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Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques - 2e Partie

DOSSIER

4 Sclérose en plaques

et dépression

Directement liée aux lésions cérébrales ? n La dépression est parfois très précoce dans la sclérose en plaques et concernera, au cours de l’évolution, environ 50 % des patients. La prévalence paraît plus élevée que dans d’autres maladies équivalentes, expliquée potentiellement par les perturbations immunitaires ou plus probablement par les lésions cérébrales. Les liens entre dépression et autres troubles psychopathologiques, notamment apathie, alexithymie et fatigue, sont complexes. Si les traitements antidépresseurs sont utiles, très peu d’études spécifiques dans la population SEP apportent une preuve formelle d’efficacité. Les modifications neuroendocriniennes et circadiennes et les liens avec la dépression offrent un nouvel axe de recherche pour la prise en charge thérapeutique.

L

es troubles affectifs et de la personnalité sont fréquents chez les patients atteints de sclérose en plaques (SEP). Les perturbations psychiques le plus souvent rapportées renvoient principalement à la dépression, l’anxiété, l’euphorie, ainsi qu’à des altérations du contrôle émotionnel à l’origine du rire et du pleurer pathologique. D’autres troubles psychopathologiques sont rapportés, notamment l’apathie et l’alexithymie. Les raisons de la baisse rapide et importante de la qualité de vie des patients atteints de SEP sont dominées par les symptômes non physiques de la maladie, notamment les troubles cognitifs et la dépression, justifiant une approche spécifique. Par ailleurs, la présence d’une dépression est une des raisons expliquant le retard au diagnostic et donc à la prise en charge du patient.

*Université Lille Nord de France, Clinique Neurologique, Pôle des Neurosciences et Appareil Locomoteur, CHU de Lille

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Patrick Vermersch*

Epidémiologie

Le syndrome dépressif est de loin le trouble psychopathologique le plus fréquent, avec une fréquence pouvant atteindre 79 % d’une population SEP (1) (Tab. 1), mais une synthèse de nombreuses études nous fait considérer que la prévalence du syndrome dépressif sur la vie entière en population consultant pour une SEP est de l’ordre de 50 % (2-6). Ces chiffres élevés sont retrouvés également pour la dépression sévère. L’étude de Patten et al. (7) a évalué la prévalence de la dépression sévère à l’occasion d’une enquête sur la santé au Canada réalisée en population générale en 2000 et 2001. L’étude a inclus plus de 110 000 sujets adultes avec la réalisation d’un questionnaire téléphonique qui comportait des questions concernant les maladies en cours dont la SEP. La prévalence de la

dépression sévère a été observée de façon plus importante dans la SEP (15,7 %) par rapport aux sujets sans SEP (7,4 %) ou suivis pour une autre maladie chronique (9,1 %). Considérant tout type de troubles de l’humeur, l’analyse a montré que la prévalence était 2,2 fois plus importante que dans la population générale. Corroborant les chiffres de la prévalence des dépressions sévères,

Tableau 1 - Troubles psychopathologiques dans la SEP (1). Dépression Agitation Anxiété Irritabilité Apathie Euphorie Désinhibition Hallucinations Rire et pleurer spasmodiques

79 % 40 % 37 % 35 % 20 % 13 % 13 % 10 % 9 %

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les idées de suicide sont élevées dans la SEP (30 %) (8) avec de nombreux passages à l’acte. Une étude chez plus de 3 100 patients a montré que les suicides sont 7,5 fois plus fréquents que dans la population contrôle (9). L’analyse d’un registre de décès scandinave de plus de 5 500 patients a montré également une surreprésentation des suicides chez les patients atteins de SEP (10). En dépit de biais possibles, mais après ajustement, il est admis une prévalence supérieure chez la femme et pour les patients entre 18 et 45 ans. Le risque suicidaire est par contre un peu plus important chez l’homme. La période de l’annonce du diagnostic, et encore plus le passage à la forme secondairement progressive sont à risque accru. En raison des caractéristiques sémiologiques de la SEP, notamment les états de fatigue, les troubles émotionnels, les difficultés cognitives, et les biais secondaires aux différents types de dépistage, une étude menée par l’équipe de Mohr propose un outil simple de dépistage de la dépression, grâce à un questionnaire comprenant uniquement deux items permettant de rechercher une dépression ou une anhédonie (Tab. 2) (11). Une réponse positive à l’une des deux questions permet de dépister un syndrome dépressif selon les critères du DSM-IV, avec une sensibilité de 99 % et une spécificité de 87 %.

