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dossier

2 Sémiologie des troubles

du langage

Des tableaux le plus souvent hétérogènes... n

L’aphasie recouvre une grande variété clinique. Les recherches menées en neurologie,

psychologie et linguistique permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifestations linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé, cette analyse se faisant selon les niveaux de traitement linguistique : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif.

L’

aphasie, définie comme une atteinte du langage acquise dans les suites d’une lésion cérébrale, recouvre une grande variété clinique, que cliniciens, chercheurs, neurologues ou linguistes ont cherché depuis longtemps à classifier et définir à partir d’une sémiologie riche [3]. Ainsi, les manifestations cliniques observées ont-elles été décrites puis regroupées en syndromes, mis en relation avec les localisations cérébrales des lésions. Cette classification qui, dans un premier temps, a opposé une aphasie “en réduction” - motrice, de production - décrite par Paul Broca, à celle décrite par Karl Wernicke - sensorielle, de compréhension - s’est progressivement enrichie d’autres tableaux (conduction, transcorticale, sous-corticale...), s’appuyant sur une corrélation entre localisation cérébrale de la lésion et manifestations linguistiques. Paul Broca a donc initié une approche anatomo-clinique qui a

*Service de Neuropsychologie, Hôpital Neurologique, GHE, Bron

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Anne Peillon*

marqué durablement l’aphasiologie, bien que, très tôt, la notion de zones cérébrales d’association ait été aussi avancée. L’opposition non fluent/fluent est aussi fréquemment utilisée et fait référence à une représentation proche de l’opposition Broca-Wernicke, mais sur la base de la production linguistique du sujet, et non d’une localisation cérébrale. Si ces classifications permettent de garder entre membres d’une communauté scientifique un langage commun, elles ne présentent plus grand intérêt pour l’approche clinique. En effet, les tableaux “purs”, tels que décrits dans la littérature, sont rares, la réalité clinique place le plus souvent les thérapeutes devant des tableaux hétérogènes et difficiles à classer, dont les manifestations vont évoluer au cours du temps. Par ailleurs, elles ne permettent pas de définir un programme thérapeutique puisqu’elles font référence à des symptômes, faits linguistiques observables qui constituent les manifestations de surface d’un trouble, et non aux atteintes des

processus cognitifs ou neurolinguistiques à l’origine de ce trouble, c’est-à-dire la structure profonde. Le clinicien manque alors d’indications sur la fonction altérée à l’origine du trouble en vue d’une démarche thérapeutique. La linguistique et la neuropsychologie ont permis de développer une approche interprétative de la sémiologie, favorisant ainsi la démarche d’évaluation et de remédiation. Parallèlement, l’approche pragmatique et l’apport des sciences sociales guident le clinicien dans une démarche fonctionnelle et écologique, considérant les aspects de la communication et des interactions. Les nouvelles technologies de neuro-imagerie fonctionnelle analysent l’activité cérébrale lors d’une stimulation langagière, observent l’activation de réseaux interconnectés, et confirment l’intérêt des modèles connexionnistes qui développent des modèles basés sur la simultanéité des activations. Les recherches menées en neurologie, psychologie et linguistique Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


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permettent d’analyser la richesse sémiologique des manifestations linguistiques relevées lors d’un bilan de langage standardisé. Cette analyse se fait selon les niveaux de traitement linguistique  : phonétique, phonologique, lexical, sémantique, syntaxique, discursif, et le thérapeute, à partir d’une démarche hypothético-déductive, cherche à définir le niveau cognitif altéré. L’atteinte peut être isolée ou globale, touchant plusieurs niveaux de traitement, prédominant ou non sur un des systèmes analysés. Les modèles développés en neuropsychologie cognitive permettent, grâce à une démarche interprétative, de confronter les résultats des tests de langage entre eux, et à partir de manifestations observées, c’est-à-dire de transformations langagières en production ou d’erreurs sur les tâches de compréhension, de formuler une hypothèse sur le niveau cognitif perturbé en référence aux modèles théoriques de la neuropsychologie cognitive. Cette approche guide l’évaluation, mais aussi la démarche thérapeutique de l’orthophoniste dont l’objectif sera de restaurer ou de compenser la fonction altérée.

