Picard (Dijon) Dr Helen Mosnier Pudar (Paris) Dr Caroline Sanz (Toulouse) Dr Anne Vambergue (Lille)
Comité Scientifique Pr Bernard Bauduceau (Paris) Pr Rémy Burcelin (Toulouse) Pr Bertrand Cariou (Nantes) Pr François Carré (Rennes) Pr Bernard Charbonnel (Nantes) Dr Xavier Debussche (Saint-Denis, Réunion) Pr Jean Girard (Paris) Pr Alain Golay (Genève) Pr Hélène Hanaire (Toulouse) Dr Michel Krempf (Nantes) Pr Michel Pinget (Strasbourg) Pr Paul Valensi (Bondy)
1 n Éducation thérapeutique ambulatoire Quelles modalités ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 222 Pr Hélène Hanaire, Dr Monelle Bertrand (Toulouse) 2 n Programme d’ETP de proximité Cahier des charges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 226 Dr Ana Estrade (Toulouse) 3 n Trouble bipolaire Qu’apporte un programme d’éducation thérapeutique sur la gestion de l’alimentation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 232 Dr Laurianne Schreck-Del Bello, Dr Rémy Klein (Toulouse)
n interspécialités Le pancréas du diabète de type 2 Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ?. . . . . . . . . . . . . . . p. 239 Pr Étienne Larger, Dr Amal Y. Lemoine, Pr Christian Boitard (Paris)
n À savoir Diabète & Obésité est une publication © Expressions Santé SAS 2, rue de la Roquette Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai • 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 Fax : 01 49 29 29 19 E-mail : diabete@expressiongroupe.fr RCS Paris B 394 829 543 ISSN : 1957-5238 N° de Commission paritaire : 1013 T 88454 Prix au numéro : 9 F. Mensuel : 10 numéros par an.
Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne Un nouveau concept ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 245
Dr Nicolas Chevalier (Nice)
n Rendez-vous de l’industrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . n Bulletin d’abonnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . n agenda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Assemblés à cette publication : 2 bulletins d’abonnement (2 pages et 4 pages). Photo de couverture : © monkeybusinessimages / iStockphoto
p. 224 p. 230 p. 244
Technologie
Diabète et nouvelles technologies Autonomie réelle ou illusoire ? Yannis Constantinidès*
Introduction
L
es nouvelles technologies ont totalement transformé notre vie quotidienne et les médias se font volontiers l’écho de chaque innovation, présentée comme forcément bénéfique. Les philosophes ont longtemps été beaucoup plus critiques à propos de “l’arraisonnement” de l’homme par la technique (1) ou du “bluff technologique” (2), mais la tendance générale s’inverse depuis peu. C’est ainsi qu’un jeune penseur, Vincent Billard, a récemment consacré
*Philosophe et formateur en éthique médicale, Paris
210
© moellerthomsen - 123RF®
La technologie accompagne le diabète depuis toujours, mais les toutes nouvelles innovations posent un problème éthique dans la mesure où elles risquent de réduire l’autonomie du patient qu’elles sont pourtant censées augmenter. La tentation est en effet grande pour lui de s’en remettre totalement à la technique, au point d’en oublier d’être un acteur de sa santé. L’éducation thérapeutique du patient reste ainsi un discours incantatoire si on ne fait que se servir passivement des outils techniques sans se prendre réellement en main.
un essai à Apple® sous le titre d’iPhilosophie (3). Si le soustitre de l’ouvrage (« Comment la marque à la pomme investit nos existences ») évoque l’aliénation technologique et publicitaire induite par ces gadgets élégants et sophistiqués, l’auteur ne la déplore pas, mais y voit un réenchantement bienvenu du monde, un retour joyeux à l’enfance. Cette célébration un brin candide des avancées technologiques n’est pas l’apanage de la jeunesse, qui est née et baigne dans cet univers connecté, puisque le vénérable Michel
Serres s’y est récemment livré dans Petite poucette, courte méditation optimiste qui caracole depuis plusieurs mois en tête des ventes d’essais (4).
L’outil est-il encore au service de l’homme ?
Il convient de prendre quelques distances avec cette technophilie naïve sans verser pour autant dans la technophobie, un des tics préférés des philosophes. Ces livres de convertis ont en effet le mérite de tenir compte
Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71
Technologie
du monde réel, de prendre acte de l’omniprésence de la technologie (les smartphones sont ou seront bientôt dans toutes les mains et les petits poucets et poucettes s’activent déjà partout) au lieu de jouer à l’intellectuel détaché et au-dessus de la mêlée, alors qu’on se sert très certainement des mêmes outils technologiques que tous les autres. On ne saurait ainsi nier que les nouvelles technologies augmentent notre réalité, multiplient nos possibilités, mais la vraie question est de savoir si ces instruments remarquables sont bien mis à profit, s’ils accroissent la puissance et l’autonomie de leurs utilisateurs ou si au contraire ils les rendent de plus en plus passifs et dépendants. Il s’agit en termes simples de déterminer si l’outil est encore au service de l’Homme ou si c’est l’Homme qui est désormais au service de l’outil, du fait de l’évolution interne et implacable de la technique humaine que décrivait dès 1931 Oswald Spengler dans L’Homme et la technique (5).
Le cas du diabète
Le diabète est à cet égard un excellent cas d’étude parce qu’il se prête parfaitement à un suivi quantitatif (délivrance de l’insuline, surveillance de la glycémie, etc.) et semble donc naturellement appeler une prise en charge de plus en plus technique (pompes modernes, sensors et rôle important dévolu aux smartphones). S’il n’est pas question de nier l’importance des progrès technologiques dans la prise en charge du diabète, et ce depuis ses débuts, on peut s’interroger en revanche sur l’idéologie complaisante de l’empowerment du patient diabétique, que les nouvelles techniques rendraient plus 212
autonome, moins dépendant de sa maladie.
La technologie au service de la prise en charge du diabète ? Qui y gagne vraiment ?
Le problème est que cette liberté plus grande est espérée d’une assistance mécanique accrue, qui dispense d’avoir à penser à son traitement. Il faut ici rappeler l’objection classique du sociologue allemand Werner Sombart contre le prétendu effet émancipateur de la technique : « Il est difficile de voir en quoi le perfectionne-
des progrès de telle ou telle technique, il faut, dit justement Sombart, s’interroger sur ses modalités d’emploi concrètes : par qui ? où et quand ? dans quelle mesure ? (7) Faute de ces indispensables précisions, on s’expose à une utilisation inadaptée et surtout inefficace des instruments proposés. Or, force est de constater que tous les patients ne maîtrisent pas également les outils standards censés les aider dans le suivi de leur maladie, sans compter que l’utilité de certaines techniques de pointe (les assistants bolus des pompes à insuline par exemple) reste à démontrer. D’ailleurs, si l’on évoque
Est-ce vraiment le patient qui gagne à utiliser les nouveaux moyens techniques mis à sa disposition ou est-ce plutôt le médecin ? ment de la technique instrumentale peut assurer la réalisation de l’idée de liberté ou de l’idée de puissance. Une question surtout reste obscure : qui devient libre et qui acquiert la puissance ? Est-ce l’inventeur ou le producteur ou le consommateur […] ? Je crois que la liberté et la puissance sont souvent plus grandes quand on renonce à une acquisition technique que lorsqu’on l’utilise » (6). La conclusion est certes trop radicale, mais le problème soulevé bien réel : estce vraiment le patient qui gagne à utiliser les nouveaux moyens techniques mis à sa disposition ou est-ce plutôt le médecin qui les lui prescrit (ils facilitent après tout la prise en charge) ? Ce qui est certain en tout cas, c’est que les laboratoires qui les mettent au point et les commercialisent y trouvent leur compte…
Nécessité d’une utilisation adaptée
Avant de se réjouir benoîtement
la nécessité d’un “coaching personnalisé” dans certains cas, c’est bien parce que la technique est impersonnelle et qu’elle le reste tant qu’on ne se l’est pas appropriée.
Vers un coaching automatisé
L’autonomie du patient que doit rendre possible le projet d’éducation thérapeutique est d’emblée réduite par l’accompagnement et l’aide à la décision. Le coaching est dit personnalisé, mais il est en réalité automatisé : on donne moins des conseils que des consignes. Il n’est pas étonnant dès lors que le patient se laisse volontiers guider, tout comme les automobilistes par le GPS, par ces instruments toujours plus sophistiqués qui le dispensent de se prendre réellement en main. Les médecins s’étonnent parfois de l’ignorance étonnante de certains aspects de leur maladie dont font preuve les diabétiques sans voir que c’est une conséquence nécessaire de la prise en charge technique de l’existence.
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Technologie
Plutôt que de lui attribuer une autonomie illusoire, il faudrait donc mesurer le degré de dépendance du patient par rapport à ces outils par ailleurs utiles à son traitement comme les smartphones par exemple : se contente-t-il d’y entrer mécaniquement le détail de ce qu’il mange afin d’obtenir en retour un avis savant qu’il suivra sans discuter ou comprend-il réellement en quoi consiste son traitement ?
Compliance et dépendance
L’utilité thérapeutique des moyens technologiques mobilisés contre le diabète repose sur un présupposé essentiel : la bonne observance par les patients des recommandations des médecins. Or, ceux-ci ne sont pas tous également compliants ; le comportement d’un malade, les thérapeutes le savent bien, n’est pas forcément rationnel, même s’il y va de son intérêt : la rébellion, l’écart de régime délibéré sont comme un pied de nez à la maladie chronique. Il ne faut pas en effet sous-estimer le caractère lassant du geste d’entrer nombre de données sur son smartphone chaque jour. Les expériences de prise en charge des diabètes sans insuline menées notamment aux ÉtatsUnis, qui ont l’intérêt d’avoir déjà été évaluées, montrent que la plupart supportent mal cette forte contrainte quotidienne et qu’ils y renoncent assez rapidement. Il faudrait donc faire preuve d’une grande application pour ne pas délaisser peu à peu cette tâche fastidieuse et pour l’accomplir avec le même sérieux chaque jour. Avec l’habitude, le geste devient mécanique et de moins en moins réfléchi : on peut alors commettre des erreurs (des fautes de frappe) 214
ou oublier certains détails importants. Ajoutons que le téléphone peut toujours être volé, se casser ou tomber en panne, ce qui entraînerait la perte, momentanée du moins en cas de sauvegarde externe, de données précieuses. L’autre difficulté vient de la nature même de cet objet technique dont l’usage thérapeutique n’est qu’un parmi bien d’autres. Le smartphone est également (surtout ?) dédié au divertissement, d’où la possible confusion des genres (professionnel/personnel) que connaissent déjà ceux qui en font une sorte de bureau mobile. Mais même si le patient était extrêmement discipliné et suivait son traitement à la lettre, cela ne serait pas forcément rassurant non plus. La compliance attendue du patient idéal ressemble en effet à s’y méprendre à la stricte observance des rites religieux (faire ses prières toujours à la même heure, etc.) : on s’exécute sans même avoir à investir ce que l’on fait. Cette mécanisation de l’Homme est l’horizon indépassable de la technique lorsqu’on en fait un usage passif, quand elle n’est plus une simple médiation, mais une fin en soi. Le patient non compliant résiste inconsciemment à cet asservissement aux machines en négligeant l’une ou l’autre tâche qu’elles lui assignent chaque jour. Le risque est tout de même pour le malade de s’en remettre entièrement à ces gadgets ultrasophistiqués qui visent à lui faciliter la vie. L’intention louable de le débarrasser du souci quotidien de sa maladie peut de la sorte conduire à sa déresponsabilisation. Or, ce qui reste déterminant, c’est l’engagement du patient, sa participation libre et entière à la démarche thérapeutique mise en place. Cet
aspect subjectif n’est évidemment pas quantifiable, contrairement au reste, et il passe de ce fait aisément au second plan. Pour en tenir réellement compte, il faudrait remettre la technique à sa juste place, celle d’un moyen au service de la volonté de guérir.
La technologie incorporée Un prolongement du corps humain
Mais la nature de la technique a profondément changé ces dernières décennies : elle est passée d’un statut subordonné à une sorte de vie propre. L’utilité a cédé le pas à la nécessité, les instruments n’étant plus réservés à un usage unique ou standard, mais devenant multitâches, ce qui les rend plus difficiles à maîtriser pour l’usager. La principale nouveauté, toutefois, tient à l’incorporation des technologies récentes, qui ne sont plus de simples appendices, mais des prolongements du corps humain, tendant à se confondre avec lui. La technique est en ce sens constitutive de notre Lebenswelt (“monde vécu”), comme l’affirme le philosophe américain Don Ihde, qui insiste sur notre dépendance envers les machines qui coagissent avec nous. Les instruments que nous utilisons chaque jour, du réveille-matin au téléphone portable, composent la “texture” de notre existence et la transforment selon leurs spécificités (8).
“Homo portabilis”
Marshall McLuhan, le célèbre théoricien des médias, qui fut le premier à parler du “village planétaire”, s’était déjà élevé contre l’idée reçue selon laquelle la technique est neutre et que tout dépend de l’usage que l’on en fait (9).
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diabète et nouvelles technologies
Il avait pressenti que les nouvelles technologies entraîneraient une modification radicale de nos modes de vie. De fait, c’est le corps qui est aujourd’hui le médium – au sens où l’entend McLuhan – de la technique, le corps malade tout particulièrement. On assiste ainsi à une surprenante inversion des rôles où l’ancienne médiation devient l’élément actif de l’association. On sait en effet que les nouvelles technologies induisent rapidement des changements physiologiques : des postures corporelles inédites naissent de l’exposition prolongée aux écrans d’ordinateur, la dextérité des pouces se développe anormalement à cause de l’usage intensif du smartphone, etc. Il n’est pas excessif à cet égard de parler d’homo portabilis, comme le font certains, pour qualifier l’Homme actuel, à condition de préciser qu’il est porté à bout de bras par son portable et qu’il serait bien démuni s’il venait à l’égarer.
Une dépendance criante
Les auteurs technophiles, qui ne manquent jamais de se réjouir des possibilités quasi infinies qui s’ouvrent désormais à l’Homme, ne s’alarment guère en revanche de cette infantilisation de l’utilisateur moyen des nouvelles technologies, entièrement pris en main par ce qu’il prend en main. On l’invite d’ailleurs toujours à se laisser guider aveuglément, tout en lui donnant une illusion gratifiante de maîtrise et de toute-puissance. En effet, l’autonomie valorisée est plus celle de la machine que de l’individu qui s’en sert. La dépendance criante de ce dernier apparaît clairement quand la batterie de l’appareil est déchargée ; la quête frénétique d’une prise électrique pour le recharger trahit alors la nature
symbiotique de notre rapport aux extensions techniques de notre corps (10). On craint subitement de ne plus être assisté en tout.