Enfin, le trouble bipolaire est environ deux fois plus fréquent que dans la population générale, soit environ 13 % des patients SEP.

Particularités des symptômes dépressifs

Jean-Martin Charcot, dès les premières descriptions de SEP au XIXe siècle, va décrire des troubles psychiatriques au cours de cette maladie : « Il n’est pas rare non plus de voir éclater… des troubles psychiques qui revêtent l’une ou l’autre des formes classiques de l’aliénation mentale ». Charcot, au cours de ses leçons sur les maladies du système nerveux, avait l’habitude de compléter son propos par des exemples cliniques : un patient « habituellement mélancolique, était de temps à autre atteint du délire des grandeurs. ». Ainsi, les troubles de l’humeur sont de description très ancienne, isolé ou associé à d’autres troubles mentaux.

La dépression comme mode d’entrée dans la maladie

D’assez nombreux cas cliniques ont rapporté des dépressions comme contemporaines ou précédant les premières manifestations physiques de la maladie. Goodstein, par exemple, a décrit l’histoire de 3 patients hospitalisés pour dépression récurrente et répondant peu au traitement, et qui se sont révélés être des patients souffrant de SEP (12). Nous avons décrit 4 patients dont la maladie

Tableau 2 - Dépistage de la dépression par questionnaire simple (11). 1. Durant les deux dernières semaines, vous êtes-vous déjà senti faible, déprimé ou sans espoir ? 2. Durant les deux dernières semaines, avez-vous déjà ressenti peu d’intérêt ou de plaisir dans votre vie quotidienne ? Neurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145

a débuté par des manifestations psychiatriques, l’un d’entre eux avait été admis pour état mélancolique et catatonie (13).

Dépression et cours évolutif de la maladie

A la lumière des publications plus récentes, il apparaît clairement que les troubles de l’humeur sont présents dès le début de la maladie. Chez des patients examinés dans les deux mois suivant le diagnostic, Sullivan et al. (14) retrouvent 22 % de troubles de l’adaptation avec humeur dépressive et 40 % d’états dépressifs majeurs. La dépression est indiscutablement sous-diagnostiquée en pratique quotidienne, les symptômes classiques de la maladie, notamment la fatigue chronique et les troubles cognitifs étant des facteurs confondants. La grande hétérogénéité des interrogatoires et des questionnaires contribuent à cette sous-estimation. Lors d’une méta-analyse, Even et al. soulignaient que plusieurs auteurs avaient noté chez les patients une dissociation entre les composantes comportementales et subjectives de l’émotion (15). Il peut donc exister un grand décalage entre l’émotion ressentie par le patient et l’expression observée par le médecin, rendant le diagnostic difficile. Il est également intéressant d’analyser les différents traits sémiologiques rencontrés dans la SEP notamment les cognitions dépressives : concernant le soi avec dévalorisation, honte, idées d’indignités et de culpabilité, le futur avec ces incertitudes, l’absence d’espoir et le monde extérieur avec rejet ou persécution. Cette analyse est utile pour la prise en charge notamment psychologique. 65

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Les réactions du patient sont très variables, parfois confondues avec celles liées à d’autres symptômes considérés comme plus “physiques”, comme l’insomnie ou la labilité émotionnelle. De même, une agitation psychomotrice ou une irritabilité peuvent être considérés à tort comme la conséquence exclusive des troubles cognitifs.

score de dépression a été retrouvé élevé chez 76 % des patients fatigués contre 31 % des patients non fatigués (17). Les troubles thymiques sont par ailleurs souvent prédictifs de la fatigue. Si l’apathie est souvent décrite comme symptôme de la dépression, le syndrome apathique peut exister de façon isolée, indépendamment de toute manifestation dépressive.

