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Aux frontières de la migraine

1 Migraine avec aura prolongée : La migraine avec aura non hémiplégique prolongée existe-t-elle ? p. 348 Christian Lucas (Lille)

2 Migraine confusionnelle, migraine basilaire : des diagnostics d’exclusion ���������������������������������������������������������������������������� p. 352 Anne Donnet (Marseille)

3 Neuropathie ophtalmoplégique douloureuse et récurrente : l’ex-migraine ophtalmoplégique �������������������������������������������������������������� p. 355 Dominique Valade (Paris)


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1 Migraine avec aura prolongée La migraine avec aura non hémiplégique prolongée existe-t-elle ? n L’aura prolongée non hémiplégique au-delà d’une heure existe. Elle est plus fréquente dans l’aura aphasique, puis dans l’aura sensitive et moins fréquente dans l’aura visuelle. La physiopathologie de l’aura prolongée repose sur la dépression corticale envahissante (DCE), avec vraisemblablement des répliques successives de DCE.

L

a migraine avec aura typique est caractérisée par la survenue récurrente (au minimum 2 crises dans la vie) de symptômes neurologiques totalement réversibles, le plus souvent visuels (dans 90 % des cas), incluant des phénomènes positifs (phosphènes, taches ou lignes) et/ou négatifs (scotomes, hémianopsie) et/ ou des symptômes sensitifs, incluant des phénomènes positifs (sensation de piqûre d’épingle) et/ou négatifs (engourdissement) et/ou des troubles phasiques. Ces symptômes se développent progressivement (“marche migraineuse”) sur au moins 5 minutes, et durent pour chaque symptôme entre 5 minutes et une heure [1]. Ce maximum d’une heure a été fixé arbitrairement. Dans la seconde classification de l’ICHD, hormis pour la migraine hémiplégique dans laquelle la durée de l’aura peut être prolongée au-delà d’une heure, n’apparaît pas la notion de migraine avec aura non hémiplégique

*Service de Neurologie et Pathologie Neurovasculaire, Hôpital Salengro, CHRU de Lille

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(MANH) prolongée. En fait, elle apparaissait dans la toute première classification [2], mais apparaît actuellement dans les complications de la migraine en tant qu’aura persistante sans infarctus (code 1.5.3) avec des symptômes d’aura persistant pendant plus d’une semaine sans signe radiographique d’infarctus. Concernant les auras durant entre 1 heure et une semaine, il faut actuellement les coder comme “probable migraine avec aura”, comme s’il y avait un doute diagnostique, ce qui est gênant pour le patient et le praticien. Nous verrons pourtant qu’il s’agit d’une réalité épidémiologique. Nous ferons également un rappel sur la physiopathologique de l’aura qui permet d’entrevoir pourquoi certaines auras peuvent être prolongées.

Epidémiologie de l’aura prolongée

(Hors migraine hémiplégique) Dans une revue très récente, M. Viana, de l’équipe de P. Goadsby [3], a réalisé une revue de l’ensemble de la littérature sur l’aura migraineuse non hémiplégique.

Christian Lucas*

Ils ont analysé 1 751 publications portant sur l’aura, typique ou non. Ils ont retenu 10 études s’intéressant spécifiquement à la durée de l’aura. Cinq publications ont évalué la proportion de patients avec aura non hémiplégique prolongée au-delà d’une heure et ont trouvé des pourcentages de 12 à 37 % des patients. Six publications ont permis d’avoir des données sur le type d’aura prolongée : 6 à 10 % des patients avec aura visuelle, 14 à 27 % des patients avec aura sensitive et 17 à 60 % des patients avec aura aphasique. A noter des différences méthodologiques dans ces études, avec des durées d’aura recueillies soit sur une crise, soit sur les crises les plus habituelles, soit avec des questionnaires rétrospectifs (avec des biais de recueil possibles) soit avec des agendas prospectifs. Deux études seulement ont été faites avec une méthodologie prospective rigoureuse, dont une en population générale danoise, avec 17 % des patients ayant des auras prolongées et 10 % des patients avec auras visuelles, 14 % des patients Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


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avec auras sensitives et 22 % des patients avec auras aphasiques [4].