Un empowerment relatif
De telles rallonges, si l’on ose dire, diffèrent radicalement des extensions habituelles du corps malade ou diminué, comme la canne de l’aveugle – exemple célèbre de Maurice Merleau-Ponty (11) – ou
Il faut dire que malgré les beaux discours sur le patient-expert et autosoignant, on fait tout en réalité pour l’empêcher de prendre activement part aux soins. Songeons par exemple au système à boucle fermée à venir (sous la forme d’une application – gratuite ? – qu’on téléchargerait sur son smartphone et qui permettrait de commander à distance la pompe à insuline) : le contrôle automatisé de la glycémie
Le facteur humain doit prévaloir sur l’automatisation pour que le processus de soins soit vraiment efficace. les prothèses de l’handicapé. Non seulement celles-ci répondent à une nécessité vitale, mais elles sont pleinement maîtrisées par leur utilisateur qui se les est appropriées. Ce n’est pas le cas d’Internet ou du téléphone portable malgré les apparences : ici, en flagrante contradiction avec le paradigme platonicien, l’usager en sait beaucoup moins que le concepteur de l’objet bien qu’il en ait une expérience directe, un “vécu” que ce dernier n’a pas. L’empowerment escompté reste donc très relatif.
est présenté comme la solution idéale à la négligence, fréquente chez les patients, alors que leur non-compliance est peut-être déjà la conséquence d’une prise en charge trop technique de leur maladie. Si un malade est pris en main du début à la fin, il y a de fortes chances qu’il délègue sa responsabilité aux machines et même qu’il ne perçoive plus au bout d’un certain temps la gravité de sa maladie. Dans un système aussi élaboré d’assistanat, l’individu se déshabitue vite d’être actif et de prendre des décisions par lui-même.
L’irréductible facteur humain
Une nouvelle forme de dépendance
Un patient déresponsabilisé
Peut-on réellement remédier à cette passivité du simple consommateur en apprenant à mieux se servir de moyens techniques toujours plus sophistiqués, comme le soutiennent d’indécrottables optimistes ? On peut en douter dans la mesure où l’utilisateur trouve bien commode la déresponsabilisation qu’entraîne la médiation technique. Cela le dispense de la lourde tâche d’être un acteur de sa vie et de sa santé.
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On ne fait en somme qu’échanger une dépendance contre une autre : la dépendance qu’entraîne la maladie pour la dépendance à l’égard des techniques médicales. Dans son célèbre pamphlet, Némésis médicale (1975), sous-titré « L’expropriation de la santé », Ivan Illich dénonçait déjà la « technicité croissante » de la médecine, mettant en garde contre une dépendance excessive à l’égard de la technologie : « Lorsque les soins et la guérison deviennent le monopole d’organisations ou 215
Technologie
de machines, inévitablement la thérapeutique se transforme en rituel macabre. » (12) La formule de « rituel macabre » est bien sûr excessive, mais elle a l’intérêt de mettre en évidence la « perte d’autonomie dans l’action et dans le contrôle du milieu » (13) du patient soutenu en permanence par les techniques médicales. L’ambivalence des nouvelles technologies apparaît clairement ici comme partout ailleurs. Le perfectionnement constant des outils techniques entraîne une abstraction croissante : les médiations se multiplient, on a de moins en moins affaire aux choses
mêmes. Sombart faisait déjà remarquer que « [notre époque] a oublié les buts pour les moyens » (14). Les moyens en œuvre aujourd’hui sont certes spectaculaires, mais ils occultent précisément la finalité humaine qui devrait être la leur. La fascination qu’ils exercent a pour rançon l’effacement de la subjectivité. Pour reprendre une formule lumineuse de McLuhan, « Narcisse est hypnotisé par le prolongement et l’amputation de son propre être dans une forme technologique nouvelle » (15).
notre autonomie. Il faut avoir pleinement conscience de ce risque de dépendance pour briser le charme et s’éveiller. Le facteur humain doit prévaloir sur l’automatisation pour que le processus de soins soit vraiment efficace. Il ne s’agit évidemment pas de se passer d’outils qui peuvent permettre une meilleure prise en charge des patients diabétiques, mais de les voir justement comme de simples outils et non des solun tions miracles.
La technique augmente en effet notre puissance, mais au prix de
Autonomie, Dépendance, Compliance,
Mots-clés : Diabète, Nouvelles technologies, Empowerment
Notes 1. Heidegger M. La question de la technique, Essais et conférences. Paris : Gallimard, 1958. 2. Ellul J. Le Bluff technologique. Paris : Hachette, 1988. 3. Billard V. iPhilosophie. Québec : Presses de l’Université de Laval, 2011. 4. Serres M. Petite poucette. Paris : Le Pommier, 2012. 5. Spengler O. L’Homme et la technique. Paris : Gallimard, 1969. 6. Sombart W. Le Socialisme allemand. Paris : Pardès, 1990 : 284. 7. Ibid. : 286. 8. Ihde D. Bodies in Technology. Minneapolis : The University of Minnesota Press, 2002.
9. McLuhan M. Pour comprendre les médias. Paris : Seuil, Points-Essais, 1977. 10. Constantinidès Y. Le Nouveau culte du corps. Paris : François Bourin Éditeur, 2013. 11. Merleau-Ponty M. Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard, 1945 : 147. 12. Illich I. Némésis médicale, Œuvres complètes, vol. I. Paris : Fayard, 2004 : 651. 13. Ibid. : 623. 14. Sombart W. Le Socialisme allemand. Op. cit. : 276. 15. McLuhan M. Pour comprendre les médias. Op. cit. : 29.
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Mise au point
Obésité et fonction ventilatoire Quels liens ? Marion Dupuis*, Dr Sandrine Pontier-Marchandise*
Introduction L’obésité est un problème de santé publique en constante progression dans les pays occidentaux. En 2012, 15 % de la population française est obèse contre 8,5 % de la population en 1997. Le surpoids concerne 32,3 % de la population (1). Outre les nombreux problèmes métaboliques et cardiovasculaires qu’elle peut entraîner, la prise de poids peut parfois provoquer une modification de la physiologie respiratoire.
Figure 1 – Réduction des volumes pulmonaires chez le sujet obèse prédominant sur les volumes expiratoires d’après Beuther DA et al. (15).
Impact de l’obésité sur la fonction respiratoire
Sur le plan fonctionnel, il existe une diminution des volumes respiratoires, essentiellement expiratoires, responsable d’une insuffisance ventilatoire restrictive. La présence d’une graisse abdominale importante diminue la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) et donc augmente la composante résistive du travail respiratoire. L’infiltration graisseuse des muscles de la cage thoracique entraîne quant à elle une diminution de la capacité pulmonaire totale (CPT). Pour un index de masse corporelle (IMC) supérieur à 30 kg/m², la CRF et le volume de réserve expiratoire (VRE) sont
*Service de Pneumologie, Hôpital Larrey, Toulouse
218
respectivement de 75 % et 47 % des valeurs d’un patient ayant un IMC de 20 kg/m² (2). De même, par augmentation des résistances bronchiques, on constate fréquemment une obstruction bronchique pouvant mimer de l’asthme. Il existe une relation exponentielle entre l’augmentation de l’IMC et la diminution du VEMS (volume expiratoire maximal seconde). La CPT est elle aussi influencée par l’IMC mais de façon moindre (3) (Fig. 1). Du fait de ces modifications physiologiques, le patient obèse est donc plus sujet à certaines pathologies respiratoires. Inversement, des maladies respiratoires préexistantes peuvent être influencées par l’obésité.
Obésité et pathologies respiratoires Asthme
La prévalence de l’obésité et celle de l’asthme ont augmenté de façon parallèle ces dernières années. Dans une étude canadienne de 2002 portant sur 9 149 hommes et femmes, les femmes ayant un IMC supérieur à 30 kg/m² ont un risque relatif de développer un asthme dans les deux ans de 1,92 (IC 95 % [1,09-3,41]) (4). De même, dans une étude américaine de 2004 (5), le risque relatif de développer un asthme sur une période de 13 ans est de 1,87 (IC 95 % [1,123,13]) chez les patients ayant un IMC supérieur à 35 kg/m². Ce risque relatif devient non-significatif quand on étudie la population masculine. Il est donc possible que
Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71
Obésité et fonction ventilatoire
Tableau 1 – Index d’apnée du sommeil et perte de poids après chirurgie bariatrique. Patients (n)
IMC pré opératoire kg/m2
IMC post opératoire kg/m2
IAH pré opératoire /h
IAH post opératoire /h
Suivi
Significa tivité
11/100
62
40
56
23
3-21 mois
p < 0,001
25
52,7
37,2
61,6
13,4
1 an
p < 0,001
Fritscher 2007 (20)
12
55,5
34,1
46,5
16
24 mois
p < 0,05
Charuzi 1992 (21)
47/51
-
-
60
8
5 semaines à 2,5 ans
p < 0,001
Études
Rasheid 2003 (18) Dixon 2005 (19)
le statut hormonal et notamment les œstrogènes jouent un rôle à ce niveau. L’obésité est associée à un état pro-inflammatoire systémique et bronchique via entre autres la sécrétion de leptine ; de plus, elle entraîne une réduction du diamètre des voies aériennes altérant ainsi la fonction des muscles lisses au long terme, tout cela contribuant donc au développement d’un trouble ventilatoire obstructif et d’une hyperréactivité bronchique. Si l’asthme est plus fréquent chez les patients obèses, il est aussi plus sévère et plus difficilement contrôlable, et cela en raison d’une inflammation bronchique importante et d’une association plus fréquente à certaines pathologies (RGO, SAS…) (6).
BPCO
Dans une étude américaine de 2002 (7), un IMC supérieur à 28 kg/m² augmente le risque de diagnostic de BPCO de 1,80 (IC 95 % [1,31-2,46]). La prévalence de l’obésité chez les patients BPCO est de 18 % aux Pays-Bas contre 10 % dans la population générale et de 54 % en Californie contre 20 % dans la population générale (3). Cette prévalence est plus importante dans les stades précoces de BPCO. Plusieurs études épidémiologiques ont permis de mettre en évidence un paradoxe entre l’augmentation de l’IMC et le
risque de mortalité dans la BPCO. En effet, chez un patient ayant une BPCO, plus l’IMC augmente, plus le risque relatif de mortalité diminue (dans l’intervalle du surpoids et non de l’obésité). Le surpoids serait donc un facteur protecteur (8).
Obésité et troubles respiratoires du sommeil
L’obésité est classiquement associée au syndrome d’apnées du sommeil. Un autre trouble, moins fréquent mais responsable d’une morbidité non-négligeable, doit aussi être évoqué : le syndrome obésité-hypoventilation. ❚❚SAHOS Le syndrome d’apnée-hypopnée obstructive du sommeil (SAHOS), est une pathologie fréquente chez le patient obèse. L’hypothèse anatomique d’une réduction de la lumière pharyngée par l’infiltration graisseuse est souvent évoquée, mais d’autres mécanismes, notamment inflammatoires, entrent très probablement en compte. La prévalence du SAHOS augmente avec l’IMC (9). Dans une étude de 2008, elle est de 33 % pour un IMC entre 25 et 34,9 kg/m², de 71,43 % entre 35 et 39,9, de 73,48 % entre 40 et 49,9, de 76,67 % entre 50 et 59,9 et de 94,83 % pour un IMC supérieur à 60. La sévérité du SAHOS n’est pas corrélée à l’IMC (10). Un
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SAHOS associé à l’obésité doit toujours faire rechercher une hypoventilation alvéolaire et un trouble ventilatoire associé. La Société de pneumologie de langue française recommande de réaliser une exploration fonctionnelle respiratoire et une gazométrie artérielle à tout patient ayant un SAHOS avec un IMC ≥ 30 kg /m² (11). ❚❚SOH Le syndrome obésité-hypoventilation (SOH) est défini par la présence d’une hypercapnie supérieure à 45 mmHg chez des patients ayant un IMC supérieur à 30 kg/m² en l’absence de toute autre pathologie respiratoire (12). L’hypercapnie est d’autant plus fréquente que l’IMC augmente. L’hypoventilation alvéolaire est responsable d’une surmortalité significative avec à 18 mois 23 % de mortalité dans le groupe de patients obèses avec SOH contre 9 % dans le groupe de patients obèses sans SOH (13). La physiologie du SOH est multifactorielle et peut être expliquée à la fois par une insuffisance ventilatoire restrictive (réduction des volumes pulmonaires, surtout la CRF et le VRE) (14), par une diminution de la compliance thoracique (15) et une augmentation des pressions abdominales, par une insuffisance des muscles accessoires au cours du sommeil paradoxal (16) et par 219
Mise au point
une hypoventilation d’origine centrale par déficience en leptine (17). Le patient obèse est donc plus à risque de pathologie respiratoire. Mais l’amaigrissement diminue-til ce risque ?
