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2 Migraine confusionnelle,

migraine basilaire Des diagnostics d’exclusion

n Aux frontières des présentations “classiques” de la maladie migraineuse, se trouvent un certain nombre d’entités, qui se caractérisent par leur rareté, leurs difficultés à être classées sur le plan nosologique, et le fait qu’il s’agit de manière systématique de diagnostics d’exclusion. Parmi celles-ci, figurent la migraine confusionnelle et la migraine basilaire.

La migraine confusionnelle Chez L’enfant et l’adolescent La migraine confusionnelle est un syndrome rare décrit essentiellement chez l’enfant et l’adolescent. Initialement, considéré comme un équivalent migraineux de l’enfant [1], il n’est pas retenu aujourd’hui dans le cadre des syndromes périodiques de l’enfant. Par ailleurs, les trois classifications de l’International Headache Society, dont la dernière version a été publiée en juillet 2013 (ICHD-3 bêta), ne reconnaissent pas cette entité [2]. La première description d’une migraine avec altération de la conscience a été faite en 1873 par Liveing. Plus récemment, Glascon et Barlow, en 1970, rapportaient des observations - toujours en population pédiatrique - de migraine se présentant sous la forme de syndrome confusionnel. A ce jour, environ 62 cas sont décrits dans la littérature. Cette expression clinique correspondrait à 0,04 % des séries de migraine chez l’enfant [3].

*Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, CHU Timone, Marseille

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Chez l’enfant, le tableau clinique se traduit par l’installation brutale d’un état confusionnel avec troubles de la conscience, agitation, amnésie. La présence d’une céphalée n’est pas constante ; si elle est présente, elle peut survenir pendant ou après l’épisode confusionnel. L’épisode confusionnel apparaît souvent, mais de manière non systématique, dans les suites du déroulement d’une aura migraineuse comprenant troubles visuels et paresthésies. Il se termine souvent par un endormissement. La durée de l’épisode confusionnel varie de 2 à 24 heures. Un traumatisme crânien mineur est souvent décrit comme facteur déclenchant [4]. L’évolution se fait sans séquelles. Une récurrence est rapportée dans 25 % des cas.

Chez l’adulte Ce tableau, initialement décrit chez l’enfant, a été plus récemment rapporté chez l’adulte. Ainsi, Gantenbein et al., en 2011 [5], rapportent une série de 10 patients, incluant 8 adultes et 2 adolescents, pour lesquels le diagnostic de migraine confusionnelle a été retenu. Le tableau chez l’adulte est compa-

Anne Donnet*

rable à celui de l’enfant, comportant désorientation temporospatiale, troubles de la parole, difficultés de reconnaissance des visages familiers, et plus rarement apraxie. Ces symptômes peuvent durer plusieurs heures et les épisodes peuvent être récurrents. Ils surviennent souvent dans les suites du déroulement d’une aura migraineuse plus classique, visuelle, paresthésique et/ou aphasique. Aucune pathologie sous-jacente n’a été retrouvée, et on note toujours une régression complète des symptômes.

La dépression corticale envahissante Même si les mécanismes physiopathologiques sont incertains, il est vraisemblable que la migraine confusionnelle soit liée à une dépression corticale envahissante, touchant soit la partie postérieure de l’hémisphère dominant, soit les régions temporo-basales.

Un diagnostic d’exclusion Il s’agit toujours d’un diagnostic d’exclusion, surtout lors du premier épisode. Ainsi, les étiologies suivantes doivent être éliminées [5] : Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


Aux frontières de la migraine

• épilepsie (crises partielles complexes, confusion post-critique) ; • encéphalite ; • troubles vasculaires ; • troubles métaboliques, toxiques ou post-traumatiques… La migraine confusionnelle peut également être le symptôme d’une maladie sous-jacente : • Le CADASIL [6] : sa traduction clinique peut se faire soit sous la forme d’une migraine avec aura typique, soit d’une migraine avec aura atypique. La migraine confusionnelle peut être le révélateur d’un CADASIL, parfois plusieurs années avant l’apparition d’autres symptômes neurologiques [7] . La migraine confusionnelle est retrouvée dans 30 à 60 % des CADASIL [7]. • La migraine hémiplégique [8] : il s’agit d’une variété rare et autosomique dominante de migraine avec aura rattachée à ce jour à quatre gènes, dont trois codent pour des transporteurs ioniques et un quatrième, qui code pour une protéine régulatrice associée au complexe d’exocytose. La confusion mentale a été rapportée au cours de certaines crises de migraine hémiplégique familiale. • Syndrome de céphalées et déficits neurologiques transitoires avec pleïocytose du LCR [9] : la pseudomigraine avec lymphocytose du LCR. C’est une entité nosologique rare, d’étiopathogénie actuellement inconnue, dont l’évolution est le plus fréquemment bénigne. L’électroencéphalogramme peut soit être normal, soit montrer un ralentissement important de l’électrogenèse, se normalisant en 1 à 3 jours après le retour à la normale [9]. Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163

Le traitement Le traitement de la migraine confusionnelle est controversé. Le valproate IV [3, 6, 10] ou le perchlorpérazine IV [11] ont été proposés. Cependant, il s’agit de résultats rapportés sur de petits effectifs lors d’études ouvertes, et aucune recommandation ne peut être faite à ce sujet.

Au total Ce diagnostic doit donc être connu chez l’enfant comme chez l’adulte, même s’il s’agit toujours d’un diagnostic d’élimination, une fois qu’épilepsie partielle, CADASIL, migraine hémiplégique et pseudomigraine avec pléiocytose du LCR ont été éliminés.