Les niveaux d’analyse du langage

L’aphasie peut donc être définie comme un trouble du langage secondaire à une atteinte des réseaux neuronaux de l’hémisphère dominant - le plus souvent l’hémisphère gauche - impliqués dans les différentes étapes de traitement du langage. Les troubles de la voix (dysphonie), et de la parole (dysarthrie) trouble de la réalisation motrice de l’articulation, n’entrent pas dans cette définition, mais peuvent parfois exister dans certains tableaux Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Tableau 1 - Distinguer dysarthrie et anarthrie. Dysarthrie

Anarthrie

• Trouble moteur de la réalisation de la parole • Pas de déficit langagier associé • Stabilité des transformations • Atteinte le plus souvent non corticale • Dysphagie possible • Formes variées selon niveau d‘atteinte

• Trouble de programmation des schèmes articulatoires (praxique) • Apraxie bucco-faciale fréquente • Déficit langagier associé • Peut céder à la dissociation automatico-volontaire • Atteinte corticale unilatérale • Formes variées : du mutisme à la dysprosodie

aphasiques. Ces perturbations se manifestent indépendamment d’une atteinte cognitive. Les troubles de la parole, conséquence de déficits complexes pouvant toucher l’articulation, la coordination de la respiration, les résonateurs, vont entrainer une atteinte plus ou moins sévère de l’intelligibilité, ou dans les cas les moins sévères, une production articulée inhabituelle. La sémiologie clinique de l’aphasie décrit des atteintes pouvant porter  sur : • la programmation des schèmes articulatoires (niveau praxique) ; • la production et/ou la réception de la forme sonore des mots (phonologie) ; • le traitement du sens des mots, en production et/ou réception (sémantique) ; • le traitement de la phrase en production et/ou compréhension (syntaxe). Les difficultés, les transformations, peuvent se manifester sur les quatre versants du langage, compréhension et expression, oral et écrit, à des degrés divers, ou altérer de façon isolée un de ces versants. Ces manifestations sont recueillies au cours d’un bilan orthophonique standardisé, comportant des épreuves variées, éta-

lonnées, corrélées entre elles, dont l’analyse va permettre de poser une hypothèse sur le niveau de traitement altéré.

Les troubles de l’expression orale

Ils font l’objet d’une littérature abondante en raison, d’une part, de la richesse de la sémiologie et, d’autre part, de la fréquence et de la significativité de leurs manifestations. Ce sont les premiers qui seront mis en évidence lors d’une évaluation, et qui seront relevés par le patient lui-même et son entourage.

Les troubles arthriques (Tab. 1, Vignette 1)

Ils correspondent à une difficulté de programmation des schèmes moteurs articulatoires, sans atteinte des organes effecteurs, fréquemment associée à une apraxie bucco-faciale, et se manifestent par des déviations phonétiques entraînant une modification du phonème. Ces transformations sont non systématiques et peuvent céder à la dissociation automatico-volontaire. Le patient produit des phonèmes qui n’appartiennent pas forcément au système phonologique de la langue, et sont difficilement transcriptibles. 249


dossier Les transformations vont généralement dans le sens d’une simplification (par exemple groupes consonantiques complexes) et d’une réduction. Dans les tableaux les plus sévères, il peut exister une tendance à persévérer sur un schème articulatoire, et un risque de stéréotypie, production articulée répétée, non informative, incontrôlée et envahissante (syllabe, mot, segment de phrase), empêchant toute autre production volontaire. Les formes les plus légères décrivent une dysprosodie (ou pseudo-accent étranger) correspondant à une difficulté de programmation de certaines caractéristiques du phonème (longueur, transition...). Le trouble arthrique, dont les manifestations varient en fonction de la gravité, a connu des appellations diverses : anarthrie, aphémie, désintégration phonétique, apraxie de la parole. Il se manifeste dans des tableaux d’aphasie non fluente, lié à une lésion corticale antérieure, il est à différencier de la dysarthrie, trouble moteur, permanent et uniforme, caractérisé par une certaine stabilité dans la production, sans atteinte langagière associée, qui affecte des niveaux périphériques de la motricité articulatoire, lié à une lésion généralement non corticale (voies pyramidales et extrapyramidales, cervelet, tronc cérébral...).