Obésité et chirurgie bariatrique
Cette relation a surtout été étudiée pour le SAHOS. Globalement, l’index d’apnée-hypopnée (IAH) diminue d’autant plus que le poids diminue de façon importante, mais ne se normalise pas forcément. Les études présentées dans le tableau 1 montrent sur des nombres assez modérés de patients une diminution significative de l’IAH (18-21). Il n’y a pas de normalisation de l’IAH, de même qu’on ne constate pas dans ces études de normalisation de l’IMC. Malgré tout, on constate le plus souvent des IAH < 30/h autorisant le désappareillage lorsque les patients
étaient sous PPC au préalable. Charuzy et al. ont évalué l’effet de la chirurgie bariatrique (bypass et sleeve) au long terme. Cinquante et un patients ont été inclus dans cette étude, le poids moyen avant la chirurgie était de 138 kg. En postopératoire (5 semaines à 2,5 ans après la chirurgie), l’IAH est passé de 60 à 8/h (p < 0,001). Six patients ont été suivis sur 7 ans ; on constate alors une réascension de l’IAH (12,4 à 1 an versus 34,5 à 7 ans) parallèle à la réascension du poids (21). Au travers de ces études, il est donc évident que la réduction du poids permet une réduction des troubles respiratoires du sommeil. La disparition du SAHOS est rare et le patient doit être surveillé comme le montre la dernière étude citée, car une réaugmentation de l’IAH est possible dans les années qui suivent.
siologie respiratoire chez le patient obèse entraînant une augmentation de la prévalence des pathologies obstructives. La réduction du poids permet la réduction de ces pathologies et doit faire partie intégrante de la prise en charge d’une pathologie respiratoire obstructive. La perte de poids doit être strictement encadrée et se faire sous la forme d’un réentraînement à l’effort plus que d’un régime hypocalorique. De nombreuses études montrent que les troubles respiratoires du sommeil sont plus fréquents chez le sujet obèse et que la réduction pondérale permet de diminuer le risque de développement de ces troubles mais la cinétique de la décroissance de l’IAH et le niveau optimal de perte pondérale pour le normaliser ne sont pas connus... n
Mots-clés : Obésité, Asthme, BPCO, Syndrome
Conclusion
d’apnées du sommeil, Chirurgie
Il existe une modification de la phy-
bariatrique
Bibliographie 1. Enquête ObEpi 2009. 2. Jones RL, Nzekwu MM. The effects of body mass index on lung volumes. Chest 2006 ; 130 : 827-33. 3. O’Donnell DE, O’Donnell CD, Webb KA, Guenette JA. Respiratory Consequences of Mild-to-Moderate Obesity: Impact on Exercise Performance in Health and in Chronic Obstructive Pulmonary Disease. Pulm Med 2012 ; 2012 : 818925. 4. Chen Y, Dales R, Tang M, Krewski D. Obesity may increase the incidence of asthma in women but not in men: longitudinal observations from the Canadian National Population Health Surveys. Am J Epidemiol 2002 ; 155 : 191-7. 5. Ford ES, Mannino DM, Redd SC et al. Body mass index and asthma incidence among USA adult. Eur Respir J 2004 ; 24 : 740-4. 6. Didier A, Mailhol C. Asthme, alimentation et obésité. Revue française d’allergologie 2011 ; 51 : 126-9. 7. Guerra S, Sherrill DL, Bobadilla A et al. The relation of body mass index to asthma, chronic bronchitis, and emphysema. Chest 2002 ; 122 : 1256-63. 8. Landbo C, Prescott E, Lange P et al. Prognostic value of nutritional status in chronic obstructive pulmonary disease. Am J Respir Crit Care Med 1999 ; 160 : 1856-61. 9. Young T, Peppard PE, Gottlieb DJ. Epidemiology of obstructive sleep apnea: a population health perspective. Am J Respir Crit Care Med 2002 ; 165 : 1217-39. 10. Lopez PP, Stefan B, Schulman CI, Byers PM. Prevalence of sleep apnea in morbidly obese patients who presented for weight loss surgery evaluation: more evidence for routine screening for obstructive sleep apnea before weight loss surgery. Am Surg 2008 ; 74 : 834-8.
220
11. Recommandations pour la pratique clinique, SAHO de l’adulte. SPLF 2010. 12. Olson AL, Zwillich C. The obesity hypoventilation syndrome. Am J Med 2005 ; 118 : 948-56. 13. Nowbar S, Burkart KM, Gonzales R et al. Obesity associated hypoventilation in hospitalized patient: prevalence, effect and outcomes. Am J Med 2004 ; 116 : 1-7. 14. Beuther DA, Weiss ST, Sutherland ER. Obesity and asthma. Am J Respir Crit Care Med 2006 ; 174 : 112-9. 15. Zavorsky GS, Hoffman SL. Pulmonary gas exchange in the morbidly obese. Obes Rev 2008 ; 9 : 326-39. 16. Bourke SC, Gibson GJ. Sleep and breathing in neuromuscular disease. Eur Respir J 2002 ; 19 : 1194-201. 17. O’Donnell. Am J Respir Crit Care Med 1999 (modèles sur souris). 18. Rasheid S, Banasiak M, Gallagher SF et al. Gastric bypass is an effective treatment for obstructive sleep apnea in patients with clinically significant obesity. Obes Surg 2003 ; 13 : 58-61. 19. Dixon JB, Schachter LM, O’Brien PE. Polysomnography before and after weight loss in obese patients with severe sleep apnea. Int J Obes (Lond) 2005 ; 29 : 1048-54. 20. Fritscher LG, Canani S, Mottin CC et al. Bariatric surgery in the treatment of obstructive sleep apnea in morbidly obese patients. Respiration 2007 ; 74 : 647-52. 21. Charuzi I, Lavie P, Peiser J, Peled R. Bariatric surgery in morbidly obese sleep-apnea patients: short- and long-term follow-up. Am J Clin Nutr 1992 ; 55 : 594S-596S.
Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71
DOSSIER
éducation thérapeutique du patient
© Catherine Yeulet – iStockphoto
Dossier coordonné par le Dr Saïd Bekka (Chartres) et le Pr Patrick Ritz (Toulouse)
1 Éducation thérapeutique ambulatoire : quelles modalités ? ��������� p. 222 Pr Hélène Hanaire, Dr Monelle Bertrand (Toulouse)
2 Programme d’ETP de proximité : cahier des charges ����������������� p. 226 Dr Ana Estrade (Toulouse)
3 Trouble bipolaire : qu’apporte un programme d’éducation thérapeutique sur la gestion de l’alimentation ? ������������������������� p. 232 Dr Laurianne Schreck-Del Bello, Dr Rémy Klein (Toulouse)
éducation thérapeutique du patient
DOSSIER
1 Éducation thérapeutique
ambulatoire
Quelles modalités ? n Au CHU de Toulouse, des programmes d’éducation thérapeutique ambulatoire sont développés. Ceci amène à des réflexions et à des questions autour de l’articulation de ces derniers avec des programmes existant en institution. La question du continuum de ces programmes est également posée. Nous avons interrogé le Pr Hélène Hanaire et le Dr Monelle Bertrand à ce sujet.
Diabète & Obésité : Qu’est-ce que l’éducation thérapeutique de proximité par rapport à l’offre ambulatoire ? Hélène Hanaire : Dans le panel d’offre d’éducation thé-
rapeutique disponible, les programmes sont la plupart du temps dispensés en intra-hospitalier, que ce soit en structures publiques ou libérales. L’idée de proposer une éducation thérapeutique en ambulatoire et en proximité correspond à un besoin de programme, peut-être moins complet, souvent au stade précoce de la maladie. Ce type de programme a l’avantage de pouvoir être dispensé près du domicile du patient, et de ne pas le contraindre à dormir dans une structure. L’organisation peut alors se faire dans des cabinets multi-professionnels ou dans une clinique ou un hôpital.
D&O : Comment se positionne l’offre d’éducation thérapeutique de proximité ? H.H. : Cette offre devrait s’intégrer dans un continuum
d’offre d’éducation thérapeutique plus ou moins sophistiqué, correspondant à des besoins évolutifs du patient, en fonction de l’évolution de la maladie et de l’individu. Ce développement est assez récent. Les programmes ont la plupart du temps été déclinés en hospitalier dans des conditions qui étaient probablement plus faciles à leur réalisation, avec la possibilité d’avoir recours à des équipe multi-professionnelles et à des infrastructures facilitantes. C’est un peu plus compliqué, et sans doute plus “neuf”, de mettre en place des programmes ambulatoires dans d’autres structures.
222
D&O : C’est donc une organisation qui n’est pas facile ? H.H. : En fait ce n’est pas facile, pour plusieurs rai-
sons. Tout d’abord il faut travailler à plusieurs professionnels, d’horizons différents. Il faut apprendre cette modalité de travail et l’insérer dans le contexte libéral. Il y a également le problème de la formation. Si les formations paramédicales, si les infirmières en premier lieu mais aussi les kinésithérapeutes, se sont emparés du sujet de l’éducation thérapeutique en introduisant en formation initiale des volumes horaires importants, ce n’est pas encore le cas de la formation des médecins. Ensuite, pour une équipe de professionnels libéraux qui souhaitent déposer un programme d’éducation thérapeutique, c’est compliqué parce que les modes de rémunération de ces activités par les ARS ne sont pas les mêmes que la rémunération à l’acte usuellement pratiquée. Les groupes de professionnels sont ainsi contraints à se mettre dans des dispositions particulières, notamment dans des regroupements que l’on appelle SISA. Cela nécessite du temps et de l’énergie pour monter ce type de structure.
D&O : Est-il facile d’adresser un patient à un autre professionnel d’une équipe d’éducation thérapeutique ? H.H. : La difficulté rencontrée par certains praticiens
pour adresser les patients réside dans le problème de définir qui fait quoi, et la place de chacun dans la Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71
prise en charge de ce patient. Évidemment, quand on adresse un patient à un professionnel de la même catégorie pour un programme d’éducation thérapeutique, peut surgir l’inquiétude de ne pas revoir ce patient, ou de ne pas se sentir à la hauteur pour réaliser le suivi éducatif à la suite du programme. Il est donc très important pour une équipe de professionnels qui va mettre en place un programme d’éducation thérapeutique de repérer la population cible, les freins éventuels des confrères, pour organiser les choses afin que chacun soit respecté dans son rôle.
D&O : Comment lever ces freins ? H.H. : Le premier élément est sans doute de connaître
ce qu’est l’éducation thérapeutique. On ne peut demander à un médecin d’adresser un patient dans un programme d’éducation thérapeutique, s’il n’est pas convaincu de l’utilité de cette pratique. Aujourd’hui, le manque de formation initiale des médecins est un frein supplémentaire. Les médecins n’ont pas la formation qui leur permette de se sentir concerné ou à l’aise avec ce sujet.
D&O : Comment un médecin peut-il “reprendre la main” dans la prise en charge, après participation du patient à un programme d’éducation thérapeutique ? H.H. : Pour cela, il est important que l’équipe qui
délivre le programme donne les clés pour que le praticien de suivi puisse poursuivre l’initiative. Il est important qu’un programme ne soit pas suspendu dans le temps ; il y a eu “un avant” et “un après” ce programme. Le médecin adresseur donne son opinion du patient, et dit ce qu’il attend ; le programme se déroule et, à la sortie, des repères précis sont donnés au patient, mais aussi au médecin de suivi. Ces repères peuvent être énoncés dans le cadre d’un compte rendu écrit, et correspondent aux éléments du diagnostic éducatif, aux freins et aux leviers qui ont été identifiés et aux objectifs qui ont été négociés avec le patient. Aussi, et cela est très important, ils correspondent aux moyens pour le médecin de suivi de vérifier avec le patient comment il a (ou non) atteint ses objectifs, et ce qui doit être renégocié après. Je pense que c’est une façon à la fois de rendre plus efficace l’éducation thérapeutique, mais aussi d’emmener dans le dispositif le médecin de suivi, et de conforter la confiance que le patient aura dans ce médecin. Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71
D&O : Pouvez-vous nous donner un exemple pour repositionner le médecin libéral dans le continuum de la prise en charge du patient ? H.H. : On a l’habitude des courriers très biomédicaux,
qui racontent l’histoire de la maladie, ses traitements, le retentissement de la maladie, et la stratégie thérapeutique à venir. Un courrier qui rend compte d’éducation thérapeutique devrait comporter tout ce qui est l’évaluation initiale du patient, ce qui l’anime, ce dont il a envie, ses représentations et celles qui le bloquent dans sa prise en charge, les objectifs discutés et négociés. Par exemple, en ce qui concerne l’alimentation, est-ce un objectif de quantité, est-ce l’objectif de se débrouiller lors d’une sortie, pour l’activité physique comment avoir un objectif quantifiable, est-ce de la marche, du vélo, combien de fois par semaine, à quel endroit ? Il faudrait être le plus précis possible sur ce qui a été discuté et qui va être mis en œuvre. Parce que c’est cela qui permettra au médecin de suivi de reprendre la discussion. Plus on sera dans le concret, et plus on aura de chance que les choses puissent s’enchaîner. Une des difficultés est le temps. Pendant le programme on a le temps et on le consacre. Le médecin qui va réaliser le suivi ensuite a de nombreuses tâches pendant la consultation. Reprendre le fil éducatif n’est pas la seule chose qu’il a à faire. C’est une des raisons pour lesquelles, à mon sens, plus on est précis dans ce que l’on a vu dans le programme, dans la description de ce que l’on a fait, et dans l’énoncé de ce que les patients vont mettre en œuvre, plus on a des chances que le médecin de suivi puisse centrer son attention sur un item ce jour-là. On peut essayer de se faire une feuille de route qui sera utilisée dans le temps et qui abordera les différents items. On essaye alors d’insérer dans chaque consultation un temps éducatif. Ce n’est pas évident, il faut être bien organisé. ………………..
D&O : Qu’est-ce que le programme ambulatoire d’éducation thérapeutique chirurgie de l’obésité ? Monelle Bertrand : C’est un programme développé il
y a environ deux ans et demi, destiné aux patients qui vont être opérés. Dans un premier temps nous avons invité les patients dont la RCP avait validé l’indication de la chirurgie. Dans un second temps nous y avons également invité des patients en préparation à cette chirurgie et avant la décision. Le programme vise à acquérir des compétences pour la période postopératoire. 223
DOSSIER
éducation thérapeutique du patient
éducation thérapeutique du patient
DOSSIER
D&O : Quelle évaluation en faites-vous ? M.B. : L’évaluation de la satisfaction par les patients est
très positive. L’efficacité de ce programme vis-à-vis des comportements postopératoires reste à évaluer. La stratégie de groupe semble également intéressante. En effet, les patients continuent de se voir et à évoluer ensemble après la participation au programme. Ceci est connu d’autres pathologies, du diabète par exemple. La participation des patients au programme a permis que l’équipe soignante s’approprie le programme et connaisse mieux les patients. C’est un aspect intéressant, puisque les patients vont être suivis pendant une longue période, à vie selon la HAS. La participation des soignants au programme a également augmenté leurs compétences puisque ces séances sont le lieu de rencontres entre disciplines (infirmier, psychologue, diététicien…). Ceci permet une vision plus globale du patient. Il est indéniable que les retours positifs des patients procurent du plaisir au travail et valorisent les soignants.
