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cas clinique

Le syndrome d’Ogilvie en gériatrie Une maladie fréquente chez les polymédicamentés n

Une femme âgée de 87 ans est adressée en court séjour gériatrique pour déshydratation

sévère dans un contexte de diarrhée récente. Les explorations mettent en évidence un tableau de pseudo-obstruction colique aiguë (syndrome d’Ogilvie) d’origine plurifactorielle. Ce cas clinique illustre l’importance de ne pas méconnaître le syndrome d’Ogilvie dont la fréquence chez le sujet âgé fragile et polypathologique, expose au risque de perforation colique potentiellement fatale. Il rappelle les principaux aspects diagnostiques et modalités thérapeutiques.

Dr Frédéric Pamoukdjian*, Dr Salah Kharchi*, Dr Véronique François*

Observation

distendu mais souple, dépressible et indolore sans masse palpable. Le reste de l’examen clinique était sans particularité en dehors d’une désorientation spatio-temporelle à vigilance conservée. Les explorations biologiques d’entrée objectivaient une hypokaliémie à 2,8 mM ainsi qu’une natrémie à 147 mM. Le bilan hépatique révélait une cytolyse avec ASAT à 52 UI/l et ALAT à 51 UI/l associée à une cholestase avec phosphatases alcalines à 130 UI/l et gamma GT à 61 UI/l. Il n’y avait pas de syndrome inflammatoire et la créatininémie était dans les limites de la normale. L’échographie abdominale retrouvait une lithiase biliaire non compliquée sans autres anomalies digestives. L’évolution en soins de suite était marquée par l’arrêt du transit intestinal ayant nécessité la réalisation d’une radiographie abdominale sans préparation (ASP) qui objectivait une importante distension intestinale diffuse associée à

Une femme âgée de 87 ans est adressée dans le service de court séjour gériatrique pour déshydratation sévère dans un contexte de diarrhée récente étiquetée gastro-entérite aiguë virale par le médecin traitant et traitée par racécadotril. La natrémie dosée aux urgences était à 152 mM et la kaliémie à 3,4 mM. Ses antécédents sont marqués par une maladie d’Alzheimer stade sévère (MMSE à 5/30), une hypertension artérielle, une cécité de l’œil gauche et la découverte récente d’une masse pulmonaire du lobe supérieur droit suspect de malignité avec fixation au PETscan pour laquelle une abstention diagnostique et thérapeutique est retenue. A l’entrée, l’examen clinique révélait un fébricule à 37,9 °C sans point d’appel infectieux, un abdomen

* Service de court séjour gériatrique, pavillon Rabelais, hôpital René Muret (GHU Paris nord, APHP), Sevran, France

Repères en Gériatrie • Mai 2013 • vol. 15 • numéro 126

Figure 1 - Radiographie abdominale sans préparation.

de nombreux niveaux hydro-aériques (Fig. 1), contrastant avec un état général conservé, l’absence de vomissements et la conservation de la fonction rénale. Un traitement par baclofène avait été introduit dans l’intervalle en rai97


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son de la constatation de rétractions tendineuses douloureuses. La kaliémie initialement normalisée s’était de nouveau abaissée à 3,4 mM et l’état d’hydratation restait conservé. Cliniquement, la patiente présentait une distension abdominale majeure avec retentissement respiratoire (désaturation en air ambiant) et augmentation des bruits hydroaériques mais conservant un abdomen souple, sans défense ni contracture. Le scanner abdominal non-injecté confirmait la distension colique diffuse sans obstacle ni masse visible. Devant la suspicion de syndrome d’Ogilvie, un traitement symptomatique associant la pose d’une sonde rectale et la prescription d’anticholinestérasiques (pyridostigmine) permettait une reprise du transit intestinal dans un premier temps avec réduction de la distension abdominale et disparition des niveaux hydroaériques à l’ASP. Une récidive est survenue dans les suites de la débacle diarrhéique induite ayant entretenu l’hypokaliémie. Devant la survenue d’un encombrement bronchique sous pyridostigmine avec surinfection bronchique et les difficultés de réaliser une colo-exsufflation compte tenu de la sévérité des troubles cognitifs et de l’état général de la patiente, la pose discontinue d’une sonde rectale à demeure était préconisée.

Discussion Définition, physiopathologie

La pseudo-obstruction colique aiguë, appelée syndrome d’Ogilvie, est définie par une distension colique majeure réalisant un syndrome occlusif sans obstacle mécanique. 98

La prévalence exacte est inconnue mais ce syndrome représenterait près de 20 % des cas d’occlusion intestinale et touche les hommes âgés de plus de 60 ans dans deux tiers des cas (1). L’hypothèse physiopathologique prévalente dans la littérature n’a jamais été démontrée et repose sur un déséquilibre de l’innervation digestive autonome parasympathique (2).

