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L’observation Source de la connaissance médicale n Une des principales révolutions de la science médicale, survenue au XXe siècle, est d’avoir fait des essais thérapeutiques contrôlés l’outil indispensable d’évaluation de l’effet des thérapeutiques. Par quels moyens les médecins ont-ils envisagé ou envisagent-ils qu’un traitement est efficace ? Il y a plusieurs moyens pour être convaincu qu’un traitement est efficace. Ces raisons rejoignent la typologie proposée par Peirce concernant les sources de la connaissance.

Dr François Diévart*

L’observation clinique et ses limites

Un premier moyen par lequel il pourrait être possible de connaître l’effet d’un traitement est l’observation : ce patient a un symptôme, j’applique ce traitement et le patient est soulagé. L’observation simple me permet donc de démontrer l’effet du traitement.

Mais, ce moyen, par lequel il est supposé pouvoir connaître l’effet d’un traitement, pose au moins trois types de problèmes qui en constituent des limites majeures. 1. Comment juger, par ce moyen, de l’effet d’un traitement qui n’agit pas sur des symptômes perceptibles et modifiables (et dont la modification est quantifiable), mais qui agit sur la réduction d’un risque, comme par exemple, celui d’infarctus du myocarde ? L’observation clinique ne permet pas d’évaluer ce type d’effet. 2. Comment être sûr que, lorsqu’un effet est observé, c’est bien le traite* Cardiologue, Clinique Villette, Dunkerque

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Les limites de l’observation simple

Sans systématisation ou répétition, l’observation ne serait que de peu de valeur, elle n’aurait qu’une valeur anecdotique.

ment qui en a été la cause ? 3. Comment, si un traitement a un effet indésirable, juger de son rapport bénéfice-risque à partir de quelques observations, sachant les limites exposées au point 2 ?

Multiplication, Fréquence, systématisation…

Pour certains, ces limites peuvent être compensées par la multiplication des observations, par leur fréquence et leur systématisation, leur

comptabilisation et comparaison. Sinon, l’observation ne serait que de peu de valeur, elle n’aurait qu’une valeur anecdotique. L’observation anecdotique ne permet en effet pas de répondre aux questions suivantes : les symptômes ont disparu chez combien de patients ? Auraientils disparu spontanément sans le traitement ? Auraient-ils disparu plus vite avec un autre traitement ? Avec un placebo ? Or, la multiplication d’observations anecdotiques, si Repères en Gériatrie • Mai 2013 • vol. 15 • numéro 126


L’observation

elle permet une certaine quantification de l’effet, ne rend pas plus pertinente l’observation. De même que sa comparaison à des patients non traités ou traités différemment et/ou à des séries antérieures dites “historiques” ne permet pas de quantifier un effet thérapeutique.

Quelles raisons ?

En effet, la question majeure que ne résout pas l’observation est la suivante : un patient a un symptôme (par exemple une douleur), je lui administre un traitement x, il est soulagé : pourquoi ? Les raisons de l’effet constaté sont multiples. ❚❚L’effet temps Le soulagement peut être spontané. La douleur a disparu, par coïncidence, peu après l’administration du traitement, et elle aurait disparu sans l’administration d’un traitement ou avec l’administration d’une gélule pleine de farine. ❚❚L’effet patient La réceptivité du patient influe sur l’effet qui sera produit. Ainsi, un patient pouvait être anxieux et donc particulièrement réceptif à une prise en charge médicale, celle-ci, en diminuant son angoisse, a diminué ses symptômes. ❚❚L’effet médecin Le médecin peut influencer l’effet du traitement par la relation qu’il établit avec le patient. Cette influence peut résulter pour partie de l’effet patient mais aussi de la façon dont le médecin a pris en charge ce dernier. Avec quelle façon de s’exprimer pensez-vous qu’il a une plus grande probabilité de soulager un patient ? En disant : « Monsieur je sais que vous avez mal, je sais moi aussi ce que c’est d’avoir mal et j’ai récemment essayé ce nouveau traitement qui Repères en Gériatrie • Mai 2013 • vol. 15 • numéro 126

a été rapidement efficace sur moimême. Aussi, pour votre douleur, je vais vous donner ce nouveau traitement, il est très efficace et issu de la recherche de pointe » ou en disant « écoutez, ce n’est pas si grave. Bon, pour votre dou-

faillible et que ce qui vient d’être dit contredit le bon sens clinique. D’une part, il leur reste à définir ce qu’est le bon sens clinique si souvent mis en avant quand l’argument à visée scientifique vient contredire l’impression, et d’autre

« Il est dangereux de se baigner trois heures après avoir mangé des champignons vénéneux. » François Cavanna leur, voyons ce que l’on peut faire. Hum… vous allez essayer ce petit traitement, pas nocif, et si vous avez encore mal, ce qui est possible, revenez me voir, nous essaierons un traitement plus fort »…

part, il reste à expliquer quelquesuns des faits qui seront présentés plus loin.