D&O : Faut-il développer des programmes postopératoires ? M.B. : Oui sans doute. Nous avons l’objectif de dévelop-
per des programmes qui travaillent sur les compétences correspondant à des expérimentations des patients. En effet, le programme préopératoire travaille sur la projection des compétences que le patient devra obtenir quand il sera opéré. Nous souhaitons travailler sur les retours d’expérience des patients, dans un programme ambulatoire, étalé sur un temps suffisamment long, pour couvrir de nombreuses situations alimentaires et d’exercice physique. n Propos recueillis par le Pr Patrick Ritz, CHU de Toulouse
Mots-clés : Éducation thérapeutique, Ambulatoire, Proximité, Continuum
rendez-vous de l’industrie Technologie
Une application pour compter les glucides
G
luci-Chek, l’application qui compte les glucides pour les personnes diabétiques traitées par insuline est désormais disponible sur Apple Store et Google Play. Parce que l’alimentation reste encore trop souvent une difficulté pour les personnes diabétiques, en particulier lorsqu’elles ne mangent pas chez elles, Roche Diabetes Care lance GluciChek, une application smartphone qui permet d’évaluer les valeurs nutritionnelles des aliments, en particulier les glucides. Pour apporter une aide concrète, efficace et mobile aux patients traités par insuline, Roche Diabetes Care a développé une application smartphone qui leur permet, à tout moment, d’évaluer les valeurs nutritionnelles de leur repas (en identifiant la valeur glucidique rapidement et simplement) et d’enregistrer des événements qui peuvent influencer leur glycémie (stress, sport, fatigue…).
le nombre de glucides pour chacun de ces aliments et des informations complémentaires (valeur énergétique, protéines, lipides…) ; - un calendrier pour noter les événements importants (hypoglycémie, hyperglycémie, journal de l’alimentation, activité physique…) afin de faciliter une meilleure analyse a posteriori, en particulier lors de rendez-vous avec des professionnels de santé. Grâce à Gluci-Chek, les personnes diabétiques traitées par insuline peuvent : - visualiser l’ensemble des aliments qui composent leur repas, ainsi que son apport glucidique total et son échelle lipidique ; - enregistrer des événements importants et associer un commentaire personnel à chaque événement. - accéder à des informations complémentaires et ajouter un commentaire personnel à chaque aliment. n
Elaborée en collaboration avec un groupe de patients diabétiques et avec des professionnels de santé, cette application gratuite propose deux fonctionnalités principales : - une base alimentaire avec des visuels associés rassemblant plusieurs centaines d’aliments simples et composés, donnant
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éducation thérapeutique du patient
Cahier des charges n Le PNNS (Plan national Nutrition Santé 2011-2015) a défini dans ses objectifs prioritaires de santé publique la réduction de l’obésité et du surpoids. Le Plan national Obésité (PO 20102013) qui en découle a, entre autres, pour missions : - d’améliorer et structurer l’offre de soins pour les patients obèses au niveau régional et infrarégional ; - de faciliter une prise en charge de premier recours adaptée par le médecin traitant ; - de reconnaître des équipes spécialisées en éducation thérapeutique dans le domaine de l’obésité en s’appuyant sur un référentiel de compétences intégrant les dimensions psychologique, diététique et d’activité physique ; - de promouvoir une coordination territoriale pour la prise en charge de l’obésité.
Dr Ana Estrade*
L’
éducation thérapeutique du patient fait partie intégrante de la prise en charge de l’obésité et ce, à tous les stades de la maladie. Nous nous proposons dans cet article de présenter le classeur pédagogique, sorte de “mannequin” ou de “squelette”, d’un programme d’éducation thérapeutique obésité de proximité (OBEPROX) que nous avons construit en Midi-Pyrénées. Nous entendons par “proximité”, l’accessibilité géographique, c’està-dire une éducation thérapeutique délivrée dans le cadre de vie du patient. Quels peuvent être les avantages à créer des programmes d’éducation thérapeutique de proximité concernant l’obésité ? Quels freins
*Service de Diabétologie, Endocrinologie et Métabolisme, CHU de Toulouse
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DOSSIER
2 Programme d’ETP de proximité
peuvent être identifiés ? Nous définirons le cadre, le format, les compétences visées et les modalités d’application et nous nous pencherons sur les modèles existants.
Des avantages et des freins
La prise en charge des patients obèses n’est actuellement pas harmonisée au sein de notre région Midi-Pyrénées et le parcours de soins
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du patient est difficile à identifier. Formaliser une filière de soins pour les patients présentant une obésité est l’une des missions du Centre spécialisé Obésité et l’éducation thérapeutique de proximité est une opportunité pour tisser un réseau de soins local efficient et égalitaire pour les patients obèses, quel que soit leur lieu de domicile.
Avantages
La mise en place de programmes d’éducation thérapeutique de proximité permettrait : • pour le médecin traitant ou le spécialiste diabéto-endocrinologue ou nutritionniste : - le regroupement spatio-temporel des connaissances médicales et paramédicales et des compétences des différents soignants impliqués dans la prise en charge de l’obésité (diététicien, éducateur médicosportif, psychologue notamment) et donc une meilleure efficacité par une prise en charge coordonnée, - un gain de temps et d’efficacité pour la prise en charge de l’obésité du patient en le confiant à une équipe experte et compétente, dont le programme vise à faire perdre du poids au patient en prenant en compte plusieurs dimensions de la pathologie de manière coordonnée ; • pour le patient : - l’accès à des soins habituellement non-remboursés comme le diététicien ou l’éducateur médico-sportif, le psychologue, - la prise en charge collective qui représente un avantage du fait de la dynamique de groupe.
Freins
Cependant, la mise en place de tels programmes se heurte à plusieurs freins. ❚❚Le manque de temps En effet, la mise en place, de l’éla-
boration à la mise en œuvre effective, ainsi que la coordination nécessitent beaucoup d’investissements et prennent du temps. L’ARS doit autoriser officiellement le programme, ce qui suppose de se conformer avec professionnalisme et rigueur à la grille de validation. ❚❚La motivation L’intérêt porté à l’éducation thérapeutique est certes actuellement croissant mais ce type de prise en charge ne remporte pas tous les suffrages, notamment en milieu libéral, non pas tant du fait de la persistance d’une relation “soignant-soigné” verticale mais surtout du fait d’un manque de valorisation financière de l’éducation thérapeutique. ❚❚Le personnel soignant L’identification des personnels soignants intéressés au niveau local par la mise en place de programmes d’éducation thérapeutique est difficile. Le regroupement de telles volontés n’est pas aisé dans la mesure où elles ne sont clairement pas identifiées. Des structures en réseaux avec des campagnes de communication permettraient de contourner cet obstacle. ❚❚La formation La formation en éducation thérapeutique (40 h minimum) des équipes, requise par l’ARS pour valider les projets d’éducation thérapeutique, ajoute une difficulté car elle demande du temps.
Cahier des charges d’une éducation thérapeutique de proximité pour la prise en charge de l’obésité
En Midi-Pyrénées, le Centre spécialisé Obésité a mis en place un
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groupe de travail sous la direction du Pr H. Hanaire pour construire un programme d’éducation thérapeutique de proximité pour prendre en charge l’obésité (OBEPROX). Ce groupe a constitué un classeur pédagogique qui pourra servir de trame aux équipes éducatives de proximité qui souhaiteront s’approprier ce programme. Ce classeur définit le cadre du programme, les compétences visées par le programme, les séances et propose des outils éducatifs. Nous décrivons ci-après les points principaux.
Le cadre minimum
Des travaux ont été menés dans le groupe “ETP” commun aux COTERs “Nutrition-Endocrinologie-Maladies métaboliques” et “Maladies chroniques” de MidiPyrénées. Il s’agit d’une adaptation régionale du cahier des charges national. Elle correspond au format accepté par l’ARS Midi-Pyrénées. La durée du programme est de 8 h, réalisées soit en une journée, soit en deux demi-journées de 4 h, soit en 4 fois 2 h. Le format est choisi en fonction du contexte : possibilités des patients et de l’équipe d’ETP. La composition de l’équipe requiert obligatoirement la présence d’un médecin. L’équipe comporte au moins deux personnes. Au moins un membre de l’équipe dispose d’une formation validée en ETP d’au moins 40 h. Les compétences visées par le programme sont des compétences d’autosoins, mais aussi des compétences d’adaptation.
Le public concerné
Le programme, tel que nous l’avons construit, s’adresse à : 227
DOSSIER
éducation thérapeutique du patient
éducation thérapeutique du patient
DOSSIER
- des patients adultes (> 18 ans) ; - des patients présentant une obésité (IMC > 30 kg/m2) ; - des patients avec ou sans complications (dans la mesure où les complications ne sont pas au devant de la scène au moment de l’entrée dans le programme et où elles sont améliorables par la perte de poids).
Les compétences à développer
Dans le contexte de l’obésité non ou peu compliquée, les compétences à développer s’articulent autour de quatre axes : diététique, d’activité physique, psychologique et médical. Les compétences qui nous semblent indispensables à acquérir par le patient pour chacune de ces thématiques sont définies dans le tableau 1. Pour chacun de ces axes, nous avons construit une séance d’éducation avec des supports et outils pédagogiques. Les séances proposées sont collectives mais intègrent des temps individuels de réflexion.
Le format
Étant donné le cadre dans lequel s’inscrit ce programme (programme de 8 h), nous avons opté pour l’élaboration d’un programme structuré prédéfini où le déroulement est fixe, identique pour tous les participants. Dans ce type de programme, tous les thèmes sont abordés, l’ordre et le déroulement sont préétablis et le patient se conforme au programme proposé. Ce type de formule vise l’acquisition de compétences considérées comme nécessaires pour tous les patients. On peut reprocher le caractère systématique d’un tel type de programme, qui peut ne pas répondre aux besoins ressentis du patient à un moment donné de sa prise en charge. L’avantage réside dans son organisation plus simple, 228
Tableau 1 – Les compétences indispensables. Axe
Compétences
Médical
Savoir situer son IMC. Comprendre les mécanismes d’évolution pondérale et préciser son évolution pondérale. Lister les complications de l’obésité et comprendre que la perte de poids améliore l’état de santé.
Diététique
Évaluer son alimentation en qualité et en quantité. Équilibrer son alimentation. Adapter son alimentation.
Activité physique
Définir une activité physique adaptée dans le cadre de l’obésité. Connaître l’intérêt de l’activité physique. Mettre en place une activité physique adaptée.
Psychosocial
Comprendre le lien entre moral et poids. Exprimer ses difficultés. Connaître les aides à solliciter dans l’entourage et le milieu des soignants.
sa mise en œuvre plus aisée et plus reproductible du fait du caractère systématique permettant une offre de soins identique à tous. L’autre avantage est celui de la constitution d’un groupe de patients par programme, ce qui permet de renforcer le lien collectif. À l’opposé, dans d’autres régions (voir ci-dessous), il existe des programmes “à la carte” qui par définition sont plus souples. Les ateliers sont proposés indépendamment les uns des autres, sans ordre spécifique, et négociés avec le patient qui participe donc entièrement à la composition de son propre programme. Les ateliers restent collectifs mais chaque parcours est différent. Les groupes sont donc différents, ce qui atténue la dynamique de groupe. L’avantage certain est celui d’une adéquation aux besoins du patient à un moment donné et donc possiblement une meilleure adhérence. Le choix à la carte permet aussi de diversifier l’offre, les intervenants. La gestion des plannings et l’organisation de la coordination en sont en revanche complexifiées.
Ces deux formules peuvent être complémentaires mais demandent des moyens humains importants, ce qui, en pratique, rend difficile leur coexistence. Le choix de l’un ou de l’autre dépend de plusieurs paramètres qu’il est utile de repérer avant la mise en place d’un programme (temps, population concernée, contraintes d’horaires, de lieux, etc.). Chaque bassin de santé doit définir la formule qui paraît la plus adaptée.
Les intervenants
Un programme d’éducation thérapeutique doit être pluriprofessionnel et doit impliquer plusieurs intervenants dont les compétences sont complémentaires. ❚❚Le médecin traitant Il est au cœur de la prise en charge de premier recours du patient obèse. Son implication paraît essentielle pour le bon déroulement du projet de soins. Aussi, il doit être à l’initiative de la participation de son patient à un programme d’éducation thérapeutique. Sa participation à l’élaboration et à la mise en œuvre de
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tels programmes serait également bénéfique. ❚❚Le diabétologueendocrinologue et/ou le spécialiste en nutrition D’une part, son avis complémentaire peut être requis, notamment dans les cas où l’obésité est intriquée avec d’autres pathologies. D’autre part, il peut être à l’initiative d’un tel programme d’éducation thérapeutique en coordination avec ses confrères généralistes. En Midi-Pyrénées, ces spécialistes sont volontiers à l’initiative des programmes d’éducation thérapeutique concernant le diabète. ❚❚Le diététicien Sa participation dans un tel programme est indiscutable et doit s’articuler avec les prises en charge médicales. ❚❚L’éducateur médico-sportif Il nous paraît nécessaire et ses compétences spécifiques doivent permettre, en partenariat avec les autres soignants, l’élaboration d’un projet d’activité physique pertinent pour chaque patient. ❚❚Le psychologue Il est également une pièce maîtresse du dispositif, car l’axe psychologique est essentiel dans la prise en charge de l’obésité et trop souvent négligé. ❚❚Les infirmiers Ils peuvent également être sollicités en fonction de leurs compétences et peuvent faire le lien entre les différents ateliers.
La coordination
Il s’agit d’un point essentiel pour s’assurer du bon fonctionnement du programme d’éducation thérapeutique et de sa pérennité. Elle consiste en la mise en place du
programme mais également dans son évaluation. Au niveau local, l’équipe d’éducation doit assurer sa propre coordination. Au moins un des membres de l’équipe locale doit avoir validé une formation de 40 h sur l’éducation thérapeutique (par exemple sous la forme d’un DU d’éducation thérapeutique), pour que le programme puisse être autorisé par l’ARS. Cette coordination locale peut s’appuyer sur des structures régionales qui peuvent aider, de par leur expérience, à la structuration et à la mise en place de programmes d’éducation thérapeutique (exemples régionaux : EVACET, DIAMIP, Centre spécialisé Obésité).
Les besoins matériels
De manière très pragmatique, un programme de proximité suppose des moyens matériels qu’il faut prédéfinir. Ces besoins vont des locaux où peuvent se dérouler les ateliers (maison de santé, centres sociaux, mairie, hôpitaux périphériques…) au matériel éducatif proprement dit (outils éducatifs divers, vidéoprojecteurs, ordinateurs, supports écrits pour les patients…). Il est nécessaire également de réfléchir en amont à la mise au point d’un dossier patient commun qui transite par le patient entre les différents intervenants.