Physiopathologie de l’aura La compréhension de la physiopathologie de la migraine a beaucoup évolué au cours de ces dernières décennies. Rappelons que, dans la théorie vasculaire développée par Wolff [5], l’aura migraineuse était expliquée par une vasoconstriction primitive transitoire, et la céphalée par une vasodilatation de rebond des artères méningées provoquant l’activation des nocicepteurs périvasculaires [5]. Puis, dans la théorie neuronale, l’aura est expliquée par la survenue d’une dépression corticale envahissante (spreading depression de Leao) [6] avec implication, ensuite, du circuit trigéminovasculaire et libération de différents neuropeptides pro-inflammatoires, dont le CGRP (Calcitonin Gene Related Peptide) ; le tout étant sous-tendu par une susceptibilité génétique. Les modèles cliniques quasi expérimentaux de la migraine

hémiplégique familiale, affection autosomique dominante, font désormais considérer la migraine comme une possible maladie des canaux ioniques (channelopathy), permettant ainsi d’expliquer l’aspect paroxystique, évoluant par crise de la maladie.

La dépression corticale envahissante ou “spreading depression” La dépression corticale envahissante (DCE) correspond à une vague de dépolarisation neuronale et gliale, suivie d’une dépression neuronale de longue durée, observée expérimentalement après application de potassium sur les cortex de rats. Ce phénomène électrique est contemporain d’une vague d’hypoperfusion, puis, quelques heures plus tard, d’une hyperperfusion cérébrale. Cette DCE progresse lentement à la surface du cortex et peut être interrompue par un sillon ou une scissure. La DCE induit une hyperactivité neuronale initiale avec libération massive de K+ et de glutamate,

suivie d’une entrée massive de Na+ et de Ca++ dans les neurones et les astrocytes. Les astrocytes, en situation d’hypofonctionnement, sont alors incapables de protéger le neurone du glutamate et du K+ qui sont en excès dans le milieu extracellulaire avec pérennisation de la dépolarisation neuronale. Le glutamate joue un rôle essentiel avec blocage de la DCE par les antagonistes des récepteurs NMDA. Chez l’Homme, le rôle de la DCE est longtemps resté controversé, du fait de la rareté de déclenchement des DCE et de difficultés à interpréter les phénomènes électromagnétiques observés. Grâce à l’utilisation de stimulations visuelles répétées prolongées en IRMf par effet BOLD, Cao et al. [7] ont pu démontrer que certaines zones cérébrales passaient d’un état de réponse à la stimulation visuelle, vers un état de non-réponse, selon un “front de désactivation” se propageant avec le temps le long de la scissure calcarine à une vitesse de 3-6 mm/min. Ces données ont été confirmées lors de l’étude d’auras migraineuses spontanées par l’équipe de Hadjikhani [8]. Ces phénomènes peuvent entraîner des “ré-

Tableau 1 - Similitudes entre les phénomènes de dépression corticale envahissante chez l’animal et l’aura migraineuse chez l’humain. D’après Tfelt-Hansen, 2009.

Localisation initiale Mode de propagation Excitation, puis dépression Vitesse (mm/min) Unilatéral Vagues répétées Hyperhémie initiale Oligémie persistante Hypoperfusion Autorégulation Réactivité au CO2 Réaction à l’activation Métabolisme cérébral Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163

Migraine avec aura

DCE chez le rat

Cortex visuel primaire Continu, cortical Oui 3-5 Oui Oui (?) Oui Heures > seuil ischémique Préservée Perturbée Diminuée Normal

Densité neuronale élevée Continu, cortical Oui 2-6 Oui Oui Oui 1,5 h > seuil ischémique Préservée Perturbée Diminuée Normal

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dossier pliques”, à l’instar d’un tsunami, et pourraient expliquer des auras prolongées. Ces phénomènes ne semblent toutefois pas spécifiques à l’aura, puisqu’ils peuvent parfois s’observer au cours de crises migraineuses sans aura [9]. La DCE semble donc bien être à l’origine de l’aura migraineuse (Tab. 1) comme le suggère TfeltHanssen [10], et est vraisemblablement aussi impliquée dans la migraine sans aura, soit avec une DCE survenant dans des zones silencieuses, soit avec perturbation de l’excitabilité corticale, mais sans traduction clinique. Ceci pose la question d’une seule et même maladie migraineuse, sans et avec aura, et la question d’une physiopathologie monoforme ou pas.

Figure 1 - Hypométabolisme prolongé (hémisphère droit) en PET chez une patiente avec migraine hémiplégique familiale avec mutation du gène ATP1A2. PET réalisé lors d’une crise avec hémiparésie et troubles sensitifs G (le SPECT et les IRM T2 et Flair étaient normaux). Dr Anne Donnet, Hôpital de La Timone, Marseille.