Les troubles lexicosémantiques (Tab. 2) ❚❚L’anomie Souvent appelée “manque du mot”, elle constitue le symptôme commun à tous les tableaux d’aphasie. Elle se révèle dans le discours spontané ou lors de tâches 250

Vignette 1 Troubles arthriques/dysarthrie Madame V., 58 ans, secrétaire de mairie, a présenté un AVC ischémique sylvien superficiel gauche. Le bilan orthophonique met en évidence une expression spontanée réduite, un manque du mot important, un agrammatisme et des déformations sur les phonèmes en production orale. La compréhension lexicale et contextuelle est bien préservée, il existe quelques difficultés sur les phrases longues et de structure syntaxique complexe (MT 86 : 33/38). On note une légère asymétrie faciale et une petite perte de tonus labial dues à une hémiparésie faciale droite centrale. Les déformations portant sur la production des phonèmes amènent à établir un diagnostic différentiel entre dysarthrie (trouble de réalisation motrice) et trouble arthrique (trouble de programmation des schèmes articulatoires). La question est résolue par l’observation et l’analyse des différents signes cliniques : les mouvements bucco-faciaux ne sont pas réalisés sur ordre ; en imitation la patiente peut tirer la langue, gonfler les joues, mais ne peut souffler. Par contre, elle peut éteindre une bougie en soufflant dessus, et elle soupire à plusieurs reprises, produisant ainsi de façon automatique le geste de souffler. De nombreuses déformations sont relevées sur les phonèmes, certains étant fréquemment altérés mais de façon non systématique. L’hémiparésie faciale ne permet pas d’expliquer les déformations car il n’existe pas de fuite d’air labiale, ni de perte de tonicité linguale. De plus, la présence de troubles langagiers associés, une apraxie bucco-faciale, l’instabilité des productions et la dissociation automatico-volontaire confirment le trouble praxique. Ce tableau est typique d’une aphasie non fluente, avec troubles arthriques et apraxie bucco-linguo-faciale. Ainsi, l’expression de Madame V., notamment lorsqu’elle est fatiguée, comporte tellement de transformations arthriques que les productions sont difficilement reconnaissables. Un travail sur la programmation des schèmes articulatoires est réalisé en rééducation orthophonique. Les déviations phonétiques sont nombreuses et ce travail demande une grande concentration à la patiente. Un jour, lors de la toilette matinale, un soignant éternue et Madame V. dit spontanément et distinctement « A vos souhaits ! », ce qui surprend ce soignant habitué à une expression orale très déformée. C’est une manifestation typique de la dissociation automatico-volontaire en spontané qui existe souvent dans les aphasies antérieures. Cette préservation d’automatismes verbaux est évaluée lors du bilan (production de séries automatiques : chiffres, jours de la semaine, mois de l’année) et utilisée lors de la prise en charge orthophonique pour faciliter la production de schèmes articulatoires variés.

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contraintes, telles les fluences verbales imposées, ou l’épreuve de dénomination, se manifeste par une absence de production ou un temps de latence élevé, des transformations de type paraphasie, et peut parfois être compensée par des gestes, des mimiques, des paraphrases ou des circonlocutions. L’observation et l’analyse de ces productions (qui constituent des manifestations de surface) permettent de déterminer la nature du déficit cognitif (structure profonde) à l’origine des transformations linguistiques : trouble du traitement phonologique (forme des mots), difficulté d’accès à l’étiquette lexicale, aux représentations sémantiques (sens du mot) ou altération de ces représentations. ❚❚Les troubles phonologiques Un trouble phonologique peut correspondre à une atteinte du pattern phonologique ou à une difficulté d’accès à cette représentation, voire à une difficulté de maintien de cette forme sonore en mémoire à court terme. Lorsque le pattern lui-même est atteint, le trouble peut se manifester par des paraphasies phonémiques ou phonologiques (canapé ➟ /kaponé/, intelligent ➟ /litajan/), voire des néologismes (arrosoir ➟ /boverli/), des absences de réponse ou la production de mots proches de sens lorsque le patient a conscience de ses erreurs et peut contrôler sa production. Le sujet rencontre une difficulté dans le choix et l’ordonnancement des phonèmes de la langue, pour la production du mot. Plusieurs facteurs vont entrer en jeu : la fréquence du mot, sa longueur et sa complexité phonologique. Ces difficultés seront particulièrement mises en évidence dans des tâches qui nécessiteront une transposition : répétition ou lecNeurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Tableau 2 - Les types de paraphasie. • Erreur visuelle (pomme ⇒ ballon) • Périphrase (couteau ⇒ ça sert à couper) • Mots-valises (machin, truc) • Paraphasie verbale (un mot de la langue) • sans lien de sens (bougie ⇒ cible) • paraphasie sémantique = avec lien de sens (bougie ⇒ ampoule, raisin ⇒ pomme) • paraphasie visuo-sémantique (guitare ⇒ violon) • paraphasie verbale morphologique = forme proche (constitution ⇒ consultation) • Paraphasie morphémique (râpe ⇒ râpoir, dentiste ⇒ denteur, étagère/étage) • Paraphasie phonémique ou phonologique (dinosaure ⇒ /nidorose/) • Néologisme (bougie ⇒ /kadène/) Combinaison possible de transformations successives : guitare ⇒ /vilion/ (sémantique ⇒ violon, puis phonologique)