Les besoins en temps
Le temps qu’il faut pour se former, élaborer, mettre en place, suivre, évaluer et coordonner un programme d’éducation thérapeutique n’est pas négligeable et ne doit pas être sous-estimé. Il ne faut pas non plus oublier le temps de coordination qui se fait en amont et en aval du programme et qui assure la gestion administrative.
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Des précédents régionaux et en France
En Midi-Pyrénées, il existe des programmes de proximité concernant le diabète. Ainsi, à titre d’exemple, DIAMIP (Diabète Midi-Pyrénées) a coconstruit avec des soignants locaux (diabétologues, médecins généralistes, diététicienne, infirmière) deux demi-journées mensuelles d’éducation thérapeutique concernant le diabète à Muret et Carbonne (Haute-Garonne). Le diagnostic éducatif est porté en amont par les diabétologues qui reçoivent les patients adressés par leur médecin généraliste. Les ateliers se déroulent selon un programme fixe, prédéfini et ont lieu dans une salle de la mairie (Carbonne) ou de l’hôpital local (Muret). D’autres exemples de programmes d’éducation thérapeutique de proximité concernant l’obésité associée ou non au diabète sont déjà en cours dans d’autres départements de France et menés par des réseaux de santé obésité et/ou diabète. Ainsi, nous citerons le réseau ROMDES en Essonne, le réseau ADOR 55 dans la Meuse, le réseau Oséan dans le Nord ou encore le réseau RODCM en Centre Manche, qui organisent et coordonnent en proximité avec la participation des médecins généralistes des programmes d’éducation thérapeutique. Ces réseaux fonctionnent majoritairement avec des programmes “à la carte”. Les “prestations” proposées sont négociées avec le patient à la suite du diagnostic éducatif. La plupart des ateliers sont collectifs mais des ateliers individuels peuvent être intercalés. Le parcours du patient est défini pour 229
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éducation thérapeutique du patient
éducation thérapeutique du patient
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des durées de six mois à un an en moyenne. Elles permettent aux patients obèses l’accès à des soins (diététique, activité physique) habituellement non-remboursés. Dans certains cas, une participation financière est requise mais reste très modérée. La pérennité de ces réseaux est soumise à l’heure actuelle aux aléas des financements qui ne sont pas toujours renouvelés et qui mettent en péril ces actions d’éducation thérapeutique. Ces expériences sont autant d’exemples sur lesquels s’appuyer pour développer des actions efficaces et coordonnées afin de ré-
pondre aux besoins de nos patients obèses toujours plus nombreux.
Conclusion
L’éducation thérapeutique de proximité pour les patients obèses est un outil intéressant et efficace de l’arsenal thérapeutique qu’il faut déployer pour atteindre l’objectif de perte pondérale. Elle suppose des exigences méthodologiques dans la conception des programmes qui peuvent constituer des freins à la mise en place mais sont aussi autant de gages de qualité. Le “squelette” du programme décrit dans cet article pose les bases
structurelles d’un tel programme qui peut ensuite être décliné ou “habillé” selon les volontés et possibilités des équipes dans chaque bassin de population, avec l’appui d’une coordination régionale. n
Mots-clés : Éducation thérapeutique, Proximité, Prise en charge, Obésité, Coordination, Multidisciplinarité, Accès aux soins, Programme, ETP
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éducation thérapeutique du patient
Qu’apporte un programme d’éducation thérapeutique sur la gestion de l’alimentation ? Dr Laurianne Schreck-Del Bello*, Dr Rémy Klein*
Introduction Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique, sévère et chronique. Il s’agit d’un trouble de l’humeur caractérisé par la survenue d’épisodes maniaques et dépressifs dont la fréquence et l’intensité sont variables. Plusieurs types de troubles bipolaires sont décrits dans les classifications internationales, dont les plus grandes entités sont le trouble bipolaire de type 1, caractérisé par la présence de phases maniaques, souvent le plus sévère, et le trouble bipolaire de type 2, où les phases d’humeur haute sont moins intenses et appelées hypomaniaques. Audelà des fluctuations thymiques, les patients souffrant de trouble bipolaire sont sujets à une grande variété de symptômes, souvent sévères, ayant des répercussions sur leur vie personnelle, affective, sociale et professionnelle.
La problématique alimentaire chez les patients bipolaires
Le trouble bipolaire, pour lequel la comorbidité est souvent la règle, est fréquemment associé à d’autres troubles, psychiques comme somatiques, venant alourdir le fardeau des patients. Parmi *CATTP Récifs, Centre hospitalier G. Marchant, Centre médicopsychologique du secteur 8, Pôle Rive droite Nord-Est, Toulouse
232
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3 Trouble bipolaire
ces comorbidités, les troubles des conduites alimentaires (TCA) ont un lourd impact sur l’état de santé des patients, et sont étroitement liés à la gestion des affects et à l’impulsivité. Les données épidémiologiques récentes font état d’une forte prévalence des troubles des conduites alimentaires chez les patients bipolaires, largement supérieure à la prévalence des TCA en population générale (de l’ordre de 3 à 5 %). Selon les études, la prévalence de tout type de TCA chez les patients bipolaires de type 1 varie de 9 à 27 % (1-2), et de 6 à 18 % chez les patients bipolaires de types 1 et 2 (3-4). Fornaro et al. (5), en 2010, retrouvent même une prévalence de l’ordre de 31 % de TCA dans une population de 148 femmes bipolaires, incluant les types 1, 2 et les
cyclothymiques. En effet, les TCA sont plus présents chez les sujets jeunes et de sexe féminin. Au vu des données récentes de la littérature, il apparaît de plus que les troubles des conduites alimentaires présentent des spécificités chez les patients bipolaires, dans leur présentation clinique (6), mais aussi dans leur mode d’évolution (7). Qu’ils se manifestent avant toute décompensation thymique, ou qu’ils en soient concomitants voire faisant suite aux troubles de l’humeur, les troubles alimentaires jalonnent le parcours des patients bipolaires et en alourdissent le pronostic. En effet, plusieurs auteurs font état des répercussions de cette comorbidité sur la qualité de vie des patients (8), ainsi que sur la gravité de la maladie bipo-
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éducation thérapeutique du patient
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laire en termes de décompensations thymiques, de risque suicidaire, mais aussi de comorbidités anxieuses ou addictives (9-10). Les TCA les plus fréquemment retrouvés chez les patients bipolaires sont de type boulimique ou hyperphagique, et souvent responsables d’une prise de poids, en l’absence de comportement compensatoire. Aussi, la comorbidité TCA est indéniablement liée à la prise de poids des patients bipolaires (11), pourtant déjà à haut risque d’obésité (12-13), et ce dès la première décompensation thymique (14), et parfois même avant toute prise de traitement (15). Le surpoids et l’obésité entraînent de plus des complications et de graves conséquences sur le plan physique, psychique, affectif, social et professionnel, et aggravent ainsi le pronostic des patients souffrant de troubles de l’humeur. Outre les TCA caractérisés, de type anorexie, boulimie ou hyperphagie boulimique, les patients bipolaires souffrent de perturbation de leur alimentation. En effet, si tous les patients bipolaires ne présentent pas de TCA spécifiés, certains font part de désordres alimentaires, n’ayant pas les mêmes caractéristiques ou la même gravité (6). La présentation clinique de ces perturbations alimentaires est variable, pouvant s’exprimer sur un mode qualitatif ou quantitatif, mais aussi dans la capacité à maintenir une régularité. Les études évaluant la prévalence des crises de boulimie chez les patients bipolaires, retrouvent des taux d’hyperphagie boulimique subsyndromique (ayant tous les critères du trouble Binge Eating Disorder, sauf la fréquence) de l’ordre de 234
22 % (4) à 25 % (16). Des épisodes de perte de contrôle subjective sont retrouvés chez 44 % des patients bipolaires, et paraissent liés à un risque d’obésité accru (17). La prise de poids a le plus souvent une origine multifactorielle chez les patients psychiatriques. Alimentation, traitements psychotropes, sédentarité liée à la maladie psychique (dépression, apragmatisme) et à l’isolement social sont autant de raisons de développer une obésité. Dans ce contexte, la prise en charge des patients bipolaires doit nécessairement bénéficier d’une évaluation systématique des comportements alimentaires et d’un suivi métabolique, afin de mettre en place des stratégies adaptées en termes de traitement et de prévention.
La prise en charge des troubles bipolaires
Aujourd’hui, les patients souffrant de troubles bipolaires bénéficient d’une prise en charge alliant traitements médicamenteux (thymorégulateurs) et psychothérapeutiques. Diverses psychothérapies peuvent être proposées aux patients (psychanalyse, thérapie cognitivo-comportementale, thérapie interpersonnelle, basées sur les rythmes sociaux) et selon des modalités individuelles ou groupales. La psychoéducation fait partie intégrante de la prise en charge des patients bipolaires et semble complémentaire du traitement pharmacologique associé à un suivi régulier, en permettant de diminuer le risque de rechute et de limiter les effets des décompensations.
Elle peut être effectuée en individuel, par le médecin psychiatre par exemple, mais aussi en groupe, permettant alors la mise en place d’échanges entre les patients sur leur maladie. Depuis quelques années, la mise en œuvre de programmes d’éducation thérapeutique, plaçant le patient au centre de ses soins, semble avoir un impact considérable sur l’amélioration du pronostic. Par exemple, en apprenant au patient à reconnaître les signes précoces de rechute, la psychoéducation permet de diminuer le nombre de décompensations maniaques et d’améliorer leur fonctionnement social (18). En effet, plusieurs études tendent à montrer une efficacité de l’éducation thérapeutique sur les réhospitalisations, le nombre et le délai des rechutes, ainsi que l’observance thérapeutique, qu’il s’agisse de groupes de psychoéducation centrée sur le patient (19) ou sur sa famille (20). Cette efficacité semble d’ailleurs plus grande si la prise en charge est effectuée précocement dans l’évolution de la maladie. Ces programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) sont désormais intégrés dans les recommandations de l’HAS concernant le trouble bipolaire (21).
Les particularités de l’éducation thérapeutique en psychiatrie
Les programmes d’éducation thérapeutique sont encore peu nombreux en France dans le domaine des affections psychiatriques, mais sont encouragés à se développer (22). Leur importance a officiellement été mise en lumière par la loi HPST de 2009 et ils s’inscrivent
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depuis dans le parcours de soins du patient. Selon l’OMS (23) l’éducation thérapeutique vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle se définit comme un ensemble d’activités d’information, de conseil et d’apprentissage, ayant pour objectif de donner au patient des compétences d’autosoins et d’adaptation, et doit être personnalisée en fonction du patient, de sa maladie, et de son vécu de celle-ci. En psychiatrie, les mesures psycho-éducatives font souvent partie de la base de la prise en charge des patients : il s’agit de donner un diagnostic au patient et de l’aider à comprendre sa maladie, son étiologie, ses symptômes et ses traitements. Elles sont souvent délivrées par les soignants, médecins ou infirmiers, dès les prémices de la pathologie. Aujourd’hui se développent des programmes d’ETP visant à renforcer ces mesures psycho-éducatives et à aider le patient à s’approprier sa maladie et à mieux la gérer au quotidien. La prise en charge de groupe apporte de plus une dynamique supplémentaire, et le renforcement de liens sociaux, problématique souvent au cœur de la symptomatologie psychiatrique. Les programmes d’ETP se sont d’abord développés dans la prise en charge de la schizophrénie, puis des troubles bipolaires, même si d’autres programmes se mettent en place, ciblant par exemple les troubles de la personnalité. L’éducation thérapeutique peut aussi concerner la famille du patient, notamment dans des patho-
logies où il est parfois compliqué pour l’entourage de comprendre et d’accepter les signes de la maladie, et où les symptômes propres de la maladie psychique font que le patient aura des difficultés à percevoir les signes de décompensation. En psychiatrie, peut-être plus qu’ailleurs, il est primordial d’aider le patient à prendre conscience de sa maladie, et à l’accepter. Un travail d’aide aux patients concernant la déstigmatisation de son trouble, et des autres patients qui en souffrent, permettra aussi d’améliorer sa qualité de vie. Dans les affections psychiques, bon nombre de symptômes peuvent être à l’origine d’un refus du diagnostic et d’une rupture de traitement. Un déni des troubles, un manque d’insight, ou des éléments délirants peuvent, par exemple, amener le patient à arrêter son traitement. Aussi, l’éducation thérapeutique du patient psychiatrique peut s’articuler autour des médicaments, nécessaires à la stabilisation du trouble, mais dont l’observance est rarement optimale. En effet, selon une étude (24) évaluant les préoccupations des patients au sujet de leur traitement, la plupart des ruptures thérapeutiques seraient liées au manque d’information.
Principes de l’éducation thérapeutique dans le trouble bipolaire
L’éducation thérapeutique du patient souffrant de trouble bipolaire est principalement indiquée lorsque le patient est stabilisé, en période d’euthymie. En effet, elle nécessite de pouvoir mobiliser certaines compétences intellectuelles et de compréhension, qui peuvent être altérées durant les phases de décompensation (troubles cogni-
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tifs, trouble de la concentration, distractibilité, etc.). Les programmes d’éducation thérapeutique se déroulent donc principalement sur des séances de groupe, animées par au moins un psychiatre et un autre soignant formé en ETP, en ambulatoire, avec des patients stabilisés. D’autres types d’ETP peuvent avoir lieu en hospitalisation, souvent plus spécifiques, centrés sur un domaine spécifique (le médicament par exemple) et dont les objectifs seront plus élémentaires. Chaque séance d’un programme d’ETP ambulatoire est animée autour d’un thème, clairement défini, mais dont l’élargissement se fait au gré des réflexions des patients. Certains thèmes peuvent par ailleurs s’étaler sur plusieurs séances.