Etiologies

La plupart des causes associées au syndrome d’Ogilvie sont résumées dans le tableau 1. Parfois aucune cause (idiopathique) n’est retrouvée (1, 3, 4).

Diagnostic

Le tableau clinique réalise un syndrome occlusif d’installation rapide avec un arrêt du transit intestinal, des douleurs et une distension abdominale, des nausées et/ ou vomissements postprandiaux. L’examen révèle en l’absence de complications, un abdomen tympanique et distendu avec réduction ou abolition des bruits hydro-aériques. Une radiographie abdominale sans préparation (ASP) objective la distension abdominale avec aérocolie touchant essentiellement le côlon proximal et recherche une éventuelle perforation colique. Le diagnostic reposera sur l’absence

Tableau 1 – Etiologies du syndrome d’Ogilvie. Métaboliques

• Troubles hydroélectrolytiques (hypokaliémie, hyponatrémie, hypocalcémie, hypophosphatémie, hypomagnésémie) • Insuffisance d’organe (respiratoire, hépatique, rénale) • Consommation excessive d’alcool

Médicaments

• Opiacés • Sédatifs (benzodiazépines) • Antidépresseurs (tricycliques) • Inhibiteurs calciques • Antiparkinsoniens • Phénothiazines • Baclofène • Clonidine

Infections

• Sepsis sévère (bactéries à gram négatif ) • Pneumopathie • Cholécystite aiguë • Pancréatite aiguë • Abcès pelvien • Virus du groupe herpès (HSV, VZV, EBV, CMV)

Neurologiques

• Maladie de Parkinson • Maladie d’Alzheimer • Sclérose en plaques • Myélopathie basse

Cardiovasculaires • Etat de choc • Infarctus du myocarde • Insuffisance cardiaque congestive Néoplasie

• Leucémie • Tumeur rétropéritonéale • Radiothérapie ou néoplasie pelvienne

Postopératoires

• Transplantation rénale • Chirurgie pelvienne ou de la hanche

Autres

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le syndrome d’ogilvie en gériatrie

d’obstacle mécanique objectivé soit par un lavement aux hydrosolubles (Gold Standard), soit par la réalisation d’un scanner abdominal noninjecté (qui offre l’avantage d’une meilleure disponibilité), affirmant le caractère pseudo-obstructif. La place de la coloscopie à visée diagnostique (absence d’obstacle, biopsie colique) et thérapeutique (exsufflation d’air) à la phase aiguë n’est pas codifiée, les difficultés de réalisation en gériatrie étant le principal facteur limitant (1, 3, 5). Les diagnostics différentiels chez le patient âgé hospitalisé ou institutionnalisé sont l’obstacle digestif mécanique et surtout le mégacôlon toxique à Clostridium difficile dont la recherche est systématique (1).

Evolution

Le pronostic de ce syndrome est essentiellement dominé par les complications, qui surviennent dans 3-15 % des cas et représentées par l’ischémie et la perforation colique (cæcale) dont le taux de mortalité est élevé (50 %). Les principaux facteurs de risque sont l’âge avancé, un diamètre cæcal supérieur à 12 cm

et le délai de décompression. En l’absence de traitement spécifique, le recours au seul traitement de support pendant une durée supérieure à 6 jours est associé à un risque élevé de complications (1). Une persistance de la symptomatologie au-delà de 6 mois définit un passage à la chronicité dont la prise en charge mérite un avis spécialisé.

Devant la suspicion de syndrome d’Ogilvie, un traitement symptomatique associant la pose d’une sonde rectale et la prescription d’anticholinestérasiques permet une reprise du transit intestinal dans un premier temps. En cas de récidive ou de chronicité, un tableau de malabsorption peut compliquer l’évolution, aggravant le pronostic (3).

Modalités thérapeutiques

Une fois le diagnostic établi, un traitement de support doit être réalisé systématiquement durant 48-72 h, y compris en cas de complications, et associe une correction hydroélectrolytique (hypokaliémie et hypomagnésémie surtout),

à retenir Conduite à tenir en pratique : n Eliminer un obstacle mécanique (scanner abdominal non-injecté) n Eliminer une infection à Clostridium difficile n Correction des troubles hydroélectrolytiques (hypokaliémie et hypomagnésémie !!!) n Mise en place d’une sonde rectale de support durant 48-72h n Contre-indication aux laxatifs (osmotiques en particulier) favorisant la fermentation colique n En cas de risque de perforation (diamètre colique supérieur à 12 cm, distension depuis plus de 6 jours), traitement médicamenteux par néostigmine 2 mg IVL (per os non-recommandé) à répéter une fois si échec n En l’absence de réponse pharmacologique, colo-exsufflation puis si échec, discuter selon l’état du patient d’une colostomie chirurgicale ou par voie percutanée sous contrôle scannographique n En cas de complications (ischémie ou perforation colique) d’emblée ou au cours de l’évolution : traitement chirurgical n Dans tous les cas : rechercher et traiter la (ou les) cause(s) afin de prévenir la récidive