❚❚L’effet placebo S’il est encore incompris et discuté quant à sa réalité propre, car il pourrait résulter pour partie au moins des effets précédents, il est en tout cas en cause dans l’effet d’un traitement.

Prenons un exemple trivial. Qu’estce qui, parmi toutes les données d’observation que je peux faire quotidiennement, me permettrait de penser que la Terre est ronde ? Prétendre que la Terre n’est pas plate est contre-intuitif, cela est même paru comme une hérésie, en Europe, et il n’y a pas si longtemps. Tout montre en effet que la Terre est plate. Personnellement, habitant Dunkerque, par beau temps (presque tous les jours donc), lorsque je me promène sur la plage (presque tous les jours…) je peux voir les côtes anglaises. C’est bien la preuve que la terre est plate : si elle était ronde, je ne les verrais pas. Qu’est-ce qui a donc permis de penser, puis de me faire croire, que la Terre est ronde ?

❚❚Enfin, l’effet du traitement Ce que l’on souhaite en proposant un traitement c’est que celui-ci soit réellement efficace mais il n’est pas possible de le savoir, tant l’évolution d’un symptôme dépend des effets précédemment cités. ❚❚Effets parasites Ces effets, différents de l’effet du traitement, peuvent donc influencer l’effet produit par l’administration d’un médicament, et ce, jusqu’à rendre efficace un traitement dénué d’effet thérapeutique spécifique. Ils ne permettent pas, par la seule observation, de déterminer le réel effet d’un traitement. Ils sont appelés “effets parasites de l’effet thérapeutique”. Certains objecteront toutefois et encore que l’observation est in-

Qu’est-ce que le bon sens ?

Argumenter

D’une part, une argumentation plus sophistiquée que le caractère a priori évident que celui d’une Terre plate : les choses peuvent donc être différentes de ce qu’elles semblent être. Cette argumentation a reposé sur des modèles 109


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mathématiques, puis sur la vérification de la valeur de ces modèles par des observations spécifiquement conduites pour en évaluer la valeur. Enfin, au XXe siècle, elle s’est basée sur la vérification “objective”, en s’en éloignant de la sphéricité de la Terre. Il est à noter qu’il n’a pu être possible de s’en éloigner suffisamment que parce que le modèle selon lequel la Terre est ronde a permis de prédire le moyen de s’en éloigner et d’y revenir : le modèle a précédé son application qui n’a fait que confirmer la valeur de celui-ci. En d’autres termes, l’observation sensorielle valide est postérieure à l’élaboration du modèle, l’observation sensorielle préalable, quant à elle, ne faisait qu’indiquer que la Terre est plate.

L’argument d’autorité, l’argument scientifique

Qu’est-ce qui, à mon niveau m’a convaincu que la Terre est ronde ? D’abord l’argument d’autorité parce que cela m’a été enseigné, par le prisme de la croyance établie, par mes enseignants, puis à un certain stade des études par la démonstration mathématique de cette réalité. Cette connaissance a donc d’abord été une croyance, que l’argument scientifique a renforcée.

Quelques exemples des effets parasites de l’effet thérapeutique dans la pratique médicale

Revenons à la médecine. Admettons que l’effet temps puisse expliquer une partie de l’effet observé. Mais la durée des symptômes est différente chez les divers patients que je traite. Or, lorsque j’administre ce traitement, je m’aperçois bien que la diminution des symptômes est assez rapide, et donc 110

que la coïncidence de l’effet temps ne peut pas jouer à tous les coups. A force d’utiliser ce traitement et d’observer ce qui se passe, j’ai maintenant une expérience assez solide de l’effet qu’il produit. Les trois exemples qui suivent vont démontrer en quoi ce raisonnement est faillible. Ils doivent inciter à considérer l’expérience clinique comme très relative et limitée.