Principales notions abordées en ETP du patient bipolaire
• L’information sur la maladie bipolaire, et son caractère chronique. Le patient va ici apprendre à définir sa propre maladie, et donc à mieux se l’approprier. Ces informations concernent les symptômes des phases dépressives et maniaques, ainsi que les symptômes résiduels ou intercritiques. D’autres informations sont délivrées à propos des étiologies, des causes biologiques du trouble, notamment avec l’idée d’une déculpabilisation et d’une déstigmatisation des malades. Il s’agit de plus d’informer sur les risques de rechute et leur fréquence. Un travail peut aussi être proposé sur le phénomène de déni et sa compréhension • L’information sur les différents facteurs déclenchants d’épisodes 235
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éducation thérapeutique du patient
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de décompensation, et leurs prodromes. Un travail est alors proposé aux patients pour les entraîner à repérer leurs propres facteurs déclenchants, ainsi que les signes d’alerte pouvant précéder une décompensation. • Des informations sur les traitements : médicamenteux et psychothérapiques. Les traitements pharmacologiques sont abordés, par leur indication, leur fonction (savoir quels sont les traitements de fond, thymorégulateurs, et les traitements symptomatiques) leur posologie, la durée de prise recommandée, leurs avantages et leurs inconvénients. Les effets indésirables et les risques ou non de pharmacodépendance prennent une place certaine lors de ces séances. • L’élaboration d’un plan d’action ou “plan d’urgence”, personnalisé pour chaque patient, correspondant à toutes les stratégies et les recours en cas de signe de décompensation et visant à prévenir les rechutes et à en minimiser les effets. • L’entraînement à la gestion des symptômes, dépressifs ou maniaques, permettant d’améliorer la qualité de vie du malade mais aussi de son entourage. • L’information concernant les risques liés aux consommations de substances telles que les excitants (café, tabac), l’alcool et les drogues, et aux conduites à risques. • L’importance du maintien de rythmes sociaux et biologiques réguliers, et d’une bonne hygiène de vie, comme un sommeil régulier et de qualité. La perturbation de cette hygiène de vie est en effet souvent à l’origine de nouvelles rechutes. Le travail sur la capacité du patient à observer et maintenir ses rythmes psychosociaux peut être favorisé par certains instruments de quantification (25). 236
• L’entraînement à la gestion du stress, des événements de vie perturbants, déstabilisants, par exemple par l’expérimentation de technique de résolution de problème. • L’accompagnement dans la mise en place de stratégies d’adaptation, de coping, face à la stigmatisation, et aux difficultés relationnelles et sociales liées à la maladie (travail, relations sociales). Il s’agit de proposer un espace aux patients leur permettant d’aborder tous les sujets dont ils ne peuvent pas parler avec leur entourage “non-malade”. • Les réponses à des questions concrètes et/ou personnelles, selon chaque cas, comme par exemple la question de la grossesse et des risques par rapport à la maladie, ou encore la question du risque suicidaire et de sa gestion. • L’information concernant les réseaux de soins et les réseaux associatifs, et la transmission des coordonnées d’associations de patients et/ou de familles, de groupes d’entraide mutuelle, et les échanges autour de ce que ces différents soutiens peuvent apporter aux patients. La prise en charge en groupe d’ETP permet aussi parfois de procurer aux patients une première expérience de socialisation, et ces derniers pourront par la suite exprimer le désir de recréer ce type de situation groupale dans d’autres contextes.
La question des troubles alimentaires dans l’ETP des patients bipolaires
La problématique alimentaire est intégrée dans la prise en charge en éducation thérapeutique des patients bipolaires. Elle préoccupe
très fréquemment les patients et les patientes, qui l’abordent souvent principalement par le biais de leur prise de poids, et de leur image du corps. L’alimentation est régulièrement abordée au fil des séances, pouvant se greffer aux divers thèmes précédemment abordés, ou constituer un des thèmes principaux de séance. En effet, les questions de l’alimentation, des troubles alimentaires et du poids peuvent être rapportées lors de l’évocation des comorbidités du trouble bipolaire par exemple, mais aussi à l’occasion des séances concernant le traitement médicamenteux et ses effets indésirables, ou encore lorsque sont évoqués les signes faisant craindre une décompensation, se manifestant parfois par une modification des comportements alimentaires (période d’anorexie, crise de boulimie nocturne, etc.). Certaines informations seront systématiquement délivrées concernant les comorbidités et complications du trouble bipolaire. Il est important que les patients sachent, le plus précocement possible, que leur trouble principal les rend à risque de développer des troubles des conduites alimentaires, souvent en lien avec leur impulsivité, leur perte de contrôle, mais aussi un surpoids, voire une obésité, et les complications psychiques et somatiques qui en découlent. Lors des séances d’ETP, une attention particulière sera portée sur les risques de développer un syndrome métabolique ou d’autres facteurs de risque cardiovasculaire, et les mesures à mettre en place à visée curative ou préventive.
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Par ailleurs, certaines séances peuvent être dédiées à la question de l’alimentation, et des règles hygiéno-diététiques.
À retenir n La prévalence des TCA chez les patients souffrant de trouble bipolaire est estimée entre 6 et 31 % (3-5) selon le type de TCA étudié, et est donc large-
L’éducation thérapeutique du patient bipolaire consiste notamment à la délivrance d’informations diététiques de base, simples et indispensables, comme la constitution de repas équilibrés et variés. Certains patients peuvent de plus bénéficier d’une prise en charge en repas thérapeutique, réel accompagnement au repas, depuis sa préparation, et le choix des aliments, jusqu’à sa réalisation et sa dégustation. L’idée est ici de rendre à l’alimentation deux de ses fonctions principales : nutritive et relationnelle. L’ETP peut encore toucher à la gestion du trouble alimentaire, par tout ce qu’elle peut fournir au patient dans sa compétence à gérer l’impulsivité, la frustration, les événements stressants, les pensées négatives, ou toute autre difficulté liée au trouble bipolaire et pouvant jouer un rôle de facteur déclenchant de trouble alimentaire. En effet, tout événement stressant ou toute fluctuation thymique peut engendrer une modification des conduites alimentaires, par la déstructuration des repas par exemple, la perte des repères et des rythmes alimentaires, ou par le déclenchement de conduites impulsives, souvent autoagressives, comme par exemple la crise de boulimie ou les vomissements provoqués. L’objectif sera alors de proposer au patient d’autres stratégies de gestion des affects que celles mises en place de façon automatique et impactant la prise alimentaire. Il s’agit de donner aux patients la compétence d’identifier le lien entre leurs émotions et leur comportement alimentaire, et de le comprendre, savoir ce qui
ment supérieure à celle des populations non-cliniques. n Cette comorbidité alourdit le pronostic des patients bipolaires et est associée à un risque accru d’obésité (11). n La gestion des émotions affecte le comportement alimentaire des patients bipolaires. n La psychoéducation, recommandée par l’HAS dans le traitement du trouble bipolaire, a montré une efficacité en termes de diminution des rechutes, d’observance thérapeutique (19) et d’amélioration du fonctionnement social (18). n Les principales notions abordées sont l’information sur la maladie, ses prodromes, ses traitements, et l’élaboration de stratégies pour faire face aux décompensations, mais aussi à tous types de situations stressantes et aux difficultés relationnelles et sociales. n La problématique alimentaire est abordée régulièrement lors des séances d’éducation thérapeutique, au travers notamment de la question de la prise de poids et de l’image corporelle.
en est déclencheur, afin de pouvoir le gérer différemment, souvent à l’aide de méthodes cognitives ou comportementales. Enfin, certaines séances autour de l’image corporelle et de l’estime de soi, peuvent faciliter le repérage et l’amélioration de troubles des conduites alimentaires. Certains patients bipolaires souffrent en effet de TCA caractérisés, mais d’autres ont des formes subsyndromiques ou allégées, et même si aucun TCA ne peut être suspecté lors d’une évaluation globale du patient, il est fréquent de retrouver chez eux des signes isolés comme des crises de boulimie nocturnes, une dysmorphophobie, des préoccupations inadaptées concernant le poids ou la silhouette, des régimes restrictifs drastiques, sous-tendus par des distorsions cognitives. De plus, il est fréquent de voir la symptomatologie alimentaire de
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ces patients évoluer selon leur thymie, et parfois en réponse aux émotions et pensées négatives dont ils souffrent. La prise en charge en ETP permet de repérer ces phénomènes, d’en parler, de les confronter à l’expérience des autres patients, et d’y apporter des réponses en termes de mesures préventives et de restructuration des pensées ou des comportements. Bien sûr, si un TCA est diagnostiqué, le patient doit alors être orienté vers une prise en charge adaptée, spécifique de son TCA et complémentaire de l’ETP. Le diagnostic d’une telle comorbidité peut en effet avoir des répercussions cliniques et thérapeutiques (notamment pharmacologiques) dans la prise en charge du trouble bipolaire.
Conclusion
L’ETP fait aujourd’hui partie intégrante de la prise en charge des patients souffrant de troubles bipo237
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éducation thérapeutique du patient
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laires. Elle a pour objectif d’aider le patient à reconnaître ses symptômes et à comprendre la maladie pour la faire sienne, de favoriser l’adhésion thérapeutique et de donner les compétences pour réagir de façon adaptée et rapide face aux signes de décompensation. Parmi les diverses sphères perturbées chez ces patients, celle des comportements alimentaires est évidemment abordée, lors de séances dédiées mais aussi au fil du programme, avec des bénéfices
attendus en termes de comportement alimentaire et de réduction pondérale. À ce jour, les programmes d’ETP dans le trouble bipolaire doivent continuer à se développer, par leur nombre, afin de pouvoir les proposer à tous les malades concernés, mais aussi par l’élargissement de leurs champs d’action. Par ailleurs, des programmes spécifiques d’éducation thérapeutique pour les patients souffrant de troubles des conduites alimentaires pour-
raient être bénéfiques, à la fois aux patients pris en charge pour anorexie, boulimie ou hyperphagie boulimique, mais aussi à ceux présentant d’autres troubles psychiatriques, dont les TCA représentent des comorbidités fréquentes. n
Mots-clés : Trouble bipolaire, Troubles des conduites alimentaires, Éducation thérapeutique
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interspécialités
Le pancréas du diabète de type 2 Y a-t-il un lien entre artériosclérose et diabète ? n Le pancréas du diabète de type 2 présente des anomalies anatomiques qui vont bien au-delà de la simple réduction de masse B. On a peu parlé dans la littérature récente des lésions vasculaires, de la fibrose touchant aussi le pancréas exocrine et de sa dégénérescence graisseuse. Ce travail, qui s’appuie sur des images extraites de la base nPOD, revient sur ces lésions diffuses du pancréas et leurs conséquences fonctionnelles pour discuter une hypothèse sur les liens entre artériosclérose et diabète. Pr Étienne Larger*, Dr Amal Y. Lemoine*, Pr Christian Boitard*
Introduction
B 1,5
Le diabète de type 2 est une maladie hétérogène, classiquement une maladie de la maturité, dont l’incidence est maximale après 50 ans, dont l’épidémiologie change, de sorte que dans les grandes villes des États-Unis, dès la puberté, dans certains groupes ethniques (hispaniques et “native americans”), c’est la forme majoritaire, dépassant en fréquence le diabète de type 1, autrefois appelé “juvénile” par opposition au “diabète de la maturité”. Une autre manière de considérer l’hétérogénéité de la maladie est de la voir en fonction des facteurs de risque ; ainsi, dans l’étude américaine de prévention du diabète de type 2, Diabetes Prevention Program, seulement la moitié des participants avait un syndrome métabolique pourtant si caractéristique du syndrome de résistance à l’insuline, à la base de la physiopathologie “conventionnelle” du diabète de type 2. *Service de diabétologie, Hôtel-Dieu, GH Hôtel-Dieu–Cochin– Broca, Paris ; DHU Authors, GH Cochin-Hôtel-Dieu–Broca, université Paris Descartes ; INSERM U 1016, Paris
Masse B pancréatique
Une maladie hétérogène
35 % p<0,001
1
0,5
0 Figure 1 - Masse B pancréatique chez des témoins (en rouge) et des diabétiques de type 2 (en noir). Figure redessinée d’après le travail de J. Rahier (2). Chez les diabétiques, la réduction de masse est de 35 %, avec un large recouvrement avec les valeurs des témoins.
Une classification incertaine
Ce préambule n’a pas d’autre but que de rappeler que le cadre nosologique du diabète est assez incertain ; le diabète de type 2 reste dans la classification des diabètes de l’ADA un diagnostic négatif, d’exclusion, comme cela a été récem-
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ment souligné par E. Gale (1). Malgré cela, tout médecin est plutôt d’accord pour accepter un cadre nosologique assez caractéristique : maladie de la maturité ou du vieillissement, survenant chez des individus ayant un triple terrain de risque : risque familial (génétique239
interspécialités
Les autres lésions du pancréas…
Ces dernières années, le pancréas du diabète de type 2 a été vu essentiellement sous l’angle de la cellule B des îlots de Langerhans, dominé par les travaux de Butler, Rahier et Nguyen qui se sont attachés à décrire le déficit de la masse anatomique chez des patients diabétiques de type 2, mais en oubliant les apports des pathologistes qui depuis le début du vingtième siècle avaient décrit d’autres lésions du pancréas chez le diabétique. Nousmêmes avons participé à la description des anomalies de fonction du pancréas exocrine chez le diabétique, et notre réflexion nous a conduits à poser des questions sur le lien entre maladie vasculaire, pancréas exocrine et diabète.
quantification de la masse B
Le travail le plus rigoureux dans ce domaine est celui de J. Rahier (2), dont sont extraites les figures 1 et 2. De ce travail, on peut retirer trois 240
A Masse du pancréas
ment déterminé ou non), risque vasculaire, surcharge pondérale avec répartition abdominale des graisses, ces deux derniers points étant des éléments constitutifs du “syndrome métabolique”, moins à la mode, mais qui marque un double risque, vasculaire et métabolique. Il est bien établi que le diabète de type 2 résulte de l’incapacité à produire la quantité d’insuline nécessaire pour une glucorégulation normale chez un individu résistant à l’action de l’insuline. Il est assez communément admis que le déficit de sécrétion de l’insuline s’aggrave progressivement dans le temps, quoique cela soit moins fermement établi, au moins en ce qui concerne la phase clinique de la maladie.