Données récentes sur DCE, gènes, hormones et canaux ioniques Des données remarquables sur DCE, gènes, hormones et canaux ioniques ont été publiées par l’équipe de Moschkowitz [11] avec rappels sur les dysfonctionnements des canaux calciques et des pompes en rapport avec des mutations génétiques. La traduction clinique de ce dysfonctionnement ionique est illustrée par la migraine hémiplégique familiale (MHF) pour laquelle quatre types sont à l’heure actuelle connus. Cette maladie représente un lien entre l’implication des gènes et la DCE. Au cours de cette pathologie, les crises sont déclenchées par le stress, l’effort, un traumatisme même minime. Les crises se manifestent par des migraines avec aura et le nombre de 350

Figure 2 - Hypothèse d’un lien physiopathologique avec un possible continuum entre les différents types d’aura. MHF : migraine hémiplégique familiale ; MHS : migraine hémiplégique sporadique ; DCE : dépression corticale envahissante.

crises serait plus important chez la femme. La MHF est en rapport avec une mutation sur le gène CACNA1A pour le type 1 et avec une mutation sur la sous-unité α2 de la pompe ATP-ase dépendante pour le type 2. Les variations de susceptibilité de la DCE entre les deux sexes ont été

testées chez un modèle de souris (R122QK1), avec l’hypothèse que l’imprégnation hormonale pouvait expliquer une proportion plus importante de crises chez la femme. Il a été démontré que l’ovariectomie entraînait chez la souris une diminution de la survenue de la DCE. Les mêmes résultats ont été reproduits Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


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chez la souris ménopausée. Il existe donc chez l’animal des preuves d’une relation entre les hormones ovariennes et la DCE. Enfin, les travaux de Takano [12] sur la NADH (nicotinamide adénine dinucléotide), substance responsable du transfert d’énergie dans la chaîne mitochondriale et mesurée par techniques fluorométriques, ont démontré que l’hypoxie était un facteur clé du déclenchement de la DCE.

Traitements de l’aura prolongée On ne dispose d’aucune donnée spécifique à cette thématique. Les traitements de fond de la migraine pourraient agir en supprimant la DCE. Dans le travail rapporté par Ayata en 2006 [15], cinq substances ont été essayées chez l’animal (valproate, topiramate, bêtabloquants, amitriptylline et méthysergide), prouvant, avec un délai de plusieurs semaines, que ces substances diminuent la DCE.

Imagerie de l’aura prolongée

Conclusion

Des anomalies transitoires de diffusion en IRM sont tout à fait possibles dans l’aura non hémiplégique prolongée comme a pu le montrer Bereczki [13] dans une observation d’un patient avec aura visuelle à type d’hémianopsie prolongée avec un hypersignal en IRM de diffusion qui s’est normalisé en 8 semaines. Une observation en PET-scan de Guedj et al. [14] a montré un hypométabolisme prolongé hémisphérique droit qui a duré 78 jours ; mais il s’agissait dans ce cas d’une jeune femme avec migraine hémiplégique familiale (Fig. 1).

On peut retenir globalement de la littérature que : 1. l’aura prolongée non hémiplégique au-delà d’une heure existe, et affecte 12 à 37 % des patients ; 2. elle est plus fréquente dans l’aura aphasique (17 à 60 % des patients), puis dans l’aura sensitive (14 à 27 %), et moins fréquente dans l’aura visuelle (6 à 10 %) ; 3. la physiopathologie de l’aura prolongée repose sur la DCE, avec vraisemblablement des répliques successives de DCE ; 4. un continuum physiopathologique entre aura typique, prolongée,

basilaire et hémiplégique est plausible, sous-tendu par la génétique et des phénomènes glutamatergiques ; 5. aucune donnée n’est disponible au plan thérapeutique (Fig. 2). Une 3e classification de l’ICHD est disponible dans sa version bêta depuis quelques semaines [16]. La notion de migraine avec aura prolongée n’apparaît pas non plus. Cette version bêta doit évoluer vers une version définitive. Gageons qu’au vu des toutes dernières données épidémiologiques, ce code diagnostique soit réinstauré. n

Correspondance Dr Christian Lucas Service de Neurologie et Pathologie Neurovasculaire Hôpital Salengro, CHRU de Lille 59037 Lille Cedex E-mail : christian.lucas@chru-lille.fr

Mots-clés : Migraine, Aura, Aura non hémiplégique prolongée, Dépression corticale envahissante, Hypoxie, Canaux ioniques, Génétique, Imagerie, PET

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2 Migraine confusionnelle,

migraine basilaire Des diagnostics d’exclusion

n Aux frontières des présentations “classiques” de la maladie migraineuse, se trouvent un certain nombre d’entités, qui se caractérisent par leur rareté, leurs difficultés à être classées sur le plan nosologique, et le fait qu’il s’agit de manière systématique de diagnostics d’exclusion. Parmi celles-ci, figurent la migraine confusionnelle et la migraine basilaire.