Effet de la présence du médecin sur l’effet du traitement

L’exemple cité ici va démontrer l’influence de la relation entre le médecin et le patient sur l’effet obtenu par un traitement. Une des plus belles preuves de ce qui est qualifié d’effet parasite à l’effet du traitement a été apportée dans deux études différentes. ❚❚Traités à leur insu Si, dans ces deux études, le traitement évalué était différent, l’élément commun à ces deux études était que les patients étaient inclus dans une même circonstance cli-

patients d’évaluer, sur une échelle de 1 à 10, l’intensité de la douleur ressentie en post-opératoire et ce, à intervalle de temps régulier. Donc, deux groupes de patients reçoivent exactement le même traitement dans les mêmes circonstances cliniques et au même moment, la seule chose qui diffère entre les deux groupes comparés est que, dans un cas le traitement est administré/injecté sans que le patient ne le sache, alors que dans l’autre, il est administré par l’équipe médicale qui informe le patient de l’injection du traitement. ❚❚Traiter caché est moins efficace Qu’ont constaté ces deux études (Fig. 1) ? La douleur a significativement diminué dans les groupes ayant reçu l’injection sous forme ouverte alors qu’elle n’a pas été modifiée lorsque le traitement a été administré sous forme masquée. Le fait d’administrer le traitement en indiquant qu’il est administré et en présence d’un personnel de soins est donc plus

« Si un homme a une grande idée de lui-même, on peut être sûr que c’est la seule grande idée qu’il ait jamais eue dans sa vie. » Alphonse Esquirol nique (douleurs post-opératoires), et étaient randomisés soit pour avoir une injection dite “ouverte” de l’antalgique (groupe open injection), l’infirmier et/ou le médecin leur annonçait qu’il effectuait l’injection, soit pour recevoir une injection automatique et à leur insu du même traitement, à la même dose, à la même heure… et donc, sans que le patient en soit informé (groupe hidden injection). Dans les deux études, il a été demandé aux

efficace que le fait d’administrer un traitement systématiquement et de façon cachée, alors que les symptômes sont identiques et les patients comparables. Dans les deux études, et dans les heures suivant l’injection, la douleur a diminué de plus de moitié chez les patients qui en ont été informés concomitamment à l’injection, alors qu’elle n’a pas été modifiée chez ceux ayant reçu le même traitement sans le savoir. Est-ce l’effet Repères en Gériatrie • Mai 2013 • vol. 15 • numéro 126


L’information du patient sur les effets indésirables en influence-t-il la survenue ?

L’exemple suivant va montrer qu’un effet indésirable a d’autant plus de probabilité de survenir qu’un patient connaît les effets indésirables d’un traitement et plus encore s’il en est informé par le médecin. ❚❚Un effet suggéré… Dans cette étude parue en 2003, 96 hommes de 52 ans, sans dysfonction érectile rapportée, ont été inclus afin de recevoir, pour une raison cardiovasculaire, un traitement bêtabloquant (le même et à la même dose chacun). Ils ont été randomisés en trois groupes : le premier groupe a reçu le bêtabloquant sans savoir que c’était un bêtabloquant, le second groupe a reçu le bêtabloquant en étant informé qu’il s’agissait d’un bêtabloquant et le troisième groupe a reçu le bêtabloquant en étant informé qu’il s’agissait d’un bêtabloquant et que ce type de traitement pouvait entraîner des dysfonctions érectiles. Repères en Gériatrie • Mai 2013 • vol. 15 • numéro 126

A

10

8

Intensité de la douleur (NRS)

B

Metamizol

Injection en ouvert Injection cachée

6

4 2

0 10

0

1

2

3

4

6

5

7

Buprenorphine Injection en ouvert

8

Injection cachée

6

4 2

0 0

1 Injection

2

3

4

Heures

5

6

7

Figure 1 - Résultats de deux études ayant comparé l’effet d’un traitement antalgique en post-opératoire, proposé à la même dose et au même moment à des patients randomisés pour recevoir le traitement en en étant informé lors de l’injection ou sans en être informé.

35 % de patients rapportant une dysfonction érectile

patient ou l’effet médecin qui a été quantifié par ces études, difficile à dire, en tout cas, l’hypothèse de l’existence d’un effet parasite à l’effet thérapeutique en est fortement confortée. Ce qui impressionne dans cette étude, c’est qu’il y a une diminution significative des symptômes après l’injection du traitement antalgique dès lors que le patient en est informé : cet élément montre bien que le bon sens clinique consistant à affirmer « qu’un traitement est efficace parce que j’ai pu le constater de moi-même chez une majorité de patients » n’a aucune valeur quant à l’effet spécifique du traitement. Dans ces deux études, c’est l’information sur l’injection du traitement qui est efficace et non le traitement en lui-même.