ture à haute voix, les réponses à ces épreuves fournissant des indications précieuses sur le niveau de traitement altéré. Parfois, seul l’accès aux représentations phonologiques est perturbé, manifestation appelée communément manque du mot, (ou « mot sur le bout de la langue » bien connu chez le sujet sain lorsque le trouble est a minima), l’effet de fréquence est alors important, l’ébauche orale facilitant la production, la répétition est alors préservée. Les difficultés liées à la boucle phonologique et au maintien en mémoire à court terme de la forme phonologique seront mises en évidence en particulier par un effet de longueur et de lexicalité (mots mieux répétés que non-mots). ❚❚Le trouble sémantique Il correspond à une difficulté à traiter le sens des mots. Généralement, chez le sujet aphasique, il s’agit le plus souvent d’une difficulté à accéder aux représentations sémantiques plutôt que d’une réelle détérioration des propriétés qui définissent l’objet,

comme cela est le cas dans certaines pathologies dégénératives (démence sémantique par exemple). Ce niveau est probablement le plus difficile à analyser, tant le traitement sémantique est un processus complexe. En effet, si l’on s’en tient à l’observation des transformations réalisées par le patient, la production d’une paraphasie sémantique (âne pour cheval par exemple) ne révèle pas nécessairement un déficit sémantique sous-jacent et ne suffit pas à affirmer que le sujet a perdu la capacité à activer les propriétés qui différencient ces deux objets. L’investigation de ce niveau de traitement nécessite donc de comparer des épreuves variées, dans des modalités différentes (expression et compréhension, orale et écrite) en référence à un modèle cognitif de traitement lexical. Les caractéristiques du mot, et donc les outils qui vont les évaluer, sont importants à prendre en compte : fréquence, concrétude, classe catégorielle, classe grammaticale, etc. 251


dossier Les troubles morpho-syntaxiques (Tab. 3)

Classiquement, deux types de perturbations du traitement de la phrase sont décrits, en relation avec les tableaux d’aphasie : • non fluente : l’agrammatisme ; • et fluente : la dyssyntaxie. Les travaux récents remettent en question cette distinction qui ne prend en compte que la manifestation linguistique observée, et non l’interprétation des processus cognitifs mis en jeu. Cependant, cette classification reste pertinente pour la description des troubles observés, qui peuvent se manifester en expression orale et écrite, ainsi qu’en compréhension. ❚❚L’agrammatisme Il correspond à une expression en réduction, avec diminution de la fluence verbale, privilégiant la production de mots porteurs de sens (les noms et, dans une moindre mesure, les verbes) au détriment de mots fonctionnels et de marqueurs grammaticaux (prépositions, pronoms, déterminants, conjonctions, marqueurs de temps et de personne sur les verbes...). Les règles de construction de la phrase ne sont pas respectées, et le sujet aura tendance à privilégier des structures syntaxiques simples et courtes. Ce déficit se retrouvera en compréhension, où le patient agrammatique s’appuiera sur les éléments sémantiquement porteurs de la phrase et pourra présenter des difficultés sur des formes complexes (relatives, passives, phrases enchâssées, etc.). ❚❚La dyssyntaxie Elle se manifeste lors de discours fluents, et se caractérise par une production de mots et de marqueurs grammaticaux nombreux, mais dont l’emploi est souvent 252

inapproprié (difficulté de choix) ou l’emplacement dans la phrase inadapté (ordre des mots). Cette difficulté d’organisation syntaxique, utilisation anarchique des règles de construction de la phrase, est fréquemment associée à un trouble lexical, phonologique ou sémantique, et peut aboutir à un jargon, discours dont l’informativité est faible. L’anosognosie (conscience altérée du trouble) vient souvent aggraver le tableau, le patient n’étant pas conscient des erreurs produites, il ne limite pas sa production et ne tient pas ou peu compte des interventions de son interlocuteur. En compréhension, ces mêmes difficultés se manifesteront par une mauvaise interprétation des mots grammaticaux et des désinences verbales, ou par un traitement erroné de l’ordre des mots de la phrase.

le discours font néanmoins partie des troubles qui apparaissent dans les tableaux d’aphasie lorsque celle-ci récupère, ou est d’emblée de forme peu sévère. Les perturbations lexicales et syntaxiques peuvent masquer des dysfonctionnements plus fins comme par exemple le traitement des inférences, la hiérarchisation des informations, la structuration du récit, la concision du discours. Ce niveau de traitement implique des fonctions cognitives multiples  : attention, mémoire de travail, fonctions exécutives, et leur évaluation est complexe. Ces troubles peuvent néanmoins perturber sensiblement l’activité langagière de patients et les situations de conversation et d’échanges.