La migraine confusionnelle Chez L’enfant et l’adolescent La migraine confusionnelle est un syndrome rare décrit essentiellement chez l’enfant et l’adolescent. Initialement, considéré comme un équivalent migraineux de l’enfant [1], il n’est pas retenu aujourd’hui dans le cadre des syndromes périodiques de l’enfant. Par ailleurs, les trois classifications de l’International Headache Society, dont la dernière version a été publiée en juillet 2013 (ICHD-3 bêta), ne reconnaissent pas cette entité [2]. La première description d’une migraine avec altération de la conscience a été faite en 1873 par Liveing. Plus récemment, Glascon et Barlow, en 1970, rapportaient des observations - toujours en population pédiatrique - de migraine se présentant sous la forme de syndrome confusionnel. A ce jour, environ 62 cas sont décrits dans la littérature. Cette expression clinique correspondrait à 0,04 % des séries de migraine chez l’enfant [3].

*Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, CHU Timone, Marseille

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Chez l’enfant, le tableau clinique se traduit par l’installation brutale d’un état confusionnel avec troubles de la conscience, agitation, amnésie. La présence d’une céphalée n’est pas constante ; si elle est présente, elle peut survenir pendant ou après l’épisode confusionnel. L’épisode confusionnel apparaît souvent, mais de manière non systématique, dans les suites du déroulement d’une aura migraineuse comprenant troubles visuels et paresthésies. Il se termine souvent par un endormissement. La durée de l’épisode confusionnel varie de 2 à 24 heures. Un traumatisme crânien mineur est souvent décrit comme facteur déclenchant [4]. L’évolution se fait sans séquelles. Une récurrence est rapportée dans 25 % des cas.

Chez l’adulte Ce tableau, initialement décrit chez l’enfant, a été plus récemment rapporté chez l’adulte. Ainsi, Gantenbein et al., en 2011 [5], rapportent une série de 10 patients, incluant 8 adultes et 2 adolescents, pour lesquels le diagnostic de migraine confusionnelle a été retenu. Le tableau chez l’adulte est compa-

Anne Donnet*

rable à celui de l’enfant, comportant désorientation temporospatiale, troubles de la parole, difficultés de reconnaissance des visages familiers, et plus rarement apraxie. Ces symptômes peuvent durer plusieurs heures et les épisodes peuvent être récurrents. Ils surviennent souvent dans les suites du déroulement d’une aura migraineuse plus classique, visuelle, paresthésique et/ou aphasique. Aucune pathologie sous-jacente n’a été retrouvée, et on note toujours une régression complète des symptômes.

La dépression corticale envahissante Même si les mécanismes physiopathologiques sont incertains, il est vraisemblable que la migraine confusionnelle soit liée à une dépression corticale envahissante, touchant soit la partie postérieure de l’hémisphère dominant, soit les régions temporo-basales.

Un diagnostic d’exclusion Il s’agit toujours d’un diagnostic d’exclusion, surtout lors du premier épisode. Ainsi, les étiologies suivantes doivent être éliminées [5] : Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


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• épilepsie (crises partielles complexes, confusion post-critique) ; • encéphalite ; • troubles vasculaires ; • troubles métaboliques, toxiques ou post-traumatiques… La migraine confusionnelle peut également être le symptôme d’une maladie sous-jacente : • Le CADASIL [6] : sa traduction clinique peut se faire soit sous la forme d’une migraine avec aura typique, soit d’une migraine avec aura atypique. La migraine confusionnelle peut être le révélateur d’un CADASIL, parfois plusieurs années avant l’apparition d’autres symptômes neurologiques [7] . La migraine confusionnelle est retrouvée dans 30 à 60 % des CADASIL [7]. • La migraine hémiplégique [8] : il s’agit d’une variété rare et autosomique dominante de migraine avec aura rattachée à ce jour à quatre gènes, dont trois codent pour des transporteurs ioniques et un quatrième, qui code pour une protéine régulatrice associée au complexe d’exocytose. La confusion mentale a été rapportée au cours de certaines crises de migraine hémiplégique familiale. • Syndrome de céphalées et déficits neurologiques transitoires avec pleïocytose du LCR [9] : la pseudomigraine avec lymphocytose du LCR. C’est une entité nosologique rare, d’étiopathogénie actuellement inconnue, dont l’évolution est le plus fréquemment bénigne. L’électroencéphalogramme peut soit être normal, soit montrer un ralentissement important de l’électrogenèse, se normalisant en 1 à 3 jours après le retour à la normale [9]. Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163

Le traitement Le traitement de la migraine confusionnelle est controversé. Le valproate IV [3, 6, 10] ou le perchlorpérazine IV [11] ont été proposés. Cependant, il s’agit de résultats rapportés sur de petits effectifs lors d’études ouvertes, et aucune recommandation ne peut être faite à ce sujet.