150
C
Personnes non diabétiques
15 % p < 0,05
18 % NS
22 % p < 0,01
Tous
< 25
26 - 40
100
20 r = 0,363 p = 0,008 0 20
30
40
IMC (kg/m )
IMC (kg/m2)
2
Figure 2 - Cette figure issue du même travail que la précédente montre la masse du pancréas en fonction de l’indice de masse corporelle (panneau de gauche “A”) et sa réduction (panneau de droite “C”) chez les diabétiques en noir, comparativement aux contrôles, en rouge.
idées fortes : - la masse de cellules bêta est plus basse chez les diabétiques ; - mais avec un fort recouvrement des valeurs individuelles ; - la masse B est, faiblement, corrélée à la durée d’évolution du diabète, cela est en grande partie dû à une diminution de la masse B avec l’âge, et pouvant aussi s’interpréter comme un diagnostic plus précoce chez les individus dont la masse B était la plus faible. Un autre aspect de ce travail, dont on rediscutera plus loin, est que la masse du pancréas est plus basse chez les diabétiques (Fig. 2).
anomalies de la fonction exocrine
Au-delà des anomalies de masse anatomique des cellules B, il y a des anomalies anatomiques du pancréas qui sont connues de longue date et, plus récemment, on a décrit des anomalies de la fonction exocrine, ce qui fait du diabète de type 2 une maladie de l’ensemble du pancréas. La diminution de la masse du pancréas à l’autopsie est connue des pathologistes depuis la première partie du ving-
tième siècle, elle a été confirmée in vivo par les différentes techniques d’imagerie, les îlots de Langerhans représentant moins de 1 % du pancréas, toute variation significative de la masse du pancréas ne peut être due qu’à des processus affectant le pancréas exocrine. Les anomalies fonctionnelles du pancréas exocrine sont elles aussi anciennes, récemment redécouvertes. Nous avons par exemple montré, confirmant des travaux antérieurs, sur une cohorte de 667 patients dont 472 diabétiques de type 2, des anomalies de la fonction exocrine chez près d’un quart d’entre eux. Chez les diabétiques de type 2, la dysfonction exocrine était associée à un IMC plus bas, au traitement par insuline et à la macroangiopathie, mais pas à la durée de diabète (à la différence, pour ce dernier point, de ce qui était observé dans le diabète de type 1) (3). Nous avons aussi montré que la dysfonction exocrine s’associe à une réduction du volume pancréatique, lui-même proportionnel à l’insulinosécrétion résiduelle (4). Ces données suggèrent que la maladie du pan-
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le pancréas du diabète de type 2
créas chez le diabétique de type 2 peut aller bien au-delà de la simple anomalie de masse fonctionnelle de cellules sécrétant l’insuline.
anomalies anatomiques
L’anatomie pathologique du pancréas est décrite, sur des séries d’autopsies depuis le début du vingtième siècle. Particulièrement importants sont les travaux d’E. Opie, en 1901, le premier à décrire la maladie inflammatoire des îlots ainsi que leur hyalinisation et le travail de R. Cecil, qui date de 1909 (5). Dans ce travail, sur 90 pancréas de patients diabétiques examinés à l’autopsie, les constatations suivantes ont été faites (Tab. 1). Bien entendu, ce travail historique ne distingue pas les diabétiques de type 1 des diabétiques de type 2, mais seuls quatre de ces patients étaient morts avant l’âge de 20 ans (l’insuline n’existait pas !). La fréquence des lésions du pancréas exocrine est remarquable : plus des trois quarts des pancréas examinés. S’y associait une dégénérescence graisseuse du pancréas dans 26 cas (38 % des cas avec inflammation) et une artériosclérose chez 80 % des patients, touchant préférentiellement les petites artérioles. Le projet nPOD, Network for Pancreatic Organ Donnors, est un projet collaboratif soutenu par la JDRF, qui vise à collecter des pancréas de qualité “transplantation”, c’est-à-dire immédiatement après la mort, avant toute autolyse, et ce à des fins de recherche. Au 3 juin 2013, 231 pancréas ont été collectés, dont 26 diabétiques de type 2 et 80 témoins non diabétiques (www.jdrfnpod.org consulté le
Tableau 1 - Constatations anatomiques de RL Cecil (1909, référence 5). 1. Inflammation chronique du pancréas
68 (76 %)
Pancréatite interacinaire ; sclérose des îlots de Langerhans
39
Pancréatite interlobulaire ; sclérose des îlots de Langerhans
4
Pancréatite interacinaire ; hyalinose des îlots de Langerhans
19
Pancréatite interacinaire avec dégénérescence graisseuse ; sclérose des îlots de Langerhans
2
Pancréatite interacinaire avec dégénérescence graisseuse ; hyalinose des îlots de Langerhans
1
Hémochromatose
2
2. Parenchyme normal ; lésions des îlots de Langerhans
12 (13 %)
Sclérose des îlots de Langerhans
4
Hyalinose des îlots de Langerhans
7
Infiltration de leucocytes à proximité des îlots de Langerhans
1
3. Pancréas normal
11 (12 %)
Figure 3 - Pancréas d’un diabétique de type 2. Base nPOD. Il s’agit d’un patient âgé de 68 ans au décès, dont le diabète était connu depuis 5 ans. On notera l’artériosclérose (✶) et la fibrose (flèches) autour des îlots de Langerhans (▲).
12 juin 2013). La figure 3 présente l’un de ces pancréas de diabétique de type 2 de la base nPOD, avec une fibrose peu importante, mais enveloppant les îlots, et des lésions d’artériosclérose. La figure 4, tirée de la même base de données, souligne l’importance des lésions d’artériosclérose, sur un pancréas présentant une dégénérescence adipeuse. Ces images, assez caractéristiques des pancréas de diabète de type 2, présentent les anomalies déjà soulignées depuis le début du
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vingtième siècle par les pathologistes, mais ne répondent pas à la question du caractère primaire de ces lésions vasculaires ou de leur caractère secondaire à l’hyperglycémie chronique. L’importance de la dégénérescence graisseuse est connue de longue date, et souvent facilement visible au scanner (Fig. 5 pour une illustration anatomique). La signification de la dégénérescence graisseuse reste incertaine ; si le point de vue “moderne” tend à la mettre dans le même sac que 241
interspécialités
la stéatose hépatique, les données d’anatomie pathologique montrent qu’elle est corrélée à l’artériosclérose pancréatique (6), suggérant ainsi qu’elle pourrait être un mode de dégénérescence du pancréas ischémique. Il est remarquable qu’elle peut prendre une importance majeure chez les diabétiques de type 1 au long cours (Fig. 6), suggérant qu’un mécanisme commun en est la cause quelle que soit la forme de diabète, cela invalidant son assimilation à la stéatose hépatique.
Figure 4 - Pancréas d’un diabétique de type 2 de la base nPOD. Il s’agit d’un patient âgé de 59 ans au décès, dont le diabète était de découverte récente ; HbA1c 9 %. La figure montre une artériosclérose des petites artères (*), une dégénérescence graisseuse peu importante (
) et un îlot hyalinisé (flèche).
Les vaisseaux du pancréas du diabète de type 2
Les vaisseaux du pancréas ne sont pas faciles à analyser du fait d’anastomoses complexes et variables. Il n’y a, à notre connaissance, que deux travaux qui ont porté sur les vaisseaux du pancréas du diabétique. Le premier travail (7) a permis de comparer des paramètres de la microcirculation pancréatique, analysés par IRM en contraste dynamique, chez des patients diabétiques de type 2 coronariens, comparativement à des patients coronariens non diabétiques appariés pour l’âge et l’indice de masse corporelle. Le volume vasculaire était réduit chez les patients diabétiques, sans effet de la durée de diabète. Le deuxième travail a consisté à faire, post mortem, des artériographies du pancréas (8). Les patients diabétiques avaient plus fréquemment des lésions vasculaires du pancréas, et seuls 2 % des diabétiques, comparativement à 20 % des contrôles, avaient des angiographies normales (Fig. 7).
Figure 5 - Pancréas de la base nPOD. Il s’agit d’un patient âgé de 62 ans au décès, chez qui la dégénérescence graisseuse est plus marquée (▲). On a souligné quelques travées de fibrose par des flèches.
Figure 6 - Pancréas d’un diabétique de type 1. Il s’agit d’un patient “historique”, décédé
Comment l’artériosclérose pourrait-elle augmenter le risque de diabète ? B. Lévy avait présenté, 242
à 89 ans après 85 ans de diabète (début du diabète en 1927, 5 ans après la purification de l’insuline par Banting et Best !). Le pancréas exocrine a presque totalement disparu, remplacé par de la fibrose et une dégénérescence graisseuse. Image de la base nPOD. Diabète & Obésité • Septembre 2013 • vol. 8 • numéro 71
le pancréas du diabète de type 2
Mais, plus sûrement, on évoquera le rôle de l’hypoxie. La figure 8, extraite d’un travail déjà ancien (10), montre une relation linéaire entre la pression partielle en oxygène du milieu dans lequel se trouvent les îlots de Langerhans et la capacité de sécrétion de l’insuline (exprimée en pourcentage de la sécrétion pour une pression partielle de 140 mmHg).
plus générale du pancréas caractérisée par le déficit de la fonction exocrine. La démonstration complète exigerait des données expérimentales montrant d’une part qu’on peut induire un diabète par une expérimentation vasculaire (mais certains modèles, tels que le rat spontanément hypertendu, SHR, ou la souris dyslipidémique, sont associés à un excès de risque de diabète), et prévenir le diabète chez des individus ayant une maladie vasculaire par une intervention vasculaire. Les données disponibles sont de ce point de vue
Le diabète de type 2, une maladie vasculaire ?
Conclusion
Ce rapide survol et les illustrations qui l’accompagnent montrent que la maladie pancréatique du diabète de type 2 va bien au-delà de la simple diminution de la masse endocrine fonctionnelle. Les
80 60
Contrôles Diabétiques
40 20 0
Normal
Modérée
Marquée
Densité vasculaire corps & queue Figure 7 - Anomalies vasculaires du corps et de la queue du pancréas évaluées de manière semi-quantitative sur des autopsies post mortem. Figure redessinée d’après (8).
1
0,8 Insulinosécrétion in vitro d’îlots de Langerhans
La relation qui lie le diabète de type 2, le syndrome métabolique et la maladie vasculaire est toujours examinée dans un sens unique : le syndrome métabolique prédit à la fois le diabète et la maladie vasculaire. Une autre manière de voir les choses est de reconsidérer les facteurs de risque de diabète de type 2 (Tab. 2), et ceux communs à l’athérosclérose. Cela permet de soulever une nouvelle hypothèse, celle d’une relation différente entre diabète et maladie vasculaire, en faisant l’hypothèse que, dans certains cas (on rejoint ici la réflexion exposée en préambule de ce texte concernant l’hétérogénéité du diabète de type 2), le diabète est la conséquence d’une artériosclérose étendue du pancréas. Ce qui caractérise anatomiquement ces cas est la stéatose pancréatique. Fonctionnellement, c’est l’association à une maladie
plutôt négatives en réalité, si l’on considère par exemple l’absence de prévention du diabète par les IEC ou les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2, ou l’excès de diabète chez les patients traités par statine.
100 % des patients
il y a plusieurs années déjà, une hypothèse qui faisait du pancréas un des organes cibles de l’hypertension artérielle (9). On a vu sur les images de pancréas l’étendue de la fibrose, laissant suggérer une perturbation de la relation entre vaisseaux et cellules endocrines, bien démontrée dans les modèles animaux de diabète.
0,6 0,4
0,2 0
0
10
20 40 30 Perfusion de PO2
50
60
142
Figure 8 - Insulinosécrétion in vitro d’îlots de Langerhans exposés à différentes pressions partielles en oxygène. Les résultats sont exprimés en pourcentage de la valeur mesurée pour une PO2 de 140 mmHg. Figure redessinée d’après (10).
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243
interspécialités
lésions touchent l’ensemble du pancréas, et une série d’arguments suggèrent que l’atteinte du pancréas exocrine doit être prise en considération. L’hypothèse que
l’artériosclérose pourrait être la cause des anomalies du pancréas exocrine, mais aussi la cause du diabète lui-même, devra être explorée avec plus de rigueur. n
Tableau 2 - Facteurs de risque de diabète de type 2 Hérédité Antécédents personnels de diabète gestationnel, de macrosomie, d’hyperglycémie transitoire Âge Obésité abdominale HTA* Tabac (effet négatif arrêt tabac, MRFIT, Ann Intern Med 2005, BMI) HDL bas LDL élevé (effet négatif plusieurs statines) Microalbuminurie *Pour ce qui est de l’HTA, on n’a pas de démonstration de la réduction de risque chez des intolérants au glucose, mais certains travaux comme l’étude DREAM suggèrent un effet bénéfique. À noter aussi la réduction du besoin de thérapeutiques additionnelles pour le diabète chez les patients traités par captopril vs. aténolol dans l’étude UKPDS.
Correspondance : Pr Étienne Larger (etienne.larger@htd.aphp.fr) Remerciements : Certaines des images de ce manuscrit ont été obtenues par le site Internet du réseau “diabétiques donneurs de pancréas” (nPOD). Le nPOD est un projet de recherche collaboratif sponsorisé par la JDRF. L’utilisation de ces images et ces remerciements suivent les règles du réseau nPOD (http://jdrfnpod.org/pubpolicy.php, consulté le 23/08/2012).
Mots-clés : Diabète de type 2, Pancréas, Artériosclérose, Pancréas exocrine
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agenda 7th international conference on diabetes & obesity 24-25 octobre 2013 – Riga, Latvia • Renseignements et inscriptions Site : www.isanh-lv.com
244
Journées Francophones de Nutrition 11-13 décembre 2013 – Bordeaux • Renseignements et inscriptions Site : www.lesjfn.fr
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à savoir
Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne Un nouveau concept ? Dr Nicolas Chevalier*
Introduction Les œstrogènes constituent l’archétype des hormones féminines et jouent un rôle fondamental dans la mise en place et le maintien des fonctions reproductives chez la femme. Néanmoins, leur rôle est bien plus vaste et il est maintenant admis que ces hormones stéroïdes exercent en fait des effets pléiotropes, sur le système cardiovasculaire, le système nerveux central mais également dans la régulation du métabolisme énergétique et certaines fonctions métaboliques, avec des interconnexions parfois mal comprises ou non encore élucidées. Cela est d’autant plus important que les œstrogènes ne sont pas l’apanage de la population féminine. Si l’observation de Bernhard Zondek en 1934 chez l’étalon fut considérée comme une curiosité scientifique (1), nous savons maintenant depuis près de trente ans que les œstrogènes présents au niveau du testicule sont produits par l’aromatisation in situ des androgènes synthétisés par la cellule de Leydig et sont mesurés à des concentrations parfois très supérieures à celles observées au niveau plasmatique chez la femme (2).