La migraine basilaire ou migraine avec aura du tronc cérébral Avec la troisième version de la classification de l’IHS (ICHD-3 bêta) [2], le terme de migraine basilaire disparaît pour être remplacé par celui de “migraine avec aura du tronc cérébral”. En effet, le terme basilaire faisait référence au tronc basilaire et l’implication de ce dernier dans la physiopathologie des crises est douteuse. Cette entité est reconnue comme une entité à part entière, au même titre que la migraine sans ou avec aura, ou que la migraine hémiplégique.

Les critères de la migraine avec aura du tronc cérébral Ces critères sont les suivants: A. Au moins 2 crises correspondant aux critères B-D ; B. Aura consistant en symptômes visuels, sensitifs et/ou touchant le langage, tous totalement réversibles, mais sans déficit moteur ou symptôme rétinien ; C. Aura correspondant à au moins 2

des symptômes du tronc cérébral : 1. dysarthrie, 2. vertige, 3. acouphène, 4. hypoacousie, 5. diplopie, 6. ataxie, 7. baisse du niveau de vigilance ; D. Au moins 2 des 4 caractéristiques suivantes : 1. au moins 1 des symptômes de l’aura se développe progressivement sur > 5 minutes, et/ou 2 ou plus des symptômes apparaissent de manière successive ; 2. chaque aura dure individuellement de 5 à 60 minutes ; 3. au moins un des symptômes de l’aura est unilatéral ; 4. l’aura est accompagnée, ou suivie dans les 60 minutes, par une céphalée ; E. Non attribué à une autre affection, en particulier un accident ischémique transitoire aura été éliminé.

Les manifestations de la migraine avec aura du tronc cérébral Le concept de migraine basilaire a été largement décrit par Bickerstaff en 1961, comme la réduction de l’état de conscience, sans syndrome confusionnel, chez de jeunes adultes. Il s’agit d’une expression rare de la maladie migraineuse - 3-19 % des migraines de l’enfant -, dont l’âge de début est variable, allant de 7 ans [12] à 17 ans (10-50 ans) [13]. La plupart des patients ont également des migraines avec aura visuelle, sensitive ou aphasique pendant la migraine basilaire ou en dehors de celle-ci [13]. Par définition, il n’y a pas d’aura motrice, l’existence d’un déficit moteur conduisant immédiatement au diagnostic de migraine hémiplégique, même s’il existe une expression basilaire associée. 353


dossier Le nombre d’auras est variable : 2 auras : 31 % ; 3 auras : 45 % ; 4 auras : 8 % ; 5 auras : 8 % ; 6 auras : 8 %. L’aura la plus fréquente est le vertige, dont la présentation est variable : • rotatoire : 65 % ; • illusion de déplacement : 43 % ; • positionnelle : 22 % ; en sachant que plusieurs de ces symptômes peuvent se chevaucher.

Le diagnostic différentiel Il s’agit là encore d’un diagnostic d’élimination, et des observations de migraine basilaire secondaires ont été rapportées : accident ischémique dans le territoire vertébro-basilaire, médulloblastome, télangiectasie du pont [14], dolichoectasie vertébrobasilaire [15]…

La génétique Les études génétiques dans cette entité ont donné des résultats divergents pour les mutations des gènes ATP1A2 [16] et CACNA1A [13, 17].

Le traitement Le traitement n’est pas codifié, mais repose essentiellement sur l’utili-

sation des antiépileptiques (topiramate [12], lamotrigine [18]), mais l’efficacité de l’acétazolamide [17] ou du bloc du grand nerf occipital [19] a été rapportée. On rappellera qu’il s’agit d’une contre-indication à l’utilisation des triptans, même si une bonne tolérance des triptans a été rapportée [20].

Les diagnostics différentiels Deux diagnostics différentiels sont à évoquer devant un tableau de migraine avec aura du tronc cérébral : • la migraine hémiplégique, qui se traduit par des auras complexes et prolongées, au sein desquelles on retrouve des auras de type basilaire dans 70 % des cas ; • le deuxième diagnostic différentiel est le vertige migraineux [21] qui vient d’apparaître dans l’Appendix de la nouvelle classification des céphalées.

et un bilan paraclinique complet est nécessaire. Elles surviennent plus volontiers chez l’enfant et l’adolescent, mais sont décrites également, même s’il s’agit de cas exceptionnels, chez l’adulte. Il existe un chevauchement entre migraine basilaire, migraine hémiplégique et migraine basilaire, même si ces trois concepts sont à ce jour bien distincts. n Correspondance Dr Anne Donnet Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur, Pôle Neurosciences Cliniques, CHU Timone, Marseille Tél. : 04 91 38 43 45 E-mail : anne.donnet@ap-hm.fr

Mots-clés : Migraine confusionnelle, Migraine basilaire, Migraine avec aura du tronc cérébral, Enfant, Adolescent, Dépres-

En conclusion Migraine confusionnelle et migraine avec aura du tronc cérébral sont des entités rares. Il s’agit toujours d’un diagnostic d’exclusion,

sion corticale envahissante, CADASIL, Migraine hémiplégique, Pseudomigraine avec lymphocytose du LCR, Epilepsie, Migraine hémiplégique, Vertige migraineux, Antiépileptiques

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Neurologies • Décembre 2013 • vol. 16 • numéro 163


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