Au total Ce diagnostic doit donc être connu chez l’enfant comme chez l’adulte, même s’il s’agit toujours d’un diagnostic d’élimination, une fois qu’épilepsie partielle, CADASIL, migraine hémiplégique et pseudomigraine avec pléiocytose du LCR ont été éliminés.

La migraine basilaire ou migraine avec aura du tronc cérébral Avec la troisième version de la classification de l’IHS (ICHD-3 bêta) [2], le terme de migraine basilaire disparaît pour être remplacé par celui de “migraine avec aura du tronc cérébral”. En effet, le terme basilaire faisait référence au tronc basilaire et l’implication de ce dernier dans la physiopathologie des crises est douteuse. Cette entité est reconnue comme une entité à part entière, au même titre que la migraine sans ou avec aura, ou que la migraine hémiplégique.

Les critères de la migraine avec aura du tronc cérébral Ces critères sont les suivants: A. Au moins 2 crises correspondant aux critères B-D ; B. Aura consistant en symptômes visuels, sensitifs et/ou touchant le langage, tous totalement réversibles, mais sans déficit moteur ou symptôme rétinien ; C. Aura correspondant à au moins 2

des symptômes du tronc cérébral : 1. dysarthrie, 2. vertige, 3. acouphène, 4. hypoacousie, 5. diplopie, 6. ataxie, 7. baisse du niveau de vigilance ; D. Au moins 2 des 4 caractéristiques suivantes : 1. au moins 1 des symptômes de l’aura se développe progressivement sur > 5 minutes, et/ou 2 ou plus des symptômes apparaissent de manière successive ; 2. chaque aura dure individuellement de 5 à 60 minutes ; 3. au moins un des symptômes de l’aura est unilatéral ; 4. l’aura est accompagnée, ou suivie dans les 60 minutes, par une céphalée ; E. Non attribué à une autre affection, en particulier un accident ischémique transitoire aura été éliminé.

Les manifestations de la migraine avec aura du tronc cérébral Le concept de migraine basilaire a été largement décrit par Bickerstaff en 1961, comme la réduction de l’état de conscience, sans syndrome confusionnel, chez de jeunes adultes. Il s’agit d’une expression rare de la maladie migraineuse - 3-19 % des migraines de l’enfant -, dont l’âge de début est variable, allant de 7 ans [12] à 17 ans (10-50 ans) [13]. La plupart des patients ont également des migraines avec aura visuelle, sensitive ou aphasique pendant la migraine basilaire ou en dehors de celle-ci [13]. Par définition, il n’y a pas d’aura motrice, l’existence d’un déficit moteur conduisant immédiatement au diagnostic de migraine hémiplégique, même s’il existe une expression basilaire associée. 353


dossier Le nombre d’auras est variable : 2 auras : 31 % ; 3 auras : 45 % ; 4 auras : 8 % ; 5 auras : 8 % ; 6 auras : 8 %. L’aura la plus fréquente est le vertige, dont la présentation est variable : • rotatoire : 65 % ; • illusion de déplacement : 43 % ; • positionnelle : 22 % ; en sachant que plusieurs de ces symptômes peuvent se chevaucher.

Le diagnostic différentiel Il s’agit là encore d’un diagnostic d’élimination, et des observations de migraine basilaire secondaires ont été rapportées : accident ischémique dans le territoire vertébro-basilaire, médulloblastome, télangiectasie du pont [14], dolichoectasie vertébrobasilaire [15]…

La génétique Les études génétiques dans cette entité ont donné des résultats divergents pour les mutations des gènes ATP1A2 [16] et CACNA1A [13, 17].

Le traitement Le traitement n’est pas codifié, mais repose essentiellement sur l’utili-

sation des antiépileptiques (topiramate [12], lamotrigine [18]), mais l’efficacité de l’acétazolamide [17] ou du bloc du grand nerf occipital [19] a été rapportée. On rappellera qu’il s’agit d’une contre-indication à l’utilisation des triptans, même si une bonne tolérance des triptans a été rapportée [20].