*Service d’endocrinologie-diabétologie & médecine de la reproduction, hôpital de l’Archet 2, CHU de Nice ; UMR INSERM U1065/UNS, C3M – Bâtiment Archimed, Nice chevalier.n@chu-nice.fr
Figure 1 – Différents tissus cibles des œstrogènes chez l’homme et la femme.
Les œstrogènes et leurs récepteurs Nature des récepteurs
Le 17β-œstradiol (E2) est la forme majoritairement produite par l’organisme et la forme la plus active, ses deux métabolites (l’estrone E1 et l’estriol E3) n’exerçant qu’une action tissu-spécifique minoritaire (3). Comme pour les autres hormones stéroïdiennes, les œstrogènes exercent leurs actions au niveau cellulaire en interagissant avec des récepteurs nucléaires. Ces récepteurs agissent comme des facteurs de transcription en modulant l’expression de gènes cibles et appartiennent à la superfamille NR3A des récepteurs nucléaires, dont ils partagent la structure protéique commune, hautement conservée, composée de trois domaines fonctionnels
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indépendants mais interagissant entre eux : - le domaine NH2-terminal (ou domaine A/B), variable ; - le domaine de liaison à l’ADN (ou domaine C), très conservé ; - le domaine COOH-terminal de liaison du ligand (ou domaine E/F), extrêmement complexe, composé d’un enchaînement de douze hélices α et deux brins β antiparallèles (3, 4). On distingue actuellement deux récepteurs nucléaires aux œstrogènes : ERα, décrit à la fin des années 1950 par Elwood Jensen (3, 5), et ERβ, cloné en 1996 par l’équipe de Jan-Åke Gustafsson (6). Ces deux récepteurs sont codés par deux gènes distincts, respectivement ESR1 et ESR2, localisés sur les chromosomes 6 (6q25.1 ; 8 exons ; 140 kb) et 14 (14q23.2-q23.3 ; 8 exons, 40 kb), mais gardent une structure relati245
à savoir
vement proche. Chacun d’eux présente des isoformes, générées par épissage alternatif ou promoteur cryptique, dont l’expression est variable selon les tissus et les stades du développement, ce qui explique l’immense variété des effets possibles des œstrogènes (Fig. 1, Tab. 1).
Activation des récepteurs
Ces récepteurs nucléaires sont en fait présents dans le cytoplasme des cellules, sous forme inactive en raison d’une liaison à des protéines chaperonnes, comme les protéines de choc thermique hsp90 et hsp70. Une fois l’hormone liée, le récepteur va être transloqué de manière active au niveau nucléaire tout en subissant un changement de conformation et une modification de son état de phosphorylation, permettant ainsi sa
Tableau 1 - Exemples de pathologies impliquant les récepteurs nucléaires des œstrogènes ERα et/ou ERβ. Cancer du sein, cancer de l’endomètre, cancer du testicule Maladies cardiovasculaires Ostéoporose, rhumatismes inflammatoires Maladie d’Alzheimer Cancer du côlon, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Cancer du poumon
des conjugués de l’œstradiol ne traversant pas la membrane plasmique, suggérant donc l’existence de récepteurs membranaires recrutant des voies de signalisation diverses (8) : MAP kinases, PI3kinase, AMPc, GMPc, calcium... La nature du ou des récepteurs impliqués dans ces effets rapides reste ambiguë (3, 7). Il pourrait s’agir des récepteurs ERα et ERβ
L’hypothalamus est un élément fondamental dans le contrôle de la prise alimentaire, de la dépense énergétique, et donc du poids. dimérisation, étape indispensable pour qu’il puisse interagir avec la molécule d’ADN en se fixant sur des séquences palindromiques de l’ADN génomique (appelées ERE, pour Estrogen Response Elements) et moduler positivement ou négativement l’expression des gènes cibles (3).
Effets non génomiques des œstrogènes
Plus récemment, des travaux ont mis en évidence des effets cellulaires induits par les œstrogènes beaucoup plus rapidement, de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes, donc incompatibles avec une modulation d’expression génique (7). Ces effets, appelés également effets non génomiques des œstrogènes, sont en particulier observés avec 246
puisqu’on estime que 5 à 10 % de leur contenu cellulaire sont localisés à la membrane, associés le plus souvent aux radeaux lipidiques, avec une prépondérance d’ERα, notamment de son isoforme tronquée ERα-46 (8-11). D’autres récepteurs sont également suggérés, comme les ERRα, β et γ (pour Estrogen Related Receptors) (12), ou plus récemment ERx (13). De manière plus formelle, un récepteur orphelin couplé aux protéines G (GPR30, ou GPER pour G-Protein related Estrogen Receptor), initialement identifié dans des cellules cancéreuses mammaires, a été impliqué dans les effets non génomiques des œstrogènes (14), qu’il agisse seul ou en association avec une forme complète ou tronquée d’ERα (3, 15).
Œstrogènes et dépense énergétique Les œstrogènes jouent un rôle dans le métabolisme
Au-delà de leur rôle bien documenté dans la mise en place et le maintien des fonctions reproductives, il semble évident, ne serait-ce qu’en observant le dimorphisme sexuel existant entre hommes et femmes, que les œstrogènes jouent un rôle dans le métabolisme. Jean Vague avait d’ailleurs bien montré en 1956 que l’homme présente plus volontiers une accumulation de graisse abdominale, périviscérale, de mobilisation rapide mais à fort impact métabolique, alors que la femme présente plutôt une accumulation de graisse sous-cutanée au niveau des hanches, destinée au stockage et ayant un faible impact métabolique, phénotype qui disparaît après la ménopause (16-17). Il est très probable que les œstrogènes exercent leur rôle essentiellement par ERα, puisque seules les souris invalidées pour ERα sont obèses alors que les souris ERβKO ont un phénotype métabolique normal (17).
Contrôle du poids
L’hypothalamus représente un élément fondamental dans le contrôle de la prise alimentaire et de la dépense énergétique, et
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Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne
donc dans le contrôle du poids. Ainsi, une lésion du noyau ventromédian ou de la partie latérale de l’hypothalamus peut induire une obésité par augmentation majeure de la prise alimentaire et diminution de la dépense énergétique (17-19). Les études d’immuno-histochimie ont confirmé l’existence d’une expression hypothalamique des récepteurs aux œstrogènes, prépondérante pour ERα, en particulier par les neurones sécrétant la pro-opiomélanocortine (POMC) situés dans le noyau arqué et qui conditionnent un effet catabolique en diminuant la prise alimentaire et en augmentant la dépense énergétique. L’activité électrique de ces neurones est directement corrélée à la concentration plasmatique en œstradiol et varie donc de manière physiologique au cours du cycle menstruel, expliquant les variations observées sur le poids et la prise alimentaire. L’action des œstrogènes est rapide et fait intervenir une forme membranaire de ERα, et probablement un récepteur couplé aux protéines G non encore identifié (GPR30 ?) (17, 20).
Distribution du tissu adipeux et régulation de la dépense énergétique
Les neurones du noyau ventromédian expriment également ERα. Par ce biais, les œstrogènes jouent un rôle essentiel dans la distribution du tissu adipeux et la régulation de la dépense énergétique, avec pour intermédiaire le facteur de transcription SF1 (Steroidogenic Factor 1) (17, 21-22). Par ailleurs, ERα est coexprimé avec les récepteurs à leptine au niveau des noyaux arqué et ventromédian (23) et pourrait ainsi permettre d’augmenter la sensibilité centrale à la leptine (17).
Figure 2 – Effets hypothalamiques des œstrogènes sur la régulation de la balance énergétique. Figure adaptée de (17).
Figure 3 – Rôle des œstrogènes dans la balance énergétique et pathologies potentiellement induites en cas de pathologie de la fonction ovarienne. D’après Veiga-Lopez A. Endo Meeting 2013, San Francisco.
Anomalie de la fonction gonadique
Le rôle central des œstrogènes n’est cependant pas limité aux seuls noyaux hypothalamiques, puisque les récepteurs ERα et GPR30 sont exprimés dans la quasi-totalité du tissu cérébral, avec des interactions complexes avec les neurones sécrétant le neuropeptide Y (qui est un peptide anabolique), mais également au niveau du nerf vague, pouvant
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ainsi interférer avec la satiété via la régulation de la cholécystokinine (17, 24) (Fig. 2). Tous ces effets expliquent donc qu’une anomalie de la sécrétion œstrogénique, et plus généralement de la fonction gonadique, est capable d’interférer avec la balance énergétique et donc d’induire un certain nombre de pathologies métaboliques, comme l’obésité, le syndrome métabolique, le diabète sucré et la stéatose hépatique (17) (Fig. 3). 247
à savoir
Le métabolisme glucidique : un lien avec la perturbation endocrinienne ?
finir a priori les effets potentiels d’une substance (26-27).
Définition et mécanismes d’action des perturbateurs endocriniens
Parmi les perturbateurs endocriniens, on distingue de nombreuses substances à activité œstrogéno-mimétique, parmi lesquelles le bisphénol A (ou BPA) et le diéthylstilbestrol (ou DES), deux composés œstrogéniques isolés respectivement en 1891 par Alexandre P. Dianin et en 1938 par
C’est en 1962 que Rachel Carson alerte pour la première fois l’opinion publique en rapportant un effondrement drastique de la population d’aigles sur le campus de son université américaine en rapport avec l’utilisation de DDT, qui sera finalement banni en 1973. Il faudra néanmoins attendre la conférence de Wingspread en juillet 1991 pour voir naître le terme de perturbateurs endocriniens (ou EDC, pour Endocrine-Disrupting Compounds) (25). Actuellement, on appelle perturbateur endocrinien toute substance chimique d’origine naturelle ou artificielle étrangère à l’organisme capable d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien (synthèse, stockage, sécrétion, transport, métabolisme, liaison et/ou élimination) et ainsi induire des effets délétères sur l’individu et/ou sa descendance. Un perturbateur endocrinien peut utiliser des récepteurs hormonaux nucléaires classiques mais, le plus souvent, fait intervenir des modes d’action beaucoup plus complexes avec des récepteurs membranaires, des récepteurs non nucléaires mais également des récepteurs orphelins et différentes voies de signalisation enzymatique. Ainsi, un perturbateur endocrinien est défini in fine par un ou plusieurs mécanismes d’action et non pas par l’effet nocif potentiellement induit ou par ses propriétés physico-chimiques toxicologiques, ce qui explique pourquoi il est très difficile de dé248
Bisphénol A et diéthylstilbestrol
pathologie humaine (29). Compte tenu d’une plus faible affinité pour les récepteurs nucléaires classiques aux œstrogènes, les effets du BPA sont plus difficiles à appréhender car dépendent directement de la dose et de la fenêtre d’exposition, mais également des tissus cibles et des voies de signalisation engagées. Des travaux récents de l’équipe d’Angel Nadal ont néanmoins démontré un rôle majeur du BPA dans la perturbation du métabolisme glucidique. L’ex-
Des travaux récents de l’équipe d’Angel Nadal ont démontré un rôle majeur du BPA dans la perturbation du métabolisme glucidique. Sir Charles Dodds dans le but de traiter les carences œstrogéniques (26). Compte tenu de sa forte activité œstrogénique, le DES a été privilégié, avec les suites que l’on connaît tous (28). Le BPA a, quant à lui, été oublié jusque dans les années 1960 où l’industrie plastique l’a redécouvert compte tenu de sa capacité à polymériser de manière rapide et solide. C’est ainsi le constituant majoritaire de tous les revêtements plastiques (PVC), films de conserves, ciments dentaires, résines époxydes... d’où une exposition ubiquitaire de la population à des doses faibles, mais quantifiables (26).
Leurs effets délétères
Si l’activité délétère du DES au cours de la programmation fœtale a été largement démontrée (et a d’ailleurs conduit à son retrait du marché), des travaux récents menés chez la souris ont montré qu’une exposition fœtale au DES conduisait également au développement d’une obésité abdominale associée à une insulinorésistance à l’âge adulte, tableau proche du syndrome métabolique observé en
position fœtale de rates gestantes à du BPA (à des concentrations similaires à celles observées dans la population générale) induit ainsi, dans la descendance, une obésité abdominale associée à un état d’insulinorésistance, comme observé en cas d’exposition fœtale au DES (30). Au niveau de la cellule bêta-pancréatique, le BPA est en fait capable de stimuler la synthèse d’insuline et de favoriser sa libération de manière glucosedépendante, respectivement via les récepteurs ERα et GPR30, présents à la membrane de la cellule bêta-pancréatique (17, 3132), tout en induisant, à terme, un état d’insulinorésistance (33). Si les résultats des études animales sont nombreux et illustratifs, les études épidémiologiques sont beaucoup plus rares. L’une des plus illustratives confirmant l’effet délétère du BPA sur le métabolisme glucidique est certainement l’analyse des données du NHANES 2003-2008 (National Health and Nutrition Examination Survey) : en effet, les patients présentant un diabète de type 2
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Œstrogènes, métabolisme et perturbation endocrinienne
avaient des taux de BPA urinaire significativement plus élevés, y compris après ajustement sur l’indice de masse corporelle (OR = 3,17 et 1,56 après ajustement ; p = 0,03 et 0,01 respectivement) (34-35), suggérant donc un rôle du BPA comme agent obésogène et diabétogène (33, 36).
Conclusion
Plus que jamais, l’incidence du syndrome métabolique, de l’obésité et du diabète de type 2 ne cesse de croître. Néanmoins, les modifications des habitudes alimentaires n’expliquent peut-être pas à elles seules l’ensemble des
anomalies cellulaires observées, en particulier dans la régulation fine de la sécrétion et de la fonction de l’insuline. Les perturbateurs endocriniens à activité œstrogénique, comme le bisphénol A, dont l’exposition est ubiquitaire, sont capables d’interagir avec les récepteurs des œstrogènes, classiques et non classiques, présents au niveau de l’hypothalamus et de la cellule bêta-pancréatique, et peuvent donc perturber la régulation de la balance énergétique et de la sécrétion insulinique. Ils constituent à ce titre une nouvelle piste pour mieux comprendre la genèse d’une épidémie métabolique. n
Mots-clés : Œstrogènes, Métabolisme, Perturbateurs endocriniens, Bisphénol A
À retenir Un perturbateur endocrinien est une substance chimique, d’origine naturelle ou artificielle, étrangère à l’organisme, capable d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et d’induire des effets délétères sur l’individu et/ou sa descendance.
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