Tous les états dépressifs ne réunissent pas les critères d’états dépressifs majeurs mais, chez beaucoup de patients, il est évoqué plutôt un trouble dysthymique simple ou encore plus souvent un trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, notamment après l’annonce du diagnostic. Chez certains patients, il s’agit du syndrome de “chagrin chronique” dominé par les moments de colère, de tristesse prolongée, avec souvent beaucoup de frustration.

Il est important de différencier dépression et alexithymie, même si une association ne peut pas être exclue. En effet un trait alexithymique est retrouvé chez près de 50 % des patients SEP. Les difficultés de verbalisation de ces patients peuvent masquer la sémiologie dépressive.

L’intensité de la dépression est considérée comme peu corrélée à celle des troubles cognitifs, au degré de handicap physique ou à la durée de la maladie. Néanmoins, une étude récente portant sur plus de 500 patients a montré que la prévalence de la dépression est plus élevée chez les patients jeunes qui ont une maladie plus évolutive (16).

Dépression et autres troubles psychopathologiques

Même si les corrélations restent modestes, des liens existent néanmoins entre fatigue et dépression, d’une part, et troubles cognitifs et dépression, d’autre part. La fatigue, notamment mentale, peut être responsable d’idées de dévalorisation, de perte de confiance, et faire le lit de la dépression. Un 66

La présence d’un état dépressif peut altérer de façon significative les performances cognitives et dans la SEP, la difficulté réside dans l’intrication de ces deux syndromes. Beaucoup d’études n’avaient pas retrouvé de relation significative entre dépression et altérations cognitives. Plus récemment, d’autres travaux ont montré des relations directes entre dépression et altérations cognitives, portant essentiellement sur la vitesse de traitement de l’information et la mémoire de travail (18).

Pourquoi la dépression est fréquente dans la SEP ?

Les raisons sont multiples et probablement intriquées. Le stress lié à l’annonce de la maladie, l’angoisse liée au développement du handicap, le deuil de la “bonne santé” sont des éléments de la composante exogène de la dépression. Plusieurs éléments ont fait évoquer une composante endogène.

La prévalence de la dépression est notamment significativement plus élevée que dans d’autres maladies handicapantes. Après un premier événement caractéristique d’évolution favorable, il n’est pas rare de constater un état dépressif, y compris chez un patient ignorant le cadre nosologique possible de son affection. Des travaux sur les altérations immunitaires, la topographie des lésions cérébrales notamment en IRM ont contribué à expliquer cette dépression (19). Enfin, une composante iatrogène doit être discutée, notamment l’utilisation des benzodiazépines, du baclofène, des corticoïdes pour les poussées ou encore des interférons β, même si pour ces derniers, leur responsabilité a pu être exagérée. Très récemment, une étude a montré qu’un taux faible de vitamine D pouvait aussi contribuer à la dépression chez ces patients (20).

Revue des essais thérapeutiques

Différentes études montrent que les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont efficaces dans le traitement de la dépression chez les patients atteints de SEP. Néanmoins, les études randomisées ou portant exclusivement sur des populations SEP sont rares ou n’incluent que des petits effectifs (21, 22). • Les études avec les tricycliques, desipramine, imipramine et amitriptyline, ont montré une certaine efficacité mais leur utilisation se heurtent à leur tolérance modeste, près de la moitié des patients arrêtant leur traitement avant d’atteindre la posologie requise. Ces dérivés peuvent noNeurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145