Les diagnostics différentiels Deux diagnostics différentiels sont à évoquer devant un tableau de migraine avec aura du tronc cérébral : • la migraine hémiplégique, qui se traduit par des auras complexes et prolongées, au sein desquelles on retrouve des auras de type basilaire dans 70 % des cas ; • le deuxième diagnostic différentiel est le vertige migraineux [21] qui vient d’apparaître dans l’Appendix de la nouvelle classification des céphalées.

et un bilan paraclinique complet est nécessaire. Elles surviennent plus volontiers chez l’enfant et l’adolescent, mais sont décrites également, même s’il s’agit de cas exceptionnels, chez l’adulte. Il existe un chevauchement entre migraine basilaire, migraine hémiplégique et migraine basilaire, même si ces trois concepts sont à ce jour bien distincts. n Correspondance Dr Anne Donnet Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, Pôle Neurosciences Cliniques, CHU Timone, Marseille Tél. : 04 91 38 43 45 E-mail : anne.donnet@ap-hm.fr

Mots-clés : Migraine confusionnelle, Migraine basilaire, Migraine avec aura du tronc cérébral, Enfant, Adolescent, Dépres-

En conclusion Migraine confusionnelle et migraine avec aura du tronc cérébral sont des entités rares. Il s’agit toujours d’un diagnostic d’exclusion,

sion corticale envahissante, CADASIL, Migraine hémiplégique, Pseudomigraine avec lymphocytose du LCR, Epilepsie, Migraine hémiplégique, Vertige migraineux, Antiépileptiques

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Aux frontières de la migraine

3 Neuropathie

ophtalmoplégique douloureuse et récurrente L’ex-migraine ophtalmoplégique n La neuropathie ophtalmoplégique douloureuse et récurrente, décrite à la fin du XIXe siècle par Charcot, est une pathologie rare qui survient le plus souvent dans l’enfance. La forme typique correspond à une migraine sévère pouvant durer plusieurs jours, suivie d’un ptôsis et d’une diplopie dus à une atteinte isolée d’un nerf oculomoteur.

L

e terme de “migraine ophtalmoplégique” ne doit plus être employé puisqu’il a disparu de la nouvelle classification internationale des céphalées dans sa forme ICHD-3 bêta parue en juillet 2013 [1]. On parle maintenant de “neuropathie ophtalmoplégique douloureuse et récurrente”. Il s’agit d’une pathologie caractérisée par des attaques d’ophtalmoplégie suivant des céphalées migraineuses sévères.

lées [4]. Certes, cette analyse n’est pas fondée sur l’étude d’une population, mais uniquement sur un sous-groupe de patients consultants dans les centres spécialisés, mais il n’empêche que cela confirme la rareté de l’affection, d’autant que sa définition a plusieurs fois changé au cours des différentes classifications.

Cette pathologie, décrite depuis la fin du XIXe siècle par Charcot [2], survient le plus souvent dans l’enfance et est considérée comme rare chez l’adulte. Il s’agit d’une maladie rare puisque l’incidence est autour de 0,7 cas par million d’habitants [3] et, dans la seule série française, 9 cas furent observés sur une période de 3 ans dans 13 centres tertiaires de prise en charge de la migraine parmi 52 973 patients vus pour cépha-

La première définition, proposée par Walsch [5], associait une histoire de migraine évoluant en gravité, une ophtalmoplégie qui suivait la sémiologie migraineuse et bien sûr l’exclusion de toute autre cause par une artériographie ou une exploration chirurgicale.

*Centre Urgences Céphalées, Hôpital Lariboisière, Paris

Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163

Clinique et évolution de la classification

La première classification internationale (ICHD-1) [6] avait pour but d’éliminer les formes symptomatiques qui étaient considérées comme un sous-type de migraine figurant parmi les formes cliniques de celles-ci. Elles devaient

Dominique Valade*

donc être distinguées des autres formes de migraine par des paralysies oculomotrices récurrentes.

Les critères de 2004 Lors de la deuxième classification (ICHD-2) publiée en 2004 [7], elle sort de la notion de migraine et quitte donc le groupe des céphalées primaires pour passer dans un groupe hétérogène dit « des névralgies des nerfs crâniens et des causes centrales de douleur de la face et autres céphalées » ; elle est à ce moment-là rapprochée du syndrome de Tosa Hunt. A partir de ce moment, cette pathologie n’est plus considérée comme un sous-type de migraine, bien qu’elle continue à porter le titre de “migraine ophtalmoplégique”. D’autre part, elle peut être symptomatique puisqu’elle n’est plus de facto une céphalée primaire. Les critères de 2004 sont les suivants : A. au moins 2 épisodes respectant le critère B ; B. un épisode de céphalée de type 355


dossier migraineuse accompagne ou suivant dans un délai de 4 jours la survenue des paralysies d’un ou plusieurs nerfs crâniens oculomoteurs ; C. les lésions parasellaires de la fente orbitaire ou de la fosse cérébrale postérieure étant éliminées par les examens appropriés.