Les troubles discursifs

Si les troubles expressifs sont les plus manifestes dans la sémiologie aphasique, les difficultés de compréhension, parfois plus discrètes,

Souvent moins bien décrits dans la littérature, et moins typiques de l’aphasie, les difficultés touchant

Les troubles de compréhension orale

Tableau 3 - Distinguer agrammatisme et dyssyntaxie. Agrammatisme

Dyssyntaxie

• Diminution de la fluence • Lexique disponible réduit • Structures syntaxiques simplifiées • Prédominance des substantifs (> verbes) • Omission/substitution mots fonctionnels • Réduction/absence des marqueurs grammaticaux • Réduction expansions verbe et nom • Absence/rareté de relatives, formes syntaxiques complexes • Difficulté construction et ordonnancement des éléments de la phrase

• Substitutions de monèmes fonctionnels • Utilisation anarchique des règles morpho-syntaxiques • Erreurs de morphèmes grammaticaux • Erreurs dans le choix des auxiliaires • Erreurs de classe grammaticale • Dérivations morphologiques • Accords en genre et en nombre • Ordre de la phrase non respecté

Exemple : « anniversaire… fille… beaucoup… après souffler bougies… pfff… content… moi larme, larme… content ma fille. »

Exemple : « je suis vendu ma voiture, il était beaucoup de distance ... de le travail fatigaire… c’est la plus long qu’il fait. »

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constituent une perturbation importante dans la communication du sujet. Elles sont souvent minimisées par le patient ou son entourage et nécessitent une analyse fine. L’opposition classiquement décrite entre aphasie fluente et non fluente associe une compréhension altérée pour les patients présentant une atteinte postérieure, par opposition à une compréhension préservée pour les sujets ayant une lésion antérieure. Cette dichotomie n’est pas si marquée dans la réalité clinique. Il est important, d’une part, de bien cerner la notion de compréhension et, d’autre part, de s’appuyer sur une observation fine des manifestations linguistiques pour mettre en évidence les dysfonctionnements dans le traitement de l’information verbale par le patient. Il s’agira de différencier une compréhension “en contexte” (Vignette 2) qui fait intervenir de nombreux éléments non verbaux (mimiques, gestes, intonation, situation...), et pour laquelle les compétences du sujet aphasique peuvent être assez bien préservées, de la compréhension purement linguistique  : traitement des sons de la langue, de la forme des mots (phonologie), de leur sens (sémantique) et de la phrase. Les difficultés observées en compréhension vont être analysées selon les mêmes niveaux de traitement qu’en production. Elles seront souvent associées à des transformations de même type sur le versant expressif.

Les troubles du traitement des représentations phonético-phonologiques

Ce premier niveau consiste en un décodage des sons du langage. Il peut être altéré, entravant ainsi la discrimination des sons de la Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

langue, les phonèmes, et ne permettant pas au sujet l’accès à la reconnaissance de la forme sonore du mot. Le sujet sera dans l’incapacité de différencier deux mots de forme proche (chapeau/chameau) ou de dire si une forme entendue est un mot de la langue ou non (/chalo/). Ce trouble peut, dans certains cas, contraster avec un accès préservé de la forme orthographique du mot, le sujet ne pouvant comprendre un mot produit oralement par l’examinateur, alors qu’il accède parfaitement au sens du

mot écrit, prouvant ainsi l’intégrité de ses capacités de traitement sémantique.

Les troubles du traitement des représentations sémantiques

Alors que leurs capacités de traitement phonologique (forme sonore du mot) sont bien préservées, comme peuvent en témoigner certaines épreuves (discrimination de formes proches...), certains sujets vont présenter des difficultés à accéder aux propriétés sémantiques des objets, en particulier des traits