Intensité de la douleur (NRS)

L’observation

P < 0,01

30 25 20 15

P < 0,05

10 5 0

Figure 2 - Incidence de la dysfonction érectile rapportée 90 jours après le début d’un traitement bêtabloquant comparant par randomisation trois groupes de patients : l’un ne connaissant pas le traitement prescrit (gris foncé), le deuxième connaissant le traitement prescrit (noir) et le troisième connaissant le traitement prescrit et ses éventuels effets indésirables sur la fonction érectile (gris clair).

Que croyez-vous qu’il arriva 90 jours plus tard lorsque les patients furent interrogés sur la survenue éventuelle d’une dysfonction érectile depuis la mise en route du traitement (Fig. 2) ?

❚❚Un effet observé Une dysfonction érectile a été rapportée chez 3,1 % des patients ne connaissant pas la nature du traitement prescrit, chez 15,6 % des patients connaissant la nature du 111


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traitement prescrit (soit 5 fois plus, avec une différence significative par rapport au groupe précédent) et chez 31,2 % par des patients ayant été informés des effets indésirables potentiels (soit 10 fois plus que dans le groupe contrôle, toutes différences étant significatives entre les différents groupes).

Peut-il en être de même pour le traitement chirurgical, notamment de l’angor ?

Un autre exemple, historique et démonstratif, de la dilution de l’effet thérapeutique par des effets parasites, c’est-à-dire dans les modalités de prise en charge des patients, est celui du traitement de l’insuffisance coronaire par la ligature des artères mammaires internes. ❚❚Traiter l’angor par ligature des artères mammaires Au début des années 1950, en s’appuyant sur un modèle théorique et des données issues de l’expérimentation animale préalable, il a été proposé de traiter l’angor par la ligature de la partie distale des artères mammaires internes. Le principe était que la ligature des artères mammaires internes permet une dérivation du sang de ces artères mammaires vers des collatérales irriguant le myocarde et ce principe était corroboré par les études animales. Plus encore, il était soutenu par l’observation qu’avaient faite les promoteurs de cette technique qu’il y avait une amélioration quantifiable, clinique (moins de douleurs) et pa-

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En synthèse : une leçon d’humilité Ainsi, l’observation simple peut être prise en défaut lorsqu’il s’agit notamment d’évaluer l’effet d’un traitement. Il est d’ailleurs possible qu’un biais cognitif dénommé biais de confirmation d’hypothèse explique en quoi l’observation est faillible. En tout cas, admettre la valeur limitée de l’expérience et de ce qui est appelé le ‘bon sens” est une leçon d’humilité pour le médecin, qui a parfois des difficultés à s’y résoudre. Comment en effet comprendre et plus encore admettre que ce qui est observé n’est pas adapté à produire une vérité. En l’occurrence à renseigner sur l’efficacité réelle des traitements prescrits.

raclinique objective (plus grande capacité d’effort) des patients qui avaient eu cette opération. Celle-ci était alors surtout utilisée aux USA et en Italie. Mais, le 28 mai 1959, Léonard A. Cobb et al. publiaient, dans le New England Journal of Medicine, un essai thérapeutique contrôlé qui allait montrer que le bénéfice de cette technique résultait probablement du mode de prise en charge des patients (intervention chirurgicale) et non du traitement lui-même. Celuici pouvant même être moins efficace qu’une simple thoracotomie.

❚❚Quelles observations ? Et que fut-il constaté ? La capacité moyenne d’exercice a été améliorée dans les deux groupes comparés, en post-opératoire par rapport à la période pré-opératoire, mais, de façon paradoxale, le résultat a été meilleur chez ceux n’ayant pas eu la ligature des artères mammaires… Et, la diminution postopératoire de la consommation hebdomadaire de tablettes de dérivés nitrés a été de 34 % dans le groupe ayant eu la ligature des artères mammaires et de 42 % dans le groupe ne l’ayant pas eue… n

En effet, Cobb et al. conduisirent un essai thérapeutique contrôlé dans lequel les 118 patients inclus ont eu une effraction thoracique chirurgicale. Mais, la moitié n’a eu que l’effraction, objectivée par une cicatrice post-opératoire, alors que l’autre moitié a eu une ligature des artères mammaires selon la méthode préconisée par les tenants de la technique et en sus de l’effraction thoracique.

Correspondance Dr François Diévart Clinique Villette 18 rue Parmentier 59941 Dunkerque E-mail : fdcardio@free.fr

Mots-clés : Thérapeutique, Observation clinique, Effets indésirables, Biais, Information du patient, Cardiologie, Vérité

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