Tableau 1 - Principales étiologies des paralysies oculomotrices douloureuses. Vasculaires

Anévrysme artériel, fistule artérioveineuse, angiome, infarctus, dissection artérielle, apoplexie pituitaire, cavernome, hématome

Infectieuses

Maladie de Lyme, syphilis, abcès, tuberculose, SIDA, mucormycose, zona

Métaboliques

Diabète sucré

Inflammatoires

SEP, sarcoïdose, maladie de Horton, granulomatose

Les critères de 2013

Tumorales

Lymphome, schwannome, gliome

Enfin, dernière évolution en date, la pathologie perd son vocable de migraine pour devenir une neuropathie ophtalmoplégique douloureuse et récurrente.

Traumatiques

La forme clinique typique correspond à un enfant présentant une migraine sévère pouvant durer plusieurs jours et qui est suivie au bout de quelques jours d’un ptôsis et d’une diplopie dus à une atteinte isolée d’un nerf oculomoteur alors que la céphalée a disparu. L’atteinte la plus fréquente est celle du nerf oculaire commun (95 %), suivie par celle de l’abdusens, qui est relativement rare (4 %) ; exceptionnellement, on peut avoir plusieurs nerfs oculomoteurs atteints de façon concomitante. La récupération oculomotrice est habituellement complète mais la répétition des accès peut laisser place à une ophtalmoparésie et éventuellement à une parésie du contingent végétatif du III avec difficulté d’accommodation et mydriase. Les critères de 2013 sont les suivants : A. au moins deux épisodes respectant le critère B ; B. des céphalées unilatérales accompagnées par une parésie ipsilatérale de 1, 2 ou 3 nerfs oculomoteurs ; C. une lésion de la fosse posté356

Syndrome de Tolosa Hunt

rieure ou orbitale ou parasellaire ayant été exclue par les investigations appropriées ; D. ne pouvant entrer dans aucun des diagnostics de la classification ICHD-3.

Le diagnostic différentiel Vighetto et Tilikete [8] ont parfaitement décrit les diagnostics différentiels dans la revue neurologique dans un article intitulé « Atteinte oculomotrice douloureuse : une approche diagnostique ». Les différentes étiologies sont résumées dans le tableau 1.

Les examens complémentaires

L’examen de référence est l’IRM cérébrale qu’il faut faire rapidement à la phase d’état de la maladie avec des séquences T1 coronales et sagittales, avec et sans gadolinium. Elle peut montrer une prise de contraste des nerfs crâniens concernés, une augmentation de leur taille par rapport au côté sain [9]. Cet aspect est évocateur, mais il faut en surveiller sa disparition par des IRM séquentielles, car ces

anomalies apparaissent réversibles de façon parallèle à l’amélioration clinique [10]. Le délai de résolution des signes est variable, mais 3 mois semblent habituels et, bien évidemment, le cas échéant, il faudra remettre en cause le diagnostic si les anomalies persistent plusieurs mois. Ce syndrome clinico-radiologique est quand même relativement flou, même si on se réfère aux critères diagnostiques de la dernière classification ICHD-3 bêta.

Les hypothèses physiopathologiques Dans la précédente classification, le concept de migraine ophtalmoplégique était basé sur l’hypothèse d’un phénomène démyélinisant inflammatoire des nerfs moteurs oculaires, entraînant une activation trigémino-vasculaire se traduisant par une céphalée migraine-like ; c’est ainsi que cela fut proposé par Lance et Zagami [11]. D’ailleurs, la réponse à la corticothérapie semblait être en faveur de cette hypothèse. Si on ne peut pas nier chez l’adulte une relation entre la migraine Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