Vignette 2 Compréhension “en contexte”/troubles de la compréhension orale Monsieur C., 66 ans, chauffeur de taxi retraité, a présenté un AVC ischémique sylvien profond gauche. Le bilan de langage, réalisé par l’orthophoniste, montre une aphasie fluente, avec de nombreuses paraphasies phonologiques, et des troubles de la compréhension des phrases complexes relevés lors d’une épreuve contrainte (score au MT 86 : 25/38, erreurs portant sur les propositions relatives, clivées sujet « c’est le garçon qui porte le chien », clivées objet « c’est le garçon que le chien regarde », relative enchâssée « l’homme qui porte un chapeau embrasse la femme »). Il est donc conseillé à l’équipe soignante et à la famille de produire des phrases courtes afin de faciliter la compréhension. L’entourage semble surpris par ces remarques : en effet, son épouse n’a pas constaté ces difficultés et assure que son mari « comprend tout ». Lorsqu’elle arrive dans sa chambre, elle lui parle du temps, lui demande s’il a besoin de quelque chose, fait un petit résumé de sa journée, lui parle de ses amis, de son chien. Elle lui demande ce qu’elle doit faire dans le potager… M. C. « participe » effectivement à l’échange, acquiesce, produit de nombreuses mimiques et commente par des propositions (« Ah ben si tu veux », « Comment ça se fait ? », etc.). Si l’on observe les échanges entre les deux époux, on constate, de la part de l’épouse, une utilisation importante de la mimogestualité, de l’intonation, la référence à un contexte commun, l’utilisation d’un lexique fréquent et de nombreuses questions fermées (réponse en oui/non). Il existe donc de sa part une adaptation inconsciente aux difficultés de son mari, une compensation par du non-verbal, et une compréhension globale de la situation, mais qui ne permet pas d’envisager des échanges plus complexes (type argumentatif, négociation, etc.). 253


dossier distinctifs qui vont opposer des représentations proches de sens (couteau/scie, zèbre/cheval...) ou, plus rarement, présenter une altération de ces représentations elles-mêmes. Les épreuves proposées devront déterminer s’il s’agit d’un défaut d’accès ou d’une atteinte des représentations. Pour cela, les manifestations observées dans des tâches de compréhension seront comparées aux épreuves proposées en expression, et complétées par des épreuves visant à délimiter les champs sémantiques perturbés, toujours en référence à un modèle cognitif de traitement lexical.

Les troubles de la compréhension syntaxique

Les difficultés de compréhension de la phrase peuvent coexister avec des troubles de compréhension lexicale ou se manifester alors que celle-ci est préservée ou restaurée. Plusieurs causes peuvent en être à l’origine : mauvais traitement des mots fonctionnels ou flexions verbales, atteinte des règles de structuration syntaxique et/ou de la mise en relation des éléments de la phrase, difficultés de mémoire de travail, etc. Le patient peut alors présenter des difficultés à traiter des structures particulières : formes réversibles (l’homme regarde la femme/la femme regarde l’homme), relatives, passives, etc. Lorsque le traitement lexical est préservé, le patient s’appuiera sur les éléments sémantiques de la phrase pour accéder au sens, faisant ainsi illusion en situation. Il sera alors particulièrement en difficulté lorsque les phrases comporteront peu de mots chargés de sens (noms, verbes...). 254

Les troubles du langage écrit

Les perturbations de traitement du langage écrit peuvent coexister avec les troubles du langage oral ou se manifester de façon isolée, sur le versant compréhension et/ou production. Une description classique, s’appuyant sur une corrélation anatomo-clinique, a permis d’établir des tableaux en relation avec les syndromes aphasiques classiques. Depuis une quarantaine d’années, l’approche cognitiviste a permis de mieux décrire les niveaux de traitement altérés, en s’appuyant sur les modèles des processus cognitifs établis chez le sujet normal.

La lecture

En ce qui concerne la lecture, une distinction est établie entre des dyslexies périphériques liées à une héminégligence ou à un déficit attentionnel, et les dyslexies centrales mettant en jeu des mécanismes de traitement cognitifs différents. Les dyslexies centrales se caractérisent par des troubles intervenant sur les voies de la lecture. Plusieurs types sont décrits ; nous retiendrons, dans un souci de simplification, les trois formes principales. ❚❚La dyslexie de surface Certains patients perdent la capacité à reconnaître des mots globalement, mais peuvent appliquer une règle de correspondance entre la lettre et le son (correspondance graphème/phonème), ce qui leur permet de lire des mots connus ou inconnus (non-mots ou logatomes) pourvu qu’ils soient “réguliers” : vélo, particularité, /rikapé/, alors que les mots “irréguliers” (ne respectant pas la règle de correspondance lettre/son) seront lus avec une régularisation (femme ➟/