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la mise en place d’une sonde rectale, l’arrêt de tout traitement ralentissant le transit (opiacés, anticholinergiques et inhibiteurs calciques en particulier) et l’éviction des laxatifs (osmotiques surtout) favorisant la fermentation colique bactérienne et entretenant la distension gazeuse. Une surveillance radiologique (ASP) quotidienne

est recommandée. Ces mesures sont efficaces dans près de 96 % des cas (1). En l’absence de correction totale (durée de la distension supérieure à 6 jours) ou d’emblée en cas de risque de perforation (diamètre colique supérieur à 12 cm), un traitement médicamenteux est recommandé, dont la référence repose sur les anticholinestérasiques (néostigmine) par voie injectable de préférence (absorption entérale diminuée en cas de prise per os, à la phase aiguë), à la posologie de 2 mg IVL en une prise à répéter une fois en cas d’échec, permettant une guérison définitive dans 80 % des cas (1, 5). Ce traitement n’est pas dénué d’effets secondaires (Encadré 1) et nécessite une surveillance rapprochée. D’autres thérapeutiques (3) ont été testées avec moins de succès et dont la place en gériatrie mérite d’être évaluée (érythromycine, cisapride, dompéridone, métoclopramide). En cas d’échec pharmacologique, une colo-exsufflation par un opérateur entraîné doit être réalisée et dont le succès n’est observé que dans 80 % des cas. Le risque de perforation n’est cependant pas négligeable et s’observe dans 2 % des cas (1). Ce risque doit être considéré dans la décision 99


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thérapeutique. En dernier recours, le traitement repose sur une caecostomie de décharge réalisée soit par voie chirurgicale soit par voie percutanée sous contrôle scannographique selon l’état du patient (1, 3). Une telle décision mérite une concertation pluridisciplinaire incluant chirurgien, radiologue et gériatre compte tenu des risques de décompensation postopératoires. A toutes les étapes de la prise en charge, l’identification d’une complication (ischémie ou perforation colique) orientera d’emblée vers un traitement chirurgical. Dans notre observation, l’origine plurifactorielle était retenue compte tenu de l’hypokaliémie

récidivante, de l’introduction d’un traitement par baclofène et de l’histoire oncologique récente. L’attitude thérapeutique s’est limitée aux soins de support, après échec pharmacologique devant les difficultés prévisibles et un rapport bénéfice/risque défavorable quant à la réalisation d’une coloscopie.

Mots-clés :

Conclusion

Ce cas clinique illustre la relative fréquence du syndrome d’Ogilvie dans une population gériatrique fragile, polypathologique et hospitalisée dont la reconnaissance doit permettre la mise en place d’un traitement précoce afin d’éviter

Encadré 1 – Effets secondaires des anticholinestérasiques • Digestifs : hypersialorrhée et troubles de déglutition, nausées, vomissements, douleurs abdominales • Cardiovasculaires : bradycardie, hypotension • Respiratoires : hypersécrétion bronchique, bronchospasme

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les complications potentiellement fatales. Il souligne également les difficultés de mise en œuvre d’un traitement optimal chez le patient âgé fragile ne permettant que le recours aux mesures symptoman tiques le plus souvent.

Syndrome d’Ogilvie, Pseudoobstruction colique aiguë, Sujet âgé

Bibliographie 1. De Giorgio R, Knowles CH. Acute colonic pseudo-obstruction. Br J Surg 2009 ; 96 : 22939. 2. Camilleri M. Acute and chronic pseudoobstruction. In Sleisenger and Fordtran’s Gastrointestinal and Liver Disease: Pathophysiology, Diagnosis, and Management (8th edn), Feldman M, Friedman LS, Brandt LJ (eds). Elsevier Saunders: Philadelphia, 2006 : 2679-702. 3. Durai R. Colonic pseudo-obstruction. Singapore Med J 2009 ; 50 : 237. 4. Dubé Françoise. Quels sont les médicaments impliqués dans le syndrome d’Ogilvie ? Pharmactuel 2009 ; 42 : 147-8. 5. Ponec RJ, Saunders MD, Kimmey MB. Neostigmine for the treatment of acute colonic pseudo-obstruction. N Engl J Med 1999 ; 341 : 137-41.

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