Aux frontières de la migraine

ophtalmoplégique et la maladie migraineuse comme mode de début, la migraine ophtalmoplégique survenant souvent chez des migraineux connus, alors que cela n’est pas la même chose chez l’enfant ; un suivi au long terme chez de tels enfants n’est en effet pas possible pour évaluer combien de ceux-ci développeront une migraine avec ou sans aura au cours de leur vie. Carlow [12] a proposé l’hypothèse neurovasculaire qui était malgré tout moins convaincante, ceci à partir de la constatation d’une relation intime entre la sortie de la racine du 3e nerf et les artères du cercle du polygone de Willis qui sont largement innervées par la première division du nerf trijumeau ; de même pour la VIe paire crânienne qui, après sa sortie du bas du bord du pont, passe très près de l’artère cérébrale antéro-inférieure et finalement dans le sinus caverneux en longeant le mur de l’artère carotide interne. Cela fait que l’hypothèse neurovasculaire proposée par Carlow peut certainement s’appliquer à

la VIe paire crânienne, ainsi qu’à la IVe paire crânienne, qui passe à proximité des artères cérébrales postérieures et cérébelleuses supérieures. L’activation des neuropeptides et d’autres agents pourrait affecter le nerf adjacent entraînant des démyélinisations et des remyélinisations récurrentes lors des crises successives de migraine, cette succession entraînant un épaississement du nerf et son rehaussement. Enfin, dans les études expérimentales, Lane [13] a montré qu’il y a une régulation d’une métalloprotéine (MMP) qui exciterait la composante de la jonction capillaire constituant la barrière cerveau-sang de la même manière nerf-sang. Ainsi, le bénéfice dû aux stéroïdes dans le traitement de la migraine ophtalmoplégique pourrait être le résultat du blocage de la libération de ces métalloprotéines.

fréquemment utilisés sont les corticoïdes dont l’utilisation précoce - bien que non démontrée semble minimiser les atteintes. Même sans traitement, l’évolution des troubles neurologiques est favorable au début (la céphalée en quelques jours et les paralysies oculomotrices en moyenne en 3 mois) et, au fil des accès, une discrète ophtalmoplégie peut pern sister [9]. Correspondance Dr Dominique Valade Centre Urgences Céphalées Hôpital Lariboisière, Paris Tél. : 01 49 95 89 53 E-mail : dominique.valade@lrb.aphp.fr

Mots-clés : Migraine ophtalmoplégique, Neuropathie ophtalmoplégique douloureuse et récurrente, Nerf oculomoteur,

Le traitement Il existe une grande hétérogénéité, mais les produits le plus

IRM cérébrale, Diagnostic différentiel, Hypothèse neurovasculaire, Démyélinisation, Métalloprotéines

Bibliographie 1. Headache Classification Sub-Committee of the International Headache Society: ICHD-3 beta. Cephalalgia 2013 ; 33 : 629-808. 2. Charcot JM. Sur un cas de migraine ophtalmoplégique. Prog Med (Paris) 1890 ; 1 : 91-102. 3. Hansen SL, Borelli-Moller L, Strange P et al. Ophthalmoplegic migraine: diagnostic criteria, incidence of hospitalization and possible etiology. Acta Neurologica Scand 1990 ; 81 : 54-60. 4. Giraud P, Valade D, Lanteri-Minet M et al., Observatoire des Migraines et Céphalées of the French Headache Society. Is migraine with cranial nerve palsy an ophtalmoplegic migraine? J Headache Pain 2007 ; 8 : 11922. 5. Walsch JP, O’Doherty DS. A possible explanation of the mechanism of ophthalmoplegic migraine. Neurology 1960 ; 10 : 1079-84. 6. Headache Classification Sub-Committee of the International Headache Society: ICHD-1. Cephalalgia 1988 ; 8 : 1-96. 7. Headache Classification Sub-Committee of the International Hea-

Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163

dache Society: ICHD-2. Cephalalgia 2004 ; 24 (Suppl 1) : 1-160. 8. Vighetto A, Tilikete G. Painful oculomotor palsy: a diagnostic approach. Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 531-42. 9. Bharucha DX, Campbell TB, Valencia I et al. MRI findings in pediatric ophthalmoplegic migraine: a case report and literature review. Pediatr Neurol 2007 ; 37 : 59-63. 10. Mark AS, Casselman J, Brown D et al. Ophthalmoplegic migraine reversible enhancement and thickening of the cisternal segment of the oculomotor nerve on contrast-enhanced MR images. Am J Neuroradiol 1998 ;19 : 1887-91. 11. Lance JW, Zagami AS. Ophthalmoplegic migraine: a recurrent demyelinating neuropathy? Cephalalgia 2001 ; 21 : 84-9. 12. Carlow TJ. Oculomotor ophthalmoplegic migraine: is it really migraine? J neuroophtalmol 2002 ; 22 : 215-21. 13. Lane R, Davies P. Ophthalmoplegic migraine: the case for reclassification. Cephalalgia 2010 ; 30 : 655-61.

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