fèm/, banc ➟ banque). On parlera alors d’atteinte de la voie lexicale. ❚❚La dyslexie phonologique A l’inverse, la dyslexie phonologique ne permet pas au sujet de lire par association des lettres, mais la reconnaissance globale du mot étant préservée, le sujet peut lire les mots connus. Cependant il sera en difficulté pour lire les mots nouveaux ou les non-mots (/rikapé/). Ce trouble correspond à une atteinte de la voie phonologique. ❚❚La dyslexie profonde Ces deux difficultés peuvent être combinées dans la dyslexie profonde qui associe un déficit important d’assemblage (voie phonologique) et, à moindre importance, de reconnaissance globale du mot (voie lexicale). Ces troubles vont se manifester particulièrement lors de la lecture à haute voix, entraînant des productions de type paralexie phonologique ou sémantique, des circonlocutions, des pauses... L’accès au sens peut être perturbé selon des modalités comparables à celles décrites à l’oral.

L’écriture

Parallèlement aux difficultés de traitement décrites sur le versant de la lecture, le même type de manifestation peut apparaître en écriture. On décrit alors des tableaux : • d’agraphie lexicale, préservant la capacité à écrire des mots réguliers ou des non-mots, mais altérant l’orthographe des mots irréguliers (erreurs plausibles phonologiquement : femme ➟ /fame/, fusil ➟ /fuzi/) ; • d’agraphie phonologique, les sujets ne pouvant produire que des mots connus, mais pas de mots nouveaux ou de logatomes ; • ou d’agraphie profonde, associant Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160


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une atteinte de la voie phonologique et partiellement de la voie lexicale.

Approche cognitive

L’émergence de ce courant dans les années 1970 a permis de construire une démarche thérapeutique en référence à des modèles de traitement de l’information établis chez le sujet normal. Ces modèles permettent de guider l’évaluation en établissant les niveaux de traitement altérés et préservés, de construire une thérapie en définissant des objectifs en référence aux niveaux déficitaires, et de choisir les outils thérapeutiques adaptés. Les thérapies cognitives nécessitent une analyse fine des troubles, et une évaluation en post-thérapie pour juger de son efficacité.

linguistique (phonétique, phonologie, sémantique, syntaxe), et ses compétences communicatives en situation de vie quotidienne. Ces situations font appel à des capacités souvent préservées chez les personnes aphasiques, qu’elles sont capables de mobiliser pour assurer une certaine fonctionnalité des échanges. Selon Audrey Holland, « les aphasiques communiquent mieux qu’ils ne parlent », ceux-ci s’appuyant sur une utilisation du non-verbal (gestes, mimiques, intonation, etc.). Dans la démarche de réhabilitation sociale du sujet aphasique, la prise en compte du handicap généré par l’aphasie et des difficultés à communiquer en vie quotidienne est tout aussi importante que le travail de restauration des déficits linguistiques. L’objectif, que ce soit pour le patient, son entourage, ou le thérapeute, est de favoriser la capacité à communiquer du sujet, l’efficacité de l’échange, plutôt que le respect d’une norme langagière ; la transmission d’une information est alors privilégiée par rapport à la qualité de production de l’énoncé. Les aspects verbaux et non-verbaux du message sont complémentaires, et l’accent est mis sur les compétences du sujet et non sur ses déficits.

Approche pragmatique

Aspects psychosociaux

Les erreurs vont apparaître en spontané, en dénomination écrite et en dictée. Une atteinte des processus périphériques peut perturber la production de la lettre isolée, par perte de la représentation abstraite de la forme de la lettre, ou une atteinte praxique.

Des approches complémentaires

La description de la sémiologie aphasique s’est construite grâce à des outils d’analyse issus de la linguistique et plus récemment, les apports de la psychologie cognitive ; la démarche thérapeutique tire un bénéfice évident de ces approches complémentaires. Cependant, le clinicien observe fréquemment une dissociation entre les capacités du sujet évaluées lors de bilans standardisés selon les niveaux de structuration Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160