tamment aggraver les troubles dysautonomiques de ces patients, notamment urinaires, liés à leur action anticholinergique. Dans des études ouvertes et sur de petits effectifs, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, notamment la sertraline et la fluoxétine (23, 24), semblent efficaces et plus faciles à utiliser. Une amélioration significative a été observée sur certains critères avec la paroxétine dans une étude randomisée en double aveugle versus placebo incluant 42 patients (25). Les limites de cette étude étaient le faible nombre de patients inclus et le nombre élevé de sorties d’étude. Par ailleurs, les auteurs avaient noté dans le groupe paroxétine davantage de nausées, de céphalées et troubles sexuels. Une étude ouverte chez 10 patients a retrouvé une efficacité du moclobemide avec une amélioration rapide mesurée sur l’échelle de Beck des posologies variables entre 150 et 450 mg/j (26). Quelques études sont disponibles suggérant que la psychothérapie peut être bénéfique. Les différences de populations incluses et les très nombreuses approches limitent les conclusions. Citons l’étude de Mohr et al. (27) comparant une psychothérapie et la sertraline et qui montre une efficacité similaire après 4 mois.

Besoins non satisfaits

La conclusion de la méta-analyse Cochrane (28) est sans appel ! Si les auteurs, dans leur conclu-

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sion, admettent une certaine efficacité de la desipramine et de la paroxétine à court terme, ils précisent aussi la présence d’effets secondaires de ces produits, plus fréquente avec la paroxétine, notamment la fréquence des nausées et des céphalées. Ils suggèrent la réalisation d’études spécifiques dans la SEP, avec une méthodologie adaptée, pour obtenir une évidence de classe I, comprenant aussi des études incluant un groupe ayant un traitement considéré comme actif. Pour éviter les biais et les difficultés d’analyse, les patients doivent être parfaitement explorés dans les autres domaines psychopathologiques. Eventuellement, la méthodologie doit inclure une analyse en sous-groupes en fonction des caractéristiques sémiologiques des patients.

Perspectives

Un nouveau champ d’investigation a été récemment ouvert dans le domaine de la SEP : celui des rythmes nycthéméraux. Il est en fait apparu des liens de plus en plus étroits entre troubles du sommeil et SEP d’une part et les découvertes concernant les désordres neuroendocriniens d’autre part. Ces désordres ont été corroborés par la découverte fréquente d’anomalies dans les régions hypothalamiques détectées à l’IRM (29). Les patients ayant une SEP présentent plus fréquemment que dans la population générale des troubles du sommeil. Tous les troubles peuvent se rencontrer chez ces patients : insomnie, hypersomnie ou somnolence diurne excessive, mouvements périodiques du sommeil, syndrome des

jambes sans repos, troubles respiratoires nocturnes, narcolepsie… (30). La qualité du sommeil doit être analysée chez ces patients, d’autant plus qu’ils rapportent un état de fatigue, une dépression ou s’ils existent des troubles cognitifs. Les perturbations de l’axe hypothalamo-hypophysaire sont connues dans la SEP (31) et deux études indépendantes ont confirmé les perturbations de cet axe, notamment du cortisol, mais aussi de façon très innovante une relation entre ces modifications et les scores aux tests de dépression (3233). Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives en recherche pour la prise en charge de la dépression n dans la SEP. Correspondance Pr Patrick Vermersch Université Lille Nord de France Clinique Neurologique, Pôle des Neurosciences et Appareil Locomoteur CHU de Lille 59037 Lille Tél. : 03 20 44 57 65 Fax : 03 20 44 44 84 E-mail : patrick.vermersch@chru-lille.fr

Mots-clés : Sclérose en plaques, Dépression, Suicide, Dysthymie, Troubles cognitifs, Fatigue, Alexithymie, Apathie, Alexithymie, Trouble bipolaire, Troubles du sommeil, Qualité de vie, Stress, Benzodiazépines, Baclofène, Corticoïdes , Interférons, Antidépresseurs tricycliques, Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, Psychothérapie, Rythmes circadiens

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