Cette approche de la communication plus globale du patient aphasique amène logiquement à prendre en compte ses interlocuteurs, et les habitudes communicatives du sujet et de son entourage. L’aphasie n’est plus considérée seulement comme un trouble linguistique impactant le patient cérébrolésé, mais comme une perturbation d’un système de communication dans lequel évoluent le patient aphasique et son

entourage. Il faut alors non seulement considérer le sujet aphasique, mais prendre en compte ses partenaires privilégiés, et les interactions qui s’établissent. Il existe un impact direct de l’aphasie sur l’environnement du patient, nécessitant que l’étude se porte sur la dynamique conversationnelle, les stratégies mises en place entre les interlocuteurs, et l’adaptation de l’entourage à la communication. L’analyse conversationnelle, menée à partir de vidéos réalisées au domicile du patient lors d’un échange naturel avec son partenaire privilégié de conversation, permet d’étudier les comportements de chacun des partenaires, et d’identifier les stratégies favorisant l’efficacité de la communication. L’impact de l’aphasie n’est pas que langagier, il est social et psychologique, entraînant une réduction quantitative et qualitative des relations sociales et familiales, avec un risque pour le patient de diminution de ses activités, de repli sur soi, de frustration, de souffrance psychique, de perte de l’estime de soi. Les personnes aphasiques expriment fréquemment un sentiment d’incompétence, de dévalorisation, et une perte de plaisir et d’envie à établir ou maintenir des relations sociales. L’aidant naturel exprime lui aussi une souffrance liée au surmenage, au stress, à la diminution des échanges et à la réduction des relations sociales. Les réactions dépressives se manifestent souvent dans les mois et années qui suivent l’aphasie, témoignant d’un deuil douloureux et difficile de « la vie d’avant ». Les difficultés langagières rendent encore plus difficile l’expression de cette souffrance psychique. 255


dossier La prise en charge des patients aphasiques est donc multiple : • linguistique bien sûr, • mais aussi sociale et psychologique, • en associant l’aidant comme partenaire privilégié de la démarche de rééducation et réadaptation.

Démarche thérapeutique

Au vu de la complexité de la sémiologie aphasique, et de la multitude de facteurs qui entrent en jeu, la question de la prise en charge des patients aphasiques ne peut avoir une réponse unique. Les procédés mis en place viseront de façon complémentaire, la restauration, la réorganisation et/ ou la compensation du ou des déficits [4]. Le type et le degré de sévérité du déficit, la nature et l’efficacité des mécanismes préservés, le moment de la prise en charge, l’implication du patient et de l’entourage, ses besoins et ses attentes, sont autant de facteurs qui vont déterminer d’une part les objectifs de la prise en charge et d’autre part les moyens et les types de thérapie proposés. Plusieurs courants théoriques

structurent la démarche thérapeutique, offrant aux orthophonistes des outils d’évaluation et de remédiation complémentaires. La prise en charge orthophonique est principalement individuelle, mais les thérapies de groupe peuvent être indiquées en complément ou à certaines étapes de la rééducation. Certains profils aphasiques, principalement en début de prise en charge, avec des atteintes portant sur des processus cognitifs bien identifiés, se prêtent particulièrement bien à des thérapies cognitives visant à restaurer une fonction altérée. Ces thérapies proposent un entraînement soutenu, élaboré à l’issue d’un bilan rigoureux, réalisé en référence à un modèle de traitement cognitif normal, soumis à évaluation pré- et post-thérapie, afin d’évaluer l’effet de cet entraînement et sa généralisation aux items non-entraînés. Des thérapies se situant plutôt dans un courant behavioriste, qui s’appuient sur un conditionnement opérant, ont aussi fait leurs preuves dans certains tableaux de réduction sévère de l’expression orale.

L’efficacité de la communication, comme objectif fonctionnel de la thérapie, privilégie une approche pragmatique et propose des thérapies qui vont permettre au sujet de développer les capacités préservées en favorisant l’utilisation de canaux non verbaux. La mise en situation du sujet dans des situations proches de la vie quotidienne permet un meilleur transfert des compétences communicatives, le développement de stratégies palliatives, et favorise l’adaptation réciproque du sujet aphasique et de son environnement. Enfin, la prise en compte de l’entourage et l’implication des aidants dans le processus de communication sont des facteurs essentiels pour optimiser l’efficacité de la prise en charge. n

Mots-clés : Aphasie, Sémiologie, Praxie, Phonologie, Sémantique, Syntaxe, Langage, Expression,Troubles arthriques, Dysarthrie,Troubles lexico-sémantiques, Fluence verbale, Anomie,Troubles morpho-syntaxiques,Troubles discursifs, Troubles de la compréhension, Lecture, Dyslexie, Ecriture, Agraphie

15es RENCONTRES DE NEUROLOGIES

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Renseignements et inscriptions : 256 Neurologies • Septembre 2013 • vol. 16 • numéro 160 Expressions Santé • 2, rue de la Roquette, Passage du Cheval Blanc, Cour de Mai - 75011 Paris Tél. : 01 49 29 29 29 - Fax : 01 49 29 29 19 - E-mail : neurologies@expressiongroupe.fr


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